Après plus d'une semaine passée auprès des vampires, il avait pratiquement reprit le rythme qu'il avait adopté une première fois, lorsqu'il était venu séjourner avec Eliow et Shaynar parmis les vampires. Étrangement, se retransformer en créature nocturne ne le dérangea pas plus que cela. Pas comme la première fois, durant laquelle il avait tout de même souffert de ce changement radicale qui l'éloignait de tout ce qui constituait son intégrité. Mais aujourd'hui, il avait changé. Et retrouver la pénombre ne lui causait aucun tracas. Une fois son horloge interne remaniée, il avait pu suivre l'avancée de l'armée sans soucis, petite tâche lumineuse dans toute cette obscurité. Chevaucher aux côtés des sangs-froid ne lui était pas répugnant, bien au contraire, il les aimait beaucoup, les vampires. En revanche, il avait du mal à rester objectif en voyant les dégâts provoqués par les alayiens dans leur victoire comme leur fuite. Il avait beau avoir aidé Edwyn et protégé ces humains lors de leur retraite à la suite de l'Aube rouge, il n'en restait pas moins qu'il gardait un goût amer en bouche devant chaque village passé au fil de l'épée ou à la torche lorsque ce n'étaient pas les deux. Il voulait bien croire que les Alayiens avaient leurs qualités, qu'ils pouvaient apporter à Armanda et que Néant était bonne quand elle n'était pas corrompue par une douleur inimaginable et sans coeur au sens littéral du terme, n'empêchait pas qu'ils étaient des barbares…

Malgré tout, il ne prenait pas part à la traque, ayant d'autres convictions en temps que Baptistrel. Il ne les ralentissait pas mais il ne les aidait pas, tout simplement… et de toute façon il fallait qu'il s'occupe de sa propre guérison avant tout. De sa guérison et de sa remise en forme. Il avait également commencé à s'entraîner au maniement de l'épée, dans lequel il avait déjà des bases. Il valait mieux commencer par un terrain relativement connu. Il le faisait seul cependant, n'osant tout simplement pas démarcher un vampire pour lui donner un coup de main. Il aurait pu évidemment, et il y avait fort à parier qu'on aurait accepté, au moins en raison de son statut auprès de Lorenz… mais justement, il se découvrait peu à peu terriblement paranoïaque, ne voulant absolument pas mettre son frère en défaut sans le vouloir, il ne voulait pas qu'on pense pouvoir l'approcher au travers de sa personne. Le problème, c'était que, quand bien même il ne voulait pas offrir une perche aux opportunistes, qu'il ne voulait pas se mêler de politique vampirique… il le faisait quand même d'une certaine façon. Certes, c'était un cas exceptionnel, et il avait déjà mis Lorenz au courant, mais ça le travaillait quand même. Il s'était sentit l'obligation de s'impliquer dans cette histoire tellement l'idée l'avait rongé de l'intérieur…

ça le travaillait encore aujourd'hui, mais moins que le brasier qui se présentait à eux, dans la nuit noire. Il chevauchait toujours avec Lorenz, et cette fois-ci ne dérogeait pas à la règle. Il n'avait d toute façon que peu de contactes avec les autres vampires… Il y avait bien Kyle Achille mais il était… il était trop… pas assez…. Bref. Ça n'avait pas d'importance. Sur la colline, il observait les flammes comme les autres, y trouvant un écho particulier, les vivants comme si elles étaient son propre corps et sa propre âme. Il se laissait porter par le chant de la conflagration et sentait son coeur se serrer aux images qu'il transportait.. Il aurait eu envie d'apaiser ce feu, de lui rendre sa tranquillité. Mais il préférait ne pas quitter le groupe avant de connaître les intentions de Lorenz. Intentions qui ne tardèrent plus à se faire entendre. Y aller ? Fort bien, on ne pouvait pas dire que cela contrariait beaucoup ses envies personnelles. Il flatta l'encolure de sa monture, seul destrier blanc dans tout ce noir, comme une tâche de lait dans l'encre. Il faisait un étrange contraste. Et il n'aimait pas beaucoup les flammes. C'était une créature sylvestre avant tout, même s'il avait un maître quelque peu flamboyant….

