Elle ressentit de l’amusement à le voir vexé qu’elle lui demande cette aide. Ah oui, ils étaient fait pour s’entendre, cela ne laissait guère de doutes… Mais elle était quand même contente qu’il accepte si facilement. Après tout, il fallait être idiot pour ne pas avoir compris que le vampire avait une autre attache qui le partageait en deux. Il aurait pu préférer repartir vers elle. Mais non. Un premier pas sur la voie de leur union, sans nul doute. Ils iraient donc ensemble. Un soulagement. Elle ne pensait vraiment pas être capable de retourner là-bas autrement… trop de mauvais souvenirs. Même si les dragons n’avaient pas les mêmes notions de sentiments et ressentis que les créatures bipèdes, le trouble qui envahissait son esprit quand elle pensait à ce lieu ressemblait fortement, à ses yeux, à de la répugnance. Le laissant l’escalader pour s’installer proprement, comme il avait pu déjà le faire, elle resta pensive de longs instants avant que sa voix ne la sorte de sa contemplation. < Tu n’auras pas besoin d’un artisan à mon avis… > affirma-elle, lointaine pour l’occasion et tiède à l’idée de s’épancher plus sur le sujet. Elle n’était pas certaine de ce qu’ils pourraient trouver à destination, après tout. Un bipède avait pu trouver l’emplacement… Mais si tout était resté sur place, alors Kylian trouverait certainement tout ce dont il avait besoin pour son nouveau rôle de dragonnier. Elle déplia finalement les ailes et se souleva du sol en repliant la patte qui portait son passager, de sorte qu’il ne soit pas éjecté ou balloté. Les vampires étaient résistants, mais un saut d’une hauteur pareille le tuerait tout de même définitivement. Une fois qu’elle se fut élevée, elle gronda une dernière fois et répondit.

< Voir mon passé, Kylian. Voir mon passé > Puis elle se détourna de l’océan et repartit sans se presser vers l’intérieur du continent….

Le voyage était simple et sans évènement. Elle volait relativement haut, de sorte que le paysage semble minuscule. Hors de portée des flèches et des armes de sièges des bipèdes. Skade ne se cachait pas, n’en ayant nullement l’usage, aussi passèrent-ils successivement au-dessus d’Aldaria puis de Gloria sans chercher à se détourner. Son vol était tranquille et stable, les lourds ailes la portant sur des lieux innombrables. Encore une fois, elle goûtait le plaisir d’avoir été soignée par une magie réellement capable de la soulager. Se fiant à sa mémoire, elle allait sans discontinuer, refusant de se poser. Le trajet que certains dragons effectuaient en deux semaines ne lui prit pas plus de quatre journées consécutives. Au bout de la troisième journée, ils abordèrent le désert d’Esfelia, et Skade cacha le vampire de son mieux alors qu’elle fonçait aussi vite que sa vieille blessure le lui permettait pour éviter qu’il ne cuise complètement sous la chaleur. Sous eux, la terre verte et fertile enrubannée de cours d’eaux scintillants des terres humains avait laissé place à l’immensité de velours doux du sable du désert. Jaune… il y avait du jaune à perte de vu, défilant tellement vite qu’il en devenait flou pour le regard. Une mer de sable s’étirant à l’infinie… avec pourtant une fin. A nouveau, la terre changeant, se fit rocheuse, alors que les silhouettes des montagnes apparaissaient. Enfin un environnement dans lequel elle était à son aise. Ici, le gigantisme était de mise. Et elle était parfaitement assortie au décor. Pourtant, les retrouvailles avec son domaine favori ne lui réjouissaient pas tant le cœur.

Elle était restée presque complètement silencieuse pendant tout le trajet, et à présent, elle s’enfonçait littéralement dans les recoins de son esprit alors que ses ailes les portaient dans l’étreinte des montagnes, plus loin qu’aucun bipède n’était jamais allé. Contournant des pics acérés, elle piqua finalement avec lenteur vers une vallée déchirée et encaissée, au fin fond de ce domaine de pierre et de gel. < Nous sommes arrivés… > se força-t-elle à dire, alors qu’elle ralentissait le battement de ses ailes et se redressait, s’apprêtant à entamer sa manœuvre d’atterrissage. L’air se mit à vibrer plus intensément. < Je n’ai pas souvenir qu’aucun bipède se soit trouvé ici avant toi, hormis…. Mais cela a pu changer, depuis mon départ > avec un choc léger, ses pattes se posèrent enfin et elle bascula vers l’avant, se reposant sur ses antérieurs, lentement. A nouveau, elle se tue, observant les environs. Non, rien n’avait changé. Elle n’aimait pas revenir ici, même si c’était nécessaire. La vallée et même les montagnes toutes entières portaient la trace de combats gargantuesques. Et pour cause. Les combats ayant fait rage en ces lieux avaient été d’une rare violence. Et la carcasse gisait toujours, au centre même de la vallée, là où elle était tombée. La chair n’était plus, putréfiée depuis longtemps, mais le squelette lui était là, de même que les écailles dispersées, certaines broyées, brisées, d’autres intactes… Les restes du cadavre portaient toujours leur immense armure scintillante. Elle avait eu raison… tout était encore là. L’armure, la selle, les sacoches pleines d’objets certainement et de vivres à présent immangeables. Rien n’avait fondamentalement changé. L’atmosphère était toujours aussi lourde et pleine de relent de rage et de peine.

