¤ Le repos des morts ¤

Début janvier de l’an II d’Obsidienne.

Aegnor faisait les cent pas, se trouvant à l'entrée du jardin des souvenirs, ruminant sa colère et les paroles de sa tante encore et encore, le tout ne cessant de repasser dans son esprit. Voilà deux jours que la vérité lui avait été révélée. Toute la vérité. Sa colère s'était quelque peu calmée depuis. En effet il l'avait laissé exploser en pleine forêt après avoir quitté sa tante avant-hier, avant de faire de même le lendemain. Il savait que ses sentiments, que sa colère pouvait facilement le dominer et lui faire perdre la raison, l'amener à prendre des décisions qu'il n'aurait sans aucun doute jamais prit. Et qu'il aurait sans nul doute regretté. Une soif de colère et vengeance l'avait secoué, apprendre que ses cousins n'étaient pas les enfants de Trarandril lui avait fait voir rouge. Cela l'avait déchiré, lui qui pensait que son oncle avait laissé ses deux petits enfants comme un héritage et une lueur d'espoir. Mais il n'en était rien ! Ils étaient les bâtards d'Eliwyr Meraennon ! Celui-ci, non seulement il avait pris le trône, mais en plus il avait pris sa tante ?! Certes ces choses-là étaient arrivées par un coup du sort, car il aurait très bien pu lui-même se voir épris de Mewen Eowarawen, si sa tante étant un peu trop joyeuse n'était pas venue lui prendre son verre. Quelle garce ! Aegnor la ferait tuer pour cela s'il s'écoutait. Non la laisser croupir dans un cachot humide avec du pain rancit ainsi que de l'eau croupie s'avèrera une vengeance bien meilleure. Ainsi il ne passerait pas pour un monstre assoiffer de sang et ne provoquerait pas la colère de sa famille. Et pourtant par les sept esprits qu’elle méritait cette mort ! Comment une femme qui s’est attaquée à un dragon peut être au conseil ? Jamais l’Evanealle ne l’avait compris. Frappant le sol de ses bottes le blond aux yeux flamboyants de colère entra dans le jardin des souvenirs, faisant taire ses grommellements pour respecter le repos des morts. Lentement il se dirigea vers le mausolée des Evanealle, où demeurait son oncle Trarandril. Il avait à lui parler ou du moins à se recueillir devant lui.

Lentement et tout en silence, le jeune prince se glissa dans le bâtiment tel une ombre pour se retrouver devant ses prédécesseurs. Contrairement à beaucoup d’elfes et à beaucoup de membres de sa famille, son oncle n’avait pas été brulé et ses cendres ne reposaient point dans une urne. Non, comme tous les empereurs et autres personnages illustres, celui-ci avait eu le privilège de voir son corps emprisonner dans la glace. Demeurant dès lors intact pour des siècles et des siècles. Aegnor s’approcha de lui, son regard durcit par la colère.

« Tu savais et tu n’as rien fait… ton amour pour Galadrielle était-il si grand que cela ? Accepter qu’un autre l’enceinte ? Accepter qu’elle porte les bâtards d’un conseiller alors que tu étais son mari ? Je me demande quel effort titanesque cela a dû te demander pour ne pas te jeter sur lui et le tuer afin de laver ton honneur, celui de ta femme et de la famille Evanealle… Serais-je capable de faire de même ? Je ne suis pas sûr malheureusement… Je n’ai qu’une seule envie réunir tous les conseillers et les faire brûler dans la place du conseil pour leurs trahisons et leurs complots ! »

Le blond volcanique avait parlé plus fort qu’il ne l’aurait cru, sa voix se répercutant dans le caveau de la famille Evanealle, troublant le repos des morts. Soupirant, Aegnor attendit que les échos cessent et que sa colère se calme.

« Tout ce que je peux dire, c’est que se sont de beaux enfants, à la hauteur de la beauté de Galadrielle. Malheureusement, Valaën a les cheveux bruns… il sera difficile de le faire passer pour ton fils… mais si seulement ce n’était que cela. Il est également un vampire. Pauvre créature innocente. Je dois avouer que je suis déboussolé avec tout cela. C’est un vampire, notre ennemi mortel, je devrais le tuer… Mais c’est un Evanealle et la famille est ce qu’il y a de plus sacré. D’autant plus qu’il est innocent, vampiriser alors qu’il était encore dans le ventre de Galadrielle… »

L'elfe princier soupira avant de porter un regard triste sur son oncle. Il avait de la chance, il n'était plus concerné par tout cela à présent, il n'avait plus à être déchiré par les dilemmes. Ni se soucier de la politique, ou même de l'honneur, des malversations et des complots. Dans un certain sens, Aegnor l'enviait. Lentement le blond se recula. Il avait suffisamment interrompu le repos des morts. Il était à présent temps qu'il réfléchisse à cela de lui-même pour en tirer des conséquences, ainsi que ses agissements futurs. Pouvait-il se borner dans l'inaction, à n'être d'un simple observateur ? Un spectateur de la chute et de la décadence du peuple elfique... De son peuple ? Ou au contraire agir pour éviter cette dernière, pour laver l'honneur des Evanealle et exercer la justice sur ceux qui méritaient d'être punis ?

Aegnor sortit du mausolée, commençant à marcher lentement dans le jardin des souvenirs avant de tomber sur un belvédère. Il s'y dirigea lentement avant de s'y asseoir, lâchant un gros soupire, son regard oscillant entre colère et tristesse. Parcourant de ses yeux les statues et les arbres sans âge qui composaient le lieu.

