Ils partaient bientôt, c’était à présent une certitude des plus complètes. Lui et Shaynar n’avaient guère à faire, au Royaume elfique ou sur le domaine. Oh certes, l’on pouvait arguer que les sanctuaires nécessitaient encore des réparations et que les troubles du passage du pouvoir elfique nécessitaient qu’il resta disponible pour l’empereur. Mais Eliwyr était un grand garçon qui n’avait pas besoin de lui et lui-même devait s’en aller remplir une promesse qu’il ne pouvait et ne voulait pas oublier. Une promesse importante et qui tenait de l’avenir même du continent Armandéen. Une promesse restée secrète, partagée par trois êtres seulement. Personne d’autre n’était au courant. Pas même les Baptistrels, qui ne tenaient en général pas à approcher de son chant-nom un peu spécial après l’avènement de son nom à la place de celui de son grand-père, Fondateur de l’ordre. Cela n’importait guère cependant, il comptait bien les mettre au courant avant de partir… par précaution, mais également parce qu’il n’avait rien à leur cacher. S’il attendait, c’était avant tout pour s’assurer que rien ne viendrait contrevenir à ce qui devait être fait. Rien d’autre. Certes, il répugnait quelque peu à partager sa promesse… en particulier lorsque cela concernait Lorenz de si près. Après ce qui s’était passé, et ce qu’avait fait Lyroë, s’était bien normal. On ne pouvait le lui reprocher. Sa meilleure amie cédant à une folie destructrice parce qu’il lui avait fait confiance, il y avait de quoi nourrir des doutes, même chez lui. Cela faisait plusieurs mois, et pourtant il n’en était toujours pas pleinement remis. Il portait toujours le deuil. Il le porterait sans doute à jamais. Une amie était un précieux trésor, presque autant que l’amour véritable. Elle avait été beaucoup pour lui et sa perte avait laissé un vide.

Pourtant, ce vide-là n’était pas sa plus grande souffrance. Il y avait autre chose… quelque chose de plus profond encore, de plus poignant. Quelque chose qui troublait son esprit et son âme, l’empêchant de dormir, susurrant à sa conscience sans qu’il parvienne à le saisir des doigts ou des pensées. Impossible de savoir exactement de quoi il s’agissait et pourtant… Dracos seul savait qu’il aurait aimé comprendre et s’apaiser. Il en avait besoin. De cela il était certain. Aussi une seule possibilité, tenter de comprendre, de saisir un filament de cette étoile lointaine qui lui échappait. Tout était bon pour cela. Il avait passé des heures dans la clairière restaurée de la grande mère, il avait fait plusieurs immersions délicates dans la fontaine, il avait même pénétré le puits flamboyant… rien. Le Dolmen des vents ne lui était pas plus utile. Les murmures se taisaient tous à son approche. Pourquoi se taisaient-ils ? Il ne savait absolument pas… mais quelque chose n’allait définitivement pas. Ne restait plus qu’une seule solution, les étoiles. Puissance lointaine et pure, éthérée et immaculée, elle était son dernier recourt pour connaître les tourments qui le taraudaient… Il ne savait pas si ce serait suffisant, qui pouvait en être certain après tout ? Mais au moins ce serait un début. Une amorce de réponse. Peut-être. La réponse viendrait tôt ou tard. Il avait envoyé deux invitations la journée précédente, ceux qu’il attendait ne tarderait certainement plus.

Installé dans les jardins du Tomingrollo, il attendait. La cour intérieure de l’étage supérieur était un délice en forme de canopée opulente soignée par les chanteterres et sur laquelle le soleil rayonnait, inondant la futaie d’une lueur chaude et dorée qui vous réchauffait l’âme. Là, une table de bois de rose avait été installée. Elle était large et cirée. Et ses bords ainsi que ses pieds étaient des chefs d’œuvre d’ébénisterie elfique, travaillées avec le plus grand soin en d’exquises formes végétales. Des chaises de mêmes factures étaient disposées près d’elle, accompagnées de coussins moelleux. Sur la table reposait un repose plats d’argent délicat, protégeant le bois de la table de la brûlure d’une théière fumante. Un livre à la main, une tasse proche de lui, il attendait simplement son arrivée. Le lieu aurait été propice à la détente et au sommeil, deux choses dont il avait grandement besoin mais qui lui étaient refusées… A défaut de les obtenir, il faisait contre mauvaise fortune bon coeur. Il était d’ailleurs il était l’heure, la canopée bruissait doucement de notes de musiques impalpables. Il se releva, repoussant les pans de sa tunique longue pour pouvoir s’approcher de lui en lui offrant un sourire sincère quoi que fatigué. Il n’était pas mécontent de le voir, surtout qu’il semblait en meilleure santé que lui. L’interpelant de sa voix magique, il prit les devant de la rencontre « Bonjour à toi elrond, et merci d’être venu. J’espère ne pas t’avoir interrompu dans une tâche quelconque » Puis il l’invita à s’asseoir et à prendre du thé, courtoisie naturelle et bienséante. Puis, il reprit, alors qu’il se rasseyait lui-même, toujours quelque peu éreinté. « Malgré les réparations déjà apportées au domaine, il reste à faire je ne le sais que trop bien. Nous avons tous nos obligations. Il serait d’ailleurs temps que je remplisse certaines des miennes, n’est-ce pas ? Tu es désormais mon apprenti et à ce titre nous allons être amenés à passer beaucoup de temps l’un avec l’autre… Mais avant toute autre chose, comment vas-tu ? Toi aussi, tu as été touché par ce… relent de Néant. Parvient-tu à t’en sortir ? »

