12 avril an II

Elle en avait mis, du temps pour y réfléchir. Cette décision méritait de peser chaque pour et chaque contre, et Ambre était suffisamment intelligente pour comprendre les risques auxquels elle s’exposait, sans compter la difficulté à sortir d’Aigue. Mais aujourd’hui, elle était sûre de son choix : elle partirait. Rien ne la retenait plus ici et elle ne supporterait tout simplement pas de rester encore, seule et entourée d’êtres la détestant et la méprisant. Elle avait été profondément navrée pour les autres guérisseurs de les abandonner ainsi, et les avait informés, en toute discrétion, qu’elle cesserait de venir pour s’occuper d’autres patients. Ils avaient acquiescé en silence, sans chercher à discuter, connaissant l’investissement de la jeune fille auprès de ses malades. Celle-ci se chargerait d’aller aider autant qu’elle le pourrait toutes les familles que la guerre avait mises dans le besoin. Elles ne manqueraient pas sans aucun doute, et la guérisseuse serait soulagée d’être utile tout en sortant de cette geôle immense qu’était la ville souterraine. Elle était d’ailleurs passée au marché noir auparavant, prenant soin, après s’être assurée qu’elle était seule, de saluer Aldaron en faisant quelques emplettes lui paraissant utiles, certaines sur ses conseils d’ailleurs. Elle ne voulait pas que son projet soit connu, certes Lorenz se fichait désormais d’elle comme d’une guigne mais se trouver face à Norwen qui l’attendait, une fois à l’extérieur, ne la tentait pas du tout.

Son arc à la main, elle se dirigea vers la salle d’entrainement comme elle le faisait depuis trois semaines. En vérité, elle n’avait jamais tiré encore, s’entrainant tout d’abord à bander l’arc sans se briser un os et à relâcher la corde doucement, puis avec une flèche, sans jamais la projeter. Elle n’avait pas osé demander à l’un des archers présents de l’aider, et eux n’avaient pas prêté attention à cette mince jeune fille qui semblait découvrir, les yeux ronds, comment tenir cette chose bizarre qu’était un arc. Mais aujourd’hui, elle voulait essayer de s’entrainer, au moins une fois, à manier cette chose. Si elle devait l’utiliser à l’extérieur, Dracos l’en préserve, il faudrait qu’elle soit capable de ne pas éborgner un innocent en essayant de se défendre. Cela dit, le but n’était pas de tuer, d’ailleurs c’était aussi cela qui l’avait bloqué si longtemps. Devant elle, la cible semblait la regarder d’un œil accusateur, ses cercles la fixant comme si elle était une meurtrière. C’était faux. Elle était guérisseuse et rien de plus. Pourquoi ne voulait-elle pas arrêter ? La jeune fille serra les dents, la corde tendue, prête à la relâcher. Et l’image de Norwen apparu devant elle. Cette vampiresse qui lui avait sauvé la vie par simple, semblait-il, intérêt, celle qui la détestait et n’attendait que sa mort, celle qui s’affichait ouvertement aux côtés de Lorenz. Ils ne se cachaient pas, loin de là, et la paisible jeune fille si fragile sentait son sang bouillir de colère lorsqu’elle les apercevait. Pour elle, elle pouvait volontiers relâcher sa corde… Jalouse ? Non… Enfin si, un peu. Mais surtout profondément blessée. Certes son prince n’était pas un modèle de vertus, de sagesse, de fidélité et bien d’autres choses ‒de toute façon, il n’était pas un modèle‒ mais aller flirter avec cette… cette prostituée manipulatrice en si peu de temps, c’était profondément bas, lâche, minable, un comportement qu’aucun homme d’honneur ou quiconque qui puisse se revendiquer posséder un tant soit peu de fierté pouvait avoir après avoir fréquenté cette catin. Et la gentille petite fille se trouvait presque avec des envies sanguinaires à l’égard de cette dernière. Malheureusement, elle devait aussi reconnaitre que la vampiresse avait bien des attraits qu’elle-même ne possédait, et surtout… elle était vampire. Elle ne condamnait pas la violence ou la cruauté de Lorenz, au contraire, elle l’approuvait totalement. Celui-ci ne pouvait que s’en trouver satisfait.

Soufflant sa colère, elle tenta de se calmer et de chasser le visage honni de sa mémoire et… se fit légèrement bousculer par un soldat qui trébucha en passant derrière elle, sursauta et pivota à moitié en lâchant tout à fait dangereusement sa flèche qui partit sur le côté, manquant tuer un homme qui s’entrainait et venait ramasser l’un de ses propres projectiles. Totalement dévastée, le danger public se précipita vers lui rouge de honte, le cœur battant à tout va. Il n’était pas blessé, l’arme s’était écrasée au sol à quelques centimètres de ses jambes Ambre voulait s’en assurer.

-Je… désolée, pard…on, vraiment. C’est.. la premiè..re fois.

Les larmes perlaient à ses cils tandis qu’elle se mordiller les lèvres pour que ses nerfs ne la lâche pas comme ils en avaient l’habitude depuis quelques temps.

-Ca…va ?

Bon, c’était un vampire, il ne craignait pas grand-chose, Dracos soit loué, mais quand même… Prête à s’enfoncer sous terre, la jeune fille se retint de le faire s’allonger au sol pour vérifier sa santé, mais c’aurait put être mal interprété. Vraiment. Elle avait déjà fait assez de dégats.

Ne pas se précipiter. Ne pas se précipiter. Ces mots tournaient en boucle dans l'esprit tempétueux du renégat vampirique, lequel essayait pourtant tant bien que mal de domestiquer sa propre impatience : se lancer à corps perdu à la poursuite de la princesse ne pourrait rien lui apporter de bon, même lui avait pu le comprendre. Avec un peu d'aide de la part de sa liée, bien entendu, mais il avait compris, il avait accepté de tempérer ses inquiétudes pour préparer soigneusement son expédition à Gloria. Toutefois, comprendre ne rendait pas l'attente plus facile, certainement pas, et chaque nouvelle journée passée dans les galeries d'Aigue-Royale apportait son lot de nouvelles frustrations. D'abord, il y avait eu les interminables leçons de Korentin quant aux protocoles en vigueur dans la noblesse impériale, l'entraînement au maintien, ou encore l'imitation des intonations et l'étude des habitudes du comte dont le vampire usurperait l'identité à son arrivée dans la capitale. Prendre la place d'un noble de la cours, voila qui représentait un plan audacieux s'il en était : le moindre faux pas signerait immanquablement la mort du jeune dragonnier, mais existait-il seulement un danger devant lequel il reculerait lorsque la vie de la princesse était mise en jeu ? Probablement pas. Heureusement, si les deux hommes avaient éprouvé certaines difficultés devant cette coopération forcée, l'amour qu'ils portaient tout deux à Esmelda leur avait permis de passer outre leurs ressentiments respectifs, et les résultats avaient été à la hauteur de leurs efforts. Kylian faisait dorénavant un comte plus vrai que nature, du moins aussi longtemps que personne ne viendrait y regarder trop près, et le souverain rebelle était parvenu à lui bâtir une couverture qui, sans être parfaite, lui assurait de raisonnables chances de réussite. Demeurait un dernier problème désormais : accomplir le voyage. Les alayiens n'apprécieraient sans doute pas beaucoup voir une dragonne plusieurs fois millénaire déposer son dragonnier devant les remparts de la capitale impériale, et on imaginait plutôt mal un représentant de la noblesse humaine voyageant à pieds ou sur le dos d'une monture vampirique. Kylian avait donc besoin d'un cheval, et si possible, d'un cheval qui ne paniquerait pas à l'idée de se faire approcher par un vampire. Autant dire que le problème était encore loin d'être résolu : si les enchantements pouvaient aider à apaiser les tourments de l'animal, il n'en demeurait pas moins nécessaire d'obtenir au préalable une certaine forme de coopération de la part de la monture, laquelle peinait quelque peu à comprendre que les crocs du prédateur nocturne ne lui étaient pas destinés. Fichus canassons.

