Il aimait ce lieu. Non... Aimer n’était pas le bon terme. C’était trop fort. Trop complet. Trop net. C’était trop définitif. Mais il avait une indubitable inclinaison pour lui, ça c’était certain. Il ne pouvait guère nier que l’atmosphère, la chaleur, lui étaient agréables. Mais ce n’était en rien surprenant. Pas pour lui en tout cas. Il avait découvert cette inclinaison très tôt dans sa nouvelle existence, comme une prolongation, un autel à ce qu’il avait été autrefois. Le nom raisonnait encore en lui, comme un écho, comme un tambour, comme le crépitement des flammes… Chantefeu. Parmi les souvenirs ravivés par les récits de son frère, peu avaient déjà réussi à faire s’éveiller d’eux-mêmes. Il savait que l’épopée qu’il avait recueillie de ces lèvres qui, jamais, ne lui mentaient, n’était que pure vérité. Autrement, il aurait su. Il savait. Toujours. On ne pouvait lui mentir. Jamais. Et c’était heureux, car il abhorrait les mensonges comme la plus effroyable des plaies. Pour autant, s’il savait que Lorenz n’avait pas menti, s’il connaissait son histoire, celle-ci ne résonnait pas toujours pour lui. Il ne se l’était pas encore pleinement approprié. Sans doute le serpent totem aurait-il pu raviver ces flammes-ci, mais il ne le désirait pas. Cela viendrait de lui, et uniquement de lui.

Comme tout le reste d’ailleurs. Obtenir par la grâce d’un autre n’était pas à son goût. Il préférait jouir de la satisfaction d’une victoire pleinement personnelle, et sa mémoire ne dérogerait pas à la règle qu’il avait établi en ce sens. C’était la raison principale à son voyage, celle qui le motivait à supporter l’intérieur du mouroir qu’était Morneflamme. Il avait effleuré quelque chose, au cours d’une de ses séances de méditation. Un lambeau de souvenir diffus, quelque chose dont Lorenz n’avait pas eu connaissance. Il ne le cernait pas encore tout à fait, mais ce qui lui dictait son instinct le rendait assez soucieux pour qu’il décide d’en avoir le cœur net. Il lui fallait savoir. Il lui fallait être certain. Et si menace il y avait, alors il se devait de l’éradiquer. Il ne rejetait pourtant pas la curiosité qui, depuis sa découverte, le taraudait, bien qu’elle sembla secondaire à l’aune de l’urgence qu’elle lui insufflait. Froide raison lui conseillait de ne pas se laisser déborder par ce vice pourtant attrayant. Il était tenté de lui céder, et pourtant pas tout à fait. Alors il patientait, attendant d’en savoir davantage pour trancher cette décision. Il attendait là, près de cet escalier que l’on nommait ‘la fin du voyage’.

Il attendait, supportant sans un mot, sans un signe, le dégoût que les prisonniers lui inspiraient. La crasse, la maladie, la famine, le désespoir qui régnait là l’indisposait profondément. Pourtant ce n’était pas le fait des créatures elles-mêmes, et il n’avait aucun grief personnel à leur encontre, si ce n’était peut-être le tapage qu’ils provoquaient, même ici, et l’agonie que cela représentait pour des oreilles qu’il avait délicates. Les sons comme les mots, étaient de ces trésors qui conservaient une certaine singularité à ses yeux, vestiges, sans doute, du baptistrel qu’il fut jadis. Et c’est en vertu de cette préciosité qu’il rectifia les dires de l’humain s’étant présenté, comme il se devait, devant lui. « Je voulais te voir » Il n’aurait souhaité qu’auprès d’un supérieur, lui ne l’était pas. Quoi qu’il ait pu être jadis, il n’était rien désormais. Encore moins à ses yeux. Mais peut-être cela changerait-il avec leur entrevue. Peut-être, oui. L’expressivité de cet homme lui était déjà fascinante….

