La soirée débutait à Aigue-Royale. La notion du temps était quelque chose qui était difficile à déterminer lorsque l’on était reclus sous la terre et la pierre, mais on finissait par s’habituer au manque de rayons du soleil, à la présence des pierres dont une douce lumière émanait et on finissait par savoir instinctivement quel était le moment de la journée. La routine aidait également énormément à se situer. Pour Luna, chaque jour se ressemblait énormément. Après s’être levée de bonne heure, sa dame de compagnie prenait un temps fou, au plus grand désarroi de la jeune fille, à la rendre présentable selon les normes de la cour. Elle commençait petit à petit à s’y faire davantage, à connaître toutes les étapes à travers lesquelles elle devait passer et elle était plus docile vis-à-vis la femme qui l’aidait. Or, bien qu’elle ne s’y opposait plus, cela ne faisait pas qu’elle aimait plus cela. Elle avait parfois l’impression de n’être qu’une petite poupée. Elle n’était pas noble et elle était loin de ressembler à une petite princesse parfaite comme on pouvait l’entendre dans les histoires pour enfants. Tous ces chichis, ces perte de temps à se rendre « belle » et ces standards de beauté n’étaient pas faits pour elle. En effet, Luna était plutôt une gamine énergique qui n’avait pas peur de se salir les mains et qui s’en faisait que très peu concernant son apparence. Elle avait comme façon de penser que si les gens n’aimaient pas comment elle était ou que leur opinion s’arrêtait à ce qu’elle portait, et bien, qu’elle n’avait pas besoin d’eux pour être heureuse! Toutefois, étant la pupille de Korentin, elle réprimait ce côté « sauvage » et jouait le rôle qu’on voulait qu’elle ait. Bref, après qu’elle ait l’approbation de sa dame de compagnie, elle sortait de ses appartements et se rendait auprès des orphelins comme elle l’avait promis à l’Empereur des rebelles depuis l’incident de l’Aube Rouge. Après ce moment passé avec les enfants et maître Guillot, elle avait un petit moment avant d’avoir à se rendre à un cours. Aujourd’hui, elle avait passé son temps libre à dessiner et le sujet du cours avait porté sur l’art de la broderie. Voilà à quoi ressemblait sa routine.

Qu’est-ce qu’elle était contente que sa journée soit terminée. Distraite, elle n’avait pas arrêtée de faire des gaffes tout au long de la journée. Elle s’était même piquée avec l’aiguille pendant qu’elle essayait de donner naissance à une fleur lors du cours. Elle n’avait juste pas la tête à cela aujourd’hui. Avec la soirée qui commençait, cela signifiait que plus personne ne s’attendait à quoi que ce soit d’elle et cela signifiait que personne ne la surveillerait. Elle était liiiibrrrreeeee! Enfin libre! Mais quel sentiment merveilleux!

Le lac souterrain était particulièrement tranquille et le peu de personnes présentes ne portaient aucune attention à la jeune fille. Celle-ci avait troqué sa robe pour des vêtements bien plus pratiques et confortables : un pantalon de lin et une chemise bleue. Son sac était posé non loin d’elle sur la pierre de même que la lame fine que lui avait offerte Korentin quelques jours plus tôt. Ses bottes traînaient également puisqu’elle avait actuellement les jambes à l’eau et bien évidemment, elle avait remonté son vêtement jusqu’à ses cuisses afin de ne pas le mouiller. Elle avait toujours aimé cet endroit et si on la connaissait bien, on pouvait savoir que le lac était son lieu préféré de tout Aigue-Royale. Elle aimait la sensation de l’eau fraîche sur sa peau et l’envie de s’y baigner la gagnait à chaque fois. Cependant la vue de la profondeur calmait cette idée puisqu’elle savait qu’elle était aussi gracieuse qu’une roche dans l’eau.

La Larme de Néant observait les ondulations qu’elle créait avec ses pieds, pensive et se demandant si Matis viendrait la rejoindre. C’était une personne qu’elle appréciait beaucoup et il faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas vus. Ce n'était pas tout à fait vrai puisqu'ils s'étaient revus il y a de cela trois jours, mais ils n’avaient pas été seuls. Cette fois-ci, ils seraient en tête-à-tête s'il acceptait de la rejoindre. Elle pourrait peut-être pouvoir enfin lui demander comme il allait depuis l’Aube Rouge et faire le point sur cet événement tragique.

Un peu plus tôt avant de se rendre à la caverne de Coeurempire, la gamine avait envoyé un messager porter une lettre au capitaine. Il restait juste à savoir s’il avait bien fait son travail et si l’homme allait accepter de la voir après avoir reçu le dit message.

Le message:

Le temps commençait à faire long dans ces cavernes sans fond, sans vie par moment. Il n’arrivait plus vraiment à faire la différence entre le jour et la nuit et cela commençait à se voir sur son visage fatigué. Il n’avait qu’une hâte, sortir enfin de cette grotte et heureusement pour lui c’était prévu pour le lendemain dans la journée. Il avait prévu de regrouper l’ensemble de ses gars et de les faire prendre l’air dans une taverne d’Althaïa, ils avaient tous besoin, surtout lui. En ce moment c’était surtout la formation des jeunes recrues et sa propre remise à niveau qui l’obnubilait. Il n’avait que ça dans son esprit, arriver à reformer des soldats pour la rébellion et retrouver son niveau d’avant la bataille de l’Aube Rouge. Alors il demandait énormément à ses soldats ainsi qu’à lui-même car de leur niveau dépendait beaucoup de chose et énormément de vie. Tout cela l’obsédait de jour comme de nuit, et les rares moments où il arrivait à fermer les yeux c’était pour revivre les terribles batailles du passé. Un jour, il espérait pouvoir oublier tout cela, et ne plus revivre nuit après nuit les mêmes horreurs.

Une bonne nouvelle vint cependant à lui sous la forme d’un message. Et un message joliment décoré qui plus est. Sa jeune amie, Luna pupille de l’Empereur Korentin, voulait le voir le soir même. C’était là une bonne nouvelle puisque, même s’il l’avait vu quelques jours auparavant, ils n’avaient pas réellement eu l’occasion de parler entre eux de ce qu’il s’était passé. Il se remémorait l’était dans lequel il avait retrouvé la jeune femme à l’entrée d’Aigue, mais il n’avait plus eu de nouvelle depuis lors. Entre temps il y avait eu la bataille ainsi que son coma aussi cela était un peu normal.

Aussi il avait gentiment remercié le messager et se concentra sur le message de la jeune protégée impériale. Il était joliment décoré, avec des dessins montrant la facilité avec laquelle elle pouvait dessiner, bien loin des faibles capacités du jeune homme d’ailleurs… Mais ça c’était un autre détail. Elle lui demandait de le rejoindre près du lac souterrain, sans doute voulait elle discuter de tout et de rien… Ça lui ferait du bien de discuter d’autre chose que de la guerre, des entrainements et tout ce qui tournait autour de la rébellion. Il avait juste envie de se poser quelques temps et de faire totalement autre chose que son métier.

Alors il termina tranquillement sa journée et se prépara à rejoindre son amie qui, la connaissant, avait dû se faire la malle sans que sa gouvernante ne la voie. En même temps ce n’était pas de son niveau, pas de son rang etc… Il aimait bien la jeune femme pour ce genre de comportement qui lui permettait de garder sa liberté… Il espérait, au fond de lui, qu’il puisse en être autant tout au long de sa vie. Elle était née pour être libre, pas pour être brimée dans un semblant de noblesse et une pile de protocoles inutiles. Pour tout dire il se revoyait bien des années plus tôt… Encore que son père n’était pas Empereur…

Il quitta donc la zone d’entrainement pour se changer, laisser de côté son armure et son bouclier, mais il garda quand même Héritage car il ne pouvait réellement s’en défaire. Sans elle il se sentait comme nu, et on ne pouvait jamais prévoir quand il pouvait en avoir besoin. Alors il l’avait toujours à portée de main même quand il dormait.

Arrivé dans la grotte contenant le lac souterrain, il se mit à chercher la jeune femme. Il y avait là des dizaines de personnes mais il ne mit pas longtemps à la repérer car elle était déjà les pieds dans l’eau. Il lui fit un signe quand elle le vit et il se rapprocha calmement d’elle qui, habillée comme elle l’était, n’avait pas dû être reconnue. Au moins ils seraient tout deux tranquille pendant un temps.

Alors ? Déjà les pieds dans l’eau ? C’est toutes tes chaussures de luxe qui te fond mal au pied au point de venir te les rafraichir ici ? Il avait dit sa phrase en souriant avant de conclure. En tout cas tu m’as fait un si joli dessin que je ne pouvais que venir te voir. Content de voir que tu sembles aller bien.

Entendant une voix qui lui était étrangement familière, Luna se retourna et son visage s’illumina de joie en voyant Matis s’approcher d’elle. Elle était si contente qu’il ait répondu positivement à sa demande de venir la rejoindre. Elle n’aurait pas cru qu’il ne veuille pas la voir, mais étant un homme de l’armée, elle savait qu’il pouvait être des plus occupés et qu’il avait des engagements à respecter, ce qui pouvait impliquer qu’il ne pouvait pas nécessairement accorder du temps à une gamine qui le convoquait sans préavis. D’un geste de la main, elle l’invita à venir s’asseoir près d’elle.

- L’eau est tellement rafraîchissante! Joins-toi à moi, Matis! Allez, enlève tes bottes! Tu verras, ça en vaut la peine peu importe le type de chaussure que tu portes… L’incita-t-elle d’une voix enjouée. Mais franchement… Je dois t’avouer que je suis contente d’avoir enfin troqué mes beaux petits souliers pour mes bottes et maintenant d’avoir les pieds nus…

Pas facile la vie de pupille de l’Empereur. Elle ne s’y ferait jamais à cette double vie qu’elle avait l’impression de vivre. Le jour elle était la douce Luna, polie et réservée, et elle refoulait sa personnalité qui était un peu trop spontanée au goût des nobles tandis que la nuit elle pouvait enfin laisser libre cours à son caractère plus fougueux. Parfois, elle avait l’impression d’être un oiseau qu’on enfermait dans une cage et dont le seul envie était de s’envoler. Ce n’était pas une jeune fille capable de rester en place trop longtemps, elle avait besoin de bouger au plus grand désarroi de ceux qui s’occupaient d’elle. Elle était une rebelle un peu trop rebelle pour certains… Mais avec Matis, c’était si simple! Elle n’avait pas l’impression qu’il s’attendait d’elle qu’elle lui sorte les salutations protocolaires, qu’elle soit joliment vêtue et qu’il n’allait pas se fâcher si elle le tutoyait, ce qu’elle avait d’ailleurs toujours fait. Elle n’avait pas besoin d’être quelqu’un d’autre avec lui. Elle pouvait retirer son masque de petite princesse et lui parler sans devoir réfléchir à deux fois à ce qu’elle disait sans avoir peur de le choquer. Elle ne voyait pas le capitaine comme une forme d’autorité, mais plutôt un ami, et c’est pourquoi elle aimait toujours passer du temps avec lui.

- Tu as vraiment aimé mon dessin? Mentionna-t-elle d’une voix teintée de fierté. Ses yeux pétillaient à l’idée de recevoir une réponse positive et la déception les teinterait avec certitude s’il devait y répondre négativement. Après tout, elle avait mis beaucoup d’efforts dans sa création. Je l’ai fait en partie durant le cours de cet après-midi… Il était ennuyeeeeuuuux, tu peux pas savoir. Poursuivit-elle en se remémorant qu’elle l’avait commencée pendant que l’enseignante donnait des explications sur l’histoire de la broderie et sur la technique qu’il fallait utiliser pour avoir des formes parfaites. Elle avait cependant dû arrêter lorsque la dame avait réalisé que la gamine n’était pas attentive du tout. Mais je n’étais plus trop certaine pour l’oiseau. Je ne me rappelais plus. Ajouta-t-elle.

Sur ces mots, elle s’accapara de la main droite du capitaine sans même lui demander la permission et toisa le tatouage qui y était dessiné. De plus, à l’aide de son doigt, elle traça le contour de l’oiseau afin de mieux encrer l’image dans sa mémoire. La prochaine fois, elle ferait mieux, mais sans modèle sous les yeux, ce n’était vraiment pas évident!

- Je suis contente que tu aies pu te libérer. Dit-elle en lui permettant de pouvoir enfin reprendre sa main. Tu as toute la soirée devant toi ou tu ne restes qu’un petit moment? Demanda-t-elle d’une voix plus calme.

Elle détourna son regard de l’homme et le posa sur le lac. Elle avait l’air soudainement plus sérieuse comme si quelque chose la tracassait et qu’elle ne savait pas trop comment emmener le sujet.

- Tu dois te demander pourquoi je t’ai fait venir, hein? Commença-t-elle doucement. On ne s’est pratiquement pas revu depuis mon retour à Aigue-Royale et tout ça. C’est bien dommage je trouve… Et avec la guerre et ton coma… J’ai vraiment eu peur que tu y passes. Je m’en serais voulu... Prononça-t-elle, regardant toujours au loin. Bref, je voulais savoir comment tu allais et si tu avais besoin d’explications quant à ce que j’avais fait à l’Aube Rouge… Je ne voudrais pas qu’il y ait de malentendu entre nous…

La petite Lune s’en voulait, c’était bête mais c’était ainsi. Elle se tenait en partie responsable des blessures du capitaine. Certes, elle pouvait se raisonner que c’était le risque du métier et qu’il aurait été blessé même si elle n’avait pas ouvert le passage à l’ennemi, mais elle n’arrivait pas à se faire à cette idée. Elle devait l’entendre de la bouche de son ami pour pouvoir soulager sa conscience. Cependant, ayant été inconscient pendant un long moment, elle n’était pas certaine que Matis soit au courant de toute l’histoire. L’avait-on renseigné sur les horribles actes que la Larme de Néant avait posés durant la guerre et avant? Elle craignait qu’il la voit d’un autre œil s’il avait appris la nouvelle ou lorsqu’il l’apprendrait aujourd’hui si ce n’était pas déjà le cas. Malgré le fait que ce n’était pas quelque chose qu’elle aimait parler, disons qu’elle n’en était pas très fière, ce n’était pas quelque chose qu’elle voulait cacher, surtout pas à lui.

