INTRIGUE : La Bataille des Bois Sombres (Groupe 3) [TERMINE]

Astegal Balaeres, Capitaine du Néant

Que de chemins avaient-ils parcourus depuis le débarquement sur cette terre d’hérétiques. Que de victoires avaient-ils, sans surprise, remportés. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Eux qui servaient le Néant avec ferveur se battaient pour lui, pour montrer la vraie voie aux païens de ces terres, qui croyaient encore en leurs misérables Esprits incapables de les protéger, qui cachaient leur faiblesse derrière ce qu’ils appelaient magie. Et pourtant, Astegal ressentait de la pitié, pour eux. Ces pauvres Humains d’outre-mer avaient vécu depuis toujours sans la lumière de la science, sans la joie apportée par une vie à prier le Néant. Ils n’avaient pas eu de chance, ils étaient nés du mauvais côté de la barrière. Voilà pourquoi Astegal partageait les vues d’Aldakin sur le sujet : leur devoir était de les convertir, d’en faire de fidèles serviteurs de leur Esprit, et d’empêcher la mauvaise graine de proliférer en l’arrachant à la terre.

Astegal disposait d’environ 25.000 hommes, le reste étant avec le Général Aldakin, et le Lieutenant Zvan Rogdaï. C’était bien plus que suffisant pour écraser chaque résistant et chaque Elfe qu’ils croiseraient. Lorsqu’ils avaient pénétré les Forêts Elfiques, après une attente qui leur avait paru interminable dans leur impatience d’accomplir leur devoir civilisateur, après que le Néant ait fait tomber les défenses magiques qui protégeaient les lieux, les troupes qui l’accompagnaient n’étaient tombées que sur quelques patrouilles éparpillées. Il flottait déjà dans l’air comme une odeur de victoire, avait-il pensé avec un sourire. Aujourd’hui, les dirigeants des trois peuples étant tous réunis au même endroit, ils avaient une chance de décapiter d’un seul coup la piètre résistance à laquelle ils avaient été opposés jusqu’alors. Et ils pourraient aussi enfin exterminer complètement les Elfes, si Aldakin lui donnait l’autorisation de poursuivre son avancée une fois le Domaine Baptistral définitivement tombé entre leurs mains.

Lorsqu’ils étaient arrivés aux abords du Sanctuaire, Astegal avait donné l’ordre à ses troupes de cesser leur avance. Il avait beau avoir la supériorité numérique, il ne se jetterait pas tête la première. Trop d’assurance mène à la perte aussi sûrement que de se dresser contre le Néant mène à la mort. La cavalerie sur les ailes, ainsi que quelques milliers de fantassins, un centre constitué d’hommes à pied, dans un mélange ordonné de lances, d’épées, d’arcs et d’arbalètes, et quelques armes à longue portée facilement transportables à l’arrière, avec la réserve, tel était son dispositif. Deux mille hommes assureraient également l’arrière-garde, afin de veiller à ce qu’ils ne puissent être pris à revers.

« Soldats du Néant ! L’heure approche où le plus grand, le plus puissant des Esprits, dominera cette terre d’hérésie ! Combattez vaillamment, Celui que nous servons a les yeux sur nous aujourd’hui ! »

Ses paroles furent reprises par ses Officiers, afin que tous, jusqu’au plus lointain soldat, entendent ce qu’il venait de dire. Faire des discours n’était pas dans son tempérament. Combattre et planifier, si. Et puis, ses hommes n’avaient pas besoin de cela : leur cœur brûlait du feu de leur ferveur, leur adoration pour le Néant les amenait à vaincre sans faillir, ou à mourir avec honneur.

« Mon Capitaine, nos éclaireurs rapportent que des troupes ennemies font route vers nous. »

« Donnez l’ordre aux archers et aux artilleurs de préparer leurs armes, et que le centre soit prêt à avancer. Ne leur laissons pas le temps d’organiser leurs troupes. »

Le son des tambours redoubla d’intensité, tandis que les Alayiens se préparaient à l’assaut. Le son d’une armée en marche vers la victoire. Le son d’un nouvel âge. Quelle ironie que le dernier combat des païens se fassent en un lieu qui autrefois avait respiré leur immonde magie. La Clairière de la Grande Mère changerait bientôt de nom, pour la plus grande gloire du Néant.

Le tonnerre grondait en son cœur farouche, alors que d’un battement d’aile gigantesque, elle s’élevait, monstrueuse masse d’écailles et de muscles, dans les airs, se fondant avec le ciel sombre tandis qu’elle se tournait vers la marée de vermisseaux qui prenaient d’assaut le domaine Baptistral. Dès le début des négociations mortelles, elle avait senti que quelque chose n’allait pas mais, concentrée sur les éphémères, elle n’avait pu trouver l’origine de ce trouble jusqu’à l’instant fatidique. Dracos, frère d’écailles, était prisonnier du Néant, les petits partis afin d’essayer de lui venir en aide… Il ne restait plus qu’elle en ces lieux pour faire barrage à l’immense armée et gagner de précieux instants pour la survie des délégations présentes. Les Alayiens étaient trop nombreux, les petits mortels trop peu nombreux, et l’armée elfique bien trop loin pour parvenir en ces lieux rapidement… Tout leur espoir reposait sur les dragons et leurs dragonniers combattant le Néant. Si Dracos était libéré, ils auraient une chance de tous s’en sortir. Et si elle devait périr pour cela, alors elle donnerait sa vie sans hésiter un seul instant. Un dernier don de sa part à ce continent qu’elle aimait par-dessus tout. Une dernière chance offerte en espérant voir les envahisseurs emboutis. Malgré la douleur de son poitrail et sa fatigue, elle allait combattre, de toute sa force et de toute sa détermination. De toute la force de son vénérable esprit. Elle tiendrait jusqu’à la fin, jusqu’à son dernier souffle de vie si il le fallait. Oui elle combattrait, elle ferait connaître à ces chiens venus d’ailleurs la colère d’une dragonne des tempêtes et imprimerait ce sceau titanesque au fond de leurs âmes ravagées par la haine.

Battant des ailes, elle effectua un demi-tour en plein ciel, redescendant vers la terre et la vague noire qui s’avançait toujours, empuantie de folie. Immense, magistrale, avec ses ailes étendues, elle emplissait soudain le ciel, éclipsant la lueur sanglante du soleil alors que l’orage grondait près d’elle. Elle n’avait plus de feu, mais elle avait toujours ses crocs, ses griffes… et sa taille. Couronnée de sa fureur sans pareille, cœur battant à tout rompre sous l’armure d’écailles diamantines, elle rugit férocement, le son grondant et roulant tel un coup de tonnerre s’abattant avec violence sur terre… Fonçant en avant, fendant le ciel comme une flèche de mercure hurlante, ailes rabattues contre ses flancs, ne déviant pas un seul instant de son objectif. Elle ne pensait à rien d’autre sur l’instant, n’ayant que l’image de ses ennemis au fond du regard, focalisée sur eux… Elle ne pouvait s’inquiéter de quoi que ce soit d’autre pour le moment, la haine, la colère pulsant dans son sang ne demandait qu’une seule chose : la mort des hérétiques, de ces misérables créatures qui avaient l’audace de penser faire déferler le chaos sur ce lieu qu’elle chérissait, mettant en danger ceux qu’elle aimait et l’avenir de ce continent. Il n’y avait rien de plus dangereux qu’un adversaire n’ayant rien à perdre, acculé et prêt à tout pour s’en sortir… et ils allaient bientôt s’en souvenir, alors que le sol se rapprochait dangereusement. Quelques dizaines de mètres à peine… Quelques mètres et elle porterait la mort au sein de ces rangs serrés comme une armée de fourmis. Si minuscules comparés à elle… mais en nombre.

Qu’importe. Qu’il en vienne encore davantage, elle ne s’arrêterait pas pour autant. Elle était le cœur de l’orage et l’orage ne connaissait nulle peur. Elle avança les pattes… et s’écrasa en plein milieu de la marée, rugissant de nouveau en sentant armes, armures et os se transformer en bouillies sous ses pattes, refermant la gueule sur le premier groupe de ces choses qui passaient à proximités. Cependant, en relevant la tête, elle balaya le paysage de son immense queue, interdisant l’accès plus avant aux troupes alayiennes. Refermant ses ailes contre son corps pour éviter qu’elles ne soient des cibles trop apparentes, elle se mit en tête d’attirer le maximum d’attention sur elle de la façon la plus simple et la plus efficace. Elle se cabra avec un grondement de typhon et s’abattit de toutes ses forces par terre, envoyant une pointe de douleur incommensurable dans son poitrail qu’elle n’écouta pourtant pas, concentrée qu’elle était sur le tremblement de terre qu’elle tentait de créer.

Observant ce spectacle d’un peu plus loin, le vampire Roëric Alokor ne put que laisser échapper une exclamation mêlant admiration et stupeur lorsque la gargantuesque Skade tomba à bras raccourcis sur l’armée ennemie. Certes, le problème n’était pas réglé, mais la question « comment retarder une force de vingt-cinq mille hommes pour que la princesse de Kylian puisse prendre la fuite » venait de trouver une solution pour le moins radicale. Et qui n’était pas pour déplaire au Maître-Lame.

C’était aussi un soulagement. Kylian était complètement fou, il ne fallait pas l’oublier. Et pour que sa dulcinée soit en sécurité, il aurait probablement défié l’ennemi tout seul. Enfin, en compagnie de Roëric, qui était tout aussi cinglé de le suivre. Ce renfort inespéré et inattendu avait donc quelque chose de libérateur. Mais ce n’était guère le moment de s’appesantir là-dessus. C’était la guerre.

Les deux vampires n’en étaient pas à leur premier combat, et ils avaient déjà tous les deux récupérés des armes. Elles ne valaient pas les leurs -foutus baptistrels- mais elles feraient l’affaire le temps d’une nuit. Maintenant, ils avaient besoin d’un plan. L’objectif, Kylian l’avait fixé, c’était là son rôle, tout comme c’était celui de Roëric que de trouver le moyen d’y parvenir.

Sur le terrain, l’attaque de la dragonne avait bouleversée la donne, et les cavaliers protégeant les flancs étaient dans le chaos le plus total. La faute à des montures paniqués par l’arrivée du prédateur. Mais c’était des chevaux dressés pour la guerre, et le vampire se doutait bien que cela ne durerait qu’un temps. C’était tout le problème, peu importe la manière dont il observait la situation, tôt ou tard, il seraient perdus. Même la Mère dragonne finirait pas tomber sous les milliers d’assauts successifs.

L’avantage du nombre. Le meilleur moyen de remporter une bataille.

Sa réflexion ne dura que le temps d’une petite minute, avant que l’épéiste parvienne à une conclusion, laquelle ne lui plaisait guère. Se tournant vers son maître, les sourcils froncés, il annonça d’une voix agacée :

Il faut tuer les officiers. Unis contre elle, ils finiront par l’avoir, si nous les désorganisons totalement, elle a une chance de tenir suffisamment longtemps.

Suffisamment longtemps pour... quoi ? Roëric n’en savait rien, mais il supposait que l’armée elfique ne tolèrerait pas cette incursion dans les vieux bois. Elle devait déjà se rassembler.

Considérant qu’ils avaient assez attendus, le vampire quitta la sécurité de leur cachette pour s’élancer sur le champ de bataille. Profitant du chaos ambiant, de l’obscurité et de son armure qui le cachait dans les ombres, il traversa la zone où les cavaliers reprenaient le contrôle de leur montures, évitant de justesse et à plusieurs reprises de se faire piétiner. Trouvant finalement ce qu’il cherchait, l’homme qu’il avait repéré plus tôt, il s’invita sur son destrier.

Celui-ci était sans nul doute l’officier supérieur commandant cette partie des cavaliers. Sa posture, son armure, son tatouage et surtout les ordres qu’il criait en attestaient. Sans hésiter, agrippé derrière lui telle une sangsue, il l’égorgea puis le laissa retomber au sol. Il jeta la dite dague avec lui, préférant dégainer l’épée qu’il avait volé un peu plus tôt. Les cavaliers les plus proches se dirigeaient déjà vers lui. De plus quelques flèches lui sifflèrent à l’oreille.

Éclatant d’un rire dur et froid, il esquiva une attaque, en para une autre, puis élança sa monture vers sa prochaine cible, sans même prêter attention aux simples soldats. De temps en temps il en tuait un, histoire d’entretenir le chaos et la peur parmi les rangs des cavaliers.
Quelques minutes plus tard, il tua un nouvel officier, après un duel à cheval des plus appréciables (ils étaient doués) puis repartit aussitôt en chasse.

Si le flanc droit devait déjà avoir repris son ordre de marche, l’aile gauche où se trouvait Roëric restait désorganisée. Pas d’ordre car pas d’officier, cela associé à un cinglé qui se baladait en riant et zigouillant des gradés comme d’autres feraient leurs courses. De tels actes n’étant possibles que parce que la très large majorité de l’armée était très occupée avec une dragonne millénaire en colère.

De la poussière et du sang sur son armure noire, le vampire aux cheveux de glace eut une pensée pour Kylian et Isyndar, se demandant ce qu’ils faisaient. Et si son maître s’en sortait aussi bien de son côté.

