Aux yeux de Kylian, le palais des Kohan prenait des allures de véritable petite ville à l'intérieur même de Gloria. Mais pourquoi donc avait-il accepté l'offre de Gregorist ? Lui, un vampire, séjourner en plein coeur de l'Empire. Il avait vraiment l'impression de jouer les équilibristes, mais là où l'acrobate se déplaçait sur un fil, le vampire se voyait évoluer sur le tranchant d'une épée. La moindre fausse note, la plus petite erreur d'interprétation ou la moindre indiscrétion, et il se retrouverait au beau milieu d'un piège fatal. Mais la raison qui l'avait poussée à accepter la proposition de l'empereur valait largement tous les risques. Esmelda. En séjournant au palais, il s'assurait de pouvoir prendre de ses nouvelles. Evidemment, il n'avait pas pu poser toutes les questions qu'il aurait souhaité, il ne pouvait pas se permettre d'insister en exigeant d'être informé plusieurs fois par jour de l'état de santé de sa belle. De même, il ne lui était pas vraiment possible de demander à la voir, quel prétexte celui qui se faisait passer pour un espion pourrait-il bien invoquer pour justifier un accès aux appartements de la famille impériale ?

Tout ce qu'il avait pu apprendre jusqu'à présent, il le tenait de Ninna, la jeune guerrière et amie d'Esmelda, l'une des rares humaines à connaître leur secret et le plus précieux atout de leur amour interdit. La princesse avait bien évidemment été fort secouée par son enlèvement, elle ne s'en était d'ailleurs pas tirée indemne et avait eu le bras cassé. Cela, le vampire n'était pas près de l'oublier, le sinistre craquement qu'il avait alors nettement entendu malgré le tumulte du combat résonnait encore lugubrement dans sa mémoire. Heureusement, la blessure n'était pas réellement grave, en ce sens que ses jours n'étaient pas en danger.

Mais en dépit des efforts de la confidente d'Esmelda pour le tenir informé, chaque jour qu'il passait au palais mettait sa patience à rude épreuve, il se montrait de plus en plus nerveux car c'était sans doute bien l'épreuve la plus difficile pour lui : la princesse était là, quelque part, si proche et si lointaine à la fois. Il voulait la voir pour s'assurer que tout allait bien pour elle ; il voulait la toucher, il voulait l'embrasser, lui tenir la main, lui insuffler toute la force de son amour ; il voulait lui parler pour lui dire combien il était désolé de ne pas avoir su la protéger.

Ce soir-là, Kylian se préparait à passer sa quatrième nuit à arpenter de long en large la chambre qui lui avait été temporairement allouée au palais. Combien de temps devrait-il encore jouer cette comédie ? Défaire chaque matin un lit qu'il n'utilisait pas pour donner l'apparence qu'il y dormait, lit qu'un domestique venait inutilement refaire impeccablement chaque jour d'ailleurs. Sans parler des repas. Fort heureusement, il était parvenu à éviter d'être convié à prendre ses repas dans les salles communes, arguant qu'il était plus prudent pour lui de rester aussi discret que possible au vu de sa position d'espion infiltré chez les vampires. Mais il n'empêche qu'on lui faisait quotidiennement porter des plateaux repas dont il devait sans cesse se débarrasser. Assurément, les chats des alentours avaient pris du poids ces derniers jours.

Subitement, le vampire cessa son constant va-et-vient et s'immobilisa, debout au milieu de la pièce plongée dans l'obscurité. Il en avait assez. Le nuit était déjà bien avancée, à l'exception des gardes affectés aux rondes nocturnes, les occupants du palais étaient tous profondément enfouis sous leurs couettes et dormaient du sommeil du juste. C'était l'occasion. Avec milles précautions, le vampire déverrouilla la porte de sa chambre et se glissa dans le couloir. L'obscurité y régnait en maîtresse presque absolue, seules quelques rares torches demeuraient allumées toute la nuit et dispensaient leur lumière blafarde à intervalles réguliers. Sa vision vampirique lui permettait néanmoins d'y voir comme en plein jour, ou plus exactement, mieux qu'en plein jour. La silhouette fantomatique du vampire se faufila silencieusement, de coin d'ombre en coin d'ombre, exaltant l'obscurité alentours pour s'en servir de couverture à mesure qu'il progressait vers l'une des zones les mieux gardées du palais. Le risque était à la hauteur de la récompense qu'il espérait trouver au bout du chemin : il lui était défendu d'assommer le moindre garde évidemment et s'il était pris à essayer de se glisser vers les appartements de la famille impériale... rien de ce qu'il dirait ne pourrait lui éviter de sérieux ennuis.

Heureusement, il se débrouillait plutôt bien dans l'art de ne pas se faire remarquer, et il fallait bien reconnaître que la régularité d'horloge des patrouilles humaines lui permettait de déjouer les rondes avec une facilité déconcertante. Cette lacune dans la sécurité servait pour l'instant ses propres intérêts, mais cela ne manquait pour autant pas de l'inquiéter : si l'archer renégat parvenait à se faufiler entre les gardes, pourquoi d'autres vampires nettement moins bien intentionnés que lui en seraient-ils incapables ? Il devrait en toucher un mot à quelqu'un, l'idée que sa princesse soit si mal protégée au sein même de son propre palais le terrifiait mais encore une fois, il était coincé par son secret. Comment faire mention d'une défaillance dans la garde de nuit alors qu'il était lui-même supposé être tranquillement endormi dans sa chambre. Le vampire réprima un soupir résigné. Cette situation commençait à sérieusement lui user les nerfs.

C'est au détour d'un couloir que Kylian les aperçut. Deux statues de marbre, finement travaillées et représentant des membres disparus de la dynastie Kohan. Ninna lui en avait fait part comme étant le point de repère idéal pour trouver la chambre la princesse : passer devant les statues et compter, la troisième porte à main droite était celle qui menait aux appartements de la jeune femme. Une. Deux. Trois. La main du vampire saisit la poignée et trouva porte close. Évidemment, on ne laissait pas la porte d'une jeune fille, princesse qui plus est, ouverte aux quatre vents. Qu'importe, il en faudrait plus pour arrêter un coeur amoureux. Kylian leva la main devant la serrure, l'ouvrit lentement et la referma brusquement, usant de sa magie pour déverrouiller le mécanisme. La porte s'ouvrit sur un cliquetis métallique, après quoi l'ombre invisible se glissa silencieusement dans la pièce obscure, refermant soigneusement la porte derrière elle.