Il approcha de la jeune femme et n’hésita pas un seul instant avant de lui ébouriffer une nouvelles fois sa douce chevelure blonde. Il adorait faire cela ne serait que pour embêter la jeune femme, c’était une marque d’affectation et de respect. Prouvant qu’il mettait la jeune femme au même rang que beaucoup d’autres de ses compagnons d’armes. Il n’avait pas besoin de la voir grandir pour la mettre au niveau, il la considérait comme une amie proche et n’avait nul besoin de la voir se mettre en quatre pour lui. Il savait la valeur qu’avait la jeune femme ainsi que les raisons qui la poussait à se battre jour après jour pour ses idéaux.

Hochant la tête à ses propos il vint s’asseoir à côté d’elle en autant ses bottes de forestier puis il mit les pieds dans l’eau en posant ses lourdes fesses sur le sol. Une fois tout ceci fait il lâchât un franc sourire à la jeune fille à ses côtés avant de lui parler.

Effectivement on est bien une fois les pieds dans l’eau… Voila une chose qu’il faudra que je fasse un peu plus souvent. Concernant tes chaussures cela me fait bien rire de te voir avec des chaussures de grandes dames. Non pas que tu n’en sois pas une, mais ce n’est pas quelque chose pour toi n’est ce pas ? Tu es bien trop « sauvage » pour ce genre de mascarade…

Effectivement la jeune femme devait toujours se comporter comme une grande dame, recevoir l’éducation d’une future reine ou princesse alors qu’elle n’était pas du tout de ce milieu là à la base. Comment le vivait elle ? Pouvait elle vraiment s’habituer à pareille chose ? Matis n’en était pas capable alors qu’il était de ce milieu. Certes il n’était qu’un noble de seconde voire troisième zone car issue de l’armée et d’une autre ville que Gloria, mais il n’en restait pas moins noble de naissance. Il n’avait pourtant jamais pu supporter la cour et tout ce qui gravitait autour, il était un soldat, un officier avant d’être un noble et c’est là qu’il voyait clairement la différence avec ses confrères. Encore une chose qui le différenciait de ces gens qu’il ne supportait que par politesse… parfois.

Il observa la jeune Luna lui parler et rigola quand elle s’inquiéta à propos de son dessin. Elle ne devait pas s’inquiéter car son dessin était d’une grande réussite, bien plus que tout ce que le jeune homme n’aurait jamais pu réaliser. Il n’était pas fait pour dessiner, hormis une carte militaire et ça ne demandait aucun sens de la géométrie.

Ne t’inquiète donc pas autant, il était très bien.

Il était quand même étonné de voir que la jeune femme ne suivait pas assidument ses cours. Il savait aussi que ses deux sœurs suivaient les mêmes cours alors, pour rigoler, il lui envoya un regard un peu dur pour la tester tout en lui parlant.

Tien tien, Madame ne suit pas ses cours ? De quel cours s’agissait-il d’ailleurs ? Port de robe ou de tête ? Bienséance ou beau discours ? J’espère que tu ne conduis pas mes sœurs sur ton chemin du non-respect ma chère Luna ?

Il finit sa phrase en éclatant de rire car il voulait bien lui faire comprendre qu’elle ne devait pas s’en faire pour si peu. Il comprenait clairement ce que pouvait vivre la jeune femme. Lui-même avait vécu quelque chose de similaire étant plus jeune. Il ne voulait pas du tout suivre les cours de la noblesse et faisait toujours tout ce qu’il pouvait pour y échapper… Quitte à faire le mur de temps en temps.

Plus je te connais plus je me dis que tu me ressemble beaucoup Luna, peut être finira tu par devenir une grande guerrière un jour.

Il observa la jeune femme et sourit à sa phrase. Evidement qu’il avait du temps à consacrer à la jeune blonde, sinon il ne serait pas venu. Sans parler du fait que cela faisait bien trop longtemps qu’il n’avait pu lui parler et partager un peu de temps avec elle, alors il avait sauté sur l’occasion. Il appréciait la jeune femme et son esprit vif, alors quand une occasion se présentait il ne fallait pas la laisser passer.

J’ai toujours du temps pour toi Luna, d’autant plus en ce moment que cela faisait un petit moment qu’on n’avait pas pu se parler vraiment. Alors maintenant que je peux le faire, pourquoi m’en priver ?

Puis il écouta la jeune femme qui se mit à parler de manière très, voire trop, sérieuse. Ce qu’elle disait était vrai car il s’en était posé des questions. Mais il ne se voyait pas assaillir la jeune noble par ce genre de discours. Alors il ne dit rien et la laissa finir avant de lui parler. Il voulait la rassurer, lui dire que tout allait bien mais il savait que cela ne suffirait pas.

Ne t’inquiète pas Luna. Je vais bien mieux, je me suis remis et je reprends peu à peu ce que j’ai perdu. Pour tout te dire je suis fier de ce que j’ai fait, certes je n’ai pas été assez bon pour éviter d’être blessé mais au moins je suis toujours en vie. Je pourrais continuer à me battre.

Concernant ton implication à l’aube Rouge… j’ai entendu des rumeurs et des choses aussi diverses que varié. Tu me connais, je ne porte aucun crédit aux rumeurs, mais j’aimerais entendre de ta bouche ce qu’il s’est passé pour toi lors de cette bataille…

A moins que tu ne souhaites pas en parler, ce que je comprends aussi.

- Sauvage?! Prononça Luna sur un ton des plus indignés. N’avez-vous pas honte de me traiter de la sorte, Capitaine Falkire? Je suis loin d’être une sauvage comme vous semblez l’entendre. Je suis la protégée de nulle autre que sa Majesté Korentin Kohan, Empereur légitime et bien-aimé chef de la rébellion. Vous me blessez terriblement par vos mots. Sachez que je suis une jeune femme délicate, aux manières les plus raffinées et je ne supporterai pas que l’on me traite de la sorte. D’abord, vous osez poser la main sur ma personne dans l’ignoble but de me décoiffer et maintenant, vous pousser l’audace à m’humilier avec vos paroles?! Vous savez, Messire Falkire, que des têtes ont été pendues pour moins que cela. Ajouta-t-elle d’une voix sérieuse.

Prononçant ces paroles, le visage de la jeune fille s’était automatiquement fermé et prit des traits sérieux, aux allures hautaines, qui contrastaient avec l’expression joyeuse qu’elle avait quelques secondes plus tôt. Elle s’était d’ailleurs redressée, raidissant ainsi son dos afin qu’il soit parfaitement droit, et avait sorti ses jambes de l’eau pour venir les replier, l’une contre l’autre, sur le côté. C’était la posture adéquate d’une noble ainsi assise bien que, théoriquement, il était inadéquat que son postérieur se retrouve directement sur le sol et non pas sur une chaise. Son regard bleuté s’était refroidit lorsqu’elle l’avait posé sur l’homme, mais elle ne le regardait pas directement dans les yeux et fixait plutôt un point quelconque sur son nez, et ce, pour deux raisons. La première, c’était qu’elle allait inévitablement éclater de rire si leur regard se croisait. La deuxième était plutôt une question d’étiquette puisqu’il était impoli de regarder quelqu’un, surtout un homme, directement dans les yeux. Elle avait prononcé chaque mot avec soin, faisant attention à chaque articulation afin d’avoir une diction impeccable, et le débit employé avait été rapide, bien que pas trop rapide non plus. Le doute ne se détectait pas dans sa voix et elle avait l’air d’une jeune femme en pleine confiance de ce qu’elle faisait. C’était la preuve que Luna était capable de retenir et d’appliquer ce qu’on tentait de lui inculquer à la cour et revêtant ce « masque », elle avait l’air d’une toute autre personne.

La protégée de Korentin ne put tenir son sérieux bien longtemps après qu’elle ait terminé de parler et elle partit à rire, ne pouvant plus s’arrêter avant de nombreuses secondes. Toutes ces belles paroles et toute cette étiquette, ce n’était pas elle du tout. Sa posture se défit, elle sourit à Matis tout en lui faisant un clin d’œil et replongea ses pieds dans l’eau fraîche du lac. Elle aimait être avec lui, c’était bien plus simple. En plus, il aimait ses dessins, ce qui lui arracha un autre sourire.

- Et puis? Ma performance était réussie? Demanda-t-elle en rigolant. Elle lâcha ensuite un soupir. Ça ne me ressemble pas, hein? Je crois que sauvage, ça me décrit bien en fait. C’est tellement plus simple avec toi. Pas besoin de belles robes, de beaux souliers et de belles paroles. Je peux te parler franchement et je sais que tu ne vas pas me dénoncer. Tu embarques même dans mes folies Dit-elle, désignant le fait qu’il avait lui aussi les pieds dans l’eau. Ça doit être pour ça que je t’aime bien.

C’était sincère. Il comptait beaucoup pour elle et elle se sentait à l’aise à ses côtés.

- Non… Port de robes, c’était hier. Aujourd’hui, ça portait sur la broderie... Et je crois que tes sœurs sont suffisamment grandes pour prendre leurs propres décisions et ne pas être influencées par ma personne. Elles sont d’ailleurs beaucoup plus sages que moi! Elles ont fait de belles choses aujourd’hui, beaucoup plus compliquées que ce que j'ai fait. Moi, j’ai brodé simplement une fleur. Raconta la jeune fille.

Son rire avait joint celui de Matis et elle avait acquiescé lorsqu’il lui avait dit qu’elle finirait peut-être par devenir une grande guerrière. Elle prit d’ailleurs le fait qu’il lui dise qu’elle lui ressemblait beaucoup comme un compliment. Chez les rebelles, il était en quelque sorte un modèle pour elle et un grand frère si on veut.

Mais il était d’abord et avant tout un ami et c’est pourquoi elle ne savait pas comment apporter le sujet dont elle voulait discuter. Une partie d’elle-même ne voulait pas parler de ce qui s’était passé à l’Aube Rouge, préférant taire cet épisode au plus profond d’elle-même. Cependant, l’autre partie lui disait que Matis avait le droit de savoir et que cela lui ferait le plus grand bien de se confier. Après tout, elle gardait toujours tout pour elle-même.

- Je ne sais pas ce que tu as entendu et le pire, c’est que c’est probablement fondé… Mais je voulais te donner ma version des événements. Je voulais t’expliquer avant que le tout t’arrive déformé. Je…

Mais le mot resta en suspens. Elle ne savait pas trop par quoi commencer et son regard se promena le long du lac, évitant celui du capitaine. La peur la tenaillait et elle ne voulait pas voir la réaction qu’il ferait lorsqu’elle lui dirait.

- S’il te plait, laisse-moi parler jusqu’au bout. Furent les premiers mots qu’elle prononça. Je m’en veux. J’ai fait des choses horribles… Tu ne peux même pas t’imaginer. Tu sais, tous les événements étranges qui se sont passés durant le mois de juin… Ces objets qui ont malencontreusement disparu, le feu qui a pris dans la réserve, l’accident qui a tué le maître-mage, les conduits de ventilation étrangement bouchés et tous les autres… Tout ça, c’est par ma faute. Et j’ai encore fait pire… Durant l’Aube Rouge, c’est moi qui ai ouvert le passage aux Alayiens dans la Caverne des Songes. C’est à cause de moi qu’ils sont entrés… C’est à cause de moi qu’ils ont pu s’en prendre aux civils en bas… Leurs cris, c'était horrible… ajouta-t-elle, se remémorant les hurlements qu’ils avaient poussés lorsqu’ils avaient été sauvagement abattus. Par réflexe, la gamine avait porté ses mains à ses oreilles afin de les boucher inutilement du son invisible. Il lui fallut une petite pause afin de se ressaisir. C’est à cause de moi que les Alayiens ont pu remonter jusqu’à vous. Matis, j’ai posé tous ces gestes! Dit-elle d’une voix alarmante. Mais… Mais je ne le savais pas. Tu sais bien que je n’aurais jamais fait ça. J’étais sous le contrôle de l’Esprit du Néant. Aldakin m’a fait je-ne-sais-quoi et elle me contrôlait sans que je réalise. La Larme de Néant, c’était moi! Lâcha-t-elle finalement.

Un flot d’émotions déferla en elle et Luna eut une boule dans la gorge qui l’empêcha de continuer de parler. Que penserait Matis de tout cela? Elle appréhendait sa réaction et refusait toujours de le regarder en face.

Quand il se trouva face à la jeune femme qui lui déblatérait son cours de discours ou il ne savait pas quoi, il ne sût quoi lui répondre. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison qu’il ne s’était pas attendu un seul instant à ce genre de discours de sa part. Oui il l’avait déjà entendu à de trop nombreuses reprises, mais venant de sa bouche… Disons juste qu’entendre des réprobations sur un comportement libertaire venant de la part d’une jeune femme qui n’hésitait pas à l’utiliser avait quelque chose de cocasse pour ne pas dire autre chose. Alors, pour ne pas la déconcentrer car il sentait, au fond de lui-même, que ce n’était la jeune femme qu’il avait l’habitude d’ennuyer qu’il avait en face de lui, il se tut et essaya de chercher à savoir si elle plaisantait. Et, à la voir ne pas le regarder directement, il comprit qu’elle plaisantait et essayait de garder son sérieux. Au moins une bonne chose si elle ne voulait pas se faire prendre à penser le contraire de ce qu’elle disait.

Elle le faisait beaucoup rire et, en ce moment il avait bien besoin de cela. Quand elle eut finie, et qu’elle s’assit comme n’importe quel noble guindé l’aurait fait, il ne bougea pas de sa place et attendit un instant. Assez longtemps pour qu’elle se mette à rigoler avant de lui parler de nouveau, mais cette fois avec sa véritable personnalité. Il porta attention aux propos de la jeune femme car ceux-ci le touchèrent particulièrement, surtout après tout ce qu’ils avaient partagé comme aventure… De ce désert brulant et de cette capitale sous occupation ils tiraient tout un ensemble d’histoire à raconter dans le futur.