Ainsi le vampire se retrouvait-il coincé dans les méandres de la cité rebelle souterraine, partageant son temps entre les écuries, le bureau de Korentin à Fort-Espérance, et les pistes de tir à l'arc de la caverne des Héros. L'archerie était une discipline qui exigeait de ses pratiquants calme, patience et maîtrise de soi, autant de qualités qui faisaient présentement cruellement défaut au renégat vampirique et que le principal concerné s'efforçait justement de travailler au cours de nombreuses séances d'entraînement. A défaut de l'être véritablement, au moins ces quelques heures de pratique l'obligeaient-elles à faire preuve d'un peu plus de calme. A condition bien sûr que rien ne vint perturber le calme en question.

Cela faisait une heure, peut-être deux, qu'il parsemait de ses projectiles l'une des cibles du champs de tir. Depuis la brève mais intense séance d'entraînement qu'il avait partagée avec l'archère elfique Lyroë, Kylian n'avait pas ménagé ses efforts pour s'améliorer encore et encore, gagnant tout aussi bien en précision qu'en vitesse d'exécution. Ses gestes étaient précis, son oeil sûr et son instinct se révélait de moins en moins faillible : mobiles ou non, rares étaient encore les cibles qui pouvaient espérer échapper aux pointes de ses flèches. C'était peut-être bien là la seule chose positive que le renégat eut pu récolter de sa récente descente dans la noirceur, les mérites de journées entières consacrées à parfaire ses qualités d'archer en vue d'un combat particulièrement... déraisonnable. Alors plongé dans ses pensées, le vampire récupérait ses flèches d'un geste machinal, mille fois répété, sans prendre garde à ce qui se passait autour de lui. Cette insouciance manqua de peu poser le point final de son histoire, alors même qu'une flèche qui n'y avait pas été invitée était venue siffler à son oreille pour finalement planter sa pointe aux pieds de la cible du renégat : quelques centimètres plus à gauche, et c'était son crâne qui y serait cloué en cet instant.

Très peu amusé par cette blague aussi stupide que dangereuse, Kylian raffermit sa prise sur son propre arc et se retourna, dans l'intention évidente de rendre au petit plaisantin la monnaie de sa pièce. En fait de plaisantin, ce fut vers une plaisantine que se dirigea son regard courroucé. Toutefois, visiblement plus embarrassée qu'amusée, l'apprentie meurtrière se confondit en excuses avant même qu'il n'ait eu le loisir d'en réclamer. Un accident ? La panique dans laquelle était plongée la responsable semblait plutôt crédible, à moins que l'écarlate jeune fille dont les doigts tremblaient encore sous le coup de la nervosité ne fut une comédienne d'un remarquable talent. Quoi qu'il en soit, la colère qui avait étreint le renégat n'en mourra pas moins vite, que du contraire d'ailleurs puisqu'il s'efforça plutôt d'apaiser les tourments de sa presqu'assassine avec une certaine douceur :

« Je suis encore en état de vous répondre donc je présume que ca va, vous ... »

Il ne finit pas immédiatement sa phrase, brièvement décontenancé devant les traits de la demoiselle qui se tenait devant lui. Il n'y avait pas vraiment accordé d'attention dans un premier temps, préoccupé qu'il avait d'abord été par la perspective de botter le train du mauvais plaisant, mais à présent, il n'avait pu manquer remarquer ce visage. Un visage qu'il avait déjà eu le loisir d'apercevoir quelques mois plus tôt, un visage qui ressemblait énormément à l'un de ceux qui avaient accompagné le lent effondrement moral du renégat. Ce visage répondait au nom d'Enelya, mais quel avait été celui dont avait usé Lorenz pour s'adresser à la demoiselle ?

« Ellisseï ? »

A peine avait-il prononcé ce mot que l'instinct reprit le dessus et le vampire put distinctement sentir chacun de ses muscles se crisper. Son regard abandonna aussitôt celui de son assaillante pour glisser nerveusement sur les silhouettes présentes alentours tandis qu'il humait l'air à la recherche d'une odeur révélatrice d'un quelconque traquenard. Tout semblait calme, mais Kylian ne s'en détendit pas pour autant et approcha plutôt les doigts à une distance prudente de son carquois. Après tout, on ne survivait pas au prince vampirique sans prendre l'habitude de se méfier de tout et tout le monde. Sa voix se fit pour sa part un ton plus méfiante tandis qu'il interrogeait :

« C'était la première fois que quoi, exactement ? »

Se montrer compréhensif était une chose, mais si la jeune femme avait essayé de le tuer pour ramener sa tête à Wintel, cela pouvait remettre certaines décisions en question.

Figée devant celui qu’elle avait manqué estropier, Ambre ressemblait à un parfait pied de tomates bien mûres, ses joues cramoisies trahissant la honte que son propre comportement lui faisait ressentir. Dracos, même cela, elle le ratait de façon lamentable. Sans doute aurait-il mieux valu que ce soit elle qui se prenne une flèche dans le ventre, au moins n’aurait-elle plus gênée personne. Néanmoins le vampire ne semblait pas lui en vouloir, malgré qu’elle ne voie plus son visage puisqu’ayant baissé la tête, gênée, ce qui ne l’empêchait toutefois pas d’entendre le son de sa voix. Un peu rassurée malgré la réaction première et agressive de sa malheureuse cible, elle osa le regarder dans les yeux, cherchant à comprendre d’où venait cette impression de déjà-vu. Mais des vampires, elle en avait croisé beaucoup, quoi qu’aucun qui ne fasse preuve de la même douceur que son interlocuteur. Il ne devait donc pas être un soldat de l’armée vampire, sans quoi il n’aurait probablement pas fait long feu.

-Ellisseï ?

Là, la guérisseuse ne put réprimer un sursaut de surprise et elle manqua tomber en arrière lorsqu’en reculant d’un pas léger elle heurte quelque chose au sol. On n’avait pas idée de laisser ainsi trainer ses armes ! Se rattrapant de justesse, elle tenta de s’incruster sous terre pour se faire oublier mais non, de toute évidence elle devrait répondre à cette question qui… n’en était peut-être même pas réellement une. Ellisseï… C’était Lorenz qui l’appelait comme cela. Depuis quand exactement, elle ne s’en souvenait même plus. Mais jamais une tierce personne n’aurait osé prendre la liberté d’user de ce surnom. Et jamais elle n’aurait pu imaginer que l’entendre puisse être si douloureux. Elle n’était plus Ellisseï. Elliseï était partie. Disparue. Morte. Evanouie dans l’air, poignardée par la présence de la vampiresse Ullylan aux côtés du Prince Noir. Ah celle-là… Le petit poing d’Ambre se serra lorsque de nouveau la colère grimpa insidieusement en elle. Cette profiteuse, quel dommage qu’une flèche ne l’ai pas atteinte, elle ! Oh, pas pour la tuer, mais pour… pour… et bien parce que. Elle ne souhaitait même pas réellement la blesser mais qu’elle comprenne que son comportement était une insulte à la gente féminine dans son ensemble mais aussi une injure à toutes les filles de joie qui tentaient de survivre en vendant leur corps alors qu’elle le faisait selon son bon vouloir. Et une offense à Ambre. Mais après tout, si Lorenz était consentant ‒et plus que cela même‒ elle n’avait pas à s’en mêler. La jalousie et la colère se disputaient avec l’acceptation de la situation, et la jeune fille serra les deux mains sur le bois de son arc avant de faire une légère révérence au vampire devant elle.

- Non. Ambre. Je m’appelle… Ambre Orétoile.

Simplement cela et rien de plus, elle ne souhaitait pas entendre de nouveau le nom d’Ellisseï prononcé. Néanmoins qu’il la nomme ainsi lui rappela pourquoi elle connaissait son visage. Il n’était pas un soldat de l’armée, bien sûr. Il avait participé à la recherche de la pierre enterrée, il était l’ennemi honni du prince noir. Elle était presque sûre de ne pas se tromper, d’autant que cela expliquait son comportement et qu’il ose la nommer de cette façon.

- Vous êtes… Kylian ? Kylian Wallam ?

Elle était surprise de le trouver ici, cela ne faisait aucun doute mais, dans une certaine mesure, rassurée. Il ne semblait ni dangereux ni méchant, et elle se sentait plus libre de s’exprimer sans craindre une réaction disproportionnée. Mise en confiance, elle détourna toutefois le regard en lui répondant, gênée d’avoir à admettre une telle nullité.

