La lune continuait son ascension dans le ciel nocturne, offrant un peu de lumière à la caravane. Celle-ci venait de retenir son souffle alors que l’un de ses membres venait de terrasser un… phacochère au comportement douteux. Orfraie observait encore la scène, un certain scepticisme peint sur le visage, avant de détourner son regard de l’animal mort.
Tirith, la Sentinelle, fit quelques pas afin de s’éloigner du groupe, son regard balayant les environs. Ses sens étaient aux aguets afin de parer à tout éventualités. Elle s’éloignait du camp, mais entendait encore parfaitement le bruit des conversations. Dans son dos, chacun s’activait. Bientôt, elle entendit les soldats creuser puis commencer à faire des feux, l’odeur caractéristique du bois en train de bruler arrivant jusqu’à ses narines. Orfraie aimait beaucoup cette odeur. S’il avait été question de bruler des arbres vivants, peut-être s’en serait-elle offusquée… Mais utiliser le bois mort pour se réchauffer ne la dérangeait pas. Toujours dos au camp, la princesse elfique entendit quelques hommes s’éloigner du groupe, probablement pour aller remplir leurs gourdes près de la rivière qui serpentait non loin. Sa propre gourde, une outre infinie, se remplissait d’elle-même mais Orfraie se promit d’aller y faire un tour avant de lever le camp, à l’aube.

Plusieurs dizaines de mètres sur sa droite, la Générale entendit clairement le hululement d’une chouette. Elle ne pouvait la voir, perdue dans les branchages, mais elle la savait non loin. Orfraie s’éloignait de plus en plus, jusqu’à ce que ses iris glacées se posent sur la silhouette accroupie d’une Elfe et que son chant parvienne à ses oreilles. Elle reconnue immédiatement la voix : Harthea. Comment pouvait-il en être autrement ? L’ancienne cavalière était son amie depuis de très nombreuses années. Elles s’étaient rencontrées à la cour et s’étaient liées d’amitié… Une amitié qui s’était renforcée avec le temps, bien que les deux femmes se soient perdue du vu durant de longues années. C’était à Sandur qu’elles s’étaient retrouvée, il y a deux ans. Depuis, elle veillait sur son neveu en tant que garde royal. Si elle avait accompagné Orfraie, quelque part, c’était pour veiller sur elle en même temps que sur le commerce écarlate songea la princesse en s’approchant.

Orfraie se remémora les propos qu’elle avait eu pour son amie plus tôt dans la journée. Sur le coup, Harthea avait eu des paroles qui avaient grandement irrités la princesse, ce qu’elle n’avait pas manqué de faire aussitôt comprendre dans leur langue. Toutefois, ce soir, Tirith souhaitait mettre les choses au clair et s’assurer qu’Harthea comprenait… et qu’elle ne lui voulait pas trop. Cependant, Orfraie était dans son droit de la réprimander et ne comptait pas s’excuser pour autant.
À quelques pas de la blonde, la Générale s’arrêta. L’Amazone cessa alors de chanter, signifiant qu’elle avait pris connaissance de la présence d’Orfraie. Un seul mot fut prononcé. « Générale ? » L’intonation laissait penser à une question, ou plusieurs dans ce seul mot. Calme, la princesse ramena ses mains dans son dos et les croisa. Les épaules bien droites, sa posture pouvait semblait dure, mais son regard était chaleureux malgré son profond bleu glacial. « Mon amie. » La salua poliment Orfraie, mettant volontairement de côté toute notion de rang. « Que penses-tu de cette première journée ? « Demanda ensuite la princesse, son regard ne quittant pas Harthea. Sa question était volontairement très ouverte, Orfraie préférant ne pas rentrer directement dans le vif.

Malgré l’attention qu’elle accordait à son amie, Orfraie demeurait en alerte. Ils n’étaient pas en territoire connu, il était donc préférable de ne pas – trop – baisser sa garde. Tirith avait l’expérience et le recul des siècles, elle savait qu’un groupe avec suffisamment de volonté pouvait s’attaquer à eux en pleine nuit, de préférence après le repas. Un estomac nourri était un ventre lourd, prompte à donner sommeil ou au moins à faire somnoler. La viande était un repas pesant sur l’estomac, mais les fruits, légumes, poissons et autres rations Elfiques évitaient ce fâcheux effet. Bien entendu, les Alayiens refusaient de gouter la nourriture des elfes, ce qui n’était au final guère étonnant…