Il avait l’air en meilleure forme que lui, c’était une bonne chose. Il s’était inquiété, en découvrant la cause de ses maux et avait immédiatement pensé que les autres dragonniers et dragons pouvaient également avoir été touchés. Pourtant, Elrond avait l’air tout de même un peu plus frais que lui et son chant-nom indiquait qu’il avait encore de la force et été sur la bonne pente. Merithyn s’en réjouissait. Non seulement parce que voir son élève en mauvaise santé ne lui plaisait pas mais parce qu’en plus, il aurait été incapable d’être d’une aide quelconque dans l’état où lui-même était. Il ne parvenait à rien pour lui-même comment aurait-il pu aider qui que ce soit ? Bonne question. Mais qui n’avait donc pas lieu d’être puisque le jeune dragonnier semblait se remettre. Il se permit de prendre une gorgée de son thé aux herbes thérapeutiques. Elles aidaient à l’empêcher de dormir, ce qui n’était pas un bienfait dont il pouvait se passer en ce moment… l’ombre de la canopée donnait envie de dormir, et dormir était la dernière chose qu’il souhaitait véritablement là tout de suite. Discuter lui ferait du bien, du moins discuter avec quelqu’un de normal. Shaynar était un être à part, il était son presque lié après tout. Leurs discussions pourtant n’étaient pas moins tendues en ce moment. Ils avaient chacun leurs soucis et leurs déprimes et ils s’inquiétaient l’un pour l’autre ce qui n’arrangeait pas vraiment les choses, bien au contraire cela avait tendance à les dégrader encore davantage, d’autant qu’il s’en voulait de ne rien pouvoir faire pour alléger la morosité de son compagnon à écailles. En dehors de lui, il n’y avait que les baptistrels, qui hélas s’inquiétaient également pour lui, et avant eux Lorenz et Ambre, le premier lui en voulant encore et la seconde avec qui il ne savait jamais vraiment comment se comporter mais qu’il appréciait néanmoins. Et il n’avait singulièrement pas envie d’aller au royaume elfique…. Avec les tensions qui l’habitait, ça ne faisait que miner davantage son moral, d’autant qu’il y était parfois contraint et forcé.

« Oui certes » Des empêchements et des devoirs que chacun devait effectuer comme il fallait. C’était là les aléas de la vie, mais ils étaient bien plus durs en ce moment. Il le laissa poursuivre, l’observant avec attention sans émettre le moindre son supplémentaire tout du long de son discourt. Ce ne fut qu’une fois qu’il fut silencieux que lui-même s’autorisa à répondre. « Il semblerait, même si je ne puis l’affirmer avec une infinie certitude, que je sois le plus touché d’entre nous tous. Je n’ai presque pas pu fermer l’œil depuis la fin de la bataille, impossible. Je suis sujet à des visions d’horreurs le jour également, de sordides visions, mais la nuit elles deviennent indicibles et inexprimables…. Je tiens éveiller et à peu près en forme en usant de médication lourdes et de drogues mais même cela n’aide qu’à moitié et je n’ose forcer la dose davantage de peur de développer une addiction. J’ai dû m’en remettre entièrement à l’esprit du Feu et heureusement il me fait don de sa vitalité autrement je serais sans doute mort ou fou depuis longtemps. Je suis également sujet à des sautes d’humeur, quoi qu’elles soient moins virulentes que le reste. Et je souffre d’amnésie partielle. Encore que je sois totalement incapable de circonvenir exactement les souvenirs qui me manquent… » Il soupira légèrement et offrit un sourire d’excuse devant cette tirade des plus pessimiste. « Enfin… je n’y peux rien pour le moment, je recherche activement un remède mais me consacrer uniquement à cela serait pure folie par des temps pareils. Oui nous partons bientôt. Etant donné que Shay a fini de fuir ses abeilles pour l’instant il nous faut retourner à nos obligations. Je vais parcourir les terres humaines afin d’y apporter mon aide et de prêcher contre le Néant. Nous avons mis en lumière durant le séjour des vampires en ces lieux une solution potentielle à nos soucis, encore faut-il voir sur le terrain ce que cela donne »

Il prit une nouvelle gorgée de thé puis reprit. « Je vais également soutenir la rébellion humaine. J’ai déjà envoyé un Baptistrel auprès de l’Empereur mais c’est bien peu de choses et je préfère être là-bas. Ils auront besoin de bons guérisseurs, entre autres choses. Et ça te permettra de mettre en pratique plus vite que prévu ce que je t’enseignerais » Il perdit un instant son sourire, observa la végétation alentours. « Tout ce que j’espère, c’est que les nôtres ne profiterons pas de mon absence pour régler leurs comptes… j’ai sentis nombres de tensions les seules fois où j’ai quitté le domaine, ça ne me plait guère…. Enfin, mieux vaux rester optimiste. Nous partons demain mais en attendant, sans doute serait-ce une bonne idée que de te donner ta première leçon »

Il se sentait déjà épuisé mais il ne pouvait se permettre de simplement cesser toutes activités. Ce n’était pas le moins du monde envisageable. Sa silhouette était fourbue de partout, les muscles tiraient, les os souffraient et ses sens se faisaient parfois complètement gourds, conséquence intrinsèque de tous ces mois à tirer sur une corde fragilisée. La position assise le soulageait à peine, tant sa colonne semblait prête à se briser, l’élançant singulièrement lorsqu’il avait le malheur de vouloir bouger d’un centimètre. Mais en échange, il bénéficiait de la chaleur de la canopée qui venait remplir ses réserves d’énergie. Un échange à peu près équitable mais d’une ironie sans fin. Une ironie qui commençait à atteindre son humour, à croire qu’il allait finir comme Lorenz. Il espérait que non, tout de même… la perspective n’était franchement pas réjouissante pour tout ce qu’il appréciait chez l’ancestral.

Mais pour le moment, il avait surtout son élève sur les bras, dont il devait faire l’éducation. Une chose qui ne s’avèrerait pas forcément très simple puisque appendre les arts Baptistraux revenait à se rendre maître de nombreuses matières autours desquels gravitaient leurs pouvoirs et leurs diverses fonctions. Cela représentait des sommes importantes de savoirs et de nombreuses années. Des années au cours desquels Elrond devrait s’échiner à se dépasser en toutes choses afin de pouvoir toucher du doigt l’univers singulier de l’ordre. Et il y avait plus que des connaissances à apprendre, une véritable philosophie, un idéal et des vertus. Le dépassement de soi, l’humilité, la confiance et l’esprit de partage souverain, l’altruisme sans retour… oui il y avait beaucoup de choses. Certaines, il les possédait déjà, à petites doses. D’autres, il les apprendrait. Pour le moment, rien ne servait d’aller trop vite.

