3 Janvier de la troisième année du calendrier d'obsidienne.
La pluie tombait sur cette citée qui était autrefois la fierté de l'Empire humain. Elle avait accompagné le début du chemin de la Lune dans le ciel étoilé. Mais si celle ci semblait vouloir continuer encore un moment, la nuit armandéenne observait, de son éternel regard, une silhouette avancer péniblement dans les rues. Elle venait de passer les portes de la cité, juste avant que celles-ci ne soient fermées pour la nuit. Elle paraissait lasse pour toute personne qui la regardait passer.
Une prostitué du quartier l'avait même regardé passer avec du dépit pour cette pauvre âme venue se perdre de le coin.
Pourtant, la silhouette semblait s'avancer droit vers un endroit précis, comme un navire qui rentrerait au port après de long mois de navigation. Elle finit par s'arrêter devant un établissement qui, dans l'obscurité de la nuit ne semble pas payer de mine. Mais le bruit provenant de l'intérieur indiquait au contraire une ambiance à la détente, malgré les circonstances du monde. Lentement, la silhouette pousse la porte et entre, bientôt éblouit par la lumière du candélabre et des cheminées. La silhouette observa un instant la pièce, voir les personnes présentes, et ne put résister de laisser un sourire fatigué s'esquisser sur son visage.

-Toujours aussi fidèle à son nom. Demande-t-elle à l'aubergiste.

Elle posa une pièce sur le comptoir

-Et qu'est ce que se sera pour vous, ma p'tite dame? Rétorque l'aubergiste.

-Un bon vin chaud avec un bouillon, l'ami. Et si il te reste une chambre pour la nuit, je suis preneuse.

La voix de la femme semble aussi fatigué que le manteau de celle-ci par le long voyage qu'elle a accomplit jusque là. Finalement, la femme s'approcha d'une des cheminées et s'installa à une table attenante. Elle laissa alors tomber son manteau, dévoilant ainsi le visage fin d'une elfe au longs cheveux cendrés noués en une queue de cheval, par un ruban délavé.
Harthea posa son regard sur les flammes qui dansaient devant elle, se laissant hypnotiser par celles-ci.

L'entrée d'une étrangère dans une auberge n'intéressait guère de personne d'ordinaire. Sauf les plus curieux ou les plus attentifs. Parmi les quelques clients du soir, un homme à la longue crinière grisée fixait la jeune femme. Sa main enserrant un gobelet qui contenait encore un breuvage mielleux de seconde qualité, il la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle s'attable non loin des âtres actifs. Il fronça des sourcils quand la jeune femme dévoila l'entièreté de son visage en retirant sa cape. Il retint un grognement. Une Elfe...Qu'est ce qu'elle fichait là celle-là ?

Depuis que Vraog avait pris le pouvoir, il croisait peu d'Elfes. Ces derniers préféraient rester en petite communauté raciale ou se plongeaient dans leurs tâches. Du moins pour ceux qui étaient aux services de Vraog le Blanc.

Depuis l'avènement de ce dernier, Alauwyr avait dû prendre sur lui de côtoyer ces êtres usant de magie. Depuis deux ans, il s'étonnait de réussir à les supporter. L'habitude peut-être, mais il avait toujours cette amertume dans la gorge quand il en voyait un ; ou une. Quand il avait débarqué avec l'Armée Alayienne, les Elfes étaient considérés comme des impies à anéantir à tout prix, au même titre que la magie. Aujourd'hui... quand ils n'avaient pas pris la poudre d'escampette pour aller retrouver les leurs dans le Désert sous la protection des Esprits, ils étaient sous le joug de Vraog. En une longue année, Alauwyr avait du s'adapter à croiser ce qui étaient autrefois ses ennemis. Cela n'interdisait pas de toujours garder un avis très négatif sur eux. D'une certaine manière, il avait fini par tolérer leur présence. En même temps, avait-il vraiment eu le choix ? Pas vraiment.

