Il y a très peu de gens qui connaissent mon histoire. En fait, je crois que même Saemon n'en sait rien.  Alors, dites-vous bien que vous êtes privilégiés. Mais chut! Ce doit rester un secret entre vous et moi... Promis?

Par quoi pourrais-je donc commencer... ?  Je ne sais pas trop. Il n'y a rien d'extraordinaire à mon passé.  Bon, voyons voir.  Tout d'abord, je suis née dans un très petit village. À Sin-Clinclin des meumeus, il y avait environ une quinzaine de maisonnées.  Les gens vivaient d'élevage, principalement de bétail, d'agriculture et d'artisanat.  Tout le monde se connaissait et s'entraidait.  Ma famille à moi avait une ferme qui contenait plusieurs animaux: des poules qui pondaient des œufs, des moutons qui donnaient leur laine, des lapins pour leur chair, des porcs pour la viande et un cheval parce que Daniel aimait ces petites bêtes-là. Ma mère était connue de tous, car elle n'était jamais capable de refuser quoi que ce soit et elle aidait tout le monde.  Je me rappelle encore comment son sourire était contagieux.  À chaque jour, les voisins apportaient des tissus chez nous et elle les transformait en de vrais chefs d'œuvre.  Je me rappelle également qu'on allait souvent à la boulangerie du coin, seule boulangerie qu'il y avait en fait, et qu'on s'y procurait du pain qu'on mangeait avec le ragoût du soir.  Lorsque le soleil déclinait à l'horizon, mon père s'emparait de son violon et on chantait tous autour du bon feu où l'on faisait griller des saucisses. Je m'en rappelle comme si c'était hier...

Ma mère, alors âgée de 20 ans, enfanta de moi lors de la première journée d'automne.  J'étais son 2e enfant, mon frère ayant vu le jour quatre ans plus tôt.  Mes parents m'ont toujours dit que j'étais grandement attendue dans leur univers.  Avoir pu, ils auraient eu une myriades d'enfants, mais Camille avait beaucoup de mal à les garder en son ventre.  Je dois vous avouer que je ne me rappelle pas de mes premières années.  D'après Damien, mon grand frère, j'ai été un bébé criarde, fatigante et chialeuse. Mais dans le fond, je suis sûre qu'il m'aimait bien même si on se chamaillait constamment.  Dès mon jeune âge, j'aidai ma mère avec ses tâches quotidiennes.  On n'allait pas à l'école et donc, il fallait nous occuper ailleurs.  Quel était l'utilité d'apprendre à compter ou à lire si on était destiné à une vie simple de paysan?  Bref, c'est au côté de ma mère que j'appris à cuisiner et à coudre.  

Que puis-je raconter d'autres?  Mon père prenait plaisir à me montrer comment on ramassait les oeufs, donnait des grains aux poules et de la moulée à Gaspar, le cheval, et abreuvait animaux.  On passait beaucoup de temps chez les Durochers qui avaient l'équipement pour abattre le bétail proprement. Je me rappelle que  je n'aimais pas Fernand, leur fils aîné. Damien et lui s'amusaient à me taquiner.  Un jour, ils m'avaient même enfermée dans l'ilot à grains. Je n'étais sortie que des heures plus tard lorsque tout le village était à ma recherche.  Mais Damien ne l'avait pas trouvé drôle après!  AhAh!

Lorsque j'atteignis dix ans, ma mère donna naissance à son troisième enfant qu'elle nomma Tristan.  L'accouchement avait été difficile et ça avait donné une petite chose rosacée et pleurnicharde. Je me rappelle encore que l'hiver avait été difficile pour lui et qu'il avait failli y passer.  Mais comme un miracle, il prenait du poids et de la forme.  Son apprentissage était plus lent cependant.  Il commençait à bien parler à l'âge de trois ans et encore là, ce n'était pas toujours compréhensible.  J'avais hérité du nom de "Lory" parce qu'il n'arrivait à prononcer correctement le F de Florence.

Mais plus rien n'est pareil depuis.  Tout cela n'est qu'un sombre souvenir...  Qu'une page d'un livre qu'on tourne.  Pourquoi? Comment? Quoi?

C'était il n'y a pas si longtemps de ça, un peu moins d'un an.   Dans notre paisible village, tandis que le coq chantait au soleil de se lever, je me réveillai au bruit des cris.  Tout bonnement, je sortis me disant qu'il devait s'agir d'un taureau évadé de son enclot.  Mais une vision d'horreur se dessina sous mes yeux.  Une quinzaine d'homme armés abattaient les hommes de Sin-Clinclin comme on abattait les vaches.  Sans aucune raison ni aucune pitié. Les brigands les tuaient tous.  Et personne n'avait aucune chance face à eux.  Je vis mon père appuyé par de nombreux voisins essayer de les repousser, en vain, à l'aide de fourches, de râteaux et de couteaux.  Je me rappelle m'être déplacée jusqu'au corps inerte de ma mère gisant au sol.  Je me rappelle également d'une douleur lancinante à ma main droite et qu'une ombre transperça mon assaillant.  

J'avais tout perdu en un jour... Mon père... ma mère... mes frères... mes voisins... mes amis... Mon village baignait dans une marre de sang.  Je n'avais plus personne.  Je ne sais pas ce qui m'avait passé par la tête, mais je suivis l'ombre pendant un long moment. Je le suivis même dans la forêt. Je crois que c'était la curiosité que m'avait poussée à le suivre ainsi. J'avais si peur...

Et c'est avec le nom de Luna qu'il m'accepta à ses côtés et ainsi Florence disparaitrait à jamais.  Il m'enseigna à lire, à tirer de l'arc, etc. Il devint mon mentor, mon ami et mon grand frère.

Quoi maintenant?

La vie continue...