Depuis combien de temps étaient-ils en fuite ? Depuis combien de temps les vampires n'avaient pas pu se nourrir ? Pour Kylian elle ne savait pas mais pour elle ça faisait déjà trop longtemps que sa dernière victime, un Alayien un peu trop entreprenant, lui était passée sous les crocs lors de la fin du siège de Gloria. Soit le jour de la libération de l'empereur déchu des hommes et de sa sale bestiole à écaille qui la regardait toujours comme si elle allait la bouffer au moindre faux pas. Quatorze longues journées sans rien manger, et maintenant elle arrivait au bout de sa tolérance physique au manque de nourriture. Aucun humain n'aurait tenu autant, et pourtant elle avait continuer à pousser dès les premiers signes graves qui étaient apparus au dixième, signes qui l'alertaient de l'urgence de la situation et de la nécessité de se mettre en chasse le plus rapidement possible.

Elle ne devait pas céder, ce n'était pas vraiment le moment de montrer aux humains son besoin de sang alors qu'ils commençaient à peine à avoir un semblant de confiance. L'autre vampire tenait bien le coup, mais après tout il avait certainement le double de son age ce qui lui donnait un avantage certain sur sa jeunesse malgré le fait qu'elle y ait été habituée. Elle ne devait donc rien montrer, jouer son rôle à la perfection pour ne pas emmener une quelconque hostilité à son encontre. Mais déjà le onzième jour, une partie de ses instincts sauvages avaient repris le dessus et un soldat un peu trop zélé qui s'était montré violent envers elle avait faillit passer à la casserole et elle ne s'était contrôlée que par on ne savait quel miracle en passant sa frustration sur les testicules de ce dernier qui avait osé la toucher avec sa lame pour la forcer à s'éloigner de l'empereur. Elle l'avait laissé gémir avec une voix de castrat avant de s'isoler. Car oui c'était encore le meilleurs moyen de ne pas céder à la tentation.
Le douzième jour, un pauvre renard qui passait par là avait servit de repas à la vampire, qui par dépit avait préféré attraper le premier animal qui passait. Grand mal lui en prenne ! En plus d'un gout complètement immonde qui pour comparer à de la nourriture humaine était l'équivalent d'une chaussette portée deux mois d’affilée - répondant ainsi à l'énigme "Qu'est-ce qui pue et qui est loin du nez ?" - sans être lavée faisant passer cette dernière pour du petit lait, son corps avait rejeté avec violence la faible quantité de sang qu'elle avait pu se forcer à ingurgiter, l'immobilisant pendant plusieurs heures face à tant de douleur, la forçant à se réfugier dans un buisson à mordre avec force un morceau de bois qui n'en demandait pas temps pour ne pas hurler.

Les signes par contre eux ne trompaient pas, son pas était devenu plus lourd, et son corps semblait avoir repris une fragilité toute humaine qui n'était pas feinte cette famine forcée l'affaiblissant à chacun de ses pas. Elle évitait également de porter son regard sur les humains, les évitant comme la peste, d'ailleurs elle prenait également le soin d'éviter l'autre vampire pour ne pas qu'il la voit dans cet état assez honteux pour quelqu'un de sa race, craignant que potentiellement ce dernier n'en profite pour s'en débarrasser discrètement et sans beaucoup d'efforts.

Cette nuit là annonçait la fin du quatorzième jour alors que la douleur de la privation commençait à être intenable, alors que son instinct de survie reprenait le dessus pour l'inciter à aller égorger un des humains qui l'accompagnaient depuis le début. Sa résistance à cette folie était mise à rude épreuve et malgré tout elle tenait encore bon. Mais jamais elle ne passerait l'aube sans mordre quelqu'un. Elle s'était réfugiée à une centaine de mètre du campement, cachée derrière un arbre et recroquevillée entre les racines de ce dernier comme si cela pouvait changer quelque chose. Ses crocs lui faisaient mal, sa salive en était amère lui rappelant avec force que la seule manière de les apaiser était le cou d'un des humains non loin de là. Cette douleur lancinante remontant le long de sa mâchoire jusqu'à sa tête emmenant avec elle ces vagues de folie qui menaçaient d'engloutir sa raison tel un navire au mat brisé tentant de survivre au milieu d'une mer hivernale déchainée avec à son bord un seul et unique marin désespéré en capacité de conduire ce dernier. Sa raison était ce marin qui s'enchainait à la barre pour ne pas passer par dessus bord, mais ce qui devait se produire finit par arriver...

Les dernières tentatives complètements inutiles qu'avaient les plus jeunes qui étaient complètement affamés : planter leurs crocs dans leurs propres veines dans l'espoir de s'apaiser quelques minutes de plus en ayant leur propre sang dans leur bouche. Cela ne retardait même pas l'inévitable mais avait le mérite de leur permettre de sombrer avec moins de douleur. Elle sentit le peu de sang visqueux et sans gout disponible couler sur ses lèvres alors que la douleur de la morsure lui ramenait un semblant de raison et satisfaisait temporairement ce besoin de mordre.

Une ombre s'était approchée, et elle ne la sentit que trop tard. C'était trop tard pour qu'elle puisse fuir, la faisant décoller de son poignet mutilé, lui faisant oublier pour quelques instants ce qu'elle s'était fait et son propre sang souillant ses lèvres et sa joue. Elle se releva avec une brutalité digne de son statut, la faisant reculer de quelque pas de cet ombre que les vagues de folie l'empêchaient de reconnaitre convenablement, la faisant osciller entre l'illusion et la réalité, transformant le visage du vampire en face d'elle en celui d'un autre homme, la peur de se faire remarquer l'emmenant inconsciemment à revoir les visages qui l'avaient le plus terrifié dans ses deux vies.

Elle tendit la paume de sa main tremblante et recouverte de sang noir en direction de cette ombre aux multiples faciès pour l'empêcher d'approcher plus.

"Ne... Ne t'approche pas !"

Sa voix tremblait d'un mélange d'émotions quasi indescriptible rappelant celle de personnes en train de perdre la raison et complètement effrayées au bord du désespoir qui faisait généralement réfléchir à deux fois ceux qui tentaient quoi que ce soit à leur encontre.

"Je... Je t'ai tué !" Elle reprit comme son souffle pour les mots qui suivraient Tu n'as pas le droit d'être là !"