« J’estime que le moment est bien choisit » Il ne répondait pas tout à fait car dire qu’il s’en sentait la force aurait été un mensonge. Mais il estimait effectivement que le moment était venu et qu’il fallait entamer les choses. Ils avaient du travail après tout. Il examina posément l’elfe en face de lui, étendant délicatement ses perceptions vers son chant-nom et eut un sourire. « Tu as des questions, autant que tu me les poses, que je sache ce que tu sais déjà et que je ne répèterais pas. Si je peux y répondre tout de suite sans sauter des étapes, alors je le ferais, sinon j’y reviendrais par la suite »

Le quittant des yeux, il balaya l’espace verdoyant et réprima un rire qui fit pourtant vibrer les lieux de sa magie. « Il m’est toujours difficile de prendre élève, tu sais. Je ne suis pas le meilleure des pédagogues. Mais j’apprécie souvent de pouvoir échanger avec ceux désirant mes enseignements. On s’habitue facilement, au final. Mais ne pense pas que j’ai vraiment un plan quelconque, il s’agit surtout de choisir un sujet, et de s’atteler à le découvrir, très simplement. Pour le moment, nous allons surtout définir les grandes lignes de mes futurs enseignements à ton égard ainsi que la structure de l’ordre et de sa magie. Les premières années, nous aurons surtout affaire aux arts et à la philosophie. La magie baptistrale viendra plus tard, quand tu auras déjà un pied dans notre vie et notre univers »

Il eut un nouveau sourire et regarda une libellule venir voleter près de lui. « Mais oui, pour le moment voyons quelles sont tes questions et faisons le point sur ce que tu sais déjà. Pas seulement à propos de l’ordre. Toutes tes compétences. »

Il avouerait sans soucis qu’il s’amusait un peu, sur l’instant et un peu aux dépends d’Elrond, bien que ce fut une petite farce affectueuse et dépourvue de la moindre malignité. Il ne lui voulait absolument aucun mal, et encore moins le mettre mal à l’aise alors même qu’ils entamaient le début d’un très long et très prenant enseignement. Le voir lever un sourcil, en proie au questionnement, lui arracha un sourire alors qu’il voyait la lueur de compréhension s’allumer dans ses mirettes. Pour un mauvais élève, il était rapide à saisir au moins. Peut-être un trait prit lors de son séjour chez les humains ? Ils étaient en général plus alertes, dans les enseignements, y compris les enseignements baptistraux, quand bien même les elfes étaient plus proches d’eux et plus en contact avec leurs travaux. Les mystères de la nature, sans aucun doute. Puis enfin, Elrond posa les questions qui l’habitaient et desquels le Baptistrel était curieux, de façon forte innocente. Il appréciait que son élève ait prit le temps de découvrir par lui-même l’univers qui serait le sien dans le futur, cela prouvait qu’il était intéressé et motivé. Oh, il savait que certaines phases seraient plus pénibles que d’autres, lui-même avait eu grand mal à supporter les interminables leçons d’histoire et de techniques des arts, notamment de la peinture pour lequel il n’avait guère d’affinité. Son propre professeur, Aramis, s’était toujours étonnée qu’il puisse se passionné pour la restauration des ouvrages et qu’il s’endormit dans le même temps dès qu’elle tentait de lui inculquer les bases de la restauration de tableaux. Une simple histoire de goût personnel, qui se découvrait au fur et à mesure. Il en serait certainement de même pour Elrond.

Il n’était pas étonnant que les chants-noms le passionnent. C’était l’un des trésors de l’ordre et une source de puissance énorme si on savait l’utiliser correctement. Il suffisait de voir ce qui s’était passé avec Lorenz et Lyroë. Il avait fournis à l’archère un diamant contenant le chant-nom de Lorenz, et elle avait bien faillit le tuer. La connaissance… profonde, intime, pouvait être une arme extrêmement puissante. Mais elle n’était pas censée l’être, au tout départ. L’usage qu’ils faisaient des chants-noms n’était pas offensif et ne devait jamais l’être. C’était une chose que l’on comprenait uniquement au travers de l’apprentissage de l’ordre. Les Cawrs manipulaient les chants-noms avec prudence et révérence, crainte également, tant ils étaient à la fois délicats et tout-puissant. C’était l’un des tout dernier apprentissages, un des plus complexes… la théorie venait aux Enwrs, pourtant il fallait des années aux maîtres confirmés pour oser en utiliser un. Lui-même avait mis très longtemps à s’y essayer, et ce n’était que l’urgence qui avait vaincu sa crainte. Pourtant, encore au jour d’aujourd’hui, alors qu’il était passé maître en cet art, il s’y prenait avec énormément de délicatesse. Il le laissa avancer dans ses questions et son exposé, posément, réfléchissant lui-même aux réponses qu’il allait offrir. Il y avait énormément ici, à dire et à expliquer et tout à la fois très peu aux yeux de quelqu’un qui vivait à l’intérieur même de l’ordre et pour qui tout ceci était déjà acquis. En vérité, prendre élève et enseigné était comme un rappel pour lui, une manière de faire revenir maintes choses à sa mémoire. Des choses nécessaires et d’autres simplement cosmétiques.