Le pire avait été évité. Peut-être. Mais pas sûr. Non, pas sûr du tout en fait. Car si Kylian avait rapidement pu balayer ses premières inquiétudes, à savoir que le tremblement de terre qu'ils avaient ressentis n'avait pas été l'oeuvre d'une Skade en désaccord profond avec le peuple elfique, la réalité n'en demeurait pas moins tout aussi alarmante. Comment cela avait pu se produire, ils n'en savaient rien et n'avaient pas vraiment eu l'occasion de s'en préoccuper mais le fait était que les protections baptistrales dont les chanteurs étaient si fiers n'existaient plus et qu'une armée d'Alayien montait à l'assaut du domaine de la Rhapsodie. Cette dernière semblait d'ailleurs bien décidée à se donner les moyens de marcher non seulement sur les terres des mages de la vérité, mais sur également l'ensemble du Royaume Elfique. Rien que ça. Néanmoins, si le contexte était posé, les explications viendraient plus tard : pour l'instant, l'essentiel était de déterminer comment faire face à la situation, ne serait-ce que pour s'assurer qu'il y aurait bel et bien un ''plus tard'' ce qui à l'heure actuelle ne semblait pas acquis, que du contraire.

Dans l'esprit du renégat, deux priorités absolues se disputaient le sommet de son attention. La première concernait la princesse qu'il se devait de retrouver et mener en lieu sûr au plus vite, quelles qu'en soient les conséquences. La seconde, il pouvait l'apercevoir occulter le ciel aux regards de toute sa majestueuse envergure : Skade, la dragonne plusieurs fois millénaires qui lui avait sauvé la vie et qu'il s'était mis en tête de protéger comme elle l'avait fais pour lui.

Rapides et agiles, les deux vampires s'étaient taillés un chemin vers l'entrée du Tomingorllo à grands coups d'épée dans l'espoir d'y retrouver les délégations ayant pris part aux négociations. Peine perdue cependant, à leur arrivée, les lieux avaient déjà été déserté et il ne restait nulle trace des négociateurs ou de la princesse. L'inquiétude de Kylian avait alors grimpé en flèche mais comme souvent dans ces cas là, le calme froid de son allié et ami était venu tempérer les tourments du jeune renégat : rien ne semblait indiquer que des combats avaient eu lieu à cet endroit, ni cadavre, ni traces de sang ne souillaient le sol ou les murs. Il était plus que probable que les baptistrels aient déjà conduits leurs hôtes en sûreté. Plus que probable... Ce n'était pas encore suffisant à ses yeux mais l'amant transi avait alors bien été obligé de s'en contenter, ce ne serait rendre service à personne que de se laisser aller à la panique et Roëric le lui avait bien fait comprendre.

Autour d'eux, le chaos de la guerre se déchaînait et entraînait avec lui son lot de morts et d'horreurs, mais Kylian restait subjugué par le déferlement de la puissance titanesque de la Mère des Tempêtes, comme hypnotisé devant ces dizaines, ces centaines d'Alayiens qu'elle écrasait, broyait, émiettait littéralement à chacun de ses mouvements. Et plus elle en massacrait, plus il semblait en surgir de toutes parts pour encercler l'énorme écailleuse et expédier vers elle des projectiles de toute sorte. Pour un vampire qui n'avait pour ainsi dire jamais mis les pieds sur un véritable champs de bataille, la vision mélangeait terreur incontrôlée et fascination macabre, tant et si bien qu'il fallut la voix froidement déterminée de Roëric pour le tirer de cette semi-torpeur spectatrice et le ramener à la réalité de l'instant présent. Il cligna plusieurs fois des yeux, comme s'il venait de s'éveiller, avant de secouer la tête et balbutier de vagues acquiescements. Tuer les officiers. Désorganiser les assaillants. Très bien, cela semblait un bon plan pour autant qu'il pouvait en juger. En général, dès lors qu'il était question de croiser le fer, Kylian préférait de loin s'en remettre à l'expertise du Maître-lame.

Le vampire gonfla ses poumons pour se donner du courage avant de s'élancer dans le sillage de l'épéiste. Sans cesser de courir, l'archer raffermit sa prise sur l'arc qu'il était parvenu à récupérer sur le corps d'un rôdeur elfique victime d'une lame alayienne et vérifia son carquois. A intervalles réguliers, il s'immobilisait pour décocher rapidement une ou deux flèches, ici pour tenir à distance un Alayien qui l'approchait d'un peu trop près, là pour faire taire un gradé hurlant des ordres. Autour de lui, les soldats elfiques semblaient se faire de plus en plus nombreux à mesure que l'avant-garde du Beau Peuple se présentait pour prendre part à la bataille.

Profitant de ce que les rangs ennemis s'éclaircirent quelque peu, Kylian s'efforça de diriger sa lente progression vers le meilleur point de repère qui fut : la gigantesque présence draconnique qui ébranlait avec vigueur le sol herbeux de la grande clairière. S'immobilisant de nouveau le temps de rendre la politesse à un archer Alayien qui semblait l'avoir pris pour cible, il suivit du regard la silhouette hilare d'un Roëric cavalant joyeusement au milieu des lames ennemies. Une moue perplexe déforma ses traits l'espace d'un instant, mais déjà l'ennemi revenait réclamer son attention et le jeune renégat ne put que chasser prestement l'épisode de son esprit pour reprendre sa propre avancée. Après tout, si son ami riait autant, c'était vraisemblablement que tout allait bien pour lui, pas vrai ? Pas vrai ?!

Skade était de plus en plus proche désormais, bien qu'il fut difficile d'estimer la distance le séparant d'une créature si imposante, mais plus il approchait d'elle, plus la densité d'Alayiens autour de lui se montrait pesante. Ce n'étaient maintenant plus une ou deux flèches qu'il décochait lorsqu'il s'immobilisait, mais bien quatre à cinq et peu à peu, sa réserve de munitions s'amenuisait.

« SKADE ! »

Il avait hurlé, espérant attirer sur lui l'attention de la dragonne mais il lui était difficile de se faire entendre au milieu du fracas de la bataille. Sans se décourager néanmoins, il répéta son appel, une fois, deux fois, trois fois avant de se rendre compte qu'à force de s'égosiller comme il le faisait, de plus en plus d'Alayiens tournaient leurs visages haineux vers lui. Peu à peu, un cercle d'épées, de boucliers et de lances de verre noir se forma autour de lui et acheva bientôt de se refermer de façon plus que menaçante. Kylian se demanda subitement s'il avait eu une bonne idée en venant à la rencontre du point de toutes les attentions, il s'était laissé porter jusqu'ici par la fièvre des combats mais maintenant que cette subtile ivresse s'amenuisait, la raison réémergeait. Son regard se fit bien plus nerveux encore, et après avoir décoché une nouvelle flèche directement dans la jugulaire d'un fantassin qui s'était dangereusement avancé jusqu'à moins de cinq ou six mètres de lui, il risqua sa dernière carte et concentra sa magie pour lancer un sort de lumière vive. Si Skade ne l'entendait pas, peut-être pourrait-elle au moins le voir et à défaut, l'éblouissement momentané lui permettrait peut-être de se soustraire à cette délicate situation dans laquelle il s'était fourré. Encore.

« C'est du suicide.. »

Perchée dans un arbre, son arc à la main, l'Elfe regardait le spectacle qui se produisait devant elle. Comment avait-elle pu se retrouver au milieu de tout cela ? Un travaille encore une fois bien loin de l'enceinte de la ville, aider un jeune garçon à retrouver ce que lui et sa famille ont perdu sur le chemin. Une chose est sûr, elle ne retrouverait rien; plus maintenant. Les centaines et centaines de pieds avaient retourner le chemin, et mit à sac la forêt. Elle avait entendu par son oreille curieuse, l'arrivée de son peuple comme soutient. Ce joindrait-elle à eux, après les avoirs presque fuit durant des années ? Elle n'en savait rien, et n'avait pas vraiment l'esprit à débattre avec son for intérieur.

Levant les yeux au ciel tout en s'accrochant tant bien que mal à son arbre, une dragonne transperça le ciel. Émerveillée, mais prise par l'émotion de voir un tel massacre, elle sauta à terre. Attendre les renforts de sa race prendrait du temps, une dragonne seul ne pouvait retenir très longtemps une tel armée.

Assez loin des quelques chevaux monté, Rebrylla contourna sans mettre un pied dans la mêlé les hommes du néant. A terre, bien que sa race fasse que sa taille ne soit pas négligeable, elle ne pourrait pas voir tout ce dont elle désirait. Posant une flèche sur son repose-flèche sans en tirer la corde, elle avança d'un pas léger malgré son carquois mal assuré dans son dos et son épée frottant contre ses jambières sans vraiment aucune grande valeur.

A l’affût du moindre bruit, elle laissa ses oreilles comme se détacher de son esprit pour son concentrer sur les bruits extérieur à une bataille. Allongeant la corde, elle prit en méditerranéenne sa flèche; calant la tige entre son index et le majeur, avant de se retourner vers un homme du néant qu'elle ne rata pas.

Elle haïssait le fait d'être mercenaire, et encore plus le fait d'être trop fière pour demander de l'aide. La voilà dans un combat, un combat qu'elle n'aurait jamais cru vivre aussi vite et sans véritable entrainement. Certes elle était douée à l'arc, et à cheval, mais pour ce qui était du maniement d'une épée, elle avait encore beaucoup à faire. Elle avait su échapper depuis quelques heures déjà au Alayiens en se perchant dans un des arbres les plus haut du coin, mais maintenant.. C'était une autre affaire.

La dragonne se donnait corps et âme, mais comment faire plus ? Rebrylla n'avait pas suffisamment de magie en elle pour enchanter chaque flèches. Il ne lui restait plus qu'une chose à faire maintenant qu'un homme de l'armée du Néant l'avait vue, se fondre dans la masse. Regardant le corps planté, elle secoua la tête avant de se lancer dans un arbre. De branche en branche, elle chercha le point le plus stratégique pour sauter au beau milieu de la foule au péril de sa vie. Pour qui ? Pourquoi ? Pour une vie, pour plusieurs vies. Repérant un cavalier qui semblait perdu, elle tira une flèche de son carquois, la posa doucement sur son repose-flèche à nouveau. Fermant un œil, Rebrylla tira sur la corde d'Aegnor de façon à ne laisser aucune chance au cavalier de s'en sortir. La flèche se logea dans la gorge du soldat, tombant de sa monture. Relançant son arc dans son dos, l'Elfe sauta de sa branche, retombant maladroitement sur un soldat. La lame de l'homme sous elle tentait de trouver un chemin à se frayer sur la peau blanche elfique. Retenant aussi bien qu'elle le pouvait la main armée, elle enfonça son genoux dans les cotes du soldat pour lui faire perdre un peu de force.. Ce qui fonctionna sur le moment, puisqu'il l'envoya valser quelques pas plus loin avec ses pieds. Face à terre, Rebrylla attrapa une flèche dans son dos, puisque son épée s'était détachée de sa ceinture. Se redressant sur son flanc, elle lança sa main sur l'arrière du mollet pour y planter sa flèche.

Se remettant debout, elle laissa son pied trouver le chemin du visage du soldat perforé, puis tira une dernière flèche dans sa gorge. Le cheval avait tourner en rond contre toute attente de l'elfe, ce qui le permettrait d'avoir un certain avantage à son tour. Ramassant son épée, elle sauta sur le cheval qui commençait à reprendre son calme, comme si rien n'était arrivé.

Envoyant la monture galopé un peu plus loin, elle fit un peu de ménage en passant avec la lame. La magie aurait bien aider, surtout son arc. Faire perdre la vue durant quelques secondes à ses adversaires pouvait donner un avantage certains au petit monde qu'ils étaient.

Au loin, elle remarqua un vampire sur un cheval tout comme elle. Un sifflement s'échappa de sa gorge avant qu'elle ne l'ignore totalement pour les soldats du Néant.. Bien qu'elle n'aimait personne, elle ne prit pas le temps de se demander ce qu'un vampire faisait ici et riait au éclat parmi ce champs de bataille.

Le soutiens des siens se faisait sentir dans ce brouhaha interminable, ce qui lui tira un sourire aussi béa que celui du vampire qu'elle avait croisée. Le peu d'effort qu'elle avait fait jusqu'à présent l'épuisait déjà de par le manque de magie en elle.. Rebrylla fit faire demi tour à sa monture quand un appel résonna trois ou quatre fois parmi les bruits de fer et de corps transpercer. Elle surprit un autre vampire, mais qui lui, semblait beaucoup moins à l'aise que son compagnon de race.. Les Alayiens encerclaient cet être dont elle se serait bien passée de voir.. Hésitante, elle fit faire du sur place à son cheval en râlant.

C'est pas vrai!

Envoyant ses talons dans les flancs de l'étalon, Rebrylla se fraya un chemin, envoyant son épée à la rencontre de quelques corps qui se trouvaient malencontreusement sur sa route. Elle attira l'attention sur elle, espérant que le vampire pourrait se sortir d'ici.. De l'aide n'était pas de trop, de n'importe quelle race..