Non effectivement cela ne te va pas du tout et, pour tout te dire, j’avais presque l’impression que ce n’était pas toi que j’avais en face de moi. Mais heureusement, j’ai vite compris que ce n’était qu’un jeu alors j’en suis rassuré. J’avais peur de voir que quelques cours de bonne conduite avait fait de toi un être étrange et distant. Heureusement il n’en est rien.

Pour le reste, évidement que tu peux parler franchement. Je t’apprécie aussi pour ce que tu es, sans parler du fait que je t’en voudrais si tu me cachais des trucs et que tu ne t’exprimais pas de manière honnête. Je fais déjà ça avec mes soldats, pourquoi ne ferais pas de même avec toi ? Je t’aime beaucoup pour la femme que tu es, le reste je m’en moque un peu tu sais.

Matis écouta avec attention la suite des paroles de la jeune Luna. Bien qu’il n’était pas en charge de l’éducation de ses sœurs, hélas, il aimait savoir comment cela se passait. Il les avaient vu à de nombreuses reprises depuis son retour parmi les vivants, ainsi que le petit amoureux d’une d’entre elles, mais elles ne lui parlaient jamais de leurs cours. Comme si tout cela ne pouvait que l’ennuyer, hors, il n’en était strictement rien. Alors savoir que ses sœurs faisaient de la broderie ne le choqua pas plus que cela mais il se demandait quand même comment Satie faisait pour supporter cela…

Cela ne m’étonne pas, je pense qu’avec ce qu’il m’est arrivé, elles veulent éviter de causer du tort à mon père. Quand elles étaient jeunes elles faisaient de la broderie, pour tout t’avouer elle on même fait quelques pièces pour mon frère et moi en hommage à notre mère… Mais aujourd’hui je me demande comment elles font pour encore en faire, il me semblait qu’elles étaient passé à autre chose… Je ne dois pas passer assez de temps avec elles.

A la suite de cela, et après avoir rit un bon moment à cette pensée, la jeune femme devint plus sérieuse, plus renfermée. Il avait à l’idée le sujet qu’elle allait abordée, et il savait qu’il devait la laisser parler mais l’émotion qu’avait la jeune femme lui fit tenter une parole. Elle ne lui laissa pas le temps de parler et elle enchaina dans ses propos en se mettant tout sur le dos. L’écouter ainsi lui faisait de la peine car il savait que ce n’était pas entièrement sa faute, il savait même que ce n’était pas de sa faute. La première fois qu’il en avait entendu parler il n’avait pas voulu y croire, mais au bout d’un moment il avait profité de ses relations pour en apprendre plus et, au final, c’est son paternel qui lui expliqua tout. En tant que membre du conseil Rebelle il avait eut accès à certaines informations qu’il avait pu partager avec son fils.

Il laissa donc la jeune fille finir sa phrase avant de lui répondre le plus délicatement possible. Il ne cherchait pas à la blessé ni à la faire culpabiliser.

Je suis au courant de tout Luna, du moins de ce que l’on a pu m’expliquer sans tomber dans le secret. Je sais que ce n’est pas de ta faute, je n’aurais jamais dû te laisser à Gloria… J’avais bien vu, quand je t’ai récupéré, que tu n’étais pas dans ton état naturel… Après ce que tu as vécu n’importe qui aurait craqué alors cesse de t’en vouloir, tu n’es pas coupable. Les seuls à qui j’en veux c’est les Alayiens, pas toi.

Alors cesse de ressasser le passé, et pense à autre chose. Je sais que c’est loin d’être facile, mais à la guerre il y a toujours des tués, ceux là ne sont pas mort par ta faute. N’y pense donc plus Luna, et regarde l’avenir.

Il se voulait rassurant mais il était démuni devant pareil évènement, il n’avait jamais vraiment été bon pour remonter le moral des gens. Mais il fallait vraiment qu’elle ne s’en veuille pas, lui ne lui en voulait pas en tout cas….

Voilà, la gamine lui avait tout dit et ça n’avait pas été une chose facile pour elle. Heureusement, Matis ne l’avait pas interrompue pendant qu’elle parlait sinon elle n’aurait probablement pas su continuer. Il était resté calme, impassible et à l’écoute. Cela l’avait incitée à se vider le cœur jusqu’au bout, cœur qui avait malheureusement été teinté par les derniers événements. Remords, tristesse, craintes et colère, il ne passait pas un seul jour sans que ces sentiments ne viennent la hanter. Ses événements étaient ancrés en elle, autant dans sa chair et dans ses pensées. Lorsqu’elle croyait qu’elle allait mieux et qu’elle allait pouvoir aller de l’avant, son subconscient s’amusait à lui rappeler comment elle était vulnérable et la faisait reculer de cinq pas. Si elle arrivait à ne pas y penser durant la journée, il était certain qu’elle faisait d’horribles cauchemars durant la nuit. Son imagination était des plus fertiles. Elle avait même rêvé une fois que les deux sœurs jumelles s’étaient terrées dans les souterrains avec elle et qu’elles avaient été massacrées par les Alayiens juste après qu’elle leur ait révélé l’emplacement de leur cachette. Cela lui avait laissé un goût amer dans la bouche et elle avait été extrêmement contente d’aller en cours ce jour-là et d’y revoir Satie et Yolande. La Larme de Néant ne réussissait juste pas à passer à travers cette épreuve, mais en parler lui fit du bien. Certes, elle avait raconté ce qu’il s’était passé à Korentin Kohan, mais ce n’était pas pareil du tout. Or, on ne se confie pas de la même façon à l’Empereur qu’à un ami et comme Matis venait de lui dire un instant plut tôt, elle pouvait lui parler franchement. Il l’aimait pour ce qu’elle était réellement et c’est tout ce dont elle avait de besoin.

La voix de Matis était douce et elle se voulait réconfortante. Pourquoi avait-elle imaginé une réaction explosive et un rejet automatique? Probablement parce que de tous les scénarios possibles, on choisissait toujours celui qui nous paraissait le pire et qui faisait le plus mal. Que la relation qu’elle avait avec Matis soit réduite à Néant à cause d’elle justement, elle n’aurait pas pu le supporter. Son regard continua à balayer la surface de l’eau pendant quelques secondes avant de venir se poser sur son ami. Elle lui esquissa un faible sourire et battit à quelques reprises des paupières afin de chasser les larmes qui auraient voulu s’y loger. Retirant ses pieds de l’eau, la gamine vint poser sa tête sur les cuisses de l’homme sans se soucier de ce que pouvaient penser les gens s’ils les voyaient ainsi. Allongée ainsi, elle ferma les yeux et laissa le silence devenir maître du lac souterrain.

- Matis…? Prononça-t-elle finalement.

C’était un murmure, mais elle savait qu’il l’avait entendu. Elle avait de nouveau ouvert les yeux.

- Ne meurs pas… Jamais. Ajouta-t-elle par la suite.

Elle avait parlé d’une voix douce, toujours aussi faiblement, utilisant les mêmes mots qu’elle avait employés lorsqu’elle était revenue à Aigue-Royale.

- Je ne veux pas que tu meurs. J’ai eu si peur que tu rejoignes Mort. Lui confia-t-elle. Je suis contente que tu sois encore en vie. Et tu as raison… Je devrais tourner la page. Je dois juste trouver comment...

Il avait raison, elle devait cesser de remuer le passé et se concentrer sur le futur. Mais c’était beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Et en ce moment, tout ce qu’elle voulait, c’était de pouvoir se concentrer sur l’instant présent. La présence du capitaine lui était apaisante et rassurante. Ce n’était peut-être pas comme lorsqu’elle se blottissait dans les bras de sa mère et qu’elle lui susurrait doucement que tout irait bien, mais rien ne pourra jamais remplacer la magie d’une maman. Bref, être avec des gens l’aidaient à lui changer les idées. Malheureusement, outre Matis, il n’y avait pas beaucoup de personnes sur lesquelles elle pouvait compter pour cela. Or, le visage d’Enetari lui apparut. Il est vrai qu’avec elle, son cœur s’était curieusement apaisé et qu’elle en avait même oublié ses soucis. Elle esquissa un sourire en pensant à l’elfette.

Le capitaine écouta avec attention les paroles de la jeune femme sans rien dire après ses propos. Il voulait la laisser venir à lui, lui parler de tout ce qu’elle avait sur le cœur et se vider intégralement l’esprit car elle devait s’en vouloir. Contrairement à ce qu’il voulait elle s’en voudrait pendant longtemps alors qu’elle ne le devait pas. Elle était quelqu’un de bien, ce qu’elle avait fait n’était pas de sa faute mais de celle de celui qui l’avait rabaissé à un rôle d’esclave. L’emprise qu’avait Néant sur elle lui avait fait du mal et avait failli conduire à la fin de la rébellion et la destruction de centaines de vies. Heureusement cela ne s’était pas passé comme l’Esprit le voulait.

Il la laissa venir et poser sa tête sur ses jambes, il voyait bien que la jeune femme était mal alors, comme pour la rassurer, il lui ébouriffa encore une fois la tête et les cheveux. Sa gouvernante allait devenir folle car à chaque fois qu’il la voyait il mettait un point d’honneur à défaire l’ensemble de sa coiffure. Et il l’écouta quand elle l’appela dans un murmure. Il s’attendait à ce qu’elle lui dise quelque chose d’assez étrange, alors il lui répondit le plus naturellement et décalé du monde.

Moui ?

Et ce qu’elle lui dit le toucha, ce n’était pas quelque chose de nouveau car elle lui avait déjà fait part de cette requête. Bien entendu ce n’était pas dans ses objectifs à court ou moyen terme, mais il comprenait parfaitement ce qu’elle voulait dire. Elle tenait à lui, et le fait qu’il ait passé plusieurs jours dans le coma lui avait peut être fait craindre le pire…

Il voulut lui dire quelque chose mais elle enchaina avec son propos et il comprenait parfaitement ce qu’elle voulait dire. Il voulait ainsi la rassurer, lui faire comprendre que cela n’arriverait jamais mais était il seulement sûr de cela ? Pouvait il assurer à la jeune femme que jamais il ne pourrait mourir et la laisserait seule ? Il n’en savait rien, mais il sentait que cette question l’habitait et la hantait depuis des jours si ce n’était pas des semaines.

Ne t’inquiète pas pour moi Luna, je suis un grand gars et je ne risque pas de me faire avoir par un Alayien mal grossi ou les Esprits savent quoi d’autre. Ne t’inquiète pas pour moi, je ne risque rien ou du moins pas grand-chose, alors occupe-toi de toi et de tes envies.

Tu as encore toute la vie devant toi et il serait temps que tu tourne cette sombre page pour vivre ta vie. Je t’aiderais à le faire en faisant ce que tu voudra, si cela peut te permettre de te remettre et de comprendre que ce n’est pas ta faute.

Il observa la platitude du lac et se demanda si sa vie n’était pas un peu comme ce dernier. Mais il savait que ce n’était pas réellement le cas. Il ne se voyait pas comme quelqu’un d’exceptionnel mais sa vie n’était pas commune.

Il observa la jeune femme et se demanda ce qu’il pourrait dire pour lui changer les idées… Lui parler d’autre chose, aborder d’autre sujet. Alors il se lança.

Tant que j’y pense, et parce que je tiens quand même à toi… La petite elfe qu’on en rencontré hier… Elle ne ta pas laissée indifférente n’est ce pas ?

Dans sa voix il n’y avait aucune réprobation, c’était juste de la curiosité. Mais il voulait vraiment savoir pour être au courant des aventures de la jeune femme. Pas pour la désapprouvée, mais pour la soutenir et lui faire savoir qu’il était la pour elle.

La tête ainsi posée sur Matis, Luna apprécia qu’il ne se moque pas d’elle. Toutes autres occasions ne l’auraient pas dérangée, après tout, elle ne voyait pas de mal à ce que les gens puissent rire des autres, tant et aussi longtemps que c’était d’une façon taquine et qui n’était pas pour blesser l’autre. Cependant, en ce moment, elle apprécia que ce ne fut pas le cas et que le capitaine garda son sérieux. S’il s’était mis à rire de sa réaction, elle ne lui en aurait pas voulu. Comment pourrait-elle seulement lui en vouloir pour quoi que ce soit? Mais elle n’aurait pas été d’humeur à se joindre à son rire et n’aurait pas été aussi à l’aise par la suite pour lui dévoiler ce que son cœur cachait. Cœur qui fut d’ailleurs apaisé par le simple geste qu’il avait fait, c’est-à-dire lui ébouriffer sa chevelure d’or. Il est vrai que sa gouvernante en serait outrée, mais la gamine ne portait que trop peu d’importances à ce qu’elle pouvait penser. Elle aimait ce geste que Matis avait pris l’habitude de faire à son égard. Pour elle, c’était quelque chose de rassurant. Peut-être se trompait-elle quant à la signification. Mais pour elle, c’était un geste empli d’affection qui signifiait en ce moment « Ne t’inquiète pas. Je suis là pour toi ». Savoir qu’elle pouvait compter sur quelqu’un était réconfortant. Mais aimer quelqu’un signifiait aussi pouvoir se le faire douloureusement arracher et c’était la raison de ses craintes.

La protégée de Korentin ne bougea pas lorsque le capitaine lui répondit. Difficile de ne pas s’en faire... C’était plus fort qu’elle que de s’angoisser pour les gens qu’elle tenait chers. Cette peur de les perdre la rongeait et c’était encore pire puisqu’elle considérait que le mal qu’ils leur étaient arrivés était par sa faute. Mais le grand gars avait raison, ce n’était pas de sa faute. Tout n’était pas de sa faute. Ce n’est pas elle qui avait placé le piège au Temple du Néant. Ce n’est pas elle qui avait laissé délibérément cet Esprit prendre possession son corps. N’avait-elle pas tenté d’y résister? Ce n’était pas elle qui avait traqué Saemon, Auphélie et Autone afin de pouvoir les tuer et les utiliser comme objet pour la démoraliser. Ce n’était pas elle qui avait causé l’Aube Rouge, qui avait violemment tué les innocents qui se cachaient et qui avait levé son arme contre Matis. Il avait raison. Elle devait arrêter de se tourmenter et il fallait tourner la page. Mais difficile à faire tant et aussi longtemps que Néant tenait Armanda entre ses griffes, menaçant de tout détruire.