Restant à l’entrée de la vallée, elle observait fixement le cadavre, ne bougeant plus. Comme si l’autre géant pouvait encore se relever et tenter de combattre à nouveau. Ce n’était nullement le cas, mais après tant d’années, elle regrettait les circonstances qui avaient pu perdre cette dragonne. Si elle n’avait pas été liée, rien de tout cela ne l’aurait tué. Mais elle l’avait été. Et à présent c’était elle, Skade, qui avait un futur lié. Mais elle ne voulait pas finir ainsi. < Voilà… je crois que tu trouveras tout ce qu’il nous faut, ici… peut-être même bien davantage encore. Son dragonnier était un prince elfique, il aura certainement conservé dans ses sacs des choses intéressantes pour toi >

Elle regrettait moins que jamais de l’avoir emmené. Il n’en avait peut-être pas conscience mais sa présence, aussi minuscule soit-elle, l’aidait tout de même énormément. Jamais elle n’aurait réussi à revenir en ces lieux autrement. Sa présence à ses côtés ressemblait au sceau de cette future union à laquelle ils prétendaient tous deux. Il y avait plus que des restes en ce lieu. Il y avait sa mémoire et celles d’autres créatures. Toutes s’entrecroisaient sur les mêmes images, celles d’une bataille titanesque s’étant déroulée ici-même… Elle se souvenait avec beaucoup de vivacité et d’intensité, de ce passé à présent lointain. Etrange, comme après tant d’années et la traversée par deux fois d’un océan, elle pouvait encore éprouver les émotions propres aux dragons qui l’avaient étreinte pendant cette mortelle danse. Elle se souvenait de la douleur vive de sa blessure, des forces qui la quittaient malgré une rage sans précédents. Elle se souvenait de sa détermination à vivre quoi qu’il lui en coûte. Elle se souvenait des chocs, lorsqu’elle échangeait des coups avec Aeuda, du crissement de ses griffes sur l’épaisse armure. Elle se souvenait de la pression de l’air dans ses ailes, et de la force désespérée qu’elle mettait dans ses coups. L’énergie de la dernière chance, de l’ultime espoir avant la fin. Elle se souvenait des sorts qui ricochaient sur elle et de la voix tant haïe de Faelin jurant en lange elfique chaque fois qu’il ratait ses attaques. Elle se souvenait de la sauvage satisfaction que cela lui donnait, de penser que sans sa dragonne, il n’était pas autre chose qu’un vermisseau de mange-feuille incapable de se défendre, une vulgaire proie…. Avait-il réussit à revenir auprès des siens, à quitter les montagnes ? Elle ne savait pas mais espérait profondément. Qu’il porte auprès des siens l’avertissement qu’elle avait alors lancé, en le laissant en vie mais l’âme en morceaux, déchirée. Pourtant cette mémoire lui était une blessure et un fardeau… Un fardeau que Kylian chassait de sa présence et de cette voix qui retentissait, aux accents si étranges sur l’instant.