Mains dans le dos, dans une stricte posture militaire allant de pair avec sa mise, il étudiait l’être qui lui avait fait parcourir tant de lieux. Oui, ce visage était fascinant. Il était évident qu’il se contenait, et pourtant son expressivité était des plus claires. Un amusant mélange, et d’autant plus qu’il semblait être le genre d’individus à afficher ses expressions et ses sentiments. Cela se ressentait dans ses traits et son corps, sans pour autant démentir l’apprentissage qu’il avait dû endurer pour être capable de survivre dans une cour humaine. Avec un amusement passager, le général se demanda s’il s’en sortirait aussi bien face à au panier de serpents qui se nommait l’entourage de Vraorg. Sans doute pas totalement. L’amusement passa bien vite, un éclat passager au fond de son regard d’obsidienne polie, remplacé par une observation silencieuse et pensive, nullement agressive. Il n’était pas agressif de nature, s’il on omettait ses premiers et honteux mois.

Du moins, il n’était pas agressif lorsqu’on ne cherchait pas à le rendre agressif d’une quelconque manière. Gageant que son vis-à-vis n’avait rien à gagner à le prendre à rebrousse poils, pourquoi aurait-il bronché ? Il avait mieux à faire, détailler ce visage, par exemple. Les traits semblaient lui revenir, familier, et la sensation était si agréable qu’il semblait incapable de détacher son regard de lui, ignorant parfaitement la réprobation pourtant caractéristique dans le silence de l’autre. Oui, oui… cela lui revenait, lentement. Ils se connaissaient, tous les deux. Ils se connaissaient même très bien. Que s’était-il passé entre eux pour qu’il sente lui venir une telle familiarité à son égard ? Quelque chose l’attirait chez lui. Une chaleur différente de celle qu’il appréciait en ces lieux, malgré la crasse et la puanteur d’une lente agonie. Une chaleur de l’esprit.

Enfin, il consentit à rompre de nouveau le silence, d’une voix calme et posée, aussi délicieuse, sans doute, que de son vivant, quoi que dépourvue de cette note purement magique qu’il savait caractériser les douze maîtres. « Tu me connais, c’est évident. Ce n’est guère réciproque. Ton nom, ce que tu étais voilà trois ans, cela m’est connu. Mais qui tu est… » Une légère accentuation du mot « … et qui tu es pour moi, reste à déterminer » Ils étaient dans une relative confidence, et il ne craignait nullement les prisonniers, aussi se permit-il d’approcher et de l’ausculter du regard, de tourner autour de lui, d’un pas tout aussi posé que sa voix mais au rythme précis et martial. Lorsqu’il revint se poster face à lui et qu’enfin, son regard accrocha le sachet à son cou, il sembla se tendre, ô si discrètement… Immédiatement, il se contint, ne souhaitant pas offrir de prise à l’adversité. Et néanmoins, aborda le sujet. « Ceci... tu l'as conservé pour moi, n’est-ce pas ? »

Il ne broncha pas sous le regard scrutateur que l’on posait sur lui. Il n’appréciait guère qu’on l’observe ainsi, pourtant, mais celui-ci ne le dérangeait pas autant. Il était bien trop occupé à le détailler lui-même. Dans le vide de sa mémoire apparaissaient, indistinctes, les ombres d’anciennes connaissances, d’anciennes scènes qu’il avait dû vivre. Rien de précis. Mais bien assez pour aviver sa curiosité au-delà du raisonnable. Il aurait pourtant été bien avisé de se tempérer. Mais rien à faire, il avait mordu à l’hameçon et, ferré, ne parvenait plus à repousser l’attrait de ce qu’éveillait l’humain en lui. Si cela l’intéresserait ? Bien évidemment. Il était spécialement là pour ça d’ailleurs. Mais hors de question de le lui dire car ce serait lui offrir un ascendant sur lui. Hors il n’était qu’un prisonnier, et lui son supérieur. Il devait conserver le contrôle de la discussion de bout en bout. Pourtant s’il désirait voir l’autre s’épancher un tant soit peu, il fallait tout de même qu’il donne une réponse positive. « Certes » finit-il par exprimer, confirmant son hypothèse sans se mettre en danger pour autant. Il ne le quittait pas des yeux, décortiquant son faciès et son corps en analysant peu à peu ce qu’il en apprenait autant que ce que cela réveillait en sa mémoire éparse.

