Cela faisait plusieurs semaines déjà qu'il s'était évadé en compagnie de quelques autres infortunés, au nombre desquels ni plus ni moins que l'ancien chef de file de la rébellion Kohan, le dragonnier Korentin. Il ne l'avait certes pas reconnu immédiatement, mais l'évidence lui était finalement apparue quelques heures après qu'ils se fussent éloignés des abords immédiats de Morneflamme, alors qu'ils avaient pris la décision de se séparer pour laisser chacun tenter sa chance indépendamment du reste du groupe. Trop faible encore que pour se risquer à de longs voyages au milieu d'une Théocratie grouillante d'impériaux avides de toucher une prime probablement particulièrement généreuse pour sa capture, Aldakin avait pris la décision de se terrer plusieurs semaines durant dans les montagnes, usant de la moindre crevasse comme d'un abri de fortune. Il se nourrissait à même les carcasses qu'il disputait aux loups, dépouilles dont l'origine n'était pas toujours animale d'ailleurs, mais après trois ans à croupir dans les bas-fonds de la prison du Voleur de Coeur, il semblait difficile de faire la fine bouche. L'essentiel pour lui était de récupérer des forces et de panser ses plaies : l'éclat cristallin qui circulait encore dans ses veines lui avait rendu une part de ses pouvoirs mais aussi longtemps qu'il resterait hors de la fameuse barrière supposée délimiter le Protectorat, il n'en demeurerait pas moins vulnérable.

Lorsqu'il estima son corps suffisamment vaillant pour se risquer à parcourir de plus grandes distances, le Prêcheur dirigea sa lente marche vers l'ouest, conscient que ses poursuivants concentreraient naturellement leurs efforts sur les itinéraires les plus directs. Il évitait soigneusement les routes et les villages les plus modestes, là où un voyageur isolé ne manquerait pas interpeller l'attention de quelque félon prêt à vendre père et mère aux inquisiteurs du Dragon Blanc si cela pouvait leur permettre de toucher une poignée de piécettes. Si sa mémoire ne lui faisait pas défaut, la ville d'Elena n'était plus qu'à quelques jours de marche désormais. Il ignorait ce qu'il y trouverait, mais il était toujours plus facile pour un fugitif en quête d'anonymat de se mêler à la foule d'une cité en effervescence. A supposer bien sûr qu'il y arriva un jour, un obstacle inattendu se dressant soudain en travers de son passage sous la forme d'un fleuve qui, le tacticien et logisticien minutieux qu'il était n'en doutait pas, n'existait pas trois ans auparavant. S'était-il perdu ? Peut-être bien, le continent qu'il était jadis venu soumettre au nom du Néant avait considérablement changé au cours des trois dernières années et il lui était difficile d'en reconnaître les paysages. Toutefois, c'était pourtant bien la silhouette lointaine d'une ville qui se laissait deviner sur l'horizon, qu'il s'agisse d'Elena ou non importait peu en vérité mais pour l'atteindre, encore fallait-il parvenir à franchir le fleuve. La nage semblait cependant une perspective bien peu attrayante, le courant était puissant et les eaux ténébreuses charriaient de grandes quantités de débris qui eurent considérablement entravés la moindre tentative de traversée.

Par chance, l'examen détaillé des alentours révéla au Prêcheur l'existence d'un pont qui enjambait la rivière à quelques lieues seulement de là. S'en approcher représenterait assurément un danger et il n'était pas assez stupide pour ignorer qu'un tel passage serait forcément gardé, mais il eut été plus stupide encore de tenter un voyage de plusieurs mois pour atteindre la prochaine ville ou la barrière des Protégés avec le peu d'équipement dont il disposait alors. Ainsi, après quelques minutes à débattre intérieurement de sa propre décision, l'ancien général alayien dirigea son pas en direction du pont, rehaussant la capuche de sa chasuble pour dissimuler au mieux le détail de ses traits tandis qu'il adressait une muette prière au Néant, gardant l'espoir que les gardes choisiraient un autre jour pour faire de l'excès de zèle.

Cela faisait presque trois mois, à quelques jours près, que des prisonniers avaient réussi à s'évader de Morneflamme. Alauwyr n'avait pas été surpris de la nouvelle et avait été encore moins étonné d'être affecté à un détachement qui fut envoyé dans le nord, tout en patrouillant le long des rives du fleuve. Leur objectif ? Barrer la route aux fuyards qui chercheraient à rejoindre la ville d'Elena. Pour peu qu'on arrivait à remettre la main dessus. En trois mois, ils avaient pu s'éparpiller n'importe où pour fuir les Impériaux envoyés à leurs recherches. Il était aisé d'imaginer qu'ils n'auraient pas tous opter pour une descente directe par le sud, pour affronter directement le désert. Ou alors il fallait être fou et certain à la fois que les Protégés prendraient les mesures adéquates pour les secourir, comme les forces théocrates les leurs pour contrer les possibles tentatives. En somme, hormis le sud, toutes les directions étaient possibles à prendre pour fuir Morneflamme et retrouver la liberté. Et Elena était donc un point très probable sur un chemin de fuite. De toute façon, rien n'était négligé. Pas même un simple pont qui enjambait un fleuve au courant rapide qui décourageait toute franchissement à la nage

A ce même pont, depuis quelques jours, Alauwyr participait à sa garde avec un groupe bien armée. Le gros des forces patrouillaient le long des deux rives. L'Alayien restait bien sceptique quand à leur utilité dans cette zone. La région était immense. Autant rechercher une aiguille dans une meule de foin. Et ce n'était pas le seul pont qui manquait le long du fleuve. Sauf si on cherchait à traverser au plus tôt pour se trouver. Seulement quelques jours qu'il était là à faire le pied de grue et il rongeait déjà son frein. En même temps, jouer le garde n'était guère plaisant, lui qui préférait se retrouver dans un combat. Même les patrouilles étaient plus passionnantes ! Oh il n'oubliait pas qu'il était avant tout un soldat.. Mais peut-être qu'il commençait à se faire vieux pour certaines choses. La seule satisfaction qu'il tirait d'être ici, était qu'il était loin du désert. Il n'avait guère aimé ce milieu et surtout dans les circonstances dans lesquelles il s'y était retrouvées

Cinq années déjà s'étaient écoulés, inexorablement comme l'eau du fleuve s'écoulait sous ce fichu pont. Cinq ans à se battre avec des mésaventures qu'il n'aurait jamais cru possible. Avec quelques interrogations et des incertitudes. A penser à nouveau à cela, il grommela et chassa tout ça de son esprit. Ce n'était pas le moment de bâiller aux corneilles. La distraction n'était pas en plus au programme du jour.