« Et bien si nous devons y passer une journée, nous le ferons. Premier principe, prendre son temps et faire preuve de patience. Dur, je sais. Mon propre professeur menaçait de m’obliger à rester figé sur place si je ne parvenais pas à me calmer, les premiers temps de ma formation, et Dracos sait qu’elle était sérieuse » Il prit une gorgée de son temps, puis reposa la tasse. « Bien, je vais essayer de structurer mes réponses dans un ordre logique… L’ordre est en effet composé de douze Baptistrels confirmés, des maîtres appelés Cawrs, qui sont également les membres du conseil de la Rhapsodie comme tu l’as si justement énoncé. Il est également composé des apprentis Baptistrels, appelés Enwrs et des élèves venus découvrir des connaissances et savoirs auprès de nous mais qui ne recherche pas l’apprentissage de notre magie. Ils vivent sur le domaine, où ils ont tous une place et où on les traite avec courtoisie et respect dans l’équilibre et le partage des tâches et des richesses. Les Baptistrels ainsi que leurs apprentis sont les gardiens de l’équilibre, d’où découle tout le reste. Tu pourrais dire que nous sommes le pilier central de la balance entre le chaos et l’ordre. Nous nous efforçons de conserver une harmonie entre les deux. J’y reviendrais plus en détail, bien entendu. Moi je suis le Gardien des Préceptes, c’est-à-dire le porte-parole de l’ordre et son visage officiel. C’est moi qui gère le domaine et nos relations avec l’extérieur. J’ai été choisi par mon prédécesseur car elle estimait que j’étais le plus à même de remplir ce rôle. Elle m’a formé et, lorsqu’elle est partie, j’ai pris sa place avec la bénédiction de mes pairs. Il faut savoir que, si un seul d’entre eux avait estimé que je ne ferais pas un bon Gardien, je n’aurais pas accédé au titre. Je ne me place nullement au-dessus des autres, nous sommes tous égaux et leurs voix comptent autant que la mienne »

C’était autant de choses qu’il faudrait discuter plus en profondeur par la suite. « Je possède un autre titre, cela dit. Je suis non seulement le Gardien de l’ordre mais également le Fondateur. Ce titre prête à confusion, je le sais bien. Personne ne le comprend vraiment en dehors de l’ordre. Il est lié à l’histoire de la Rhapsodie. Mon grand-père, Merithyn Tisserêve, était le fondateur originel de l’ordre. Il a eu une vie riche en évènements et admirable. Avant sa mort, il a légué son chant le plus mystérieux et le plus puissant à ses disciples qui ont estimé qu’il était trop dangereux de le conserver, même pour eux. Ils l’ont donc séparé en plusieurs morceaux et éparpillé. L’ayant reconstitué et ayant pu apprendre de lui, j’ai donc reçu ce second titre. Bien entendu je ne fais que résumer des choses que nous développerons davantage plus tard » Il lissa sensiblement les pans d’une de ses manches puis continua. « Ce qui différencie un Enrw d’un Cawr, c’est sa capacité à user de la magie Baptistrale. Pour en avoir le pouvoir, il faut avoir prononcé son serment. C’est un acte de magie particulier et bien plus difficile qu’on ne le pense. Si l’Enwr choisit par le conseil réussi alors il devient un Cawr. C’est également lors de ce serment que l’individu reçoit son affinité élémentaire. On ne peut jamais vraiment la deviner avant le serment. Je me prendrais à nouveau en exemple ici, mais au moment de ma nomination, tous les Cawr pensaient que je serais lié à la terre ou à l’air. Ce ne fut pas le cas, bien sûr, puisque je suis le seul chantefeu depuis plus de deux siècles »

Le feu était l’élément le plus controversé, de cela. Ce qui rendait sa condition de Gardien plus surprenante encore. « C’est également ce serment qui lie les pouvoirs des Baptistrels à leur pacifisme et à leur poursuite de la vérité. Un Cawr qui tuerait quelqu’un ou mentirait perdrait immédiatement ses pouvoirs de Baptistrel. Seulement ses pouvoirs de Baptistrels. Il pourra toujours user de la magie de son peuple d’origine, mais plus jamais il ne pourra manipuler la puissance qui est la nôtre. Un meurtre ou un mensonge est le crime le plus grave, la plus terrible violation de notre serment. Celui-ci, lorsqu’il a été prononcé, l’a été sous le regard du Dracos et de tous les esprits… aussi, le violer est une trahison envers eux. Nous avons le droit, cependant, de nous défendre et nous apprenons à le faire dans les limites de nos serments. Il nous est tout à fait possible d’interdire la violence en un lieu, ou tout simplement de figer un individu, ou d’endormir une masse. Les recours sont nombreux. De plus, souvent, nous sommes accompagnés, de sorte que nous soyons défendus au besoin. Mais il est rare que l’on s’en prenne à nous, même les vampires tendent à nous respecter même si ils ne l’avoueront pas. Sache aussi ceci : même si nous ne trahissons pas nos serments, la violence et le mensonge ont un impact sur nous, ils nous font souffrir car ils sont des failles dans l’harmonie du monde. De cela aussi, nous reparlerons en détails » Il prit une inspiration plus calme, ayant un peu de mal à tenir un si long discourt, déglutie, puis reprit. « Ils ne peuvent pas. Leurs esprits ne conçoivent pas le monde comme nous le faisons. Mais la véritable et plus profonde raison est leur condition de non-morts. Ils possèdent des ondes, peuvent entendre les ondes si on leur montre, mais n’ont pas la capacité de le faire par eux même, hors la capacité à entendre ces ondes vibratoires est la base même de notre magie »

Nouvelle pause, avant qu’il continue, avec un sourire fatigué « Et enfin, oui, j’ai regardé ton chant-nom, même si entendu serait un meilleur terme. Nous avons tous un chant-nom et il apprend énormément de chose »