Alauwyr était un Alayien qui avait été instruit dès le plus jeune âge à adorer un puissant Esprit : Néant. Ce dernier avait fini par faire défaut à son peuple et ses adorateurs, entraînant une défaite définitive quand à l'avenir des Alayiens en Armanda à ce moment là. L'épéiste n'avait jamais été un adorateur convaincu de Néant ; peut-être cela qui avait contribué à garder la tête sur les épaules et à survivre. Il avait toujours plus cru à sa propre lame qu'à la présence de Néant de toute façon et cela avait aidé à affronter bien des épreuves, là où d'autres Alayiens auraient courbé l'échine de désespoir.

Il prit son gobelet et but d'une traite le reste de son hydromel. Il était dommage que la qualité ne soit pas au rendez-vous. Il n'allait pas se plaindre. Il était de passage à Gloria, avant de rejoindre à nouveau les troupes qui chassaient les derniers rebelles. Une courte permission à Gloria, le temps de retourner aux dernières chasses contre les ennemis à Vraog...

Mais avant de partir, quelque chose lui piquait l'esprit. Cette Elfe paraissait intrigante. Bien qu'un bref rictus de dégoût passa sur ses lèvres, il chassa cette grimace, se leva et se dirigea vers la jeune femme aux oreilles spécifique à sa race. Quand il se rapprocha de sa table, préférant resté debout, la jeune femme contemplait le feu de l'âtre.

''On dirait que tu t'es perdue l'Elfe...''

-Perdue est un faible mot, pour celle qui ne sait ou aller, l'am...

Harthea avait répondu par automatisme, mais lorsqu'elle leva le regard des flammes et qu'il se posa sur cet homme, elle ne put que se figer un instant. Un homme. Comme il y en avait tant d'autre sur Armanda. Mais quelque chose se dégageait de celui ci sans qu'elle puisse dire quoi. Amical. Hostile. L'elfe n'aurait sût dire. Son regard la rendait perplexe. Il lui semblait presque froid. Presque antipathique. Mais peut être été-ce le fruit de la fatigue et du long voyage.

-Mais asseyez vous. L'invita-t-elle finalement. Mais sa voix était à l'image de sa situation. Perdue et légèrement distante. Il fait si froid dehors, et je ne suis pas venu dans le coin depuis si longtemps. Peut être me permettrez vous de vous demander des nouvelles de cette cité.

Harthea se força à sourire. L'homme n'avait rien fait pour s'attirer la tristesse de la jeune vagabonde. Un peu de courtoisie ferait du bien.
Elle leva une main à l'attention de l'aubergiste

-Remettez lui la même chose, sur ma note, l'ami. Puis elle avala une gorgé vivifiante de sa propre boisson, laissant ensuite échapper un léger soupir de soulagement. Je me nomme Harthea Thaidforodren. Et vous, l'ami? J'espère que vous saurez pardonner mes manières un peu cavalières, mais les chemins boueux ont eu raison de ma patience, si bien que je suis désormais complétement fourbue. Et un peu perdue pour le coup. Ma dernière visite à Gloria remonte à une douzaine d'années, alors que je venais retrouver une amie, et aujourd'hui la ville me semble être une autre. A part cette auberge, je n'y retrouve pour ainsi dire plus mes repères.

Elle posa les pieds sur l'un des tabourets libres et observa l'homme. Il devait être présent depuis un moment, car sa tenue ne portait pas de trace d'humidité.
A sa hanche, Harthea remarqua une épée visiblement de bonne facture et à l'aspect bien entretenue. Mais elle ne parvenait à en déterminer l'origine.

-Belle lame. Au main d'un homme qui semble savoir s'en servir. Salua-t-elle sincèrement. Que faites vous dans les parrages?

Elle tendit sa coupe à l'adresse de son invité en signe de bienvenu à ses côtés pour la soirée.