Il fit très attention en descendant derrière eux, dirigeant ses sens uniquement vers le sol afin de trouver les meilleurs appuis et le meilleur chemin possible. La température augmentait tandis qu'ils approchaient, mais il ne ne sentait pas plus incommodé. Il aimait la chaleur, et aurait pou se fondre dedans avec bonheur… Arrivé en bas un poils après les vampires, il tricota pour se rapprocher à nouveau de Lorenz et rencontra son regard qui se tournait vers lui. Il hocha doucement la tête et vint se tenir près de lui, silhouette menue se découpant sur le fond de flammes comme une ombre exotique. Ils agirent de concert, au même moment, d'un même mouvement, pour apaiser progressivement les flammes et les mettre au repos. Elles avaient assez données d'elles-même ; assez fait rugir l'indignation de la terre que l'on abreuvait encore de sang, assez lamenté pour les morts que l'on avait arraché à vie avec tant de violence. Bientôt, le chatoiement sauvage disparut et il ne resta plus dans l'air que l'odeur de la fumée, de chair brûlée et les cendres que soulevait un léger vent. Il soupira doucement et regarda de nouveau les alentours. Quelque chose n'allait pas. Aveugle aux vampires qui s'égaillaient dans les ruines, il fit quelques pas, étendant ses sens comme une chape pour trouver ce qui le dérangeait.

Les groupes de vampires revenaient les un après les autres. Il ne leur prêtait aucune attention pour le moment. Il était partagé entre de durs sentiments à l'égard de toute cette affaire et cette chose qui le travaillait. Cette pulsion qu'il ressentait au devant d'un blessé, l'urgence et le besoin d'aider et soulager. Pourquoi ? Il n'y avait que des morts ici. Il pouvait éventuellement effectuer les cérémonies de passage mais quoi d'autre au nom de Dracos ? Pourtant s'il le ressentait ce devait être là… Sentant Lorenz sur le point de lui parler, il tourna la tête à nouveau vers lui, consentant à oublier un instant ce qui le préoccupait. Oui, il ne pouvait guère leur réfuter cela. Ils savaient ce qu'ils faisaient…. Tout le problème était-là d'ailleurs. Il commençait à se demander s'il ne devrait pas donner un petit coup de main. Aider à trouver un village, même si cela signifiait la perte des humains qui l'habitaient ? Il ne savait pas s'il était prêt à faire quelque chose comme cela. L'idée ramena à son esprit la faible note qu'il avait entendu et il se mit à chercher avec plus de détermination. Il en trouva la source au moment où la nouvelle tomba auprès de Lorenz. Il y avait encore un vivant.

Il partit en courant, obnubilé par cet appel, incapable de ne pas y céder. Il était bien trop urgent. Sa capuche glissa, révélant son visage et sa chevelure tressée, les pans volant derrière lui tandis qu'il se dirigeait vers l'une des maisons en ruine. Il s'engouffra dans la bâtisse, repoussant le battant de porte à moitié calciné en manquant le faire tomber de son gond survivant et s'arrêta face à l'agonisant. Il avait mauvaise mine, presque famélique et couvert de sang, les chairs outragées par ce qui avait dû être plusieurs épées, peut-être pire… Comment avait-il échappé au feu ? Difficile de le dire, mais pour l'instant ça ne l'intéressait pas. La question était plutôt s'il parviendrait à échapper au trépas. S'agenouillant dans la cendre, il se mit immédiatement au travail, rassemblant toute son énergie et sa science pour tenter de le soutenir dans son effort. Une lueur dorée vint illuminer les alentours, ondoyante, tandis qu'il faisait usage de sa magie.

Pourtant, lorsqu'il fit cesser le chant, il fut bien forcé de constater qu'il ne reprenait pas de forces…