Déjà tant de temps de passé… L’an deux de l’air d’obsidienne était arrivé beaucoup trop vite, mais le temps avait cette particularité étrange de vouloir s’étirer de façon incongru aux moments les plus étranges, pour accélérer quand il ne le fallait pas. Enetari avait bien essayé de l’arrêter, inventant milles et unes manières de l’étudier, amusée de courir après cette notion impalpable. Elle s’était résolue à demander son aide à Nómin, mais encore fallait-il pour cela qu’elle le croise au moment où il aurait quelques minutes à lui consacrer. Mais d’ici à ce que ça arrive… Elle avait largement le temps de trouver le moyen de devenir un dragon. En fait, elle allait devoir le déranger dans ses pensées, comme toujours.
Elle soupira, ses pieds bottés s’agitant dans le vide tandis qu’elle observait avec curiosité un insecte qui courrait sur la branche où elle était assise. Elle devait lui paraitre immense ! Ce devait être amusant d’être un insecte. Surtout pour ceux ayant des ailes, la jeune elfe rêvait de pouvoir un jour. Mais ce moment ne semblait pas encore arrivé, hélas… Encore qu’elle pourrait toujours essayer de s’envoler, mais elle avait toutes les chances de se briser un ou plusieurs os dans la chute… Et peut-être même quelques organes vitaux, et la vie au passage. Un divertissement comme un autre après tout. Dommage que sa mère n’apprécierait probablement que très moyennement la chose.

Elle se leva d’un bond, son épaisse crinière suivant le mouvement brusque tandis que son corps menu se tendait, chaque muscle, chaque nerf, chaque tendon la composant attentif aux ordres de sa volonté. Ses jambes se fléchirent légèrement tandis qu’elle se postait en équilibre sur le bois froid mais bien vivant. L’hiver était là, et le changement de température se faisait sentir, mais rien n’y personne n’aurait pu empêcher la petite blonde de gambader joyeusement dans le royaume elfique. En réalité, elle rêvait même de neige mais hélas il faisait ou bien trop froid, ou bien trop chaud pour qu’elle tombe. Difficile à dire, la jeune fille était de toute façon assez couverte pour être parfaitement à l’aise dans son environnement, sa longue cape offerte par sa mère débordant élégamment dans le vide. Et pourtant Dracos savait que les hivers connaissaient bien souvent le tapis blanc de cet étrange élément, perspective de batailles de boules de neige et de milles facéties plus excitantes les unes que les autres. Mais c’était aujourd’hui qu’elle en voulait, pas dans une semaine. Surement il y en avait-il dans d’autres parties d’Armanda. Un jour elle quitterait en catimini du royaume sylvestre et partirait explorer le grand monde, les vastes plaines, les montagnes envoutantes… Il y avait encore bien des choses qu’elle ne connaissait et remédier à cela rentrait dans ses perspectives d’avenir, n’en déplaise à ses parents. Seule ou avec ses frères, mais quand bien même l’accompagneraient-ils qu’ils feraient sans doute bande à part la moitié du temps. Ses yeux gris se voilèrent un instant avant qu’elle ne retrouve son éternel optimisme et elle sauta à terre avec souplesse, son corps habitué à ce type de choc ne protestant pas face à cet atterrissage un peu haut. Elle réfléchirait une autre fois.

Ses bottes foulant le sol dur, elle flâna en chantonnant comme un petit oiseau aux oreilles pointues, cherchant une occupation. Il n’y avait personne d’autre dehors, c’était d’un triste… La guerre n’arrangeait rien, c’était tout bonnement désespérant. Pas une seule personne pour lui tenir compagnie. Si au moins les négociations avaient pu continuer un peu, elle aurait d’autres jouets mais là… De ses pieds menus, elle traversa les habitations jusqu’à parvenir à un discret chemin, qu’elle prit sans hésitation en fredonnant toujours, jusqu’à parvenir au jardin des souvenirs. Elle aimait cet endroit, empli d’une mystérieuse magie attirante et fascinante, qui donnait l’impression que malgré les morts il y avait encore de la vie, les mausolées servant d’habitations aux âmes des disparus. Elle s’arrêta un instant, inspirant l’air frais et pur de l’endroit, avant de sursauter en entendant une voix soudaine. Et bien, elle n’était donc pas seule ? Voilà qui était intéressant ! Avec entrain, elle glissa jusqu’à l’endroit d’où sortait le son, attentive aux paroles qu’elle percevait. Encore un qui parlait à des urnes surement. Un jour il faudrait qu’elle trouve un sort qui permette de faire parler les urnes. Ou qu’elle se cache dans l’une d’elles. Ce pourrait être drôlement amusant. Un large sourire étira ses lèvres roses lorsqu’elle songea à la réaction que pourrait avoir celui qui l’entendrait. Avec un peu de chance il partirait en courant. Le regard malicieux, elle haussa un sourcil en entendant une phrase plutôt… violente. Je n’ai qu’une seule envie réunir tous les conseillers et les faire brûler dans la place du conseil pour leurs trahisons et leurs complots !. Que de colère… Elle fronça les sourcils avant d’écouter la suite, pas le moins gênée du fait que cela ne la concernait absolument pas. Avec prudence, elle escalada le bâtiment afin d’éviter d’être surprise et poursuivit son espionnage, fascinée par tout cela. L’histoire qu’elle entendait était étrange, et elle ne se rendit compte qu’à cet instant qu’il s’agissait d’un membre de la famille Evanaelle, puisqu’il parlait de l’impératrice Galadrielle tout à fait familièrement… Et le caveau était celui de cette famille.

Lorsqu’il ressortit, elle attendit quelques secondes avant de descendre à son tour, glissant derrière les arbres et les corps gelés avec aisance. Elle resta quelques secondes à l’observer, assit sur son banc, avant de porter l’index de la main droite à son, amplifiant sa voix qui résonna dans tout le jardin.

-Un vampire n’est jamais innocent, mais la famille est sacrée, jeune homme !

Elle sourit largement en le voyant sursauter avant de sortir de sa cache en sautillant pour sauter sur le banc à ses côtés.

-Vous parlez souvent tout seul ? Vous savez, je doute qu’ils vous répondent, il faudrait faire un trou dans la glace pour que le son de leur voix sorte.

Enetari fronça les sourcils, notant l’air grave qu’il arborait. Elle le connaissait, l’avait déjà vu mais impossible de mettre un nom sur ce visage. Par tous les Esprits, les gens devraient porter des bijoux à leur nom, ce serait plus facile pour la jeune fille.