Petit à petit, la petite parviendrait à tourner la page et à se changer les idées. Était-ce parce qu’il avait réussi à lire dans ses pensées qu’il mentionna la petite elfe ou était-ce simplement son sourire qui l’avait dénoncée?

- Mais… Euh. Quoi?! Lâcha-t-elle.

La Larme de Néant s’était redressée soudainement et la surprise se dessina sur son visage lorsqu’elle réalisa à quoi il faisait référence. Bien sûr, le guerrier avait été présent lors de sa première rencontre avec l’elfette. Celle-ci était mignonne et adorable, son regard était enchanteur, ses lèvres avaient été douces contre les siennes et elle avait eu beaucoup de plaisir avec elle. Mais ce n’était rien du tout! Ça n’avait été qu’un jeu, qu’une simple jeu afin de faire réagir les deux hommes, non?

- Mais non, voyons! Répondit-elle précipitamment.

Ça n’avait été rien de plus, non? Peut-être pas, non.

Oh! Mais voilà que la gamine rougissait sous le regard de Matis. Elle baissa les yeux, gênée que son propre corps la trahisse ainsi. Dire qu’elle n’était même pas en mesure de se prononcer quant à ce qu’il y avait entre l’elfette et elle. C’était difficile à dire et difficile à décrire. Était-ce cela que l’on appelait « amour » ? Que d’avoir des papillons dans le ventre juste à l’idée de revoir la dite personne et à l’idée de pouvoir à nouveau se perdre dans son regard. Que de sourire à quelqu’un et d’espérer qu’il le retourne? Que d’avoir le cœur qui battait fort et que tous les soucis s’envolent juste en pensant à cette personne? Si c’était le cas, alors oui, Luna était amoureuse d’Enetari.

Le constat était à la fois magique et des plus effrayants.

Une humaine et une elfe?! Sérieusement? Ça ne se faisait juste pas. Que dirait Korentin s’il apprenait cela? Que penserait les parents d’Enetari s’il voyait sa fille avec une humaine? Cela entacherait certainement la réputation du régicide et les gens ne se prieraient pas deux fois avant de commencer à raconter des ragots. Une humaine et une elfe. Ce n’était juste pas dans les règles et fidèle à elle-même, Luna semblait prendre un malin plaisir à les briser et ce, malgré elle. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?

Et Matis dans tout cela?

- Tu ne diras rien, hein? Prononça-t-elle, levant son regard pour le mélanger au sien.

Elle se mordit la lèvre comme elle le faisait lorsqu’elle était angoissée ou que quelque chose la tracassait. Pourquoi s’inquiétait-elle? C’était Matis. N’allait-il pas être le premier à l’aider et à la soutenir? Et surtout, à ne pas la juger pour les choix qu’elle faisait…? Elle avait confiance.

- Promets moi que ça restera entre nous. Commença-t-elle d’une voix douce. Si tu ne le fais pas, je te balance à l’eau. Là, maintenant! Ajouta-t-elle avec un air de défi, sourire taquin aux lèvres.

Elle n’était pas vraiment sérieuse quoique…

La jeune femme sembla marquée par les propos qu’il tenait sur l’elfe qui semblait être entré dans sa vie. Pour être tout à fait honnête il s’en doutait déjà depuis un petit temps, mais, et même s’il n’appréciait que moyenne la jeune elfe, il ne lui en tiendrait jamais rigueur. Ce n’était à lui de définir les relations de la protégées de Korentin, c’était à personne d’autre qu’elle de le faire, comment aurait il pu en être autrement ? Elle était jeune, elle avait envie de s’évader, de quitter ce monde de souffrance et de haine pour un peu d’amour et beaucoup de tendresse. Trouverait-elle cela avec elle ? Peut être, il ne pouvait que l’espérait puisqu’elle avait parfaitement le droit de vivre cela. Comme tout un chacun sans doute.

A sa moue déconfite il répondit un petit sourire narquois, pas de quoi se moquer d’elle mais tout comme.

Tu as très bien compris ce que je viens de dire jeune fille ! Pas la peine de te cacher sous ta veste ou derrière tes cheveux, tout ce que tu as fait je le vois.

Il lui sourit et rigola un bon coup devant l’air perdue de la jeune femme. Elle essaya de faire genre de rien n’était, comme si rien de tout cela n’était vrai. Mais le jeune capitaine n’était pas dupe, il avait des petites sœurs qui fonctionnaient de la même manière aussi la jeune Luna ne pourrait pas lui cacher grand-chose. Il ne savait pas si cela n’était qu’une histoire d’un instant, une façade ou une pause dans la vie ou si c’était quelque chose de plus solide. Il ne savait pas quoi en penser, devait il s’offusquer ? Devait il s’en prendre à elle pour faire pareille chose avec une elfe ? Pour le devrait il ? N’était il pas son ami après tout ? Il n’était pas son grand frère, ce n’était pas son père, qui était il pour la juger ? Aussi il ne la jugerait pas, il ne ferait que l’assister dans son combat et dans sa vie, comme il l’avait toujours fait jusqu’à présent.

Elle sembla réfléchir un instant à tout ce que cela impliquait pour elle et pour l’elfe, elle semblait avoir en tête des problèmes de grande personne et ne savait plus vraiment où donner de la tête. Mais il savait qu’elle s’en sortirait, elle était forte et pure, elle trouverait une solution à tous ses problèmes. Et ces pensées furent corroborées par les paroles de la jeune blonde.

« Tu ne dira rien, hein ? ». Elle avait peur qu’il fasse part de ses réflexions à quelqu’un d’autre. Mais comment pourrait il le faire ? Dans sa phrase il voyait bien qu’elle lui faisait confiance mais elle le mettait quand même en garde. La fin de sa phrase manquait clairement de sérieux mais il savait qu’il ne faudrait pas trop la titiller sur ce sujet sans quoi il gouterait à la froideur de l’eau du lac… S’il y mettait du siens.

Non je ne le garderais pas pour moi. Je vais le crier sur tous les toits de cette foutue grotte jusqu’à ce que tout un chacun sache ce que tu as fais. Il rigola avant de conclure. J’ai vraiment une tête à faire ça ma belle ? Sincèrement, je garderais tout cela pour moi et si tu as besoin d’aide pour quoi que ce soit tu sais que je suis là.

Pour le reste j’aimerais aussi que tu ne t’emballe pas trop, elle me semble un peu étrange comme jeune femme. Il lui sourit avant de conclure.

C’est là la seule chose que je dirais à propos de ce qu’il s’est passé. Je ne te juge point et ne le ferais jamais. Mais je te soutiendrais et t’aiderais, j’espère que cela te conviens protégée de Korentin.

Matis n’oserait quand même pas! Luna lui avait décoché un de ces regards lorsqu’il avait blagué qu’il révèlerait à tous ce qu’elle tentait de leur cacher. Elle avait saisi qu’il se moquait d’elle, mais l’idée que ça se sache ne lui plaisait vraiment pas du tout. Déjà qu’elle avait attiré l’attention des gens sur sa personne en étant la pupille de Korentin et maintenant avec cette histoire de Larme de Néant, elle n’avait pas envie de l’avoir encore plus parce qu’elle avait embrassé une elfette. Pendant l’ombre d’un instant, l’envie de balancer le capitaine à l’eau lui traversa l’esprit, mais elle retint son geste. Ce n’était pas parce qu’elle ne croyait pas en être capable. Elle était pratiquement certaine que si c’était ce qu’elle voulait vraiment, qu’elle arriverait à faire plonger le capitaine dans le lac. Mais à quel prix? Probablement qu’il ne lui en tiendrait pas trop rigueur si elle le faisait. Il savait sûrement nager et il s’en sortirait sans souci. Or, ce n’était pas le cas de la gamine. Elle était loin de savoir bien nager et si ce dernier décidait de lui faire subir la pareille ou qu’il l’entraînait avec lui dans sa chute, elle ne s’en sortirait pas aussi bien. C’est pourquoi elle resta raisonnable.

- Je savais que je pouvais compter sur toi, Matis. Mais je suis certaine que c’est l’eau qui t’a fait peur, n’est-ce pas? Dit-elle.

Un sourire narquois apparut sur le visage de Luna, mais derrière cet air moqueur se cachait le soulagement de ne pas s’être trompée ainsi que l’assurance de pouvoir compter sur quelqu’un. Elle ne voulait pas vraiment le mêler à tout cela et préfèrerait l’éviter si possible, mais si jamais elle n’avait pas le choix, elle savait qu’elle aurait son support. Bien que différent, son cas ressemblait un peu à la relation qu’avait eue Satie avec le fils du forgeron. Ce n’était pas une liaison qu’aurait apprécié la belle-mère de Matis et pourtant, il avait été le premier à vouloir aider et à s’assurer que sa sœur soit heureuse avant tout.

- Je ne m’emballe pas trop, promis! Moi-même, je ne sais pas trop quoi penser de tout cela. Je sais juste que, pour une fois, j’étais bien et que je me suis beaucoup amusée avec elle. La synergie s’était créée entre les deux jeunes filles dès leur première rencontre. Si leur relation n’évoluait pas en un amour passionné, il est certain qu’elles resteraient liées au moins par l’amitié. Elle la voyait comme une partenaire de jeux, une complice avec laquelle elle pourrait faire les quatre cents coups. Toutefois, elle ne savait encore rien d’elle. J’ignore si c’est vraiment sérieux ou quoi que ce soit. On voulait juste s’amuser… voir jusqu’où on pouvait aller pour vous réagir, Dawan et toi. Tu comprends? C’était pas vraiment sérieux… Ce n’était qu’un jeu. Ou pas…?

Toute cette histoire de baisers et de doux gestes avec Enetari dans ses appartements, cela avait dégringolé parce que Luna avait voulu avoir le dernier mot et qu’elle n’avait pas voulu se laisser marcher sur les pieds. En un sens, c’était parce qu’elle était têtue et qu’elle n’aimait pas perdre qu’elle avait embrassé l’elfette afin de la déstabiliser à son tour. C’était le but des premiers baisers. Ensuite, cela avait évolué en un jeu entre les deux gamines afin de rendre inconfortable les gens présents dans la pièce. Mais derrière le jeu, il y avait bien plus.

- Imagine un peu la tête de Korentin s’il apprenait que j’avais embrassé une elfette! Que ce soit sérieux ou non. Murmura-t-elle afin que lui seul puisse entendre. Déjà que je me rapproche pas mal du mouton noir de son entourage… Mon petit doigt me dit qu’il ne resterait pas aussi calme et ne serait pas aussi compréhensif que toi. Pour son bien-être, je crois qu’il faudrait lui épargner ce détail, tu crois pas? Ajouta-t-elle toujours aussi faiblement. Et je connais pas la famille d’Enetari, mais j’ai comme l’impression qu’elle n’apprécierait pas non plus. Chuchota-t-elle en s’approchant de l’homme lorsqu’elle prononça le nom de l’elfe.

C’était connu, les relations interraciales étaient mal vues et les aimants étaient parfois même détestés. Elle ignorait à quel point les gens réagiraient s’ils savaient ce qui se tramait et à vrai dire, elle n’avait pas le goût d’en avoir le cœur net. Korentin n’aimerait pas et les parents de l’elfette non plus probablement. Or, ce que Luna ignorait c’était à quel point les Terendul détestaient les humains et à quel point Artaher chercherait sa mort si les rumeurs de sa relation avec sa fille parvenaient à ses oreilles pointues.

- Oh? D’ailleurs, pourquoi as-tu dit qu’elle était étrange? Demanda-t-elle en se souvenant que c’était ce qu’il avait dit au sujet de son petit soleil.

C'était un regard teinté de curiosité qu'elle posa sur son ami. Elle voulait vraiment connaître les raisons qui l'avaient poussé à dire cela.

Le jeune homme sourit aux propos de la jeune femme car elle avait bien comprit ce qu’il voulait dire. Si ce n’était pas à cause de la peur de l’eau qu’il ne voulait rien dire c’était bien à cause de ce qu’il représentait pour elle. Il lui avait promis de la soutenir et de l’aider dans chacun de ses choix, et ce n’était pas maintenant qu’il comptait revenir sur ses paroles. Il ne mentait jamais, ou tout du moins, pas à ceux à qui il tenait.

C’est ça, c’est l’eau qui me fait peur et tu le sais bien. Je ne prend déjà pas de bain tellement j’en ai peur…. Plus sérieusement tu sais bien pourquoi je ne dirais rien, je t’ai déjà dis que je te soutiendrais et t’aiderais quoi qu’il arrive. Ce cas de figure tombe sous le coup de ce que je t’avais promis, tu peux donc compter sur moi.

Matis écouta aussi la suite du discours de la jeune femme, et compris tout de suite qu’elle-même ne savait pas vraiment où se mettre avec tout cela. C’était quelque chose de neuf, quelque chose de nouveau. Elle ne savait pas comment le prendre, comment le vivre. Elle ne savait si elle devait se méfier ou se libérer devant la jeune elfe et, malheureusement pour elle, elle ne pourrait pas trop compter sur le jeune homme pour l’aider à se décider. Lui-même n’était pas capable de gérer ses propres sentiments sur cette question là, ce n’était pas comme s’il avait eu beaucoup de compagne dans sa courte vie, mais pour le peut qu’il en avait vécu, il ne pouvait pas dire que s’avait été un franc succès.