Lorenz, qu'il avait instinctivement sentit approcher, affirma tout haut la conclusion qu'il en était venu à tirer lui-même tout bas. Si même ses soins ne faisaient pas effet, c'était que l'humain glissait déjà dans les bras de Mort. Sans doute n'était-ce pas un mal, il serait au repos et son âme serait sauve, contrairement à ceux qui étaient morts par les perles de Néant. Néanmoins c'était également une grande peine pour lui de ne pas pouvoir accomplir ce qui était sa vocation depuis toujours, quant bien même il savait qu'il n'était pas capable de sauver tout le monde. Tout ce qu'il pouvait éventuellement faire c'était l'aider à passer de l'autre côté, pour le temps qu'il lui restait. Un temps relativement court, s'il jaugeait de son état… La voix de son frère le tira à nouveau de ses pensées, et il détourna le regard du mourant pour poser ses prunelles assombries sur la silhouette du prince. La proposition qu'il lui faisait lui tira un doux sourire reconnaissant. Il n'avait pas besoin qu'on le ménage en y mettant les formes ou en se montrant terriblement chaleureux, l'offre de son frère était en elle-même une délicatesse qu'un autre aurait sans doute trouvé étonnante mais qu'il acceptait simplement et librement, sachant encore une fois parfaitement ce qu'elle représentait. C'était un effort qu'il faisait pour lui malgré sa volonté de le garder proche de lui. Lui-même aurait voulu pour faire un effort. Même si Lorenz ne l'avait pas mentionné, il n'était absolument pas dupe de la façon dont les vampires auraient réglé la situation, et aurait voulu avoir la force et la capacité se décharger de son patient. L'achever aurait également été une bonne chose, logiquement parlant. Il ne souffrirait plus, et plus vite. Mais il n'était pas encore prêt à ça…

En attendant d'en être hypothétiquement capable, il ne pouvait qu'accepter la chance qu'on lui offrait. Il s'apprêtait d'ailleurs à répondre par l'affirmative, en faisant en sorte de ne pas traîner plus que nécessaire, lorsque le blessé se manifesta, le faisant sursauter. Il ne voulait pas mourir. Cela, l'elfe le comprenait aisément. En revanche ce qu'il ne comprenait pas c'était comment il pouvait encore parler, et surtout de façon aussi violente. L'observant avec de grands yeux, perturbé, et ne fit un allé et retour qu'en entendant Lorenz répondre. Là aussi, il fut surpris. Il n'aurait pas pensé que son frère daigne prendre ce sursaut en considération… mais ne le respectait que plus encore pour cela. La réponse plus véhémente encore le fit grimacer. Il allait agoniser encore plus vite en se vidant de ses forces comme ça… mais peut-être n'était-ce pas complètement un mal ? Il ne savait plus très bien, à ce stade. La prise soudaine sur son délicat poignet le ramena une nouvelle fois à la réalité, mais il ne chercha pas à s'en défaire, attendant de voir ce qui allait advenir de cette situation pour le moins étrange. En le voyant à nouveau manquer d'énergie, il essaya de le soutenir, suspendu à ses lèvres… Que voulait-il ? Pourquoi réagissait-il ainsi ? Qu'est-ce qui le raccrochait si fermement à la réalité alors que le repos final s'offrait à lui ?

La réponse vint assez vite, mais avec elle plus de surprise encore. Surprise et plus encore, en vérité. Vengeance… Un mot qui semblait paver l'existence de tous les êtres de ce monde, mais qui ne prenait un sens si aiguë, si violent, qu'avec quelques personnes. La supplication dans son regard lui fit mal au coeur, mais il était trop saisit pour réellement le ressentir. Frappé par la foudre. Jamais encore il n'avait vu, entendu, quelqu'un demandant à être transformé, souhaitant devenir vampire, de son plein grès. Souhaitant subir ce dont les humains étaient souvent terrifiés, pour sa vengeance… Immobile, il l'observait attentivement, le regard rivé sur lui, tentant de faire raison de ce dont il était témoin, tentant de comprendre. Comment pouvait-on demander à être transformé ? Pour la majorité, le vampirisme restait une malédiction, un chancre dangereux et menaçant, et même si ce n'était pas son cas à lui, il n'avait jamais envisagé qu'on puisse demander à être transformé. Comment devait-il réagir ? Comment devait-il penser ? Inconsciemment, il se mit à lui transmettre de l'énergie, le maintenant tout juste en vie au lieu de le laisser s'étioler. Est-ce qu'une vengeance, aussi admissible soit-elle, valait-elle d'être transformé en vampire ?