Étirant un peu ses épaules crispées de rester aussi longtemps debout à attendre que le temps passe et à jeter un regard glacial aux rares civils qui osaient franchir ce pont, il regarda le soleil qui avait bien entamé sa course quotidienne. Dans quelques heures à peine, la nuit le remplacera. D'ailleurs, une petite fraîcheur dans l'air se faisait ressentir un peu plus à chaque instant qui passait. Le soleil avait été présent tout le long de cette harassante journée, mais il ne s'était guère montré chaleureux. Pour se prémunir du petit froid à venir de la nuit, Alauwyr releva sa capuche et remonta son fouloir. Sous cette apparence, il donnait l'impression d'être une ombre incarnée en homme. Encore quelques heures et il aura mérité une bonne nuit de sommeil.

Il se tourna vers la partie du pont qui menait à la rive est. Un ou deux badauds au regard effrayé hésitaient à poser le pas sur la solide structure qui franchissait le fleuve. Les gardes de ce côté étaient plus préoccupés à faire des commentaires graveleux sur une de leurs rencontres féminines d'un soir que de se soucier des gens qui voulaient passer. A voir leur peur, il était certain que cela ne pouvait pas être un prisonnier. Puis l'Alayien décida de rejoindre le bord est. Un de ses congénères d'origine Armandéenne l'interpella

''Hé, où vas-tu ? Ce n'est pas encore l'heure de la relève !''

Alauwyr lui décocha un regard peu avenant. Plutôt agacé même.

''Occupe toi de ta place. Fais ce pourquoi tu es le mieux placé à faire, à savoir garder le centre de ce pont. Pour ma part, je vais étancher ma gorge sèche ! Ca te convient comme réponse ? ''

L'homme n'insista pas. Une bonne chose pour lui. Qu'il était agaçant d'être surveillé comme s'il était le dernier des imbéciles. En plus, mener la garde sur le pont n'imposait pas une place précise aux dernières nouvelles. Il marcha d'un pas décidé vers la sortie est du pont, là où du petit ravitaillement l'attendait. Il ne prêta aucune attention à un autre badaud qu'il s'apprêta à croiser. Si ce n'était que de lui décocher un bref regard dénué d'intérêt. La capuche relevé de ce dernier dissimulait une partie de ses traits. Bah, n'importe quel va-nu-pied portant une capuche s'en revêtirait pour se protéger du temps...

Ils se croisèrent mutuellement et un doute germa petit à petit dans son esprit. Les yeux plissés, Alauwyr stoppa ses pas. Cet individu le perturbait quelque peu... il avait déjà croisé le regard de cet individu, mais où ? Il tourna légèrement la tête pour l'observer en coin. Bien que d'une bonne taille, cet homme avait une démarche qui lui évoquait aussi un lointain souvenir... Il avait vu cet homme. Mais où et à quel moment ? Doucement, la main qu'il portait à la ceinture s'en détacha pour se tenir prête à sortir son épée hors du fourreau. Soudain son coeur fit un bond dans sa poitrine.

Impossible !

Ses mâchoires se crispèrent. Impossible que ce soit lui ! Et pourtant. L'interrogation de quoi faire le prit en étau. Même s'il était un évadé, il restait celui qui avait avivé la flamme alayienne avant que ses forces armées ne débarquent sur le continent. Même si Néant n'était plus, même si les armées Alayiennes n'étaient plus... il restait ce qu'il était. L'esprit de l'Alayien se rembrunit néanmoins. Le temps changeait le coeur et les esprits des hommes.

Il se retourna complètement et dirigea ses pas vers cet inconnu. Sans brutalité mais d'une poigne ferme, il lui attrapa le bras, le contraignant à s'arrêter. Un silence s'étendit sur un court instant avant qu'Alauwyr ne la brise d'une voix froide et murmurante.

''Une très mauvaise idée que d'être là....''

A mesure que la distance qui le séparait de l'extrémité du pont s'amenuisait, Aldakin put nettement ressentir la boule d'angoisse qui se forma peu à peu au creux de son estomac. Le doute et l'hésitation étaient certes des réactions parfaitement naturelles considérant les risques auxquels s'exposait le fugitif, mais ils n'en demeuraient pas moins un problème auquel il se devait de remédier. A supposer que la situation prenne soudainement une tournure défavorable, mieux vaudrait en effet pour lui garder l'esprit froid et méthodique s'il voulait garder une chance d'en réchapper. Ainsi, après une ultime profonde inspiration, l'ancien général s'approcha du premier des trois postes de gardes qu'il serait amené à franchir pour atteindre l'autre rive. Par chance, ses vêtements crasseux et déchirés par endroits ne le différenciaient guère du gueux moyen et aucun des gardes ne sembla lui prêter une attention particulière. Même s'il n'était sorti de prison que depuis peu, Aldakin avait rapidement compris au cours de son périple que le règne de Vraorg avait considérablement exacerbé l'écart entre les différentes couches de la société. Une chance pour lui en vérité, puisque les soldats étaient désormais habitués au lent défilement des innombrables miséreux et misérables qui devaient quotidiennement emprunter ce pont. Parfaitement à l'aise dans son rôle de faible opprimé, le Prêcheur s'écarta prudemment des gardes, prenant soin de ne pas risquer croiser leurs regards et s'inclinant même aussi poliment que respectueusement lorsqu'il fut arrivé à leur hauteur. Comme prévu, aucun ne daigna gaspiller ne serait-ce qu'un peu de salive pour lui adresser la parole, préférant échanger quelque anecdote sur les multiples traitements qu'avait enduré la dernière demoiselle à s'être présentée devant eux.

Ce premier obstacle franchi, Aldakin poursuivit d'un pas lent et tranquille, s'efforçant de donner l'illusion qu'il avait l'habitude de traverser ce pont régulièrement. Toutefois, après qu'il eut ainsi parcouru quelques mètres, le Prêcheur jeta un regard méfiant en direction du centre du pont, conservant soigneusement son visage enfoui sous la capuche qui le dissimulait. Un peu plus loin, l'un des soldats qui y étaient stationnés venait de quitter ses congénères et se dirigeait dans sa direction. Avait-il été repéré ? Possible mais pas certain encore, aussi prit-il le pari de continuer sa marche comme si de rien n'était, refrénant l'envie qu'il avait eue de glisser une main vers le manche de l'épée dont il avait dissimulé le fourreau entre les pans de sa chasuble. Par chance, le garde balafré poursuivit sa marche et le dépassa bientôt sans paraître s'intéresser à lui. Fausse alerte donc. Jusqu'à présent, tout se déroulait mieux encore qu'il n'avait pu l'espérer, serait-il vraiment si simple d'atteindre l'autre rive ? La réponse à cette question lui fut rapidement apportée par la main qui s'empara brusquement de son bras, et la-dite réponse n'était pas précisément celle qu'il aurait pu souhaiter. Le commentaire que lui glissa alors celui qui venait de l'interpeller ne laissait que peu de place au doute, Aldakin venait d'être identifié comme un fugitif ou au strict minimum, comme un individu qui n'était pas vraiment le bienvenu à cet endroit. Toutefois, le balafré n'avait pas encore sonné l'alerte et semblait même faire preuve d'une certaine forme de discrétion, peut-être le sort de l'ancien général n'était-il pas encore scellé.