A côté de lui, la jeune femme semblait vivre une histoire fantastique, et quand bien même elle ne vivrait pas une histoire d’amour, elle vivrait une très bonne amitié et ça, ça n’avait pas de prix. Il repensait à Thomas, sans lui il en serait où aujourd’hui ? Il ne comptait plus les fois où son jeune lieutenant lui avait sauvé la mise… Aujourd’hui il avait pris sa propre unité et son travail était assuré par Julia, mais cela ne changeait rien à ce qu’il représentait pour le capitaine. Aussi il comprenait parfaitement ce que voulait dire la jeune femme où même ce qu’elle pouvait penser, dans une certaine limite ceci dit.

Bien sûr que je comprend ma belle. De toute manière ais je le droit de te juger ? Pour quelles raisons le ferais –je ? Je ne suis ni ton père ni ton frère, je peux te donner des conseils et d’aider mais jamais je ne te jugerais. Je t’apprécie trop pour ce que tu es pour faire cela. Alors si tu t’amuse beaucoup avec elle et si tu passe du bon temps, continue et ne te soucis pas des autres. Nous passons trop de temps à nous soucier du regard des autres et pas assez à vivre.

Le survivant ne put s’empêcher de rire aux paroles de la jeune femme, comme si elle était le mouton noir de la cour de Korentin. Bon effectivement, il y avait des jeunes gens qui se la jouait snob pour pouvoir passer pour ce qu’ils n’étaient pas, mais ce n’était pas une raison de faire d’elle un mouton noir. Elle était loin d’en être un. Matis n’avait aimait les cours impériales, ni même les cours ducales à dire vrai. Il avait toujours tous fait pour les éviter et aujourd’hui encore, malgré le « bon » positionnement de sa famille auprès de Korentin, on ne le voyait jamais à la cours. Contrairement à sa belle mère, ses sœurs et son paternel.

Il essayait d’imaginer ce qu’il se passerait s’il se mettait à venir à la cour de l’Empereur. C’était clair qu’il détonerait avec le style local, personne ne devait venir en uniforme militaire crasseux de l’entrainement ou même apprêter pour la guerre… Et puis zut, il avait autre chose à faire que faire des courbettes à l’Empereur. Korentin avait besoin d’autre chose que des gens qui s’écrase devant lui pour un peu de pouvoir et beaucoup de paraitre. Il avait combattu à ses côtés durant la bataille de l’Aube Rouge, n’était ce pas suffisant ?

Tu es loin d’être un mouton noir ma petite, moi j’en suis un mais toi… Si les autres te jugent et te prennent pour un mouton noir c’est qu’il te craigne ou te jalouse. Qui d’autre peut se targuer d’avoir l’oreille de l’Empereur ainsi que la possibilité de lui parler aussi souvent ?

A ce sujet, tu savais que certaines personnes que je ne nommerais pas pensent que si je t’ai pris sous mon aile c’est pour que tu parle de moi à l’Empereur ? Dire qu’il y a encore des gens capables de penser cela de moi….

Cette personne c’était en grande partie sa belle mère, mais ça c’était un autre sujet et un sujet qu’il n’aborderait pas avec la jeune femme.

Concernant la famille d’Enetari… J’ai rencontré sa mère et son frère. La première déteste les humains, et encore c’est un euphémisme. Son frère est différent, je n’irais pas jusqu’à dire qu’il nous aime mais il nous supporte ce qui est déjà pas pour un elfe. Quant à son père… Disons juste que les rumeurs à son sujet et son « amour » des humains n’ont pas besoin d’être expliqué ici. Mais ne t’inquiète pas, il ne pourra rien te faire puisqu’il ne sera au courant de rien…

Concernant Enetari je ne sais pas quoi penser d’elle en fait. Peut-être que cela fait trop longtemps que je ne me suis pas laissé aller… Peut-être suis-je devenu ennuyant à la longue… Après tout, elle n’a pas l’air méchante, juste un peu enquiquinante…

Le rire cristallin de Luna s’éleva autour du lac souterrain et elle rit de bon cœur de la réplique sarcastique de Matis concernant sa peur improbable de l’eau. Elle aurait dû, mais elle ne s’était pas attendue à une réponse aussi comique de sa part. Peut-être n’était-elle pas aussi drôle que ça en fait. Mais qu’est-ce que ça faisait du bien! Il fallut de longues secondes avant qu’elle ne reprenne son calme et elle sourit à son ami, encore une fois touchée par ce qu’il lui disait.

- Merci Matis. Tu es une personne de confiance et… je sais que je peux compter sur toi quoiqu’il arrive. Lui dit-elle. La même chose s’applique pour toi, hein? Si tu as besoin de moi, n’hésite pas. Tu sais que tu peux compter sur moi. Ajouta-t-elle et elle lui fit un clin d’œil.

À son humble avis, la Larme de Néant n’avait plus besoin de prouver qu’elle ne le laisserait pas tomber et qu’il pouvait avoir confiance en elle. Elle le lui avait déjà démontré par le passé. Certes, ce n’était pas la même histoire si la gamine était possédée à nouveau par une autre entité, mais ça ne devrait pas recommencer de sitôt, non? Du moins, c’est ce qu’elle espérait profondément. Elle avait déjà eu suffisamment d’ennuis avec tout ça.

Luna écouta sagement les conseils de Matis et l’entendre dire « ma belle » lorsqu’il faisait référence à elle la fit sourire davantage. C’était un surnom qu’il avait employé à de nombreuses reprises et bien que cela pouvait paraître étrange aux oreilles des autres, aux siennes ça sonnait mignon. C’était un terme empli d’affection. Il n’était peut-être pas son père ou son frère, mais il aurait très pu l’être puisqu’elle le respectait énormément et que son opinion comptait pour elle. En fait, ils n’étaient peut-être pas liés par le sang, mais la petite lune le considérait comme faisant partie de sa famille. Elle était rassurée qu’il ne soit pas contre une relation potentielle avec Enetari. Seul Dracos savait si ça allait devenir plus sérieux ou ne rester qu’au stade de l’amitié. Certes, elle n’aurait probablement fait qu’à sa tête comme à l’habitude, mais le savoir de son côté lui enlevait ce poids sur les épaules. Parfois, elle avait l’impression que personne ne la comprenait ou ne voulait prendre la peine de la comprendre.

- En fait, je crois que le problème des autres vient du fait que… j’ai aucun problème à être le mouton noir. Ça me dérange pas tant. Sans doute qu’ils jalousent ma position parce que je suis sous la protection de Koren… euh… je veux dire de sa M… Ah! Et puis non, de Korentin. Mais franchement, s’ils savaient à travers quoi j’ai dû passer pour en arriver là, ils ne voudraient pas ma place. Je n’ai pas cherché à être la protégée de Korentin… C’est juste arrivé comme ça... Expliqua-t-elle. Elle lâcha un soupir. Parfois… Les gens m’exaspèrent. On ne peut pas être juste ami avec moi sans que l’autre cherche à profiter de la situation? Prononça-t-elle d’un ton las. Que se disait-il à son sujet? À bien y penser, elle ne voulait pas le savoir. Elle haussa finalement les épaules. Je ne crois pas ça de toi et désolée de devoir décevoir ces chères personnes, mais je ne m’imagine pas parler de toi à l’Empereur. À quoi ça servirait? Qu’est-ce que je lui dirais? Je pense que j’ai pas besoin de dire à Korentin que tu es une personne de confiance, loyale et qui risquerait sa vie pour lui. Tout ça, il se sait déjà.

La gamine se demandait bien ce que les gens que Matis ne voulait pas nommer, dont elle avait déduit qu’il faisait probablement référence à sa belle-famille, aurait voulu qu’elle mentionne à son sujet au chef des rebelles. En tant que capitaine de l’armée, il détenait déjà sa confiance sans mentionner le fait qu’il venait de lui sauver la vie à l’Aube Rouge.

- C’est si horrible que ça?! Les Terendul détestent à ce point les humains? Dit-elle. Surprise, elle avait posé sa main devant sa bouche. Luna ne connaissait rien de cette famille et n’avait pas entendu les rumeurs qui racontaient leur dégoût les concernant. C’est en pensant à cette famille que le beau visage encadré par de longs cheveux foncés et parsemé d’une teinte argentée d’une elfe lui revint en tête. N’avait-elle pas mentionné qu’elle était une Terendul, du prénom de Lisaë? La rencontre avait été très brève lors de cette soirée festive avant la guerre. Elle n’avait pas semblé méchante à son égard, mais elle se rappelait qu’elle avait détesté la présence de cet Eliowir. Lisaë Terendul, c’est le nom de sa mère? Tu connais le nom des autres membres de sa famille, dis? Demanda-t-elle. Faudra vraiment que je fasse attention… Mais dis-moi, qu’est-ce que tu crois qu’il arriverait si jamais ils apprenaient qu’on s’est embrassées, Enetari et moi? S’enquit-elle auprès de l’humain. Je crois pas qu'Enetari soit méchante, mais tout a l'air d'un jeu pour elle. Tout a l'air si simple avec elle... On dirait que rien ne la perturbe. mentionna-t-elle. Était-ce une bonne ou une mauvaise chose de prendre la vie à la légère et de n'en faire qu'un jeu? Ça semblait bien aux yeux de Luna que de pouvoir se lâcher un peu et à ses côtés, elle y arrivait.

Elle n’avait pas peur, mais certes l’angoisse et l’incertitude se lisaient dans ses yeux. La princesse des lumières se demandait à quel point les Terendul pouvaient détester les humains. Que feraient-ils s’ils apprenaient qu’une humaine voulait se lier d’amitié, ou plus, avec leur fille? Ils nuiraient certainement à la relation. Ils l’empêcheraient de la voir ou pire encore, qui sait? Chercheraient-ils à la tuer? Elle ne voulait pas y penser!

- Tu n'es pas ennuyant! Arrête-moi ça! D'ailleurs, j'ai quelque chose pour toi!

La gamine étira son bras et attrapa son sac. Elle fouilla quelques secondes à l’intérieur avant d’en ressortir un petit paquet de la taille d’un poing qui avait été enveloppé par un bout de tissu dont une fleur avait été brodée. Une boucle bleue tenait le tout en place. Souriant, elle tendit le cadeau à Matis.

- C’est pour ton anniversaire! Je sais, je suis un peu en avance. En tout cas, j'espère que ça te plaira. Dit-elle. Elle désigna la fleur du doigt. Je l'ai brodée moi-même! ajouta-t-elle fièrement.

Le cadeau:

Il écouta la jeune femme en souriant et en observant le calme du lac souterrain, ce qu’il ne savait pas c’était que s’était l’une des dernières fois qu’il pourrait le faire. Mais pour une fois depuis longtemps il se sentait bien, il ne voulait pas penser à demain, il ne voulait que discuter avec cette petite jeune femme pleine de vie. Il avait beau l’avoir déjà dit, il savait qu’elle irait loin dans la vie et il espérait pouvoir l’aider dans son ascension.

Je le sais bien Luna, c’est bien pour cela que je peux me permettre ce genre de propos. Tu sais ce que j’ai entendu dire dernièrement ? Satie et Yolande ont déjà dû te le dire mais leur mère pense que j’ai une mauvaise influence sur elles. En fait, et pour ne rien te cacher elle a encore essayer de me placer auprès d’une des enfants de ses amis. Enfin je dis enfant… Elle avait bien vingt-deux vingt-trois ans.

Il rigola à ce souvenir qui remontait à quelques jours à peine. Il n’avait jamais rencontré pareil cruche de toute sa vie.

Sans être méchant je crois bien n’avoir jamais rencontré une fille aussi peu dégourdie… Tu as bien dix ans de moins qu’elle et tu es tellement plus mature et dégourdie… Alors je te le répète, je t’en conjure même. Ne change jamais. Ton ou ta future compagne l’appréciera tout autant, sinon c’est que ce n’est pas le ou la bonne. Mais ne change jamais pour quelqu’un d’autre.

Il s’appliquait cette maxime et c’était sans doute pour cela qu’il était toujours seul. Ce n’était pas qu’il ne faisait aucun effort, c’était qu’il n’avait pas le temps, pas l’envie. Par trois fois seulement il s’était sentit étrange devant une femme, mais il se demandait si jamais il trouverait la bonne… Seul l’avenir le lui dira, et un avenir bien plus proche qu’il ne pouvait se l’imaginer.

Le discours de la jeune femme le fit beaucoup rire, c’est vrai qu’il n’imaginait même pas ce qu’elle pouvait bien lui dire.

C’est vrai que vu sous cet angle…. Non en effet ils ne voudraient jamais ta place ni la mienne… Dire que c’était une chose dont je pensais qu’on se débarrasserait une fois dans la rébellion et hélas non. Je vais te le dire parce que j’ai confiance en toi et que je n’ai rien à te cacher. Ma famille est de « noble » lignage et de ce fait nous avons des obligations envers nos confrères nobles ainsi que la cours impériale. Et tu sais ce que j’en pense moi ? J’en pense que ce ne sont que des fadaises, tout ça c’est de la poudre aux yeux. Comme si nous avions besoins de ce genre de personne, les nobles doivent montrer l’exemple et non pas se vautrer dans le luxe. Et je crains que cela ne se termine comme à Gloria…

Matis était noble, mais avant tout il était soldat et tout le mal qu’il pensait de ces gens se ressentait dans sa voix. Il n’y avait que du dégoût, de la haine, du mépris. Comment aurait il pu en être autrement ? Ses congénères n’avaient pas hésité à se rabaisser aux pieds des Alayiens et aujourd’hui ils venaient grappiller les miettes… Que pourraient-ils faire demain ? Sa belle mère était de ceux là et il ne pouvait que la mépriser pour ça.

Ne t’inquiète dont pas pour les Terendul, ce ne sont que des elfes. Ils ont beaux détester les humains ils sont trop hautains pour l’avouer publiquement et nous détester vraiment. Pour eux nous sommes des enfants. Lisaë est quelqu’un de bien, mais elle nous voit comme des garnements, en te connaissant elle ne pourra que t’aimer j’en suis sûr. Pour les autres je ne sais pas.