- La premiè..re fois que je tire à l’arc. Je n’ai pas l’hab..itude.

Elle observa son arc comme s’il allait lui sauter au visage, ne sachant si elle devait le considérer comme un ami ou ennemi. Un peu des deux peut-être, tant qu’elle ne l’aurait pas apprivoisé. Et dire que d’autres faisaient cela avec une facilité déconcertante.
Jetant un regard autour d’elle, elle vérifia que personne ne les observait, prudente. Elle ne tenait pas à ce que quiconque ne vienne entraver sa fuite de la ville souterraine. Mais nul ne leur prêtait la moindre attention, et elle se pencha pour ramasser la flèche.

- Je sais que c’est.. peut-être un peu tard pour s’entr..ainer mais mieux tard que…jamais. Veuillez pardonnez mon incom..pétence.

Ce n’était, hélas, pas le seul à en faire les frais.

Orétoile. Ambre Orétoile, tel était le nom sous lequel elle venait de se présenter, et sous lequel elle espérait manifestement être appelée. L'apprentie meurtrière avait en effet semblé particulièrement perturbée en découvrant qu'il connaissait son nom, ou plus exactement, qu'il connaissait le nom d'Ellisseï. Le pourquoi de cette réaction lui échappait encore, mais ce qu'il avait vu des échanges entre la demoiselle et le prince vampirique lors de leur petite escapade en montagne était plus qu'il n'en fallait pour comprendre qu'elle se trouvait dans une situation particulièrement complexe. Peut-être avait-elle donné un faux nom à Lorenz ? Ou peut-être au contraire essayait-elle justement de se donner une fausse identité en ce moment même ? Elle ne semblait pourtant pas particulièrement effrayée, mais si le renégat vampirique l'avait reconnue, la réciproque était-elle valable pour autant ? La réponse à cette question lui fut donnée alors même que la jeune Elisseï ou Ambre, quel que soit son véritable prénom, venait lui demander de confirmer l'identité qu'elle soupçonnait. L'espace d'un instant, le vampire fut tenté de nier son propre nom, juste pour se donner le temps de juger de la réaction que cela provoquerait et de la confiance qu'il pouvait placer en celle qui avait manqué de peu le blesser, sinon le tuer. Mais la situation semblait déjà suffisamment difficile que pour ajouter encore à la confusion, aussi préféra-t-il finalement prendre le parti de jouer la carte de l'honnêteté. Après tout, à Aigue-Royale et avec l'anneau de l'alliance au doigt, il n'avait normalement rien à craindre du vampire ancestral ou de ses sbires. Normalement.

« Je suis Kylian, en effet. Nous nous sommes déjà rencontré, il y a de cela quelques mois, mais nous n'avons alors pas eu le loisir de faire connaissance. Je suis heureux que l'occasion nous soit donnée de remédier à cela. »

Joignant le geste à la parole, le vampire s'autorisa l'esquisse d'un sourire qui se voulait probablement plus confiant qu'il ne l'était réellement. La jeune femme pouvait lui paraître fragile, délicate et inoffensive, il lui était difficile pour ne pas dire totalement impossible de faire abstraction du lien qui la reliait à Lorenz. Toutefois, s'il n'en baissa pas sa garde pour autant, gardant une part de son attention sur les allées et venues de ceux qui les entouraient, il consentit cependant à diminuer la tension qu'il sentait lui étreindre les muscles des épaules. Il semblait effet de plus en plus évident que la prénommée Ambre ne lui voulait aucun mal, et les regards furtifs qu'elle lançait alentours laissaient même plutôt à penser qu'elle était aussi nerveuse que le renégat vampirique à l'idée d'être découverte. Peut-être même était-elle un peu trop agitée, d'ailleurs, elle semblait peiner à s'exprimer et s'il n'y avait eu son jeune âge pour le convaincre du contraire, Kylian eu presque craint la voir lui faire une crise cardiaque sous le nez. S'efforçant de dissiper la tension et de rassurer la demoiselle qui paraissait n'avoir qu'une bien piètre opinion d'elle-même, Kylian adoucit le timbre de sa voix tandis qu'il répliquait, non sans une certaine forme de compassion :

« Il faut bien débuter quelque part, ne vous inquiétez pas pour cet incident. Vous permettez ? »

D'un signe de la main, le vampire invita l'archère novice à lui remettre son arc afin qu'il puisse l'examiner d'un peu plus près. Après tout, il en avait déjà vu défiler quelques-uns entre ses doigts et pouvait prétendre connaître deux ou trois choses sur ce qui faisait un arc fiable et efficace. Un nouveau sourire vint d'ailleurs étirer les lèvres du rebelle tandis qu'il reconnaissait un arc du silence similaire à celui qu'il possédait lui-même. Ses doigts parcoururent machinalement la corde de l'arme avant qu'il ne s'essaie à le bander dans le vide une fois ou deux, le temps de s'assurer de la puissance de tension que la corde pouvait développer. Satisfait, il rendit l'arc à sa propriétaire légitime mais ne put s'empêcher de laisser échapper un commentaire qu'il aurait préféré garder pour lui :

« C'est un bon arc, avec un peu de pratique, je ne vois aucune raison pour que vous ne puissiez pas trouver le chemin de la cible. Pour vous donner une idée, il y a de cela quelques mois encore, je m'entraînais auprès d'une talentueuse archère elfique. Figurez vous que l'une de mes flèches n'a rien trouvé de mieux à faire que d'aller planter sa pointe dans les fesses d'un ours, je vous laisse imaginer que le brave animal n'a pas beaucoup apprécié. Il nous a coursé à travers toute la forêt ou presque, et il a fallu que je joue les charmeurs d'ours avec un sifflet pour parvenir à le calmer. Lyroë, mon entraîneuse, n'était vraiment pas contente mais elle m'a beaucoup appris, et nous ... »

Subitement conscient qu'il s'était de nouveau laissé surprendre par les divagations de sa propre langue, le vampire s'interrompit brutalement et manqua de peu se mordre les lèvres devant le ridicule sous lequel il s'était ainsi drapé. S'il avait pu rougir, sans doute ses joues n'auraient-elles pas eu grand chose à envier à celles de la demoiselle qui lui tenait compagnie, mais puisque le mal était fait, sans doute valait-il mieux essayer de prendre le parti d'en rire. Levant une main pour venir se gratter l'arrière du crâne avec embarras, Kylian laissa une moue dubitative déformer ses lèvres avant de conclure l'anecdote :

« Hum, bref, vous au moins avez eu la délicatesse d'épargner mon postérieur, alors voyez, vous n'êtes pas si incompétente que cela. »

Un silence passa, mais il apparut rapidement qu'une anecdote aussi ridicule ne constituait pas vraiment de quoi donner confiance à une demoiselle qui n'avait de toute évidence jamais tenu une arme de sa vie. Le regard pensif du vampire passa rapidement d'une main à l'autre de l'apprentie, considérant alternativement l'arc et la flèche qu'elle tenait entre ses doigts. Puis, comme s'il venait subitement de prendre une décision, il proposa :

« Suivez moi. »

Kylian guida la demoiselle à une quinzaine de pas de la cible avant de désigner cette dernière d'un geste du pouce des plus éloquents :

« Allons, essayez encore. Je resterais derrière vous cette fois, vous n'aurez plus à craindre de me transformer en pelote d'épingles. »

Il s'était efforcé de parler sur un ton plus amusé que réprobateur, mais il n'en demeura pas moins prudemment écarté des potentielles trajectoires du projectile que décocherait la petite Orétoile. Juste au cas où.