La mécanique du délire de famine chez un vampire dépendait grandement de son passé, et chacun d'entre eux réagissait différemment. Chaque crise était unique, changeantes et cruelles ramenant parfois le subconscient et les souvenirs engloutis de la personne que le vampire était avant. Dans la plupart des cas ils régressaient au même stade sanglant que les premiers jours de leur transformation, allant jusqu'à oublier leurs années d'expérience de chasse les rendant vulnérables. Mais qu'en était-il pour une vampire que l'on avait habitué à cet état et surtout à laquelle on avait appris à être humaine ? Pour laquelle ses maitres s'étaient acharnés à lui faire revenir une partie de ses souvenirs humains pour qu'elle puisse aisément se faire passer pour l'un d'eux ? Le résultat était certainement bien plus catastrophique, car malgré le fait d'avoir la prédatrice parfaite, lorsque le contrôle était perdu on obtenait quelque chose de très instable. Et cette instabilité pouvait ramener le vampire en question au stade d'humaine terrifiée par ses propres crocs et les autres vampires, en résumé, la renvoyer au stade de simple proie alors qu'elle est le prédateur.

Il l'avait retrouvée et essayait de la rassurer, cet autre vampire qu'elle connaissait à peine et son discours était mesuré, ayant grande chance de faire mouche face à n'importe quel délire de famine puisque ce dernier se présentait souvent de manière progressive avant de littéralement exploser. Mais au moins il y avait des signes avant coureurs bien plus flagrants et alors que la veille elle semblait aux premiers stades, il en était tout autre dans la réalité et l'on pouvait facilement comparer ça à la digue, retenant de l'eau, l'empêchant de se déverser sur les villes et les plaines.
Cette digue était résistante, vaillante combattante face à l'érosion et bien entretenue. Sauf que la digue venait de passer des mois en pleine tempête et le mortier commençait à s'effriter, les premières pierres à être arrachée et les premières fuites à se déclarer. Sauf que le seul signe visible depuis l'intérieur des digues était les petites fuites sans grandes conséquences pour une personne ne connaissant pas le mécanisme, et Kylian était cette personne. Il ne connaissait pas assez Veren et naviguait à vue.
Quand une digue présente les premières fuites, on sait que si ça continue elle va finir par céder. On sait qu'elle va le faire, mais on ne sait ni quand, ni comment. La seule assurance que l'on a c'est dès que la première pierre cède, que la première voie d'eau se déclare, la force engagée emmènera obligatoirement d'autres pierres avec elle et créera une vague sans précédent. Et à ce stade, il venait de voir la première pierre céder alors que le flot continu et puissant se déversait sous ses yeux. Il était déjà trop tard pour la raisonner et il s'en apercevrait bien vite !
La folie avait pris pied et ne souffrait d'aucune résistance, si bien que le regard perdu disparu quasi-complètement laissant place à une respiration courte et rapide. Elle avait régressé encore plus loin, s'en était certain.

Alors qu'il prononça son nom d'emprunt il n'eut droit qu'à un regard remplit d'incompréhension. Ses souvenirs remontaient à la surface, mais étaient immédiatement engloutis et dispersés par une nouvelle vague ne laissant que des débris de ces derniers flotter à la surface d'une eau boueuse. Le point positif était qu'elle reconnaissait la personne, le nom avait ramené cet élément à la surface mais pas ce qui était lié avec.

"Qui... Qui est Sylira ?!" Elle eut un instant d'hésitation. "On ne se connait pas ! Mon nom est... A... Est... A..."

Un bloquage mental certainement, un instinct de conservation l'empêchant de terminer sa phrase et de révéler son nom réel. Ce n'était pas avec une simple lettre qu'il pouvait le trouver et encore fallait-il qu'il comprenne que ce ne soit pas lié à un autre mot.

"Ce n'est pas mon nom !" Conclut-elle à ce sujet.

Au moins elle gardait un semblant d'esprit logique, car même avec les blocages elle ne passait pas du coq à l'âne. Enfin, si elle y passerait vu qu'un mot attira particulièrement son attention, la faisant s'immobiliser quelques instants que la nouvelle fasse le tour de sa mémoire. Il lui proposait de chasser entre vampires ?! Il était un vampire ?! Ok, là tout de suite elle avait des raisons de paniquer ! On lui avait dit que les vampires étaient dangereux pour les prostituées car elles étaient des proies faciles et on s'était arrangé pour nourir cette peur afin qu'elle se méfie de ses clients. Mais là... La, elle était la proie !

"Ne... Ne t'approche pas ! Pitié !"

Le dernier mot s'étrangla dans sa gorge, trahissant la panique toute humaine remontant dans son corps. Elle avait perdu cette agilité vampirique comme le prouva son premier pas en arrière maladroit faisant écho au pas en avant du vampire. Peu importe les mots du vampire en face d'elle, dans son état elle ne pourrait pas les entendre.

"Je ne veux pas mourir." couina-t-elle.

Le second pas en arrière la fit trébucher et lourdement tomber sur les fesses. Sa respiration s'accéléra sous l'effet de la panique alors que cette dernière avait pris le contrôle de ses mouvements, la faisant reculer jusqu'au premier tronc d'arbre contre lequel elle se recroquevilla comme s'il allait la rassurer de par ses branches et son écorce. Elle passa sa main sur son visage comme pour se cacher les yeux face à la mort inévitable que représentait le vampire en face d'elle pour sentir quelque chose de froid et visqueux sur ce dernier, l'essuyer et regarder avec horreur ce dont il s'agissait : du sang noir de vampire. Elle se figea comme si ses souvenirs tentaient de se remettre en place, mais la folie aidant elle alla jusqu'à s'imaginer que ce n'était pas le sien. C'était impossible, elle était humaine !
Son regard se posa ensuite sur son poignet ensanglanté, d’où elle tenta frénétiquement d'en retirer le sang avant de s'apercevoir qu'en fait ce sang n'était autre que le sien. Elle avait été mordue et son sang était déjà noir et c'est avec terreur qu'elle le remarqua, étouffant un couinement plaintif alors que l'information fit son chemin. Ce vampire l'avait mordue et l'avait changée en monstre ! Sa respiration haletante s'arrêta dans un hoquet de surprise, alors qu'elle portait ses doigts à sa bouche rencontrant inexorablement les crocs prédateurs et tranchants dont elle avait oublié la présence, s'y coupant d'ailleurs la lèvre inférieure par ce geste brusque lorsqu'elle les sentit.

"Pour... Pourquoi ?" couina-t-elle de nouveau.

Le regard qui s'était posé sur le vampire semblait le supplier, elle était perdue, elle ne comprenait pas ce qui lui y arrivait et surtout pourquoi elle. C'était comme si elle venait de vivre sa transformation, justifiant par ce biais ce besoin instinctif et fort de sang que tous les nouveaux nés ont. Elle était quelqu'un d'autre, elle était l'humaine d'il y a plus de 50 ans, avant qu'elle ne s'aperçoive de qui était réellement ce client, qu'elle avait tué et dont il était questions quelques instants plus tôt, l'ayant poussée à offrir son sang à un vampire et d'en devenir un volontairement, rongée par la vengeance et la haine.