-Qui êtes-vous ?

¤ Une situation bien contrariante ¤

Aegnor fulminait, laissant parler ses sentiments alors que sa voix puissante résonnait dans le caveau des Evanealle, venant troubler le repos des morts, de ses ancêtres emprisonner dans la glace, des défunts grands personnages, empereur et impératrice des elfes. Lentement la colère de l'héritier volcanique retombait à mesure qu'il cherchait à comprendre les actions ou plutôt l'inaction de son oncle face à ce qu'il considérait comme un déshonneur, et même une atteinte gravissime à la famille impériale, celle qui régnait depuis bien avant l'arriver des elfes sur le continent d'Armanda, celle à qui chaque elfe devait le respect. Ce n'était pas certes de lui qui parlait, n'appréciant que très moyennement son statut au sein du royaume, mais de sa tante et chaque autre membre de sa famille. Soupirant, il finit par sortir du caveau familial pour se laisser déambuler dans le jardin des souvenirs, laissant la fraicheur l'envelopper et le calme afin qu'il puisse résonner avec raison et sagesse. Ce qui n'était pas son fort, se laissant tout le temps guider par ses sentiments.

Bientôt, le blond aux yeux de feu fit la rencontre d'un belvédère auquel il décida se s'arrêter. Sa main passa lentement sur la rampe des escaliers qui permettaient de rejoindre ce point surélever, avant de se poser sur la petite table qui se tenait en son centre. Regardant les alentours d'un oeil incertain, se posant sur les statuts et les arbres sans âge qui composait ce lieu sacré, il finit par s'asseoir sur le banc, lâchant un léger soupire, fermant les yeux, laissant sa tête reposer en arrière quand une voix claire, puissante et féminine résonna, le faisant sursauter.

« Un vampire n’est jamais innocent, mais la famille est sacrée, jeune homme ! »

Le prince se redressa, mais ne vit dans un premier temps personne, qui avait bien pu lui parler ? Avait-il des hallucinations ou était-ce l'une de ses ancêtres qui lui parlait ? De toute façon, celle-ci enfonçait des portes ouvertes, car ce qu'elle déclarait, le prince héritier le savait déjà. Finalement un bruissement de feuille eut lieu, une jeune elfe aux cheveux aussi blancs que la neige avec une teinte argenté fit son apparition. L'Evanealle se retourna portant un regard sévère sur celle-ci alors que les yeux de la jeune créature aux oreilles pointues étaient plus remplis de malice que toute autre chose.

« Vous parlez souvent tout seul ? Vous savez, je doute qu’ils vous répondent, il faudrait faire un trou dans la glace pour que le son de leur voix sorte. »

Le visage d'Aegnor resta contrarier, cette gamine l'avait entendu ? Il allait devoir la faire taire d'une manière ou d'une autre pour que jamais elle ne révèle cela. Qu'est-ce qui prenait aux gens d'écouter les recueillements des autres ? L'héritier gronda intérieurement.

« Je suis Aegnor Evanealle. Et toi qui es-tu ? Comment oses-tu écouter le recueillement des autres et qu'as-tu entendu ? »

Sans la vouloir, le blond avait laissé s'étendre son hibou sa voix se faisant plus autoritaire qu'il ne l'aurait voulu, sommant presque la jeune elfette de lui répondre. Lentement il écouta la jeune elfe serrant les dents. La réponse tombait, cette jeune elfe était la fille du général Artaher Terendul, voilà qui n'arrangeait en rien les affaires du jeune blond, si celle-ci s'amusait à révéler ce qu'elle avait entendu à son père et connaissant le comportement sanguin de celui-ci et l'aversion qu'il éprouvait pour les vampires. Il se devait de la jouer autrement. Soupirant, l'héritier vint s'asseoir sur le banc, son visage se décrispant.

« Je suppose que tu as au moins entendu le moment où je parle de la vampirisation de Valaën... je ne suis pas doué décidément pour garder les secrets, je baisse bien trop souvent ma garde, suis-je si naïf ? Dis-moi jeune fille, es-tu aussi fidèle à la famille Evanealle que ne l'est ton père ? Et surtout sais-tu garder un secret ? »

Aegnor tourna la tête en direction de la jeune Terendul, son regard perçant et flamboyant venant se poser sur les traits de son interlocutrice.

« Si tu es d'accord j'aimerais que tu me fasses une promesse, celle de ne jamais parler à personne de ce que tu as entendue, en échange je t'offrirais quelque chose d'inestimable. »

Elle lui avait fait peur, l’avait désarçonné, surpris, étonné, désorienté et tout un tas de synonymes qui traversait l’esprit de la jeune elfe tandis qu’elle se jouait aux dépends de celui venu chercher la paix et le réconfort auprès des défunts et de leurs magnifiques sépultures. Sans doute croyait-il que les corps encore en état parfait indiquaient que les esprits étaient encore dedans, attentifs aux suppliques et plaintes des vivants. Il se trompait dans ce cas et la plaisanterie de la demoiselle risquait fort d’être mal perçue… Mais après tout, l’humour amenait le rire pour qui était un minimum capable de s’élever au-delà des considérations basses et ennuyeuses de beaucoup trop de monde. Rien n’était méchant, elle ne souhaitait que plaisanter sans songer à mal, alléger l’atmosphère, se détendre et les autres avec elle. Avait-elle déjà souhaité blesser, d’ailleurs ? Oui, mais simplement par vengeance. Là… ce n’était pas le cas, elle ne connaissait même pas sa victime. Ce qui n’allait pas tarder à changer puisque bien décidé à se présenter et à obtenir plus ample renseignement, l’adulte prit rapidement la parole… et les choses en main.