La surprise était-elle à l’origine de ses balbutiements ? Ou bien l’appréhension ? Ou autre chose encore ? Dans un décor pareil, elle n’aurait su dire avec précision mais la question l’intéressait. Elle cligna de ses grands yeux et recentra toute son attention sur lui, évitant de se perdre de nouveau dans les limbes de sa mémoire millénaire. Son affirmation le surprit. Pas par l’audace mais parce qu’il avait frappé très juste. En plein dans ses angoisses, exactement dans ce qu’elle pensait. Encore une preuve si besoin était, qu’ils se destinaient l’un à l’autre. Mais… elle n’était pas comme elle ? Oui peut-être. Elle n’avait pas choisi un elfe, ça c’était certain. Etait-elle différente d’Aeuda cependant, est-ce que cela suffisait pour dire qu’elle l’était ? Il y avait plus profond tout de même. Leurs esprits étaient-ils différents alors ? Oui… sans doute que oui. < Merci…. > Elle laissa le mot raisonner un moment avant de poursuivre < C’était une puissante dragonne, Aeuda. Même si elle était née pour se lier à un mortel. Elle aurait dû être sauvage. Oui Elle aurait dû. Je ne comprendrais jamais comment elle a pu laisser son dragonniers commettre autant d’atrocités. Ça me dépasse, je ne parviens pas à comprendre… elle pouvait l’en empêcher et pourtant elle n’en faisait rien. Est-ce que l’amour d’un lié peut conduire à de pareilles choses ? Je sais que je serais incapable de supporter ça. Ce qu’a fait Faëlin, je sais que tu ne le feras pas, mais si seulement ton chemin devait prendre la couleur du sien, serais-je seulement capable de t’arrêter ? J’espère en avoir la force, mais je sais aussi ce que signifie avoir un lié. J’ai vu son visage lorsque je lui ai pris Aeuda, Kylian… j’ai vu l’agonie dans ses yeux, j’ai vu la terreur, la solitude, la souffrance, une souffrance plus terrible que tout ce que je pouvais même imaginer > Grondant devant tant d’incohérence venant d’elle-même elle secoua la tête < Non je ne laisserais pas cela arriver. Je te guiderais, ce que je peux voir dans ton âme je ne saurais le renier >

Etrange instinct que celui qui lui faisait affirmer tout cela. Sans doute était-ce lié à cette chose qui avait tenu Kylian occupé pendant le voyage vers ce lieu. Elle savait parfaitement reconnaître la magie baptistrale et cela l’avait intrigué qu’il possède un artefact quelconque provenant des chanteurs. C’était intriguée qu’elle avait approché son esprit. Mais elle ne l’avait pas dérangé, et s’était montrée incapable de savoir ce qui se trouvait dans le diamant. Elle savait à quoi il servait mais pas ce que celui-ci précisément pouvait porter, la magie était trop différente, singulière et complexe. Tout ce qu’elle savait, c’était ce que son instinct lui disait et il lui disait que ce que cette chose contenait n’était pas forcément bonne… <Je vais prendre son armure. Elle me revient après tout je l’ai gagnée… >

Elle suivait sa progression avec attention, en retrait afin de lui laisser le champ libre. Bien entendu, il aurait pu avancer plus vite sur sa patte, mais il valait mieux qu’il avance par lui-même… d’autant qu’elle n’avait pas grande idée de la distance qu’elle pourrait parcourir sans véritable soucis. Parviendrait-elle jusqu’à l’armure qu’elle convoitait ? Il le faudrait. Elle tenait à cette armure plus qu’elle ne l’avait cru, quand bien même l’idée de se glisser dedans ne lui paraissait pas agréable… c’était ce qu’elle devait faire, elle le savait d’instinct. Et son instinct ne la trompait jamais. Il fallait qu’elle parvienne jusque-là, mais si possible sans écraser son futur dragonnier au passage. Elle le voulait entier et pas transformé en une purée informe sur le sol de ce lieu maudit. Oui maudit… avec ces reliques et le sang versé, la magie dilapidée, la haine palpable après tant d’années. Ce lieu n’était pas bon, pour tout ce qu’il avait vu et ce qu’il représentait. Si elle avait pu l’éviter elle l’aurait fait mais ce n’était pas le cas. Une dernière fois, la vallée verrait son ombre. Une unique fois, bien suffisante. En attendant, elle veillait à ce que son vampire domestique n’aille pas glisser sur une écaille traitreusement ensevelie. < Moi aussi > l’assura-t-elle d’une voix profonde. Oui elle aussi voyait ses souvenirs remonter, revoyait la scène… Il était donc naturel qu’il le ressente aussi même de façon diffuse. Ce n’était pas ce qu’elle aurait voulu, ce n’était agréable pour personne… mais encore une fois, cela lui semblait juste, qu’il puisse même effleurer son passé, dans toute sa sauvage crudité. Elle laissa le silence s’installer le temps qu’il reprenne la parole. L’écoutant alors qu’il reprenait son exploration, elle lui caressa l’esprit d’une vague à la fois déterminée et rassurante. Elle ferait ce qu’il fallait… Jamais elle ne deviendrait comme Aeuda. Elle ne le voulait vraiment pas. Bien entendu, elle ne voulait pas non plus que Kylian devienne un fol assoiffé de sang et de pouvoir.

