Les Sywel eurent deux fils avant de voir naître une fille comme dernière enfant. Ils étaient une famille importante chez les Elfes et ils étaient respectés pour leur talent de guérisseurs. Et ils n’aspiraient qu’à améliorer cette nouvelle place. En leur dernier enfant, ils virent l’opportunité d’un bon mariage pour s'assurer de son bonheur. Oui, les Sywel n’avait plus qu’une hâte, que Leohana soit suffisamment âgée pour épouser l'Elfe idéal.

La petite Elfe ne savait rien de tout cela et grandit dans l’insouciance de l’enfance. Elle fut choyée et elle était heureuse. Elle aimait apprendre avec son professeur, manger comme une princesse, rencontrer les amis de ses parents, s’habiller avec de belles robes... Mais ce qu’elle aimait bien plus encore, c’était sa liberté. Dès qu’elle sut marcher, Leohana s’évada aussi souvent qu’elle le pouvait. Se glissant entre ses frères, elle arrivait à échapper à la vigilance de ses parents et de ses différents tuteurs, déjà bien occupés avec leurs deux aînés. A trois ans, elle courrait déjà dans les bois, montait dans les arbres, non sans chute, et passait parfois une après-midi entière loin de l'autorité parentale à respirer le grand air et la liberté. Elle ignorait alors que deux Elfes la suivaient de près et la ramenaient parfois à la maison en l'effrayant. Si vous lui demandiez ce qu'elle aimait le plus, elle ne vous aurait pas parlé des robes ou de la musique mais bien du vent jouant dans ses cheveux lorsqu'elle se hisse à la cime des arbres. Si Dawan s'évadait avec sa musique, sa petite sœur avait besoin de bien plus pour s'épanouir pleinement.

Comme elle restait une enfant appliquée et le plus souvent obéissante, Eshil et Djiksta laissèrent leur cadette s'échapper jusqu'au jour où elle manqua un déjeuner avec une famille importante pour une escapade en forêt. Le soir, quand l'enfant aux oreilles pointues décida enfin de rentrer, sa mère l'attendait, assise sur son lit. Elle ne se souvenait plus de la dernière fois où Djiksta était venue dans sa chambre et comprit tout de suite que ce n'était pas bon signe. Son père les rejoignit presque aussitôt et prit place aux côtés de sa femme. Leohana fixait ses orteils avec tellement d'intensité qu'elle finit par connaitre par cœur chacun de ses doigts de pied. Vinrent le sermon et l'interdiction de quitter le foyer sans autorisation. Elle devait être bien élevée et se montrer polie et ponctuelle si elle voulait un bon mari et blablabla, blablabla...

Une heure plus tard, ses parents la laissèrent enfin se coucher sans manger. Raisonnable, la jeune Sywel attendit quelques mois avant de reprendre ses escapades. A vingt-trois ans, elle vit son frère quitter la maison pour le domaine des Baptistrels. Attristée par le départ de ce frère un peu étrange, elle resta un mois sans dire un mot. Les sermons n'y changèrent rien. Ce fut en fouillant dans ses affaires qu'elle trouva un arc en bois sculpté dont elle tomba sous le charme immédiatement. Elle venait de trouver son objet à elle, comme Dawan avait eu la vièle et Vahowin un poney. Il ne lui restait plus qu'à apprendre à sans servir. Sans aide, elle ne progressa pas vraiment malgré ses longues heures de pratique. Ce n'était pas que personne ne puisse l'aider, mais, têtue et indépendante comme elle était, elle voulait apprendre par elle-même. Toutefois, elle ne vit pas dans ses échecs répétés là de quoi se démoraliser. Une vraie tête de mule !

Pour son vingt-cinquième anniversaire, Anaella Sywel, sa tante, vint lui offrir un bracelet d'argent où était gravé une inscription en runes anciennes. Lorsque les deux Elfes se retrouvèrent seules dans la chambre de Leohana, l'invitée remarqua l'empennage d'une flèche dépasser de dessous le lit. Ce fut alors le début d'une grande complicité. Anaella était une archère bien avant d'épouser un Sywel. Elle offrit donc son expérience à sa nièce qui sauta sur l'occasion. Elles passèrent des heures et des heures à corriger chaque détail de chaque tir. Si elle exigeait de sa nièce une discipline de fer, celle-ci se trouvait étonnamment libre lorsqu’elle encochait une flèche sur la corde et tendait cette dernière avant d’ouvrir les doigts.