-Je suis Enetari Terendul, la fille du Général Artaher Terendul et de l’archiviste Lisaë Terendul ! Je n’coutais pas votre recueillement, vous parlez à haute voix alors que je me promenais ici. Les mots ne vous appartiennent plus si vous les offrez à qui veut les prendre…

Elle était restée neutre, affable, son éternel sourire malicieux aux lèvres, un brin taquine et charmeuse. Toutefois, qui la connaissait bien pouvait affirmer que son attitude s’était quelque peu raidie lorsqu’elle avait appris l’identité de son interlocuteur. Il fallait dire qu’elle avait oublié un détail ; Si son père apprenait tout cela… Dracos, elle avait intérêt à être sage pour les moments à venir, et à éviter de contrarier l’adulte.
Un Evanealle… Un membre de la famille de Galadrielle et un peut-être héritier de la couronne. Bon, question règles de politesse et salut, c’était raté. A revoir donc… Que les Esprits soient avec elle, certes elle ne changerait pas pour plaire à l’elfe, d’autant qu’il était un peu tard pour faire marche arrière, mais là tout de même, elle aurait volontiers modifié un peu son entrée. Restait à espérait qu’il ne serait guère sévère et apprendrait à se détendre, car pas même l’ombre d’un début de sourire ne vint fleurir sur ses lèvres. Bon, au moins elle savait pourquoi elle connaissait ces traits délicats et ce regard intense. Elle l’avait déjà croisé à plusieurs reprises mais sans jamais parler avec lui. Eh bien, voilà qui était fait.

-Vous n’êtes pas naïf, vous êtes imprudent. Mais ne vous inquiétez pas, j’ai 81ans, pas 5je ne dirais rien de tout cela. Et puis, théoriquement, je n’aurais pas de raison de le faire.

Bon, elle avait survolé, ou plutôt tout à fuie, la partie sur son allégeance aux Evanealles. Mais elle n’avait guère à se prononcer là-dessus, elle n’avait jamais eu encore à prouver sa fidélité envers eux. Autant ne rien dire, quoi qu’il en soit sa famille à elle primait avant le reste. Toutefois, là n’était pas le problème, car à moins que quelqu’un ne lui en donne une bonne raison, elle ne comptait rien dire. Oh, tout était utile, tout pouvait servir, et ces quelques mots aussi mais du moment qu’elle n’en avait pas utilité... Néanmoins la suite de la phrase était des plus intéressantes, et Enetari eut un large sourire en penchant la tête sur le côté. Une récompense ? Pour quelque chose qu’elle n’aurait de toute façon probablement pas faite… Ah oui, c’était drôlement intéressant là tout de suite. Le visage pétillant, elle observait le noble avec fascination, sans cacher son intéressement pour ce qu’il lui faisait miroiter.

-Soit, je vous promets de ne parler de cela à personne. Inestimable ? Qu’est-ce que c’est ?

Elle sautillait littéralement sur place, impatiente de connaitre la suite de tout cela. Un cadeau très précieux… Peut-être un grimoire sur la magie ou un bijou des temps anciens, ou bien un secret plein de mystères qu’elle pourrait utiliser librement ? Pas une arme elle l’espérait, quoi que cela rendrait sans doute Ara furieux de voir sa jeune sœur avec une arme précieuse. Avec une arme tout court d’ailleurs. Si elle avait l’autorisation de la garder. Quoi que personne n’avait besoin d’être au courant. Mais si rendre jaloux son aîné était une perspective très intéressante, la jeune elfe préférait néanmoins quelque chose de véritablement utile et qui l’intéresse réellement.

-Pourquoi vouloir tant garder cela secret alors que vous en avez parlé à haute voix ?

C’était, il fallait bien le reconnaitre, loin d’être logique. Après tout n’importe qui pouvait venir ici, il suffisait de s’y faufiler avec une bonne raison. Bon, il avait eu de la chance, il était tombé sur la jeune elfette à la crinière de neige. Un peu moins qu’elle écoute la conversation sans gêne. Mais quand même, un personnage important se devait de faire preuve de sagesse et de précautions ! Celui-ci avait encore des choses à apprendre ! Même s’il avait plusieurs fois son âge et beaucoup, beaucoup plus d’expérience.

¤ Le cadeau ¤

Voilà une situation forte contrariante, si jamais la jeune enfante s'amusait à dévoiler ce qu'elle avait entendu à droite à gauche, cela mettrait sa tante, la douce Galadrielle, mais également la famille Evanealle dans une bien fâcheuse situation. Les vautours qu'étaient les conseillers n'hésiteraient sans doute pas à se jeter dessus comme les charognards qu'ils étaient. Ce que Aegnor les détestait, et encore plus à présent. Ils devraient payer un jour pour ce qu'ils avaient fait, pour leurs malices, leurs complots et autres manigances. Leurs mensonges et fourberies ne pourraient rester impunis plus longtemps. Les yeux de feu du jeune Evanealle se reportèrent bien vite sur la petite blonde argentée. Il devait la faire taire, s'assurer qu'elle ne dévoile pas ce qu'elle avait entendu. C'était une gamine, l'Evanealle avait plus d'un tour dans sa manche pour s'assurer de son silence sans pour autant faire preuve de mauvaises intentions. Un cadeau inestimable, oui, quoi de mieux que faire miroité un cadeau aux yeux d'une enfant. Quand bien même pouvaient-ils être instable, car évoluant au gré de leurs envies, ils n'avaient qu'une parole quand leurs intérêts étaient touchés.

Enetari Terendul, voilà un bien joli prénom rattacher à un nom si imposant. Cette petite avait la langue toutefois bien agile : « Les mots ne vous appartiennent plus si vous les offrez à qui veut les prendre... ». Le prince héritier ne savait s'il devait éclaircir son visage d'un sourire amuser ou d'un renfrognement face à cette pure vérité. Non, celui-ci se contenta de se dérider légèrement. Son regard perçant détaillant les traits de son interlocutrice pour voir un elle comme un lisait un livre. Pas naïf, mais imprudent ? Elle n'avait pas tort, Aegnor se laissait bien plus guider par ses sentiments que par la raison comme la plupart des elfes, extériorisant bien plus qu'il ne le pensait. Avait-il tort de faire cela ? Oui et non dirait-il. Même si cela venait le mettre dans situation bien délicate.