Elle était là, confortablement installée dans son grand lit à baldaquin orné de luxueuses étoffes, paisiblement endormie. Même l'obscurité ne pouvait altérer sa beauté, la lueur bleutée d'un rayon de lune perçant par la fenêtre de la chambre baignait la pièce d'une douce lumière, presque mystique, qui ne faisait que souligner la délicatesse de ses traits. Kylian s'approcha tandis que ses yeux se posaient sur le bandage et l’attelle qui immobilisait le bras blessé de son aimée. Il se tenait maintenant assis sur le bord du lit, à moins d'un mètre d'elle. A travers le silence de la nuit, il pouvait entendre sa respiration lente et paisible. Tout allait bien. Soulagé, le vampire se laissa aller à afficher un sourire avant de passer délicatement les doigts dans les cheveux de sa belle, repoussant distraitement une mèche de cheveux qui lui retombait sur le visage. Avec douceur, pour ne pas la réveiller, il glissa la main valide de la princesse dans la sienne. Les secondes s'écoulèrent ainsi, puis les minutes et enfin les heures. Kylian ne bougeait pas, figé dans une immobilité parfaite. Esmelda lui inspirait une telle sérénité qu'il ne voulait pas la réveiller. Il attendrait. Pendant ces quelques heures qu'il passa à la contempler, plus rien n'existait autour d'eux. Finies la guerre, la misère, la violence et la mort. Finis aussi les mariages, les luttes de pouvoir, les alliances, les fuites désespérées. Il n'y avait plus ni futur, ni passé, il ne restait plus qu'eux et l'amour qui les unissait.

Peu à peu, la lumière de la lune laissa place aux rayons du jour naissant. Combien de temps lui restait-il avait qu'une dame de compagnie ou un serviteur quelconque ne vienne briser ces quelques instants de bonheur ? Une heure ? Deux, peut-être ? Qu'importe, il attendrait l'ultime seconde avant de s'éclipser et tant pis pour les difficultés qu'il rencontrerait à regagner sa propre chambre en plein jour.
La princesse remua dans son sommeil, la mèche rebelle retomba sur son visage tandis qu'elle ouvrait lentement les yeux, clignant des paupières à plusieurs reprises pour accueillir la lumière du jour nouveau. Le vampire s'approcha un peu plus et plongea ses yeux bleu-acier dans les prunelles de la jeune femme, puis porta délicatement la main de cette dernière jusqu'à ses lèvres, y déposant un baiser, avant de lui murmurer dans un souffle :

Bonjour, princesse.

La princesse se réveilla dans sa chambre. Elle mit un temps à se remémorer les derniers événements qui la menait à être allongée avec autour d'elle de nombreuses voix, des pas précipités, et une douleur lancinante au niveau de son bras. Le puzzle se remettait en place, la soirée avec les émissaires, puis l'arrivée de qui croyait être des elfes, finalement des vampires, l'attaque, la capture, elle en bouclier pour sortir du palais, puis Kyllian. Là le cœur de la princesse se mit à battre. Lui était-il arrivé quelque chose. Cherchant à ouvrir les yeux, elle sentit la main de son frère posée sur la sienne lui murmurant de rester tranquille et de se reposer. Qu'il n'y avait plus rien à craindre, qu'elle était auprès des siens, au palais, en sécurité. Là la princesse se rendormit, la douleur était toujours constante.

Esmelda ne savait pas combien de temps elle avait dormi, mais quand elle se réveilla, il y avait moins de bruit autour d'elle. La maîtresse de sa maison, la sévère Dame Liesse, et son ancienne nourrice, Lyssandre. Les deux femmes étaient assisses sur les fauteuils de la chambre, l'une à lire, l'autre à faire du canevas. Le soleil brillait dehors et se trouvait bien haut dans le ciel bleu azuré. Une belle journée après une nuit aussi sombre. Elle chercha à se relever un peu. De suite Lyssandre se leva vers elle en lui ordonnant de ne pas bouger. La princesse comprit vite à la douleur et à son bras bien attaché en écharpe le long de son corps qu'en effet, elle n'ira pas bien loin comme ça. Elle retomba lourdement contre ses oreillers. Un peu résignée. La maîtresse de maison lui expliqua son état. Elle n'en avait pas vraiment besoin, elle le savait bien. Le bras en écharpe, le souvenir du bruit de celui-ci dans la main du vampire.
Maître Faudar était venu la soigner. Esmelda pouvait au moins être sûre d'une chose, c'est qu'elle irait vite mieux et n'aurait aucune séquelle. Le Maître mage n'était pas un novice en soin, même les plus complexes. Un bras cassé, même celui de la princesse devait être une broutille.

Esmelda avait appris par la suite ce qui s'était passé. L'intervention de Kyllian, puis de l'armée et de son frère, qui avait pris le temps de venir la voir dès qu'il le pouvait. Il s'en voulait presque de l'avoir laissé seul au palais. Que par la suite, l'armée avait trouvé, attrapé et exécuté quatre vampires, mais pas ceux qui s'étaient introduits au palais. Esmelda s'en inquiétait. De par qui ils étaient mais aussi, car s'ils avaient fait une fois, pourquoi pas une deuxième.
Ninna lui avait aussi apporter de nombreuses nouvelles de son amour, résident du palais, sur ordre de l'empereur lui même. Après tout il avait sauvé la princesse. Il n'avait rien eut, par miracle presque. Le Dracos devait veiller sur lui. La princesse n'avait qu'une envie quitter sa chambre pour le retrouver. Mais elle était consignée au lit. Et cela même après plusieurs jours de convalescence. La poisse.

Heureusement que son amie faisait le messager, encore une fois. La jeune Ninna avait moins à faire pour le coup ni à chercher le vampire par monts et vents.

Quoiqu'il en soit, on lui avait promis de sortir le lendemain. Enfin. Restée aliter quand on ne pense qu'à bouger, cela relève de l'exploit de ne pas avoir envoyer balader tout le monde avant.
C'est donc sereine et heureuse que la princesse s'endormit cette nuit là. Elle ne se douta à aucun moment que son amant de vampire passa une partie de la nuit à la regarder dormir, main dans la main. Heureusement, elle n'aurait pas dormi. Par gêne qu'on la regarde, qu'il la regarde. Son repos était parsemé de rêves doux, loin des cauchemars des nuits précédentes. Paisible, loin des tracas de ces derniers jours.

Le petit jour commençait à se faire ressentir sur son visage. La chaleur douce du soleil était le plus doux et beau des réveils. Les yeux cherchant à revenir à la réalité qui l'entoure, Esmelda sentit d'un coup une présence, sa main se faisant lever et une voix qui lui parlait. La princesse se redressa d'un coup, se cognant violemment la tête contre celle de..

« -Kyllian ? » Vous ? Ici ! » dit-elle en se massant le haut de sa tête douloureuse.
« -J'espère...je ne vous ai pas fait mal ? »

Elle se redressa plus en douceur, remontant un peu ses couvertures sur elle. Après tout la princesse n'était pas en état de recevoir et que son amour la voit en tenue de nuit...

"-Que faites-vous ici? C'est risqué, si on vous avait vu?"

La princesse s'empressa de lui prendre la main, pour réellement prendre conscience de sa présence, qu'il n'avait rien, qu'il n'était pas un rêve.

Alors celle-la, il ne l'avait pas vue venir. Certes, le vampire s'était attendu à ce que la princesse soit surprise de s'éveiller en présence de quelqu'un, et à fortiori si ce quelqu'un s'avérait être son amant, mais il avait sous-estimé à quel point : en dépit de ses réflexes, il ne put esquiver la tête qui se lança subitement à la rencontre de la sienne et le front de la jeune femme le percuta de plein fouet. Sous l'impact, Kylian se recula, portant la main à son visage pour se masser vigoureusement le nez, plus par réflexe que parce qu'il souffrait véritablement en vérité. Il secoua brièvement la tête pour reprendre ses esprits.