Oui, Kylian, elle s’en souvenait maintenant. Elle comprenait pourquoi il l’avait appelé ainsi, était sûre qu’ils s’étaient rencontrés dans les montagnes, lorsqu’elle s’était blessée et que Lorenz l’avait guérie. Effectivement, il ne l’avait jamais appelé Ambre, mais après tout il ne le faisait rarement. Maintenant, il ne l’appelait plus du tout, le problème était donc réglé…
Toujours toute rouge de gêne, elle reprit peu à peu la carnation pâle qui était sienne d’ordinaire et esquissa une début de révérence, juste assez pour être polie et trop peu approfondie pour se faire remarquer. Elle n’avait aucune envie de voir tous les regards se tourner vers elle, sans compter que vu sa maladresse du jour, nul doute qu’elle manquerait probablement se casser la figure en s’exécutant jusqu’au bout. Décidément, ce n’était pas son jour, vraiment. Et dire qu’elle espérait s’échapper d’Aigue-Royal aujourd’hui, elle qui était incapable de ne pas estropier quelqu’un en s’entrainant avec un bête arc. Peut-être devrait-elle repousser à un autre jour son projet, finalement. Commencer par s’entrainer et ne s’enfuir qu’une fois après avoir reçu un entrainement à peu près convenable. C’aurait surement été plus sage, bien qu’elle doutait être jamais capable de se débrouiller réellement avec une arme dans la main.

- J’en suis.. heureuse aussi. Je pense que ce ser..a plus calme aujourd’hui.

Ils n’auraient pas de mal, la recherche de la pierre avait été quelque peu mouvementée. Sa jambe s’en souvenait encore. Mais le sourire que lui renvoya le vampire devant elle la rassura quelque peu et, sur sa demande, la demoiselle tendit l’arc qu’elle avait en main, attendant nerveusement le verdict. Il était extrêmement gentil, et elle se demanda encore une fois pourquoi le Prince ne pouvait à ce point ne pas le supporter. Bien sûr, il devait passer pour faible aux yeux des sang-froids, mais pour la guérisseuse il était ENFIN un des rares vampires qui paraisse véritablement, et bien… civilisé. Et c’était agréable, de pouvoir discuter simplement avec lui sans recevoir un regard noir, méprisant, affamé ou Dracos savait quoi d’autre de désagréable. Kylian semblait la considérer comme son égal et Ambre lui en était réellement reconnaissante. « C'est un bon arc, avec un peu de pratique, je ne vois aucune raison pour que vous ne puissiez pas trouver le chemin de la cible ». Elle la voyait totalement, elle, la raison. Entrainement ou non, elle était sure de ne jamais être capable d’acquérir le niveau que possédait son conseiller provisoire. Ce n’était pas de la négativité, non, elle était juste réaliste. Et profondément découragée.
Ce à quoi remédia rapidement son interlocuteur en lui relatant ses propres mésaventures. Totalement prise de court par ces révélations pour le moins inattendues, la demoiselle fini par éclater de rire, redoublant d’ardeur devant l’air dépité et gêné qu’il arbora ensuite. La simple idée de l’imaginer coursé par un ours avant de tenter de séduire ce dernier pour le calmer était réellement magique. Littéralement pliée en deux, elle finit par essuyer des larmes de rire avant de s’excuser. Ses nerfs lâchaient, elle espérait qu’il ne lui en voudrait pas. Sans doute n’aurait-elle pas réagit comme cela deux mois plus tôt mais pour l’heure, elle se sentait beaucoup mieux. Réellement. Rien ne valait un bel éclat de rire pour soigner ses déprimes.

- Je pense que votre fes..sier est plus petit que celui d’un.. ours.

Surprise par sa remarque, elle détourna le regard en suivant Kylian, se tournant vers la cible qu’il lui désignait. Ne pas tuer quelqu’un, ne pas tuer quelqu’un… Inspirant fortement, elle banda son arc, sursautant lorsqu’elle sentit la main du vampire pousser légèrement l’arme pour la redresser et, le remerciant en silence, tenta de se concentrer sur les cercles face à elle. Elle ne deviendrait sans doute une professionnelle de cette arme mais elle pouvait faire de son mieux. Non, elle devait faire de son mieux. Relâchant doucement son souffle, sans trembler, elle figea ses muscles avant de relâcher son projectile qui s’envola dans les airs, se plantant au-dessus de la cible. Pas terrible, mais au moins n’avait-elle blessé personne.

- C’était mieux non ?

Elle leva un regard plein d’espoir vers lui, espérant qu’il approuve et lui donne des conseils qui puissent l’aider. Après tout, il avait bien dû apprendre lui, et recevoir des cours, comme avec cette archère ayant entrainée la mésaventure avec l’ours.

- Combien de temps avez-vous.. mis pour être aussi fort ave..c votre arc ?

C’était un vampire, et elle venait de réaliser qu’il pouvait avoir des centaines d’années d’expérience. Elle-même vivrait jamais aussi longtemps, et même en ayant commencé dès la naissance cette pratique… Pourtant il y avait des archers humains aussi. Rarement aussi bon que les elfes, par exemple, mais capables de toucher leur cible. Etait-elle juste trop vieille pour commencer ? Ou devait-elle prendre le temps d’accepter nombre défaites avant de toucher au but ?

Hrp: pardon pour le retard TT

Au moins, il était parvenu à la faire rire. A ses dépends et bien involontairement, certes, mais après tout, le proverbe bien connu n'affirmait-il pas que la honte n'avait jamais tué personne ? Une chance pour le vampire, du moins si l'on devait en juger par l'hilarité de la petite apprentie archère. S'il n'avait pas lui-même fourni les arguments qui avaient ainsi joué en sa défaveur, sans doute aurait-il pu se vexer, mais considérant qu'il avait lui-même tendu le bâton pour se faire battre, il ne lui restait plus qu'à mettre son amour-propre au placard quelques instants. Il se console néanmoins rapidement tandis qu'il remarqué être parvenu à offrir à la demoiselle une certaine forme de réconfort : son regard brillait d'un éclat ragaillardi et son visage paraissait brutalement plus décontracté, comme si le simple fait de se laisser aller à s'exprimer sans retenue pendant quelques instants lui avait été particulièrement salvateur. Pour autant qu'il put se souvenir de leur première rencontre, la jeune fille était particulièrement bien traitée par le prince vampirique, mais pour connaître l'une ou l'autre chose de la survie chez les vampires, le renégat n'avait pas beaucoup de mal à croire que les rires ne devaient pas souvent égayer la journée de celle qui se tenait devant lui en ce moment. Bon joueur, Kylian lui accorda même un nouveau sourire accompagné d'une réplique espiègle quant au commentaire qu'elle avait fait sur son postérieur :

« C'est gentil de votre part de l'avoir remarqué. »

Non pas qu'il fut particulièrement attaché à la façon dont les autres pouvaient percevoir son physique, mais de là à comparer son postérieur à celui d'un ours, il y avait tout de même une certaine marge.

Ce petit moment de récréation laissa rapidement la place à de plus sérieuses préoccupations tandis que la jeune Orétoile se concentrait sur son entraînement, désormais placé sous l'oeil attentif d'un vampire. Celui-ci observa silencieusement le tir et suivit du regard la trajectoire du projectile qui finit sa course légèrement au dessus de la cible, dans les panneaux de bois qui devaient protéger les arrières du terrain d'exercices en cas de tir manqué. Etait-ce mieux ? D'une certaine manière : au moins cette fois n'avait-elle pas manqué envoyer un membre de la rébellion entre les mains des guérisseurs. Mais ce n'était pas pour autant qu'elle n'avait pas encore quelques sérieux progrès à faire. Le tout à présent, c'était de le lui faire remarquer sans risquer briser l'espoir et la volonté que le vampire pouvait distinctement lire dans le regard qu'elle avait tourné vers lui.

« Ne soyez pas si impatiente : avant d'apprendre à courir, il faut apprendre à marcher. »

Il s'était efforcé de s'adresser à elle avec confiance et sérieux, pour ne pas risquer lui faire penser qu'il se moquait d'elle. C'était bien la première fois qu'il se trouvait dans la position d'un maître face à son élève, et comprenait à présent que cela n'était certainement pas aussi facile qu'il aurait pu le penser. D'ailleurs, la question suivante ne manqua pas le désarçonner un peu plus encore : depuis qu'il était vampire, c'était bien la première fois également qu'il se faisait complimenter par une humaine qui ne fut pas celle pour laquelle battait... enfin... existait... son coeur. Maudites expressions faites par les vivants, pour les vivants. Un instant embarrassé, Kylian s'efforça de répondre avec autant d'aplomb qu'il lui était permis d'en démontrer à cet instant, c'est à dire pas beaucoup :

« Je ... euh ... Je ne suis pas si ... »

Pas si doué que cela ? En un sens, c'était bien ce qu'il pensait, mais en un autre, il était conscient d'avoir acquis un niveau certain ces derniers temps, ne risquait-il pas décourager la jeune apprentie s'il se laissait prendre à faire preuve d'une modestie exacerbée ?

