Aaah mais par les Dragons ancestraux ! Pourquoi Yolen s'était-il laissé convaincre d'aller flâner dans le quartier des musiciens avec Gabriel dans le seul but d'y faire une promenade romantique ? Il aurait bien mieux fait de suggérer un lieu plus familier et moins semé d'embuches pour leur rendez-vous. Certes Yolen aimait la musique et ce n'était pas les notes qui se déversaient des différents débits de boissons du quartier des musiciens qui l'indisposait. Au contraire, il y avait là un éventail impressionnant de talents qui s'exprimaient . De quoi satisfaire tous les goûts. Mais ce qui rendait le berger plutôt chaotique n'était pas l'assortiment de musique qu'il avait à disposition en attendant son ange qui était décidément TRES TRES en retard. Non, comme souvent dans ces quartiers artistes, une autre forme d'évasion était proposée qui allait souvent de concert avec le voyage musical.
Sans le savoir, il avait donné rendez-vous à son âme soeur dans la taverne la plus psychotrope de la ville. Il s'était juste contenté de commander une choppe d'hydromel et une part de tourte aux amandes. L'innocent, aussi ! Les noms étranges auraient du l'alerter. Cuvée de la déraison et bouchées au lotus et aux amandes . Mais non! Yolen était tombé dans le panneau de tout l'appétit féroce de l'homme qui a faim et soif après une journée bien remplie et veut se détendre en attendant l'objet de son amour et de ses désirs.
Ohh pour être détendu, il l'était ! Il riait béatement au visage des clients tout aussi béats. Il leur trouvait des mines réjouies et il lui semblait que la musique lui parvenait quelque peu déformée. Un petit coulis de baies ferait assurément passer cette impression de flottement assez bizarre. Lorsqu'il en commanda une coupelle au patron, celui-ci le regarda d'un air goguenard mais le servit néanmoins devant les écus sonnant et trébuchant qu'il aligna sur le comptoir.
- Tav ... tavernier ... Votre cuisine est un délice et enchante mes ... sens ... Je crois n'avoir jamais été si bien après avoir apprécié de simples desserts.
Ses élucubrations commencèrent à attirer quelques habitués. Un petit paysan naïf mais qui avait la bourse pleine, à plumer. Voilà qui était intéressant.
- Mon gars, goûte donc à cette pipe ! fit un jeune déguingandé en lui tendant l'instrument qui fumait comme un volcan.
De fil en aiguille, Yolen se trouva abreuvé, fumé et nourri plus que de mesure par les tournées successives des aimables clients payes par sa bouse personnelle, et qui commençaient pour certains à le lorgner avec concupiscence. Mais que faisait donc son elfe ?
Soudain, il se sentit mal, comme pris de nausées. Les paroles des clients, bruyants soudain, résonnaient dans sa tête comme mile sons de cloches ou comme des aboiements rocailleux de chiens en chasse. Il avait la tête qui lui tournait et une envie soudaine de prendre l'air. Et puis , il avait hâte de retrouver son chasseur de prime favori et l'idée d'aller un peu au devant de lui en dehors de l'auberge le tenta.
Il sortit en titubant après avoir eu un mal de chien à ne pas embrasser l'encadrement de la porte. Non ! C'était Gabriel qu'il voulait embrasser. Il erra un moment dans la rue à la recherche de son elfe mais l'air vivifiant du soir qui tombait le saoula encore davantage. Il devait se reposer. Décidément la journée avait été plus rude qu'il n'aurait cru. Il traversa la rue pour aller se poser sur un banc de pierre, un peu en retrait. D'ici, il pourrait voir son cher amour arriver devant l'établissement et se " remettre" un peu à l'écart de la foule. Très à l'écart en fait, du va et vient incessant des piétons à cette heure dans ce quartier d'artistes. Il ne vit pas une silhouette furtive s'approcher de lui par derrière.