Mais elle savait également que les choses n’étaient jamais simples. Kylian avait un bon fond, et ce qu’elle voulait dire par là n’avait rien à voir avec les conceptions étriquées des mortels. Ce que Kylian était allé au-delà des notions que pouvaient avoir des mortels bipèdes… Et ce qu’elle attendait de lui, qu’il ne faisait qu’observer de très loin pour le moment, cela était bien autre chose qu’un simple bienfait. Mais le fait qu’il possède cela en lui ne signifiait pas pour autant qu’il était incapable d’actes mauvais. Un acte mauvais n’effaçait pas un bon, et un bon ne pardonnait pas un mauvais, chaque chose avait une égale proportion… Elle ne voulait pas le voir se perdre sur un chemin pavé de destruction, c’était certain. Cela fanerait la lueur au fond de son âme alors qu’elle voulait la voir grandir et prospérer. Pour l’instant, cependant, il était trop tôt pour une quelconque réelle et physique angoisse. Kylian n’avait encore rien fait pour se diriger dans la mauvaise direction, à moins que cette histoire de magie Baptistrale ne soit plus sérieuse qu’elle ne le percevait en l’instant. Il faudrait qu’elle l’interroge là-dessus à l’occasion, mais pas pour le moment, une chose à la fois. Le laissant à ses sacs, elle approcha de l’armure. Approchant le museau, étendant son long cou sinueux, elle vint renifler l’armature avant d’essayer de se glisser dans la coque centrale. A la mention d’une aide, elle répondit d’un grognement étouffé par la plaque de métal sur son nez mais n’en fut pas moins d’une reconnaissance teintée d’agacement à l’idée de ne pas être capable de s’occuper elle-même de son armure. Elle consentit tout de même à prendre la parole. < Je vais te monter… tu peux manipuler l’armure facilement pour la moduler à ma taille, elle est faite pour >Elle le hissa effectivement là où il serait le plus bienvenu et le laissa remonter sur les épaulières.

Lentement, guidée par Kylian, elle put dégager les restes de son antique ennemie et se glissa promptement dans l’armure, sentant les dimensions changer par magie pour s’adapter à son corps énorme. La tâche n’était pas aisée pour enfiler tout ce métal mais avec l’appui de son futur lié, elle réussit finalement à entrer totalement dedans et parvint à étirer les ailes une dernière fois pour ajuster les plaques qui les couvrait. L’ensemble l’enserrait mais n’était pas particulièrement lourd, contrairement à son efficacité. La sensation était étrange, tout de même. Jamais auparavant elle n’avait porté d’armure mais celle-ci lui semblait parfaitement adaptée, ce qu’elle était en raison de ses enchantements… comme si elle lui avait été destinée dès le départ. Pourtant savoir qu’elle avait été porté par Aeuda rendait le tout bien moins plaisant, tout comme de savoir que cette chose, aussi prodigieuse et utile soit-elle, été l’œuvre de mortels. <Je pense…. Pas trop tôt ! > Un peu ronchonne, elle secoua sa tête lourde, sentant la pression des plaques d’armure sur elle dans le mouvement. Alors que Kylian tirait la dernière sangle, une clarté éblouissante aspergea les environs comme un feu irisé, colorant l’atmosphère même de chatoiement miroitants et éclatants. Elle avait déjà vu cette luminescence, cependant, et ne s’en offusquait pas, bien au contraire. La magie de l’armure était pleinement à l’œuvre, comme au premier jour. Elle le ramena effectivement au sol, se sentant même impatiente d’avoir son avis. Ce n’était pas un ornement de jeune mortelle qu’elle portait là, c’était le fruit d’un art et d’une magie perdue depuis très longtemps et qui venait glorifier ce qu’elle était. Elle se releva, s’installant en hauteur, relevée, et l’observant de ses yeux irisés, illuminant la vallée par le port de l’armure.