Il resta stupéfait quand la jeune fille expliqua qu’elle avait un cadeau pour lui, ce n’était pas quelque chose dont il avait l’habitude. En analysant la date il se rendit compte que c’était bientôt son anniversaire… Dire que quelques années plus tôt… Non il valait mieux oublier pour le moment. Il attrapa le petit paquet délicatement et observa chacun de ses détails. A la suite de quoi il vint déposer un bisou sur la joue de la jeune femme avant de lui répondre.

C’est vraiment gentil de ta part… Si cela ne te dérange pas je l’ouvrirais à mon anniversaire d’accord ? Mais je suis sûr que c’est magnifique… Il ne me restera plus qu’à te faire un plus beau cadeau pour le tien d’accord ?

- Sérieusement? Elle pense que tu as une mauvaise influence sur elles? Elle devrait savoir pourtant qu'elles ne font qu'à leur tête! prononça-t-elle.

Luna avait prononcé ces mots sur un ton étonné. Non, pas que ça l’étonnait réellement puisque les jumelles lui avaient parlé à quelques reprises de leur mère ainsi que de la relation qu'elles avaient avec leur frère. Elles aimaient beaucoup leur mère, mais parfois elles trouvaient qu’elle était un peu trop prenante dans leur vie et qu’elle essayait de trop les contrôler. C’était leur vie après tout et Luna comprenait leur sentiment de liberté.

- Je te parie que leur mère te porte responsable pour la relation entre Satie et son bel apprenti-forgeron? Ai-je tort? Demanda-t-elle.

Elle avait probablement découvert ce qu’il se passait entre les deux amoureux puisqu’il était difficile de cacher ses sentiments indéfiniment. De plus, si Satie aimait quelqu’un d’autre, elle ne pouvait pas offrir sa main à un beau noble et sa mère devait enrager à l’idée qu’elle n’aime qu’un homme sans richesse. La princesse des lumières avait l’impression que la dame cherchait un coupable pour tout ce qui dérogeait à ses plans et il semblait parfois si facile de mettre la faute sur d’autres et dans ce cas-ci, cela lui apparaissait comme étant Matis. Il était, en quelque sorte, le petit mouton noir de sa famille, non? Avec tout cela, il devait reposer un énorme stress sur les épaules de Yolande qui était « le dernier espoir » de la famille.

- Peu importe ce que ta belle-mère te racontera, tes sœurs t’aiment beaucoup. C’est un peu dommage qu’elle veuille se mêler à tout. Mais bon… Ce ne serait pas une mère si elle ne s’inquiétait pas pour l’avenir de ses enfants, non? Dit-elle, sourire narquois aux lèvres.

Une mère resterait une mère, peu importe ce qu’il arriverait. La gamine se rappelait d’une fois où Satie lui avait confié, juste après une chicane avec sa mère, qu’elle la détestait et qu’elle aurait préféré ne pas en avoir. Suite à ces mots, la Larme de Néant avait réussi à éteindre la tempête en lui disant qu’elle échangerait sa place avec elle n’importe quand. Bien sûr, la jumelle s’était sentie mal et Luna ne lui en avait pas voulu. Elle-même avait déjà eu ce genre de pensées envers les membres de sa famille, pensées qu’elle regrettait maintenant. Or, ce n’est que lorsqu’on perd un proche que l’on se rend compte à quel point il était important.

La gamine n’avait pas caché son amusement lorsque le capitaine lui raconta la rencontre forcée qu’il avait dû subir. Elle ricana en s’imaginant la tête qu’il avait dû faire et tout l’effort requis pour garder son sérieux face à cette jeune femme qui n’était pas du tout à son goût. Ça avait dû être trop drôle! Pauvre Matis. Reprenant son calme, Luna fut touchée encore une fois par les paroles de son ami.

- Promis. Je ne changerai pas! En tout cas, pas pour quelqu’un d’autre… Lui assura-t-elle. Les personnes changeaient avec le temps, mais c’était le cours normal des choses. Toutefois, se forcer à changer pour quelqu’un d’autre, c’était une toute autre chose. Ça fonctionnait qu’un petit moment avant de ne plus être capable de se supporter soi-même. Tu finiras par trouver la bonne personne pour toi, Matis. J’ai confiance. Dit-elle doucement. Matis était une bonne personne au grand coeur et elle croyait sincèrement qu’il finirait par trouver la personne pour le compléter.

Il était agréable que de pouvoir parler sans gêne entre amis. Autant Matis que Luna semblaient avoir des inquiétudes et une oreille attentive faisait le plus grand bien. Le capitaine la rassura quant aux Terendul, mais elle considéra qu’il était préférable tout de même qu’ils ne sachent pas ce qu’il s’était passé entre l’humaine et l’elfette. Un jour, peut-être le sauraient-ils… Mais tant que ce n’était pas nécessaire, cela resterait un grand secret.

Une lueur joyeuse naissant dans son regard, la protégée de Korentin le regarda prendre le paquet dans ses mains. Elle espérait de tout cœur qu’il allait aimer la surprise qu’elle lui avait faite. Mais au lieu de dérouler la boucle, l’homme s’approche d’elle et… ?! L’étonnement peignit son visage. Elle ne s’était pas attendue à ce que le capitaine embrasse gentiment sa joue. Elle recula quelques secondes et le regarda droit dans les yeux. Puis, lui souriant, elle s’approcha à son tour afin d’enrouler ses bras autour de lui afin de former un câlin.

- Pas de soucis. C’est ton cadeau, tu l’ouvres quand tu veux! Dit-elle.

La jeune fille l’étreignit pendant un petit moment avant de le relâcher.

- Tu as vu? Je l’ai brodée moi-même. Tu peux te compter chanceux, c’est pas quelque chose que je fais pour n’importe qui. Dit-elle d’une voix enjouée, en désignant le tissu floral enveloppant le présent. Personne ici ne connait la date de mon anniversaire. Tu me feras un cadeau, vraiment, si je te la dis? Dit-elle en souriant. Bien sûr, comme tous les enfants, elle était joyeuse d’entendre qu’elle recevrait un cadeau. Or, elle ignorait qu'elle serait prise lors d'un événement important visant à sauver Armanda durant ce fameux jour. Ce n’est pas dans tellement longtemps. C’est le 21 septembre. Elle fit une pause. Mais bon… Porte-toi bien et ce sera mon cadeau. C’est tout ce que je souhaite. Dit-elle.

Derrière l’enfant qu’elle était se cachait tout de même une personne mature. Avec tout ce qu’elle lui avait raconté, peut-être pourrait-elle lui demander un dernier service?

- Dis, Matis? Tu sais nager…? Demanda-t-elle. Tu voudrais faire un tour dans le lac… et euhm… Elle hésita. Il n’y avait pas à être gênée d’une telle demande, mais pour elle, elle trouvait cela quelque peu embarrassant. Elle ignora son orgueil et poursuivit. Tu voudrais me montrer? Lui demanda-t-elle.

Le jeune capitaine sourit à la remarque de la jeune femme, car il était sur la même longueur d’onde qu’elle. Il savait pertinemment que sa belle-mère le tenait responsable de tous les maux de la terre même si elle n’hésitait pas un seul instant à se servir de lui pour arriver à ses fins. D’un certain côté elle était de ceux que Matis détestait du plus profond de son être pour leurs façons d’être. Les discours de son père n’avaient eu aucun effet sur son comportement, sans doute à cause du fait qu’il n’avait que deux ans de moins que la jeune femme… Sans doute aussi parce qu’il n’avait qu’une mère et qu’elle était morte lorsqu’il avait quinze ans. En général, et malgré le fait qu’il ne cache pas son mépris pour elle, il arrivait à rester relativement calme. Néanmoins quand la jeune protégée de l’Empereur lui parla de l’histoire du forgeron Matis fit les gros yeux qui voulaient tout dire. « Ne me parle pas de ça, je risque de m’énerver. »

C’est vrai, de nombreux côté je lui rappelé trop ma mère et elle veut que mon père l’oublie. Mon frère faisait toujours ce qu’elle voulait, il était jeune, il cherchait l’amour que notre mère ne pouvait plus lui donner lorsqu’elle été morte… Je ne lui en veux pas pour cela, mais imagine qu’elle et moi n’avons que deux d’écart… Je ne pouvait pas la considérer comme ma mère, ni comme sa remplaçante. Père avait beau tenter de me le faire comprendre, je ne lui ai jamais laissé de chance car je l’avais déjà cernée.

Il y a peu elle m’est tombé dessus avec cette histoire… Ma sœur et lui se sont fait attrapé durant la bataille de l’Aube Rouge, je l’avais envoyé pour veiller sur elles car après tout il était sous mes ordres… Je ne pouvais pas le laisser aller au front avec nous, sans être méchant il serait mort et je ne voulais pas leur infliger cela. Bref, autant te dire que quand je l’ai vu me venir dessus telle une furie je l’ai vite fait envoyé paître. Je crains que Yolande ait quelques soucis… Elle a toujours été trop gentille, elle laissera sa mère choisir pour elle…

Matis réfléchis un instant avec de poursuivre, il essayait de peser ses mots mais c’était loin d’être facile avec une femme pareille…

Je sais qu’elles m’apprécient car malgré leur mère, je les considère comme mes sœurs, qu’importent les liens de maternités. Mais ce qui m’embête avec elle c’est qu’elle ne gère pas comme des enfants mais comme des opportunités pour prendre du pouvoir… Elle le fait peut être dans l’intérêt de ma famille mais ce n’est pas une méthode…

Oui je sais, venant de la part d’une personne qui a rejoint l’armée dans le seul but d’assouvir les envies de ses ancêtres c’est mal placé mais quand même.

Il avait dit cette dernière phrase en rigolant mais la pensait quand même. Peut être était il mal placé pour la juger… C’était une question qu’il ne se posait jamais et c’était tant mieux.

Il reporta son attention sur la jeune femme qui mettait en avant le travail qu’elle avait réalisé sur le paquet cadeau. Pour tout dire il était vraiment touché de tout ce qu’elle avait fait pour lui, alors quand elle demanda s’il lui offrirait quelque chose pour le siens il hocha la tête rapidement.

Bien sûr que je vais t’offrir quelque chose, par contre faut pas s’attendre à ce que je brode quelque chose. Comme tu dois t’en douter c’est loin d’être mon milieu de prédilection. Peut être les frangines pourraient m’apprendre quand je serais vieux et sénile.

Matis écouta avec attention et questionnement les propos de la jeune femme. Il ne comprenait pas bien pourquoi est ce qu’elle lui parlait de cela mais il fini par saisir à la fin de son propos… Il lui sourit et lui ébouriffa la tête.

Bien sûr que je le peux, à l’armée on nous apprend beaucoup de chose tu sais… C’est donc avec grand plaisir que je t’apprendrais ce que je sais. Ce sera la première fois ?

Si cela ne te dérange pas je vais d’abord vérifier qu’il n’y a pas de créature dangereuse dans l’eau, tu sais à quel point les chocottes avec ce genre de chose. Finit il par dire en plaisantant.

Ah! L’amour, qu’est-ce que ça pouvait être compliqué parfois! Pourquoi était-ce si difficile pour les gens de comprenne qu’on ne faisait pas exprès pour que notre cœur se mettre à battre plus fort en pensant à l’être cher? On ne disait pas « cette personne-là, je l’aime », ça arrivait tout simplement et c’était quelque chose hors de notre contrôle. Bien sûr, il y avait toutes ces histoires de couples ayant été dans l’obligation de s’unir pour diverses raisons autre que l’amour et il n’était pas rare d’entendre que les deux mariés avaient fini par développer des sentiments l’un envers l’autre. Mais ce n’était pas pareil du tout. Dans le premier cas, l’amour avait été soudain tandis que dans l’autre, il s’était bâti petit à petit. Lorsque l’amour surgissait tel un coup de foudre, il était bien difficile de faire marche arrière, il devenait impossible d’ignorer les sentiments qui étaient apparus et encore plus d’oublier la personne qui occupait la moindre pensée. Si Satie disait éprouvait des sentiments pour ce jeune homme, la moindre des choses serait de la supporter et d’accepter son choix, non? Si on l’aimait vraiment, on lui souhaiterait le plus grand bonheur et ce, sans conditions. Malheureusement, la vie ne fonctionnait pas comme ça et le regard de Matis le lui rappela. Les gens purement altruistes n’existaient pas. Les gens étaient simplement égoïstes et pensaient d’abord à eux-mêmes avant de penser aux autres. S’ils pensaient au bien d’une autre personne, c’est que ça lui apportait quelque chose au final qui pouvait se résumer par de l’argent, un service ou du temps. L’amitié et l’amour, c’était pareil… On accordait ces deux sentiments à une personne en qui l’on avait confiance et qui nous rendrait le miroir de nos sentiments. Malheureusement, rien n’était jamais simple et les gens, comme la mère des jumelles, cherchaient à améliorer leur situation en utilisant tous les moyens qui tombaient sous leur main et dans ce cas-ci, de ses enfants.

Luna écouta attentivement Matis et se sentit désolée pour lui. Elle ne parla pas beaucoup. Qu’aurait-elle pu dire après tout? Elle pensa qu’il était inutile de lui dire de belles paroles afin de le réconforter et que des « Je comprends » ne lui auraient rien apporté. Elle posa son regard azuré sur lui et lui fit un sourire empathique.

- On a qu’une seule mère… et personne ne pourra jamais la remplacer. Dit-elle finalement d’une voix douce.

Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, cette personne resterait notre mère quoiqu’il arrive et quiconque essayerait de prendre sa place n’y arriverait pas. Certaines pouvaient s’y rapprocher, mais le lien ne serait jamais pareil. Il y avait de ces jours où la mère de Luna lui manquait énormément et qu’elle aurait tout donné pour la revoir ne serait-ce qu’une dernière fois. Même si Camille n’était pas en fait sa vraie mère biologique, ce dont elle avait récemment appris par Saemon, elle l’avait toujours été à ses yeux et le resterait. Au final, c’était rarement le lien du sang qui définissait la vraie famille, mais plutôt les sentiments et les idées que l’on se faisait de chaque personne.