Tout va bien, tout au plus un peu surpris de me voir accueilli de la sorte mais j'en ai vu d'autres et ce serait plutôt à moi de m'inquiéter de votre état.

Esmelda était visiblement aussi surprise que lui et peut-être même un peu gênée par son intrusion dans sa chambre, dans son intimité. En y réfléchissant, il pouvait aisément comprendre les sentiments qui animaient la princesse, la démarche de renégat manquait de délicatesse et de pudeur, mais il n'aurait pas supporté de passer un jour supplémentaire sans poser les yeux sur le visage de sa belle, sans s'assurer par lui-même qu'elle allait bien. Oui, Ninna l'avait tenu informé du mieux qu'elle avait pu et Kylian accordait toute sa confiance à la jeune guerrière qui avait déjà tant fait pour le couple, mais s'entendre dire que l'être aimé allait bien ne pourrait jamais être comparable au fait de s'en rendre compte par soi-même. Et si Kylian était passé maître dans l'art de dominer le monstre sanguinaire qui sommeillait en lui, cette horrible malédiction qui coulait dans ses veines, il n'était pas encore parvenu à maîtriser son propre coeur. Quand bien même celui-ci ne battait plus physiquement dans sa poitrine, le vampire se refusait à le considérer comme mort. Car son coeur battait toujours, dans son esprit et comme n'importe quel coeur, il s'emballait lorsqu'il craignait pour celle qui le faisait battre. Ces battements étaient la preuve que quelque part en lui sommeillait encore son humanité et qu'un jour peut-être, avec l'aide du Dracos, il trouverait le moyen de la raviver.

La princesse lui prit la main, inquiète. Kylian adorait sentir le contact de la peau de la jeune femme sur la sienne et la chaleur de la vie qui l'animait. Le vampire caressa le revers de la main de la demoiselle avec son pouce, faisant jouer ses doigts entre les siens, avant de se plonger dans les yeux de sa bien-aimée.

Pardonnez mon intrusion, mais je ne pouvais plus me résoudre à tourner en rond et me satisfaire des nouvelles que me donnaient Ninna. Qu'importe les risques, il fallait que je vienne vous voir et que je m'assure que tout allait bien pour vous.

Le vampire leva la main et repoussa à nouveau une mèche de cheveux qui s'entêtait à retomber devant le visage de la princesse. C'était la première fois qu'il la voyait au réveil, c'est à dire avant que ses dames de compagnies ne se soient chargées de la coiffer, l'habiller et la parer de tous les artifices censés faire comprendre au commun des mortels qu'Esmelda était une princesse de l'empire Kohan. Pourtant, le vampire en avait désormais la preuve, sa beauté au naturel n'avait besoin de nul artifice pour la faire resplendir.

Et puis, je tenais à m'excuser auprès de vous avant de quitter le palais. Ce qui vous est arrivé est de ma faute, c'est moi qui vous ai donné ce rendez-vous mais j'ignorais que cela vous jetterait dans les griffes de ces monstres. Je n'ai pas su vous protéger... Je... Je ...

Il se tut, baissant le regard vers leurs mains enlacées en ajoutant dans un souffle :

Je suis désolé.

Il était inutile de se perdre en excuses, ils n'en avaient pas le temps. Comme à chaque fois, la course du temps jouait contre eux et le vampire devrait s'éclipser contre son gré avant l'arrivée des dames de compagnie et ces trois mots suffisaient amplement à expliquer l'état d'esprit dans lequel il se trouvait et la culpabilité qui le rongeait.
Finalement, il redressa la tête, ses yeux se posèrent un instant sur l’attelle qui maintenait encore l'autre bras de la princesse immobile avant de revenir sur son visage.

Comment va votre bras ? Vous semblez aller bien mais je ne serais vraiment rassuré que lorsque je l'entendrais de votre bouche.

Esmelda s'en voulait d'avoir accueillit son cher et tendre de cette façon. Se mordant l'intérieur de la lèvre, elle lui fit une petite moue d'excuse, passant une main tendre sur l'endroit ou quelques minutes plus tôt son front cogna comme il fallut le vampire. Heureusement que celui-ci avait la peau bien solide et que la princesse en avait vu bien d'autres ces derniers temps. Mais celui-ci ne semblait pas s'offusquer de l'accueil brutal de la princesse, une chance.

« - Je vais mieux, vous êtes là. Et ne vous inquiétez pas, si je n'étais pas surveillée de la sorte à chaque instant, et que mon bras endoloris ne nécessitait pas de rester tranquille, j'aurai fait la même chose. Malgré les nouvelles régulière de ma chère Ninna. Vous savoir ici sans pouvoir vous voie était une torture sans nom. »

La princesse posa sa tête contre la main qui relevait encore sa mèche récalcitrante. Cherchant la chaleur inexistante de sa main.

« - Mais par le Dracos, ne vous excusez pas. Vous n'êtes en rien coupable. Ce n'est pas votre faute. Seuls ces vampires en sont responsables. Je ne veux pas que vous vous accusiez d'une faute qui n'est pas votre. Cela devait arriver un jour. Que cet être abject arrive à ses fins en venant voler ici et semer peine et désastre. »

La princesse se redressa pour quitter la douceur de sa main et venir se blottir contre lui. Trop longtemps séparé de sa douceur et de la protection de ses bras.

« - Mais rassurez-vous. Les protections du palais ont été revues à la hausse. Vous pouvez en être sûr, entre la peur de mon frère de me perdre et celle qu'à notre Maître mage de revoir ces créatures venir saccagées sa tranquillité. »

Lover dans ses bras, la princesse esquissa un sourire qu'il ne verrait pas. Elle s'accrocha à lui, comme par peur qu'il parte à l'instant.

« - Puis vous êtes là, j'ai été si inquiète que dans votre folie de me protéger vous perdiez votre vie. Je ne me le serai jamais pardonnée. Votre vie est précieuse. Vos mots, votre volonté de montrer la paix possible entre les peuples est d'une importance capitale. Au delà de nous. »

Elle se redressa, le regard déterminé et se redressa un peu, passa sa main sur sa joue et se pencha pour poser délicatement ses lèvres sur celles plus fraîches du vampire. Il était sa force, elle reprenait contenance, malgré son bras cloué le long de son corps. Il pouvait lui faire mal, la princesse s'en moquait. Tout comme, le fait que son cher et tendre se trouve près d'elle dans ses appartements. Il y avait là un beau scandale à voir. Qu'importe. Après cet épisode traumatisant, il n'y avait qu'auprès de lui que la princesse pouvait reprendre force.