Alauwyr se contenta de croiser les bras sur sa poitrine tout en tournant juste assez la tête pour étudier cette elfe un peu étrange. Où s'était-elle trouvé depuis tout ce temps ? Elle semblait être dans une autre phase du temps, comme si elle sortait d'un long et lointain ermitage. Il se permit de hausser un sourcil circonspect. Une elfe restait une elfe, même si cette dernière était plus bizarre que ceux ou celles qu'il avait déjà pu croiser.

''Pour être cavalière, vous l'êtes. Vous conversez avec moi comme si nous nous étions déjà rencontrés. Hors c'est loin d'être le cas. Et êtes vous certaine de ne pas avoir raté quelque chose ? ''

Les Elfes qui lui ont été donnés de rencontrer n'étaient pas aussi familiers en approche et encore moins quand leur interlocuteur humain portait en tout impunité une arme à son fourreau. Cette donzelle aux oreilles pointues n'était pas plus perturbée que cela de sa présence et encore moins hautaine, aux côtés d'un humain. Oui décidément, elle devait venir d'une région complètement isolée. D'un sourcillement, il l'observait. Elle était à ses aises ici, comme si de rien n'était.

''Mon nom ne vous servira pas à grand chose, mais je vais satisfaire votre curiosité. Alauwyr Iskuvar. Rien de plus, rien de moins. Vous êtes restée bien loin hors de Gloria pendant toutes ces années, très chère Elfe... J'espère que vous êtes tout de même au courant des derniers grands événements. Il est impossible de passer à côté, ou alors vous étiez au fond d'une caverne...''

Ces Elfes, qui d'ordinaire se vantaient de leurs immenses connaissances et de leur longévité longue en comparaison de celle plus éphémère des humains, étaient d'une arrogance parfois agaçante. Pas tous n'agissaient avec un tel comportement. Mais ils étaient bien rares. Ses pensées cessèrent quand l'aubergiste apporta la même boisson que l'Elfe. Alauwyr resta sceptique quand au contenu et goûta du bord des lèvres. Hum, passage.

En même temps, il resta debout et ne donna aucun signe qui laissa prévoir qu'il allait poser son séant sur un tabouret vide.

''Ce que je fais dans les parages ? Comme vous, sans doute... Peut-être que je profite d'un bref moment de calme dans le fil de mon existence pour traîner dans ces lieux et tendre l'oreille sur ce qui se trame...ou voir les têtes des gens qui entrent et qui sortent. Qui sait si je n'attends pas qu'un ennemi se pointe ici pour tenter de m'occire, d'où le port de cette lame''

Au moins répondait-il sur le sujet de son épée que l'elfe avait évoqué.

''Les Elfes n'aiment guère traîner dans ces recoins, surtout en ce moment, même s'ils sont dans le même camp... Et évitez le terme ''l'ami'' avec des individus que vous ne connaissez, comme moi en tout exemple... certains sont moins conciliants que moi''


Disons qu'il était contraint de tolérer les êtres qu'il aurait tués sans vergogne, avant la venue de Vraog. Qui sait maintenant comment cette jeune femme elfe allait réagir après les répliques de l'Alayien

Harthea adressa un regard amusé à l'homme tandis qu'il se présentait, sans condescendance toutefois.

-Je prendrais votre remarque comme un compliment, alors. J'ignore beaucoup de choses sur ce qu'il s'est passé ces deux dernières années, ou peut être trois. Je ne saurais dire avec précision. J'ai découvert le lieu ou je devais rentrer, complétement piller et retourné. Depuis j'erre sur les terres, allant de droite et de gauche, sans jamais vraiment me poser.