Prenant son épée dans son dos, elle concentra tout l'enchantement possible en son arc. Envoyant une flèche en pleins milieu de la foule d’ennemis, un éclair jaillis aveuglant une bonne partie du coin.. Cette lumière ne l'atteignait pas, ce qui lui permit de se diriger vers le vampire planté comme une broche au milieu des ennemis. Arrivant à sa hauteur, Rebrylla perdit l'équilibre de son cheval à bout de force après avoir puisée dans sa magie presque morte. Roulant à terre, elle finit sa course aux pieds du vampire. Le regard flou par le choc, elle entrevu un soldat ennemis arriver sur eux, la vue retrouver pour tous. Maladroitement, elle prit une flèche de son carquois, espérant ne pas se louper pendant son tire. Visant entre les jambes de l'inconnu, elle nicha sa tige pointu en plein visage de l'ennemie avant de retomber au sol.

Comment allait-elle faire ? Elle se retrouvait ici par manque de chance, la magie qui coulait en elle ne valait plus grand chose; quant à la nature qui donnait la force à la race elfique était si abîmée que tous le ressentait, et par dessus tout elle était au milieu de ce qui se faisait un plaisir de tuer les elfes! La seule chose qu'elle avait réussit à tirer de tout cela, était un peu de magie enfuie en elle qui avait été combiné par le même enchantement du vampire. Qui aurait cru qu'une jour elle aiderait cet race ? Certainement pas elle. Elle se méfiait tout de même.. Un revirement de situation venant du vampire était possible.. Bien qu'elle se soit fourré dans la même mouise que lui pour l'aider. Trop de bonté, tue la bonté!

A deux au milieu de l’ennemie, Rebrylla jeta un regard à l'homme, comme un soutient mais aussi de peur..

Astegal Balaeres, Capitaine du Néant

Astegal, son éternel masque d’impassibilité sur le visage, contemplait l’avancée des troupes dont il avait la responsabilité. Assis à l’arrière, sur son cheval, sur une petite éminence d’herbe et de terre, semblable à une colline de taille très modeste, il donnait ses ordres, transmis par un ingénieux système de jeux de lumière, dont les alternances avec des périodes plus ou moins longues où la flamme, à l’intérieur d’un cône tapissé de miroirs, était cachée, signifiaient des ordre simples.

Un Officier de l’Armée Impériale, qu’ils avaient capturé et interrogé bien des semaines auparavant, leur avait dit juste avant de mourir – cet hérétique avait refusé de se convertir – que même le meilleur des plans ne résistait pas au premier contact avec l’ennemi. Jusqu’à présent, les Alayiens n’avaient pas eu à vérifier l’exactitude de ce proverbe. Jusqu’à présent, leurs troupes avaient volé de victoire en victoire, comme il devait forcément en aller en étant soutenu par le plus grand, le plus puissant des Esprits Supérieurs, le seul qui détenait la vérité. Le Néant.

Une ombre immense recouvrit soudain le champ de bataille, comme si une éclipse était en train d’avoir lieu. Astegal et ses Officiers levèrent les yeux, et ce qu’ils virent les emplit de joie : une Dragonne venait se jeter directement entre leurs griffes. Malgré le danger qu’elle représentait de par sa taille, et les dégâts qu’elle venait de causer en plein milieu de leurs lignes, oui… Oui, ils n’auraient pas besoin de la traquer. Une Dragonne de moi, un pilier de la magie détruit, et une décapitation complète des dirigeants ennemis, … Que de nouvelles merveilleuses.

« Lieutenant Nepheris ! Où en est notre artillerie ? »

« Nous sommes prêt à tirer, mon Capitaine »

Astegal porta sa longue-vue à son œil, et évalua la distance. Les projectiles trop courts ou trop longs, ainsi que ceux décalés, tomberaient en plein dans leurs rangs, mais ses hommes seraient heureux de mourir pour la gloire du Néant.

« Lieutenant, que toutes nos armes soient prêtes à tirer sur la Dragonne. Vous avez trois minutes pour assurer la visée. »

Le responsable des catapultes et des balistes le regarda en hésitant.

« Mais… Mon Capitaine, Monsieur… Nous risquons de toucher nos propres hommes… »

« Ne discutez pas, Lieutenant, ou je vous envoie combattre personnellement cette abomination. Tirez à mon ordre, est-ce clair ? Abattre cette Dragonne justifiera ces pertes ! »

L’Officier sembla vouloir dire quelque chose, puis se ravisa, salua, et alla s’occuper de la visée. Pendant ce temps, Astegal reporta son attention sur le champ de bataille. Des bataillons Elfiques faisaient bravement, mais inutilement, face à leurs puissantes légions. Ceux-là n’étaient pas un problème pour le moment ; une charge de cavalerie sous peu suffirait à les achever. En parlant de cavalerie… L’aile de cavaliers sur la gauche était complètement désorganisée. Sa longue-vue lui révélait… Quel était donc ce fol qui combattait sans peur ? Et pourquoi ses troupes n’étaient-elles pas capables d’en venir à bout ? Il ne s’agissait que d’un seul homme !

« Arishat ! Prend immédiatement cinquante hommes, et fonce me tuer ce païen ! Tu reprendras aussi les choses en main là-bas, cela n’est pas tolérable. »

Une femme, de stature assez fine, mais qui respirait la mort, partit à la tête d’une cinquantaine de cavaliers lourdement armés. Que l’autre suicidaire tente de la combattre, maintenant : Arishat comptait parmi les meilleures épéistes de leur armée, et avait à son palmarès de nombreuses victoires tant en mêlée qu’en combat en face-à-face. C’était une tueuse redoutable. Et une amante formidable.

« Que… ? »

Une explosion de lumière eut lieu à proximité de la Dragonne. N’ayant pas le regard fixé à cet endroit-là lorsque cela avait eu lieu, Astegal ne fut pas ébloui, mais cela ne fut pas le cas de nombre de ses hommes, dont ceux qui étaient au contact. C’était le moment ou jamais ; vérifiant que les drapeaux annonçant que les catapultes et les balistes étaient prêtes à tirer étaient levés, Astegal brandit son poing, puis l’abaissa violemment. Aussitôt, de nombreux traits et projectiles zébrèrent le ciel, en direction de la Dragonne. Certains s’écrasèrent effectivement au milieu de leurs lignes, mais la plupart suivaient une trajectoire prometteuse vers leur cible.

« Rechargez ! Et ordonnez aux régiments d’Ilipa et d’Amircon de se presser contre l’écaillée. Aucun homme ne doit revenir vivant tant que cette immonde créature vivra, est-ce clair ? »

Les petits humains tout autour d’elle mourraient comme des fleurs fauchées au printemps, comme les feuilles mortes en automne, pauvres petits rongeurs qui, telle la plus infâme vermine, grouillait autour d’elle jusqu’à l’écœurement. Ils allaient et venaient, bougeaient, tentant de percer l’armure de ses écailles, de l’atteindre de pitoyables flèches qui ricochaient sans qu’elle aient à agir, ses yeux bien trop hauts pour eux. Enragée elle ne cessait d’écraser et de balayer, de broyer et de dévorer les Alayiens qui se massaient tout autour d’elle comme des nuées de moucherons irritants qui la harassaient de leurs aiguilles de verre noir… Plaie ! Elle ne comptait pas se laisser envahir par de si piètres petites choses, bien qu’elle ne soit nullement en forme pour un combat ouvert de ce genre. Se battre ainsi lui pesait, c’était très clair et elle avait du mal à respirer… beaucoup de mal. L’ancienne blessure reçue au poitrail l’élançait et la compressait, diffusant le mal être dans son corps déjà entamé par la perte d’énergie, le trou béant dans la trame du monde qui avait été l’existence de Dracos avant sa défaite contre le Néant. Elle devait puiser avant tout dans sa détermination sans faille pour ne pas vaciller…. Quoi que s’écrouler sur les alayiens alentours seraient peut-être une bonne idée, elle emporterait certainement tous ces régiments avec elle de telle façon. L’idée cependant lui fut très vite ôtée, lorsqu’elle sentit plus qu’elle n’aperçut la présence proche de quelques Armandéens… des vampires et de ces irritants elfes qu’elle n’appréciait pas. Mais ce n’était pas là la question, quoi qu’il se passe, elle ne pouvait leur causer de tord en pareil instant. Un instant où ils étaient, tous autant qu’ils pouvaient l’être, unis les uns aux autres, liés par le couperet menaçant de tomber sur leurs existences. Quoi qu’il se passe, les fanatiques ne devaient absolument pas parvenir à les déborder, ou ils seraient condamnés…

Ne pouvant toutefois accorder d’importance à cela dans l’immédiat. Son attention toute tournée vers les sbires du Néant elle ne manqua pas de constater le désordre qui régnait sur l’un des pans grouillants d’armures noires et friables et elle avança le cou pour achever de les désorganiser… à l’instant où un projectile la percutait sur l’épaule. Grondante et rugissante, elle planta les griffes dans la terre, souffle coupé alors qu’une pluie de ces pierres lui tombait dessus. Maudits engins de siège qu’elle avait oublié… La douleur la déraisonna un peu plus et elle vacilla un instant avant de se jeter en avant, manquant écraser l’un des vampires au passage, se ruant directement vers les balistes et trébuchets qu’elle ne voyait pas mais dont elle avait vu la trajectoire. Relevant le museau, elle l’abattit en un geste circulaire sur la zone qu’elle avait vu, raclant la terre de ses cornes et déracinant les arbres alentours alors que sa queue retombait, nerveuse et irritée, sur un groupe de fantassins. Respirant difficilement, elle cligna des yeux en se redressant et découvrit enfin le détail qu’elle avait failli rayer de la carte… Là, au milieu de la mêlée, se trouvait Kylian. Kylian ! Elle le croyait en sécurité, pourquoi s’était-il donc jeté au cœur des hostilités ainsi ? Impossible de le savoir, et néanmoins, prenant sur elle, elle se tourna difficilement en expédiant un autre paquet de troupiers au Néant, allongeant le cou pour le cueillir du bout d’un piquant en l’élevant loin du danger immédiat des lames qui pourraient lui valoir une mort rapide et atroce…

< Fou de vampire que tu es ! >

Effrayant. Magnifique. Terrible ou merveilleux. Décidément, il ne savait pas quel terme convenait le mieux à la situation. La mère dragonne -une force de la nature, dans tout les sens du terme- chargeait l’ennemi, à savoir les trébuchets et autres engins de guerre qui venaient de la frapper (avec un certain succès, Roëric devait bien l’admettre). Quoiqu’il en soit, l’ennemi était loin d’être idiot. C’était même tout le contraire et le vampire commençait à se dire qu’il n’allait pas tarder à avoir de la visite.

Visiblement, quelqu’un menait et menait bien, cette joyeuse bande de comiques. Il avait dû remarquer le flanc gauche désorganisé et s’il était ne serait-ce que deux fois moins doué que le pensait le Maître-Lame, les contremesures devaient avoir été prises. Pas le temps donc, de s’inquiéter de la petite scène d’amour entre la matriarche de sa liée et son propre maître. Ni même de se poser toutes les questions que cela impliquait.

Étaient-ils liés ? Amis ? Pouvait-on seulement être ami avec une dragonne sauvage et millénaire ? Roëric en doutait fortement, mais s’il y avait bien un cinglé capable de réussir pareil exploit, c’était Kylian. Et de toute manière, cela n’avait aucune espèce d’importance. Pour le moment dû moins. Rester en vie était la priorité numéro une, deux et trois. La quatrième étant de retarder l’ennemi et la cinquième de lui faire suffisamment mal pour que le vampire se sente satisfait.

Son esprit froid et stratège gardait le contrôle, ne relâchant le monstre que pendant quelques brefs instants, le temps de faire couler le sang. Puis il reprenait les rênes et lui indiquait la prochaine cible, le prochain objectif. C’était pour Roëric la manière un peu tordue dont cohabitait sa partie humaine et vampirique. Mais il n’était pas sûr que Kylian soit d’accord avec lui. Le pauvre homme était un tendre romantique au fond de lui.

Sa lame, de bonne facture mais ne valant pas Sophia son épée noire, pénétra la chair pour en ressortir dans un même geste : fluide et impitoyable. Une gerbe de sang suivit le mouvement, éclaboussant son visage et son armure. L’adversaire vaincu tomba de sa monture pour s’écraser en gargouillant sur le sol poussiéreux. Le dit cheval partit au galop avant de prendre une flèche perdue et de s’écrouler à même le flanc. Le vampire enregistrait tous ces détails, mais n’y prêtait déjà plus attention.

Une nouvelle donnée entrait en compte. Une cinquantaine d’après ce qu’il voyait -et en tant que vampire dans une nuit noire (magique ou non peu importe), il voyait très bien, merci pour lui. Ils étaient lourdement armés et vu la directement qu’ils prenaient, bien décidé à régler le problème qu’il posait.

"Dommage qu’ils ne peuvent pas voir les suceurs de sang en peinture. Ils me plaisent de plus en plus ces bougres. Cinquante hommes juste pour moi et armées jusqu’aux dents. Sacrément flatteur."

Maintenant il devait répondre à leurs attentes. C’était une question de fierté. Hors de question de s’enfuir, donc. Mais d’un autre côté, les avantages n’étaient clairement pas avec lui. Que faire ? Que faire ? La magie ? Elle ne valait plus rien, merci les alayiens. Non que le guerrier la portât dans son cœur, mais il fallait bien admettre qu’elle pouvait être pratique.

"Les petits sorts fonctionnent, je crois ? Essayons."