Il… ressemblait à Lorenz, d'une certaine façon. Enelya l'avait transformé pour la venger, entre autre… et lui voulait être transformé pour venger sa fille… mais ensuite ? Ensuite que ferait-il ? Une fois sa raison de perdurer accomplie ? Si vraiment on pouvait… demander à être vampirisé, si vraiment c'était envisageable, ne devrait-on pas le faire pour bien davantage ? Conscient qu'il semblait soudain être le centre d'attention, il fut contraint de répondre, même si des sentiments contraires se bousculaient en lui. Il ne savait exactement que penser de cela… même si la situation de l'homme lui faisait penser que cette demande désespérée était surtout due à sa mort prochaine. Au pied du mur, quelle autre solution pourrait-il bien avoir ? « Je ne l'aime pas c'est vrai... » souffla-t-il finalement « Mais… je la comprend » Comment aurait-il pu en être autrement ? Oui, il commençait à la comprendre. Lorenz, Kalëi… Non, il ne pouvait pas véritablement la lui refuser, mais il n'était pas vampire, ce n'était pas à lui de choisir. Il ne voulait convaincre personne et ne s'en octroyait pas plus la capacité que celle de lui refuser ce qu'il désirait « Si vous devenez un vampire, vous perdrez vos souvenirs. Vous ne vous souviendrez plus de votre fille, ou de votre vengeance... »

Il restait terriblement perturbé. D'un côté, il était réellement touché par son histoire, de l'autre, la froide raison un peu cynique issue de sa propre mort grinçait que cet homme, même s'il parvenait à abattre ceux qui avaient tué sa fille, à se souvenir de tout ça, se perdrait ensuite et regretterait sans doute amèrement sa décision quand il se déliterait pour l'éternité sans savoir quoi faire de lui-même, une simple esquif dans le flot de l'armée vampirique. D'un autre côté encore, il y en avait sans doute d'autres, des esquif à la dérive, et lui avait effectivement une motivation… Il ne croyait pas que l'âme de la jeune fille en question réclame quoi que ce soit. Elle était certainement bien, dans les bras de Mort, au calme. C'était lui-même qui avait besoin de vengeance pour apaiser son hypothétique sentiment d'impuissance et de culpabilité face à sa mort. Mais pouvait-on réellement l'en blâmer ? Son regard glissa à nouveau vers Lorenz, et il l'observa, yeux dans les yeux, ses doutes probablement transparents dans ses prunelles sombres. Il l'observa de longues secondes puis re regarda l'homme agonisant. « Même si vous deviez retrouver vos souvenirs, ce serait probablement dans de longues années, le temps pour ces alayiens de mourir d'une autre façon. Et une fois cela morts, que ferez-vous donc... »

Conscient sans doute à présent de ce qu'il en serait, il ne tenait plus à lui d'interférer. S'il devait être transformé, alors cela se ferait, il n'avait aucunement le droit de s'y opposer. Il ne l'aiderait pas cependant. Pourquoi convaincrait-il les vampires ? Ce n'était pas à lui de le faire. Ne pas aider cet être le rendait malade et lui retournait l'âme, mais il était à présence convaincu de ne pas pouvoir s'impliquer davantage. Cette fois, et malgré la nausée et l'inconfort que provoquait sa décision de reculer, il libéra sèchement son poignet, se relevant et porta son regard vers Lorenz. C'était à lui de décider, après tout… Il avait beau ne pas croire au fondement de cette vengeance, il respectait l'idée, le concept, en lui-même, parce qu'au final, même si la motivation n'était pas pure, cet homme avait sincèrement aimé sa fille, et sa douleur, la douleur de la perte était réelle. S'il voulait être vampire, s'il le voulait vraiment, il n'était personne pour l'en empêcher…

S'il avait apprit une chose, c'était bien que le mot impossible était le plus vide de sens qui soit. Ou au moins l'un des plus vide. Rien n'était, au final, fondamentalement impossible. Seule la perception que l'on avait de quelque chose pouvait la rendre impossible. Néanmoins, était-ce vraiment le moment que de débattre de ce genre de choses, et qui plus est avec un mourant ? Que ce soit impossible ou non, il voulait être transformé, et pensait se souvenir. Et bien… ils verraient. Peut-être se souviendrait-il. Ou peut-être pas. Il attendait ce que Lorenz dirait, mais avait déjà une petite idée de l'issue de cette affaire. Une issue qu'il vit se confirmer, quant bien même l'homme avait mentit. Pourquoi ne pas l'avoir dit ? Parce que là encore, ça ne servait à rien, tout simplement. L'autre avait trouvé son argument, confirmant sa volonté. Pourquoi aurait-il craché dessus ? Parce qu'il pourrait mentir à la mauvaise personne soufflait une partie étrangère de son esprit, méfiante. Et s'il mentait à Lorenz, comme il venait de le faire ? Oh il avait eut une raison de le faire. Mais un renard trouverait toujours une raison de trahir. Qu'était la loyauté d'un menteur né ? Qu'était la loyauté d'un homme dont le totem méprisait la vérité ? Comprenait-il même réellement ce qu'était la loyauté ? Et pourquoi, par Dracos, est-ce que cela l'irritait soudain autant ? Pourquoi ce sentait-il en totale opposition avec cette pitoyable créature, que son altruisme voulait sauver ? Il aurait dû au moins se réjouir de voir qu'il aurait ce qu'il voulait, au lieu de quoi il sentait une profonde et irraisonnée angoisse lui saisir les tripes. Et pas à cause de la transformation, même si cela le perturbait un peu d'y assister, ou du moins à l'injection du venin. C'était autre chose qui crachait et feulait en lui, et c'était davantage lié au manque de loyauté potentiel de cet homme…