- Je leur souhaite de trouver leur bonheur et de s’y accrocher. Personne ne devrait leur dire comment elles doivent vivre leur vie. Les conseiller, peut-être, mais pas les forcer. Dit-elle en faisant référence aux sœurs de Matis. Et n’as-tu pas rejoint l’armée pour d’autres raisons également? Par exemple, pour protéger les tiens, devenir plus fort ou soutenir une idée? Ça m’étonnerait beaucoup que tu aies fait cela, et que tu y sois resté, seulement pour tes ancêtres. Ai-je tort? Demanda-t-elle.

Les lèvres de la protégé de Korentin avaient dessiné un sourire moqueur. Elle ne croyait pas que le capitaine était dans l’armée du chef des rebelles seulement parce que c’était ce que ses ancêtres auraient voulu. D’ailleurs, que savaient-ils de la situation actuelle? Pour eux, le temps s’était arrêté et ils n’étaient plus que souvenirs.

Par la suite, des étoiles étaient venues se loger dans les yeux de la rebelle lorsque Matis avait confirmé qu’il lui offrirait un cadeau à son anniversaire. Elle n’avait aucune idée de ce qu’il pourrait lui donner, mais une chose était certaine, elle avait déjà hâte qu’on soit le 21 septembre pour le découvrir.

- Oh…? Tu vas rien me broder? Dit-elle, en faisant une mine extrêmement déçue, loin d'être sincère. Très bien. J’attendrai à quand tu seras vieux et sénile. Pas le choix! Ajouta-t-elle. La petite éclata de rire. Matis, vieux et sénile, elle avait du mal à imaginer cela. Vivement mon anniversaire alors. Il y a des chances que tu sois là? Ce serait bien… le souligner avec des gens… ajouta-t-elle.

Joyeuse à l’idée, la Larme de Néant joignit ses mains ensemble. Or, ce qu’elle ignorait c’était qu’à cette date-là, elle serait en compagnie des marcheurs à essayer de sauver Armanda. Elle serait inconsciente après que des monstres ressemblant à des chiens l’aient attaquée et serait guérie par Edwyn.

- Vraiment? Ça te dérange pas…? Dit-elle enjouée. Eh! Bien… C’est pas vraiment la première fois. Je suis déjà allée dans l’eau, mais jamais bien creux. Je ne suis pas... confortable. Poursuivit-elle. Normal qu’elle ne soit pas à l’aise dans l’eau lorsque ses pieds ne touchaient plus le fond puisqu’elle ne savait pas nager. Tu es le seul à qui je peux demander ça… J’aimerais bien apprendre. Continua-t-elle d’un ton certain.

C’était surtout depuis qu’elle passait beaucoup de temps au lac souterrain qu’elle avait découvert cette envie. Autrefois, c’était le ciel et les nuages qu’elle regardait pour passer le temps. Maintenant, c’était les ondes formées par les baigneurs dans l’eau. Elle trouvait cela injuste de devoir regarder les gens se baigner et de ne pas pouvoir faire de même.

La gamine s’assura que tout ce qu’elle portait ne lui dérangeait pas de prendre l’eau. Elle retira tous ses bijoux qu’elle plaça délicatement à côté de sa lame fine qui se trouvait sur une pierre plate. La seule exception fut son bracelet dont elle s’assura qu’il était bien en place. Puisque la jeune fille ne savait pas vraiment nager, elle avait pallié à son problème différemment. Premièrement, par un bracelet qui lui permettait de respirer sous l’eau et deuxièmement, par des bottes qui avaient la propriété de pouvoir marcher sur ce liquide.

- Tu crois vraiment à la rumeur qui dit qu’il y aurait un monstre sous les eaux? S’il y en a vraiment un, je te sauverai. Sois rassuré! Dit-elle à la blague.

Enfin, s’il y avait vraiment un monstre, elle ne resterait pas là à rien faire et à regarder Matis se faire dévorer tout cru. Mais Luna croyait qu’il ne s’agissait que de rumeurs pour faire peur aux gens afin que des jeunes filles comme elle évitent de mouiller tous leurs vêtements. Après tout, si sa dame de compagnie apprenait qu’elle allait se baigner au lac souterrain, elle ne serait pas contente du tout. Tout ce que la jeune fille avait gardé sur elle était son pantalon brun foncé, sa chemise bleue et son bracelet.

- Dis-moi quand je peux y aller. Dit-elle finalement.

Suite à ces mots, elle mit ses pieds dans l’eau et attendit Matis.

Luna avait, une fois de plus, raison sur toute la ligne, on avait seulement une seule mère. On pouvait aimer la nouvelle compagne de son père, mais dans les faits, jamais elle ne pourrait remplacer celle qui vous avait mit au monde. C’était impossible même quand la personne y mettait de la bonne volonté. Inutile donc d’espérer un retournement de situation avec une personne qui n’en avait jamais rien eu à faire de vous.. Enfin ce n’était pas exactement vrai, elle en avait eu affaire au moment où il fut en âge de se marier. Etrangement là, elle se montrait douce et mielleuse, cela n’avait pas vraiment changé car à la trentaine à peine passé elle espérait encore pouvoir « sauver » son beau fils.

Matis n’en avait que faire, il n’était pas sur cette terre pour supporter les vils manigances de ce qui lui servait de belle mère. Elle n’avait jamais eu et elle n’aurait jamais l’amour qu’une mère aurait pu lui porter et il ne s’en portait pas plus mal. Quant à ses sœurs, Matis espérait seulement qu’elles pourraient mener la vie qu’elles souhaitent sans avoir à subir les pressions de leur mère. Mais, quoi qu’il arrive et quoi qu’elles choisissent, il serait là pour les conseillers et les épaules.

Puis la jeune femme lui parla de son engagement, elle se demandait pour quelle raison et comment il était resté dans l’armée. Qu’est ce qui l’avait poussé à y faire carrière ? Il y avait tellement de raison qu’essayer de les expliquer en une seule discussion était impossible. Il sourit à la question, et lui répondit le plus clairement possible.

Quant à cinq ans on commence à t’expliquer que tu fera carrière dans l’armée, cela pose déjà les bases d’un engagement. Mais une fois entrée dedans, pourquoi y rester ? J’ai fais mes classes avec quatre de mes amis, nous avions des origines et des parcours totalement différents. Nos buts dans la vie étaient différents, mais nous étions amis, et chacun d’entre nous avait une bonne raison de s’engager.

Je me suis engager pour fuir ma maison, à l’époque c’était quelque chose de clair dans ma tête, je devais intégrer l’armée pour fuir les manigances de ma belle mère. Thomas, mon meilleur ami, c’est engager à la suite d’un défi et m’a suivi dans l’armée. Nos deux autres amis avaient eu aussi leurs raisons. Etant issu de famille très pauvre, il ne pouvait « s’élever » qu’avec l’armée, alors ils nous ont suivi.

Matis se rappelait de cette époque, le groupe de quatre garnement qui, à dix huit ans, au lieu de courir les filles, courraient après l’armée. Quelque chose d’étrange dans l’Empire, mais pas autant que cela à Elenna.

Nous servions sous les ordres d’un grand capitaine, un homme qui nous a tout apprit de la morale au don de soi. C’est à ce moment là que la nature même de notre engagement à évoluer, et c’est peut être là que les graines de ma rébellion furent plantées.
La guerre contre les vampires fut un peu le moment où tous nos espoirs sont tombés et on été anéantis dans la violence de la guerre. Au début de la guerre notre compagnie était composée d’environ cent cinquante soldats en plus des officiers, nous l’avons fini à moins de cent après avoir reçu des renforts. Moi-même, comme tu le sais, ait été fait prisonnier par les vampires. Comment te dire ce que l’on ressentait à ce moment ? Cela n’a pas d’explication, il y avait de la haine, tant envers les vampires qu’envers notre propre commandement car nous étions lâché de toute part.

Mais nous n’eurent même pas le temps de souffler que déjà arrivait les Alayiens, et là c’est littéralement la folie qui c’est abattu sur nous. Nous avions déjà souffert contre les Vampires, ce fut pire contre les Alayiens. Mon capitaine et les trois quarts de mon unité sont morts devant les portes même de Gloria, rien n’a été fait pour les sauver…

Je ne te parle même pas de la cérémonie de sacre de Fabius où les nobles se goinfraient de nourriture et de boisson alors que tous mourraient de faim quelques mètres plus bas…

Tout ça pour dire que mon engagement repose sur beaucoup de chose différente, c’est complexe.. Mais en effet je me bats un peu plus que pour mes ancêtres. Et heureusement n’est-ce pas ?

Matis écouta la suite de la jeune femme et sourit à ses remarques.

Bien sûr que je serais là, je ne raterais ça pour rien au monde. Mais non je ne broderais rien, de toute façon je ne suis pas un créatif.

Matis lui sourit et ébouriffa une fois de plus sa chevelure, cela voulait, une fois de plus, dire qu’il ne fallait pas qu’elle s’inquiète. Il était là pour l’aider après tout, même si cela voulait dire lui apprendre à nager.

Matis ôta sa chemise et ses bottes, déposa sa chevalière et laissa apparaitre l’ensemble de ses tatouages et cicatrices. De l’aigle sur la main à sa provocation sur le coup, l’homme était tatoué bien plus que de raison. Il se rendit compte que la jeune femme l’attendait déjà .

Ne t’inquiète pas pour le monstre, à nager à côté de moi tu ne risque rien, je lui ferais peur juste avec ma tête. Il faut que tu te détendes pour nager, si tu es stressée tu coulera à pic. Je suis là pour t’aider me je suis un mauvais professeur.

Ton corps doit être bien mis par rapport à la surface de l’eau et tu dois faire des mouvements amples comme ceci.

Et l’explication commença avec une démonstration… Il espérait juste arriver à se faire comprendre…

À nouveau, le rire cristallin de Luna s’éleva au cœur du lac souterrain lorsque le capitaine prononça qu’il ferait peur au monstre juste avec sa tête. Elle rit sans pouvoir s’arrêter pendant un long moment et ne prit pas la peine de se préoccuper si elle dérangeait qui que ce soit. Il n’y avait que Matis qui lui importait en ce moment et attirer l’attention des autres sur sa personne était le dernier de ses soucis. D’ailleurs, la majorité des rebelles étaient partis, normal étant donné l’heure tardive qu’il était.

- Tu ne cesseras jamais de me faire rire, Matis. Lui dit-elle lorsqu’elle réussit à reprendre un peu de son calme. Ne change jamais toi non plus, tu me le promets? Ajouta-t-elle.

Les deux rebelles étaient maintenant prêts pour la baignade. Luna le laissa volontiers aller en premier et lui faire la première démonstration de ce qu’il fallait faire. Elle le regarda attentivement faire les gestes amples qu’il décrivait. Ce qu’elle fit surtout fut d’analyser la profondeur du lac. Étant une source naturelle formée à l’intérieur de la caverne aux parois foncées et avec la faible luminosité apportée par les cristaux bleutées, l’eau était sombre et il était difficile de savoir précisément la profondeur du lac. Le fond n’était pas visible. Toutefois, à l’endroit où Matis se trouvait en ce moment, l’eau lui arrivait aux épaules lorsqu’il posait le pied au sol et l’on pouvait déduire que le lac devenait de plus en plus creux plus on s’éloignait du bord. Cela voudrait malheureusement dire qu'elle ne toucherait pas le fond, à moins d'être chanceuse et qu'il y ait plusieurs dénivellations.

- Bon, j’y vais! À trois. Un… Deux… Trois! Dit-elle.

L’hésitation l’en avait cependant empêchée et finalement la jeune fille était restée assise sur le bord du lac. Elle se mordit la lèvre, à la fois effrayée de se jeter à l’eau et à la fois honteuse d’être sujette à une telle crainte. Ce n’était pas la même frayeur qu’elle vivait que lorsqu’elle faisait des cauchemars, qu’elle se retrouvait dans l’obscurité complète ou qu’elle repensait à sa capture ou à l’Aube Rouge, cette crainte était différente, mais toute aussi réelle. Même en sachant pertinemment que Matis était là et qu’elle ne courrait aucun danger, l’anxiété la rongeait. Une partie d’elle-même ne put s’empêcher de se dire qu’il s’agissait d’une mauvaise idée et qu’elle n’aurait peut-être pas dû demander cela à son ami. Elle sentait son cœur battre fort et elle se savait anxieuse, elle n’avait surtout pas le goût de couler à pic! Heureusement, l’autre partie un peu plus sage lui rappela que tout irait bien, que ça en valait la peine, que Matis était là et qu’elle pouvait respirer sous l’eau. Un peu inutile de rester coincée au fond du lac cependant… Mais au moins, elle aurait trente minutes avant de se noyer réellement. Au final, cette constatation ne l'aida pas vraiment à se rassurer.

La protégée de Korentin vérifia quand même la présence de son bracelet enchanté à son poignet et prit une grande respiration.

- Tu m’attrapes? Lâcha-t-elle.

Prenant son courage à deux mains, la Larme de Néant sauta enfin dans le lac. Le contact de l’eau sur sa peau la fit frissonner. Bien sûr qu’elle serait froide, mais ce n’était que maintenant qu’elle avait tout son corps sous l’eau qu’elle en prenait pleinement conscience. Ses pieds ne touchant pas au sol, elle s’accrocha à l’homme.

- Ne te moque pas. C’est pas drôle…! Précisa-t-elle avant qu’il puisse sortir une moquerie.

Malgré ce moment inconfortable pour l’orgueil de la jeune fille, un sourire gêné se dessina sur ses lèvres.

- Merci. Murmura-t-elle.

Il attendit calmement que la jeune femme se décide enfin à sauter dans l’eau, il comprenait parfaitement la crainte de celle-ci et n’avait rien fait pour la déconcentrer ou la taquiner. Il était là, dans l’eau, les pieds au sol rencontrant la vase naissante, à attendre que la protégée de Korentin Kohan daigne sauter dans l’eau froide. Elle allait avoir une sacré surprise lorsque son corps toucherait la surface froide du lac mais il ne se moqua pas, il sourit plutôt lorsqu’elle-même s’en rendit compte. Il vit bien qu’elle avait froid, et malgré sa peur de l’eau elle n’eut aucun mal à le rejoindre et à s’accrocher à lui telle la bouée ou un phare.

