Tout commence dans un oeuf pour les dragons. Il en a toujours été ainsi depuis la venue du premier d'entre eux sur Armanda, en ces temps si lointains, où seuls les dragons étaient les maîtres des cieux et des terres dont ils étaient les gardiens.

C'est dans cet oeuf, quand l'heure finale approchait doucement et que la conscience d'un tout jeune dragon commençait à s'éveiller à ce qui l'entourait. Bon nombre de philosophes pensent qu'à ce moment précis, l'être à naître connait ses premiers rêves, sur ce qu'il a pu capter du monde extérieur. Peut-être avaient-il un peu raison car Cynoë rêvait. Il rêvait d'images qu'il ne se rappellerait pas immédiatement, apercevant dans un sublime ciel azuré deux dragons exécutant quelques manœuvres aériennes maladroites, comme s'ils cherchaient à se connaître. Et petit à petit, leurs manoeuvres devinrent une véritable danse dans les airs, leurs ailes battants à l'unisson, comme si la confiance venait d'unir deux êtres indispensables l'un à l'autre. Deux noms furent soufflés dans un étrange vent onirique... Shaynar, dragon noir et Isyndar, dragonne d'ombre. Des deux dragons, apparues sur Armanda, étaient ceux qui lui donnerait la vie, ceux là même qui offrait à Armanda le fruit de leur union. Cynoë en ressentit une fierté immense... avant de doucement se replonger dans un étrange sommeil, savourant la protection de son oeuf.

Tout n'était que sécurité et douce chaleur dans son environnement aqueux. Un endroit clos et peu spacieux mais où il faisait bon d'y vivre. Il n'avait pas à se soucier de rien, rien à redouter ou à espérer. La vie à l'état pur et de base. La simplicité de l'existence. Que demander de mieux. Mais une jeune conscience s'éveillait et commençait à comprendre l'importance de grandir au-delà de ce rempart minéral qui était la coquille de son oeuf. Mais de cette chose, de cette frontière qui le maintenait à l'abri et lui interdisait encore l'accès au monde du dehors, il ne pourrait la repousser pour s'étendre, pour croître en taille et en force. A peine conscient que déjà au plus profond de son être, il savait qu'il devait faire le pas.

Dehors, bien des choses remuaient, bougeait et ressentaient. Des ressentis qui n'étaient pas issus de son esprit l'interpellaient, le perturbait ou encore le rassurait. A travers son oeuf, il sentait les émotions élémentaires de sa génitrice, d'une dragonne qui lui avait donné sa moitié de vie pour créer la sienne. Nervosité, colère et inquiétude couraient dans ses veines. Mais à côté, le jeune dragon à éclore percevait encore des notions qu'il ne comprenait pas encore. C'était plus doux et plus enivrant. Un instant, son petit corps frémit. Comme s'il aimait cela. Au fond de son esprit, son instinct l'apaisa. Il était encore un peu tôt, car le petit Cynoë avait commencé à se sentir attirer par ce qui se tramait dehors. Bientôt, il pourra ressentir et découvrir tout ce qu'il avait perçu, pour un jour prochain en faire sa propre expérience. Doucement, la conscience à peine émergée se rendormit.

Elle réémergea dans un temps incalculé. Qu'est ce le temps quand on est à naître à l'instant propice ? Elle se rappela vaguement d'avoir ressenti une chaleur extérieur et peut être le vent... deux éléments bien connu de l'espèce des dragons. Le petit Dragon savait sans savoir au plus profond de son être de quoi il s'agissait. Quand il connaîtra le monde extérieur, il saura.

Puis bizarrement, son cœur se mit à palpiter d'impatience. Son corps voulait sortir. Elle était là, toute proche de lui. Il était enfin temps. Mais est-ce que quitter ce milieu chaud et protecteur qu'était son œuf ne serait pas risqué ? Pourquoi ne resterait-il pas dans ce milieu familier et rassurant ? Non, il était temps ! Son esprit savait qu'il était un dragon et un dragon est fait pour vivre pour Armanda. Le petit Cynoë le saura très bientôt.

Recroquevillé sur lui-même, il poussa sur ses petits postérieurs et donna un coup de museau. La paroi de l’œuf, cette entrave à sa libération ne céda pas. Il donna encore un coup, puis un autre. Elle se fendit et il sortit la tête. La lumière agressa ses yeux. Un bout de coquille était encore plantée sur la petite dent cornée qui avait servi à fendre la coquille. Mille et une sensations le prirent de cours. Lumière, sons, voix, odeurs, émotions. Tant de choses d'un coup l'assaillirent et il poussa un couinement de protestation et de frustration. Car il cherchait celle ou celui qui lui était destiné. Cette personne était toute proche de lui. Il couina à nouveau et soudain il sentit une étrange sensation désagréable dans son estomac. Il ressentait pour la première fois de sa vie la faim. Mais ce besoin vital serait à combler une fois qu'il aurait trouver son ou sa liée ! Un cri sortit de sa gueule, comme s'il ordonnait que cette personne se montre. Le monde était immense et si riche en couleurs et en détails qu'il louchait partout. Il n'y avait que sa tête de sortir de la coquille pour l'instant. D'un coup d'antérieur, il fracassa encore une partie de son œuf, avant de se sentir basculer en arrière. Il lâcha un son strié d'indignation et de surprise, pour se retrouver bêtement sur le dos. Quelque chose remua dans son champ de vision et tourna la tête... La première image qu'il vit fut son aile encore toute humide... Puis une grande silhouette un peu flou s'approcha....