Effrayant… c’était un terme qui revenait de plus en plus souvent, ces derniers temps, avec les chants-nom. Il lui semblait qu’Eliowir l’avait utilisé. Ainsi qu’Atalos, le dragon d’or. Lui avait même demandé comment il pouvait se protéger de la magie Baptistrale. Une impossibilité, ou presque. Se protéger de son chant-nom n’était pas possible, comme Lorenz l’avait appris. Il s’agissait d’une chose immuable et puissante, tellement intime et attachée aux individus qu’elle en devenait indissociable. Peut-être était-ce effectivement effrayant. Sensible, en tout cas c’était certain. Ce n’était pas n’importe quelle magie ni n’importe quel acte magique que de venir agir dans l’être même de quelqu’un… avec ou sans accord, d’ailleurs. Oui, effectivement, cela devait être effrayant. Ce n’était clairement pas rien… et surtout, c’était incompréhensible pour beaucoup. Il ne pouvait nullement les blâmer après tout. Il serait en bien mauvaise posture s’il le faisait, ce serait de mauvaise foi. Hors la mauvaise foi était une forme de mensonge qu’il détestait encore plus que le direct tant il était parfois culoté. Bien sûr, il n’allait pas prétendre ne pas avoir joué de culot une ou deux fois, plus particulièrement avec cette histoire de diamant de pureté. Oui mais ce n’était pas pour autant la même chose, il ne le faisait pas pour avoir raison ou pour toute autre raison purement égoïste. Il l’avait fait pour une raison qu’il estimait suffisante. Ni bonne, ni mauvaise… il ne jugeait pas en fonction de cela. Mais elle avait été suffisante et motivée et c’était énorme. Même si les conséquences en étaient… Bref. Pas besoin de revenir là-dessus. C’était fait et il ne regrettait pas sa décision, seulement ce qui avait suivis. L’observant avec intensité, les yeux gris rivés sur l’elfe en face de lui, sans quitter son sourire courtois. « Elle sera aussi désagréable pour toi, la première fois. Apprendre la théorie et vivre la pratique sont deux choses différentes, tu le sais, et l’art Baptistral ne déroge pas à cette règle. Shaynar, comme tous dragons, a la possibilité de s’approprier la magie de son lié, ou presque-lié dans mon cas. C’est un phénomène naturel même si mystérieux. Shaynar voulait vraiment comprendre quelqu’un, et est entré dans ma magie sans le vouloir, instinctivement. Comme tout non initié à l’art Baptistral, il n’a rien pu comprendre de ce qu’il a trouvé en elle »

Il marqua une pause puis reprit « Tu sais que notre magie se base sur le chant et les sons. Tu comprends aussi que chaque chose, être, a un chant-nom, même si tu ne sais pas ce que cela représente ou ce que cela contient. Maintenant, imagine : toute chose en ce monde possède un chant-nom que les Baptistrels entendent à chaque instant, perçoivent à chaque instant, comme autant de musiques lancées en même temps. Des musiques dont les notes sont magie et vibration, de sorte qu’il faille pouvoir les interpréter et les comprendre un à un pour faire sens de l’ensemble. Imagine-toi des milliers d’orchestres jouant en même temps, et t’obligeant à porter attention à chacun également. Des orchestres que tu ne peux faire cesser à aucun moment, que tu ne peux qu’écouter… Voilà ce qu’un baptistrel vit, à chaque seconde de son existence, depuis l’instant de son serment. Imagine-toi maintenant qu’au début, lorsque le Cawr vient juste d’être assermenté, il doit encore se familiariser avec ces présences et parvenir à un équilibre qui prend parfois du temps à apparaître. Que serait-ce pour un dragon n’y connaissant rien et dont l’esprit est bien éloigné des méandres nécessaires à la compréhension naturelle des Baptistrels. C’est forcément désagréable. Mais pour pleinement achever notre union, il devra y revenir, mieux préparé cette fois, avec mon aide… Mais pas pour le moment. Dans ton cas, tu seras également préparé et je tenterais de t’aider autant que possible lorsque tu affronteras pour la première fois cette sensibilité propre à l’ordre… Je sais que l’expérience peut être terrible, parfois » Elle l’avait été pour lui à vrai dire. Quand Aramis l’avait laissé seul face à cette cacophonie, il avait bien cru devenir complètement fou… ou sourd, si ce n’était les deux. C’était quelque chose de profondément traumatisant. De choquant. Mais une fois habitué, on se plaisait dans cet univers tout de sons et de vibrations magnifiques… c’était magique oui, absolument merveilleux. C’était quelque chose qui l’adorait et dont il avait bien du mal à se passer.

« Pour en revenir à ce que nous pouvons faire et ce que nous ne pouvons pas faire, il te sera difficile d’en faire une liste complète là maintenant tout de suite. C’est un art de vivre, pas une simple leçon. Elle s’inculque par le travail sur toi, effectivement, mais également par ton apprentissage et tes découvertes. Tu auras du mal à réellement changer sans comprendre pourquoi il le faut » Il sourit brièvement « En réalité, nous pouvons blesser, dans certains cas. Involontairement, par exemple. Quand à faire des jeux de mots…. C’est plus complexe que cela. Nous ne pouvons pas déformer la puissance des mots. Leur justesse » Il chercha un exemple, en trouva un d’expérience « Si je jure à quelqu’un de ne jamais parler de son secret, je ne pourrais pas. En revanche, chanter n’est pas parler. Et à cela, il faut faire extrêmement attention, car chaque mot prononcé peut être une source de danger. Si tu dis à quelqu’un que tu ne le quittera jamais…. Tu devras t’y tenir, même si c’était une figure de style. C’est le principe le plus difficile à appliquer, rendre leur justesse aux mots. Vraiment. Ensuite, et bien… Nous prêtons assistance à tous, quel que soit le camp. Ce n’est pas non plus facile à appliquer pas plus que la non intervention. Nous ne pouvons influer plus que de raison sur les choix d’une personne. Nous pouvons le faire sans rompre notre serment, mais il faut avoir toute conscience de la portée de ce geste. Nous venons toujours en aide à ceux que nous croisons si le besoin est là… et… voyons quoi d’autre… et bien nous tâchons d’éviter l’orgueil et de partager les tâches même les plus ingrates. Il y a également les chants obligatoires, le matin et le soir, à des heures précises… » Il réfléchissait en même temps, pensif.