Il ne se sentait pas lui-même, pourtant il se refusa à trembler ou détourner les yeux. Il rencontra le regard de Lorenz et l'accrocha avec détermination, ses prunelles sombres fixes ne remettant absolument pas en question le choix du vampire. Il le respectait beaucoup trop pour ça. Il savait qu'on ne pouvait pas mentir à son frère. Ankmar le protégeait, et puis il était là… enfin probablement. Alors… pourquoi s'être sentit si mal, si en colère, à l'idée que ce futur nouveau-né vampire ne le trahisse ? Il n'y comprenait plus rien. Il resta là, observant la scène jusqu'à ce qu'ils ressortent. L'air de l'extérieur lui fit un bien relatif, mais il l'inspira malgré tout, ignorant les odeurs abominables qu'il portait, se remplissant les poumons. L'elfe appela sa monture, le destrier elfique venant caracoler près de lui, semblant content de le retrouver. Un bref instant, son coeur serra douloureusement et rata un battement alors que ses pensées se dirigeaient contre sa volonté vers le vide laissé par Shaynar et il dû s'y prendre à deux fois pour être capable de se focaliser et monter sur le dos de son compagnon de route. Remit en route, il gardait le silence, perdu dans les cheminements de ses pensées. Elles le ramenait tantôt vers Lorenz, tantôt vers Shaynar, l'homme qui se transformait ou même Néant, et parfois, lui-même était incapable de véritablement comprendre à quoi il pensait réellement. Il repensait également à Eliow, et des dizaines de questions lui traversait l'esprit, sans qu'il parvienne à déterminer laquelle était vraiment celle qui le troublait le plus. Il ne releva qu'à retardement les yeux sur Lorenz lorsque celui-ci vint coller sa monture à la sienne, qui ne sembla pas apprécier la présence de l'étalon légendaire. Lui-même avait encore en tête qu'eux-deux n'avaient pas très bien débuté leur relation, puisque le cheval avait voulu l'écrabouiller, et qu'il avait dû son salut à la seule apparition d'Amiria, son épée, elle aussi légendaire. Une épée qu'il n'avait plus tiré depuis sa mort….

Il hocha simplement la tête, et eut un mot pour son quadrupède qui suivit immédiatement Aranwë. Laissant le reste du groupe, il finit par se laisser porter par le flot, capuche retombée dans son dos, cape claquant au vent, cheveux ébouriffés par la vitesse de sa monture, qui n'était pourtant pas grand-chose comparée à la vitesse d'un dragon. Il avait tant aimé voler. Il adorait voler, c'était un plaisir inimitable, et n'avait nulle peur, sur le dos d'un dragon, peut importe les figures qu'il se toquait d'accomplir. Mais sans doute était-il définitivement cloué au sol, enchaîné et enterré, les deux pieds sur terre. Il ne revolerait jamais, il en était persuadé, et cela ajoutait encore à sa tristesse et ses pensées chaotiques. Il se plongea plus encore dans la chevauchée, tentant de se vider l'esprit, au moins pour un moment. Lorsqu'enfin ils s'arrêtèrent, à l'abri d'un petit bois et près d'une rivière, il mit pied à terre avec amertume, et fit quelques pas, avant de retirer l'un de ses gants et de saisir une feuille morte ente deux doigts, la regardant partir en cendre et fumée en un instant. Et il resta silencieux jusqu'à ce que Lorenz prenne la parole, à court de mots, pour une fois, ce qui ne l'empêcha pourtant pas de sourire en répondant. « Parfois, oui » C'était une concession. Mais pas toujours Disait son silence. Et il refusait de penser que seule la vengeance emplissait l'existence de Lorenz. Oui, il y avait des similitudes mais… mais combien de fois avait-il déjà prouvé qu'il ne vivait pas que pour cela ? Oui, cela était une part importante de lui, une part qu'il ne pouvait nier. Mais il s'était ouvert. Il y avait Ambre… et lui ? Et il y avait des elfes qu'il n'avait pas tué, et malgré les raisons immédiates, il y avait tout de même quelque chose d'autre derrière. Et s'il savait ne pas pouvoir s'opposer au vœux de Lorenz, il y avait également beaucoup plus derrière cela également….