Silencieuse et expectative, elle attendit qu’il se livre, accrochée à ses paroles. Et ce qu’il lui partagea la fit gronder de satisfaction, alors qu’un puissant sentiment chaleureux naissant dans toute sa gargantuesque silhouette. < Merci > chuchota son esprit avec une grande douceur. Il appréciait, elle ne pouvait donc qu’être satisfaite. Et ainsi elle le protégerait mieux encore car ses propres blessures ne seraient plus laissées à découvert. Cependant, en le voyant perdre son sourire, elle pencha sensiblement son énorme tête sur le côté, faisant légèrement tinter les plaques de son armure. Elle resta un instant silencieuse avant de répondre. Une telle réponse était dure. Son instinct premier aurait voulu condamner cet elfe qu’elle détestait, mais cela allait plus loin que ça. < Je pense qu’il se fichait que ce soit mal ou bien. Il était fou et extrémiste. Il ne pensait qu’à son peuple et haïssait les vampires plus que tout… ça en devenait une véritable folie. Il avait pris le goût du sang comme un dragon et il était aveugle à tout ce qui n’était pas les elfes. C’était un briseur d’œuf et un être sanglant. Je pense qu’il savait qu’il apportait souffrance et mort… mais qu’il ne le voyait pas comme un mal puisque c’était pour sa propre cause. C’est une pensée classique de beaucoup de bipèdes à ce que j’ai pu comprendre. Certains dragons pensaient également ainsi, des liés pour la plupart. Je n’ai jamais aimé les approcher, mais j’en ai croisé, à l’époque… pendant le déclin > Elle marqua une pause, puis continua < Ils savaient ce qu’ils apportaient mais refusaient de cesser, entraînés dans les querelles des mortels pour préserver leurs dragonniers>

Elle fit jouer ses ailes et les rabattit, ayant un peu moins d’aisance en raison de la couche métallique qui la couvrait désormais. < Mais je ne pourrais pas jurer de Faëlin… son esprit était brouillé et cacophonique. Puant de folie….> Elle observa attentivement le vampire < Le mal et le bien sont des concepts purement bipèdes. Néanmoins je pense… que tu sauras les chemins qu’il ne faut pas emprunter. Tu n’as rien de Faëlin… pour commencer, tu n’es certainement pas un elfe, ou je t’aurais croqué ! > Elle le taquinait seulement un peu, sa queue battant l’air lentement < Non tu n’as rien de lui… Je crois qu’il était définitivement perdu. Le pouvoir à cet effet. Il se pensait invincible et dans son droit… c’était une erreur. Lorsque je lui ai enlevé Aeuda il a finalement comprit, du moins je l’espère. Aujourd’hui, je brûle ce qui reste de tout cela et je fais naître un nouvel avenir, le nôtre. Désormais c’est nous qui écrirons des légendes… mais si je suis à présent bien protégée, tu ne l’es pas encore. Allons, regarde dans ces sacs, je pense qu’il y aura sans doute quelque chose d’au-moins égal à mon trophée… > Elle lui caressa à nouveau l’esprit, désireuse d’avancer et de ne pas s’attarder sur le spectre de cet elfe décédé pour toutes les mauvaises raisons.

Elle savait l’avoir troublé. Mais si elle pouvait regretter de lui imposer à demi-mot ce trouble elle était également satisfaite qu’il le ressentit, au moins cela prouvait qu’il était sensible à ce qu’elle disait et aux implications que cela avait. Au moins s’interrogeait-il. S’il gardait cela en tête, il y avait des chances qu’il évite de tomber dans le piège de certitude qui avait condamné l’elfe dragonnier… Elle n’avait jamais douté qu’aux yeux du peuple des bois, Faëlin fut un héros, c’était d’ailleurs en grande partie pour cela qu’elle détestait les sylvains qui refusaient de voir que cette créature avait été un monstre et une abomination. Parce qu’ils ne voyaient pas plus loin que leurs propre confort et parce qu’il se fichait éperdument du reste du monde. Et aujourd’hui cela leur jouait des tours, tant mieux. Mais elle ne voulait jamais voir son vampire agir de la même façon que l’elfe, cela l’aurai très certainement achevé… ou alors elle l’aurait achevé, elle ne savait pas encore, sans doute un mélange des deux. Avec un renâclement amusé et un peu ironique, elle accueillit ses paroles. < Je ne te ferais pas croire le contraire, mais ne va pas me croire bipède non plus. Mon cœur est celui d’un dragon. > Un grand cœur de dragon n’était pas un grand cœur de bipède, elle restait une créature ancestrale dont les sentiments n’avaient rien à voir avec les mortels et dont les considérations les dépassaient de loin. Cependant, cela ne l’empêcha nullement de lui souffler affectueusement dessus et de lui caresser l’esprit au remerciement. Il était un cas à part quoi qu’il se passe, une anomalie dans ses relations avec ce monde puisqu’il était son dragonnier, sa personne rien qu’à elle, l’être nait pour accompagner son âme. Un être qui été nait bien après elle mais dont l’âme, au travers même des années, avait atteint la sienne semblait-il, en un miracle de magie qu’elle ne comprenait pas et n’acceptait encore qu’à demi mais qu’elle domptait lentement pour se l’approprier. Rien n’était meilleure que passer du temps avec lui pour cela et se voyage était parfait à cette fin.