Cela rappela à Orfraie les mots que Weren avait eus pour elle après qu’elle ait repris Harthea sur son comportement… Elle comprenait le point de vue du Capitaine Alayien, mais ne pouvait s’empêcher de le mépriser. Ils étaient les envahisseurs, ils avaient tué les siens… et ils ne tentaient pas, à aucun moment, d’essayer de comprendre son peuple. Ils continuaient à les mépriser eux, à mépriser la magie alors qu’ils lui devaient la vie. Il n’était pas dans le tempérament habituel de la générale d’être ainsi méprisante envers un individu, mais Weren l’avait profondément agacé. Et Dracos seul savait que s’ils avaient été seuls, Tirith aurait probablement fait regretter à l’Alayien ses paroles.

Repenser à tout cela fit naître une sourde colère en Orfraie. Toutefois, elle se maîtrisait suffisamment pour la juguler et ne rien laisser paraître sur ses trais. -Assois-toi donc, mon amie. Et profites de cet air frais. Orfraie sourit, les quelques mots d’Harthea parvenant à la sortir de ses songes et reléguer les Alayiens dans un coin de sa tête. Elle vint donc s’asseoir aux côtés de son amie, à qui elle offrit un sourire entendu. Malgré tout, la présence de la Garde Royale à ses côtés était plaisante.

L’Amazone reprit quelques instants plus tard, répondant ainsi à la question de la générale. Celle-ci partageait son point de vue sur le début de leur voyage. Orfraie avait la sensation que les ennuis étaient au-devant et qu’ils n’allaient pas tarder à les trouver. Elle n’aimait pas cette sensation, aussi restait-elle attentive à son environnement afin de ne pas se faire surprendre. Harthea enchaina ensuite sur la coopération avec les Alayiens. Tirith émit un sourire sans joie, fatiguée à l’avance de travailler avec eux. Ils étaient méfiants, tellement méfiants que chaque interaction avec eux était fastidieuse. Avaient-ils déjà oublié ce qu’ils avaient fait contre Vraorg ?

Finalement, la Garde Royale se tût. C’était à Orfraie de lui répondre, à présent. Celle-ci sembla chercher ses mots durant quelques instants. Elle jouait avec un brin d’herbe un peu plus haut que les autres et cela lança : « Je sens que nous allons au-devant de problèmes. J’ai un mauvais pré-sentiment à propos de cette quête. L’absence de confiance entre Alayiens et Elfes ne fait que renforcer cette impression. Ils semblent tous avoir oublié ce que nous avons vécu il y a deux ans. » Dit-elle, mettant tout le monde dans le même panier. Cet état de fait avait le don de lui miner le moral, Orfraie paraissait donc abattu en cet instant. « Toutefois je sais que je peux compter sur toi et les nôtres pour mener notre mission à bien. » Renchérit la rôdeuse en levant son regard vers son amie. Quelques instants plus tard, elle poursuivit d’une voix moins puissante. « Je souhaite te présenter mes excuses pour ce matin. Je pensais chacun des mots que je t’ai dits, mais je n’aurai pas dû l’exprimer ainsi devant tout le monde. »

C'était dit. Orfraie devait maintenant attendre la réponse de son amie. La princesse s'excusait rarement. Pas parce qu'elle pensait toujours avoir raison, mais parce qu'elle faisait généralement preuve de suffisamment de tact pour ne pas avoir besoin de s'excuser ensuite pour ces paroles. 

Quelques instants après que la princesse se soit tût, Harthea reprit la parole. Elle mit le doigt sur les erreurs d'Orfraie, chose dont celle-ci avait bien conscience : Elle avait reprit l'Amazone devant tout le monde, parlant de leur langue alors que les Alayiens ne la comprenait pas. Sur le coup, cela lui avait semblé être le mieux afin d'éviter qu'Harthea soit ensuite charrié par les Alayiens, mais à présent, avec un peu de recul la Générale voyait parfaitement son erreur. Elle avait été idiote. Ensuite, le fait que leurs hommes aient parfaitement comprit ce qu'elle avait dit n'aider pas. Harthea avait perdu la face devant ses troupes… Orfraie songeait déjà à une façon d'arranger les choses.

La cavalière poursuivit, révélant qu'elle savait avoir eu des mots pouvant choquer, comme appeler les vampires « sangsues ». Il était vrai que ce vocabulaire avait particulièrement choqué Orfraie sur le coup, elle qui pensait que depuis Sandur son amie était plus prompte à la tolérance. Finalement, Tirith sourit lorsqu'Harthea lui dit qu'elle travaillerait la dessus. La guerrière ne pouvait qu'encourager son amie la dessus.

