Le 30 Janvier de l'an 5 de l'ère d'obsidienne
Une dizaine de jours s'était écoulée depuis l'arrivée de Lorën au Protectorat. Dès le début, l'intendant avait été frappé par la pauvreté et les conditions d'existence, austères et spartiates, qui régnaient dans ce lieu, perdu en plein désert.
Le nocturne avait trahi son ancien maître, Lorenz Wintel, le terrible prince vampire et renoncé à son statut privilégié d'intendant de l'armée vampirique. En agissant de la sorte, il courrait un risque très important car sa défection ne demeurerait pas impunie s'il tombait entre les mains des impériaux. Néanmoins, le vampire avait pris cette décision en connaissance de cause et choisit de rejoindre les protégés afin de se libérer du joug du prince noir et du dragon blanc, nommé Vraorg.
Et pour l'instant, cette transition s'avérait pour le moins difficile; partout où celui-ci posait son regard, il voyait une masse populeuse de réfugiés fuyant la tyrannie qui régnait en Théocratie.
Le logement qu'on lui avait attribué comportait un confort pour le moins sommaire, ce qui le changeait de la relative opulence à laquelle il était habitué. En effet, son ancienne fonction de grand intendant au sein de l'armée vampirique lui avait permis de jouir d'un salaire confortable et d'un statut de bourgeois.
A présent, malgré le rôle d'intendant au sein des forces vives qui lui avait été attribué à son arrivée; Lorën devait se contenter d'une rétribution pour le moins modeste. Hélas, le Protectorat ne roulait pas sur l'or, loin s'en fallait !
Et dans cette bauge, dissimulée derrière la barrière érigée par les esprits, le vampire ne risquait pas de faire fortune. Fort heureusement, il possédait un homme de main posté à Caladon, capable de l'informer des bonnes affaires et des informations d'importance concernant la Théocratie.
Lorën soupira et continua à déambuler au milieu des tentes et des bâtiments de fortune qui servaient d'habitations à la majorité des protégés. Nombre d'entre eux avaient également trouvé refuge dans les cavernes environnantes, aménagées en logements troglodytes pour l'occasion.
Ses pas le conduisirent dans un endroit un peu à l'écart des habitations et il croisa un groupe de gamins aux yeux rieurs, occupés à jouer avec une balle en mousse. L'intendant allait rebrousser chemin et vaquer à d'autres occupations; quand tout d'un coup, ses sens sur-aiguisés perçurent des voix masculines, chuchotant d'un ton presque inaudible.
- C'est bon, nous le tenons ! Ce sale morveux va nous rapporter une coquette somme !
Intrigué par la teneur de la conversation, Lorën se dirigea vers la direction d'où venaient ces voix. C'était l'arrière d'un grand bâtiment en bois, servant à entreposer certaines fournitures destinées au ravitaillement de la population. Il se rapprocha à pas feutrés, et se colla contre la paroi de la bâtisse afin de continuer à espionner les deux hommes.
L'un d'entre eux, éclata d'un rire gras avant de poursuivre:
- On peut dire que c'est une belle prise ! le fils de Corinne Triade, on va pouvoir demander une rançon.
- Mouais, cette sale radine va devoir cracher un joli tas de piécettes si elle veux revoir son fiston en vie. Je me charge de l'emmener jusqu'à notre planque pendant que tu iras déposer la lettre de demande de rançon, là où habite la bonne-femme Triade.
- On peut dire que notre plan est ingénieux ! notre cachette se trouve à une journée d'ici, au sud-est, derrière une grande falaise et dans un réseau souterrain de cavernes. Là bas, personne ne pensera à venir nous chercher et Corinne Triade, malgré sa fortune et ses mercenaires, sera contrainte de nous verser le magot.
Disant cela, les deux acolytes s'éloignèrent et Lorën sortit discrètement de sa cachette. L'ironie de la situation lui arracha un sourire amusé: en voilà une information intéressante ! Ainsi, le gamin de Corinne venait de se faire enlever par deux hommes afin de lui soutirer une coquette somme d'argent. Connaissant la marchande et sa radinerie légendaire, cette dernière ne risquait pas de sauter de joie en apprenant la nouvelle.
Peut-être même que cela pourrait faire les affaires de notre vampire s'il parvenait à utiliser cette information à son avantage.
L'intendant aperçut sur le sol un petit foulard écarlate, à moitié recouvert de sable. Il émanait de cet objet, l'odeur fraîche d'un parfum d'enfant. Peut-être appartenait-il au fils de Corinne. Lorën le rangea dans sa poche et s'achemina lentement vers l'endroit où résidait la jeune femme.