« Soit, je vous promets de ne parler de cela à personne. Inestimable ? Qu’est-ce que c’est ? »

Le hibou du jeune blond résonna calmement face aux paroles de la jeune Terendul. Elle tiendrait sa promesse, voilà qui était rassurant. Il était donc temps à présent, c'était à son tour de tenir la sienne. Pour s'assurer que la jeune fille ne change d'avis. Que pouvait-il bien lui offrir. Que pouvait-il bien lui offrir d'inestimable. Le volcanique avait parlé à la hâte sans vraiment réfléchir afin d'attirer l'attention de la petite argentée. Cela fonctionnait plutôt bien d'ailleurs. Elle trépignait d'impatience, cela fit sourire le prince qui gardait toujours une lueur sévère dans son regard d'ambre.

Que pouvait-il bien lui offrir d'inestimable ? Un bien matériel ? Comme il pourrait facilement le faire en raison de sa richesse. Que pouvaient bien aimer les filles ? Des bijoux, des livres, peut-être une arme puisqu'elle était la fille du général Terendul ? Mh, non tout cela était trop banal, oui bien trop banal. Son regard glissait sur son interlocutrice. Il ferait mieux de répondre au plus vite afin qu'elle ne s'impatiente pas. Une phrase survint.

« Pourquoi vouloir tant garder cela secret alors que vous en avez parlé à haute voix ? »

Voilà, y répondre pourrait lui faire gagner un peu de temps, afin de trouver quoi offrir à la jeune Enetari.

« J'ai tendance à m'emporter, à laisser mes sentiments prendre le dessus. La colère en particulier, je m'emporte assez rapidement... et je me mets à parler fort. C'est idiot non ? Ou alors peut-être comme tu l'as dit, je voulais que l'âme de l'être à qui je parlais m'entende à travers la glace. »

Un léger sourire finit de chasser l'air sévère qui trônait sur le faciès du jeune prince qui finit par s'éclairer comme s'il venait d'avoir une idée. En effet il en avait une, au sujet du présent inestimable qu'il devait faire à la jeune fille. Même s'il n'était pas des plus aiguisés, son totem ne ressentait aucun esprit aux côtés de son interlocutrice. Elle n'avait pas encore fait son rituel, il y avait fort à parier. Voilà donc ce qu'il pouvait lui offrir, dévoiler à quel esprit-totem elle se lierait. Mais il y avait encore ici un hic, il n'était pas sûr de réussir.

« Dis-moi Enetari, je ne me trompe pas en disant que tu n'as pas encore accompli ton rituel pour rencontrer ton esprit totem ? Voilà le présent que je peux t'offrir, te dire quel esprit attend de te rencontrer. »

Le regard qui la fixait ne la gênait nullement, elle l’affrontait tranquillement, un petit sourire aux lèvres, sans s’inquiéter de quoi que ce soit. Sans regretter la moindre chose non plus. Elle cherchait ce qu’il pouvait penser, se demandant comment il allait réagir. Nerveux, cet elfe. Les adultes avaient le don de se fâcher d’un rien, accordant une attention trop importante à ce qui n’en avait guère et inversement. Il aurait fallu tous les éduquer mais hélas… à quoi bon cela. Artaher à lui seul serait impossible à dresser, impétueux comme il l’était. D’ailleurs avant de passer aux adultes les enfants également auraient mérité une bonne lecon de vivre pour les calmer. Que ce soit son frère aîné ou tous ceux qui l’avait défié, Enetari oubliant simplement qu’elle-même était une enfant. Mais c’était différent dans son cas puisqu’elle était elle-même.
Avec impatience, elle attendit que l’autre lui offre son fameux cadeau, se retenant de le narguer en lui annonçant que quoi qu’il e soit elle n’en aurait (probablement) rien dit. Pas question qu’il redire ce qu’il lui avait dit et garde finalement son cadeau. Mais non, elle ne se laissait pas acheter, plutôt qu’elle… souhaitait confirmer son choix. Oui c’était cela. Une raison de plus de garder cela pour elle. Après tout ils étaient d’accord sur un point, le petit discours d’Aegnor ne regardait pas les autres. Mais elle eut beau attendre, la première réponse qui vint ne fut pas la révélation de l’offre tant attendue mais plutôt la réponse à sa question suivante. Elle grimaça tandis que ses sourcils se fronçaient, laissant d’elle l’image d’une statue comme celles qui l’entouraient. Que pensaient-ils donc, ces corps immobiles ? Où était leur âme ? La glace les emprisonnait mais après tout peut-être une étincelle de conscience demeurait-elle, enfermée au sein de ces regards fixes qui contemplaient pour l’éternité le jardin aux Souvenirs au gré des saisons. Quelle jolie idée, emplie de poésie.

- La feuille aussi se laisse emporter, elle n’est pourtant pas idiote ; mais en parlant trop fort vous réveillez les oiseaux.

Oisillons ou oiseaux de mauvaise augure, les deux venaient dès lors que quelque chose les réveillaient, les tirait de leur sommeil ou occupations. Au prince de prendre garde à ce qui venait, mais il ne devait pas s’étonner de voir son monde se transformer par sa faute s’il révélait à ses ennemis comme ses amis quels étaient les soucis qui lui enchainaient le cœur et occupaient son âme.
L’autre finit par sourire, et la jeune elfe à la crinière pâle en ronronna presque de plaisir, trépignant sur place tandis qu’il reprenait la parole pour lui annoncer son cadeau. La seule chose qu’elle n’avait pas prévu… c’était le cadeau en question. La révélation de son esprit-totem... Elle l’observa, hésitante, ne sachant que dire. Pour une des rares fois dans sa vie, elle ne savait que répondre immédiatement, demeurant coite, les lèvres entrouvertes sur un « oh » muet et le regard pensif. Elle devait bien le reconnaitre, elle était un peu déçue. Elle n’avait pas le moins d’Armanda imaginé cela, et n’était pas certaine que cela lui servirait beaucoup que de la savoir. Ou plutôt elle savait que cela n’était d’aucune utilité. D’autant qu’aimant les surprises, elle trouvait plutôt dommage de ne pas pouvoir attendre le dernier moment pour en savoir davantage. Mais bon, après tout elle ne savait toujours pas ce que c’était, donc que la surprise soit révélée maintenant ou plus tard, cela ne changeait pas beaucoup.