Quelques longues secondes de silence succédèrent à l'interpellation sans que le Prêcheur ne se risqua à esquisser le moindre geste. Ce fut d'ailleurs sans même tourner le regard en direction du garde qu'il répondit finalement, empruntant le timbre de voix bas et tranquille sur lequel s'était exprimé son interlocuteur :

« J'ignore ce que vous voulez dire, Messire, j'emprunte ce pont tous les jours et je n'ai jamais causé le moindre problème jusqu'à présent. Je pense que vous devez me confondre avec un autre. »

Pieu mensonge, bien entendu, mais Aldakin n'espérait plus à cet instant conserver son anonymat bien longtemps. Au contraire, son esprit acéré étudiait déjà aussi froidement que possible les rares possibilités de fuite qui se présentaient à lui, juste au cas où.

Le doute n'était plus permis. Il s'agissait bien de lui. Peu importait comment l'ancien général alayien avait fait pour tenir trois longues et infernales années à Morneflamme et pour s'y échapper, c'était lui ! Aldakin du Néant ! Son coeur battit plus fortement dans sa poitrine. Sa main toujours refermée sur le bras de cet homme, il guetta sa réaction. Les quelques secondes avant qu'il ne parle avec une voix posée et basse parurent atrocement longues. Au moins ne cherchait-il pas à se débattre. Pas encore. Par contre, ses paroles.... Un pure mensonge et un beau. Les quelques paysans et autres marauds qui passaient sur le pont avait le regard effrayé et les mains tremblantes. Un homme saisi par un garde tel qu'Alauwyr aurait sursauté et déjà balancé des suppliques. Ce n'était pas le cas de l'évadé.

Oui, Aldakin du Néant était un évadé de Morneflamme, activement recherché comme les autres par les forces de Vraorg. Le Blanc accordait une grande importance à les retrouver et à les capturer. Comme s'ils étaient tous un pion dans un échiquier. Alauwyr s'abstint de serrer plus son emprise sur le bras de l'ancien Servant à Néant. Les dents serrés, il avait l'impression de commettre un pêché à oser le toucher de la sorte. Mais là, sur ce pont, sous sa main, il avait un prisonnier pourchassé, qui pensait être capable de traverser le fleuve à la barbe et au nez de ses gardes. Un heureux hasard qu'on profiteur aurait apprécié... Un arriviste aurait vu là un magnifique signe du destin pour avoir la réponse à ses rêves les plus fous. Le Blanc n'avait pas énoncé qu'il récompenserait généreusement ceux ou celles qui arriveraient à mettre la main sur les évadés ? Une telle occasion ne se représentera pas.

Pris entre un ancien monde et l'actuel, pris entre son ancienne loyauté envers les forces de Néant et celle de maintenant, sous la vile bannière de Vraorg. Il était pris au piège de ses propres convictions, de ses propres idéaux. Il grinça des dents. Il n'avait qu'une seule décision à prendre. Une seule. Et quelque soit le choix qu'il prendra, il aura à en payer les conséquences.

Sa main se serra un peu plus sur le bras d'Aldakin. Les secondes avaient été longues... très longues. Et toujours d'une voix juste audible pour le Serviteur du Néant, il prononça sa réponse face à ce petit mensonge peu préparé

''Vous mentez bien mal... Votre langue est plus douée pour énoncer la Vérité de Néant et surtout... quand il s'agit d'haranguer les troupes à la veille d'une conquête...''

Sa décision était prise. Les lèvres serrées de son choix, il ne pouvait plus faire marche arrière. La preuve était qu'il n'avait toujours pas lancé l'alerte. Si avec ce qu'il venait de marmonner à l'oreille de l'évadé, cela devrait suffire amplement à le convaincre qu'il connaissait son identité. Et toujours avec la même voie basse et murmurante, il poursuivit.

''L'autre rive est envahie de patrouilles. Si ce n'est pas ici, ce sera de l'autre côté qu'on vous tombera dessus. Une posture de maraud peut fonctionner, mais pas aux yeux de gens comme moi. Et comme je ne suis pas le seul..... Trouvez un autre endroit, ou attendez qu'on fiche le camp d'ici. Nous nous mouvons régulièrement dans la région. Ce sera mieux pour vous...''

Et comme pour participer à cet odieux mensonge, tout en serrant les dents de cette fichue décision qui lui coûta déjà, il le tira sans douceur pour lui intimer l'ordre de faire demi-tour. Il n'était pas rare que des soldats malmènent des têtes qui leur revenaient pas. Maintenant tout dépendrait si Aldakin se plierait de rester de ce côté du fleuve, qu'il avait cherché à franchir dans un but précis...

Bon sang il fallait traverser ce pont pour rejoindre les ruines d'Elena, mais sincèrement où se trouvait le seigneur Aldakkin ? Sans doute quelque part par ici. En tout cas d'après ce qu'il savait ça devait être par là, mais autant dire qu'il fallait chercher une aiguille dans une botte de foin. Enfin autant chercher cette aiguille car ce n'était pas une aiguille, mais l'aiguille ! D'après ce que lui avait raconté Aldaron, Aldakkin était essentiel, et de toute manière même si l'elfe n'en avait pas parlé il était clair que le prêcheur devait être retrouvé au plus tôt pour Weren…

Ce qui serait bien néanmoins c'est de savoir où chercher, et disons que ce n'était point simple, voilà bien un certain temps qu'il battait les plaines, et les routes à la rechercher du prêcheur en essayant au passage de ne pas se faire attraper ce qui rendait la tâche très très compliqué. Mais il fallait poursuivre, après tout Néant le guiderait jusqu’à son but. Et puis bon sang de toute façon il était trop têtu pour abandonner, Aldakkin était le priorité pour le peuple alayien, et il fallait savoir faire ce qui devrait être fait. Bon du coup il fallait traverser ce pont...

Et il était évident que le traverser en armure de plaque complète, de plus une armure aussi connu que son porteur ne sera pas discret, et prudent. Weren portant quasiment en permanence son armure sur lui son visage était probablement moins connu que la dite armure . Du coup… Il devait faire quelque chose qui ne lui plaisait pas. Enlever l'armure, ranger les plaques de celle-ci dans les sacoches accrochés à son cheval. Et voilà… Ses hommes aussi enlevèrent leurs armures de plaque, et du coup tout le monde se retrouvait vêtu d'une armure de cuir bouilli, à part Weren qui en avait une en cuir de crocodile, cher, mais de meilleure qualité. Mais il n'empêche qu'il ce sentait bien nu… Mais cela vaudrait mieux que de se retrouver avec un détachement théocrate à ses trousses parce qu'on avait voulu passer en armure de plaques cliquetantes sur le pont. Ils se vêtirent donc de chasubles, et se dirigèrent vers le dit pont.