Ce retour en Armanda recelait bien des surprises. Kylian, et cet elfe un peu différent qu’elle avait toléré en raison de sa langue courtoise et qui lui plaisait. Eliowir, c’était son nom. Elle n’oubliait jamais un nom, surtout pas des rares bipèdes capables de s’attirer ses bonnes grâces alors même qu’elle ne les aimait pas beaucoup. Kylian connaissait-il l’elfe en question ? Hm elle ne savait pas mais si ce n’était pas le cas peut-être devrait-elle les présenter à l’occasion. Enfin ils avaient le temps, pour le moment son vampire devait dénicher les effets du dragonnier afin de faire son choix… Elle était certaine qu’ils trouveraient de quoi l’armer et le protéger par ici, en plus de la selle et de son armure. Ne bougeant pas, elle le laissa donc farfouiller, laissant son esprit dériver vers les os éparpillés de l’autre dragonne et, dans l’intimité de son esprit, lui adressa un remerciement sincère pour la protection de son armure. Cependant lorsque le bruit sourd de l’armure retombant lui vint, elle releva vivement le museau pour voir ce qui se passait et émit un grognement interrogateur avant que Kylian ne se décide à s’expliquer. Une armure en os de dragon… l’idée la révoltait complètement même si elle savait déjà que cela existait. C’était abominable et rageant de penser que des bipèdes avaient osés profaner le corps des dragons morts pour obtenir les matériaux nécessaires à ces armures. La simple idée de ce dont il s’agissait l’emplissait d’amertume et de rage mais elle n’accabla pas Kylian pour autant, il n’était pas responsable et au vu de sa réaction cela le troublait autant qu’elle. Qu’il était bien, son vampire, vraiment. Bouillante, elle se mit à broyer des pierres et des écailles sous ses énormes griffes, les sabres d’ivoire gigantesques luisant dans la lumière pâle du lieu haut perché. Elle ne lui répondit pas, mais le suivit attentivement, plus attentivement encore en vérité, alors qu’il continuait d’observer ses trouvailles. Ce n’était pas juste de lui en vouloir à lui, Faëlin avait été un monstre et elle aurait dû s’attendre à ce qu’elle allait découvrir là, mais savoir que sa vilénie s’était étendue jusque-là…

Nouveau son retentissant, nouveau sursaut. Mais quoi encore ? Qu’est-ce qu’elle avait cette épée ? Poussant un grognement de mauvaise humeur, toujours aussi mal disposée après la découverte de l’armure, elle approcha son énorme museau pour renifler la lame et observer la magie qui s’en échappait. < Cesse de bégayer et de t’excuser >affirma-t-elle d’une voix sourde. Elle broya de nouveau quelques roches de ses griffes avant de reprendre. < Une épée de dragonnier ne porte que le nom du dragon qui lui est lié. Faëlin et Aeuda ne sont plus, la lame a changé de propriétaire, elle t’appartient. Nous ne sommes pas encore liés, donc la lame ne peut porter mon nom et je ne sais pas si elle la portera un jour… néanmoins elle t’accepte, alors prend la et ne t’en fait pas pour le reste > L’épée servirait bien à Kylian, il en avait besoin. Elle ne pouvait combattre tous ces ennemis, certains lui échapperaient forcément alors mieux valait qu’il soit correctement équipé. En revanche, elle hésitait bien davantage au sujet de l’armure… ce n’était pas rien que de lui permettre de de prendre cette chose. La simple existence de l’objet lui hérissait les écailles et la mettait de méchante humeur. Pour se donner du temps, elle avança le museau pour regarder plus en détail dans les objets à farfouiller. < Il y a des gants… ils pourraient te servir également > avança-t-elle plus doucement. Elle n’avait pas oublié qu’il tendait à s’écorcher les mains sur ses écailles, alors avec une protection supplémentaire, cela ne serait que meilleur. Elle n’avait pas envie qu’il se fasse plus mal que nécessaire après tout. Elle poussa davantage mais était trop imposante pour vraiment voir quoi que ce soit là-dedans. < Continue de chercher, il y a peut-être d’autres choses… > Elle le laissa reprendre un moment avant de se glisser presque timidement dans son esprit pour y glisser, avec mauvaise grâce mais déterminée. < Et… tu devrais aussi prendre l’armure… >