Les deux paumes en avant, mains ouvertes, il pensa à l’effet voulu. Et le brouillard se leva. Pas bien épais et pas vraiment répandu, mais il se propagea cependant tout autour de lui. Tant mieux car la charge ennemie n’était plus très loin. Il sentait déjà le sol trembler. A moins que Skade ne fasse encore des siennes.

Fanatiques jusqu’aux bouts des doigts, ses ennemis ne furent guère impressionnés. Seulement dégoutés. Néanmoins il stoppèrent la charge et pénétrèrent plus prudemment dans le brouillard. Fanatique certes, mais loin d’être stupide. Une charge de cavalerie c’était toujours dévastateur et ç’aurait dommage de charger leurs propres alliés.

Déçu, car il se serait fait une joie de conduire tout ces cavaliers en colère vers les fantassins alayiens, Roëric ne se laissât pas décourager. Il descendit de sa monture, la laissant sur place. Puis il commanda à son armure de le cacher dans les ombres. Invisible ou presque, sa nature reprit ses droits.

Et de guerrier, il redevint chasseur.

Du micro brouillard ne tardèrent pas à s’échapper des cris de douleur ou d’agonie. Ainsi que quelques éclats de rire parfaitement machiavélique. La peur est une arme puissante quoique difficile à instiller chez des fanatiques. Et si un certain désordre envahit la petite troupe, qui ne tarda pas à se séparer par la force des choses, aucun ne prit la fuite.

Ils avaient un travail à faire. Le Maître-Lame respectait cette attitude.

Quelques minutes et deux cadavres plus tard, alors que le vampire commençait à se dire qu’il s’en sortait à merveille compte tenu des circonstances, il tomba sur un officier (il avait récemment appris à les reconnaître du premier coup d’œil). Une femme qui plus est. Et tout à fait son genre : c’est-à-dire une garce impitoyable et sans scrupules.

Ils entamèrent le combat et s’il trouva étonnant qu’elle fusse seule, il ne pouvait refuser un duel à une épéiste, surtout quand elle était aussi douée. Ils dansèrent donc quelques instants, s’amusant de leur échange. Malheureusement si le vampire était tout à son plaisir, le femme, elle, avait surtout une tâche à accomplir. Et sans même s’en rendre compte, il était dorénavant encerclé. Un appât, un piège. Et il était tombé dedans comme un imbécile.

Toutes les mêmes.

Sauf une, se souvint-il.

"Isyndar ? Si tu es là, je pense que c’est le bon moment pour me sauver la non-vie…"

Le cercle se refermait lentement sur les deux duellistes. Ils ne prenaient aucun risque et agissaient avec une discipline et une harmonie qui auraient rendu fou de jalousie les plus grands généraux armandéens. Frustré et admiratif, un paradoxe qui l’agaçait plus encore que la situation elle-même, Roëric était bien décidé à remporter son affrontement avant de mourir, question d’honneur et de fierté. Mal placé ? Allez vous faire voir.

Perçant finalement sa garde, son épée s’enfonça dans une faille de l’armure pour finalement atteindre l'estomac. Dans le même temps elle lâcha son arme et lui saisit l’avant-bras des deux mains. Il était coincé, dû moins le temps qu’elle meure. Les autres étaient tout près à présent et ils avaient dégainés leurs épées. Un cercle d’épines qui s’apprêtait à fondre impitoyablement sur lui…

Roëric n’avait pas l’habitude que la peur prenne le pas sur lui, mais à sa grande honte ce fut le cas cette fois-ci.

"ISYNDAR !!"

« NON ! »

Le cri avait jailli sans qu'il put rien faire pour le retenir. Ç’avait été plus fort que lui, sitôt qu'il avait aperçu une première volée de lourds projectiles fendre les airs en direction des écailles d'orage de la dragonne, il avait senti la peur s'insinuer dans son esprit. Sous le regard impuissant du vampire, d'imposants rochers de plusieurs tonnes s'écrasèrent violemment contre l'armure de la vénérable millénaire tandis que de lourds carreaux aussi épais que des troncs d'arbres brisaient leurs pointes acérées sur les plaques écailleuses de son poitrail. Certaines parvenaient même à se nicher entre deux écailles et s'y retrouvaient bloqués. Si un spectateur non-averti n'aurait vu dans la réaction de la dragonne qu'un déchaînement de rage soutenu par la titanesque puissance qu'elle déployait, Kylian perçut immédiatement que le coup avait porté. En fait, c'était même les seules choses qu'il avait vues : cette muette lueur douloureuse qui avait traversé les prunelles iridescentes de la dragonne, cet imperceptible mouvement chancelant qui l'avait ébranlée, la respiration laborieuse que l'effroyable rugissement qu'elle poussa ensuite ne suffit pas à lui masquer. Autant de détails qui, en dépit des carnages que chacune des attaques de la dragonne provoquait, faisaient naître les plus vives inquiétudes dans l'esprit du rebelle. Skade allait mal. Trop mal que pour supporter encore longtemps pareil traitement et l'idée même de la voir s'écrouler sous ses yeux faisait naître au creux de son estomac une rage aveugle envers les agresseurs, à tel point qu'il était resté totalement indifférent à l'énorme patte griffue qui venait de s'écraser à quelques mètres à peine de l'endroit où il se trouvait, achevant au passage plusieurs dizaines de vies Alayiennes dans un tremblement de terre qui manqua de peu déséquilibrer l'archer renégat.

Les traits figés par la colère, Kylian laissa ses doigts glisser vers son carquois pour encocher une nouvelle flèche sur la corde de son arc, mais alors qu'il cherchait du regard sa prochaine cible, ce fut une archère elfique qui se profila devant lui lorsque la monture qu'elle chevauchait s'effondra pour faire échouer la cavalière juste à ses pieds.

« Mais qu'est-ce que ... ? »

Il n'eut pas le temps d'achever sa question que la nouvelle venue pointait son arc vers ... lui ?! Elle venait de se jeter au coeur d'une foule de guerriers fanatiques avides de détruire toute magie et ne trouvait rien de mieux à faire que de l'attaquer, lui ? Quel genre d'elfe était-elle donc pour s'attaquer stupidement au seul être à l'horizon qui ne désirait pas la tuer ? Trop tard pour réagir, déjà, elle relâchait sa flèche qui fila en sifflant... directement entre les jambes écartées du rebelle vampirique, pour aller terminer sa course dans le visage d'un Alayien qui se jetait vers eux. Lorsqu'il comprit qu'elle venait de lui porter secours et non pas tenter de le tuer, Kylian détourna les yeux le temps de décocher sa propre flèche dans la masse Alayienne puis s'approcha rapidement de la jeune archère pour l'aider à se relever.

« Merci. »

Leurs regards se croisèrent et il ne fut pas difficile pour le vampire de comprendre qu'elle se méfiait de lui. Rien de vraiment surprenant en vérité, il avait depuis longtemps prit l'habitude de voir les inconnus se méfier de lui ou plutôt, de ce qu'il était. Il ne comprenait pas comment ni pourquoi elle était arrivée jusqu'ici, mais alors que les rangs Alayiens se resserraient sur eux, il semblait évident que son acte, s'il ne manquait pas de courage ou peut-être de folie, l'avait surtout amenée à se plonger dans la même galère que lui.

« On les encercle ? »

En temps normal, c'était plutôt à Roëric que revenait le soin d'émettre ce genre de réflexion lors des situations désespérées dans lesquelles l'entraînait souvent celui qu'il appelait son maître, mais le principal intéressé chevauchant sans doute encore quelque part entre ici et ailleurs pour semer la terreur dans les lignes ennemies, Kylian avait lui-même risqué cette pointe d'ironie. Pour rassurer son alliée du moment autant que pour se rassurer lui-même, sans doute.

Fébrile, le vampire se mit à chercher du regard une possible issue à ce traquenard, mais où que ses yeux se posaient, il ne voyait que des boucliers, des lances et des épées de verre noir qui étaient pour lui comme pour sa compagne autant de promesses de mort. Un grondement sourd lui fit cependant lever les yeux et un sourire franc apparut sur ses lèvres lorsqu'il vit le regard de l'immense dragonne posé sur lui. Elle l'avait repéré au milieu de la masse grouillante et dirigeait rapidement sa large tête vers lui. Kylian décocha une nouvelle flèche au hasard vers les Alayiens, puis passa son arc à l'épaule sans quitter des yeux le visage écailleux dont les cornes labouraient les troupes ennemies sur leurs passages et s'approchaient rapidement.

« Accroche toi, on décolle ! »

Sans vraiment prendre le temps de s'assurer qu'elle avait bien compris ce qu'il envisageait de faire, ni même de lui demander son avis, le vampire saisit d'un geste ferme l'avant-bras de l'archère elfique pour l'entraîner à sa suite. Vingt mètres, dix mètres, cinq mètres, et Kylian s'élança pour refermer son bras libre autour de l'un des énormes piquants qui garnissaient les côtés du crâne de la grande dragonne, laquelle se redressait déjà pour emporter dans les airs ses deux passagers clandestins.
Le regard clair du vampire balaya la véritable marée humaine qu'ils survolaient maintenant à plusieurs dizaines de mètres de haut, et il déglutit péniblement en pensant qu'il valait mieux ne pas louper la prochaine manoeuvre. Après une profonde inspiration, le renégat profita de l'élan que lui donnait le mouvement de la Mère des Tempêtes pour amorçer un mouvement de balancier avec le bras qui maintenait l'archère elfique. Lorsqu'il estima le bon moment pour cela, il relâche sa prise pour lancer l'archère en direction de l'épaule massive qui défilait devant eux. L'instant suivant, il lâchait prise à son tour et bondissait vers la montagne écailleuse où il rejoignit la demoiselle blottie entre les écailles aux couleurs d'un ciel de tempête.

< Fou de vampire que tu es ! >

La voix de Skade résonnant dans son esprit fut un véritable réconfort, au même titre que le contact doux et chaud des grandes écailles entre lesquelles il s'accrochait fermement. Il leva les yeux comme s'il s'adressait aux cieux pour lui répondre d'une voix qu'il espérait suffisamment forte pour se faire entendre :

« On me le dit souvent... »

Ses yeux se perdirent ensuite quelques instants dans la contemplation du paysage qui s'offrait à lui : depuis l'épaule de la dragonne, loin au dessus-du sol, il avait une vue imprenable sur le champs de bataille qui prenait alors des allures de véritable fresque épique. Une nouvelle volée de projectiles divers vint percuter les flancs de la vénérable créature d'écailles et Kylian dût attendre que le bruit des impacts se soit apaisé pour reprendre, réprimant un juron à l'égard de ceux qui osaient ainsi s'en prendre à celle qui venait de lui sauver la vie pour la deuxième fois :

« Ils sont vraiment nombreux, tu es sûre que ça va aller ? Seule, tu ne tiendras pas longtemps à ce rythme ! »

Mais que faire pour aider ? Tuer les officiers. Les consignes de Roëric lui revinrent en mémoire, si les Alayiens unissaient leurs efforts, ils terrasseraient la dragonne, mais pour cela, ils avaient besoin de recevoir des ordres clairs et coordonnés, dont l'acheminement suivait obligatoirement une chaîne de commandement. C'était cette chaîne qu'il leur fallait briser pour espérer mettre en déroute les milliers de guerriers avides de sang qui se pressaient devant eux.
Cependant, avant cela, le regard de l'archer vampirique revint se poser sur la silhouette de son invitée pour procéder à un interrogatoire en bonne et due forme :

« Pas trop secouée ? Je sais que l'heure n'est pas aux présentations mais j'ai besoin de savoir : qui es-tu et comment t'es tu retrouvée là ? Tu es de l'armée elfique ? Où sont vos soldats ? Combien sont-ils ? »

Tout à son empressement, Kylian ne remarqua pas de suite qu'il devrait peut-être lui laisser le temps d'en placer une s'il espérait avoir des réponses à ses questions, mais à chaque seconde qui s'écoulait, la montagne d'écailles vibrantes sur l'épaule de laquelle ils se tenaient s'épuisait un peu plus. Un peu trop même.

Un geste fou, et pourtant elle ne regrettait pas. Elle ne savait rien de ce vampire, mais qu'importe; elle s'était lancée. Encore secouée par sa chute, elle se porta la main au front en grognant contre elle même, quand l'homme l'aida à se relever. Un simple merci de sa part, mais qui avait du sens. Peut-être mourraient-ils sous peu, peut être pas, alors un merci valait bien plus cher que tout or à ses yeux.

Se relevant, elle croisa le regard du vampire. Sa crainte contre sa race pouvait se lire sur son visage, mais elle ne le fit pas remarquée plus que ça. Comment ne pas craindre les vampires, ceux qui ne cesse de se battre contre ceux de son espèce ? L'habit ne fait pas le moine, certes, mais un vampire reste un vampire..

Lançant un regard autour des deux proies des Alayins qu'ils étaient, Rebrylla aurait - si la situation lui permettait - prit le temps de demander au vampire s'il n'avait pas reçu un choc. Ils les encerclaient, ça oui, mais les ennemis.

On les encercles.. J'allais te le dire l'ami.

L'armée en face d'eux ne faisait rien de plus que se rapprocher pas à pas, ce qui lui laissait déjà penser à sa fin. Reprenant son arc, elle tira à la suite du Vampire une flèche, un peu perdue sans cible particulière vu le flot qui se présentait à eux. Un nouveau grondement comme elle en avait entendu retentit au dessus de sa tête. Levant les yeux, la vue du dragon la laissa surprise, mais aussi presque heureuse. Oubliant presque le vampire et le bon nombre d'ennemis, elle regarda bouche-bée ce nouveau spectacle.