« Je me souviens d'un de vos anciens conseillers, qui m'avait accusé d'être un hypocrite. De me cacher derrière mes bonnes intentions et mon optimisme par lâcheté, pour ne pas affronter la réalité du monde, pour ne pas être blessé. Peut-être n'avait-il pas tort, d'une certaine façon. Mais la réalité ne vous laisse pas vous cacher…. » Il croisa les bras. « D'habitude, je m'amuse toujours à dire qu'un interlocuteur débutant son discourt par 'La vérité c'est' est déjà loin d'elle. Et pourtant, maintenant, je me rend compte que je n'arrive pas à trouver un autre moyen d'introduire ce que je voudrais dire... » Un rire amer lui échappa « La vérité… c'est que plus les choses vont, et plus je... » Il ne savait tout simplement pas comment l'exprimer. Et pourtant il essayait, vraiment ! « Je comprend… Lorenz. Je ne suis pas encore prêt à l'accepter, mais je sais que… je le ferais, quand bien même j'en souffrirais. Je ne peux pas faire autrement qu'en souffrir… mais je ne peux pas non plus faire autrement que de prendre le partie de ma famille, aussi égoïste que cela puisse être. Lorsque je fais face à Kaleï j'ai eu cette atroce pensée… mais pendant un bref instant, j'ai été terriblement satisfait de savoir que mon peuple avait perdu sa forêt. Pendant un moment je me suis dis que cela leur servirait de leçon, pour tout ce qu'ils avaient fait. La violence de la haine peut se traduire de bien des façons, par une arme, par la magie… par la violence physique autant que par la violence morale. Je n'avais plus la capacité de les pardonner et de les comprendre. Et je crois que je ne l'ai pas entièrement retrouvée » Il soupira, encore perturbé. « Je ne sais même pas pourquoi je parle de cela… »

Un silence puis il dissimula un instant son visage dans sa main. « Si en y pensant, je pense que je sais » Il ne pouvait tolérer l'idée, mais pourtant il en avait ressentit une certaine satisfaction dans un moment de profond désespoir ; il aimait son frère, mais en même temps il ne pouvait renier vraiment son peuple… c'était un cercle fait de contraires. Il vivait dans un cercle fait de contraire. Et il savait que Lorenz le saisissait, bien mieux d'ailleurs que les elfes. Peut-être parce qu'il en était tout de même grandement la cause. Sans que cela soit une mauvaise chose. Il ne voulait pas le quitter, l'idée le rendait de plus en plus inconfortable… parfois, il se demandait s'il ne se rendait pas même malade à le ressasser. Pourtant ce qu'il était profondément ne pouvait aller de pair avec le vœux fait par le prince. Pas parce qu'il était un elfe. Mais parce qu'il était un Baptistrel. Et pourtant, il avait, un instant, goûté à cette vengeance. A sa vengeance à lui. Dès cet instant, il ne pouvait prétendre ne pas comprendre, au moins un peu… Il s'apprêtait à l'exprimer à voix haute, même si ce n'était probablement pas entièrement nécessaire, quand tout autre chose lui échappa. Un autre chose qui n'était pourtant pas tout à fait dénué de lien avec le reste… « Si je n'avais été immunisé… m'auriez-vous transformé ? »