« J'ai pratiqué de longues années... seul... puis j'ai bénéficié des conseils dont je vous ai déjà parlé... et en quelques mois d'un entraînement plus intensif, j'ai beaucoup progressé... »

Pourquoi avait-il donc tant de mal à retirer de la fierté de ses compétences ? Peut-être parce que ces quelques mois avaient surtout été les pires moments de son existence, peut-être parce que cet entraînement n'avait été que le fruit d'une folie meurtrière et sanguinaire dans laquelle il s'était perdu, abandonné, oublié. Avait-il vraiment envie de s'en vanter ? Pas vraiment. Comme s'il avait ainsi voulu chasser ce pénible souvenir, le vampire secoua brièvement la tête et ramena son attention sur sa jeune élève. Après tout, s'il parvenait à user de ces mois d'entrainement pour aider d'autres personnes à progresser et retrouver confiance en leurs propres talents, peut-être pourrait-il trouver un peu de lumière dans ces moments de ténèbres.

En quelques pas, le vampire vint se placer à hauteur de la demoiselle, empoignant son propre arc tandis qu'il glissait la main vers son carquois pour se saisir de l'une de ses flèches. Il prit le temps de décomposer méticuleusement ses gestes afin que son élève puisse les assimiler sans difficulté, et décocha son projectile. La flèche fendit l'air et vint précisément terminer sa course en plein centre de la cible : à cette distance sur une cible immobile, l'exercice ne présentait aucune difficulté pour lui.

« Plus votre cible est lointaine, plus la précision de vos gestes est importante : un écart d'un millimètre avec votre arc peut provoquer un écart d'un mètre avec la cible. En tant que vampire, j'ai l'avantage de ne pas être gêné par ma respiration, vous, il vous faudra apprendre à la domestiquer pour ne décocher qu'au moment où vous arrivez en toute fin d'expiration. C'est à cet instant que vos muscles seront les plus stables. »

Soulignant ses prochains mots d'un geste de la main en direction de sa tempe, le renégat poursuivit :

« Et ne négligez pas le mental. Ne décochez qu'en étant intimement convaincue que vous atteindrez votre cible, dans le cas contraire, vous n'y parviendrez pas. La tir à l'arc est une discipline qui demande beaucoup d'instinct : pour ajuster votre visée, il faut pouvoir visualiser la trajectoire de la flèche avant qu'elle n'ait quitté la corde, mais comment pourriez vous y parvenir si vous ne croyez pas vous-même que vous pourrez atteindre la cible ? »

Kylian garda le silence quelques instants pour laisser à son apprentie le temps de s'approprier tranquillement les conseils qu'il venait de lui prodiguer. Finalement, il l'encouragea à recommencer de nouveau, mais se risqua cette fois à s'approcher un peu plus encore. Pour mieux la guider, sa main vint délicatement accompagner celle de son apprentie tandis qu'il approchait son visage du sien et portait son regard à hauteur de celui de la demoiselle. Le vampire corrigea légèrement la visée et lui laissa l'initiative de décocher lorsqu'elle estimerait le moment venu. Une nouvelle flèche fila bientôt dans l'air, mais au contraire des précédentes, celle-ci vint planter sa pointe dans la paille de la cible d'exercice. Certes, elle se trouvait encore plus proche du bord que du centre de son objectif, mais cette fois au moins, il y avait eu un net progrès dans cette direction. Le renégat vampirique eut un hochement de tête satisfait : avec un peu de pratique, la jeune débutante pourrait très certainement devenir une archère accomplie. Toutefois, il ne lui laissa pas savourer longtemps sa réussite, reprenant la parole d'un ton légèrement assombri pour profiter de la proximité qu'il était parvenu à installer, propice aux confidences :

« A quel point êtes vous proche de Lorenz, exactement ? »

Non pas que le vampire eut l'intention de monnayer ses conseils avec de quelconques renseignements, il n'insisterait pas si elle ne souhaitait pas répondre, mais il n'avait pu faire autrement que de remarquer l'attention toute particulière que le prince noir semblait lui porter et de nombreuses questions attendaient encore des réponses dans l'esprit du rebelle pacifiste. Alors, puisque l'occasion lui était donnée de les poser...

« Vous n'êtes pas obligée de me répondre, mais vous devez être bien consciente que lui et moi ne sommes pas les meilleurs amis qui soient. »

Et c'était encore loin, très loin de la vérité vraie.

Son sourire s’élargit en entendant la taquinerie de Kylian, et les yeux d’Ambre pétillèrent un instant de joie de vivre retrouvée. Il n’y avait rien de tel que plaisanter avec un inconnu, en toute innocence et sans méchanceté, pour récupérer son sourire, aussi furtif soit-il. Le vampire n’était pas bien épais, et il le savait. Qu’il ait été la victime de la maladresse de la demoiselle n’était qu’une malheureuse erreur dû à l’inexistence d’entrainement de cette dernière, qui en était toujours profondément désolée. Et comptait bien réparer cette erreur en réussissant ce que lui montrait avec tant de patience le faux jeune homme.

La seconde flèche traversa la distance qui la séparait du mur pour se planter directement dedans, semblant esquiver volontairement la cible. Elle était animée d’un contre-aimant, c’était impossible autrement ! Brusquement, elle perdit toute assurance et ses sourcils se froncèrent. Ainsi, elle ne serait jamais capable de se défendre seule. Et elle refusait de rester davantage à Aigue. Elle aurait dû s’entrainer plus tôt, elle s’en voulait maintenant, quand bien même passerait-elle la journée à cela elle n’en deviendrait pas pour autant une professionnelle. Ni même une véritable amatrice douée pour cet art. Mais elle n’avait pas le choix, et elle hocha la tête lorsqu’il lui assura qu’elle devait apprendre. Il avait raison, cela valait pour tout. Néanmoins, elle n’avait pas la possibilité de passer des mois à s’entrainer, elle. Et elle ne vivrait guère longtemps, en comparaison avec lui, qui venait d’envoyer sa propre flèche en plein centre de la cible. Les yeux brillant de fascination, Ambre porta sur l’ennemi de son ancien maitre un regard plein d’admiration, heureuse d’avoir trouvé un professeur aussi talentueux mais inquiète de lui faire perdre ainsi son temps. Il avait probablement mieux à faire qu’entrainer une pauvre humaine incapable de viser correctement un rond peint de rouge. Elle n’eut toutefois pas le temps de s’excuser pour cela qu’il lui faisait signe de recommencer et, silencieuse, elle obéit en tentant de faire le vide dans sa tête. La fois précédente, la flèche était partie trop haut, elle devait donc légèrement baisser son bras, mais rien ne lui garantissait que cela fonctionnerait. Un millimètre, ce n’était rien du tout ! Et dominer sa respiration était bien plus difficile que l’on pouvait l’imaginer. Elle devait respirer par le ventre en prenant soin de ne pas faire bouger ses bras et essayer de tracer par l’esprit la trajectoire de son projectile, mais tout en pensant à rien d’autre. C’était beaucoup, beaucoup plus difficile que tout ce qu’elle avait imaginé. Surtout quand un visage masculin venait se coller au sien.

Prenant la délicate couleur de la pivoine, Ambre observa du coin de l’œil le profil de Kylian. Il était plutôt séduisant… Mais l’espace d’un instant, ce fut un regard d’acier bleu qui vint se superposer sur les prunelles bien plus chaleureuses de son professeur. Mais non, Lorenz n’apparut pas pour autant à sa place. Il fallait vraiment qu’elle cesse de rêver. Laissant de côté ces sombres pensées, elle suivit le mouvement visuel de Wallam en tentant de comprendre comment il réussissait à visualiser sa direction et, lorsqu’elle fut à peu près sûre d’avoir correctement ajusté son tir et avec, lui sembla-t-il, l’approbation du vampire, elle lâcha pour la troisième sa flèche qui, cette fois, se planta dans la cible. Heureuse de ce petit progrès, la guérisseuse était toutefois bien consciente qu’elle ne serait probablement pas arrivée à pareille résultat sans l’aide du rebelle vampire. Elle pouvait surement continuer à s’entrainer seule dorénavant, après les précieux conseils qu’il lui avait donné.