Le pauvre Kylian était dans une situation plus que délicate, il ne la connaissait pas assez pour comprendre comment faire revenir les bons souvenirs ou simplement comment la calmer, puis la forcer à se nourir pour qu'elle puisse redevenir celle qu'elle était. En espérant qu'elle ne passe pas par toutes les étapes de sa vie ! Mais déjà une chose était sûre, pour que la folie l'emmène aussi loin dans son passé, ce qu'il y avait entre les deux ne devait pas être très joyeux.

Il disait qu'il ne lui ferait aucun mal, il l'affirmait. Ce genre de paroles pouvaient se retrouver rassurantes dans les oreilles d'une humaine rassurée par un autre être humain, mais dans ce cas là rien n'était normal et ne pouvait se passer comme il le devait. C'était un peu comme si le dirigeant d'une ville se mettait à affirmer "gardez votre calme, il n'y a aucune raison de paniquer" ce qui pour des persones un tant soit peu critique, donne réellement une raison de paniquer ! Ainsi se renferma-t-elle encore un peu plus sur elle même, trouvant une sorte de refuge contre l'écorce rugueuse de cet arbre qui n'avait rien de rassurant, ni même d'utile pour la protéger malgré son tronc puissant.

"Je... Je ne veux pas ! Je... Je veux un avenir...

Oui, elle était au stade ou elle était l'humaine qui souhaitait un avenir doré, trouver un époux aimant qui la sorte de la prostitution et la libère de ces chaines horribles qui l'enserraient. Elle était dans ses rêves de jeune fille avant que la réalité ne finisse par la rattraper et les efforts magiques du vampires ne parviendraient que difficilement à la ramener vers sa réalité sanglante et ses souvenirs de comment elle était devenue ainsi. Il s'était approchée d'elle sans qu'elle ne le remarque pour finir par tendre une main secourable, les explications qu'il avait tenté de fournir pour la ramener à la raison avaient coulé sur elle comme de l'eau ou alors étaient passées par le filtre de la folie pour ne lui faire entendre que ce que son esprit perturbé et complètement détraqué souhaitait lui faire entendre.

Elle finit par cesser de trembler après une sorte de sursaut, comme si une partie de sa mémoire lui revenait, comme si les mots du vampire en face d'elle avaient fait mouche et son regard embrumé par la terreur s'était quelque peu éclarcit par celui plus proche de la vampire qu'elle pouvait être, mais avec quelque chose de différent... De plus jeune, comme un mélange de la personnalité humaine qu'elle avait pu montrer et de la vampire qu'elle était. Un mélange causé par la folie empêchant de savoir si c'était réellement du lard ou du cochon, de savoir si c'était vraiment sa réalité ou quelque chose qu'elle avait inventé de toutes pièces pour avoir un pied plus stable sur sol.

D'un geste doux et d'une agilité toute vampirique elle attrapa la main de Kylian. A la grande surprise de cet dernier, il n'y avait plus de peur et la vampire se jeta immédiatement dans ses bras pour l’enlacer, déposant sur les lèvres de ce dernier un doux baiser de... Gratitude ?! Ce n'était à plus rien y comprendre ! Elle semblait le maudire quelques instants auparavant et maintenant elle le remerciait ?

"C'est grâce à toi que j'ai pu me libérer." La voix était douce, neutre et vampirique ne laissant que transparaitre qu'une pointe de joie comme émotion. "Les crocs que tu m'as offert m'ont permis de le faire et tu as ma gratitude éternelle."

Il pouvait sentir intérieurement qu'il la possédait au moins pour quelques instants, un peu comme s'il l'avait changée lui même et que cette dernière, ou tout du moins l'humaine qu'il avait cru voir quelques instants auparavant dans ses yeux avait souhaité devenir une vampire. Au moins maintenant sa folie lui permettait d'accepter sa nature, mais peut-être même un peu trop, car elle était galvanisée par ses nouveaux crocs et certainement par une faim sanguinaire digne d'un nouveau né qui justifiait l'état dans lequel elle était à ce moment même.

"Chassons, fêtons ce don que tu m'as fais dans le sang."

Les derniers mots étaient lourds de sens, imprégnés d'une sensualité aux sens cachés signifiant qu'il n'y aurait pas que son sang et celui des proies qu'il pouvait avoir. Il pouvait la posséder toute entière à ce moment précis, comme si elle lui confiait son corps, sa non-vie ou même son esprit ce qui la rendait d'autant plus dangereuse, surtout si elle retournait vers le campement, ou ême simplement s'il venait à faire un mauvais pas ou un mauvais choix à son encontre tant qu'elle ne changerait pas de personnalité.

Elle était galvanisée par sa "nouvelle" nature et par cette soif de sang qui l'appelait à faire des folies, à découvrir de nouveau ce gout exquis pour la seconde fois. Elle était dangereuse, et bien plus qu'il ne pouvait le penser, car elle n'était pas un nouveau né et inconsciemment elle contrôlait bien mieux ses sens que ces derniers qui apprenaient encore à chasser et qui n'arrivaient pas à repérer une proie cachée juste à côté d'eux.

Les mots que prononcèrent le vampire en face d'elle ne réussirent pas à l'atteindre alors qu'elle inspirait lentement, les yeux mis clos comme pour sentir l'odeur d'une proie. Elle avait sentit une odeur, c'était indéniable et déjà Kylian pouvait sentir que la vampire en face d'elle avait flairé celle d'un repas. D'un repas tout proche ! Oui, il ne pouvait que la garder à l’œil car elle ne s'écartait pas de lui du moindre centimètre même s'il venait de la repousser. Non, elle ne passerait pas devant ! C'était hors de question et il put clairement le sentir alors qu'elle se rapprocha de nouveau de lui, le sentant cette fois à pleine narine ! Elle venait de percevoir une odeur, de sentir quelque chose qui l'intriguait et l'intéressait au plus haut point, et à ce stade de son évolution cela ne pouvait être que de la nourriture ! Elle resta immobile et silencieuse à le humer avec insistance avant de finir par prendre la parole.

"Tu sens la proie. Tu veux bien partager ?"

Ce n'était pas une vraie question, il devait partager. Cependant il ne voudrait certainement pas partager ces proies là car l'odeur qu'il portait sur lui n'était d'autres que celles des personnes du campement qu'elle avait voulu "protéger" en s'éloignant, et plus particulièrement celle dont Kylian avait de plus fort sur lui : celle d'Esmelda. ET il aurait certainement beaucoup de mal à s'en défaire car déjà elle humait l'air autour d'elle, comme pour capter les résidus qu'il pourrait y avoir. Portés par le vent ? Emportés par le vampire ? Seuls les esprits pourraient témoigner et comprendre ce qu'elle sentirait ou même si ses souvenirs de celle qu'elle était normalement finiraient par la faire revenir sur ses pas.