Harthea détourna le regard alors qu'Orfraie ne la lâchait plus. Elle sentait son amie hésitante. Voulait-elle aborder le sujet principal des remontrances de la générale, à savoir Aurélie ? En attendant que son amie poursuive, la princesse se détendit davantage et s'allongea dans l'herbe, son avant bras droit derrière la tête. Le léger vent qui balayait les plaines était frais, mais l'armure de la générale était enchantée pour ne pas ressentir le froid. Celle-ci aurait donc pu rester dormir à la belle étoile que cela n'aurait jamais été un problème.

L'Amazone reprit finalement la parole. Aurélie était bien le sujet principal. Orfraie ne fit pas l'affront de couper son amie, combien même elle n'était pas totalement d'accord avec elle. La jeune femme représentait un atout à destination, cela était vrai et Harthea le souligna bien, mais elle représentait un atout pour ce voyage, même si cela pouvait la mettre davantage en danger. Par exemple, avec les quelques humains qui avaient bloqués leur passage plus tôt dans la journée : la présence d'Aurélie avait clairement joué en la faveur de la caravane, sans quoi celle-ci aurait dû forcer le blocus pour passer… Et Dracos seul savait qu'Orfraie tenait à ne pas blesser de civils.
Harthea évoqua ensuite les intentions des Alayiens, qui pouvaient – selon elle – vouloir nuire au commerce écarlate. Orfraie haussa un sourcil. Elle ne pensait pas les Alayiens prompt à faire cela. Pas aussi peu subtilement… même si leur troupe était plus importante que celle des Elfes, Tirith doutait qu'ils tentent quoi que ce soit contre la paix. Du reste, la générale savait très bien que des personnes étaient opposés au commerce, que ce soit par ignorance ou par volonté de nuire. Elle gardait cela en tête à chaque instant.

« Ne parlons pas de trahison. Tu auras fais ton devoir. » commença doucement Orfraie en baissant les yeux vers Harthea. « Mais on ne peut pas enfermer Aurélie à l'arrière d'un chariot. Ce matin, sa présence fut utile : Si les humains se sont écartés de notre route si facilement, c'est bien parce qu'elle était là. Je suis d'accord pour dire que son intervention était quelque peu risquée et totalement irréfléchie, mais elle reste utile même pendant notre voyage. Je n'aurai pas toléré que nous faisions du mal à des civils. » La princesse se tût quelques instants, puis reprit. « De plus, il ne faut pas se fier aux apparences. Je pense qu'elle est bien plus capable qu'il n'y paraît. » Ajouta Orfraie, songeuse. « Toutefois, en cas de danger je peux compter sur toi. » conclut-elle avec un léger sourire pour son amie. Le ton de la guerrière pouvait paraître insouciant, pourtant il n'en était rien : elle était très sérieuse.

« Du reste, tu peux compter sur moi pour surveiller nos compagnons de route en plus du reste. Je n'ai qu'une confiance toute relative en eux… Ils ne cherchent pas à s'intégrer, ils continuent de nous haïr plutôt que de coopérer… Un tel comportement met en danger le commerce, mais à grande échelle il met aussi en danger la paix...Il est plus simple de continuer à haïr son voisin que d'essayer de le comprendre. »

Les mots d'Harthea avaient trouvé écho en Orfraie. Une fois de plus, elle travaillerait main dans la main avec son amie d'enfance… Même si « enfance » n'était réellement le mot. En effet, Tirith était bien plus âgée de la cavalière. Elle se rappelait la très jeune Harthea, à la cours Royale. Jeune, Orfraie avait toujours vu de l'admiration dans son regard lorsqu'elle le posait sur un membre de la famille Impériale… A l'époque, cela avait poussé Orfraie, qui avait déjà un certain vécu, à aborder Harthea. Depuis, elles étaient amies, combien même l'une fut bien plus jeune que l'autre. Les siècles n'avaient pas tant d'importances chez les Elfes, quelques années passant en un battement cil à l'échelle d'une vie entière.

Le vent balayait la plaine. Il soulevait légèrement quelques mèches lie-de-vin et apportait des odeurs inconnues. Le regard de la princesse demeurait rivé vers les étoiles. Cette vision l'apaisait… Tout comme le vol de S'yel l'apaisait. L'oiseau de son ami décrivait des cercle dans le ciel nocturne, juste avant de fondre vers Harthea afin de se poser sur elle. Le regard d'Orfraie avait suivit l'aigle et se posait donc désormais sur le duo.