-A quel point êtes-vous proche de Lorenz, exactement ?

Comment ? Mais pourquoi lui parlait-il de cela maintenant ? Sursautant, elle releva les yeux vers lui, avant de les rebaisser rapidement vers le sol et de s’éloigner pour aller chercher ses flèches, sans même regarder s’il n’y avait pas de deuxième elle qui risquait de manquer la tuer. Mais les autres archers étaient un minimum compétents et elle revint vers lui sans la moindre égratignure, ne sachant comment s’expliquer. Néanmoins il avait le droit de savoir et c’était sans doute parce qu’il était l’ennemi de Lorenz qu’il était le plus à même de l’aider.

-"Etiez", le corrigea-t-elle finalement. Nous ne le sommes.. plus.

Tête baissée sur l’arc qu’elle avait pointé sur le sol, elle tripota l’empennage de l’une de ses flèches avant faire la moue et de lui expliquer la situation, prenant une voix neutre quoi que tintée de tristesse. Les faits étaient ce qu’ils étaient, l’acceptation faisait partie des chemins de la vie qu’il était nécessaire d’mprunter.

-Vous n’avez rien à craind..re de moi. Je m’excuses si je vous ai fait croire que vous pouviez être en… danger. Le Prince et moi n’avons plus aucune relation, il est au bras d’une… vampiresse désormais, nous ne nous sommes plus vus depuis un.. mois.

Haussant les épaules, elle tripota inconsciemment la corde de son arc, jetant un regard autour d’elle et se rapprochant délicatement de Kylian pour terminer ses propos dans un murmure, lui faisant confiance malgré qu’elle ne le connaisse si peu, portant sur lui le même regard que lorsqu’elle confiait ses tourments à son frère ainé.

-Je voudrais quitter la ville, je ne peux plus rester. C’est pour cela qu…e je m’entraine, je dois être capable de me défendrrrre seule. Il y a des familles qui ont besoin d’aide, dehors, et c’est mon dev…voir de guérisseuse que de les aider.

Devant son regard surpris, elle rougit doucement, consciente qu’il devait paraitre totalement saugrenue pour son interlocuteur que la jeune fille fragile qu’elle semblait être, et était d’ailleurs, veuille ainsi s’éloigner d’une zone sûre.

-Je vous en prie, conclut-elle à voix basse en le fixant d’un regard suppliant, gardez cela pour vous. Je n’ai plus ma… place ici.

Puis, consciente de l’avoir suffisamment embêté, elle s’éloigna de lui et pencha la tête en signe de respect et de remerciement.

-Grâce à vous, je pourrais m’entrainer seule. Je vous re..mercie sincèrement pour votre aide.

Chacun avait ses propres occupations, et lui était un vrai soldat, avec sans doute de nombreuses tâches qui l’attendaient.

Patient, Kylian attendit silencieusement la réaction que susciterait sa question, suivant du regard la silhouette de la demoiselle. La démarche du vampire manquait singulièrement de délicatesse, il en était conscient et se préparait déjà à se voir répondre que cela ne le regardait pas, le tout souligné par une bonne gifle de circonstance. Par chance, ou simplement parce qu'il avait correctement estimé le niveau de confiance qu'il était parvenu à mériter aux yeux de son apprentie du jour, la réponse qui lui parvint finalement se révéla autrement moins belliqueuse que ce à quoi il aurait pu s'attendre. Devait-il s'en réjouir pour autant ? Difficile à dire, en particulier lorsqu'on prenait en compte la peine et la résignation subtilement sincères qui enrobaient le timbre de voix avec lequel s'exprimait la jeune fille. Visiblement, le renégat avait mis le doigt sur un sujet particulièrement sensible au coeur de la demoiselle, et comme si cela ne suffisait pas, ce même sujet devait faire rejaillir des souvenirs beaucoup plus personnels mais non moins pénibles à l'esprit du vampire. Soudainement beaucoup plus embarrassé, Kylian balbutia plus qu'il ne formula ses propres excuses.

« Ne vous excusez pas, c'est moi qui me suis montré excessivement méfiant à votre encontre. Injustement, je dois bien l'admettre et je m'en excuse : je ne voulais pas raviver un souvenir douloureux, je ne pensais pas... »

Qu'une humaine puisse regretter ne plus être en relation avec le prince vampirique, et ce quelle que soit la nature véritable de la-dite relation. C'en devenait presque perturbant que de prendre ainsi conscience qu'il y avait bel et bien des gens qui pouvaient éprouver un certain attachement, voire plus encore, pour un tel monstre. Ce qui l'était moins, en revanche, c'était d'apprendre dans le même temps que l'ancestral n'avait pas été long à aller soigner sa peine, si tant est qu'il fut jamais capable de ressentir un tel sentiment, dans les bras d'une autre. Incapable de ne pas faire le parallèle avec la situation dans laquelle se trouvait son propre couple, ou plus précisément ce qu'avait été son propre couple, Kylian ne se fit guère prier pour saisir l'opportunité qui lui était donnée de détourner le sujet de la conversation. Elle voulait quitter la ville pour apporter des soins aux familles dans le besoin ? Bien noble sentiment de sa part, et ce même si le vampire avait plus de raisons qu'il n'en fallait pour croire que sa principale préoccupation consistait plutôt à s'éloigner autant qu'il lui était possible de la source de sa peine. Qu'importe cependant, il ne lui appartenait pas de juger, lui-même n'avait pas spécialement brillé dans le domaine des relations humano-vampiriques. Le tout pour la demoiselle étant bien entendu de parvenir à échapper aux griffes d'un vampire qui même s'il prétendait le contraire, n'en resterait pas moins particulièrement attentif et possessif. Et pour avoir été lui-même confronté à une situation semblable, Kylian parlait ou plutôt pensait en toute connaissance de cause. Soucieux d'apaiser les tourments de la jeune fille autant qu'il lui était possible de le faire, le renégat s'empressa de la rassurer sur le silence qu'il observerait quant aux révélations qui venait de lui être faites :

« Cela restera entre nous, bien entendu. Merci de votre confiance. »

Ils semblaient en avoir terminé pour cette rencontre, aussi, sur ce dernier échange de remerciements, humaine et vampire se saluèrent avant que chacun ne s'en retourne à ses propres préoccupations. Leurs regards se croisèrent brièvement tandis que le renégat vampirique se détournait pour retourner aux préparatifs de son propre départ, mais il n'avait pas encore accompli plus de quelques pas qu'il s'immobilisa et ramena son attention sur l'apprentie archère qui reprenait déjà son entraînement solitaire. Son regard se fit songeur quelques instants, puis, ayant finalement pris sa décision, Kylian revint vers elle non sans au préalable prendre le soin de s'annoncer avec une toux légère. Empruntant le ton de la confidence avec lequel la demoiselle lui avait glissé ce qui lui pesait sur le coeur un peu plus tôt, il expliqua :

« Je vais moi-même quitter la ville prochainement, je dois me rendre à Gloria pour... retrouver quelqu'un que j'ai blessé. »

L'hésitation mêlée de honte qui accompagna les derniers mots était probablement plus palpables que le vampire ne l'eut souhaité, aussi préféra-t-il balayer rapidement cette partie de son discours pour en venir au point qui concernait plus spécifiquement celle qui se tenait devant lui.

« Si vous souhaitez un peu de compagnie lors de vos premiers jours à l'extérieur, retrouvez moi simplement ce soir, près des écuries. Prévoyez des vêtements et de la nourriture, au moins pour quelques jours, sans oublier votre arc et un carquois garni, évidemment. »

Ce pourrait être l'occasion pour elle de prendre quelques leçons d'archerie supplémentaires avant de prendre définitivement son envol, ce qui ne serait assurément pas un moindre mal, mais aussi et surtout, cela permettrait au renégat de s'assurer qu'aucun sbire du prince vampirique ne prendrait la jeune fugitive en filature.