Il pensait comprendre. Et bien ce n’était pas trop mal pour un début. Sans doute reviendrait-il sur cette affirmation quand il serait confronté aux problèmes pratiques mais jusque-là ce n’était pas si mal. Chaque chose venait en son temps et hélas, apprendre toutes les règles auxquelles étaient soumis les baptistrels n’était pas une mince affaire et ne se faisait certainement pas en une fois. Il comprenait son envie de pouvoir les intégrer tout de suite mais il valait sans doute mieux qu’il comprenne et apprenne à les vivres plutôt que de tout simplement les engranger tout de suite sans qu’elles ne s’impriment en lui et qu’elles lui colle à la peau. Et même si lui-même tentait d’être le plus clair possible dans ce qu’il expliquait, certaines choses pouvaient très bien ne prendre un véritable sens qu’au travers de l’apprentissage qu’il allait subir. Lui donnant le temps de rassembler ses pensées, il se resservit un thé et le réchauffa d’une simple étincelle de magie, sans même y prendre véritablement gare tant il avait l’habitude de vivre avec cette chaleur en lui. Elle était une part intégrante de ce qu’il était après tout. Certaines questions étaient simples, parmi celles qu’il lui posait, d’autres en revanches ne l’était pas forcément. Il reposa la théière puis sirota son thé un moment avant de reprendre.

« Et bien oui et non. Les Alayiens sont avant tout des humains, comme ceux qui naissent en Armanda et de ce point de vue-là je pense qu’ils ont la possibilité de devenir Baptistrels s’ils ont le don nécessaire pour cela. En revanche leur morale et leurs actions ainsi que la façon dont ils sont fanatisés ne les tend pas vers notre ordre. Il n’y a pas de Baptistrels du Néant non, car ce que fait Néant est chaotique. Dès l’instant où cela est vrai il est impossible qu’un ordre comme le nôtre voie le jour chez eux. En revanche, si un Alayien venait à cesser sa croisade sanglante et cessait de vénérer Néant tels qu’il le fait actuellement, alors peut-être en aurait-il la possibilité même si j’émets personnellement quelques réserves. On ne sait jamais. Néant n’est pas mauvaise par existence… ce sont ses prises de parties et ce qu’elle inculque à ses fanatiques qui n’est pas correct » Il soupira. « Mais je doute que nous ayons une véritable réponse tant que la guerre aura lieu. Souvent la différence entre une ligne d’action en temps de paix et une ligne d’action en temps de guerre est criante pour une seule et même personne. Nous n’en savons pas encore assez sur ces envahisseurs ni sur Néant pour arrêter un avis définitif je pense… Qui sait ? Peut-être qu’un jour, nous inclurons Néant dans nos chants de serment… »

Il sourit à l’idée, c’était quelque peu étrange de penser ainsi mais oui effectivement, pourquoi pas ? On ne pouvait jamais vraiment savoir après tout, beaucoup de choses pouvaient se révéler ou changer. Il y avait encore beaucoup de zones d’ombres et d’indécisions, de questionnements. « Quand à tes premières questions et bien… » Il s’installa un peu différemment sur sa chaise, changeant l’assise de son corps pour un peu de confort direct « Non, les sanctuaires n’ont pas été construits pas les membres de l’ordre. Du moins, nous avons construit les bâtiments servant à la vie autours des sites mais les sites en eux-mêmes étaient déjà présents quand l’ordre a été créé. Ils étaient déjà là lorsque les elfes sont arrivés en ces terres, pour tout dire. Les premiers Baptistrels, à l’époque où il n’y avait pas d’ordre, ont été attirés par ces nexus de pure magie qui reliaient le monde aux esprits. Ils se sont établit autour d’eux en fonction de leurs affinités. Le plus étrange est l’Observatoire. Il existait déjà tel qu’il est aujourd’hui… un bâtiment sans pareil. Construit par qui ? Même son chant-nom ne peut nous l’apprendre, il est trop complexe. Pareil pour les gravures de la fontaine et le puits… Nous ne savons pas qui s’est occupé des premières constructions mais nous avons bâti en apprenant d’elle »

Il reposa sa tasse et croisa les bras « Tomingorllo est l’œuvre de mon ancêtre en revanche. Mais pour le reste, les sanctuaires sont des éléments naturels. Les sanctuaires sont l’essence même des éléments incarnés dans notre monde et une source immense de pouvoir. Un Baptistrel a porté de son sanctuaire lié dispose d’une source d’énergie inépuisable… C’est en partie grâce à cela, par exemple, que j’ai rétablis nos protections. Elles sont également liées aux sanctuaires. Si les membres de l’ordre devaient fournir un effort continu pour maintenir la barrière, alors ils ne pourraient pas faire grand-chose de plus. Les jalons sont intégrés à la structure de chaque sanctuaire. Chaque sanctuaire possède des propriétés singulières auxquelles nous avons accès, et que nous offrons également à nos visiteurs. Chaque sanctuaire a été conçu en écho au chant-nom des sites de puissance originelle… et ils suivent certains codes, enchâssés en eux. Fondamentalement, ce sont les éléments les plus précieux de ce domaine, plus encore que les monceaux de savoirs que nous avons accumulés. Sans eux, l’ordre serait extrêmement diminué car c’est également par eux que nous avons maintenu nos pouvoirs. Puisqu’ils sont le lien vers les esprits dans lesquels nous croyons et puisons notre force, ils nous sont l’égal des dragons pour la trame classique Armandéenne. Chaque sanctuaire est lié à un élément dont il est le nexus, l’incarnation… et chaque sanctuaire est aux soins des Baptistrels de l’élément en question. En général, c’est l’aîné des Baptistrels de l’élément qui est en charge, ou dans certains cas, le seul. Pour le puits par exemple »