-Pourrez-vous également me dire quels en sont les pouvoirs ou ne me donnerez-vous que son nom?

Elle hésitait, elle devait bien le reconnaitre. Passer son rituel la narguait encore régulièrement, mais elle attendrait ses frères, quand bien même ceux-ci s’en moquaient. « Il sont tous les deux de toute façon » songea-t-elle avec amertume. Parfois elle se demandait comment ils pouvaient-être triplés alors qu’une si grande distance existait entre elle et eux, surtout avec Aranël. Mais non, elle y avait déjà pensé, cela faisait maintenant quatre-vingt uns ans que c’était ainsi, qu’elle avait décidé de ne plus y prêter attention et de se rapprocher d’eux. Alors elle n’allait pas changer cela maintenant. Il fallait simplement qu’elle tienne cette résolution…

-Pourquoi feriez-vous cela ? C’est un cadeau, vraiment ?

Ses yeux s’assombrirent, prenant peu à peu la couleur des nuages lors d’un orage. Gris et sombres, emplis de tourbillons annonçant la tempête. Elle n’était pas fâchée, pas encore du moins. Mais selon la réponse de son interlocuteur, elle pourrait fort bien le devenir.

-Comment le saurez-vous, et pourquoi devrais-je vous croire ? Et comment savez-vous que je n’ai pas accompli mon rituel ? C’est mon père qui vous l’a dit ?

Ah celui-là, elle avait beau l’adorer et avoir beaucoup d’estime pour lui, il avait un don certain pour la mettre dans les ennuis et la mettre en rogne. Tant pis pour l’Evanaelle, il se retrouvait du même coup enseveli de questions par la jeune curieuse.

¤ Le cadeau II ¤

Lui révéler quel esprit attendait de faire sa rencontre lors du rituel. Voilà un cadeau original, aux yeux du prince bien sûr. Après tout, tout le monde ne pouvait pas se vanter de savoir à quoi ils allaient être liés. L’immense majorité le découvrait au moment du rituel, certains le devinaient, mais se trompaient bien souvent et d’autre encore faisait appel à des révélateurs comme les liés du hibou. Une note, une expression de surprise demeurait sur le visage de la jeune Terendul, elle ne devait pas s’attendre à cela, sans doute que lui-même si leur place avait été inversée n’aurait pas imaginé recevoir pareil présent. Après tout il était un Evanealle, une quelconque richesse ou un bien précieux était plus à attendre, mais en même temps sans doute trop prévisible. La seule chose que le blond espérait était que le cadeau qu’il ferait à la jeune elfe lui conviendrait et lui plairait. Mais il espérait aussi parvenir à tenir cette promesse, Aegnor avait toutefois confiance en son hibou, il ne lui avait jamais fait défaut.

« Pourrez-vous également me dire quels en sont les pouvoirs ou ne me donnerez-vous que son nom? »

Un léger sourire parvint sur les lèvres de l'orageux Evanealle, cela l'intriguait tout du moins, c'était encourageant, au moins cela semblait lui plaire. Bien rapidement le bond lui répondit.

« Bien entendu, tant que celui-ci est un esprit totem connu je pourrais te le dévoiler également. »

Il n'y avait aucune raison qu'il ne le fasse point, et puis, il se doutait que la jeune dame en devenir s'intéresserait aux caractéristiques de son totem. Après tout, ceux-ci conféraient de bien puissants et utiles pouvoirs.

« Pourquoi feriez-vous cela ? C’est un cadeau, vraiment ? »

La question laissa un peu bouche bée l’Evanealle. Pourquoi ferait-il cela ? Bah parce qu’il lui a promis tout simplement quelle question, se payait-elle sa tête ? La seconde renfrogna légèrement Aegnor. Si c’était un cadeau ? Quoi, elle n’en voulait pas ? Tant pis, lui qui avait voulu jouer la carte de l’original, il lui offrirait un bijou à cette pimbêche. Néanmoins autre chose demeurait, allez savoir pourquoi, mais les foudres de la jeune fille venaient soudainement de s’éveiller. Avait-il fait quelque chose de mal ? Il n’en avait pas souvenance pourtant.

« Comment le saurez-vous, et pourquoi devrais-je vous croire ? Et comment savez-vous que je n’ai pas accompli mon rituel ? C’est mon père qui vous l’a dit ? »

L'orageux prince soupira légèrement fermant les yeux. Il ne fallait pas s'emporter, il n'y avait pas la moindre raison, et il ferait mieux de ne pas le faire de toute manière. Autant rester calmer et expliquer à cette jeune elfe le pourquoi du comment.

« Ton père n'y est pour rien. Ne prends pas ombrage de tout cela et laisse-moi t'expliquer puisque tu sembles vouloir comprendre. Je suis lié à l'esprit totem du hibou. Outre de pouvoir déceler les mensonges, je suis capable grâce à lui de ressentir les esprits auxquels sont liés les autres individus, mais également d'entrevoir l'esprit à qui peut se lier un être n'ayant pas encore accompli son rituel. »

Aegnor fit signe à la jeune Enetari se de calmer et de défroncer ses sourcils afin de chasser cette aire renfrogner. Celui-ci convenait aux hommes ou aux femmes soldats, mais point aux jeunes infantes et futur dame dans son genre.

« Si je puis te le révéler, je peux tout aussi bien te dire ce qui découlera de celui-là. Après tout je t'ai promis un cadeau. Autant ne pas faire les choses moitié. »

L'Evanealle sourit légèrement pour continuer de tuer l'orage naissant dans l'esprit de la Terendul.