Il était de toute évidence capable de se battre, même si trois années d’enfermement lui avaient fait perdre de sa superbe. C’était terriblement étrange, complètement déroutant. Les sentiments revenaient plus aisément que les images et ce qu’il ressentait, à s’imbiber lentement de la présence de l’humain…. C’était de la confiance. De l’affection. Et du respect. Que toutes les lunes soient damnées, pourquoi donc éprouvait-il un si profond respect pour… pour un vivant. Le respect n’était pas quelque chose dont il était dispendieux et encore moins avec les créatures mortelles. Pourtant il lui venait naturellement avec lui. C’était dangereux. Il s’était douté que quelque chose de dangereux risquait d’émerger de ce voyage mais il avait sous-estimé le danger en question. Il était plus insidieux qu’il n’aurait pensé. S’il se laissait amadouer par cette confiance naturelle qu’il ressentait et qui provenait sans doute d’un passé révolu, il risquait beaucoup. Et encore plus s’il s’en rendait compte. Sa raison lui soufflait bien qu’il ne pourrait rien obtenir de lui, en particulier en un lieu pareil, mais il préférait rester prudent. Prudence était mère de sûreté après tout….lui n’avait rien à perdre.

Confiance. Voilà qu’il énonçait ce mot biaisé. Et pourtant il ne le releva pas, observa plutôt ce sourire qui en disait plus que tous les discours du monde. Tous deux avaient donc été très proches. Assez pour qu’il lui confie ses souvenirs malgré sa faiblesse. Pourtant s’il lui avait confié cette charge, c’était bien pour une raison, même si l’humain n’avait pas dû la comprendre. Quelle était la raison en question, il ne le savait pas encore mais il parviendrait bien à s’en souvenir. Il refusait de croire qu’il avait été fou au point de faire confiance au premier venu sans de bonnes raisons et ce que lui avait conté Lorenz soutenait son point de vue. « Que tu n'ais eu conscience des raisons qui me poussaient à te confier pareil fardeau ne signifie pas que de telles raisons n’existaient pas effectivement. Le fait que tu ais réussi à les conserver jusqu’à maintenant tend à me faire croire que, quelles qu’ait été mes motivations, elles ont été confortées. Ne reste plus qu’à les connaître, sans doute » Bonne chance à eux pour cela, puisque ce genre de détails était les plus compliqués à faire renaître… Mais il était prêt à tout pour les connaître. Bon grès, mal grès, la curiosité le dévorait un peu plus à chaque instant.

Il eut un léger changement de position, mais ne répondit pas à son interrogation. En vérité il n’avait pas eu conscience de l’existence de ce sachet avant de le voir. Il avait seulement eu conscience qu’il détenait quelque chose. Une chose alors sans forme, porteuse d’une unique et puissante urgence. A présent il circonvenait mieux le problème. Muet, il se contenta de l’observer, le poussant sans doute à poursuivre dans ses paroles. Il lui en apprenait énormément en peu de temps, comme une source intarissable de compréhension. Au travers de cet humain, c’était sa propre personne qu’il apprivoisait, autrement que sous la férule de son frère. C’était singulier… et dangereux, une fois encore. Il préférait se montrer aussi précautionneux que possible. Sans compter qu’il ne tenait pas à fournir à quiconque un levier pour l’atteindre. Sa famille suffisait à cela. Lorsqu’il en eu enfin finit, il se permit enfin de répondre, stoïque mais l’ombre de quelque chose d’indéfinissable dans le regard. « Tu me considère comme ton ennemi humain, je ne le suis pas et ne te considère pas comme le mien. Pas ici. Mais détrompes toi tout de suite, si tu penses en toute sincérité que j’ai le choix. »