Elle semblait piaffer d'impatience, toute joyeuse à cette chasse ou plutôt à ce partage de proies dont le vampire portait les odeurs. Elle s'était accrochée à son bras, calant ce dernier entre ses sens et s'y appuyant dessus avec insistance comme le ferait une enfant avec un de ses parents pour avoir la sucrerie sur l'étal devant elle, car oui, les proies étaient cette fameuse sucrerie si appétissante qui ne manqueraient pas de la rassasier, et déjà elle tirait le vampire dans la direction opposée de là ou il voulait la faire aller en la faisant passer devant.

Elle n'était pas dupe, les vampires étaient territoriaux, elle était territoriale car bien qu'ayant proposé de les partager, son état ne lui permettrait pas de le faire malgré toute la bonne volonté du monde. Autant dire qu'elle ferait un véritable carnage si ce dernier la laisserait faire et il avait intérêt à trouver un moyen de la contrôler le plus rapidement possible s'il voulait éviter une catastrophe innommable.

"A moins que tu ne veuilles pas."

Le ton avait perdu de sa bonne humeur et n'était plus du tout joueur. Il était prédateur, froid et sombre comme l'étaient tous les nouveaux nés. Non, s'il ne voulait pas partager ou qu'il ne la remettait pas à sa place alors elle essayerait de prendre le dessus, leur fameuse "loi du plus fort" était inscrite dans leur sang obscur et ce dernier s'exprimait avec toutes les forces de la faim.

Il ne voulait pas partager et en plus il la rejetait ? Elle aurait pu avoir des émotions qu'elle aurait certainement fondu en larme ou piqué une crise de rage de par son petit cœur brisé. Mais ce ne fut pas le cas, elle était une vampire et ne souffrait pas de ce genre d'émotions ni même de considération surtout quand on parlait de nourriture à ce stade de la faim, ou à n'importe quel stade tout court d'ailleurs. S'il voulait l'empêcher de se nourrir alors il le payerait très cher, car même si de nature elle n'avait jamais été violente, cette dernière pourrait se manifester sans prévenir et avec une brutalité toute vampirique ! Heureusement pour lui, il ne tenta pas de la contraindre physiquement mais eut le malheur de lui tourner le dos quelques instants de trop, quelques instants qui suffirent à la vampire pour lui fausser compagnie sans autre forme de procès ! Il ne voulait pas partager ? Tant pis pour lui, elle ne partagerait ses proies avec lui !

Cependant il ne l'entendit pas vraiment de cette oreille, et à l'aide d'une magie des ombres il l'empêcha de faire un pas de plus. La saucissonnant littéralement à l'aide d'une corde visiblement elfique que sa force vampirique ne réussirait pas à briser. Oh, bien entendu elle vociféra quelques peu avant de tenter par une habile tentative de le prendre par les émotions, c'est à dire qu'elle partagerait le repas avec lui, pour qu'il finisse par la relâcher. Mais rien n'y fit. Il finit par l'abandonner au pied de cet arbre qui l'avait vu "naitre" enfermée dans une bulle de silence et seule face à son propre sort qu'était certainement une mort par famine.
Si quelques instants auparavant elle était sure d'elle, ce n'était plus du tout le cas alors que la terreur certainement liée à une peur bien plus profonde que celle inspirée par une simple faim pris le pas sur la manière d'être de la vampire, tentant de rappeler son créateur à s'en faire cracher les poumons. Elle ne voulait pas mourir, pas comme ça, pas seule, pas affamée, pas... Pas...

Quand le désespoir finit par prendre le pas, elle se recroquevilla tel un petit animal blessé entre les racines de l'arbre a attendre que le temps passe et que la faim finisse son travail douloureux. Contre toute attente, il ne l'abandonna pas à son triste sort, déposant à ses pieds une proie encore vivante n'attendant que d'être dévorée par une paire de jolis petits crocs affamés, la détachant dans la foulée et semblant lui indiquer à contrecœur que cette proie lui était destinée

Elle essaya de poser son regard dans celui du vampire, qui se faisait d'autant plus fuyant qu'elle se rapprochait de la proie, comme n'osant pas la regarder faire. On voyait clairement qu'elle luttait pour ne pas accepter l'insulte qu'il lui faisait en lui ramenant un reste de chasse. Comme si elle était trop incompétente pour attraper ses proies toute seule. Mais la faim eut raison de l'esprit et de la volonté de la vampire dont les crocs vinrent se loger dans le cou de sa victime.
Le sang affluait dans sa bouche, coulant lentement mais surement dans sa gorge emportant avec lui une douce chaleur que son corps réclamait, lui faisant pousser des sortes de petits couinements de plaisir à chacune des longues gorgées. Elle sentait ce sang venir combler le vide dans son corps froid et mord pour y redonner une sorte de vie temporaire, elle le sentait remettre en place certains de ses souvenirs et y apporter le plaisir simple et vital de se nourrir.

Elle ne mit pas longtemps à vider complètement la proie, mais sa bouche et resta collée tant bien même que celle-ci n'avait plus rien à y offrir, comme dans l'espoir d'en tirer la moindre petite goutte afin de ne pas en perdre. Doucement, elle s'en détacha, léchant ce qui avait pu glisser le long de ses lèvres d'un mouvement lent de sa langue. Tournant son regard vers Kylian, elle se figea quelques instants, son expression de contentement devenant brutalement neutre, comme si ses souvenirs refluaient en même temps que le sang dans son organisme.
Doucement, elle passa sa main sur la gorge de sa victime, comme pour contrôler que cette dernière ne se changerait pas, puis lentement elle déposa les mains de cette dernière en forme de croix sur sa poitrine un peu comme on le ferait pour un proche qui viendrait de mourir. Elle ne semblait pas rongée par le remords comme l'était le vampire en face d'elle, mais cela n'empêchait pas un minimum de respect pour le repas.

"Je te remercie pour le repas."

Elle avait parlé à mi-voix, visiblement quelque peu honteuse et adoptant une sorte d'attitude soumise, de manière à éviter de s'attirer des foudres qui lui seraient certainement fatales face à un autre de ses congénères. Instinctivement Kylian pouvait comprendre qu'elle se soumettait à lui, d'une manière ou d'une autre il pouvait prétendre à une certaine autorité, de toute manière elle avait tout intérêt à la jouer fine car elle connaissait trop peu le vampire pour se permettre quoi que ce soit et ce n'était pas ses souvenirs confus de ce qui s'était produit qui allaient l'aider à le comprendre. Il ne lui restait plus qu'à attendre, voir comment les choses allaient se dérouler pour elle.