Qu'est-ce qu'ils diraient aux gardes ? Qu'ils étaient des mercenaires, ou des chasseurs de primes. Ce genre de vermine après tout devait abonder pendant les temps qui courent, pour sa part il doutait que les gardes le reconnaissent vite. Son visage n'était pas des plus connus non plus, et à part sa laideur il n'avait rien de particulier. Les chauves au visages couturés de cicatrices ne devaient pas être trop rare non plus. Il fallait juste bien couvrir son visage avec sa chasuble, et voilà. Si Néant était avec lui il n'y aurait pas trop de problème...

Il n'avait par contre pas prit avec lui son bouclier car peu discret, sa hache de guerre par contre passait mieux pour un soit disant chasseur de prime, avec une hachette au cas-où, et voilà. Bon du coup tout le monde était fin prêt pour essayer de passer le pont avec les chevaux. En cas de problème on les enfourche, et on s'enfuit le plus vite possible, ce serait mieux que rien s'il fallait s'enfuir vite fait. Après tout il serait bête de prendre des risques inutiles, même s'il n'aimait pas le fait de ne pas être vêtu de ses plaque d'acier protectrices pour une fois...

Ils entrèrent donc sur le pont en se mêlant aux miséreux alentours, les gardes n'insistèrent pas quand ils dirent qu'ils étaient des chasseurs de primes, sans doute qu'ils ne voulaient pas s'enquiquiner, et n'étaient pas trop attentifs heureusement car leur histoire avec la femme semblait follement les passionner, et le groupe pu donc avancer jusqu'au deuxième poste de garde sur le pont.

Et Christan remarqua sur son chemin cet homme habillé, en noir. Un homme qu'il avait vu dans des circonstances peu diplomates il y a quelques jours de cela, et qui agrippait une autre personne, curieux il s'y attarda, et quand il pu reconnaître la carrure si connu de tout les alayiens, et les quelques traits. Il décida même sans être certain que ce soit bien lui qu'il valait mieux prévenir que guérir. Il s'avança donc avec ses hommes jusqu'aux deux personnes, et Christan laissa au passage l'un de ses hommes prendre la parole. Après tout il ne serait pas bon que l'autre reconnaisse sa voix, et au passage il se mit légèrement à l'écart pour être moins facile à voir.

« Mon brave, cet homme est un de nos compagnons de route, et je félicite vôtre attitude conciliante à son égard malgré le fait qu'il a oublié l'argent pour payer sa taxe de passage, et nous aimerions donc vous remercier de vôtre amabilité avec une petite compensation bien entendu. Car je présume qu'il faut quand même payer une sorte d'amende pour ce petit tracas, n'est-ce pas ? » Après tout un théocrate corruptible ce n'était pas du tout rare… Si l'autre était intelligent il laisserait passer, et prendrait les pièces d'or étant proposer plutôt que de chercher des soucis à environ 7 personnes, et c'était sans doute la meilleure façon de faire de plus. Mais dans le cas inverse la situation se compliquerait pour tout le monde car les théocrates étaient assez nombreux dans les environs, et l'objectif prioritaire était le prêcheur.

Mais que les choses se passent bien, ou mal. Cela appartenait uniquement à la volonté du Néant dorénavant. Dans tout les cas le prêcheur passait avant tout le reste...

En tout et pour tout, il ne s'écoula guère plus d'une poignée de secondes entre l'innocente tentative de désaveux du Prêcheur et la réponse qui y fut donnée par son interpellateur. Pourtant, aussi éphémères pouvaient-elles sembler, chacune de ces secondes paru s'étirer de longues heures durant tant l'atmosphère qui régnait autour du pont s'était alourdie. Un orage se préparait, et s'il était vrai que le ciel s'encombrait de nuages annonciateurs du déluge à venir, le général déchu ne pensait pas uniquement aux conditions météorologiques en évoquant cette possibilité. Cette prévision lui fut d'ailleurs confirmée lorsque l'inconnu balafré mentionna le Néant, évoquant même le passé militaire de celui qu'il tenait au bout de son bras. Bien, Aldakin avait donc non seulement été reconnu comme un évadé de Morneflamme, ce qui en soi représentait déjà un sérieux ennui, mais en plus avait-il été précisément identifié comme étant l'un des prisonniers les plus recherchés par les sbires du Dragon Blanc. Lentement, plus calmement qu'il n'aurait pu espérer l'être, Aldakin inspira une profonde goulée d'air qu'il laissa refluer en un soupir défait. Il avait tenté sa chance en tout connaissance de cause, on ne pouvait le lui ôter, il n'était donc finalement pas si étonné de la tournure que prenaient les événements. Son regard ténébreux glissa brièvement au delà des abords du pont pour considérer le fleuve et son impressionnant débit. La perspective d'y piquer une tête ne l'enchantait guère mais il n'avait pas vraiment d'autre possibilité : sitôt qu'il aurait tué son escorteur du moment, le reste de la garde condamnerait les deux extrémités du pont pour l'y piéger.

« Et vous êtes un bon soldat, j'imagine aisément que vos supérieurs vous regretteront. »

Ses doigts s'étaient déjà refermés sur la poignée de son épée, laquelle n'attendait plus qu'un geste de la part de son porteur pour caresser de son fil acéré la gorge du balafré et y dessiner la dernière de ses cicatrices. Toutefois, Aldakin suspendit son geste meurtrier à peine esquissé lorsque l'autre poursuivit, révélant à son captif de précieuses informations sur l'organisation de la garde que ce dernier avait espéré gruger. Un allié potentiel, donc ? Et ce au sein même des rangs de l'armée Théocrate ? Surprenant, c'était le moins qu'on puisse en dire, et presque trop beau pour être vrai. Cependant, un détail dans le discours qui venait de lui être tenu interpella particulièrement l'attention du Prêcheur, l'autre avait fait mention de ''gens comme lui'' mais dont les intentions ne semblaient de toute évidence pas aussi amicales. Il se différenciait donc du reste des Théocrates, mais de quelle façon ? Se pouvait-il que ... ? Non, impossible, aucun Alayien digne de ce nom n'accepterait de porter une armure issue de l'artisanat vampirique, moins encore accepteraient de prêter allégeance au Voleur de Coeur. Et pourtant, à bien y regarder, ce visage couturé et ces quelques mèches de cheveux blancs qui se laissaient deviner sous la capuche du soldat ne lui étaient pas totalement inconnus. Le Prêcheur s'égara brièvement dans ses souvenirs, traquant le contexte dans lequel il avait déjà croisé semblable individu et il le revit, de longues années plus tôt, dans le rang d'une unité de soldats dont la ferveur religieuse avait nécessité quelques ajustements. Un ancien Alayien donc, mais certainement pas l'un de ceux que l'on pouvait citer en exemple de leur civilisation. Peut-être la brebis égarée cherchait-elle sa repentance ? Ou peut-être espérait-elle entraîner son ancien général vers un piège et ainsi briller aux yeux de ses nouveaux alliés, seul l'avenir permettrait de le déterminer avec exactitude.