Quelque chose de dur était venu se glisser dans la mélodie entêtante de sa voix, une note inflexible et impavide en écho à l’inéluctable de ce prétendu ‘choix’. Le ressentiment l’habitait à chaque instant depuis trois ans, et menaçait de l’étouffer chaque fois qu’il voyait Lorenz ou Ambre, rageant en silence de leur situation à tous. Et il savait son frère dans la même optique. Mais comme lui, il ravalait tout cela et le taisait. Il aurait sans doute pu argumenter bien davantage en son sens, expliqué, mais il n’en ressentait pas le besoin. S’il désirait croire ses paroles il le ferait, sinon tant pis, il pouvait bien le croire son ennemi, dans sa situation cela ne lui changerait pas grand-chose. Il ne jouerait pas plus ce jeu-là pour autant. Et là-dessus, il tendit une main gantée pour qu’il y dépose le sachet. L’ayant enfin en main, il en tira l’une des perles et l’observa avec grande attention et minutie. Elles éveillaient de puissants échos en lui… il lui semblait presque sentir son âme vibrer avec elles.

Il resta un très long moment muet, puis se décida finalement, glissant la perle de nouveau dans le sachet avant de se tourner vers l’humain. Il accrocha son regard, ses prunelles d’aniline franches et déterminées, imperturbables. " A genoux Korentin Kohan » ordonna-t’il. Il prenait un risque, mais il le prenait en connaissance de cause.

S’était-il réellement attendu à le voir plier aisément devant lui ? Pour être absolument honnête, il se devait de reconnaître que oui. C’était devenu une habitude que de voir ses ordres obéit et hommage lui être rendu, à son niveau. Comme lui rendait ce qu’il devait à Lorenz ou, avec plus réticente, avec Vraorg. Oui, il s’était un peu attendu à ce que l’humain plie l’échine. Après tout, n’était-il pas seigneur et lui simple prisonnier ? Ce n’était-là qu’un geste classique, attendu oui, un geste qu’il était en droit d’exiger. Il s’était un peu attendu à ce que l’autre mette un genou au sol devant lui. Mais pour être également tout à fait honnête, quelque chose en lui, lui avait tout de même soufflé que ce ne serait pas le cas. Un tout petit quelque chose au fond de lui. Peut-être cela provenait-il de son ancienne connaissance de l’individu, peut-être simplement de ce qu’il déduisait de lui. Peu importait en réalité. Il avait survolé ce tout petit quelque chose sans vraiment y faire attention. Une erreur. Ce lieu tendait à lui en faire faire. Hm. Non. Ce lieu tendait à l’inciter sur une pente dangereuse. A Gloria, il ne se serait jamais permit de baisser sa garde d’un seul iota. Ici, entouré uniquement de prisonniers, il devenait quelque peu négligeant. Il se devait d’être à l’affut du plus petit indice.

Fort heureusement, ce petit écart n’avait pas porté à conséquences. Le refus ne s’attira aucune réaction de sa part, dans un premier temps. Il était tout de même surpris, et un peu admiratif sans doute, qu’il ait réellement l’aplomb de lui refuser son ordre direct en sachant ce qu’il pouvait lui faire. Pour tout vampire et théocrate forcé qu’il fut, il ne se considérait pas comme un individu cruel. Il répugnait même à la torture et au barbarisme que celle-ci entraînait. Ce qu’il accomplissait, il l’accomplissait sans brutalité excessive, lui préférant l’efficacité. Net et précis, concis et efficace. Voilà ce qu’il estimait être. Et à ses yeux, la cruauté n’était pas nécessaire. C’était une perte de temps qu’il laissait à d’autres. Néanmoins, il estimait également que chaque action recevait son dû en bien ou en mal et il était aussi prêt à céder à un châtiment bien senti lorsqu’on manquait à ses devoirs. Et tout comme il estimait ne pas être cruel, il estimait également être parfaitement capable de transmettre le message qu’un châtiment était censé transmettre, au degré qu’il était censé le transmettre. Cette fois-ci pourtant, il n’estimait pas avoir à en infliger un. S’il n’avait pas fait part de la raison de son ordre c’était qu’il tenait à voir sa réaction. Et il n’était absolument pas déçu.