-N’oublie pas de respirer Leohana, tu perds ta concentration si tu ne respires pas. Quand vas-tu le comprendre ?

Anaella n'élevait jamais la voix, du moins elle ne l'avait jamais fait devant sa nièce. Toutefois, depuis les années qu'elles travaillaient ensemble maintenant, cette dernière savait reconnaitre quand elle était énervée.

-Désolée tante Anaella, je ne le ferai plus.

Elle encocha une nouvelle flèche et tendit la corde jusqu'à sa joue. Après une profonde inspiration, elle détendit ses doigts et la flèche partit se ficher une nouvelle fois dans la cible. Bon, ce n'était pas dans le mille mais c'était toujours mieux que rien.

-Mieux, maintenant, garde les deux yeux ouverts et tu toucheras le centre. Réessaie.

Et Leohana s'exécuta. Ce fut ainsi pour les nombreuses années qui suivirent. Quand elle sut à peu près tirer à l'arc comme une Elfe, sa tante lui enseigna l'art du combat à mains nues, prétextant qu'elle n'aurait pas toujours son arc à porter de main. La dernière enfant des Sywel reprit aussi ses escapades dans les arbres, musclant encore ses bras, facilitant son apprentissage de l'arc. Bientôt, elle mit dans le mille quatre fois sur dix. Elle était encore loin du neuf sur dix de sa tante ou encore du dix sur dix tant convoité. Mais sa détermination et son moral était intacte et elle continua de s'entrainer tous les jours.

Si Leohana ne s'occupait pas vraiment de ce qui se passait dans le monde extérieur, elle sut pour les nouveaux dragons, les évènemens au royaume humain et le débarquement des Alayiens. Elle n'était pas présente au domaine baptistrel lors de la trève mais, dès qu'elle l'apprit, elle s'inquiéta pour son frère et se renseigna discrètement. Lorsqu'elle apprit qu'il était toujours en vie et avec son mentor, elle fut soulagée. Mais la menace alayienne pesait toujours sur lui et sur l'ensemble des siens. La Sywel essaya de s'engager parmi les archers de l'armée mais son âge ne lui octroya qu'un refus sans même lui laisser une chance. Et puis il y eut plein de bouleversements et la famille Sywel se retrouva à s'enfuir de la forêt elfique pour Aigue-Royale, loin de ses terres. Leoh' n'eut d'autre choix que de les suivre mais elle fut bouleversée par ce départ un peu précipité. Quitter les forêts qu'elle avait toujours connues fut un véritable déchirement. Elle crut perdre sa liberté mais comprit qu'elle n'avait d'autre choix.

Inquiète pour Dawan, elle quitta ses parents pour s'assurer qu'il allait bien et fit un détour chez leur aîné. Elle finit par trouver le Chanteur et le suivit à distance quelques temps. En même temps, elle essaya de se rendre utile de son mieux, aidant les victimes de la guerre des Esprits. Les Sywel partirent pour le désert vers l'est. Un peu désemparée, Leh' finit par laisser son frère en paix et essaya de trouver sa place dans le Protectorat. Traumatisée par tout ce qu'elle avait pu voir depuis leur départ de leur forêt natale, Leohana était perdue, marquée à vie par tous ces bouleversements. Plusieurs options s'offraient à elle mais peu lui plaisaient alors que le Protectorat se formait autour d'elle et de sa famille. S'engager dans les rangs aurait été perdre sa liberté et Leohana n'était pas encore prête pour cela. Elle participa donc aux diverses tâches possibles dans le Protectorat pour aider, soignant les petits bobos, cultivant la terre et élevant le bétail. L'Elfe combattit aussi Mais après quatre-vingt quatre années de vie seulement, Leohana avait envie de trouver sa place dans cette nouvelle société. Enfin, cela pourrait attendre encore quelques mois, le temps qu'elle profite de sa liberté... Quelques mois ou quelques années d'ailleurs...