Un sourire amer se dessina sur les lèvres du vampire lorsque la princesse lui demanda de ne pas s'excuser. Elle avait bien failli perdre la vie ou pire encore, parce qu'il n'avait pas été capable de la protéger, mais elle ne lui en tenait pas rigueur. Après une telle expérience, n'importe quelle autre femme l'aurait probablement rejeté, mais pas Esmelda. Elle ne manquait pas de courage, c'était chez elle une qualité que Kylian appréciait autant qu'il la craignait car il était bien placé pour savoir que la frontière entre courage et folie est ténue. Après tout, ce n'était pas le courage qui avait guidé ses pas quelques jours plus tôt, mais bien la folie : s'il n'avait aperçu la silhouette de la princesse captive des vampires, jamais il ne les aurait attaqué comme il l'avait fait. Et Dracos seul savait ce qui serait advenu de la princesse si le destin n'avait pas mis Gregorist sur leur route. Alors oui, Kylian se sentait coupable. Coupable de ne pas avoir pu protéger la princesse comme il l'aurait du. Coupable aussi de faire peser sur elle des risques insensés en acceptant son amour. Et cette blessure ne guérirait pas si facilement qu'une blessure de chair.

« Cela devait arriver un jour. »

Oui, cela devait arriver. C'était arrivé. Et malheureusement, cela arriverait encore. L'amant vampirique avait beaucoup réfléchi à tout cela ces derniers jours et une question ne cessait de hanter son esprit : dans le propre intérêt de la princesse, n'était-il pas plus raisonnable qu'il quitta le palais pour ne jamais plus revoir l'humaine qui se tenait à présent contre lui ? Même si l'on occultait les risques liés à Lorenz et ses sbires, il fallait compter avec le fait que dans l'empire humain, leur amour était interdit. En conséquence, Esmelda était contrainte de vivre dans un mensonge perpétuel. Mais qu'adviendrait-il si leur secret était découvert ? Jusqu'à présent, ils étaient parvenus à dissimuler leur relation au regard du monde, mais il ne pourrait pas éternellement en être ainsi. Cela faisait partie de ces choses qui devaient fatalement se produire, ils ne pouvaient pas espérer tromper indéfiniment tout un peuple. Et lorsque ce jour viendrait, quelles seraient les conséquences ? Le vampire renégat ne se faisait aucune illusion, Esmelda perdrait tout ce qu'elle avait : sa famille la renierait, son peuple la détesterait, elle serait probablement enfermée au fin fond d'un cachot putride, peut-être même serait-elle exécutée sur la place publique.

Valait-il vraiment les risques qu'il imposait à la jeune femme ? Il lui arrivait d'en douter et ces sombres pensées le torturaient alors des heures durant. La nuit précédente, il avait même failli succomber à la tentation d'abandonner son aimée mais une force irrésistible l'en avait empêché et aujourd'hui, il se tenait auprès d'elle, dans sa chambre. L'amour qui les enchaînait l'un à l'autre avait été le plus fort.

Toujours étendue sous ses couvertures, la princesse se redressa soudain pour s'approcher davantage. Kylian passa le bras autour de la jeune femme et la serra contre lui avec la douceur d'une mère qui étreint son enfant. Il huma son délicat parfum, se laissant bercer par les battements de son coeur et la chaleur de son corps tandis qu'elle posait la tête sur son épaule.
Lorsqu'elle évoqua le renforcement de la garde du palais, le vampire ne put s'empêcher de laisser échapper un petit rire, mi-amusé, mi-inquiet.

Pourtant, en dépit de ces protections, un monstre sanguinaire se trouve en ce moment même dans les appartements privés de la princesse et tient au creux de ses bras le plus précieux joyau de l'Empire. Croyez vous vraiment qu'il soit raisonnable de leurs faire confiance ?

Il sentit les doigts de la jeune femme s'agripper à ses vêtements et entendit le rythme de son coeur s'emballer. Elle avait peur, mais pas des faiblesses de sa garde. Elle avait peur pour lui.
Les mots de la princesse s'insinuèrent dans son esprit alors qu'il revivait le souvenir de sa propre résignation. Car si elle le pensait capable de faire passer ses idéaux avant son amour, elle le surestimait. Depuis le premier soir, depuis le premier regard, elle avait donné un sens à sa lutte et avait incarné ses idéaux. Désormais, quand il se sentait terrassé par le poids de sa propre rébellion, c'est à elle qu'il pensait pour reprendre espoir. Toute sa volonté, toutes ses ambitions, il les puisait dans l'amour qu'il éprouvait pour elle.

Ils échangèrent un tendre baiser. Au bout de quelques instants de ce bonheur simple et silencieux, leurs lèvres se séparèrent à regret et le regard bleuté du vampire accrocha celui de la jeune femme tandis qu'il lui murmurait doucement sa réponse :

Mon amour. Vous me prêtez une force qui n'est pas la mienne, jamais je ne pourrais me résoudre à sacrifier votre vie sur l'autel de notre lutte. Ce combat n'est pas le mien, c'est celui de notre union et je serais bien incapable de le mener si je devais vous perdre. Ma vie ne saurait être plus précieuse que la vôtre, pour la bonne et simple raison que je suis déjà mort il y a bien longtemps.

Avec délicatesse, Kylian écarta d'une main l'échancrure de sa tunique, tandis que de l'autre, il guidait la main valide de sa bien-aimée pour la glisser entre ses vêtements et la poser sur la peau mise à nu de son torse, au niveau de son coeur inerte.

Constatez comme ma peau ma froide et sans vie, aucun coeur ne bat plus dans cette poitrine. Mon corps ne doit son existence qu'au terrible maléfice qui l'anime, au sang souillé par le venin vampirique qui circule dans mes veines.

D'un geste lent et doux, le vampire éloigna la main d'Esmelda de son torse et la dirigea cette fois vers la poitrine de la jeune femme pour finalement la poser sur son coeur à elle et lui faire ressentir les impulsions régulières de ses propres battements cardiaques.

Voila ce qu'est la vie. Mon coeur vous appartient, Esmelda. Aussi longtemps que battra le vôtre, j'existerais. Nos idéaux existeront. Rien ne pourrait avoir plus d'importance à mes yeux que vous, je vous ai fait don de mon âme depuis notre première rencontre, votre existence conditionne la mienne. Et si je devais sacrifier mon immortalité pour sauver votre vie, je ne veux pas que vous éprouviez le moindre remord. Vous êtes forte, ma douce, plus forte que je ne le serais jamais alors faites moi cette promesse. Dites moi que vous ne gâcherez pas votre vie à cause de moi.

La princesse sentit son cœur fondre. Pour bien des raisons. Déjà les mots de son cher et tendre. Rien de plus beau à entendre aux oreilles de la jeune femme. Et même si elle en connaissait les formes, ce doux chants à ses oreilles lui redonnait force et espoir. Même quand le vampire doutait, qu'il parlait de chose dans la négative et se voyait comme un monstre. Car il exposait là ses faiblesses et ses doutes. Une confession qui à chaque fois renouait encore plus fort les liens déjà tenaces. Esmelda y voyait aussi la preuve que leur désir commun de vivre dans l'harmonie des peuples n'était pas qu'illusion. Si Kyllian réfléchissait en ces termes, pourquoi pas d'autres ? Comme son ami le dragonnier. Tous ne pouvaient suivre la folie sanguinaire de leur prince. Si un l'avait fait pourquoi pas d'autres. L'allégeance des vampires étaient bien plus complexe que celle des humains.
Le trouble vint aussi du fait que sa fraîche main était posée sur la peau encore plus froide du vampire. Un autre degré d'intimité qui se franchissait en ce jour.