Stoïque, il l’observait de son regard sombre, le laissant cogiter tout seul comme un grand et suivant le fil de ses pensées qui brillait dans ses propres prunelles en se demandant quelle en était la teneur exacte même s’il en devinait une partie. Une partie qui le satisfaisait étrangement. En vérité, il n’aurait sans doute pas aimé le voir plier aussi vite. Qu’il ne l’ait pas fait lui apportait un plaisir diffus mais réel. Et l’éphémère souffrance dans son regard le satisfit également. Oui, il ne savait pas le détail exact de ses pensées, mais elles étaient allées dans le sens qu’il avait espéré. En réponse, il s’autorisa à laisser transparaître l’amusement qui l’envahissait lentement, comme une lueur plus chaude dans ses prunelles abyssales. L’affirmation de son incompréhension fut l’aveu de faiblesse qu’il attendait d’avoir. On lui confirmait qu’il avait encore pleinement la main. Jusqu’ici il s’était ménagé et avait avancé avec méfiance, mais l’idée qu’il avait senti germer en lui, lui avait semblé bonne, aussi l’avait-il adoptée, avec la dose de danger qu’elle comprenait. Il attendit encore un instant avant de gracier le Kohan.

Un sourire. Chose rare chez lui, extrêmement rare. Il les réservait pour sa famille, en règle générale. Pour Lorenz et Ambre. Mais il se sentait l’envie de le faire cette fois. Ses lèvres délicates s’ourlèrent avec suavité, son regard et ses traits s’emblèrent se réchauffer comme un doux feu de cheminée en hivers, qui réchauffe l’homme grelottant de froid en crépitant bas, d’un chant qui berçait. Cela ne dura qu’un bref instant, avant qu’il ne reprenne son sérieux, malgré la lueur de ses prunelles. Alors, il consentit à répondre. « Exactement ce que je t’ai dit, Korentin Kohan. Je te veux à genoux pour moi. Tu as dû le remarquer depuis le temps, je suis de taille réduite, et toi, tu es grand. Ce qui signifie que pour t’attacher ceci » Il éleva légèrement le sachet dans sa main « autour du cou, soit je te demande de t’abaisser, soit je te grimpe sur les épaules, solution qui serait préjudiciable pour nous deux, et inconfortable en plus de cela » Et son regard affirmait clairement que malgré son humour, il n’était pas prêt à cela.

Pour renforcer encore son affirmation, il porta une main à ses longs cheveux strictement tressés et en retira un lacet de cuir sombre qu’il utilisa pour nouer le sachet à la place de celui qu’avait fait céder l’humain en se l’arrachant. Une fois qu’il eut finit, il s’approcha de lui. Il devait avoir eu assez de temps pour prendre sa décision, et néanmoins, il reprit. « Je ne pense pas être prêt à recevoir ce que contient ces perles…. Jusqu’ici, tu as été un excellent gardien, aussi j’aimerais que tu poursuive ton rôle et que tu préserves ces objets, jusqu’au jour où je serais à même d’en prendre réellement possession » Il accrocha son regard du sien, intense et dur, profond et franc « Je ne suis plus Baptistrel, Korentin Kohan. Et je ne possède que peu de souvenirs de mon ancienne vie. Sache cependant deux choses. La première : Je ne souhaite pas simplement accepter ce qui était mes avis lorsque j’étais elfe. Si un lien nous devons partager, quel qu’il soit, je désire le forger avec ce que je suis maintenant. La seconde : Je ne sais pas quelles raisons m’ont poussés à te donner ces perles… mais je sais une chose. Les perles de mémoires, comme les diamants de puretés, sont des artefacts destinés. Ce qui signifie que seuls les individus à qui le baptistrel les destine sont capables d’en obtenir le contenu. J’ai clairement senti que j’étais invité à le faire… mais je ne suis pas le seul »