On décolle ?

Baissant les yeux vers le vampire, elle n'eu le temps que de voir le sol s'éloigner de ses pieds. Temps de réaction trop faible, elle n'avait pas eu le temps de se préparer à cela. Agrippée par l'homme, elle pria pour qu'il ne la lâche pas. La peur s'installa sur son visage quand elle se sentit balancée de gauche à droite; alors qu'elle planta son regard vers lui. Ayant comprit la manœuvre, elle fixa l'endroit le plus approprié pour se rattraper, avant qu'il ne l’envoi balader plus loin sur la dragonne. Arrivant sur l'épaule du reptile, l'elfe pria maintenant pour qu'elle ne l'envoi pas au tapis si elle ne voulait pas d'elle sur son dos.

Se tenant sur le Dragonne, elle regarda en bas.. La vue aérienne était encore pire qu'au sol. Ils arrivaient de partout, et beaucoup perdaient la vie, autant dans les différents camps. Secouant la tête, elle regarda son arc encore en main qu'elle n'avait pas eu le temps de ranger. L'armée elfique était la, mais pour combien de temps ? Comment se rendre utilise tous ensemble ? Chacun allait dans son coin, certains ne savait même pas où ils allaient.. Comme elle!

J'ai connu mieux comme situation on va dire.. Je m'appelle Rebrylla Dessa, j'étais venu par ici pour aider l'un des miens qui avait perdu quelque chose.. J'aurais mieux fait de rester avec mon capitaine à Gloria.

Elle plissa le nez, pensant à Matis qu'elle n'avait pas revu ni même prévenu qu'elle partait aussi loin. Maintenant, elle était directement sur un champ de bataille, sans même avoir apprit quoi que ce soit sur les lames, et même pas profité de la belle villa dont elle disposait grâce à lui.

Je ne suis pas de l'armée Elfique non, mais de l'armée humaine.. Ne cherche pas à comprendre pourquoi une elfe n'est pas avec les siens, tu nous fera gagner du temps. Je ne sais pas combien ils sont dans l'armée elfique, je me pose la même question que toi!

Regardant le paysage défiler, elle regarda ensuite le vampire.

Et toi qui est-tu ? Pourquoi est-ce que tu est ici ? Et où est-ce qu'on va ?

Astegal Balaeres, Capitaine du Néant

Une intense clameur s’éleva des rangs des troupes Alayiennes, et Astegal lui-même se permit un sourire. Tous avaient clairement vu des rocs s’écraser violemment contre la Dragonne géante, pour leur plus grande joie. Quelques dizaines des leurs avaient été écrasés par des tirs mal réglés, mais si cela était le prix à payer pour abattre cette abomination, alors le Capitaine recommencerait encore et encore, sans hésiter. Puisant un regain d’énergie dans la vision de la Dragonne blessée, ses archers et arbalétriers ajustèrent leurs tirs, et son infanterie aux prises avec les troupes Elfiques menaçait de percer complètement leurs lignes.

« Ca se dirige vers nous ! Mon Capitaine ! »

Rugissant à n’en plus pouvoir, l’écaillée se dirigeait effectivement vers eux, avec une vitesse surprenante pour un être de sa taille et de sa masse. Le sol tremblait violemment sous sa course, et son cheval s’affola, menaçant de le désarçonner ; abattant son poing sur la tête de l’animal, qui hennit de douleur, Astegal en reprit le contrôle, mais pour mieux voir une grande partie de son artillerie voler littéralement dans les airs.

« Que personne ne fuit ! Faîtes recharger les catapultes qui nous restent, et continuer les tirs ! Nous l’abattrons à bout portant s’il le faut, mais ce soir, nous prierons le Néant sur les cendres de son cadavre ! »

Certains de ses Officiers, dont le Lieutenant Nepheris, commenoçaient à ressentir de la peur. Astegal le lisait dans leurs yeux. Lorsque le responsable des armes de siège vint lui demander d’annuler ses ordres et d’autoriser un repli de l’artillerie en des lieux plus protégés, le Capitaine du Néant abattit une de ses épées sur lui, envoyant sa tête tranchée rouler sur le sol. Mieux valait que ses hommes aient peur de lui plutôt que d’une bestiole païenne.

« Quiconque voudra quitter son poste se rendra coupable de trahison et d’hérésie ! Faîtes votre devoir envers le Néant, ou vous subirez mon courroux ! »

Non, il ne permettrait pas à ses troupes de le ridiculiser devant le Néant en se conduisant comme ces pleutres de l’Armée Impériale qui n’avaient fait que fuir devant leurs armées, abandonnant villes et campagnes. Portant son attention sur son aile gauche, Astegal vit que ses renforts encerclaient un cavalier solitaire. Ce seul homme était-il responsable de la désorganisation complète de ce régiment de cavalerie ? Quel dommage, dans ce cas, qu’il se fut agi d’un ennemi ; un tel soldat aurait été une recrue extrêmement efficace, pensa-t-il, ignorant qu’il s’agissait d’un Vampire. Il ne vit toutefois pas trace d’Arishat, sans doute avait-elle été tuée. Bah, elle avait fait son devoir, comme n’importe quel soldat du Néant.

« Transmettez l’ordre de capturer cet homme vivant. Je tiens à l’interroger personnellement, nous pourrions l’amener à se convertir à la seule vraie foi. Si toutefois il opposait trop de résistance, l’ordre initial ne changerait pas. »

« Bien, mon Capitaine. »

L’ordonnance partit transmettre ses ordres, tandis qu’Astegal balayait une nouvelle fois le champ de bataille de sa longue-vue, regardant néanmoins avec attention le corps de la Dragonne, cherchant à y découvrir un point faible, une faille dans cette cuirasse d’écailles. C’est alors qu’il vit deux silhouettes à son sommet. Il savait que certains êtres abjects se liaient avec les Dragons, et l’un de ceux-là était sans doute un Dragonnier, ou une Dragonnière, car il lui semblait distinguer une femme. Que voilà une bonne nouvelle : tuer un Dragonnier signifiait à coup sûr la mort du Dragon.

« Concentrez les tirs de toutes nos armes de jet sur les deux personnes montées sur le Dragon ! Abattez-les, ce sont des cibles prioritaires ! »

Plus aucun archer ni arbalétrier, parmi ceux à proximité de la montagne vivante, ne tira dura quelques secondes, puis soudain, un nuage de flèches et de carreaux jaillit vers les cieux, en une lente ascension mortelle, avant de redescendre, tandis que le son sourd des dernières catapultes retentissait dans le fracas de la bataille.

Fou de vampire oui ! Quelle était cette tendance naturelle à chercher les ennuis avec autant de constance ? D’abord les Alayiens, ensuite les elfes et à présent les Alayiens à nouveau et en nombre… Pourtant elle était certaine que son vampire de compagnie était intelligent et qu’il avait de l’instinct, pourquoi donc alors avait-il décidé de venir risquer son existence en un lieu pareil ? Quelle différence pouvait-il faire alors qu’un seul coup d’épée risquait de lui ôter le peu de vie qu’il possédait encore…. Elle ne voulait pas le voir mort, vraiment. Et même à présent qu’il se trouvait en relative sûreté sur ses écailles elle craignait encore de le voir empalé par une flèche ou un de ces bâtons lanceurs qu’ils appelaient des javelots. Mais si elle avait un instant manqué de ferveur au combat c’était finit… hors de question qu’elle laisse un seul de ces misérables approcher de ce qui était à elle et à elle seule. Ah on lui disait souvent ? Voilà qui la rendait bien aise ! ça n’excusait en rien cette attitude suicidaire ! Elle allait finir par le ligoter sur ses écailles et ne le laisserait plus jamais redescendre quitte à devoir trouver elle-même des proies pour qu’il mange…. Tant pis si ça ne lui plaisait pas, après tout personne ne la contredisait. Qui oserait, quand elle faisait plus que la taille de la plus large des tanières humaines ? Personne n’oserait en dehors de ces insectes grouillants là en bas…

Et d’ailleurs, ceux-là se rappelaient à son bon souvenir en lui envoyant d’autres pierres. Alors elle n’avait pas réussi à éliminer toutes les pièces d’artillerie ? Dommage, c’était une erreur à corriger. Vacillant à nouveau sous les impacts, elle cingla l’air de sa queue pour se maintenir stable et ne pas s’effondrer sur la masse alentours. Sa respiration était difficile et elle enferma avec détermination la douleur de son corps vers l’intérieur de son esprit, l’emprisonnant alors qu’elle répondait avec fermeté, bien décidée à ne pas lui donner de raison de faire encore une bêtise monumentale. < Je tiendrais il le faut ! Ce n’est pas ces pitoyables choses qui vont me vaincre ! Je tiendrais le temps qu’il faut… Mon frère d’écaille DOIT être libéré !> Il fallait donner du temps aux dragonniers pour le libérer, que Dracos soit libre et ils auraient gagné, elle les ensevelirait sous ses flammes. Grondant et feulant, elle se redressa de toute sa hauteur. < Accroche toi ça risque de secouer ! > Et elle décolla, faisant vibrer l’air autours d’elle alors qu’elle s’élevait. S’était un geste extrêmement risqué car ses ailes seraient vulnérables face aux arcs et aux flèches, mais elle devait le faire…

Son corps monta de dizaines de mètres alors qu’elle se dirigeait vers l’arrière garde de l’armée, laissant sa queue racler le sol de façon à continuer un tant soit peu le carnage. Puis elle se posa de nouveau, mais cette fois directement dans le cercle d’où semblait venir les ordres et les combattants. Les lieux étaient également proche des balistes, il se pouvait donc qu’elle parvienne à en détruire de nouvelles unités… L’atterrissage fut très lourd et laborieux …. Elle avait les ailes percées de nombreux traits, et d’autres étaient fichés entre ses écailles… Malgré ce qu’elle affirmait, il était très dur de continuer à combattre. Seul la présence discrète de Kylian sur son épaule l’empêchait de se laisser tomber. Avec une lassitude contenue, elle caressa l’esprit du vampire. < On dirait qu’ils te prennent pour mon dragonnier…. C’est étrange non ? Ce n’est plus seulement moi qui le dit à présent. Mais… je dois avouer… > Elle s’interrompit, une roche venant percuter son poitrail sensible, la faisant rugir. Un peu de sang sembla émaner de la plaie, brûlant comme de la lave en fusion… et le cris d’agonis des soldats en dessous lui apporta une joie sauvage. < Si je devais me lier, j’aimerais que tu sois mon élu… >

Personne ne venait. Isyndar était trop loin de lui ou avait visiblement autre chose à faire. C’était problématique, car Roëric n’avait absolument aucune envie de mourir. De la main d’humains qui plus est. Non pas qu’il les méprise, après tout, il appréciait la compagnie de certains d’entre eux. Mais pour un guerrier vampire, plus fort, plus rapide et plus résistant que le meilleur des mortels… c’était vraiment insultant. Certes, ceux-là avaient pour eux un fanatisme et des lames anti-magiques des plus efficaces.

Mais tout de même, ce n’était pas convenable.

Enfin, ce n’était pas non plus comme s’il pouvait y faire quoique ce soit. Il était parfaitement encerclé à présent. Un cercle d’épée d’obsidienne qui ne lui disait rien qui vaille. Alors à moins qu’il n’apprenne à voler dans les dix secondes à venir… ses chances de survie semblaient se réduire comme peau de chagrin.

Lorsqu’ils furent sur lui, il attendit le premier coup et riposta aussi sec, mais tous les autres vinrent à la suite, un déluge qui semblait n’avoir aucune origine précise, puisque précisément, il provenait de tous les côtés à la fois. Une frappe bien placée lui fit lâcher son épée, et il se rendit alors compte qu’il ne s’agissait pas de coups mortels. Ils frappaient avec le côté plat de la lame ou carrément à coup de pied. Une bastonnade en règle, reconnut le vampire d’un œil professionnel.

Il se roula en boule, les bras autour de la tête, une position fœtus qui lui éviterait l’inconscience. Visiblement les ordres avaient changés. On ne voulait plus le tuer, mais bien le capturer vivant. Sinon, pourquoi se donner autant de mal ? Dommage qu’il ne l’ait pas su avant, il aurait pu en profiter pour prendre l’avantage. Lui pouvant tuer et eux non. Trop tard, néanmoins un nouveau plan se dessinait dans l’esprit du Maître-Lame.

S’il ne se trompait pas du tout au tout, on allait le conduire auprès de l’officier responsable de cette armée. Une proie de choix et qu’il n’aurait pas à chercher par lui-même. Merveilleux comme la bêtise humaine pouvait faire des miracles. Plus encore que le Dracos en personne.

Lorsqu’ils eurent finit de le mater - Roëric devait reconnaître qu’ils maitrisaient très bien le sujet, il ne savait pas vraiment s’il aurait la force de faire quoique ce soit une fois à destination et surtout, il n’avait plus d’arme- ils le soulevèrent, le ligotèrent, puis nouèrent une laisse attachée à un destrier. Ceci fait, ils remontèrent en selle et le cheval traîna le vampire. Une position pas franchement confortable et très salissante. D’autant plus lorsqu’ils passèrent au trot.