« -Vous n'êtes pas un monstre sanguinaire Kyllian. Pas à mes yeux. Et ma confiance, vous, vous l'avez, quand au reste du château, je me moque bien de ce qu'ils peuvent penser. Leur ignorance sera leur perte. Et je ne vous considère pas comme vous vous décrivez. Vampire ou humain, après tout qu'est-ce à part des noms que l'on nous donne ? Il y a au sein de mon royaume des hommes qui ont fait bien plus de mal, de choses horribles et innommables que vous n'en ferez jamais. Personne n'est exempte de mauvaises actions. Aucunes races. Vous faites des choses bonnes Kyllian, vous lutter contre vos démons, vous chercher à comprendre, et surtout vous rêvez de vivre en paix. Il y a un univers et une bien grande différence entre vous et ceux qu'on dit être vos semblables. »

Le jeune homme n'aurait jamais que se soit auprès de la princesse ou tout autre forme de vie chercher à nuire, à faire mal, à détruire comme l'avait cherché à faire les quatre voleurs vampiriques. Et avant eux, d'autres avaient tenté, humains, ou vampires.

« - Et cette force, vous l'avez. Seulement vous vous refusez encore à la voir. La tâche est si vaste, qu'elle peut paraître bien faible et enfouit. Puis il en faut pour venir en catimini rencontré la princesse au beau milieu de son palais. Il en faut aussi pour avoir osé dire non à votre Prince. Je ne vous prête rien, je la vois dès que je vous regarde. Puis je sais que si vous l'avez fait, d'autres vous écouterons et suivront votre route. La violence n’entraîne que la violent. Lorenz Wintel paiera un jour pour celle qu'il a fait et crée autour de lui. Sûrement même par la personne dont il s'attend le moins à en subir. »

Il fallait se méfier du peuple opprimé, il finissait toujours par se rebeller. Il suffisait que le premier ose dire non pour ouvrir une voie possible à la liberté. Kyllian avait ouvert une brèche dans l'empire vampirique.
La jeune princesse avait cherché à ce que son frère garde cela en mémoire, dans ses décisions et dans sa façon de les amener au peuple. Oui, un décidait pour tous, mais il fallait toujours faire passer le bien du plus grand nombre et pas celle d'un homme assis sur un trône. Et dans le plus grand nombre, Esmelda ne pensait pas à la noblesse.

« - Et votre mort n'est que celle de votre corps, pas de votre cœur ni de votre esprit. Le sang qui coule dans vos veines n'est peut être pas le votre, mais vous n'en n'êtes pas moins vivant . Ce maléfice, vous cherchez à le combattre, à le vaincre. »

La princesse prit les deux mains de son aimé dans la sienne. Elle les serra avec douceur, avant de les caresser de son pouce.

« -Et vous vivrez après moi, Kyllian. Voilà bien une de nos différences flagrantes et inévitables. Vos êtes figé dans le temps, et je suis destinée à mourir. Vous avez vécu avant moi, avec les mêmes idéaux, vous les vivrez après, avec ce rêve. Car justement, ils sont nôtres. Il n'est nul sacrifice plus noble et courageux. Et je ne vous ferai pas une promesse que je ne pourrais tenir. Mais auprès de vous, ma vie n'est nullement animé par le gâchis. Bien au contraire. Vous m'ouvrez les yeux sur ce monde que je croyais animer par le pouvoir, l'argent, la lutte. Vous m'offrez la possibilité d'entreprendre le monde de façon différente et de voir ce qu'il y a de bons en lui. De voir au delà des apparences. Avant vous un vampire était pour moi un simple tueur. Aujourd'hui, j'entrevois la possibilité que nos peuples vivent dans une harmonie relative. Que l'on peut résumer un être, une créature à ses actions et pas à sa seule race. Et je veux me battre pour ça. »

La princesse lui sourit, un sourire confiant et déterminé. Après tout, Esmelda n'avait-elle pas été jetée dans la guerre sans le vouloir par le biais de cette rencontre avec le prince noir.

« - Quand à votre cœur, il n'a pas besoin de battre pour être en vie. Le mien bat pour deux. »

Esmelda avait toujours eu un don avec les mots. Douce et mélodieuse, sa voix portait ses paroles avec une grâce qui n'appartenait qu'à elle. Toute sa détermination, sa générosité, sa force, tout son courage, son espoir et tout son amour transpiraient dans son discours. Elle mieux que quiconque en ce monde comprenait les craintes qui assaillaient l'esprit du jeune renégat et savait trouver les mots pour lui rendre des forces. Non, Kylian n'était pas comme ceux de son peuple. Son corps était vampire, certes, mais son esprit demeurerait humain à jamais. Du moins, il le resterait, aussi longtemps qu'il parviendrait à dominer la malédiction qui le rongeait. Si un jour il succombait aux terribles effets du venin vampirique, s'il ne parvenait plus à maintenir le contrôle, s'il s'effondrait au point de se laisser dévorer par la Bête, alors c'est ce jour seulement que oui, il serait mort.

« Et vous vivrez après moi, Kyllian. »

Non ! Les mots de la princesse étaient tombés sur le vampire comme le couperet de la guillotine sur la nuque du condamné. Une lueur terrifiée traversa son regard tandis que ses lèvres s'ouvraient sur un cri muet. Pourquoi disait-elle cela ? Il aurait voulu ordonner à la jeune femme de se taire, de ne pas continuer à parler ainsi, mais aucun son ne sortit de sa gorge, il ne pouvait pas. Peut-être parce qu'en dépit de son refus de l'accepter, il savait qu'Esmelda ne faisait qu'énoncer la vérité des faits. La vérité de la vie.

« Vous êtes figé dans le temps, et je suis destinée à mourir. »

Non, non, non ! Il ne voulait pas y penser. Il ne pouvait pas y penser. Les dragons étaient de retour, la magie renaissait en Armanda, il y aurait forcément une solution. Les elfes connaissaient certainement un moyen quelconque de préserver les hommes des effets du temps, comme un élixir de jouvence ou un sort de vie éternelle. Un peuple si vénérable devait posséder ce genre de pouvoir, Kylian irait les trouver, il les persuaderait de faire ce don à celle qu'il aimait, quel qu'en soit le prix. Et si les elfes devaient s'avérer incapables d'une telle prouesse, alors il devrait les aider à trouver un remède au mal vampirique. Il en existait forcément un. Personne n'avait jusqu'à ce jour pris la peine de chercher sérieusement, tout simplement, ou peut-être les elfes n'avaient-ils jamais eu l'opportunité d'étudier un vampire désireux de se faire soigner. Le renégat ne se faisait aucune illusion, les elfes ne l'accueilleraient pas à bras ouverts et se montreraient certainement plus que méfiant envers un comportement aussi... invraisemblable. La plupart des vampires considéraient leur malédiction comme un véritable bienfait, presque un honneur, ceux qui comme Kylian rêvaient de retrouver leur existence humaine se comptaient sur les doigts d'une main. Mais il ne laisserait pas quelques préjugés entraver ses espoirs, il parlementerait avec le Beau Peuple et si ses représentants avaient ne serait-ce que la moitié de la sagesse qu'on leur prétendait, ils comprendraient.