Ses paroles lui firent un nœud à la gorge et à l'estomac. Étrangement, du moins un peu, mais pas complètement. S'il pouvait y renoncer il le ferait… cette simple certitude le réchauffait, et le plongeait dans un bain de reconnaissance. Mais d'un autre côté, jamais il ne pourrait le lui demander comme il l'avait un jour fait, plein de candeur. Il avait trop apprit depuis. Et trop appris à apprécier Lorenz tel qu'il était. Dans son ensemble. Le bon qu'il voyait en lui, la beauté, comme l'avait si bien dit Edwyn, et ce qui était moins beau, mais qui participait de sa beauté tout de même. La beauté d'une âme, d'un esprit complet, avec ses affres et ses plaisirs. Mais plus que tout, avec son intégrité…. Et il ne pourrait supporter qu'il délaisse son intégrité, même pour lui et ce même si c'était une preuve presque inimaginable de la force de leur lien. Mais cette force allait dans les deux sens. Lorenz aurait envisagé de changer s'il l'avait pu, mais il n'était pas le seul à devoir aller vers l'autre. Lui aussi le devait et le faisait, avec détermination. Il ne voulait plus jamais… jamais, avoir cette conversation. Parce qu'il était fixé sur une chose quant bien même sa position était terriblement douloureuse et inconfortable, il ne voulait pas qu'il perde cette intégrité. Et si elle passait par sa vengeance, alors soit. C'était ainsi. Un vague sourire lui vint aux lèvres, et il l'observa à son tour avec ironie. Quand donc le monde avait jamais été simple pour qui que ce soit ? Allons… Et puis honnêtement, s'il avait été simple, ça aurait sans doute était terriblement ennuyant.

Oui ils changeaient. Du moins, lui changeait, il ne savait pas pour Ambre. Mais c'était simplement la façon naturelle du monde… en avançant sur un chemin, on changeait, et il avait choisit le sien, à ses côtés, en sachant ce qu'il en était. Ambre aurait au moins eut la 'chance' de pouvoir se targuer de ne pas comprendre toutes les implications, lui ne le pouvait pas. Pas alors qu'il connaissait par coeur l'histoire du vampire et plus encore. Pas alors qu'il pouvait chanter son chant-nom de mémoire sans en perdre ne serait-ce qu'une vibration ou une tonalité. Il n'avait pas le droit de lui demander et maintenant, en entendre simplement parler le laissait nauséeux autant que béa d'admiration et d'affection devant cette flagrante preuve qu'il lui offrait, et qu'il chérissait effectivement. Traitres sentiments contraires. Pourtant il ne dit rien, ne voulant pas raviver le sujet, surtout quand son esprit en apportait un autre presque sans son consentement. Ses propres mots le surprirent et pourtant ? Il ne pouvait les renier, ayant soudain des sueurs froides et se sentant vaciller quand bien même il ne bougeait pas. La réponse lui faisait peur, et en même temps il en avait terriblement besoin. Il avait besoin de l'entendre, de savoir. S'il ne supportait pas de sentir Lorenz souffrir, il ne supportait tout simplement pas qu'un doute subsista pour cette question. Elle faisait partie d'un tout, qui scellerait définitivement ce chapitre là, sur lequel il ne reviendrait plus après cette soirée, acceptant ce qu'il lui avait offert en en comprenant la préciosité, tout autant qu'en acceptant l'inévitable.

Et finalement, la réponse vint. Dès le début. Il avait répondu sans hésiter. Et tout, dans cette réponse, sembla le faire se détendre. Sur le coup, ça le surprenait un peu, mais en y réfléchissant ensuite… peut-être pas tant que cela. Peut-être. Mais ça n'avait au final pas vraiment d'importance. Ce qui était important au final c'était la teneur de la réponse en question. Il ne le ferait plus sans son accord ? Alors sans doute était-ce heureux….Il l'observa encore, le temps semblant s'étirer indéfiniment entre eux. Il l'observait comme une personne, simplement, et se rendit compte qu'il n'avait plus besoin de magie pour le décrypter. « Oui » fit-il simplement, dans un premier temps. De façon bien plus naturelle qu'il ne l'aurait pensé, en fait. Fluide. Comme si c'était exactement ce qu'il voulait dire. Et puisqu'il avait encore ses pouvoirs…. Ça ne pouvait qu'être la vérité. Il pondéra sa réponse un instant, puis poursuivit. « Oui, je le souhaiterais » ça rendrait certainement les choses plus simples, d'une certaine façon, mais ce n'était pas pour cela, qu'il émettait ce souhait. « Je ne suis plus elfe que par le corps, à peu de choses près » Il était sans doute un savant mélange de beaucoup de choses, mais d'elfe, qu'avait-il encore vraiment ? Pas grand-chose, même son amour de la nature s'apparentait davantage à son statut de chanteur qu'à sa race. Pourtant c'était étrange que de l'avouer. La seule chose qui l'aurait sans doute retenu était de perdre sa mémoire… mais il pouvait l'enfermer dans un objet, si vraiment il le désirait, et Lorenz la connaissait.

