Une fois n'était pas coutume, Hyrriena s'était décidée à voler une échoppe. C'était rare, qu'elle le fasse, mais les nobles n'étaient pas les seuls à être riches. Pourquoi les commerçants de haute gamme roulerait-ils sur l'or en paix pendant que les aristocrates se feraient cambrioler ? La voleuse, avec son étrange sens morale, trouvait la chose plutôt injuste que de voir les uns être en paix et les autres s'angoisser pour leur fortune. D'autant plus qu'elle avait fait un certain nombre de riches habitations, et en ville se répandait la rumeur qu'un mystérieux voleur faisait des siennes. La Brume du Crépuscule, comme certains l'appelaient. Les habitants les mieux lotis étaient plus vigilants, plus nerveux en allant se coucher. Le travail à fournir était donc plus intense, la perte de temps plus élevée. De quoi changer de cible.
En silence, Hyrri grimpa silencieusement sur le mur de pierre et se glissa sur le toit de la grande échoppe. Une bijouterie faisait toujours une cible idéale. Voilà pourquoi elle avait prit en tir de tir une boutique d'armes, qui semblait épuiser ses stocks à vitesse accélérée ; les hommes sentaient venir une tempête bien plus grosse que celle qui régnaient déjà. Ces bipèdes au sang chauds étaient donc bien plus sensibles qu'ils n'y paraissaient de prime abord. C'était toujours quand les conflits approchaient, qu'ils avaient lieux ou qu'ils se terminaient que le taux d'agression et de vols augmentait.
La nuit était plus noire que le charbon, et il aurait été difficile de distinguer la fine silhouette pensivement installée sur le toit. On ne cambriolait pas une boutique ainsi. De solides grilles de fer avaient été installées devant les fenêtres, une épaisse porte de bois barrait l'entrée. Pour être discrète, elle ne devait pas faire cela au vu de tous, ni risquer de faire le moindre bruit.
Doucement, presque tendrement, elle passa la main sur une des ardoises constituant le toit sur lequel elle était assise. Un léger sourire éclaira son visage, que seule la lune put voir. Elle avait une idée. Cela risquait de lui prendre plus de temps que ce qu'elle aurait voulu mais tant pis.
Glissant un doigt sous la pierre froide et sèche, elle la souleva délicatement, prenant attention à ne pas la faire racler sur ses sœurs. Dans le calme de la nuit, le moindre bruit s'entendait. Aussi prit elle soin de détacher sa cape avant pour y déposer les ardoises, se ménageant ainsi une petite ouverture. D'un bond, elle se glissa dans le trou, s'accrochant aux poutres qui soutenaient la toiture, et glissa souplement jusqu'au sol. Ses pupilles s'agrandirent, s'adaptant à une presque totale obscurité, avec pour seule source de lumière le peu que la lune acceptait de lui offrir et qui filtrait par les fenêtres et l'ouverture du toit. Ils parcoururent rapidement les lieux, ses souvenirs se superposant au réel.
Elle avait observé le bijoutier un long moment, toute la journée de la veille en fait, habilement dissimulée dans l'arrière boutique. Cela avait été un gros risque de prit, mais il n'y avait eu personne pour avoir la drôle d'idée de la chercher là-bas. Elle était protégée de la lumière du soleil et puisqu'elle devait attendre que la nuit vienne entourer le monde de ses longs bras tendres et amoureux, saluant au passage son amant le soleil, autant qu'elle occupe utilement son temps.
Elle savait donc, en pénétrant dans la boutique de pleine nuit, qu'il cachait le revenu de la caisse dans un heaume tout simple, lui-même subtilement caché au fond des rayonnages. Un voleur banal ne prendrait ainsi pas la peine de s'encombrer d'un tel objet, qui ne coûtait rien face aux lames finement ouvragées et ornées de pierres précieuses qui scintillaient dans les étagères, protégées d'une simple vitre. Hyrriena sourit. Le marchand était malin. La plupart de ses congénères ramenaient le produit de la vente chez eux, pour l'avoir toujours près d'eux. Lui ne faisait que le faire croire. Quant aux soi-disant joyaux ornant les gardes des si beaux poignards, elle s’aperçut avec un froncement de sourcil dédaigneux qu'ils n'étaient pas si précieux que le prix le laissait penser. Ainsi donc, elle était en train de voler un escroc. Enfin une bonne action.
Sans s'attarder davantage, elle se glissa jusqu'au rayonnage où se trouvait le revenu de la vente et tira les pièces d'or. Son or.
Alors qu'elle s'apprêtait à faire demi-tour pour repartir de là où elle était venue, une idée lui vint soudainement et ses yeux pétillèrent de malice. S'approcha des petites lames les plus simples, elle récupéra le poignard qui lui semblait le plus adéquat pour ce qu'elle voulait faire ; une lame fine mais solide. Une fois son trésor trouvé, elle sortit une à une les lames d'apparat et déchaussât les petites pierres, pour les poser soigneusement en vue sur le comptoir. Elle reposa les armes à leur place, sauta et, prenant de nouveau appui sur les poutres, ressortie prudemment à l'air libre. Elle remit sans bruit les ardoises en places, reprit sa cape et l'enfila, s’interrompant au moment de mettre sa capuche pour observer les alentours. De là où elle était, elle voyait une grande partie de la ville. Le palais royal, dont les hautes tours scintillaient doucement à la lumière des étoiles, les longues routes bordées de maisons, les quelques silhouettes de chats qui osaient sortir, petits chasseurs au pelage tendre. La vue était magnifique, l'air était pur et frais. L'avantage d'être vampire, c'était qu'à l'heure où elle sortait, Hyrriena ne croisait personne, ou très peu. L'odeur était moins étouffante aussi. En journée, il flottait toujours l'effluve désagréable des égouts. Oh, ils ne disparaissaient pas de nuit, mais étaient nettement plus supportables, et devenaient imperceptibles du haut des toits.
Ses yeux d'or parcourant lentement les environs, la voleuse se figea en apercevant une silhouette humanoïde, à peu de distance. Homme ou femme, elle n'aurait put dire de quoi il s'agissait. Elle n'avait pas la démarche puissante et souple des vampires ou des elfes, il devait donc s'agir d'un humain. Bandit ? Ou prostituée cherchant désespérément du travail ? La jeune fille se reprit. Les prostituées n'étaient pas nombreuses dans ce quartier, et de toute façon, la plupart d'entre elles préféraient les maisons closes. Hyrri le savait assez pour avoir eu de brefs contacts avec ce genre d'établissement ; ils refusaient rarement d'aider les voleurs en échanges d'une partie de la recette. La voleuse ne leur en voulait pas. Beaucoup n'étaient que de pauvres filles cherchant de quoi vivre, et exploitées par leur « propriétaire », sans même pouvoir s'échapper. Car une fois rentrée dans ces établissements, on n'en ressortait pas.
Collée au toit, arrêtant de respirer pour limiter le bruit –de toute façon, elle n'en avait pas besoin– elle tenta de savoir ce que faisait l'autre. Il lui semblait apercevoir une autre silhouette, mais si c'était le cas, le mystérieux compagnon était bien trop enfoncé dans l'ombre des murs pour que l'observatrice puisse en être sûre. Hum, voilà qui était intéressant. La vampire se serait volontiers rapprochée si cela lui avait été possible, mais elle préférait rester prudente.
Finalement, la curiosité la tenaillant les entrailles comme une pince chauffée au rouge –quoi qu'elle n'avait jamais testé l'arrachage de tripes au fer rouge, et elle n'en avait absolument pas envie– elle se laissa glisser jusqu'au sol et s'approcha à pas de velours.