Les réflexions de son presque dragonnier l’amusèrent quelque peu, en une vague doucement ironique et affectueuse envers ce bipède aux dents longues dans le premier sens du terme. Ce qui valait aux bipèdes de bénéficier des faveurs des dragons ? Bonne question, elle aurait voulu connaître la réponse, elle aussi. Parce qu’elle ne savait sincèrement pas pourquoi, elle non plus, n’ayant jamais auparavant trouvé de réel intérêt à la grande majorité des bipèdes, les trouvant même au contraire inutiles et destructibles, elle ne le niait absolument pas. En dehors de quelques rares individus, les bipèdes étaient des êtres peu appréciables, bouffis d’orgueil et d’ambitions et sans aucun respect pour ce qui était plus grand qu’eux de bien des façons. Et elle ne pensait pas seulement aux dragons, par cela. Bien que les armures en os des siens soient effectivement la preuve parfaite qu’ils n’auraient jamais dû permettre aux bipèdes de se lier à eux. Des créatures capables de cela ne méritaient que la mort. C’était parfaitement exact. Et pourtant. Toutefois Kylian semblait bien en passe de la faire changer un peu d’avis sur l’avenir de ce continent et de ces bipèdes… < J’ai entendu quelqu’un, un jour, dire que les bipèdes ne comprenaient la préciosité de quelque chose qu’en se la voyant retirée. Ils avaient pris conscience de ce qu’il s’était passé, de leurs erreurs et de ce qu’elles avaient entraîné. Et ils pensaient que cette simple prise de conscience suffirait à leur offrir une seconde chance auprès de nous. Ils se fourvoyaient, bien entendu. Une prise de conscience ne rachète pas pareille faute et n’efface pas les blessures. Et les peuples étaient encore fort jeunes. La conscience de leur erreur n’a pas durée, ils ont oubliés et on reprit le cycle de destruction > Pourtant, malgré cela, Dracos avait décidé de leur laissé une seconde chance, avec ceux des siens, elle comprise, qui avaient laissé des œufs sur le continent. Cette deuxième chance était-elle fructueuse ? Elle était bien en peine de le déterminer.

Et la découverte du contenu des sacs se poursuivit, avec quelques trouvailles d’intérêts pour son vampire de compagnie. Restait le problème de l’armure. Elle préférait qu’il la porte, même si cela lui répugnait largement. Cette armure-là était ce que l’on faisait de mieux et elle n’avait pas besoin de l’avis d’un armurier mortel gros et gras pour le savoir. C’était des os de dragons, des écailles de dragons. Cela ne pouvait qu’offrir une très bonne protection car malgré la chute, elles conservaient le même pouvoir que lorsque le ou la propriétaire originelle les portait fièrement comme une carapace rutilante. Avec ça, les chances de survie de son vampire sans elle augmentaient considérablement… Et ça, ça n’avait pas de prix. Skade espérait donc qu’il ne ferait pas de manières, car elle peinait déjà à accepter l’idée de le porter dans cette tenue. Si en plus elle devait le pousser davantage, cela l’achèverait. Mais non, il sembla effectivement qu’il en arrivait aux mêmes conclusions. Elle l’auréola d’un sentiment de soutient et de sûreté déterminée pour l’encourager tout de même un peu, trouvant cela moins difficile qu’elle ne l’aurait d’abord pensé. C’était étonnant mais sans doute cela tenait-il essentiellement au fait qu’il était son futur lié et qu’elle aurait toujours plus de facilité à se dépasser avec lui qu’avec tout autre bipède. < Je te fais confiance, Kylian. Je sais que tu le feras > Et cela également l’emplissait d’aise. Il était encore une fois en train de lui prouver que le jugement émit à son encontre était le bon. Il pouvait douter, mais elle en revanche était certaine de ce qu’elle ressentait de lui. Kylian était un vampire qui avait l’étincelle du bon en lui. Pas du bon tel qu’il était imaginé par les bipèdes, le véritable bon, si on pouvait l’exprimer ainsi. Il fallait qu’il porte cela encore longtemps. L’éternité, c’était ce qu’ils avaient devant eux. Les dragons liés aux humains et aux elfes vivaient jusqu’à deux mille années en général… mais eux ? Eux vivraient éternellement.