Sans compter les perles, aux mains d'un certain souverain humain. Les perles de ses précieux souvenirs. « Nous n'avions pas conscience de Néant. Nous pensions impossible de frapper un esprit, nous imaginions qu'il n'était pas possible qu'un lien avec un dragon se tisse autrement qu'à la naissance… nous n'imaginions même pas, nous personnellement, en arriver là. Alors… pourquoi n'y aurait-il pas un moyen, quelque part, qui me permettrait de me défaire de cette immunité ? Si je pouvais seulement l'ôter, là comme ça, l'effacer de mon chant-nom, même si cela signifiait perdre mes pouvoirs… Mais il doit bien y avoir un moyen. Si tout le reste est possible, pourquoi pas ça ? » Il secoua la tête, fronçant les sourcils. Oui pourquoi pas après tout? Alors qu'il laissait le silence reprendre ses droits, une forme, entre les arbres attira son attention, ainsi qu'une étrange mélodie, à la fois harmonieuse et discordante. Une mélodie qui lui rappelait étrangement quelque chose… mais il n'était pas certain de ce dont il s'agissait. « Lorenz ? Vous entendez ? » Il n'était pas certain que l'autre entende effectivement. C'était perturbant… aussi perturbant que cette discussion….

Si quelqu'un pouvait comprendre son affirmation, c'était effectivement Lorenz. Ils n'avaient pas vécu la même chose, mais elle était tout de même proche… et puis, il le comprenait, tout simplement. Il comprenait la souffrance qu'était un esprit qui avait évolué vers quelque chose que son corps ne pouvait absolument pas suivre, malgré tout le soutient de la magie. Son esprit n'était plus celui d'un elfe, quand bien même il conservait certaines façons de ce peuple. Mais des façons qui ne leur étaient pas exclusives. Si tant est qu'aucune le soit. Et l'immunité, qui ne lui avait jamais posé problème jusqu'ici, devenait une chaîne qui se ferait sans doute de plus en plus insupportable avec le temps qui passait. Il fut donc satisfait d'entendre Lorenz lui faire écho. Oui, effectivement, il avait raison et il lui apporterait son concours s'il le désirait. Après tout, il ne désirait pas voir advenir un jour où aucun nouveau vampire ne naîtrait, ce serait tout de même bien triste. Et très problématique. Et si cela pouvait lui bénéficier dans le même temps, raison de plus pour qu'il y prenne part ! Il eut un léger sourire discret, en voyant le regard de son frère s'éloigner quelque peu, mais il garda pour lui ce qu'il pensait de sa romance… Pas qu'il le voit d'un mauvais œil, c'était même tout le contraire. Mais vu l'individu, mieux valait le laisser à sa discrétion pleine et entière, à moins qu'on ne le sollicite. Ou qu'il soit contraint d'y mettre les pieds, comme lors de sa guérison.

Son attention se détourna cependant du sujet lorsqu'il entendit une légère mélodie dans l'air. D'où venait-elle ? C'était une étrange chose que celle-là… à la fois naturelle, et créée par un instrument. Il la connaissait, il en était certain, et pourtant il ne l'avait jamais entendu auparavant. C'était perturbant, et cela le fut encore plus lorsque Lorenz lui affirma ne rien entendre. Fronçant les sourcils, il tenta de chercher la source, d'étendre ses perceptions pour traquer l'origine de cette singulière mélodie. Il ne trouva rien. Elle semblait s'amuser à jouer au chat et à la souris. Mais l'éluda quand il se rapprocha davantage encore. « Oui, vous avez raison... » Il ne pouvait pas se permettre de rester là, et puis il avait l'impression diffuse que ce qui l'appelait n'allait pas rester ici, mais le suivrait. Il appela sa monture elfique, et un instant, se sentit coupable. Pourquoi ? Aucune idée. Secouant la tête, il monta de nouveau sur le dos du destrier et repartis aux côtés de son frère. Malgré tout son esprit vagabonda encore quelques temps dans le petit bois…