« Je ne sais pas à quoi tu t'attendais exactement comme cadeau. Je suis un Evanealle, j'aurais pu t'offrir, des bijoux, des richesses, de beaux vêtements, mais tu ne me sembles pas être le type de personne qui saurait se contenter de quelques choses que je pourrais qualifier de banal. Non j'ai choisi de te dévoiler ton totem non seulement pour son originalité, mais également pour des raisons personnelles. Je ne sais pas pourquoi tu n'as pas toujours accompli ton rituel, cela ne regarde que toi, mais sache que les esprits nous attendent avec impatience. »

Un brin de nostalgie effleura le regard de feu du jeune prince héritier.

« Vois-tu, j'ai moi-même accompli mon rituel très tard, bien plus que toi. La magie était faible, les dragons étaient partis, les esprits totems ne pouvaient plus venir se lier à nous. Mais sais-tu, la première chose que le hibou m'a dit en me rencontrant ? Qu'il déplorait avoir mis autant de temps avant que nous nous rencontrions. Alors celui qui t'attend doit également trépigner d'impatience.»

Aegnor tandis légèrement une main en direction d'Enetari.

« Acceptes-tu mon cadeau Enetari ? »

L’annonce du cadeau l’avait totalement déstabilisée, mais Enetari se reprit rapidement, cherchant à en savoir le maximum sur ce qu’il allait lui révéler. C’était une offre particulière, c’était indéniable, et plutôt intéressante en partant du principe que la demoiselle risquait fort de ne pas effectuer son rituel avant un petit moment. Non pas qu’elle n’en avait pas envie, loin de là et bien au contraire puisqu’elle se sentait trépignait à l’idée de répondre à l’appel qui résonnait en elle, mais elle avait pris la décision d’attendre ses frères, et tant que ceux-ci ne seraient pas prêts, elle devrait également attendre. L’idée d’obtenir enfin son totem la faisait vibrer d’envie, et bien qu’une légère pointe d’anxiété lui pinçait le ventre, elle savait qu’elle ne résisterait pas à la tentation le moment venu. Savoir à qui elle serait lié était un moyen de patienter après tout… Mais une question parcourait son esprit: n’était-ce pas tricher que d’en connaitre l’identité avant d’avoir passé son rituel ? Si jamais il en prenait ombrage… Cela état, rien ni personne ne lui avait jamais interdit de le faire, et puis c’était une facon de lui montrer qu’elle était impatience de se lier. Elle supposait donc que non, d’autant qu’Aegnor ne lui aurait probablement pas proposé si c’avait été le cas. Elle ne le connaissait pas, mais il était un ami de son père, du moins le croyait-elle. Il n’aurait aucune raison de venir chercher querelle à la famille Terendul, bien au contraire.
Et puis elle saurait à la fois quel était ce mystérieux totem et ce qu’il lui offrirait. La curiosité dansait ses yeux tandis qu’elle pesait le pour et le contre, avant que d’autres interrogations ne viennent à elle, la colère enflant doucement mais surement en elle. Il l’avait espionné, pour savoir tout cela ? S’était-il renseigné auprès de son père auparavant pour avoir un coup d’avance sur elle ? Pour quelle raison ? Cette idée la mettait dans une fureur noire mais elle n’eut guère le temps d’y songer plus longtemps que son interlocuteur tentait déjà de la calmer. Les sourcils froncés, les yeux gris virant à l’orageux, elle observa d’un air sévère l’adulte qui lui faisait face, attendant ses explications. L’explication donnée était satisfaisante, mais la demoiselle fit la moue malgré tout, hésitante malgré tout. Il valait mieux faire croire qu’elle hésitait, s’il mentait après tout il avait plus de chance de s’emmêler dans ses éclaircissements. Elle finit toutefois par se dérider, son éternel sourire revenant doucement fleurir ses lèvres roses tandis qu’elle constatait pour elle-même dans un murmure :

-Le hibou est le plus sage des veilleurs de la forêt…

Celui à qui il s’était lié devait en être digne, donc cela donnait à l’Evanaelle davantage de poids. Elle l’écouta attentivement tandis qu’il lui relatait sa propre expérience, se demandant s’il disait la vérité. Probablement, les hibous n’aimaient pas le mensonge, c’était ainsi. Mais ce que lui avait vécu ne voulait en rien dire que l’esprit d’Enetari l’attendait avec autant d’impatience.

-Je ne m’attendais pas à cela, c’est vrai. Mais je ne pense pas passer mon rituel très tard, je le… sens qui m’appelle.

Elle observa avec fascination une fleur qui poussait non loin, songeant à quel point son parfum était envoûtant. Les fleurs étaient fragiles, délicates, et se servaient de cette beauté pour se défendre. Quiconque les respectaient, avait un peu d’amour pour cette Nature, les laissait s’accroitre et conquérir le monde, les observant laisser vers le ciel leurs spores virevoltantes, dégageant leurs parfums dans l’air pur. C’était merveille que de les admirer.

-Nos totems sont liés à d’autres n’est-ce pas ? Alors pourquoi nous attendent-ils avec impatience alors qu’ils ont déjà des protégés ?

Un esprit n’avait besoin d’aucun bipède après tout. Il était comme les fleurs, il s’élançait sans se soucier du reste. Il avait un pouvoir certain qu’il consacrait pourtant à aider les armandéens. Mais si Enetari était curieuse de la réponse, elle n’aurait pas repoussé pour autant le sien, bien au contraire. Sans une hésitation la demoiselle à la blanche crinière posa sa main dans celle tendue et bien plus large d’Aegnor, le regardant avec enthousiasme.

-Je l’accepte !

Avant de rajouter, soupçonneuse :

-Comment cela fonctionne-t-il ? Vous allez… rentrer dans ma tête ? Ou il y a un rituel ?