Visiblement ils connaissaient suffisamment bien les vampires pour savoir jusqu’où ils pouvaient aller sans pour autant le tuer. Un humain lui serait mort ou dans un état si proche que c’en serait revenu au même. Le guerrier-mage essaya d’abord de ne penser à rien, mais cela ne faisait que renforcer la douleur, car il se focalisait sur elle. Alors il essaya une autre tactique. Imaginer sa vengeance.

Tout de suite beaucoup plus jouissif.

Cet adorable trajet en compagnie tout aussi charmante eut bientôt le malheur de s’arrêter, et il fut conduit en présence de l’enfoiré responsable de tout ce foutoir. On le força à s’agenouiller. Mais il refusa tout net. Deux hommes s’approchèrent de lui pour le tabasser à nouveau, mais il avaient commis une grave erreur : sa bouche était libre de toute entrave.

Roëric se jeta sur l’un d’eux tel une bête sauvage et féroce -ce qu’il était sans l’ombre d’un doute-, ses crocs percèrent la carotide du pauvre bougre avant que qui que ce soit ait pu agir. Le sang coula à flot, nourrissant le monstre qu’il était. Cet afflux soudain de force et de vigueur l’aida à se défaire des cordes qui l’enserrait et avec un sourire qui n’exprimait aucune joie, seulement une rage froide et calculatrice, il se redressa pour faire face aux attaquants.

Esquivant les fameuses lames, il arracha une gorge à mains nues, se saisit d’une arme et se lança sur sa cible avant que quiconque ne l’en empêche, visant l’officier dans une charge que d’aucun aurait qualifié de désespéré.

Et elle l’était. Simplement Roëric ne s’en rendait pas compte. Ou s’en moquait éperdument. Ce qui revenait au même finalement.

Une elfe au sein de l'armée humaine... Pourquoi pas, après tout ? C'était toujours plus crédible qu'un vampire ayant choisis de s'opposer à son prince pour prendre la défense de ces mêmes humains, et comme le soulignait fort justement la dénommée Rebrylla, ils n'avaient de toute façon pas vraiment le temps d'entrer dans les détails. Mais si le vampire n'était pas du genre à faire prévaloir le clivage des races, le fait qu'elle soit tout aussi ignorante que lui de la situation de l'armée elfique ne faisait rien pour le rassurer : Skade avait besoin de renforts, et vite, sans quoi elle finirait par ... par ne plus pouvoir continuer à combattre comme elle le faisait, tout simplement. Bref, ils avaient un urgent besoin de voir les elfes venir leur prêter main forte.

« Tu peux m'appeler Kylian, quant au pourquoi de ma présence ici... C'est compliqué alors pour résumer, disons simplement qu'on est du même côté, d'accord ? »

Il allait poursuivre mais une volée de flèches ricochant contre les larges écailles de la dragonne l'interrompit et lui arracha une série de jurons. Ils étaient trop nombreux, tout simplement, et si Kylian profitait maintenant d'une point de vue inégalable sur le champs de bataille pour décocher flèche sur flèche, ses attaques ne semblaient pas avoir le moindre impact, chaque Alayien tombé se trouvant immédiatement remplacé par un autre. L'avantage, c'était que devant une telle abondance de cible, il n'était pas même nécessaire d'essayer de viser, chaque flèche tirée ne pouvait faire autrement que de finir sa course dans l'un de leurs ennemis. Malheureusement, on pouvait aisément calculer qu'il n'y avait pas suffisamment de flèches dans le carquois fixé à sa ceinture.

« On y arrivera pas comme ça... »

Et Skade pouvait bien lui soutenir qu'elle tiendrait quoiqu'il arrive, il le remarquait bien, lui, qu'elle se surpassait déjà au delà des limites du raisonnable. La détresse de l'écailleuse lui crevait les yeux chaque fois qu'il levait les yeux vers elle et il pouvait la sentir gronder et vibrer d'épuisement sous ses pieds, sous ses mains. Lorsque la dragonne se redressa, il eut à peine le temps de se saisir d'une écaille proéminente pour éviter de basculer dans le vide, avant de lancer un regard vers son alliée elfique pour s'assurer qu'elle était parvenue à en faire autant.

Kylian ne comprit pas immédiatement que la dragonne prenait son envol, tant il semblait suicidaire de tenter pareille manoeuvre alors même que quelques dizaines de mètres plus bas, des centaines, peut-être des milliers d'archers et d'arbalétriers n'attendaient que cette occasion. Les espoirs du vampire renégat s'envolèrent cependant bien vite alors que l'immensité écailleuse quittait terre, et comme il le craignait, la quantité de projectiles au mètre cube d'air tripla instantanément. Pour autant qu'il put se souvenir à ce moment là, jamais au cours de ses deux siècles d'existence il ne s'était senti aussi incapable, aussi inutile, aussi misérable qu'à cet instant. Perché sur l'épaule de la dragonne, il ne pouvait qu'assister, impuissant, au spectacle des flèches, javelots, traits et autres carreaux d'arbalète cribler les vulnérables membranes, les transperçant ou les déchirants impitoyablement. Et dire qu'elle l'avait qualifié de fou quelques instants plus tôt.

« Skade ! Arrête, tu as perdu l'esprit ?! »

Il en oubliait de la vouvoyer, en fait, il en oubliait simplement tout ce que pouvait représenter une dragonne de 3000 ans. Tout ce qu'il voyait, c'était une créature absolument magnifique, presque irréelle de majesté et de puissance, agir sans discernement sous ses yeux et cela lui donnait envie de hurler, ou de pleurer, il ne savait pas exactement. Peut-être bien les deux à la fois, tout simplement. Un choc sourd ébranla soudain la dragonne qui regagnait le sol et le vampire resserra instinctivement les mains sur son point d'appui, s'entaillant les chairs sur le tranchant des écailles. Il ne prêta pas la moindre attention au sang qu'il sentait couler entre ses paumes cependant, et il n'eut pas même un regard vers l'archère elfique, son attention se focalisait sur les ailes meurtries qui, enfin, se repliaient laborieusement.

Mâchoires crispées par la rage sanguinaire qu'il éprouvait à l'égard de cette armée de fanatiques vociférant sa haine autour d'eux, le regard perdu dans le vide, il relâcha lentement l'écaille à laquelle il s'était cramponné. Il y eut un instant de flottement, un de ces moments hors du temps où le monde lui-même semble accepter ralentir sa course, lorsque la dragonne approcha son esprit pour lui confier quelques mots. Les Alayiens le prenaient pour un dragonnier ? Si c'était le cas, ils devaient être bien stupides mais quelle importance après tout, ils pouvaient bien croire ce qu'ils voulaient, ces misérables. Il y eut un nouveau choc, un nouveau grognement, de nouveaux cris, mais Kylian ne les entendit pas vraiment.

Si je devais me lier, j'aimerais que tu sois mon élu... Me lier... Mon élu... Les mots se répercutèrent violemment dans le crâne de l'élu en question, comme pour mieux se jouer de sa raison, jusqu'à ce que s'opère finalement le déclic. Cette phrase était l'aveu d'une âme sur le déclin, la dernière confession, le ''je t'aime'' qu'on ne prononce jamais jusqu'à ce qu'il ne soit trop tard, l'ultime déclaration, le mot de la fin. Lorsque cette évidence lui apparut, ses yeux s’écarquillèrent et d'un bond, le vampire se redressa, le buste droit et les poings serrés, pour hurler sa réponse :

« Je te l'interdis, Skade ! Tu m'entends ?! Je te l'interdis ! »

Il devait être écris quelque part que Kylian finirait ses jours sous les griffes ou les crocs d'un dragon : après avoir élevé la voix contre Shaynar quelques mois plus tôt, voila qu'il tutoyait et donnait des ordres à ni plus ni moins que la matriarche du peuple d'écailles. Mais aussi grande, aussi sage, aussi puissante que pouvait l'être la Mère des Tempêtes, il ne se tairait pas. Car quelques jours plus tôt, alors même qu'il venait de la rencontrer, lorsqu'elle lui avait sauvé la vie quelque part au milieu des plaines de l'ouest, il lui avait fais une promesse et Dracos pouvait lui en être témoin, il avait bien l'intention d'honorer sa parole.

« Tu n'as... Tu n'as pas le droit de me dire ça ! Pas maintenant ! Pas de cette façon ! Pas comme si c'était la dernière chose que tu pensais devoir accomplir ! Je t'ai promis que je ne te laisserais pas mourir sans réagir, alors ... Alors ne me fais pas mentir ! »

Une soudaine agitation en contrebas attira brusquement son attention. Dracos, il en aurait presque oublié que la bataille se jouait encore, justement, mais était-il donc impossible d'avoir deux minutes à soi sur ce continent ? Etait-ce vraiment trop demander à cette bande de dégénérés du Néant que de leur ficher la paix juste un instant ?! Fallait-il qu'ils soient demeurés pour ne pas comprendre l'importance de ce moment !
Apparemment, il y avait surtout du grabuge chez les Alayiens, ou du moins, quelque chose qui semblait ne pas se dérouler comme prévu.

« Roëric ! »

Le regard du renégat venait d'identifier cette silhouette familière qui se débattait comme un lion au milieu de ce qui ressemblait vaguement au poste de commandement des Alayiens. Comment donc était-il parvenu à se retrouver là, celui-là ? Et plus important encore, comme allaient-ils le sortir de là ? Skade avait déjà fort à faire pour essayer de se débarrasser des catapultes et autres balistes qui l'arrosaient copieusement et si Roëric n'avait certes pas usurpé son surnom de Maître-Lame, il n'en demeurait pas moins que le rapport de force n'était clairement pas à son avantage cette fois. Instinctivement, la main du vampire effleura son carquois, bien vide maintenant qu'il venait de refermer les doigts sur l'empennage de sa dernière flèche. La corde de son arc se tendit et le renégat ajusta sa visée pour décocher son projectile en direction d'un grand Alayien, bâti comme un taureau et visiblement très intéressé par l'idée de passer au fil de l'épée l'un des trop rares alliés du renégat. A croire qu'ils s'étaient donné le mot pour lui gâcher sa journée.

Sans même prendre le temps de regarder le résultat de son tir, il se retourna vers l'archère elfique qui, si elle ne le prenait pas encore pour un fou elle aussi, ne tarderait certainement pas à revoir son jugement devant le comportement du rebelle. Pourtant, il l'avait bien mise en garde : ne lui avait-il pas dis que sa vie était compliquée ?

« Ce vampire en perdition est un ami à moi, et je n'abandonne jamais un ami... Ou une dragonne. »

Il avait prononcé les trois derniers mots plus fortement, comme pour insister sur le fait qu'ils n'étaient pas vraiment destinés à son interlocutrice elfique, puis, s'aidant de la corde elfique qu'il s'était procurée quelques jours plus tôt, Kylian entreprit de se laisser glisser prudemment le long de la large patte au sommet de laquelle il avait trouvé refuge jusque là. Que ferait-il arrivé en bas ? Il n'en savait fichtrement rien, mais une chose était certaine : il y allait...

Un vampire allié, ce n'était pas tout les jours qu'elle entendait ça, mais elle le garda en mémoire. Perchée sur l'épaule de la dragonne, elle restait dans un silence dès plus total. Elle ne prêtait plus attention à Kylian niché sur l'autre épaule du reptile écailleux, mais simplement à ce qu'il se passait en bas. Elle voyait les siens perdre la vie, parfois s'en sortir de justesse, alors qu'elle.. Elle était en quasi sûreté. Du moins c'est ce qu'elle croyait. Une volée de flèches et toute choses susceptibles de causé des dégâts vola vers eux. Pas très habituée d'être sur le dos d'un tel monstre mais si majestueux qu'ils peuvent être, Rebrylla se rattrapa de justesse quand la dragonne se redressa, ce qui ne manqua pas à l’œil du vampire.

Penchée, pour ne pas dire presque couchée sur les écailles, elle ferma les yeux quand elle vit les quelques flèches venir transpercer les ailes de la dragonne. Malgré ce qu'on pouvait dire sur les dragons; leurs caractères, et principalement le fait que seul leur lié puisse vraiment comprendre, l'elfe sentait la colère faire un bon en elle. La nature faisait partie de son peuple, tout comme les animaux; ils chérissent et prête attention à l'environnement, l'aime et reçoivent en échange leur pouvoir.. Mais quoi de plus beau dans la nature que la grandeur et la majestuosité d'une dragonne ? Bien sûre, elle savait que celle-ci n'en aurait rien à faire d'elle, mais Rebry aimait tout ce que la nature offrait.

Ayant trouvée son équilibre, l'archère tira une flèche de son carquois, puis l'envoya sombrer dans les lignes Alayiennes sans qu'elle sache vraiment où elle terminerait sa course. Elle qui sombrait dans un silence depuis quelques temps déjà fut surprise d'entendre Kylian hurler. Une conversation devait avoir leur avec la dragonne, ce qui ne la concernait pas, et à vrai dire, cela l'arrangeait bien.

Un autre vampire quelques mètres plus bas semait la zizanie autour de lui, mais semblait bien plus féroce que celui qui l'avait embarquée dans une mouise pas possible. Kylian lui fit comprendre qu'il était un ami, mais aussi ses valeurs. Elle ne répondit rien, se terrant encore et toujours dans un silence. L'elfe hausse un sourcil quand il sorti une corde elfique, la faisant se méfier de nouveau de ses intentions..