Son "compatriote" ne semblait pas avoir la même réaction que le commun des vampires face à la nourriture. Il semblait quelque peu... Dérangé ? Par le fait de se nourrir d'humains, ou plutôt des premiers humains venus, même si dérangé était un mot faible. Si elle n'avait pas à le remercier ? Il était dans le faux, il aurait pu simplement profiter de son état affaiblit pour la tuer sans autre forme de procès alors qu'au final il avait pris soin d'elle. Il lui présentait même des excuses pour que ça en soit arrivé à ce point.

Elle l'observa avec un air interrogateur, comme si elle ne comprenait pas ce qu'il pouvait vouloir dire pas là, ni même ou est-ce qu'il voulait en venir alors qu'il commençait à rassembler de quoi offrir une crémation à son dernier repas afin de lui offrir un repos de l'âme. Elle n'avait jamais ainsi pris soin de ses victimes, les dissimulant pour les laisser moisir dans un endroit ou personne ne les trouverait le temps que la cause de leur mort ne s'efface avec la décomposition des tissus vivants. Elle le regarda faire tout le long de sa cérémonie à l'attention de la proie, comme s'il s'agissait d'un être important pour lui alors qu'il s'agissait simplement d'un humain inconnu, néanmoins elle ne révéla rien de son incompréhension. Ce n'était pas vraiment le moment, car les questions arriveraient plus tôt qu'elle ne le penserait.

D'ailleurs la première finit par tomber. Il voulait savoir qui elle était, une question vague pour une réponse qui ne voudrait certainement rien dire aux vues de ses multiples identités et tant bien même il n'aurait jamais la vérité. Ou tout du moins jamais toute la vérité car même si elle le souhaitait elle ne pourrait pas la révéler facilement. La torture serait un vaste programme pour la faire parler, alors la franchise ne risquerait pas de fonctionner sur quelqu'un qui n'avait que comme seule nature forcée le mensonge.

"Sylira est un nom d'emprunt, je n'ai pas vraiment d'intérêts à donner mon nom d'humaine si je veux continuer à m'amuser comme serveuse." répondit-elle simplement. "On a tous un passé que l'on souhaite éviter de voir revenir à la surface."

C'était tout bonnement la vérité, si les humains étaient au fait des potins mondains ils sauraient rapidement que le nom qu'elle utiliserait n'a soit jamais existé, soit l'a fait il y a bien trop longtemps et leur ferait se poser les bonnes questions quant à la nature de la pseudo-humaine qu'ils auraient en face d'eux.
Dans sa première réponse, elle éclairait également le vampire sur la suivante et sur ce qu'il pouvait attendre, elle semblait trouver ces rôles amusants, comme si elle cherchait à tuer le temps d'une manière ou d'une autre malgré sa jeunesse, les vampires n'avaient après tout pas grand chose à faire de leur temps ! La chasse pouvait être très rapide et le reste pouvait se limiter à tous types de loisirs qu'ils jugeaient amusants. Certains soulageaient leurs penchants sadiques, d'autres dédiaient leur vie à la guerre. Pour "Sylira" ça semblait tout aussi différent.

"Je suis mieux dans une taverne plutôt qu'à risquer ma vie parmi nos congénères enfermée dans ces galeries puantes. Les humains sont bien plus amusants quand ils sont complètement ivres, voilà pourquoi je trouve refuge dans ce genre d'endroit."

A la manière dont elle prononçait ces mots, il était difficile de savoir si elle disait la vérité ou non mais dans tous les cas elle semblait réellement le penser aux vues du ton employé pour l'expliquer. Ainsi son passe temps serait juste de se moquer des proies saoules - ce qui était amusant même pour des humains, car regarder un de ses congénères ivre essayer de se sortir de fausses situations difficile qu'il s'était inventé était toujours drôle - et de les voir vivre leur petite vie mais également de les imiter ? Non, il y avait certainement autre chose, c'était trop "beau" pour être vrai. Peut-être qu'il y avait autre chose ? Et même si cela semblait contradictoire au fait d'avoir "souhaité" devenir une vampire que d'avoir une sorte de mélancolie humaine et de passer outre cette dernière en vivant comme une humaine normale malgré sa nature prédatrice qui faisait certainement que ce petit jeu d'observation des humains pouvait surtout passer comme le rôle du berger surveillant son troupeau.

Elle n'avait certainement pas répondu à toutes ces questions car il y en avait encore des non dites que ses souvenirs embrumés des derniers évènements venaient lui pointer du doigt d'une manière ou d'une autre. Mais après tout, il poserait les questions s'il y accordait de l'importance car il n'y avait rien de tel que la vérité pour enrober les mensonges et rester le plus secrète possible.

Elle finit par reprendre la parole, d'une manière toute innocence, comme pour noyer le poisson, comme si elle tentait une sorte de retournement de situation en posant à son tour des questions afin de faire cesser le flot qui allait lui arriver dessus.

"Et toi, Pourquoi as-tu décidé de dédier ta vie aux humains qui te haïssent pour ce que tu es sans chercher à voir qui tu es ?"

Elle avait réussit à inverser la situation, faisant répondre le vampire aux questions au lieu de lui permettre d'en poser de nouvelles et les choses étaient beaucoup mieux dans ce sens. Peut-être avait-il compris qu'il n'aurait pas toutes les réponses à ses questions et qu'il gardait ces dernières dans une sorte de forme de respect pour le passé de la "jeune" vampire. Ou alors peut-être que les réponses fournies lui convenaient amplement de par leur simplicité qui les rendait certainement plus logiques et d'autant plus vraies qu'elles contenaient une part de vérité, que n'importe quel mensonge complètement biscornu que certains pouvaient inventer pour perdre leurs interlocuteurs.

Aussi les réponses du vampires pouvaient être de celles là si l'on ne connaissait pas un peu l'historique de ce dernier. Il semblait vouloir défendre des idéaux typiquements humains, tournés vers les sentiments les plus fous qu'il ne pouvait pas exister dans la relation humano-vampirique à cause de la prédation de la seconde espèce sur la première. Autant dire que mis à part un rêve éveillé il ne faisait pas grand chose d'autre, mais si ça occupait son éternité et pouvait apaiser sa conscience toute humaine de se nourrir de sang alors soit ! Car oui, il semblait presque humain dans sa manière d'être, et en dehors de son aura et de son apparence son comportement n'avait pas grand chose de vampirique et ce de manière naturelle mais acquis d'une façon bien éloignée de celle de la vampire.