Toutefois elle devait bien avouer qu’en dépit de la méfiance elle n’en restait pas moins extrêmement curieuse de connaitre celui qui l’attendait, quand bien même devrait-il s’incruster dans son esprit. Elle le mordrait pour apprendre la politesse mais accepterait la révélation. L’idée que cela puisse être douloureux ou épuisant ne vint pas à l’esprit, elle ne craignait pas la douleur après tout. Ne la connaissait pas vraiment en réalité. Elle était encore jeune après tout…

¤ Le cadeau III ¤

Un léger sourire flottait sur le visage d'Aegnor face à la montée de colère de la jeune Terendul. Elle semblait avoir du caractère et n'était pas que douceur. Après tout elle était la fille du général. Néanmoins une pointe d'interrogation demeurait dissimuler dans le regard ambré du prince héritier. Pourquoi ? Pourquoi s'était-elle ainsi emportée. L'espionne n'aimait pas être espionnée en retour ? Le rituel semblait être un sujet sensible chez la future dame pour ainsi s'emporter et en venir à accuser son père. Devait-il se risquer à lui poser des questions au sujet de ce soudain sursaut d'humeur ? Pourquoi pas, peut-être lui répondrait-elle ou peut-être pas. Au final le blond n'était qu'intrigué, il n'avait pas désespérément besoin de le savoir. Soit, il lui demanderait après dévoilé son totem à la jeune nymphe. Du moins s'il réussissait. Non, il réussirait, il n'avait de toute manière pas le choix et puis il avait confiance en son esprit totem. « Le hibou est le plus sage des veilleurs de la forêt... » Cette phrase dite dans un murmure fit sourire le jeune Evanealle, il est vrai qu'il n'y avait pas plus sage créature. Dans ce cas, pourquoi s'était-il lié à lui ? L'amusement de cette interrogation s'insinua dans le prince qui le chassa bien rapidement pour rester concentrer.

« Nos totems sont liés à d’autres n’est-ce pas ? Alors pourquoi nous attendent-ils avec impatience alors qu’ils ont déjà des protégés ? »

Le prince arqua un sourcil face à cette question très pertinente, très intéressante à laquelle il n'avait toutefois pas de réponse, mais uniquement quelques idées.

« C'est une excellente question, à laquelle je n'ai malheureusement pas de véritable réponse. Néanmoins j'ai ma petite idée sur le sujet. Je pense que les esprits totems sont mus d'un véritable amour, ce qui fait que nous sommes tous important à leurs yeux. C'est pour cette raison que même s'ils ont d'autres protégés, ils nous attendent avec impatience afin d'avoir une personne de plus à protéger. »

La réponse était certes bancale, mais c'était ce que pensait le blond. Par ailleurs celle-ci sembla satisfaire la jeune Enetari qui vint déposer sa main dans cette du prince, lui arrachant un léger sourire de satisfaction.

« Comment cela fonctionne-t-il ? Vous allez… rentrer dans ma tête ? Ou il y a un rituel ? »

« Non, car ton lié ne se cache pas dans ta tête. Il rôde quelque part autour de toi, te surveillant dans l’ombre, mais incapable de te parler. Il en est de même pour nous, car nous ne le voyons point. Je vais simplement me laisser guider par mon hibou qui me le révèlera. »

Aegnor disait cela, mais en réalité il n’en savait rien, ce n’était qu’un pressentiment sans aucun fondement. Il n’avait jamais lui-même tenté cette expérience. Il avait seulement lu des livres, mais c’était quelque chose de difficilement descriptible et qui semblait varier d’une personne à l’autre. Il n’avait d’autre choix que de laisser s’épanouir ses pouvoirs et de les laisser le guider.

L’Evanealle referma doucement sa main sur celle d’Enetari avant de fermer les yeux et prendre une respiration. Il fit le vide dans son esprit avant de ne se concentrer que sur une chose, son totem. Lentement mais surement il fit s’épanouir celui-ci. Un lointain bruit de battement d’ailes se fit entendre dans son esprit, devenant de plus en plus fort et semblant se rapprocher. Le faciès d’Aegnor se crispa légèrement sous cette cacophonie avant de reprendre une expression plus paisible. Lentement le prince ouvrit les yeux. Son regard était vide, aucune flamme n’y brûlait. Il fixait Enetari, mais en même temps il ne la regardait pas. Ses yeux livides se mirent à bouger lentement semblant chercher quelque chose, quelqu’un.

C’était une transe, une expérience étrange que vivait là Aegnor. Il voyait des choses qu’il n’avait jamais vues et en entendait d’autres. Ces choses étaient autour de lui, et semblait l’avoir toujours été et pourtant imperceptible. Il faillit se perdre dans ce nouveau paysage quand quelque chose lui sauta rapidement devant les yeux disparaissant aussitôt, avant de recommencer à nouveau. C’était petit, mais ses bonds étaient puissants. Bientôt, le prince fut en mesure d’entrevoir la créature qui ainsi s’amusait à bondir d’un endroit à l’autre. Il le voyait presque, presque. Il vit finalement une patte, une antenne avant d’être brutalement repousser.

Aegnor ferma les yeux et sortit de sa transe, manquant de tomber à la renverse. Lâchant la main d'Enetari, il était tremblant et cherchant son souffle. Ayant l'impression de revenir de loin. Regardant autour de lui un air légèrement perdu il se souvint de l'endroit où il se trouvait et lentement il tâcha de regagner son calme. Venant se rasseoir convenablement il posa son regard ambré sur la petite elfe à l'air interrogatif qui semblait attendre une réponse de sa part. Fermant les yeux à nouveau il se remémora de ce qu'il avait vu. Ça ne faisait aucun doute, il s'amusait à le poursuivre lorsqu'il était enfant sans jamais réussir à les attraper.

« Je l'ai vu. Ce ne fut pas facile, ça n'arrêtait pas de sauter à droite à gauche. Mais aucun doute possible. Celui qui t'attend est l'esprit de la sauterelle. »

Le blond tira légèrement son col ayant encore l'impression d'étouffer. Quelle sensation désagréable. Mais c'était une première fois.

« Si je me rappelle bien ceux qui sont liés à cet esprit, ont la capacité de se téléporter. »

Le blond fit planer un petit silence avant de reprendre.

« Pourquoi t’es-tu énerver quand je t’ai parlé de ton rituel, Enetari ? »