Bien sûr, il ne pensait pas qu’Ambre ait pu regretter Lorenz, à moins qu’il soit étonné qu’une simple humaine tourne le regard vers un prince, vampire qui plus est. Il n’avait pas tout à fait tort et c’était la voix de la sagesse que de désapprouver un tel comportement, d’autant plus que la jeune fille n’avait même pas été sincère envers elle-même et ce depuis le début. Et quand bien même avait-elle accepté ce qui était évident, elle s’était réfugiée derrière la raison pour ne pas y faire face. Avait-elle eu tort ? Peut-être, à dire vrai elle n’en savait trop rien. L’on ne pouvait toujours vivre sans prendre de risques et jusqu’à présent le Dracos avait veillé sur elle. Mais sa vie avait été suffisamment animée pour qu’elle s’éloigne des bouleversements qu’elle avait connus. De toute façon, c’était maintenant trop tard. Quand bien même l’aurait-elle voulu, elle ne pouvait reprendre sa place, cette dernière était déjà occupée par une vampiresse des plus… aguicheuses, pour rester polie.
Balayant d’un revers de main les excuses de Kylian, elle le remercia de garder ainsi le silence avant de le saluer comme il se devait pour partir chacun de son côté.

-Merci pour vos… conseils et votre aide.

Sur une dernière révérence, elle tourna les talons pour rejoindre sa première cible, désireuse de continuer à s’entrainer avant d’aller grignoter un bout pour combler son appétit de moineau. Quand bien même n’avait pas réellement faim, elle savait parfaitement, en bonne guérisseuse qu’elle était, que partir à l’aventure le ventre vide et après avoir fait de l’exercice était une très mauvaise idée. Elle prendrait des provisions, bien sûr. Pas trop, afin de ne pas priver les bonnes gens de la ville de leur pitance, mais assez pour ne pas manquer mourir de faim au bout d’une semaine. Il ne lui serait pas difficile de se rationner, après tout. Quelques fruits secs si possibles, du pain, un peu de viande séchée, cela ferait l’affaire. Le plus important étant, bien évidemment, ses plantes. Elle allait devoir faire un tour au marché noir avant son départ…
Plongée dans ses réflexions, elle atteint finalement son but, pivotant la tête pour se détendre et se massant l’épaule droite, peu habituée à ce type d’épreuve un peu physique, avant de bander son arc et de préparer sa flèche. Se concentrant, elle réussit cette fois encore à atteindre la cible, mais là encore tout à fait à l’extrémité, la pointe aiguisée étant à la limite de la bordure de la dernière couleur. Autant dire qu’elle n’allait pas aller loin avec ce type de tir. Sa vie aurait-elle été en jeu qu’Ambre serait déjà morte. Repartant chercher précautionneusement son bien, elle se remit en place en se positionnant derechef, sursautant en entendant du bruit derrière elle. Kylian ? Le regard interrogateur qu’elle lui porta, non sans avoir pris soin auparavant de baisser son arme, fut rapidement récompensé par une explication des plus plaisantes. Elle ne partirait donc pas seule ! Emplie de gratitude, elle le remercia vivement en le regardant s’éloigner de nouveau, un léger sourire aux lèvres. Cet homme, ou plutôt ce vampire, était d’une gentillesse et d’une attention des plus rafraichissantes. Il brisait la froideur habituelle des siens pour laisser place à un être tout de délicatesse et de sensiblerie, d’autant qu’il semblait un très bon guerrier. Avec lui, elle n’aurait pas peur de s’enfuir et n’aurait pas à craindre quoi que ce soit des autres vampires. Elle espérait simplement que Lorenz ne l’apprenne pas, quand bien même ne lui appartenait-elle plus, il pouvait prendre comme un affront le fait qu’elle ne s’échappe avec son pire ennemi…


La nuit était tombée, sans doute. Elle avait dû recouvrir de ses longs bras sombres tout le continent, plongeant dans le silence arbres, animaux, villes, toute chose qui pulsait de vie. Et même sans que ses habitants ne la voient arriver, Aigue-Royal s’endormait. C’était une bonne heure pour s’échapper.
Terminant d’installer ses sacoches sur sa jument, Ambre attendait calmement son guide, en profitant pour vérifier qu’elle n’avait rien oublié. Ni nourriture, ni vêtements chauds, ni arme. Le principal était là. Avec lui, elle emportait ses livres, ses plantes, quelques bricoles qui pouvaient servir ou auxquelles elle tenait. Tous les bijoux, les robes, offerts par Lorenz, elle les laissait sur place. Inutile de s’encombrer inutilement, elle n’avait pas besoin de faire impression là où elle allait. L’utile était de loin préférable. Ce n’était pas pour rien qu’elle avait fait un ultime tour au marché noir, simplement pour vérifier qu’elle n’avait besoin de rien d’autre mais s’efforçant d’être aussi discrète que possible. Inutile de dire qu’elle était très nerveuse. Heureusement, la douce présence de Medlinya était là pour la rassurer.

-Sire Wallam ? Appela-t-elle doucement en apercevant sa silhouette un peu plus loin. Je su..is ici !

Le voyant arriver à sa hauteur, elle soupira de soulagement avant de crisper ses mains moites sur les rennes de sa jument. Elle avait l’impression d’étouffer, dans son corsage en soie d’araignée, et pourtant elle savait qu’il était à sa taille. Elle devait simplement se calmer…

-Ne risqu..ons-nous pas de nous… faire remarquer ?

Parlant à mi-voix, elle prenait garde à les oreilles qui pouvaient trainer ne les entendent pas. Puis, obéissant promptement à ses ordres, ils sortirent aussi discrètement que faire se pouvait de la ville, allant saluer la lune et les étoiles qui semblaient les fixer avec bienveillance. A leur grand soulagement, ils n’eurent aucun mal à quitter la ville, et la jeune fille souffla de soulagement à l’idée de ne plus avoir à s’inquiéter d’un certain vampire. Elle était totalement libre. Après un regard malicieux à Kylian, elle talonna son amie à quatre pattes pour s’élancer dans la plaine, savourant le vent qui sifflait dans ses cheveux et les odeurs de nature.

-Cela fait… du bien, de se trouver en… plein air, n’est-ce pas ?

Sans regret. Elle pouvait sourire de tout soûl, elle s’inquièterai plus tard des difficultés qui l’attendaient.

La présence d'un vampire rôdant aux alentours des écuries passait difficilement inaperçue et pour cause : les nobles équidés qui y séjournaient ne manquaient pas la signaler à qui voulait entendre leurs hennissements effrayés. Les palefreniers et autres maréchaux-ferrant qui occupaient les lieux à toute heure du jour ou de la nuit ne manquaient d'ailleurs pas jeter des regards méfiants voire franchement hostiles au responsable d'un tel remue-ménage. Ce dernier, pour sa part, s'efforçait de ne pas y accorder plus d'attention que nécessaire : l'amulette que lui avait remise Korentin lui garantissait une certaine tranquillité vis-à-vis de la garde, et le vampire pouvait ainsi se concentrer sur ses derniers préparatifs. Plus vite il partirait d'ici, mieux cela vaudrait pour tout le monde, le tout à présent était d'en convaincre la monture qui occupait le box face à lui. Avec sa robe aussi noire qu'un morceau de charbon, le cheval qui lui avait été attribué se fondait presque totalement dans l'obscurité des écuries et ne faisait montre de sa présence qu'au travers du martèlement nerveux de ses sabots contre la pierre et le bois de son abri, lequel s'accompagnait d'un souffle bruyant.