"Tu défends des idéaux typiquement humain." dit-elle, le ton n'était pas agressif, ni catégoriques. C'était juste un constat comme si elle ne portait aucun jugement. Elle n'en portait d'ailleurs pas vraiment un, chacun faisait bien ce qu'il voulait. "Le respect sera peut-être la chose que tu aura le moins de mal à avoir, nous avons tout deux été une proie à un moment ou à un autre."

Elle conserva le silence un moment, comme pour réfléchir à comment tourner sa phrase, montrant ainsi une certaine hésitation comme si le fait de révéler ce genre de pensée n'était pas vraiment habituelle pour elle, comme si elle l'avait toujours pensé mais jamais osé y mettre les mots dessus de peur d'être tuée pour cette même raison.

"J'aurais pu simplement être à sa place et être simplement enterrée comme une criminelle."

Il n'y avait pas vraiment de regrets ni de remords dans sa voix, signe que le fait de se nourrir sur le dos d'un humain "innocent" ne l'avait pas dérangé, après tout comme disait le dicton "ventre affamé n'a pas d'oreille". C'était plutôt autre chose, peut-être comme de l'empathie au final du fait qu'elle aurait pu finir exactement de la même manière de que ce dernier. Peut-être une simple crainte de la mort alors qu'elle était justement une "non-vivante" ? 9a avait quelque chose d'assez ironique quand on y regardait de plus près, ou alors pensait-elle simplement à sa prochaine vie et le droit à la réincarnation que l'on refusait aux criminels en les enterrant au plus profond sous terre pour les y enfermer définitivement ?

Mais autant ne pas trop rester sur le sujet, il y avait bien plus intéressant comme par exemple l'alliance potentielle entre les humains et les vampires. Certes ca serait quelque chose de bien compliqué à mettre en oeuvre, mais les circonstances actuelles n'offraient pas beaucoup de possibilités aux vampires que de s'allier avec cette fameuse résistance pour ne pas être éradiqués méthodiquement par les armées humaines et alayiennes combinées. Mais quant au fait que cette dernière dure bien après cette guerre s'ils la gagnaient... Autant rêver ! Car les vampires ne pourraient toujours que se nourrir d'être humains et à moins de devenir des animaux de compagnie avec des humains pour vous nourrir de leur sang dans un bol pour ceux ayant la chance d'être adoptés par leur decendance ou le reste de leur ancienne famille humaine.

"S'allier avec les humains veut dire réduire le terrain de chasse pour ne se nourrir que des Alayiens et des fidèles de Fabius." reprit-elle. "Mais une fois qu'ils auront été vaincus, de quoi veux-tu que l'on se nourisse ?"

La question était rhétorique et il en connaissait la réponse. Les humains ne tolèreraient pas de, de nouveau, être les proies des vampires. Et les vampires ne supporteraient certainement pas longtemps également d'être à la botte de proies. Enfin, en parlant de vampires il était clair que les pensées se dirigeraient vers Lorenz Wintel. Mis à part trouver un remède miracle au vampirisme - ne parlons pas de cette affreuse possibilité que de redevenir une faible humaine - ou de trouver un substitut au sang humain ou elfique pour nourir toute la petite troupe vampirique, faudrait-il encore qu'ils acceptent de se réduire à ça, il n'y avait donc pas vraiment d'issue fiables. Mais peut-être que le vampire avait quelques idées derrière la tête qui sait !

"Beaucoup ne sélectionnent pas leur proie ou ne se retiennent pas dès qu'ils ont faim. Que comptes-tu faire pour les contrôler ?"

Des questions pièges, voilà ce qu'elles étaient. Ou alors peut-être des pistes de réflexion pour le vampire ! Comment ferait-il ? Que ferait-il et quels étaient ses espoirs ? Voilà ce que pouvaient également signifier ces simples questions.

Tempérer les instincts prédateurs et sanguinaires de vampires, ou comment demander à toute une race d'arrêter de se nourrir ou de le faire avec "modération" après ce qui venait de se produire quelques instants auparavant. Après tout, celui qui lui retirerait le sang de la bouche n'était certainement pas encore né et ne survivrait pas très longtemps à moins qu'elle n'ait une très bonne raison pour que ce dernier ne lui serve de repas. Elle voulait bien faire des efforts, on lui avait appris à être ainsi et à tempérer ses ardeurs mais il n'y avait vraiment qu'un pas à ne pas faire pour que toute cette bonne volonté disparaisse derrière une soif de sang difficile à épancher. Quant à se le faire offrir ? Beaucoup de vampires n'avaient pas beaucoup de ce que les humains pouvaient appeler "honneur" néanmoins une chose étaient sûre, ces derniers n'accepteraient jamais de se rabaisser à se laisser nourrir par des humains, préférant le frisson de la chasse à un repas servit et même elle aurait du mal à accepter ce genre de choses même s'il s'agissait d'une certaine solution de facilité.

L'immunité au venin qui pourrait faciliter les choses ? Certainement, même si le faut que si cette immunité se répandait ce serait la fin du peuple vampirique et ne ferait que motiver leurs ennemis à les détruire pour de bon, faute que ces derniers ne puissent se reproduire, et quant à la possibilité d'un remède... Cette idée plus que farfelue n'avait rien d'une véritable option, ce n'était pas une maladie ! D'un point de vue logique, ça s'en approchait vu que le changement était fait par un venin, pour la vampire il s'agissait plus d'une "bénédiction", mais après chacun avait son point de vue, et la perte des souvenirs n'avait souvent que ce résultat.

"Redevenir humains..." dit-elle pensivement, comme si elle réfléchissait réellement à cette possibilité.

Elle leva son regard en direction du vampire, lui il avait des motivations à le redevenir, il avait cette humaine dont il s'était amouraché. Un avenir humain avait quelque chose d'assez confortable également pour lui, la nourriture et le confort ne seraient pas bien difficiles à obtenir avec de telles relations mais ce ne serait certainement pas le cas pour tous les vampires. En fait seulement quelques exceptions pourraient tendre vers un destin humain et pour une personne comme elle, les choses ne seraient pas aussi faciles que l'on pourrait bien le prétendre.

"Ceux qui le voudront sont ceux qui auront un avenir de mortel assuré. Les bons repas, le bon vin ce n'est pas le quotidien de tous les humains et bon nombre d'entre eux n'ont jamais mangé de viande et se sont contentés toute leur vie de leur morceau de pain moisi et d'une soupe." elle sembla pensive quelques instants. "Heureusement que je ne me souviens plus du gout que ce genre de chose pouvait avoir."

Etait-ce réellement ses souvenirs ? Comment un être vampirique aussi jeune pouvait en parler avec tant de conviction ? Rares étaient ceux qui avaient fait attention à comment pouvaient vivre les humains, les considérant seulement comme des proies, et pourtant elle faisait partie de ces exception vu qu'elle vivait parmi eux, pour imiter la vie, il fallait vraiment tout comprendre et surtout connaitre la valeur humaine de chaque chose.