Il reprit son souffle et déglutit légèrement avant de reprendre « Les sanctuaires sont saturés de vibrations et d’énergie mais ce n’est pas tout. Ils sont également des lieux où la barrière entre le monde vibratoire et le monde classique est plus ténue. Il est donc plus simple pour un apprenti d’entrer en Odhr lorsqu’il se trouve dans un sanctuaire. Dans chaque sanctuaire tu trouveras également des ouvrages sensibles, particulièrement en relation avec l’élément en question. Il en existe également qui ont été écrits directement avec de la magie vibratoire, et ne peuvent être lu que dans le sanctuaire en question. Tu y auras accès, lorsque nous entamerons cette partie de la formation. Ce que tu pourras également trouver, dans ces sanctuaires, sont des sceaux spéciaux que nous utilisons et qui ne peuvent être levés qu’avec un élément et un chant bien précis » Il s’arrêta là, penchant légèrement la tête « Tu suis, jusque-là ? Des questions te viennent ? »

Il y avait bien des manières d’apprendre, mais il avait toujours préféré que les échanges éducatifs s’effectuent en deux sens. A savoir qu’il y ait réellement un échange entre le maître et son apprenti, une circulation de l’information et des idées. Que l’on pose des questions et que l’on y réponde. Qu’on énonce des points de vue ou des croyances et qu’on les tests… bref, il fallait que les deux partis soient actifs. De son point de vue, c’était la seule façon de permettre une véritable compréhension. Pour cela cependant il fallait déjà construire une base solide et donner des éléments afin de permettre un quelconque fil conducteur. Et c’était précisément à cela qu’il s’employait. Ainsi, il présentait de son mieux aux questions qu’on lui posait en faisant abstraction de sa propre habitude et de ce qu’il avait appris au cours de ses années afin d’être le plus concis et clair possible…. Ce qui n’était pas forcément évident non plus. Aussi, en l’écoutant renvoyer des questions, il hocha la tête et commença à réfléchir à la manière dont il pourrait répondre à cela. Pas simple non, on touchait des concepts quelque peu abstraits. Et surtout potentiellement compliqués… Mais il fallait qu’il fasse de son mieux, c’était après tout son rôle de professeur.
« La magie vibratoire est la magie Baptistrale, oui. Chaque son est composé de nombreuses vibrations qui s’imbriquent en un enchaînement unique. Chaque son peut donner une note ou une série de notes. Et les notes, filées entre-elles, deviennent des mélodies qui sont nos outils magiques. Ce que nous appelons magie vibratoire est donc la même chose que ce que la plupart des individus appellent magie Baptistrale. Note cependant que la magie vibratoire va plus loin, et que la magie Baptistrale n’en est que la seule utilisation connue. Il pourrait en apparaître d’autres, un jour »

Il fit une pause un instant avant de poursuivre « La magie Baptistrale n’est pas uniquement composée de chants. Nous obtenons des effets avec de simples notes isolées également. Avec les notes majeures, la plupart du temps. Tu les connais ? Ela, Alya, Oen, Ys, Alea, et Dia… elles ont chacune une signification et des pouvoirs propres qui agissent sans avoir besoin d’un chant. Elles sont constituées de vibrations, comme toutes les notes mineures » Il sourit légèrement à ça, se rappelant la façon dont il avait arrêté net Kylian dans sa course avec une seule note. Un joli moment. « Les deux mondes, classique et vibratoire, sont superposés, ils existent en même temps, imbriqués l’un dans l’autre sans capacité de dissociation. Nous existons tous dans ces deux mondes, mais nous n’en percevons pas toujours tous les aspects. Toi qui n’a aucune formation ne peut ressentir ta présence dans le monde vibratoire ou son existence. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas ou que tu n’influe pas dessus. Moi je perçois les deux mondes simultanément. » Un peu obscure, certes, cela devenait plus cohérent lorsqu’on avait conscience justement de ces vibrations…

« Pour finir, une Odhr est effectivement une transe. Une Odhr est un état de perception dans lequel le Baptistrel ouvre ses sens au monde extérieur, lui permettant de ressentir… comment pourrais-je dire cela ? De ressentir sa place exacte. L’Odhr est une réminiscence sur soi de la place que l’on occupe et du réseau vibratoire. Durant cette transe, le Baptistrel joue ou chante en boucle un air donné, en étant parfaitement immergé dans les tenants et aboutissants de sa performance. Cela permet d’en multiplié l’effet par deux, au moins. Cependant, une Odhr est à ce point puissante et complète que la briser de l’extérieur, par un tiers, signifie la mort du chanteur…. » C’était un sort terrible mais qui n’était qu’un juste retour des choses au vu de ce dont il s’agissait. Il fronça les sourcils un instant, ayant le sentiment d’avoir oublié quelque chose, puis en s’en rendant compte, manqua le couper. « Oh pardon les sceaux oui …. J’avais presque oublié. Oui, certains ouvrages portent des sceaux spéciaux, une musique vibratoire qu’il faut savoir jouer afin de permettre de les lire. Ce sont en général des ouvrages sensibles… voir dangereux »

Les notes étaient l’une des principales bases de la magie Baptistrale et le commencement d’à peu près tout ce qui constituait les chants classiques associés à l’ordre, ceux détenant un quelconque pouvoir. Elrond aurait besoin de les étudier pendant de longs mois afin d’être certain de les maîtriser correctement. Pour certaines, les nuances étaient véritablement infimes et nécessitaient une oreille entraînée et des sens pleinement éveillés. Mais cela viendrait en temps voulus, lorsqu’ils se pencheraient plus amplement là-dessus.