« Vous avez vécu avant moi, avec les mêmes idéaux, vous les vivrez après, avec ce rêve. »

C'était impossible. Cela ne pouvait pas être si simple qu'un banal avant/après. Comment... Comment la princesse pouvait-elle parler ainsi ? Comment pouvait-elle croire qu'elle ne serait qu'une étape dans l'existence du vampire ? Elle qui avait été sa lumière chaque fois qu'il avait sombré dans les ténèbres, elle qui le relevait lorsqu'il tombait à genoux.
Le regard triste du vampire se perdit dans la contemplation du sourire confiant que la princesse lui adressait.

Je ne vivrais pas ce rêve sans vous, Esmelda. Nous nous battrons pour en faire une réalité et nous le vivrons ensemble. La guerre prendra fin avant que le temps ne vous arrache à moi, les peuples d'Armanda connaîtront la paix, la tolérance qu'ils méritent et vous serez là pour le voir, je vous le promets. Je ne veux pas que notre couple se résume au mensonge et au secret, ce n'est pas la vie que je veux pour vous. Je chercherais et je trouverais un remède au mal qui me ronge, qu'importe les sacrifices que cela me demandera, puis je vous épouserais, ma douce, et j'irais dans chaque chaumière du continent hurler l'amour que je vous porte. Je veux pouvoir vous aimer sans avoir à m'en cacher, je veux pouvoir vous donner les enfants que vous désirez, je veux vieillir et mourir avec vous.

Car quoiqu'il advienne, je ne vous survivrais pas. C'est un fait que j'ai accepté depuis longtemps, je ne pourrais jamais aimer quelqu'un autant que je vous aime et personne ne pourra jamais me donner l'amour dont vous m'abreuvez. Lorsque l'esprit de la mort se penchera sur vous et que votre dernier souffle de vie se sera échappé de vos lèvres, mon existence ne sera plus qu'un deuil perpétuel. Je n'attends pas de vous que vous l'acceptiez, mais je ne vous mentirais pas : je préfère m'ôter ce qui me reste de vie que de vous pleurer éternellement.

Sa main se glissa derrière la nuque de sa bien-aimée tandis qu'il s'approchait d'elle pour l'embrasser. Les lèvres de l'amant vampirique se posèrent d'abord sur la peau nue de son épaule, remontèrent progressivement le long de son cou avant de finalement venir trouver ses lèvres. Ces simples baisers valaient largement tous les mots qu'il aurait pu prononcer à cet instant, car aucun n'aurait exprimé plus justement l'amour infini qu'il vouait à la princesse.

Si Esmelda avait un jour douter de l'amour que le vampire lui portait, et bien, ils venaient de disparaître dans ses paroles qui lui firent bondir son cœur. Kyllian avait dû sentir ses battements plus rapide, même elle les sentait contre sa poitrine.
Doux mots, remplis d'une certaine fatalité, mais comme il l'avait dit, elle ne pourrait rien faire. Ce choix lui était propre et elle aurait beau lui crier de vivre après sa mort, son départ près du Dracos, qu'elle ne serait plus là pour lui dire de continuer.

Non, il ne fallait pas y penser, pas là. De toute façon, son esprit glissait vers un autre monde. Celui des sensations. La bouche de Kyllian sur sa peau fraîche éveillait en elle des sentiments encore inconnus jusque là. Des frissons accompagnaient le tracé de baisers de son amant. La princesse ferma les yeux, pour mieux ressentir, s'abandonnant au plaisir de ce parcours. Elle remarqua aussi la force mentale de son cher et tendre. La peau de son cou sensible, sa veine palpitante. Avant de plonger sur les lèvres de Kyllian, Esmelda le regarda un court instant. Un regard criant d'un amour sans fin. Puis elle plongea dans ce baiser, qui n'avait pas le même goût que les autres. Plus passionnée, moins timide, la princesse voulait passer au travers de ce baiser, tous les sentiments qu'elle éprouvait pour le vampire.
De sa main valide, elle glissa ses frêles doigts sur la joue de son aimé, comme pour appuyer ce baiser langoureux, le faisant doucement basculer en avant avec elle, calés contre les nombreux oreillers de soie.

Au même instant, dans le silence du petit matin et de ce moment d'intimité, Esmelda entendit la porte de son appartement s'ouvrir. Un de ses dames devait être entrée dans son petit salon, ouvrir comme tous les matins les épais rideaux avant de venir frapper à la porte de la chambre de la princesse pour s'enquérir des nouvelles de la nuit.

La jeune femme repoussa Kyllian avec force, même avec une seule main, pour l'éjecter presque du lit, et se leva dans un froissement de tissus. La panique sur son visage, elle regarda vers la porte, plantée au pied de son lit, cherchant comment caché son amant vampirique.

« - Si elle vous voit ici, vous êtes bon soit pour la corde, soit pour l'épée. Ou les cachots, après tout l'empereur a une dette auprès de vous.»

La princesse l’attrapa de son bras valide et le dirigea vers l'une de ses fenêtres cachées par un épais rideaux bordeaux.

« - Ouvrez-les et cachez vus derrière l'un le temps qu'elle me voit éveiller et en vie.  Je lui trouverai une chose à faire pour vous laisser le temps de fuir en suite. » murmura-t-elle.

A peine, elle eut finit que l'on frappa à la porte.

« - Princesse, Il vous faut vous lever. » annonça d'une douce voix l'intendante de ses appartements dont j'ai oublié le nom, tout en entrant dans la chambre royale.

« - Vous voilà debout. » s'inquiéta-t-elle. « -Mais, princesse, retourner au lit, votre état ne vous permet pas encore de vous lever, vous avez besoin de repos. »

La vieille femme se dirigea vers la princesse morte d'inquiétude que Kyllian soit découvert.

« - Et en plus vous avez ouvert vos rideaux. Princesse ce n'est pas sérieux. »

Esmelda chercha un justificatif, un peu bateau.

« -Il y avait dehors une alouette qui chantait. Je voulais la voir. »

L'oiseau servirait la princesse un peu plus, car usant de son totem, elle demanda à la dame de compagnie, d'aller lui préparer son déjeuner matinale, usant de sa douce voix pour demander des exigences ou des caprices concernant les mets. Mais c'était là un mal pour un bien. Esmelda s'en voulait mais il y avait bien plus urgent. Elle raccompagna donc sa Dame à l'entrée de sa chambre, avant de vite refermer la porte et de rejoindre sa fenêtre, son rideau et Kyllian.