Elle replongea son regard dans les flammes, suivant leur danse hypnotique. L’agressivité de cet homme y ressemblait tant, qu'elle avait envie d'en savoir plus sur lui. Mais qui accepterait de parler de soit alors qu'il est sur ses gardes. Elle n'avait d'autre choix que de lui montrer qu'elle n'avait nul envie de combattre. Du moins pas ce soir

-Alauwyr Iskuvar, dites vous. Un nom des plus intéressants. En disant cela, elle posa son épée sur la table, légèrement hors de portée pour elle, mais suffisamment proche pour que si un malandrin veuille l'occire, elle puisse s'en saisir pour se défendre. Sachez en tout cas, que vous n'aurez pour tout assaut de ma part que des questions et ce verre de vin. Il serait malvenu de ma part de vous agresser alors que nous venons à peine de nous rencontrer. Et j'ai énormément de respect pour se brave Owen et son établissement. Je ne voudrais pas m'en faire chasser par la garde ou par quelqu'un d'autre.

Harthea leva alors sa coupe à l'attention de la salle, comme une salutation amical. Certains lui retournèrent le salut, tandis que les autres demeuraient au mieux silencieux, au pire suspicieux. Visiblement, à l'image d'Alauwyr.
Elle reporta son attention sur l'individu et le regarda dans ces yeux sombres, cherchant à le comprendre.

-J'ignore ce que font les autres elfes. Et pour le moment, ce n'est pas ce qui me préoccupe. Pour le moment, la seule chose qui m'intéresse réellement, c'est de retrouver les miens. J'ai déjà perdu une amie par le passé à Gloria, dans les affres du temps. Je veux juste savoir ce qu'il est advenu de ceux que je recherche.
Quand à votre remarque, il semble que je me soit mal fait comprendre. Mais je m'efforcerais de l'appliquer, puisque tel semble être votre souhait, Sir Iskuvar.

Si la voix d'Harthea était jusque là distante, elle appliquait désormais dans celle ci un ton invitant à l'entente, plutôt qu'au conflit. Mais l'on pouvait toujours sentir présent la menace pour celui qui voudrait s'attaquer à elle. Une menace qui résonnait dans toute la salle, sans même qu'elle eut à hausser le ton.
Si l'on voulait la tuer, on ne l'emporterait pas sans y laisser un certains nombre de morceaux.

-Mais pardonnait mon impolitesse, Sir Iskuvar. Nous discutons et j'oublie de vous demander d’où vous venez. Puisque vous me signifiez ne pas être du coin, je suppose que vous souhaitez également vous reposer. Alors entre voyageur, profitons donc de ce feux pour dissiper les malentendus qu'il put y avoir entre nous.

Elle se redressa alors que l'aubergiste lui apportait le bouillon qu'elle avait commandé, et commença tranquillement à le savourer, ramenant au passage sa chevelure sur le côté pour ne pas être gênée pendant qu'elle mange.

-Savez vous ce qu'il y a de plus regrettable dans le fait de voyager, Sir Iskuvar? Le fait de ne pouvoir avoir tous les soir un repas fait avec tendresse. Lorsque je suis venu pour la première fois à Gloria et que j'ai eu l'occasion de gouter à la nourriture de cette auberge, je n'avait que dix petites années. Et pourtant, maintenant, avec mes malheureuse cent vingt années de vie, je redeviens toujours la même petite fille lorsque je goûte le bouillon qui est transmit dans cette taverne. Nouvelle génération de cuisinière, mais toujours autant de saveur.
J'ignore ce que vous avez vécu. Je ne le saurais peut jamais. Ou peut être qu'un jour nous pourrions en discuter. Mais en attendant, pour ce soir, je vous invite à partager cette simple soupe avec moi.
J'insiste. Laissons le passé derrière nous. Au moins pour le moment.

Harthea adressa à Alauwyr un sourire des plus sincère et des plus amicale, appuyant ainsi son invitation

-L'hospitalité n'a aucun prix. Acceptez la mienne. Vous qui venez me voir en cette soirée. Soit par la volonté des Esprits, soit par la vôtre. Mais profitez de ce moment. Savourez le, car nous ignorons tous les deux ce qu'il donnera.