S'apprêtant à descendre, l'elfe laissa un hurlement s'échapper de ses lèvres. Trop distraite par le fait qu'un vampire puisse avoir une corde elfique, elle ne vit pas venir sur la dragonne mais aussi sur elle par conséquent, une flèche qui glissa en entaillant son omoplate. Serrant une écaille sous sa main, elle tenta de glisser au sol sans faire un plus de mal que la pauvre dragonne pouvait déjà avoir, tout en ne s'aggravant pas le sien.

Kylian ?

Restée cachée derrière une des énorme pattes, l'elfe se sentait perdre de plus en plus de force. Elle ne pouvait compter que sur l'aide du vampire à présent, ce qui n'était vraiment pas le moment. Baissant la tête vers son carquois qu'elle avait par chance bien fournie avant de partir, elle en sera quelques unes dans sa main, et les tendit au vampire avant qu'il ne parte.

Tiens.. Prends les. J'ai besoin de ton aide. J'ai déjà perdue pas mal de force je pourrais pas continuer si tu ne m'aides pas, et je refuse de rester aux mains des Alayiens, plutôt mourir en me battant que de rester à agoniser !

Astegal Balaeres, Capitaine du Néant

[i]Oui, encore quelques tirs bien placés, et cette Dragonne serait à terre, morte. Oui, ils allaient pouvoir faire d’elle une simple colline d’écailles et de viande froide. Le Néant serait particulièrement ravi d’apprendre la mort d’une aussi grande et puissante Dragonne. Il ne lui restait plus autant de pièces d’artillerie qu’il ne l’aurait souhaité, mais c’était suffisant. Ses hommes étaient parmi les meilleurs artilleurs, s’entraînaient jour et nuit lorsqu’ils étaient encore en Alayia, et depuis, rataient rarement leurs tirs.

Cependant, la vigueur dont faisait preuve l’abomination ailée le surprit. Alors qu’elle venait d’essuyer un nouveau tir, elle décolla. Certes, elle ne volait pas très haut, mais elle arrivait encore à bouger ses ailes criblées de traits, à mouvoir sa lourde carcasse. Et elle se dirigeait vers ici, vers le centre de commandement. A côté de lui, certains de ses Officiers commençaient à paniquer, mais Astegal leur hurla de tenir leurs positions, de montrer l’exemple aux hommes. Enfin, la terre trembla de nouveau, non loin d’eux, très violemment ce coup-ci, mais son artillerie venait d’être balayée. Maudit coup du sort. Tant pis, ils l’abattraient à coup de flèches, de carreaux, et de tout ce qui pourrait leur tomber sous la main.

« Allez chercher des harpons ! Et que les hommes la prennent d’assaut comme une forteresse. Des harpons et des cordes, vite ! »

Oui, ce n’était rien d’autre qu’une forteresse, avec ses murailles, et ses moyens de défense – ses griffes, son souffle enflammée, et ses pointes. Astegal désigna un jeune Officier prometteur, qui se hisserait très certainement un jour au rang de Serviteur de leur Esprit, pour mener les troupes à l’escalade. Dans le même temps, il vit avec ravissement que l’on lui amenait le combattant qui avait semé le chaos dans son aile gauche. Parfait, il l’étudierait rapidement, lui parlerait, puis veillerait à l’enfermer pour le convertir plus tard, voire laisser le Général Aldakin opérer ; lui avait le don de trouver les mots propres à faire vibrer les cœurs. Un mouvement dans l’air attira ses yeux, et il vit une flèche se diriger vers lui. Réagissant au quart de tour, Astegal attrapa par le cou son ordonnance, qui venait de revenir, et la mit devant lui, sur la trajectoire de la flèche. Celle-ci une fois enfoncée dans le cœur de son subalterne, le Capitaine jeta le corps sans ménagement au sol.

Il reporta ensuite son regard sur le soldat enchaîné, dont le destin serait tout tracé s’il acceptait de se plier à la vraie religion. Mais l’inconnu ne l’entendait pas de cet oreille, et arracha avec ses dents la moitié du coup d’un de ses soldats. Malédiction, il s’agissait d’un Vampire ? Quel dommage, quel gâchis. Il serait obligé de tuer un guerrier si efficace, si vaillant. Se désintéressant de la bataille, Astegal tira de son fourreau une immense épée de verre noir, dont la lame faisait les trois quarts de la taille d’un homme adulte, mais qui pour lui avait celle d’une épée normale. Descendant de son cheval, il se dirigea vers le combattant en furie. Eclatant de rire, il s’adressa à lui.

« Tu t’es bien battu, pour un être d’une race inférieure à exterminer, Vampire. Mais jamais tu ne pourras me vaincre, je suis un Capitaine du Néant, Astegal Balaeres l’Impitoyable. Vos pitoyables armées n’ont pu vaincre les nôtres, glorieuses. T’imagines-tu alors pouvoir venir à bout de moi, des hommes sous mon commandement ? Tu fais preuve d’énormément d’imprudence, vil dentu. »

Avant d’engager le combat avec le Vampire, Astegal fit signe à ses hommes d’encercler ce pauvre fol. Un combat à la loyal ? Le Capitaine ne savait pas ce que c’était. Pour lui, seul importait la victoire, peu importait les moyens utilisés pour l’obtenir.

Elle était revenue afin de retrouver son petit d’écailles, son Cymbor. Mais il avait été tué. Elle était revenue pour voir les bienfaits apportés au monde par les nouvelles générations dont ils avaient tous fait don, mais le continent vacillait encore, prit dans les rets de la guerre. Se déchirant tels des charognards sur une carcasse abandonnée, les peuples continuaient de se faire la guerre sans ouvrir les yeux, sans apprendre du tumultueux passé qui avait valu le départ de sa race pour de nouvelles terres. Elle avait espéré guider les rares élus vers une plus grande sagesse, mais à présent les Alayiens les occupaient, centre d’attention du continent devant l’assaut de ces forces venues des mers… Aujourd’hui, en cette heure noire, elle n’espérait guère plus qu’offrir sa vie et son existence pour assurer un lendemain aux délégations qui, peut-être, verraient enfin le bout du tunnel. C’était la seule chose qui comptait, protéger ceux qui lui étaient un tant soit peu importants, tenir bon jusqu’à la libération de Dracos… Un ultime don de sa part au monde. Un don qui serait vite oublié, mais au moins aurait-elle la certitude qu’elle ne serait pas morte en vain. Elle n’avait que faire de la reconnaissance des autres, n’en avait jamais eu besoin pour vivre ou pour assurer sa tranquillité… et cela ne commencerait pas aujourd’hui. Mais ces mots-là, qu’elle transmettait alors même que l’énergie, la vie, la quittait lentement au travers du flot brûlant sur son poitrail… ces mots-là étaient une consécration d’un étrange et singulier destin qui l’avait amené par-delà les lignes du temps et des continents, loin de sa terre natale, pour mieux y retrouver une vérité qu’elle n’aurait même jamais entrevue jusque-là. Elle, dragonne sauvage, ancestrale Mère des tempêtes, dernière grande dragonne de l’orage, qui n’avait jamais désiré se lier et n’était pas éclose pour des mains mortels indignes, elle qui avait toujours méprisé et dédaigné les liés, les voyant comme des animaux de compagnies défait de leurs gloires… Elle venait de trouver un être qu’elle savait instinctivement être le bon. Elle était certaine d’elle-même, certaine de son choix, de la véracité et de la sincérité de cette pensée unique… Elle avait un élu en ce monde, un élu avec lequel elle pourrait partager son esprit immémorial et son âme éternelle, si elle le désirait. Un élu qui ne lui ressemblait pas mais qui, en lui, portait les valeurs et les potentiels qu’elle désirait et valorisait. Un être qui de prime abord s’était vu récompensé d’une affection qu’elle ne savait qu’à peine offrir et bien moins à un bipède, et qui pourtant existait… Oui elle savait, avait peut-être su dès leur première rencontre sans s’en rendre compte, en filigrane dans le fond de son esprit, peut-être oui, s’en était-elle informée, alors qu’elle lui ouvrait les portes de ses pensées. Il avait le potentiel en lui, il avait cette flamme, ce quelque chose qui le différenciait des autres… le courage, la franchise… et cette chose oui, qui brillait dans son âme.

En l’instant où l’on s’apprêtait à tout perdre, réduit à l’état de rien, d’âme retournant auprès de l’esprit de la mort, l’on ouvrait enfin les yeux sur les richesses que l’on possédait et le précieux de leurs relations. Au moins ne regretterait-elle pas ces mots, car ils tintaient de la plus grande sincérité. Au moins aurait-elle eut l’occasion de prendre conscience de cela… Peut-être Estelen n’était-elle pas si folle après-tout, peut-être était-elle dans le vrai en décidant de donner une autre chance aux Armandéens… Elle espérait en tout cas que sa fille parviendrait à guider son élue mieux qu’elle n’aurait pu le faire elle-même… qu’elle n’aurait l’occasion de le faire en vérité, puisque l’histoire s’arrêterait très bientôt pour elle. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était emporter les nuées d’Alayiens noirs avec elle, s’assurer que son vampire survivre et continue à combattre… Un dernier cadeau, sans doute pas aussi beau que celui qu’ils auraient tous deux pu partager, mais qu’il honorerait. Du moins l’espérait-elle alors qu’elle s’apprêtait à repartir à l’assaut de ces torrents de combattants fanatiques, bien décidée à les écrabouiller jusqu’au dernier. Et pourtant, la voix de Kylian la retint un instant alors qu’il tournait le cou pour le contempler de ses immenses yeux luminescents. Surprise fut au rendez-vous, à le voir si touché, si fébrile, criant après elle des mots qui avaient si peu de sens. Lui interdire ? Lui interdire quoi ? De périr ? Hélas il n’avait pas le pouvoir de l’en empêcher pas plus qu’elle ne l’avait elle-même… Elle ne se laissait point envahir par la mort mais elle l’acceptait comme elle avait appris à le faire durant toute sa vie, et si son heure était venue, qu’y pouvait-elle vraiment ? Il était inutile de se dissimuler dans un trou de souris, son avenir ne changerait pas pour autant. Mieux valait faire face courageusement et dignement. Et si même elle avait effectivement eut le pouvoir de retarder sa mort ? Pensait-il interdire quoi que ce soit à une créature telle qu’elle ? Elle dragonne matriarche d’Armanda ayant vu les éons innombrables révolus ? De n’importe qui d’autre, elle ne l’aurait pas accepté et aurait avalé l’impudent tout rond, armures et armes comprises. Mais elle ne comptait pas le faire, après tout, elle essayait de le protéger et le dévorer vivant aurait été extrêmement contre-productif de ce point de vu là. Oh certes elle était agacée par son comportement mais également touchée de le voir si préoccupé et tenant tant à ce qu’elle reste en vie… Touchant… mais ils n’avaient pas le temps, dans un moment pareil. Si elle survivait, par miracle, alors ils auraient une petite discussion en privé. Si non ? ça n’aurait pas d’importance.

Elle ne pouvait lui accorder plus d’attention sur l’instant, car les Alayiens semblaient avoir décidés de jouer les suicidaires en grimpant sur ses écailles. Avec un grondement sinistre, elle les laissa faire pendant de longues minutes, s’assurant que ceux qui s’étaient engagés avant de hérisser les écailles, en empalant à loisir sur les arrêtes coupantes et transformant son corps en piège mortel… étaient-ils si désespérés ? Il semblait bien effectivement. La découverte lui offrit un petit regain d’énergie et d’enthousiasme et elle ouvrit grand la gueule, déversant un long jet de flamme sur les troupes en bas….

Ses cinq sens s’étaient comme rétrécis, il n’y avait pas d’autre manière de le dire. Il ne voyait que celui qu’il venait de désigner comme étant son ennemi mortel. Son ouïe s’était focalisée sur ses battements de cœur. Son odorat s’était d’ors et déjà approprié l’effluve caractérisant l’officier : mélange de sueur, d’obsidienne et de poussière. Un goût de fer, si familier, si enivrant, envahissait sa bouche ouverte dans un cri de défi, les crocs en avant. Ses mains s’étaient saisit d’une arme et l’empoignaient d’une façon si intime qu’elle aurait aussi bien pu être son amante.

Le guerrier s’était mué en chasseur, en prédateur, en monstre. Sans aucun scrupule. Sans remord ni regret. La cible était à portée, c’était là tout ce qui importait. Le reste n’avait soudain plus aucune importance. Qui se souciait des conséquences, lorsqu’on était aussi fort, aussi puissant, aussi libre… et finalement, aussi sauvage ? Personne de sensé. Certes, la présence non loin d’un antique dragon rappelait au vampire qu’il n’était pas au sommet de la chaîne alimentaire.

Mais il était toujours au-dessus des humains, merci pour lui.

Que celui-ci lui parle comme s’il était supérieur, plus fort que lui… C’était tout bonnement intolérable. Il était Roëric Alokor, le Maître-Lame et sa fierté n’avait d’égale que ses compétences à l’épée. Une partie plus raisonnée, plus stratège et surtout plus… froide, essayait bien de reprendre le contrôle, de mettre au point un plan. Mais la bête en lui savait bien que parfois, en certaines circonstances, il fallait tout bonnement charger. Attaquer quoiqu’il en coûte et découper l’ennemi jusqu’à qu’il ne bouge plus.