Le silence s'étira entre les deux Elfes sans qu'elles ressentent le besoin de le briser. Orfraie observait son amie et son compagnon sans bruit, un bras toujours derrière la tête. Son autre main était posée sur son ventre et ses doigts pianotaient doucement, imprimant un rythme régulier. Harthea brisa finalement le silence et l'attention de la générale revint sur elle, son regard déviant donc de S'yel à cette dernière.

Aurélie fut de nouveau évoquée et Tirith hocha positivement la tête, bien que le regard de son amie soit portée sur son oiseau dont elle caressait les plumes. Cela, la rôdeuse était d'accord : la jeune femme pouvait se montrer plus prudente.« Je lui en parlerai. » Intervint donc Orfraie avant de laisser Harthea poursuivre.

Un sourire de dessina sur les lèvres de l'Elfette lorsqu'elle évoqua les compétences cachées d'Aurélie. La générale était prête à parier que l'humaine savait se défendre seule. Il aurait été absurde de placer quelqu'un incapable de veiller sur sa propre vie pour une telle mission, aussi importante que dangereuse.
Orfraie cessa de pianoter sur son ventre lorsque son amie affirma que c'était ses paroles qui avaient convaincues les civils. Les doigts de la princesse vinrent doucement se poser sur la main d'Harthea, qu'elle serra doucement. « Je te remercie. »

L'Elfette garda sa main sur celle de la cavalière quelques secondes supplémentaire, puis se redressa sur ses coudes lorsqu'elle entendit le froissement de l'herbe non loin. Son ouïe de lièvre lui rapportait l'arrivée imminente d'Arphen, dont elle reconnaissait le pas. Harthea ne l'avait sans doute pas encore entendu, mais la silhouette du canidé se détacha rapidement de l'obscurité à cause de son pelage presque immaculé. Celui-ci émit un léger jappement en s'approchant de sa maîtresse. Celle-ci se releva donc en position assise et ses doigts vinrent aussitôt trouver l'épaisse fourrure du husky lorsqu'il fut près d'elle, entre ses jambes. Quelques instants plus tard, ce fut son visage qu'elle enfonça dans son cou lorsqu'Arphen s'avança davantage, manquant de la faire retomber sur le dos en la poussant avec son poitrail. Une simple pression suffit à faire reculer le canidé, qui se coucha finalement entre ses jambes. Le regard de l'animal se posa ensuite sur S'yel tandis que sa pierre de vivacité, incrustée dans son collier, brillait très faiblement à la lueur de la lune. Sans elle, Arphen aurait déjà commencé à japper après l'aigle en tentant de l'attraper.

« Je suis au courant de ces voyages. Nous l'avons évoqué lors d'une session du Conseil. Sais tu par où vous allez commencer ? » Précisa Orfraie en caressant machinalement son compagnon. « Je ne peux rêver mieux que ta famille pour veiller sur la mienne, pour être ses yeux et veiller pour elle aux intérêts de notre peuples. » confirma Orfraie avec un sourire pour son amie. Ses mots, elle les pensait sincèrement. Harthea et sa famille faisait preuve d'un dévouement sans faille envers la famille Impériale. « Aramis est pour moi comme une sœur. Je compte sur toi pour veiller sur elle. Impératrice ou non, avec son tempérament elle serait capable de s'attirer les pires ennuis... » Commenta la princesse avec un sourire. Oui, Aramis était capable de tout. Orfraie se rappelait particulièrement les années où elle avait été « la bête noire ». La Cawr avait tout un caractère, mais celui-ci était tout de même compensé par son âge. A peine cinquante ans séparés Orfraie d'Aramis, la première étant une fois de plus la plus âgée. « La famille Thaidforoden a su gravir les échelons au fil des ans et semble enfin trouver sa place. » Murmura Tirith, presque pour elle même. Son ton n'avait rien de critique, c'était une simple constatation, mêlée à une pointe d'admiration. Cela valait également pour Harthea, qui était passée de cavalière dans l'armée à Garde Royale… Et maintenant c'était elle qui accompagnerait Aramis hors du Royaume, une preuve de la confiance qui était placée en elle et en son nom. Harthea devait sans nul doute être la fierté des siens.

Cela rappelait à Orfraie son propre passé. Son père, lui, avait toujours était friand des alliances avec les autres familles nobles. La princesse avait d'ailleurs refusé à mariage arrangé à sa majorité...