C’était en pensant à cela qu’elle le laissa se changer, regardant encore une fois les restes défait de la dragonne vaincue. Cependant, en sentant la présence de l’objet qu’elle avait noté plus tôt et en sentant les pensées de Kylian se focaliser sur lui, elle vint lui effleurer l’esprit, contrairement à ce qu’elle avait dit auparavant. Finalement, le moment était peut-être bienvenu pour en parler. < Kylian ? Qu’est-ce qu’il y a, là-dedans ? Je sais ce que c’est, j’ai déjà vu des pierres de ce genre il y a longtemps. Mais je ne les comprends pas, c’est de la magie très différente de celle qui coule en moi… Qu’est-ce qu’il y a, enfermer dedans ? Pourquoi le conserves-tu comme cela ? Je t’ai senti te tourner vers elle durant notre voyage mais je n’ai pas insisté sur l’instant. Cela me rend curieuse pourtant… Ne voudrais-tu pas me le montrer ? >

Sa curiosité fut d’autant plus intense qu’il semblait que la question eut éveillé dans l’esprit et le cœur de Kylian une certaine fébrilité et un brin… d’inquiétude ? Elle avait encore du mal à discerner vraiment les sentiments dans l’esprit du vampire et de façon générale avec les bipèdes. Parfois, ce que vivait son vampire de compagnie lui semblait évident, et parfois, ça lui était totalement, véritablement et profondément obscur. Entre autre parce que les ‘sentiments’ d’un dragon n’étaient pas les mêmes, et qu’il lui était difficile de décrypter ce qu’elle pouvait pêcher au sein de sa personne, mais également, tout simplement, parce qu’ils n’étaient pas pleinement liés. Elle n’osait pas l’emplir complètement, ne voulant pas le blesser ou le rendre fou en faisant davantage que l’effleurer ou l’entourer délicatement… Quand ils seraient tous deux liés, là oui, elle s’en donnerait à cœur joie ! Mais pas avant c’était certain. Il était trop fragile. Aussi ne pouvait-elle qu’attendre en espérant qu’il lui explique ce qui n’allait pas. Oh, elle ne retirait nullement sa question, ne doutant pas, ni de son droit à la poser, ni de sa détermination à le faire le cas échéant. Elle voulait savoir, voilà tout ce qui était important à ses yeux. Et elle faisait entièrement confiance à Kylian pour lui dire ce dont il s’agissait. Il n’avait après tout rien à lui cacher et aucune raison de le faire. Il était son futur lié non ? Il n’avait pas de raison de ne pas répondre ou de lui cacher quoi que ce soit, quand bien même sa réaction instinctive était un peu étrange. Aussi attendit-elle dans le silence le plus total, ne le poussant pas puisque de toute façon, il répondrait forcément. Elle n’avait aucun doute là-dessus. L’observant donc attentivement, elle attendit et poussa un soupire lourd lorsqu’il lui donna enfin ce qu’elle attendait : des réponses. Ainsi, le descendant de Tisserêve lui avait fait cadeau de son chant-nom ? Voilà qui était une bonne chose… < Alors c’est bien > convint-elle malgré le fait que Kylian ne s’attarde pas sur le sujet. < Ça peut t’être très utile effectivement… tu en auras besoin >

Elle n’en dit cependant pas plus, mais elle était contente. Ce petit objet pouvait lui être vraiment très utile. Pour savoir à quel point un chant-nom pouvait avoir un impact sur tout le reste, elle voulait bien croire que, grâce à ça, il deviendrait effectivement plus fort. Elle recula et étendit les ailes un bref instant, dépliant les solides membranes qui la porterait. < Oui, Il est temps. Es-tu certain d’avoir tout ce qu’il te faut ? Je compte purifier ce lieu avant de partir, mieux vaudrait prendre tout ce que tu veux avant ça, il n’en restera plus grand-chose après > Une fois qu’il se fut certifié qu’il n’aurait plus envie de rien emporter, elle le laissa s’installer de nouveau et décolla enfin, la vibration de son vol emplissant l’air. Oscillant au-dessus de la vallée maudite dissimulée, elle inspira puissamment et relâcha un torrent de flammes purificatrices sur les lieux, les nettoyants de la souillure et des souvenirs amers qu’ils contenaient. Peignant les lieux de flamme orangées et dorées, accompagnées d’un éclat de vieil argent, elle s’éleva et observa un instant le spectacle avant de prendre son essor et de s’envoler dans les airs, quittant le creux des montagnes. Dans le ciel libre, elle tournoya un moment avant de s’engager par la côte vers l’océan, décidant d’épargner le passage du désert à son vampire qui risquait une fois de plus de cuir complètement. < Où veux-tu que nous allions à présent ? Je suis libre de toutes obligations, je peux donc t’accompagner où tu le désir >