« - L'intimité et la tranquillité n'existe pas dans ce palais. »

Tandis que les baisers de son amant progressaient le long de son cou, la princesse ne dit mot, pas plus qu'elle ne fit le moindre geste pour l'empêcher de continuer. Au contraire, elle ferma les yeux et s'abandonna à lui avec une confiance aveugle. Alors même que les lèvres du vampire effleuraient la peau rose de la jeune femme, qu'il ne lui suffisait que d'un geste pour planter ses crocs dans la chair, elle ne s'en inquiétait pas. Pourtant, l'instinct de prédation de Kylian, la bête qui sommeillait en lui, ne cessait de laisser entendre dans son esprit un lugubre hurlement, un appel désespéré de rage et de douleur mêlée. C'était l'appel du sang qui résonnait en lui et qu'il se devait de combattre. Chaque regard, chaque caresse, chaque baiser qu'il posait sur le corps de sa bien-aimée faisait souffrir la Bête et le vampire ne les en appréciait que plus encore. Pourtant, il ne gagnerait pas le combat, il le savait, la malédiction finissait toujours par l'emporter sur sa volonté et il était contraint de tuer pour assouvir cette soif mortelle. Mais ce ne serait pas pour aujourd'hui. La présence d'Esmelda à ses côtés décuplait la volonté avec laquelle Kylian refoulait ses pulsions sanguinaires. Quand il était avec elle, il dominait cet instinct avec plus de fermeté qu'en tout autre temps. Il ne lui ferait aucun mal. Jamais.

Le couple échangea un regard intense rapidement suivi d'un baiser passionné alors qu'Esmelda se laissait retomber contre ses oreillers, l'attirant avec elle... avant de le repousser brutalement. La porte. Kylian ne l'avait pas entendue ou peut-être n'avait-il pas voulu l'entendre, mais quelqu'un venait bel et bien d'entrer dans l'antichambre des appartements de la princesse. Dracos, pourquoi fallait-il donc toujours que le temps se rappelle ainsi à eux ? Ne méritaient-ils donc pas plus que ces trop rares moments de paix qu'ils devaient systématiquement ravir au destin ?

Folle d'inquiétude, la jeune femme lui indiqua d'épais rideaux derrière lesquels se dissimuler et le vampire s'exécuta prestement. Il n'avait pas le temps de répliquer quoi que ce fut de toute manière, une série de coups frappés à la porte de la chambre leur indiquait déjà que l'intrus indésirable était sur le point d'entrer dans la pièce. Figé dans une immobilité parfaite, Kylian écouta nerveusement les échanges qui avaient lieu à quelques mètres à peine de l'endroit où il se dissimulait. Quel imbécile il avait été. Il aurait dû s'éclipser depuis longtemps, mais il ne s'était pas montré raisonnable. L'image de la princesse effondrée au creux du bras de Lorenz lui revenait en mémoire. Il avait eu si peur de la perdre à cet instant que maintenant qu'il la retrouvait, il ne pouvait plus se résoudre à l'abandonner avant d'y être contraint par... une dame de compagnie. Il se sentait stupide, évidemment, un peu ridicule aussi de se retrouver dans la situation de l'amant surpris dans la chambre de la demoiselle de son coeur et contraint de se cacher sous le lit ou, en l’occurrence derrière les rideaux, mais à supposer qu'il ait eu la possibilité de remonter le cours du temps pour recommencer, il n'aurait pas agis autrement.

Le vampire entendit plus qu'il ne vit la dame de compagnie se faire raccompagner vers la sortie, le loquet de la porte se refermer puis finalement le pas à la fois léger et précipité de sa douce s'approcher de lui avant que le rideau qui le dissimulait ne soit écarté par la main valide de la jeune femme.

« - L'intimité et la tranquillité n'existe pas dans ce palais. »

Kylian lui sourit. La situation dans laquelle ils se trouvaient n'avait pourtant rien de drôle, s'il était pris, il aurait de gros ennuis et la princesse aurait besoin de fournir des explications des plus convaincantes quant à la présence d'un homme dans ses appartements. Surtout alors même que la nouvelle de son mariage prochain avec un représentant du Beau Peuple avait déjà fait le tour du palais. De quoi nourrir les ragots et les scandales pendant des mois, voire des années.

L'amant vampirique rectifia pour la énième fois la mèche de cheveux rebelle qui s'obstinait à retomber devant les yeux couleurs noisettes de son amour et laissa glisser sa main le long de sa joue en une dernière caresse. Sa voix n'était qu'un murmure, quand bien même ils étaient de nouveau seuls, l'intrusion de la dame de compagnie avait eu pour effet de leur rappeler qu'ils n'étaient effectivement pas les uniques occupant du palais, loin de là.

Je crois que votre coiffeuse aura fort à faire pour discipliner votre chevelure aujourd'hui, ma belle.

La légèreté de sa remarque visait essentiellement à détendre la jeune princesse paniquée, il ne voulait surtout pas qu'elle se fasse du soucis à cause de lui.
Il fit un pas vers elle pour l'enlacer tendrement avant de poursuivre.

Ne vous en faites pas pour le reste, nous récupèrerons bientôt cette tranquillité qui nous est volée aujourd'hui. Pour l'instant, je crains qu'il ne soit préférable que je regagne ma propre chambre, votre dame sera bien vite de retour avec votre petit-déjeuner et je ne voudrais surtout pas vous attirer plus d'ennuis que je ne vous en ai déjà causés.

Ils étaient passés à côté d'un drame. Enfin, peut être pas aussi tragique, mais ils l'avaient échappés belle. Non pas qu'elle se refusait à cacher cet amour. Bien au contraire. Si Esmelda le pouvait, elle irait le crier dans toutes les rues du pays, même dans les cavernes vampiriques. Mais hélas, cela signerait bien plus la fin de leur amour que la gloire d'un bonheur sans fin.

La princesse posa sa main contre celle de Kyllian, appuyant sa joue, cherchant encore un peu se contact bientôt disparu. Elle lui sourit, largement. Sa coiffeuse avait jeté son peigne depuis longtemps. La jeune femme n'aimait déjà pas qu'on la coiffe en poupée fanfreluche, au naturel, rien de tel. Avec une mèche rebelle s'il fallait. Mais voilà quand on est princesse, on se plaît à vous coiffer, habiller, pomponner. Bref, être là à servir de mannequin sans avoir son mot à dire, ou presque. D'ailleurs aujourd'hui, elle se refuserait à quelconque chipotage.

Mais la princesse était encore loin de ces considérations. Elle devait profiter de son amour, encore un temps.

« - Vous ne me causez aucun soucis. Cette visite est un vraie bonheur pour moi. Une bouffée d'oxygène dans cette prison dorée où l'on m'enferme un peu plus chaque jour. Dans combien de temps nous reverrons nous ? »

La princesse se redressa d'un coup et partit en courant dans un bruissement de tissus. Elle s'approcha près de son lit où au pied il y avait un coffre. Esmelda en sortit un paquet et revient auprès de son amant pour lui donner. Un sourire en coin.

« - Un petit quelque chose pour vous. Pas grand chose. Mais...enfin, j'y tenais. »

Alors qu'il l'ouvrait, la jeune femme se mordait la lèvre inférieure, en espérant qu'il aime.