Voilà le premier danger auquel il s’exposait. Il pariait entièrement car l’humain serait seul maître de ses avis pendant un très long moment… il pouvait user de ce que contenait la pierre contre lui et contre Lorenz, et contre tellement d’autres sans doute… Mais quelque part, tout ambitieux mouvement était dangereux. « Toi aussi, est invité à prendre possession de ces souvenirs et connaissances. Toi et toi seul. C’est inscrit dans ces perles »

De son vivant, sans doute avait-il également eu une très bonne raison de lui destiner ces perles. Une raison perdue depuis lors, mais malgré les défauts qui avaient semblés lui appartenir lorsqu'il était elfe, il se faisait assez confiance pour ne pas remettre cette décision entièrement en question, comme il avait pourtant cru devoir le faire en mettant les pieds à Morneflamme. Sans doute avait-il également eut une raison de ne pas dévoiler directement et franchement cet accès aux perles, sans doute pour ménager l'humain. Du moins c'était ce qu'il pouvait imaginer. Il se montrait, aujourd'hui, plus direct et plus franc, quand bien même il était évident que l'autre était réticent. Sans doute l'était-il autant que lui. Pourtant, tout comme lui, il se plierait à ce qui n'était rien moins qu'un devoir. Car cela devait-être, exactement comme il avait fallu qu'Aldakin ramasse la pierre qui avait causé son trépas et sa transformation. Il ressentait cette même impression de justesse, dans le geste, que dans l'ordre donné trois ans plus tôt à l'alayien. Il le sentait, tout près de lui, son vieil ami le destin, avec ses jeux d'osselets. Le narguant presque, en silence, tandis qu'il bouillait de lui tordre le cou. "Je pense le comprendre" répondit-il à son soupire.

Il n'aurait pas la sottise de l'affirmer de façon plus péremptoire mais pensait effectivement pouvoir comprendre, en exergue de ses propres doutes. Et de ses propres craintes. Il ne savait d'où exactement cela venait, tant il se fichait qu'on le juge. Pourtant il craignait ce que les perles pourraient lui apprendre. Il ne les déroberait pas à leur usage, bien entendu, mais il se sentit, un instant, étreint de cette frayeur que l'on peut ressentir en se demandant si l'on est au goût de la personne estimée face à nous. Un bref instant seulement, avant qu'il ne redevienne maître de lui-même. Il assumerait les conséquences de son choix, si choix pouvait passer pour le bon mot en cet instant. Un jour, il y avait une vie de cela, quelqu'un lui avait dit qu'on estimait parfois plus un être pour ses travers que pour ses qualités. Ou bien était-ce lui qui avait affirmé cela ? Il ne savait plus, mais cela lui semblait cohérent. Restait à voir si ce serait vrai. Et advienne que pourrait. A nouveau, l'humain parla, et il hocha la tête légèrement. Il ne le remercierait pas, car il estimait que ce n'était là que logique et raison, mais il saluait celui qui savait écouter ces deux froides conseillères.

Il vint nouer le lacet à son cou, puis recula pour qu'il puisse se redresser. L'affirmation suivante le fit de nouveau sourire bien malgré lui, et il répondit avec cette même douceur posée qu'il arborait souvent. "Un jour, lorsque j'étais elfe… j'ai juré à Lorenz de l'affronter, et de le tuer…." Et pourtant, il était aujourd'hui son frère, liés tous deux par quelque chose d'indestructible. Quelque chose qui avait même vaincu l'oubli imposé par le venin vampirique. Quelque chose que même Vraorg avait admis ne pas pouvoir détruire. " C'est ce qui différencie profondément une pantomime de la réalité, en ce bas monde, on ne sait jamais comment les choses vont réellement évoluer" Il l'observa encore un moment, une lueur pétillante dans ses yeux de jais, puis souffla doucement "Îs horya cuïa Korentin*" Et sur cette conclusion, soufflée si bas qu'il eut sans doute du mal à l'entendre, il fit un léger signe de tête en salut et repartit en même temps que lui, l'un ne le cédant pas à l'autre, mais en égal condition, une concession pour tous deux.

* Îs horya cuïa : Vous devez vivre


HRP : Et voici la conclusion Merci pour ce rp, c'était vraiment génial !