« Les gens comme vous, pour reprendre vos termes, ne sont pas vraiment dignes de confiance : traîtres à leur culture, traîtres à leur foi, et apparemment traîtres à plein temps. Pourquoi devrais-je vous faire confiance ? Où donc va votre allégeance, vous qui... »

La suite fut dérangée par l'intervention d'un curieux petit groupe d'individus qui se présentèrent rapidement comme les compagnons de voyage du Prêcheur et s'offrirent même de payer son passage. Encore des alliés imprévus, ou quelques autres opportunistes qui l'avaient également reconnu et s'étaient portés à son secours par l'odeur d'une récompense alléchés ? C'est que la tête du Prêcheur devait valoir son pesant d'or et de prestige pour les miséreux de la Théocratie, il n'était donc pas bien difficile de les imaginer s'entre-déchirer tels des loups cherchant à s'octroyer la plus belle part du butin. Butin qui en cet instant risquait fort bien de se retrouver coincé entre deux feux.

Dans l'ombre de la capuche, les traits de l'Alayien s'était durci. Il avait compris le sous-entendu de l'évadé. Mais ce n'était pas pour autant qu'il allait changer d'avis. Il avait conscience que ses décisions un peu extrêmes pouvaient à tout instant lui coûter chères. Très chères. Mais Aldakin se contenta de répondre là où on aurait pu s'attendre à un acte désespéré pour tenter l'impossible. Un homme tel que le général déchu, qui avait passé trois années à Morneflamme, qui avait réussi à retrouver sa liberté sera capable de la défendre à tout prix. Quel prisonnier se rendrait sagement face à des forces en présence ?

Aldakin s'était donc exprimé et chacun de ses mots résonnait dans l'esprit d'Alauwyr ; presque comme un couperet sur la réalité qu'il vivait sur l'instant. Toujours silencieusement, il l'écoutait. Ses dents grincèrent presque à la pression qu'il imposait à ses mâchoires face à ces dires. Ce n''était que pure vérité dans un sens, mais que pouvait-il comprendre ? Que pouvait-il savoir ce que lui avait fait durant ses trois longues années pour rester en vie ? Mourir pour ne pas à servir était comme fuir, donc être un lâche. Mais ces mots énoncés des lèvres du fuyard ne faisait que refléter une autre lâcheté, celle qu'il avait embrasé d'une certaine façon en servant Vraorg. Survivre était une chose, mais en avait-il pris la bonne voie ? Tout se remettait en question et en cause, maintenant, sur ce pont.

Aldakin ne put terminer sa phrase. Un groupe s'était présenté, d'une apparence à s'en méfier. Alauwyr n'avait pas perdu de temps à les lorgner avec justement avec cette même méfiance. D'où ils sortaient eux et comment avaient-ils pu passer les gardes en faction à l'entrée du pont ? Leur demande très atypique aurait pu être sincère, mais un petit hic se présentait....Il retira sa main serrée du bras d'Aldakin et se retourna pour faire front à celui qui avait pris la parole, tout en se mettant entre ce dernier et l'évadé. Même si cet inconnu paraissait être dans l'idée lui aussi de venir en aide au Serviteur du Néant, rien ne prouvait que ce n'était pas là un stratagème pour se l'accaparer, l'emprisonner et l'emmener à Vraorg. Doucement, sa main glissa vers le fourreau de son épée, non loin de la poignet de son épée.

''C'est étrange messire.. il ne paraît pas aussi bien revêtu que vous et vous me paraissez bien charitable pour un pauvre hère comme lui....''

Pauvre hère, cela était vite dit quand on savait qui traînait réellement sous ces guenilles. Un pauvre hère qui méritait presque la fameuse amende si gentiment proposée pour compenser le petit tracas occasionné. Un pot de vin camouflé en somme.

''Qui est vraiment digne de confiance quand à ce qu'on est réellement....''

La réplique tombait pour tout le monde. Maintenant restait à savoir qui la comprendrait comme dirigée à ses oreilles. Ses yeux sombres n'avaient pas quitté son nouvel interlocuteur, gardant un silence de quelques secondes. Il prit ce temps pour regarder les autres membres de ce groupe hétéroclite. Enfin, quand ses lèvres se descellèrent...

''Peut-être que j'aurai pu vous croire et ne pas m'offusquer de la demande d'amende que vous me suggérez, mais le petit soucis voyez vous... est qu'on ne demande pas de taxe sur ce pont ! ''

Là où il allait exiger à ces affreux de décamper, un des gardes qui venait relayer un de ses compagnons à l'entrée du pont, remarqua l'étrange manège qui se déroulait à son milieu. Il interrogea le garde qu'il remplaçait et il vociféra :

''Et tu laisses un groupe comme cela passé sans plus vérifier ce qu'ils sont en réalité ? et armés en plus et sans les faire escorter de l'autre côté ! Sinistre idiot ! ''

Quand on avait affaire à des hommes un peu trop zélés et très à cheval sur les procédures, cela finissait toujours par entendre :

''Allez me choper ces mecs-là ! ''

Et forcément dans un excès de zèle, en entendant le remue-ménages des gardes proches, un des membres du groupe de Christan ; toujours campé derrière l'un de ses hommes, sortit son épée du fourreau. Là les choses allaient vraiment se gâter. Sans attendre, sans plus se poser de questions, Alauwyr fit de même et contra juste à temps le coup qui lui était destiné. Et il repoussa violemment son adversaire en lui offrant un coup de poing bien senti. Vivement il tourna la tête vers Aldakin en usant presque d'un ton ordonnant :

''Par Néant, filez ! ''

Par le Néant, étrangement Christan avait l'impression que ça ne pourrait pas être simple, pas qu'il était du genre à entrevoir les choses en avance, mais disons que retrouver le prêcheur était tellement beau qu'il était sans doute un fantasme que le fait que ce soit sans heurt. Enfin on ne savait jamais après, mais par le Néant Christan avait un de ces mauvais pressentiment, mais là rien d'anormal sur un pont entouré par les théocrates. Où se faire repérer serait sans doute synonyme de grand péril. Ah par le Néant le prêcheur n'aurait pas pu choisir de se promener dans un champ de blé désert ? Cela aurait été autrement moins périlleux, mais bon. Les épreuves instauraient par le Néant n'offriraient aucun mérite si elles étaient trop simples… Car c'est dans la difficulté qu'on s'accomplit.

Enfin bon sang quand même, il était si proche, et il en fallait si peu. Qu'est-ce que cela serait tentant d'abréger la chose la plus possible, mais visiblement ce n'était guère réalisable pour le moment. Il fallait voir la réaction du garde en faction, cet épéiste noir que Christan avait croisé il y a quelques jours de cela. Ah même s'il doutait que cet homme le reconnaisse après tout il avait son armure sur lui là plupart du temps il restait que cela était embêtant pour lui d'être en présence d'un ancien adversaire à un moment où il fallait tâcher d'éviter si possible un combat.