« Je peux t’en parler oui, mais nous nous y consacrerons réellement plus tard. Ces notes sont la base des chants Baptistraux, chacune présidant à quelque chose de singulier. Ela, la note des cinq vents est un symbole de liberté. Alya est la note de l’altruisme, de la protection et de la vie. Alea, jumelle d’Ela, est la note de l’entraide, de la loyauté et de la force commune. Ys est la note des passions et du courage. Oen est la note des changements profonds, des esprits, de la mort… et enfin, Dia est la note de l’intervention, de la neutralité, du lien et du savoir. Chacune préside à certaines vibrations et possède une cohorte de notes mineures, des nuances venant écrire par exemple les détails de la vie d’un individu dans son chant nom. Chaque chant possède une note majeure au minimum, et de nombreuses notes mineures. Ils ne gagnent de nouvelles notes majeures qu’après certains évènements particulièrement importants. C’est d’ailleurs souvent ainsi que l’on peut juger d’une péripétie de la vie d’un individu dans les chants-noms. Les évènements réellement important sont marqués par des notes majeures, le reste se décompose en notes mineures. Nous plaçons également chaque chant sous l’égide d’une note afin de faire subtilement varier son pouvoir, le socle du chant est son essence, la note son esprit et sa volonté. Enfin, tu peux utiliser chaque note seule en fonction des situations, mais pour cela mieux vaux connaître parfaitement leurs capacités, et évidemment savoir comment privilégier une capacité plutôt qu’une autre. Pour arrêter la course de quelqu’un, tu pourras par exemple user de Dia comme note d’intervention. Voilà ce que je peux te dire sans véritablement rentrer dans le fond du sujet. Sache que la maîtrise de ces notes sera une de tes leçons les plus importantes et les plus longues. Mais elle est également le premier pas vers l’apprentissage de la magie Baptistrale en elle-même »

Il interrompit son discourt pour boire un peu de son thé puis reprit, sur un sujet différent. « Tu verras, en apprenant auprès de nous, que toute chose est dangereuse de bien des façons, plus profondément même que quiconque pourrait le penser et que des actions, des évènements pouvant paraîtres dérisoires, sont en réalité les points d’orgues d’une considération bien plus large. Oui, il y a plus dangereux que les chants-noms ou le thème perdu. Je pourrais pas exemple te citer la bibliothèque du second étage de Tomingorllo… je puis t’assurer que tu ne voudrais pas absolument pas voir le pouvoir qu’elle abrite se répendre dans le reste d’Armanda, il est déjà suffisamment délicat à contrôler dans une seule pièce. Souvent, ce sont des travaux non achevés, ou des sortilèges jugés trop instables mais il en existe également, liés à chaque éléments, des secrets conservés par les Cawrs les plus avancés dans leurs études des éléments et du monde, qui ne sont pas à mettre entre n’importes quelles mains. Lorsque j’ai accédé aux ouvrages controversés de la bibliothèque du feu, j’ai été très surpris par la nature de ces sortilèges qui allaient pourtant à l’encontre de l’essence de l’ordre. Ils existent car ces potentialités existent mais c’est tout. Il ne fait pas bon s’enfoncer trop profondément là-dedans sans savoir exactement à quoi s’en tenir » Sans compter qu’il fallait également savoir pourquoi ils restaient pacifistes. C’était si simple de penser le contraire, en fin de compte.

« Voilà ce que je peux te dire pour le moment à ce propos. Tu en découvrira davantage dans le futur, bien entendu et tu ne cesseras jamais d’ailleurs tout au long de ton existence si tu viens à obtenir le titre de maître. Notre magie est encore pleine de mystères »

En cela, ils divergeaient totalement, mais ce n’était que le naturel de chacun. Il ne croyait pas que l’on ait forcément besoin d’exister pour un but ou une utilité, que la vie ne devait nullement s’y contraindre et si enchaîner. Une existence était une fin en elle-même, seul le flot des évènements décidait du reste, au final. Mais ce n’était pas forcément un concept qui plaisait à tous. Peut-être sa pensée était-elle simplement influencée par le fait qu’il n’appréciait pas d’être prit pour un jouet dans les trames d’un quelconque destin. On lui avait plusieurs fois dit qu’il était son petit favori, lui n’y croyait pas. Quelqu’un comme lui ? Il n’avait rien de singulier pour cela. Il avait toujours pensé qu’il avait simplement été au mauvais endroit au mauvais moment, rien de plus. Balayant cette considération, il écouta Elrond tenter de s’exposer puis hocha légèrement la tête sans cesser de sourire. « C’est cela en essence. Cependant prend garde, ce qui est important pour les uns ne l’est pas forcément pour les autres… Il y a certains degrés d’importance naturellement établis, et d’autres s’adaptant à chaque être. Ce qui pourra faire changer la vie de quelqu’un ne sera peut-être qu’un évènement mineur pour un autre. Je prends l’exemple du garde humain : un homme comme le commandant des lames noires, un fanatique dont la loyauté a commandée toute sa vie, aura certainement la note Ela. Tous les gardes auront-ils cette note pour autant ? Non, car cette loyauté n’est bien souvent pas ce qui prime dans leurs vies. C’est pareil pour l’amour. Tu ne sais pas forcément ce qui va réellement faire changer et évoluer un être, le grandir ou l’abaisser. Ensuite, si plusieurs notes peuvent illustrer un même évènement, c’est la conséquence de cet évènement qui prime. Ainsi, une vampirisation peut souscrire à la note d’Oen comme elle peut produire la note Ela si cette vampirisation est une source de liberté suffisamment importante pour l’individu » Pour beaucoup, pour tous en vérité lui y comprit, il était difficile de ne pas se prendre comme exemple, de ne pas contempler le monde au travers des yeux d’un individu qui, au-delà de l’ethnocentrisme, centrait sa vision du monde sur sa propre personne. C’était naturel et il fallait travailler sur cela afin d’avoir une vision plus objective des choses mais ce n’était jamais simple pas même pour des maîtres rôdés depuis longtemps à ce genre de pratiques. C’était difficile, un sujet, une pratique, difficile, aussi difficile à exprimer qu’à expliquer, qu’à comprendre… ils y reviendraient effectivement en temps voulu quand d’autres choses auraient un peu facilité tout cela. La question finale le fit légèrement rire et il lui décocha un regard pétillant d’une bonne humeur qui transcendait sa fatigue. « La musique, mon cher…. La musique »

( Rp terminé si cela te va ? ^^ )