Aux propos de l’officier alayien, le vampire se contenta de rugir. Par défi, par orgueil, parce que rien d’autre ne lui vint à l’esprit.

Les deux lames se rencontrèrent, telles deux sœurs dansant côte à côte. Virevoltant, taillant, pointant… S’embrassant de temps à autre dans un bruit si familier au guerrier vampire qu’il ne put qu’éclater d’un rire réjouit. Dès lors que l’affrontement commençait, il oubliait le reste, ne pensant plus qu’au combat en lui-même. Partageant avec l’autre, rivalisant avec lui-même. Cherchant à vaincre ses limites, à détruire les obstacles qui avaient l’audace de s’opposer à sa course folle vers la perfection.

Perdu dans une bulle où tout le reste n’existait pas, il était tout à son plaisir lorsque la réalité le rattrapa. La dite bulle fut percée par une intervention extérieure, et il n’évita le coup mortel que grâce à ses fabuleux réflexes vampiriques. Agacé plutôt que véritablement énervé, il constata alors qu’ils étaient encerclés. Et que la moindre erreur serait autant d’ouvertures pour ces lâches. Le problème étant que les lames d’obsidienne étaient extrêmement nocives pour lui. Ce serait un jeu des plus ardu.

Fort opportunément, il se sentait joueur en cet instant, plus que d’habitude en tout cas. L’exercice était à sa portée, n’était-il pas le meilleur épéiste du continent après tout ? Quoi ? Qui ça ? Ethan ? Jamais entendu parler…

Ce fut donc en toute mauvaise fois qu’il attaqua Astegal Balaeres. Un formidable guerrier, mais qui malgré tout restait humain. On avait beau s’entraîner comme un fou, au final, lorsque deux experts s’affrontaient, la victoire revenait souvent à celui qui possédait ce petit plus. Une nature plus accommodante, un talent innée, une imagination débordante ou encore une arme de meilleure qualité.

Roëric dansa. Esquivant, parant, se dérobant avec une agilité féline. Opposant ses mouvements libres à la puissance brute de son adversaire. C’était un vétéran qu’il ne fatiguerait pas de sitôt, non son plan était tout autre. Puisqu’il était encerclé, autant en tirer profit. Évitant une nouvelle fois l’immense espadon, celui alla se planter dans l’un des alayiens se trouvant juste derrière le vampire. L’arme le découpa presque en deux, mais se coinça finalement dans la carcasse.

Le temps qu’il se dégage, et celle de Roëric lui avait ouvert la gorge. Le cercle étant brisé, il s’en éloigna, tout en bataillant pour ne pas retomber dans le même chausse-trape. Un nouveau corps s’écroula, puis un autre, mais il était au beau milieu du centre de commandement, et ces foutus fanatiques ne semblaient guère adeptes de la retraite, quand bien même l’officier en charge était tombé au combat.

"Intéressant… combien de temps vais-je tenir ? Hors de question de rejoindre Skade, c’est un vrai champ de bataille là-haut, et celui d’en bas est pire encore, c’est devenu une fournaise. Non, étonnamment, c’est ici que je suis le plus en sécurité. Enfin jusqu’à que je fatigue, fasse une erreur puis agonise dans d’atroces souffrances."

Et mer... credi. Ça devait arriver. C'était arrivé. Parmi la multitude de projectiles dont les Alayiens bombardaient la dragonne, l'une des terribles flèches de verre noir avait finalement trouvé son chemin jusqu'aux chairs de l'archère elfique. Heureusement, la blessure n'avait pas été mortelle et Rebrylla était parvenue à atteindre le sol d'elle-même, ce qui en l'occurrence n'était qu'une bien piètre consolation vu la situation dans laquelle ils se trouvaient. Qui plus est, si le vampire avait entendu les rumeurs qui circulaient sur le mystérieux pouvoir du verre noir, c'était la première fois qu'il avait l'occasion d'en constater les effets de ses propres yeux et ce qu'il voyait n'était pas pour le rassurer. Ce n'était qu'une simple éraflure, une plaie superficielle, et pourtant l'elfe semblait déjà incapable de maintenir une position debout, vidée de ses forces par une blessure qu'elle n'aurait même pas remarqué s'il s'était agis d'une flèche normale.

Si l'on résumait la situation, Kylian se retrouvait donc à devoir composer avec une dragonne ancestrale plusieurs fois millénaire blessée, épuisée et véritablement assiégée par des milliers d'Alayiens qui ne pensaient qu'à lui faire rendre son dernier souffle ; un allié et ami en détresse qui d'une manière ou d'une autre s'était retrouvé à croiser le fer avec la fine fleur du commandement ennemi ; et maintenant, une jeune archère elfique blessée qui semblait ne plus pouvoir tenir sur ses pieds. Sans oublier bien évidemment une princesse perdue quelque part dans un domaine baptistral à feu et à sang. Perdue... Perdue. Mais, il ne pouvait pas la perdre ! Instinctivement, le vampire porta la main à son torse, tâtant à travers le tissu de sa tunique la petite perle de verre qu'il portait constamment autour du cou. Le lien d'amour sans fin, le collier qu'il avait offert à son aimée, aurait dû lui permettre de savoir en tout temps où elle se trouvait. Alors, pourquoi ne le savait-il pas justement ? L'avait-elle enlevé ? Non, certainement pas. A moins qu'elle soit... Stop ! Si un seul mot de plus se formait dans son esprit, il n'y résisterait pas. Il s'effondrerait et abandonnerait, ce qui dans les conditions actuelles n'était vraiment, mais vraiment pas une option souhaitable ou même simplement envisageable.
Il devait absolument se recentrer sur l'instant présent, sur ce qu'il savait et non pas sur ce qu'il craignait. Il devait réfléchir, prioriser en fonction de ce qu'il pouvait raisonnablement accomplir, prendre ses décisions avec sang froid et intelligence, sans perdre de temps. Et surtout sans perdre espoir.

Alors, qu'en était-il ? Premièrement, Skade devait survivre, quel qu'en soit le prix. Sa vie était plus précieuse pour Armanda que celles d'une elfe et de deux vampires. Malheureusement, les quelques flèches que lui tendait l'archère blessée ne permettraient pas au renégat de tenir à distance les quelques milliers d'hommes qui se ruaient sur la montagne d'écailles pour y mourir de fort sale manière. Néanmoins, il fallait de toute urgence pousser les Alayiens à la retraite, d'une manière ou d'une autre. Comment ? Simple, du moins en apparence : Kylian devait rejoindre Roëric et frapper à la racine, en éliminant, avec l'aide de son compère, le commandement adverse. Restait désormais un dernier ''détail'' à régler.
Un nerf tressaillit dans sa joue tandis que sa mâchoire se serrait et que son regard se posait sur la silhouette recroquevillée de Rebrylla. La raison lui commandait de l'abandonner là : elle était trop faible pour l'accompagner et ne ferait que le gêner, compromettant d'autant ses chances de sauver Roëric, donc de sauver Skade. Il fallait l'accepter, aider la jeune elfe, c'était risquer les vies de son ami, de ''sa'' dragonne, ainsi que la sienne au demeurant. Car une vie n'en valait pas trois, et certainement pas quand l'une des trois était celle de la Mère des Tempêtes. Alors... Alors, il devait la laisser derrière lui et prier qu'elle parviendrait à rester suffisamment discrète pour ne pas attirer l'attention d'un Alayien sur elle. C'était ce qu'il devait faire.

Ce ne serait pas ce qu'il ferait pourtant, Dracos le maudisse, il n'en serait pas capable. Plutôt rouler une pelle à Lorenz que de tourner les talons et abandonner quelqu'un à une mort certaine.
Sa décision prise, Kylian s'approcha de la blessée et d'un geste rapide et précis, passa le bras sous l'épaule de la jeune femme pour l'aider à se relever.

« Je ne te laisserais pas mourir. Je ne laisserais personne mourir. »

Il avait insisté sur le personne, levant les yeux vers l'immensité écailleuse qu'escaladaient les Alayiens, avant de tourner le visage vers celui de l'être sylvain pour poursuivre :

« On va devoir avancer vite et j'ai besoin d'une main libre, alors je n'ai pas vraiment d'autre choix. Accroche toi. »

Sans attendre d'y être invité, il se baissa, passa le bras sous les jambes de la demoiselle et la souleva pour la porter sur l'épaule, comme il aurait porté un sac de pommes de terre. Tendant sa main libre vers l'avant, paume ouverte, il invoqua péniblement, avec un demi geste clé, le sort de brume des morts pour s'envelopper d'un sombre brouillard avant de s'élancer dans la mêlée.

Le prédateur en lui prit ensuite la bride : son ouïe, son odorat et même son seul instinct palliant à sa vision affaiblie par la brume qui les dissimulait pour s'avancer au travers des lignes ennemies. Un bruit de pas d'un côté, un son métallique d'un autre, une odeur de sueur à gauche, une ombre furtivement aperçue à droite permirent aux vampires de serpenter au milieu des guerriers ennemis. A plusieurs reprises, une lame, une armure, un corps passèrent bien près de son corps mais chaque mètre parcouru l'éloignait un peu plus de Skade, si bien que peu à peu, les rangs s'éclaircirent et il devint de plus en plus facile d'éviter les mauvaises rencontres.

Au bout d'un moment, le sort de brume s'estompa finalement, à peu près lorsqu'ils arrivèrent au niveau du centre de commandement des Alayiens. Pas un ne leva les yeux vers eux cependant, tous étaient focalisés sur l'épéiste vampire qui se débattait furieusement au milieu d'un amoncellement de cadavres. Kylian reposa lentement son fardeau au sol, l'aidant à s'installer contre la souche d'un arbre brisé. Sans toutefois s'appesantir sur la relative rudesse avec laquelle il l'avait amenée jusqu'ici, il poursuivit :

« Est-ce que ça ira ? Je dois aller aider Roëric, mais je vais revenir. Garde tes flèches, tu pourrais en avoir besoin. Moi, je n'aurais pas de mal à me procurer une épée sur un corps. »

Aussitôt dis, aussitôt fait, le vampire s'éloigna de quelques pas, s'empara d'une lame dont le propriétaire n'avait plus vraiment l'usage et se hâta en direction de son camarade en difficulté.

« Ce n'est qu'une plaie.. Je ne peux pas.. Mourir ? Non pas déjà. Kylian ? Non! Repose moi par terre! Fichue vampire arrêtes, tu es fou. Je ne te laisserais pas faire tu as compris ? Pourquoi m’emmènes tu aussi loin ? Le sol.. I.. Il tourne. KYLIAN! »

Un monologue intérieur que nul ne pouvait entendre. Elle avait beau essayer de le frapper sur le chemin, son corps ne lui obéissait plus. L'elfe connaissait les risques qu'engendrait une blessure par une arme du Néant, ce qu'elle ne pouvait savoir pour le moment, c'était combien de temps elle allait pouvoir rester dans cet état. Sa dernière vision, aussi flou soit-elle, fut le vampire partant à nouveau dans la mêlée. Il n'avait pas comprit ce qu'elle avait dit plus tôt ? Elle refusait de mourir ainsi, plutôt mourir debout qu'à genoux.

Un légume. Voilà ce qu'elle était quand on la voyait assise contre cette souche. Sa tête balançait lentement dans tout les sens, comme si elle lutait pour la tenir droite, alors que ces yeux, eux, ne la laissait plus rien voir. Se servant du seul sens qui lui restait, elle tendit l'oreille tant bien que mal. Rien ne parvint à elle, comme si plus rien de son corps n'était véritablement à elle.

Le sol sous elle glissa. Qui ? Où ? L'heure de la fin avait déjà sonner ? Instinctivement, sa mémoire remonta le fil de ses quatre cent et quelques années. De ces années à apprendre à manier l'arc, à l'affront qu'elle fit à son père, au mal qu'elle endura à échapper aux Alayiens plus d'une fois, jusqu'à son arrivée dans la belle Gloria, mais aussi sa rencontre avec le fameux capitaine Hanz. Et Matis.

Rouvrant les yeux, Rebry se trouva face à.. Un elfe ? Tentant de se redresser, elle regarda ensuite autour d'elle. Le champ de bataille était toujours à proximité, elle voyait encore la dragonne créer ce magnifique désordre dans les troupes ennemis, mais aussi et surtout, elle tentait de voir ce stupide mais bienfaisant vampire de Kylian. D'une oreille distraite, elle entendit le guérisseur lui faire la morale, lui rappeler qu'elle devrait se reposer après avoir été toucher par une arme noir, mais aussi.. Le fait qu'elle puisse perdre toute trace de magie. Têtue, elle se releva - avec du mal certes, mais elle le fit - bien décider à envoyer valser encore deux ou trois Alayiens.

Les idées ne lui était pas clairs; les quelques secondes, aussi courtes furent-elles, l'avait chambouler. Quelques chose en elle avait changer, sans doute cela avait-il réveiller un aspect qu'elle ne se connaissait pas.

Son précieux Aegnor sur le dos, elle regarda l'arbre le plus haut qui lui serait le plus approprié. Vu d'en haut, elle envoya ses flèches, dans la ronde qui entourait le second vampire.. Elle était sur de ne pas se fatigué, et d'assurer un minimum d'aide.. Fierté quand tu nous tiens.

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