« C'est un nouveau membre au sein de nôtre groupe, et il doit faire ses preuves avant que nous puissions lui offrir de meilleurs effets. » Continua d'argumenter l'alayien devant les suspicions de l'épéiste, maudit bougre pensa Weren pour sa part. Pourquoi est-ce qu'il faisait le difficile ce butor…

Digne de confiance ? Que voulait-il dire ? Pensa Weren. Et puis fichtre de toute manière cela n'avait guère d'importance. Le prêcheur était la seule chose important sur ce fichu point, le reste il n'en avait a peu près rien à faire. Il n'allait donc pas trop s'attarder sur les propos d'un sale théocrate si possible.

Par la peste c'est qu'il était contrariant celui-là... Pensa Weren en fulminant, il aurait peut-être dû adopter une approche plus directe au final… Enfin de toute manière.

Cela ne tarda pas du tout à se gâter que ce soit à cause d'un des garde théocrate faisant preuve soudainement d'un certain zèle, et d'un des hommes de Christan qui eu une réaction exagéré, maintenant que les lames étaient sortit de leurs fourreau il était évidemment vain d'essayer encore de jouer la comédie pensa Weren. Par le Néant... Probablement d'après ce qu'il avait entendu qu'il avait fait une lourde erreur en se pointant avec tout les hommes ici, mais bon le plus sage serait sans doute d'essayer de faire en sorte que cette erreur n'ait pas de conséquence trop funeste.

« Protégez le. » Ordonna donc le fidèle à ses hommes, tout les alayiens savaient de qui il parlait, en disant ceci. De toute manière n'importe quel alayien donnerait sa vue pour le prêcheur car il représentait le Néant sur terre.

Et donc sans tarder suite à cela Christan d'un geste écarta sa chasuble, et prit des deux mains sa hache de guerre…. Qu'il s'écarte cet andouille de théocrate pensa t-il, car il n'avait sans doute guère le temps pour un long combat, et de toute manière son objectif était d'emmener en lieu sûr le prêcheur, et s'il fallait écarter un peu l'autre, un coup de hache serait probablement assez intimidant au moins pour ne pas lui donner envie de rester planter là.

Et sa hache recouvert d'empois siffla donc dans les airs dans le pur but de faire reculer l'épéiste, et entre-temps les hommes de Christan avaient pour objectif se diriger en direction du prêcheur pour essayer de protéger celui-ci, et l'emmener en lieu sûr. Car à ce stade là les théocrates n'allaient sans doute pas laisser quiconque sortir du pont maintenant… Et il fallait s'enfuir avant qu'une patrouille environnante arrive si possible.

Il n'aimait pas du tout la tournure que prenait le cours des événements. Rien d'étonnant à cela en vérité, aucun militaire, fut-il un général déchu récemment évadé de la prison dans laquelle il avait passé ces trois dernières années, n'appréciait voir une situation échapper lentement mais sûrement à son contrôle. Et le fait qu'il soit incapable d'identifier précisément ses alliés sincères, ses alliés temporaires, ou même ses ennemis ne faisait que renforcer un peu plus encore le malaise qui lui étreignait l'esprit. Silencieux, le Prêcheur demeura prudemment en retrait tout au long de l'échange qui opposa le garde aux cheveux blancs à l'homme semblant mener le petit groupe qui s'était offert de payer son passage. Instinctivement, Aldakin plissa des yeux devant le commentaire que fit le soldat au sujet de la valeur que pouvait avoir la confiance, cherchant à démêler ce que les mots dissimulaient. Prisonnier évadé dissimulé sous les atours d'un gueux, soldat à l'allégeance changeante et indéterminée ou encore mystérieux groupe de voyageurs inconnus, difficile en effet de savoir qui était réellement ce qu'il prétendait être. Lorsque son interpellateur reprit, la tension grimpa encore d'un cran, approchant dangereusement son point de rupture tandis que le garde faisait remarquer que le franchissement du pont n'était soumis à aucune taxe particulière. Peu surprenant en effet, les pauvres n'avaient pour la plupart plus rien à se faire taxer et le gouvernement du Dragon Blanc n'était pas précisément de ceux qui avaient besoin de taxes officielles pour prendre ce que bon lui semblait. Navrante maladresse que celle du meneur de ce petit groupe donc, car il était désormais plus qu'évident que ces individus n'étaient effectivement pas ce qu'ils prétendaient être.

Et ce qui devait arriver arriva finalement : alertés par le temps anormalement long que leur collègue consacrait à ceux qui se tenaient encore au centre du pont, les autres gardes commencèrent à s'intéresser plus attentivement à ce qui s'y déroulait. Tant et si bien que l'un d'eux décida finalement d'y mettre son grain de sel. Toutefois, à en juger par la teneur de ses clameurs, ce nouvel intervenant n'était pas particulièrement satisfait par ce qu'il avait pu voir et ne se privait pas de faire connaître ses intentions. Dès lors, était-il vraiment surprenant que le bruit d'une lame sortie de son fourreau s'invita dans les discussions ? Probablement pas et ce quand bien même Aldakin se fut pourtant volontiers abstenu d'un tel dérapage. Outre l'immédiat problème de parvenir à échapper à la garde, l'information de sa présence serait rapidement propagée et c'est toute la région qui grouillerait de soldats impériaux dans les jours à venir, compliquant d'autant l'existence de l'évadé.

La mêlée éclata dès la seconde suivante, un vigoureux coup de poing concluant la première passe d'arme tandis qu'aux deux extrémités du pont, la garde abandonnait ses conversations libidineuses pour s'emparer de ses armes et boucler les accès. Toutefois et malgré l'effervescence de l'affrontement à venir, Aldakin eut l'occasion de remarquer l'arme massive que dévoila soudain l'un des mystérieux voyageurs qui avaient proposés de payer son droit de passage tandis que la voix intimant qu'on le protégea raviva quelques lointains souvenirs.

« Weren ?! »

Il avait posé la question par réflexe mais n'eut pas même besoin d'attendre la confirmation de ce qu'il avait deviné. Il ignorait comment l'officier était parvenu jusqu'ici et comment il avait pu le retrouver, mais il n'avait pas vraiment la possibilité de poser des questions pour le moment. L'essentiel était qu'il était finalement parvenu à identifier un allié sûr, c'est à dire un alayien dont la loyauté avait été largement éprouvée par le passé. C'était probablement lui qui commandait le groupe venu à son aide, il était donc permis de penser que le détachement qui l'accompagnait n'était composé que d'Alayiens particulièrement pieux et dignes de confiance. Mais que le Néant lui en soit témoin, ils avaient vraiment mal choisis tant l'endroit que le moment pour intervenir : en fait de le sauver, ils étaient surtout parvenus à se faire prendre au piège avec lui.

« Resserrez les rangs, sur deux lignes ! »

Pour le moment, le pont leur donnait l'avantage mais encore fallait-il parvenir à discipliner la troupe pour en tirer parti et organiser la contre-attaque avant que l'ennemi n'ait eu le temps d'alerter ses autres détachements d'infanterie, d'archerie voire de cavalerie.