« - C'est Boussole du cœur. Elle montre la direction de ce que le porteur désir le plus par une lumière... Je me disais que cela pourrait vous aider. Dans votre quête. »

La jeune princesse se garda bien de dire que de cette façon, il la retrouverait toujours quoiqu'il arrive. Quand peut être un jour, elle devrait quitter le palais pour son nouveau chez elle. Trop loin de lui, dans un monde où les vampires étaient tout sauf les bienvenues. Son mariage. Se reverrait-il avant ? Aurait-il lieux ?

« - Mais je pense qu'il est plus raisonnable que je vous fasse passer par la porte dérobée, que par mon petit salon. Les gardes doivent être relevé maintenant. »

Esmelda s'approcha de sa bibliothèque et tourna une chandelle qui fit ouvrir une porte camouflée par des livres. Un long couloir sombre se faufilait dans la pénombre.

« - Il mène vers les jardins des fontaines. De là vous pourrez regagner votre chambre, sans encombre et en toute sûreté. »

Esmelda se lova dans ses bras, pour encore un peu se sentir protéger. Les départs étaient toujours un déchirement sans fin. Comment revivre après ça. Quand celui qui fait battre votre cœur, qui vous aide à avancer s'en va encore au loin. Sa force s'en allait, Esmelda allait devoir encore puiser au plus profond d'elle même pour avancer et faire bonne figure face aux chaines qui s'enroulaient peu à peu autour de ses frêles poignets.

« - Je vous aime Kyllian, n'en doutez pas. Malgré ce qu'il sera dit ces prochains temps. Mon cœur est à vous. Pour toujours. »

Quand se reverraient-ils ? La question inquiétait le jeune vampire autant que sa bien-aimée, mais il lui était impossible de fournir une réponse. Le temps qu'ils passeraient loin l'un de l'autre pouvait aussi bien se compter en jours qu'en semaines ou en mois. Une seul chose était sûre : ce temps serait de toute façon trop long. Si cela ne dépendait qu'eux, ils ne se quitteraient simplement pas, mais ils n'étaient pas maîtres de leurs faits et gestes. Tout deux avaient des responsabilités, des engagements qu'ils se devaient de tenir et chacune de leurs rencontres devait être arrachée aux aléas de leurs vies respectives. La guerre ne laissait malheureusement que peu de place à l'amour.

Je ne peux répondre à cette question, mais je vous fais la promesse de tout mettre en oeuvre pour que cette séparation soit aussi brève que possible.

Le soupirant de la princesse hésita. L'idée de passer une journée supplémentaire au palais afin de retrouver la jeune femme le soir même l'effleura un instant mais il la rejeta. S'il se laissait aller à entrer dans un cycle de ce genre, il ne quitterait plus le palais et même si l'avouer devait lui percer le coeur, il ne pouvait pas mener son combat depuis cet endroit. Sa place était en dehors des hauts murs de Gloria, dans les campagnes, dans les bois, dans les villages isolés. Partout où il pourrait lutter contre les sinistres ambitions de Wintel.

Esmelda quitta soudain ses bras pour se diriger vers son lit, avant de revenir vers lui avec un petit paquet soigneusement emballé qu'elle déposa au creux de ses mains en souriant. Un cadeau ? Pour lui ? Kylian demeura figé quelques instants, fixant stupidement le petit paquet qui se trouvait dans ses mains. Depuis combien de temps ne lui avait-on rien offert ? Un peu plus de deux siècles en fait, il en avait presque oublié que ce genre de petites attentions était monnaie courante dans les couples humains.
Lorsqu'il revint à la réalité, il sourit devant l'impatience de la jeune femme et ouvrit prestement le paquet. L'emballage laissa place à une petite boussole dont l'aiguille lumineuse pointait devant lui. Mais ? Si son sens de l'orientation ne lui faisait pas défaut, et le vampire renégat ne doutait pas de sa fiabilité, le nord devait se trouver sur sa gauche et non en face de lui. Les explications de la princesse vinrent chasser ces constatations. Une boussole du coeur. Effectivement, il comprenait maintenant pourquoi l'aiguille était dirigée dans cette direction. Il releva les yeux vers la silhouette de son aimée avant de balbutier :

Je... Je ne sais que dire, je... Mais détrompez vous, c'est loin d'être anodin, vous n'imaginez pas à quel point cette boussole me sera précieuse.

Kylian n'avait jamais eu besoin d'aide pour tourner ses pensées vers sa belle, mais cette boussole qu'il tenait dans les mains venait subitement d'incarner de manière concrète ce désir qu'il ressentait constamment d'être avec elle. Désormais, où qu'il se trouve, il lui suffirait de consulter cette petite aiguille lumineuse pour savoir dans quelle direction regarder. Cela pouvait sembler bien peu de choses en vérité, mais aux yeux du vampire renégat, cette boussole n'avait simplement pas de prix. Elle serait sa lumière dans les ténèbres. Il referma les doigts sur le petit objet avant de reprendre :

Merci.

Il aurait voulu faire bien plus mais hélas, il devrait se contenter de ce simple remerciement. Car au rythme des grains d'un sablier, le temps continuait de s'écouler, la porte de la chambre pouvait se rouvrir à tout instant pour laisser le passage à une servante portant le plateau argenté sur lequel serait disposé le petit-déjeuner de la princesse. Kylian devait partir. Esmelda lui indiqua un passage secret avant de retrouver le creux de ses bras tandis que le vampire sondait de son regard bleuté l'obscurité du boyau taillé dans la pierre. Ainsi donc, même ici, dans les appartements royaux, on trouvait ce genre de portes dérobées ? Pas étonnant que ce palais soit une véritable passoire mais il fallait bien reconnaître que ces multiples couloirs invisibles étaient de précieux atouts pour un couple interdit tel que le leur.

« - Je vous aime Kyllian, n'en doutez pas. Malgré ce qu'il sera dit ces prochains temps. Mon cœur est à vous. Pour toujours. »

Il n'en doutait pas. Il n'en douterait jamais. Elle lui démontrait son amour à chaque instant qu'ils passaient ensemble, par son regard, par ses attitudes, par ses gestes et par ses mots.
D'un geste lent et doux, il posa le doigt sous le menton de la princesse pour relever son visage vers le sien et déposer un ultime baiser sur ses lèvres.

Je n'en ai jamais douté et n'en douterais jamais. Aucun mariage ne pourra jamais changer cela, pas plus qu'il ne pourra m'empêcher de vous aimer en retour.

Du bout des doigts, il donna deux coups sur la poche de sa tunique dans laquelle il avait soigneusement rangé la boussole.

Quoiqu'il advienne, je vous retrouverais. Aucun rempart ne sera jamais assez haut, aucune porte ne sera jamais assez solide, aucune armée ne sera jamais assez nombreuse pour m'empêcher de vous revoir.

La mort dans l'âme, le vampire délaissa son étreinte pour s'engager dans le passage secret. Il venait d'entendre des bruits de pas dans le couloir et le son caractéristique d'une porte qu'on ouvre : la servante venait de pénétrer dans le salon de la princesse, elle serait là d'un instant à l'autre. Son regard plongea dans celui de sa belle tandis que l'entrée du passage se refermait sur eux.

Je vous aime.

Et il se retrouva dans le noir...