Sans attendre plus elle lui demanda de ne pas se moquer, de toute manière pourquoi l’aurait il fait ? Il se rappelait assez bien de sa première fois, oui il était beaucoup plus jeune, mais était-ce une raison ? Lui aussi avait souffert de cette peur de l’eau, de celle d’être aspiré au fond et de mourir noyé dans la noirceur et la froideur d’un océan infini. Mais bon, cela n’est jamais arrivé et ce n’était pas dans ce lac, accompagné du jeune capitaine, qu’elle risquait quoi que ce soit. Du moins c’était ce qu’il pensait.

Toujours en souriant il lui répondit calmement. Il voulait la rassurer s’il voulait qu’elle progresse.

Ne t’inquiète dont pas tant que ça Luna, je ne risque pas de me moquer de toi puisque moi-même je l’ai vécu. Quand à me remercier, tu le fera lorsque tu sauras nager seule d’accord ?

Il la décolla de lui et essaya de la mettre à l’horizontale sur l’eau tout en la conservant par la main. Souriant à chacune de ses tentatives il voyait comme un honneur et un devoir d’aider la jeune femme à s’en sortir. Pourquoi ? Parce que c’était son amie et qu’elle lui avait déjà sauvé la vie ? Sans doute, mais il avait une certaine amitié pour elle, pour ne pas dire une amitié certaine, et tout ce qu’il pouvait lui offrir il le faisait.

Détend toi, si tu continue à t’agiter dans tous les sens tu va juste réussir à couler plus vite. Garde en tête le fait que je suis là pour t’aider, fait comme je t’ai montré tout à l’heure. Ton corps doit être en harmonie avec l’eau, fais comme le poisson. Soit le poisson même, respire l’eau. Mais pas trop quand même, faudrait pas te noyer hein ?

Fais des mouvements amples, laisse l’eau te porter, laisse la t’emmener comme elle le fait avec les morceaux de bois ou les feuilles dans les rivières. Tu peux le faire, ce n’est pas bien compliquer après tout.

- D’accord! Répondit Luna.

Il y a bien une première fois à tout et il faut bien commencer à quelque part. La jeune fille sourit à Matis, contente que ce soit lui son instructeur et contente qu’il ne se moque pas d’elle. Au lieu, il comptait l’aider du mieux qu’il le pouvait à pallier à son inaptitude et il était rassurant dans sa façon de faire. Elle avait confiance en lui, savait qu’elle pouvait compter sur son aide et qu’il ne la laisserait pas se noyer dans le lac souterrain.

La leçon commença doucement, mais comme toute personne qui fait une chose pour la première fois, Luna n’était pas très douée. Elle avait quand même fait le grand effort d’écouter le capitaine attentivement et d’observer ses démonstrations. Mais la pratique est bien différente à la théorie. La gamine manquait de coordinations dans ses gestes, tanguait sur l’eau telle une épave qui aurait certainement coulé si l’homme ne l’avait retenue et sans compter qu’elle éclaboussait de l’eau partout avec ses grands gestes. Elle ne faisait pas exprès, son but n’était pas de mettre de l’eau partout!

- En harmonie avec l’eau, hein? C’est pas évident quand même… On dirait que je suis une roche qui n’attend que de couler. Lui dit-elle. Bon… Imiter le poisson… Devenir le poisson… Tu sais quoi, Matis? Je peux vraiment faire comme le poisson. Je veux dire par là… de respirer dans l’eau. Je savais que je savais pas nager et à cause de cela, je me suis procurée un enchantement qui me permet de respirer sous l'eau, juste au cas où je tomberais dans un lac ou quelque chose du genre. Dit-elle et d’un signe du doigt, elle désigna le bracelet qu’elle portait à son poignet gauche. Prête à toutes éventualités, Capitaine! Dit-elle telle une soldate et elle ne put s’empêcher de partir à rire.

L’anxiété de Luna était partie maintenant qu’elle était dans l’eau et en compagnie de Matis. Elle pouvait se permettre de se détendre et de rire un peu. Il est vrai qu’à partir de ce moment-là, nager devint moins un fardeau. Ses gestes étaient moins saccadés et elle ne tremblait plus. Elle était fin prête à apprendre à nager.

Le temps passait tandis que les deux personnes se concentraient à la tâche d’enseigner et d’apprendre. La protégée de Korentin n’aurait su dire combien de temps s’était écoulé, mais elle eut l’impression qu’il passa très rapidement tant elle était concentrée. Petit à petit, elle arrivait à faire des progrès et à assimiler les techniques pour se mouvoir dans le lac sans couler. Elle fut d’ailleurs des plus contentes d’être en mesure de respirer sous l’eau sans quoi elle aurait trouvé l’expérience beaucoup plus déplaisante étant donné qu’elle aurait aspiré de ce liquide. Mais là, elle n’avait pas ce souci à se faire et elle ne risquait pas de s’étouffer. D’une certaine façon, ne pouvait-on pas considérer que cette gamine trichait? Mais d’une autre, on pourrait plutôt dire qu’elle mettait toutes les chances de son côté pour réussir.

Faire des mouvements amples, réussi! Laisser l’eau la porter, réussi! Se laisser emporter, réussi! Devenir un poisson, réussi! Un poisson maladroit, certes, mais la gamine arrivait à se mouvoir dans le lac et à s’y laisser flotter. Malgré la froideur de l’eau, la Larme de Néant n’avait pas froid puisqu’elle passait son temps à bouger et à dépenser son énergie.

- Regarde Matis! S’écria-t-elle de bonne humeur.

Partant du bord du lac où elle s’était accrochée pour ne pas couler, elle passa devant lui à la nage. Elle fit quelques mètres puis revint vers lui et posa finalement sa main sur son épaule afin de lui permettre de garder facilement la tête hors de l’eau.

- Je peux te dire merci maintenant? Dit-elle joyeusement. Elle lui sourit. Merci Matis! Ajouta-t-elle. Ça avait paru plus difficile que ce l’était vraiment. Maintenant qu’elle connaissait la base de la natation, elle pourrait que s’améliorer avec un peu de pratique et elle n'avait plus besoin d'avoir peur de l’eau. Maintenant nager… Avant ça, pêcher avec des roseaux et me battre à l’épée. Qu’est-ce que je ferais sans toi?

Luna était contente de passer du temps avec son ami. Elle le relâcha et se mit sur le dos afin de flotter sur l’eau.

- Matis? Dis? Supposons que je te disais que je serais intéressée à entrer moi aussi dans l’armée, tu en penserais quoi? Tu crois que j’aurais ce qu’il faut? murmura-t-elle. Un léger frisson la parcourut; il faisait plus froid maintenant qu'elle était tranquille dans l'eau.

C’était une idée qu’elle avait depuis un petit moment, surtout depuis l’Aube Rouge. Elle n’en avait encore parlé à personne, surtout qu’elle savait que Korentin ne serait pas d’accord.

Il la regarda faire comme on pouvait regarder sa petite sœur évoluer dans ce monde décadent. Il la regardait évoluer dans l’eau comme s’il avait s’agit d’un univers totalement différent du siens, comme s’il s’agissait d’une expérience hors du commun, quelque chose que bien peu arrive à faire. Pourtant ce n’était pas le cas, pourtant elle se débrouillait tellement bien qu’elle n’avait presque pas besoin de lui. Il restait là, plus pour la soutenir psychologiquement que physiquement, il devait se rendre à l’évidence, la jeune Luna n’avait eu besoin de lui que pour se lancer et prendre confiance en elle. De toute façon il savait déjà à quel point la jeune femme était forte, à quel point elle était déterminée même si parfois elle craquait. C’était normal, elle n’avait que douze ou treize ans et quiconque aurait vécu ce qu’elle avait vécu à cet âge aurait craqué totalement. Lui pouvait un peu entrevoir ce qu’elle avait subi, non seulement parce qu’il l’avait vécu mais aussi parce qu’il avait été préparé toute sa vie pour ce moment.

En la regardant évoluer il voyait en elle un futur soldat, un futur officier qu’il aurait l’honneur de former et de mener à la guerre. Mais il voyait aussi une future femme pleine de grâce et de savoir. A cet instant, alors que sa vie arrivait à un carrefour important, il se demandait quelle serait la voie qu’elle choisirait. Deviendrait-elle une politicienne comme la princesse Esmelda ? Ou serait-elle un soldat comme lui ? A dire vrai il préférerait qu’elle choisisse la première option parce qu’il tenait à elle et qu’il ne voulait pas la voir mourir à la guerre…

Il resta longtemps à réfléchir à tout cela, à tourner ses idées dans son esprit dans tous les sens possible. Il cherchait à entrevoir le futur de cette jeune femme mais n’y arrivait pas, sans doute parce qu’il n’en était pas capable. Il avait beau savoir réfléchir, cela ne faisait pas de lui un érudit, il ne pouvait donc qu’émettre des hypothèses concernant son futur. En fait, tout dépendrait de la fin de guerre. Il devait donc redoubler d’effort pour y mettre un terme et que la jeune femme n’ait pas à connaitre les malheurs de la guerre.

Au bout d’un moment qu’il ne put vraiment quantifier, la jeune femme l’appela pour lui montrer son évolution dans ce milieu qu’était la natation, et ce qu’il devait avouer c’était qu’elle avait beaucoup appris. Matis ne lui avait donné que quelques conseils pour qu’elle apprenne d’elle-même, pourquoi ? Pourquoi avait il fait cela alors qu’il aurait pu tout lui apprendre ? Parce que la jeune femme était loin d’être une incompétente et la première chose qu’il lui avait apprit il l’avait fait de la même manière. Et il pouvait dire qu’elle ne s’en était pas trop mal tirée.

Il sourit à sa remarque et la laissa dériver sur le dos tandis qu’elle continuait de lui parler.

Pourquoi me remercier ? Je n’ai rien fais que tu n’aurais fais toi-même. Et puis moi je n’ai rien fais, tu as tout appris toute seule, moi je n’ai fais qu’éviter que tu te noie. Le reste c’est toi qui l’a fait, en cela je te dis bravo.

Quant à savoir ce que tu ferais si je n’étais pas là je ne te dirais qu’une seule chose. Tu ferais sans doute des trucs plus utiles à ton rang. Du genre porter de belles robes, coudre et cuisiner et te chercher un bon parti comme mari.

Tu vois à quoi tu échappe ? Finit il par dire en riant.

La suite de leur discussion ne le fit pas rire du tout puisque la jeune femme voulait savoir si elle avait les capacités de faire l’armée. Il avait craint cette question au moment même où elle lui avait traversé l’esprit. Il resta silencieux quelques instants et lui répondit.

Je vais être honnête, tu as ce qu’il faut dans la tête et dans le cœur… Et c’est ça qui me fait peur car la guerre ce n’est pas un entrainement mais tu le sais mieux que quiconque n’est ce pas ? Je ne vais pas te mentir, physiquement ce n’est pas encore ça, tu es jeune et tu as encore beaucoup à apprendre.

Mais tu as ce qu’il faut pour y arriver, aussi si tu souhaites rejoindre l’armée je te soutiendrais mais je t’imposerais une seule chose. Tu devras être sous mon commandement ne serait ce que pour que je garde un œil sur toi et que je te forme pour que tu puisses rester en vie.

Cela t’irais ?

Matis était bien trop modeste et elle lui sourit simplement, ne cherchant pas pour autant à le contredire. Celui lui paraissait inutile. Luna savait qu’il savait qu’elle lui était reconnaissante même s’il lui disait qu’il n’avait rien fait pour l’aider. À ces côtés, elle avait passé une bonne soirée et juste pour cela, elle avait toutes les raisons de le remercier davantage. Les paroles du capitaine la firent bien rire.

- Tu n’es qu’une mauvaise influence que je ne saurais me passer. Lui souffla-t-elle d’une voix moqueuse. Mais sérieusement, imagines-moi un instant faire des « trucs utiles à mon rang » comme tu dis. Euhm… Non merci, sans façon. Elle éclata de rire à nouveau en pensant qu’elle n’était pas du tout le standard de la noblesse. Un bon parti comme mari. Elle est drôle celle-là…! Je crois que j’ai brisé des records quant à ligne de conduite attendue de la protégée de Korentin… Et si on cherche à mettre ça sur ton dos, tu n’auras qu’à leur répondre que je suis rebelle jusqu’au bout!

Luna resterait Luna et ce, qu’on le veuille ou non. Heureusement, il y avait des gens comme Matis qui ne voulait pas qu’elle change. Son opinion était importante pour elle et elle l’écouta attentivement. Elle ignorait encore ce que lui réservait l’avenir, mais l’idée de devenir soldate était présente et elle était rassurée de savoir qu’elle avait tout ce qu’il fallait si tel était son choix. Dans tous les cas, elle comptait s’impliquer afin que le rêve de Korentin puisse un jour devenir réalité et dans un premier temps, il fallait trouver un moyen de se débarrasser de l’influence de Néant sur Armanda.

Un frisson la parcourut à nouveau. Il était temps de sortir de l’eau. Mais avant de le faire, la jeune fille s’avança à la nage et étreignit le capitaine.

- Bien sûr que ça m’irait! Lui glissa-t-elle.

Être sous le commandement de Matis, voilà une idée qui lui semblait bien étrange, mais qui ne lui déplaisait pas pour autant. Si elle devait se battre, il est certain qu’elle voudrait le faire à ses côtés! Il ne restait plus à savoir où l’avenir mènerait les deux rebelles. Mais pour l’instant, la baignade touchait à sa fin et il était temps de rentrer.

Sortant du lac, la gamine ramassa ses objets et s’emmitoufla dans sa cape. Elle lança un dernier sourire à son ami. Ils se souhaitèrent de passer une bonne nuit et c’est ainsi qu’ils se séparèrent.