"A redevenir de simples mortels, tu aurais tout à y gagner. Et d'autres tout à y perdre, sauf que les humains ne s’arrêteront pas à ça et que leur cruauté a autant de limite que celle d'un vampire, sur ce point nous ne différons pas vraiment d'eux. Ce n'est pas le fait d'empêcher ceux qui le veulent, mais de forcer ceux qui ne le veulent pas."

Il suffisait de voir comment ils traitaient leur bétail et autres animaux sous leur coupe, allant jusqu'à les battre à mort ou à les égorger après les avoir grassement nourris pour s'en nourrir à leur tour. Et après ces derniers étaient choqués de voir les vampires faire de même. Lesquels étaient les plus cruels ? Les vampires étaient pour la plupart des anciens humains et bien que la prédation se fasse envers ces derniers, leur réaction envers le reste de leur repas était bien identique à celle de ces fameux humains "si parfaits". Que feraient-ils à ceux qui n'auraient la force de leur résister ? Les mettre en prison pour leurs soi-disant crimes de s'être nourris ? Les condamner à mort ? Ou pire encore en les réduisant simplement en esclavage pour les travaux les plus pénibles ? Les possibilités étaient sans fin et toutes réalisables et là par contre on sentait clairement qu'il s'agissait d'une affirmation digne d'une sorte de vécu. Elle était une vampire et c'était tout, pas de fierté, pas de regrets, c'était juste un fait. Par contre il était clair qu'elle préfèrerait certainement mourir que de redevenir l'être faible qu'elle avait été.
Quant à la poigne des dirigeants pour tenir leurs fidèles et loyaux sujets, ils venaient d'assister à un magnifique renversement de situation pour un empereur réputé "bon" et accusé du meurtre d'un membre de sa propre famille. Les choses pouvaient changer aussi vite que le vent ne se mette à tourner, emportant ou chassant la tempête et le chaos à son gré comme si de rien n'était.

Mais pour avancer dans ce sens il fallait faire prévaloir la règle principale des vampires... Et il fallait que le prince vampirique actuel, Lorenz Wintel, aille dans ce sens. Ce qui n'était effectivement pas gagné, sauf peut-être pour une paix temporaire le temps d'éjecter les Alayiens et encore ! Dans tous les cas ce ne serait pas son combat et cette information que Kylian Wallam cherche à faire tomber Lorenz Wintel n'était pas la plus fraiche qu'il existe.

"Je comprends maintenant pourquoi tu t'es fais tant d'ennemis dans notre peuple, tu parles de trouver un moyen de nous retirer notre vie et tout ce qui fait ce que nous sommes actuellement, qu'on l'ait choisis ou non. Tu parles de libre pensée mais au moins les 50 premières années de notre vie, cette pensée est orientée vers le sang pour ensuite aller vers le pouvoir."

Ou comment essayer de lui démontrer qu'il n'irait nulle part et que son combat équivalait à se battre contre le vent. Certainement qu'on lui avait déjà dit ces mots, certainement qu'il les avait déjà compris mais de ce qu'elle avait pu voir c'était un idéaliste qui se battait pour une cause perdue d'avance. La vampire en face d'elle était "tolérante" mais ce ne serait certainement pas son aide qu'il aurait, tout du moins pas plus qu'une oreille et un regard attentif tant que les choses n'iraient pas dans son intérêt, ou plutôt leur intérêt commun.

"Donnes-tu tant d'importance que ça à ton attachement à ton humaine ? Vouloir changer à ce point pour être comme elle ?"

La question était vraiment innocente cette fois, elle ne comprenait pas comment on pouvait en arriver là pour une simple humaine qui aurait pu être tout et n'importe quoi, en gros, une simple proie, un repas d'un soir ou même une gourmandise pour n'importe quel autre vampire. La question était : pourquoi ?

Le gout du sang était préférable oui, tuer ne lui posait pas de problèmes vu qu'elle n'avait pas le même type de remords que les humains pouvaient avoir et en cela, malgré son comportement et ses marques de respects, sa nature de prédatrice restait difficile à nier. Elle aimait la nourriture, elle aimait le sang et par dessus tout toutes les saveurs que l'on pouvait y trouver. Qu'il s'agisse d'un être humain ou de n'importe quelle autre créature pensante ou non avait le même résultat, car ventre affamé n'avait pas d'oreilles. Pourquoi elle en était là ? pour un oeil extérieur connaissant son histoire, c'était tout trouvé, mais pour sa part l'explication était bien plus dure à donner. mais après tout pourquoi avoir besoin de se justifier pour ce que l'on est ? Comme l'on dit, tous les gouts sont dans la nature, même les pires !

Le rebelle était amer de ce constat, s'il avait espéré trouver quelqu'un de "compréhensif" il avait fait mouche, mais de là à ce que ce soit un partage d'opinions il y avait tout un monde difficile à traverser. Et en seule réponse il n'eut qu'un haussement d'épaule désintéressé, pourquoi irait-elle mentir sur ce point ? Il fallait bien des désaccords et de toute manière adhérer immédiatement à de telles idées aurait été certainement plus que suspect. Et puis elle lui mettait sous le nez la réalité que son esprit d'idéaliste faisait exprès de ne pas voir, l'enfermant la tête dans un sac de patates dans son monde quasi-parfait ou un jour les vampires accepteront de ne plus tuer pour se nourrir.
Que les vampires acceptent de raisonner leur chasse était plus facile à obtenir qu'il ne pourrait l'imaginer sous la coupe d'un dirigeant de poigne et qui ferait respecter des règles strictes sous un régime de quasi-terreur à l'encontre de sa personne et de ses fidèles. S'il voulait remplacer Lorenz Wintel comme il le sous entendait il faudrait qu'il devienne pire que ce dernier pour faire respecter ses lois ce qui rendrait la vie des vampires beaucoup plus difficile qu'en ces jours.

"Aux yeux des humains nous ne serons jamais bons, combien en as-tu tué pour te nourrir ?" Elle ne lui laissa pas vraiment le temps de donner un chiffre avant de reprendre. "Et en admettant que même depuis ton plus jeune age, tu ne te sois nourris que de criminels et autres parasites humains, ces derniers ne te croiront jamais. Nous avons le sang des leurs sur nos mains, même s'il s'agit de leurs pires criminels, nous ne serons jamais innocents à leurs yeux. Il n'y a qu'à voir comment ils nous regardent, on n'aurait même pas droit à de la compassion si on se laissait mourir de faim pour eux, car au final nous nous nourrirons toujours de ces derniers."