« Je sais que tu n'as pas confiance en moi, mais j'ai vraiment besoin de toi. Je ne te ferais aucun mal, alors calme toi. »

Il était probablement le premier vampire à murmurer à l'oreille d'un cheval, mais au rythme de ses tentatives d'approcher de sa monture, il avait remarqué que lui adresser la parole sur un ton calme et posé semblait aider à tranquilliser la bête. Tout en parlant, Kylian s'approchait lentement, les doigts serré sur le pendentif qui ornait son cou: une chaîne de l'esprit, enchantée spécialement pour l'occasion, qui devrait lui permettre de se faire accepter du paisible herbivore. Finalement, les coups de sabots s'estompèrent et le destrier retrouva lentement une respiration plus silencieuse, l'enchantement et les heures que le renégat avait passées à accoutumer l'animal à sa présence portaient leurs fruits. A tel point qu'il fut bientôt en mesure d'approcher la main pour glisser une timide caresse dans le cou de la monture et refermer les doigts sur les rennes dont il usa pour guider lentement mais sûrement le cheval à l'extérieur des écuries.

« C'est bien, c'est très bien. Tu vois, il n'y avait aucune raison de s'inquiéter. »

Aucune raison, non, mais le renégat vampirique n'en laissa pas moins échapper un soupir de soulagement en constatant qu'il était à présent capable de monter son destrier sans que celui-ci ne paniqua. Dracos soit béni, après des jours de ces pénibles préparations, il allait finalement pouvoir partir pour Gloria et y retrouver la princesse. Auparavant cependant, il avait encore une dernière tâche à accomplir, une promesse qu'il se devait d'honorer vis à vis d'une jeune humaine adepte du tir à l'arc. De cette même humaine que le vampire retrouva d'ailleurs un peu plus loin, à l'endroit convenu pour leur départ, nerveuse autant qu'impatiente à en juger par le rythme de ses battements cardiaques et le timbre de sa voix. Empruntant le ton à peine murmuré qu'elle avait employé pour s'adresser à lui, il lui confirma rapidement son identité avant de la rassurer :

« Des éclaireurs à cheval entrent et sortent de la ville régulièrement, il nous suffit de nous faire passer pour deux d'entre eux et nous n'éveillerons pas les soupçons. De plus, j'ai un petit atout dans la manche pour franchir les postes de garde sans que l'on ne nous pose de questions. »

Joignant le geste à la parole, il lui montra l'amulette de Korentin, encore une fois. Marquée du sceau des Kohan, le bijou serait, à en croire les dires du souverain, un laisser-passer particulièrement convaincant auprès des gardes rebelles, et peut-être même auprès des loyalistes les plus naïfs. Par chance, le dragonnier d'émeraude ne s'était pas trompé et les deux cavaliers purent quitter les galeries sans encombre... ou presque.

Ils chevauchaient depuis quelques minutes à peine, filant à travers les plaines au son des sabots martelant le sol, lorsque la demoiselle décida de rompre le silence qui s'était installé entre eux. Elle appréciait le grand air et Kylian partageait volontiers ce sentiment, mais le vampire ne parvenait pas pour autant à se défaire d'une étrange sensation de malaise. Laquelle se confirma d'ailleurs rapidement, trop rapidement peut-être, tandis que son ouïe acérée percevait le son caractéristique d'un lointain galop derrière eux.

« Nous sommes suivis. »

Affirmation nette qui n'appelait à aucune contestation, prononcée sur une voix que le vampire avait voulu calme et maîtrisée pour ne pas laisser transparaître les multiples doutes qui s'étaient invités dans son esprit sitôt qu'il avait eut conscience de leur situation. D'un geste, il désigna un bosquet dont les silhouettes des arbres apparaissaient au loin.

« Vers les arbres ! Ce sont des destriers vampiriques, nous ne parviendrons pas à les semer en rase campagne. »

Même en forêt, il ne serait pas aisé d'échapper au flair de leurs poursuivants.

Ils avaient réussi, ils s'étaient échappés. Le vent sifflait dans leurs cheveux et soufflaient contre leurs oreilles, comme s'il venait les agresser et leur reprocher cette fugue inconsciente. Et pourtant, Ambre ne regrettait rien. Certes un petit pincement au cœur se faisait sentir quand elle songeait qu'elle s'éloignait définitivement de ce qui avait composé sa vie pendant plusieurs mois, et de plusieurs années même si elle comptait tout le camp vampirique.
Tournant la tête quelques instants vers son compagnon de fuite, la guérisseuse se demanda ce qu'il ressentait, ce à quoi il pensait. Il avait une part de mystère en lui, mais moins sombre que la plupart de ses congénère. Comme s'il n'était pas vraiment vampire, et qu'il avait conservé une part de sa douceur humaine (que certains hommes, d'ailleurs, avaient eux mêmes perdu). Elle aurait été curieuse, elle devait bien l'avouer, de voir ce à quoi il ressemblait avant sa transformation. Elle ignorait pourquoi mais elle l'imaginait en jeune homme timide, sérieux et travailleur. Il en avait le visage. Un poète incompris? Peut-être. Un petit meunier solitaire? Possible. Lui-même ne le savait peut-être même plus. Elle l'avait pourtant aperçu, quelques minutes plus tôt, apaiser sa monture d'une fragile caresse. Et pourtant, n'était-il pas sensé provoquer la peur en cette dernière? Les buveurs de sang n'appréciaient guère les animaux, et ces derniers le leur rendaient bien, d'après ce qu'en savait Ambre. A moins que ce ne soit simplement parce que la plupart étaient trop brutaux. Bref, Kylian était une fascinante énigme, mais la jeune fille était heureuse et rassurée de se savoir sous sa protection pendant quelques jours. Quels que soient ses secrets, il semblait digne de confiance.

S'agrippant à la crinière de sa jument, la petite humaine fronça les sourcils en entendant son guide l'avertir qu'ils étaient suivis. Tournant la tête autant qu'elle put et faisant entièrement confiance à Medlinya pour la guider, elle sentit la peur l'étreindre doucement en apercevant quelques silhouettes qui se découpaient dans la lueur de la nuit. Pourquoi les pourchassaient-ils? Et pour qui? Était-ce Wallam qui était leur cible, ou bien elle-même? Dans un cas comme dans l'autre, Lorenz devait être à l'origine de tout cela. Souhaitait-il l’empêcher de partir? Non, probablement pas. Il avait sans doute oublié jusqu'à son existence. Dans ce cas... La mort de l'ennemi juré du prince autoproclamé était sans doute l'objectif de cette traque.

La chevauchée se poursuivit un certain temps, les deux proies progressant rapidement et en silence en direction du bosquet dans lequel elles se mirent à l'abri, Ambre profitant de leur légère avance pour s'emmitoufler dans son manteau de brume en intimant l'ordre à Medlinya de ne pas broncher. Ceci fait, elle tendit le doigt vers une zone de terre à l'orée du petit bosquet et laissa filer sa magie, provoquant une zone plus boueuse où les chevaux vampiriques pourraient s'enliser sans mal, ralentissant ainsi leur course. Puis, fermant les yeux en levant la tête, elle écarta les bras et fit naître un épais brouillard qui la laissa épuisée. Mais au moins avaient-ils le temps de fuir. Talonnant leurs montures en silence, les deux cavaliers partirent à toute allure, guidés par Kylian qui semblaient savoir où aller. Ils ne s'arrêtèrent tout à fait, après avoir alterné allure lente et plus rapide, que lorsque le vampire, plus sensible que ses habituels congénères, remarqua que la petite humaine qui l'accompagnait commençait à fatiguer, n'ayant pas l'endurance d'un sang-froid. Ce fut donc soufflant de soulagement qu'Ambre s'allongea au sol, le regard tourné vers les étoiles, tandis que son protecteur momentané s'assuraient qu'ils n'étaient plus suivis. Le sol était très inconfortable, après le temps passé sur de vrais lits. Mais qu'importait. Les constellations formaient le plus merveilleux plafond que la jeune fille n'ait jamais connu, semblait-il. Un léger sourire traversa son visage enfin apaisé: l'air frais lui avait manqué. Elle avait peur, mais elle ne pouvait nier être excitée de la nouvelle vie qui l'attendait. Tournant l'espace de quelques instants son attention vers le "vampire civilisé", comme elle l'avait surnommé en elle-même, elle le remercia pour toute l'aide qu'il lui avait offerte et lui souhaita bonne nuit en lui demandant de la réveiller sans hésiter s'il voulait à son tour souffler un peu. Ceci fait, elle ferma les yeux et se laissa porter en douceur: les rêves n'attendaient pas.