« Nous devons percer leurs lignes et quitter cet endroit, chaque seconde que nous passons ici diminue d'autant nos chances de réussir. »

Autant dire qu'il y aurait du dégât dans leurs rangs et un lourd tribut à payer en vies alayiennes. Alayiennes ou non d'ailleurs, il y avait toujours parmis eux l'inconnu aux cheveux blancs dont il ignorait la véritable allégeance. C'est d'ailleurs en se retournant vers ce dernier qu'Aldakin reprit, empruntant le timbre de voix calme et serein dont il était coutumier :

« Au vu des circonstances, je ne puis prendre le risque de vous permettre de nous accompagner. Si votre repentir est sincère, il faudra vous échapper par vos propres moyens et vous constituer prisonnier auprès des Protégés, alors peut-être pourrais-je vous accorder l'absolution... »

Tout s'enchaîna très vite. A peine Alauwyr eut terminé d'étaler son premier adversaire d'un coup de poing qu'un autre homme s'avança, se mettant en avant en retirant sa chasuble. L'Alayien prit son épée à deux mains, se tenant prêt à l'affrontement, quand soudain, il écarquilla des yeux en reconnaissant la hache de guerre et en entendant l'injonction lancée pour protéger Aldakin. Un seul homme pouvait avoir cet hache et cette vois : Christan. Qui aurait cru qu'il le recroiserait là, maintenant, sur ce pont. Le hasard avait de quoi être étrange : trois alayiens réunis en un même lieu. Un prisonnier en cavale, un se retrouvant chez les Protégés et l'autre chez les Théocrates. A croire que le noeud du destin devra se démêler ici et maintenant. Il n'y aurait pas d'autres alternatives.

La hache de son ancien frère d'arme siffla dans l'air, menaçante et empli de promesses de mort. Alauwyr l'esquiva, tout en reculant. Déterminé à ne pas se laisser faire cette fois, il frappa la lourde arme de son épée, usant de son agilité pour esquisser quelques mouvements souples pour frapper Christan du plat de son épée là où sa garde laissait des ouvertures trop flagrantes. Comme si c'était le moment de régler des comptes ! D'un bond, il évita un mauvais coup, serrant les dents à l'idée de devoir se battre contre lui. Le choix qu'il avait pris aurait son lot de conséquences, il le savait. Sa décision était prise !

Des cris d'alerte résonnaient à chaque extrémité du pont. Bientôt, si rien n'était fait et ce rapidement, le groupe venu cherchez le général déchu et Aldakin en personne se retrouveraient pris au piège. Alauwyr n'eut pas besoin de tourner la tête pour voir les gardes en faction s'amener en vitesse. Gardant son épée en garde pour parer toute attaque de la part de Christan, son esprit bouillonnait quand à la nouvelle décision à prendre. Plus qu'un pas et il aurait pris le chemin qui sera définitivement le sien. Il n'y aura plus de retour possible. Aldakin lâcha un ordre aux hommes du groupe venu le secourir. Ce fut comme une étincelle qui pétillait pour allumer un grand brasier. Il recula au moment où les hommes qui accompagnaient Christan se mirent sur deux lignes défensives, vers la sortie est du pont, cele qui donnait en direction du désert et du territoire protégée par les Esprits. Alauwyr se retrouva à l'opposé, dardant un regard empli d'un sérieux presque d'une froideur à faire pâlir tout individu plus faible d'esprit que lui. Ce n'était pas ce genre de regard qui ferait reculer Christan. Des gardes Théocrates arrivaient des deux côtés du pont. Il cria presque à son ancien ami un ordre :

''Sinistre imbécile, au lieu de t'occuper de moi, protège Aldakin et sors le de ce merdier ! C'est lui que tu es venu chercher ! ''

Peu importait le son de sa voix, peu importait la réaction de Christan, de quelques pas courus, il se plaça à l'opposé des lignes des protégés, levant son épée et la tenant fermement à deux mains. Son emplacement se coordonna juste idéalement quand Aldakin aboya de nouveaux ordres. Il voulait absolument quitter la position du pont. Choix judicieux, car une fois pris au piège, le seule échappatoire sera le fleuve et celui-ci était un peu en mode courant rapide. Nager dans une eau tourbillonnante ne laissait guère de chance de survie, si on oubliait pas l'équipement des hommes venus à sa rescousse. La position prise par Alauwyr était la seule à prendre pour couvrir l'arrière, même s'il sera seul.

Le Serviteur de Néant n'omettait pas la présence d'Alauwyr dans ses plans. Même s'il était à quelques mètres de là, les paroles posées de l'ancien général étaient portées par une voix forte et déterminée. Les années passées à Morneflamme n'avaient pas étouffés la portée de son autorité. Alauwyr avait tourné la tête,juste assez pour le voir dans le coin de son champ de vision, sans perdre de vue les forces adverses qui s'amenaient.

''Nous verrons plus tard, Seigneur. L'heure est à votre échappée et non à la parole. Fendez au plus vite l'ennemi sur la partie est du pont. Avec Weren a vos côtés, vous avez toutes vos chances''

Bourrin comme il était Christan pour sûr qu'il fendrait les lignes ennemis qui entraveraient leur fuite sur le pont qui les orientaient après vers les terres protégées. Ils n'avaient pas d'autres choix. Traverser de l'autre côté était comme signer leur arrêt de mort.

''Je repousserai les théocrates qui tenteront de vous prendre à revers, mais vous ne devrez pas perdre de temps. Filez ! ''

A peine eut-il lâcher son dernier mot que le premier soldat théocrate se présenta à lui. Déjà Alauwyr lui barra le passage et son adversaire comprit dans quel camp il se trouvait désormais. Les coups s'échangèrent sur l'instant. Le fracas métallique fut la seule musique qui se joignit aux cris des soldats en alerte. D'autres accoururent et l'Alayien veilla à attirer l'attention sur lui. Se battre contre un autre soldat était une chose, mais plusieurs à la fois était bien plus compliqué. Alauwyr ne sut combien de temps il réussit à les garder sur lui, espérant que le temps qu'il offrait à Aldakin, à Christan et ses hommes seraient suffisants pour qu'ils franchissent en forçant le passage l'autre côté du pont.

Chaque mouvement qu'il ordonnait à son corps portait un coup, épée contre épée, ou contre bouclier. Il dansait presque en parant et esquivant, mais le nombre finissait toujours pas l'emporter. Il reçut un vilain coup tranchant sur l'extérieur de la cuisse, ce qui le fit choir douloureusement sur le dallage grossier du pont. Il roula pour éviter un coup qui l'aurait empalé et réussit à planter son épée dans le ventre d'un de ses nombreux assaillant. Son sang ne sera pas le seul à couler.