C'était quasiment ce qu'elle avait fait et il n'y en avait que deux qui avaient osé s'approcher. Et encore, le premier était resté armé tout le long et le second avait un dragon prêt à la bouffer au moindre faux pas. En souffrait-elle réellement ? C'était difficile à dire quand on savait l'absence d'émotion des vampires et en particulier des plus jeunes. Elle restreignait ses chasses, elle se nourrissait qu'au dernier moment pour éviter d'attirer trop l'attention et vivre parmi les humains sans attirer trop de soupçons. Elle allait reprendre alors que l'argumentaire reprenait avec plus de force... Visiblement elle avait touché une sorte de corde sensible, mais le problème était qu'en la faisant trop vibrer il pouvait également toucher la sienne... Ils n'étaient pas en vie ? Soit, s'il voulait se considérer comme mort... Elle ne s'était jamais sentie aussi vivante depuis qu'elle était morte, elle jouissait d'une liberté certaine même si elle était sous la coupe de vampires très dangereux qui pouvaient décider de mettre fin à son existence sur un coup de tête en la sacrifiant comme le pion qu'elle était. Mais pour le moment elle n'en avait que faire, pour le moment elle lui était encore reconnaissante de pouvoir être ainsi et de faire quasiment ce que bon lui semblait, de manger à sa faim, de jouer avec des humains sans pour autant les abimer et d'observer la vie autour d'elle avec un intérêt presque enfantin en jouant le rôle d'une jeune femme humaine. Au fur et à mesure qu'il se faisait plus vindicatif, elle retint un moment de flottement ou la force faillit l'emporter sur les mots, indirectement il la jugeait comme s'il cherchait à obtenir une part de vérité et de son passé avec ce qu'il avait vu quelques instants auparavant. Il n'était pas difficile pour le comprendre, ainsi ce qu'elle aurait aimé lui faire à ce moment là resta bien cacher au fond de ses pensées et ne se manifestèrent que par un regard porté au loin.

Ils s'approchaient de nouveau du campement, certainement un peu trop pour pouvoir continuer cette discussion sans qu'un humain ne puisse l'entendre et se poser des questions sur les véritables intensions des deux prédateurs nocturnes. D'ailleurs son congénère ralentis le pas à l'approche de ce dernier, comme pour tester les réactions de celle qui était actuellement la plus faible des deux. Cette dernière quant à elle stoppa la marche, devant ce dernier, pour cette fois le regarder droit dans les yeux alors que les mots dur qu'il avait prononcé à l'encontre de ceux qui avaient choisis une "non-vie" résonnaient encore dans la conversation, à peine atténués par la dernière réponse du vampire.

Le regard n'était pas froid, il était glacial, encore plus que ces vents du nord connus pour leur rigueur et leur absence de pitié envers les voyageurs. Il avait fait vibrer la corde sensible à son tour au point de faire changer son interlocutrice du tout au tout. Comme si elle n'était plus elle même, comme s'il revoyait celle qu'il avait vu alors que la prédatrice était devenue incontrôlable par la faim, à la différence que cette fois elle était en pleine possession de ses moyens, néanmoins il était en droit de douter de sa possibilité de retourner parmi le groupe d'humains sans égorger le premier venu. Il était en droit de se poser la question si ce qu'il avait pu voir était vrai, si elle avait vraiment choisis de devenir une vampire pour une raison qui lui était propre, une raison qui pouvait être assez horrible pour obtenir une réaction aussi inhumaine.

"Tu juges avant de connaitre, au final tu es bien plus proche des intolérants que tu ne peux l'imaginer."

Le ton était tout aussi froid que le regard. Elle l'avait déjà remercié pour le repas, même s'il s'en était quelque peu offusqué et maintenant ils étaient quittes : elle les avait sortis d'un mauvais pas dans la taverne à Gloria, et il venait de la sortir d'un quasiment aussi mauvais - même s'il en était indirectement responsable, dans tous les cas elle ne lui en tenait absolument pas rigueur - donc les dettes étaient payées.

Il ne réagissait pas, pas de gestes montrant son agacementou quoique ce soit d'autres qu'aurait pu faire n'importe quel vampire face à un de ses semblables, plus faible, pour le dissuader de continuer à lui cracher sa haine dessus. Chacun avait eut son passé, et chacun avait fait ses choix. Elle en avait fait un il y a très longtemps à l'échelle humaine, et en avait fait un second, si tenté que ça en soit réellement un, que de prendre une sorte de petit plaisir à vivre parmi eux sans qu'ils ne s'en rendent compte sans pour autant renier sa nature et ses instincts de tueuse, sélectionnant ses proies en fonction de critères qu'elle ne serait certainement pas capables de préciser en dehors des bandits et autres qui ne manquaient à personne.
Le renégat avait également fait les siens, mais cette fois ils étaient comme opposés à ceux de la vampire, cette dernière ayant renié sa nature humaine pour devenir vampire alors que le renégat reniait sa nature vampirique, souhaitant redevenir humain, ou au moins un ersatz d'humain. Ce qui ne l'empêchait pas de continuer à tuer des êtres humains pour se nourrir ! La preuve en était certainement là ce soir avec la proie ramenées et la rareté d'humains offrant leur sang.

"Personne n'est parfait." répondit-elle simplement.

Personne ne l'était, pas même celui qui l'avait changée et à qui elle avait dédié sa non-vie, ni elle d'ailleurs, puisqu'elle se laissait encore avoir par des choses aussi stupides que ses sentiments qui s'étaient exprimés devant ce vampire alors qu'elle était devenue folle à cause de la faim, s'exprimant encore avec force lors de leur chemin de retour vers le campement de leurs humains. Ce moment de faiblesse lui avait certainement couté le peu de confiance que le vampire avait en elle, et l'on pouvait donc considérer ceci comme un échec plus que cuisant pour la jeune vampire. Les derniers mots du vampire sonnèrent comme une sentence, ne pas s'approcher des humains ? Mais il pouvait toujours se brosser ! Elle ferait ce qu'il lui plairait et ce ne serait pas ce vampire là qui irait l'en empêcher.

"Je ferai ce que bon me semble."

Il n'y avait pas de défi, c'était un fait. Jusqu'à présent elle avait fait ce qui lui avait plu, elle les avait aidé parce qu'elle en avait eut l'envie et elle n'allait certainement pas changer de ligne de conduite après s'être mis dans pareille situation. Et au final c'était surtout à lui de faire attention à trop s'approcher des humains il risquait que ces derniers ne découvre sa petite relation avec la princesse humaine, et il ne fallait pas vraiment être devin pour savoir ou ceci le mènerait, c'est à dire sur un échafaud ou au moins un billot de bois !