Il réussit à se relever en vitesse, grimaçant et grognant à cause de la blessure qui le lançait à la jambe. Le sang imbibait déjà une partie de ses chausses qui couvrait sa jambe entaillée. A la vitesse ou le fluide vital se répandait, il s'affaiblirait très rapidement... Mais sans attendre, son épée se dressait déjà pour se mettre en garde, prêt à se battre encore. Il serra les dents en prenant appui malgré tout sur sa jambe blessé, portant un peu le reste de son poids sur celle valide. Les ripostes allaient être plus ardues avec un membre entaillé et souffreteux. Tant qu'Aldakin et les autres seraient sur le pont... Dès que ces derniers l'auront quitté, il tentera une fuite impossible à savoir de sauter dans le fleuve... Un fou il était, un fou il le sera jusqu'au bout. Au moins s'il venait à mourir, il aura combattu en rattrapant un chemin qu'il aurait du suivre depuis des années, au lieu de se voiler la face en se cachant derrière certaines de ses convictions !

Bon il y avait un avantage à cette situation au moins, c'est que cela devenait plus simple à sa façon, dans le sens que ça passe, ou sa casse, et bon sang il était plus à l'aise avec ce genre de chose qu'avec le diplomatie. Enfin à l'aise, ou pas se retrouver ainsi au milieu d'un pont entourer par des théocrates qui ne vont probablement pas tarder à appeler des renforts n'est jamais une situation aisée. Enfin dans tout les cas l'objectif principale était le prêcheur, et s'il fallait que chaque alayien ici prenne un coup de lance, ou de flèche mortel y compris lui pour sauver le prêcheur, qu'il en soit ainsi. Il ne convenait donc pas que le sieur Aldakkin prenne trop de risque. Au pire dans le pire des cas Christan, et ses hommes tenteraient de gagner du temps pour qu'Aldakkin puisse fuir. Y compris si cela devait aboutir à une issue funeste pour eux.

Et d'ailleurs dans tout cela alors que Christan entreprenait de faire reculer le théocrate qui dû esquiver son coup hache, il entendit le sieur Aldakkin qui l'avait visiblement reconnu, ah tiens. C'était bien que le sieur le reconnaisse, un honneur oui, mais enfin les retrouvailles on les ferait plus tard. Et il se contenta donc d'aquiescer d'un léger hochement de tête, pas plus car il ne devait pas non plus trop se déconcentrer du combat. D'ailleurs il dû faire tourner le manche de sa hache, et faire un pas de côté pour éviter de peu d'encaisser un coup du plat de la lame de son adversaire . Un coup du plat ? Encore s'il avait une armure il aurait compris ce choix tactique, mais là… D'ailleurs il ne comprenait pas trop pourquoi le théocrate disait cela, un traître à Vraorg? Étrange... Mais il n'allait pas s'en plaindre, quoique sa voix lui paraissait étrangement familière.

Enfin dans toute cette pagaille, le prêcheur prit l'initiative de commander heureusement ce qui n'était guère plus mal, car se battre, et commander les troupes à la fois était compliqué en situation d'urgence. Enfin ça, et surtout que le prêcheur inspirait bien plus ses hommes que n'importe quel autre alayien, et donc son commandement était une chose tout à fait naturelle dans les rangs de l'alayia.

Passer en force, le prêcheur voulaient qu'ils passent en force donc ? Ok cela lui paraissait plus dans sa mesure, cela restait très périlleux, mais il n'y avait pas d'autre choix, de toute manière il préférait mourir en se battant qu'en attendant d'être encercler, et empaler comme un chien. Mmmh ses ennemis pour beaucoup avaient eu des lances, par la peste ! Si lui, et ses hommes avaient pu prendre leurs armures ça leurs aurait aurait été fichtrement utile, car les lances sont l'une des armes les moins utile face à une armure la plupart du temps, sauf quand le lancier était vraiment très doué. Mais là il se retrouvaient lui, et ses hommes avec juste du cuir, pas très très idéal, enfin si il se recevait une flèche le cuir amortirait légèrement l'impact, mais bon dans cette situation là mieux valait ne pas trop compter sur le fait d'encaisser des coups grâce à la protection. Enfin Néant soit béni, on ne trouvait pas d'accomplissement dans la facilité après tout . Maigre consolation néanmoins, mais bon les choses sont rarement comme on souhaiterait qu'elles soient dans l'idéal.

Enfin foncer dans le tas sans réfléchir serait périlleux, mais c'était tout ce qu'on pouvait faire, Christan prit donc sa hache à deux guerre en main, alors que les alayiens se préparaient tous à exécuter les ordres du prêcheur. Nul doute que ça allait être sanglant. Enfin dans tout les cas Weren se posa aussi des questions quand il vit le prêcheur parler à l'autre homme en capuche…

« Alauwyr... » Dit-il d'une voix glaciale… L'expression de son visage était très dur à déchiffrer, alors il était en vie ? Et du côté théocrate… Mais il se battait de leur côté visiblement ? La chose était difficile à assimiler, et fichtrement compliqué, mais visiblement ils se battraient à nouveau dans le même camp, et pas face à face. A croire que c'était le destin.

Mais cet idiot avait voulu lui donner des ordres en plus auparavant, Christan grinça des dents. De toute manière il ne valait mieux pas perdre de temps avec lui surtout s'il n'était pas vraiment un ennemi, enfin il aurait bien aimé des explications, mais cela sera plus tard. S'ils survivent tout deux à ceci, mais rien n'était certain de ce côté-ci. De toute manière le sort en était jeté !

Toutes ses chances? Ah pour sûr ce serait pas Alauwyr qui aurait le déshonneur d'avoir échouer à sauver Aldakkin si cela devait arriver pensa Christan en regardant Alauwyr, c'était donc facile de dire que quelqu'un avait toutes ses chances, pour sa part Weren s'était rarement retrouvé dans une situation aussi… A part que si il avait déjà était dans des situations aussi problématiques, mais ce n'était pas une raison, et ce n'était une raison, surtout si on parlait de la raclée que la théocratie avait mit à l'armée alayienne il y a quelques années.... Enfin rectification Alauwyr tenait probablement à se rattraper vu qu'il proposait d'essayer de gagner du temps, joli performance, et Christan ne savait pas pourquoi, mais l'idée que l'autre puisse y passer le laissait un peu sec. Enfin de toute manière pour sa traîtrise il fallait bien en payer le prix car la voie de la rédemption n'était pas une sinécure aux dernières nouvelles ! Sinon quelle valeur aurait le repentir?

« Allez! » Dit-il tout simplement, et il allèrent tenter de ce pas de forcer passage en force, alors qu'Alauwyr allait essayer de gagner un peu de temps. Les hommes de Weren, et lui-même tentèrent donc de passer, et le sang ne tarda point à couler d'un côté comme de l'autre. Christan entrevit une lance, il fit un pas de côté, la lance fit une belle éraflure sur le cuir de crocodile de sa protection, il donna un coup de hache, du sang gicla . Blessure grave, légère, coup mortel ? Pas le temps de s'attarder dessus, il ne regarde même pas s'il était blessé, probablement qu'il le serait après ceci s'il était encore en vie. Ils continuèrent donc à avancer. Néant seul déciderait si cela aurait, ou non une issue favorable. Et il pensa à elle pour s'inspirer alors qu'il se battait comme si chacun de ses coups était un témoignage d'amour, et de foi envers l'esprit du vide.