Beaucoup de choses s'étaient passées en cinq mois... Bien que la défaite des Alayens fut cuisante au domaine Baptistral, avec en plus la perte de Néant qui s'était réfugié bien trop profondément dans son monde au point d'en oublier ses enfants, la guerre n'était pourtant pas pour autant disparu : bien des armées continuaient à guerroyer aux alentours des cités et de la capitale humaine. Il y avait même des patrouilles qui sillonnaient le pays... S'ils avaient infliger des pertes sévères dans les rangs des envahisseurs, ils restaient encore bien présent sur le continent pour leur plus grand désespoir. Aussi les premiers furent consacrés à soigner les plaies de tous, physique ou mentale, histoire de reprendre son souffle avant d'appréhender ce que l'avenir réservait à tous. Et quel avenir... Les combats faisaient rage et les humains avaient perdu la tête en plus d'avoir perdu leur empereur, et le dernier n'était apparemment pas du tout sain d'esprit... Cet espèce de truc avait tout simplement fait un coup d'état, mis ses partisans au pouvoir avant de s'allier aux Alayens.

Ked était convaincu que cet abruti était tout simplement immangeable...

Enfin, s'il pouvait encore manger parce que depuis qu'ils étaient tous sortit du combat contre Néant, dragons et dragonniers semblaient être frappé d'une étrange maladie... Certains avaient des blessures ou des maladies, d'autres comme Ked avaient un peu plus : peu de temps après la fin de la bataille, il avait remarqué que le sang et lui n'étaient plus vraiment ami, une nausée violente l'avait submergé au point qu'il repousse le liquide salvateur. Depuis il était à la diète... Et ça faisait vraiment long là. Pour se maintenir en forme, il avait pu ingurgiter quelques gouttes mais sans plus pour ne pas finir malade et tout régurgiter. Alàlàlà... En plus de ce « léger » inconvénient, voilà qu'il n'en pouvait plus d'Havard : il était toujours à l'affût de son odeur ou de sa voix, guettant sa présence et se sentant inconditionnellement heureux quand l'humain était dans les parages ou que leurs regards se croisaient. L'un des seuls désavantages qu'il trouvait marrant cependant était que son ouïe paraissait altérer : il entendait tout de travers d'après ce que lui avait dit son maître et cela le faisait jubiler de voir ses interlocuteurs tourner chèvre dès qu'ils essayaient de lui parler. Dire qu'il ne faisait même pas exprès... Mais c'était tellement drôle !

Un sourire amusé aux lèvres alors qu'il se rendait dans la Caverne des Héros, Kedrildan en aurait presque sifflé d'un air guilleret alors qu'il avait la motivation de s'entraîner. Eh quoi ! Ce n'était pas parce qu'il avait quelques difficultés qu'il était impotent ou infirme ! Et il avait toujours l'intention de devenir le plus puissant guerrier vampirique de tous les temps alors il fallait qu'il y travaille d'arrache-pied alors que les temps étaient toujours aussi sombres qu'auparavant. C'était donc armé d'un morceau de parchemin et d'un morceau de charbon qu'il se rendit là-bas, espérant trouver quelqu'un avec qui s'entraîner parce que c'était quand même plus drôle ainsi. En réaction aux décisions du nouvel Empereur Humain, l'Alliance entre les elfes, les hommes et les vampires avait décidé de rester encore uni ensemble pour mettre fin à ces agissements et bouter enfin les Alayens hors d'Armanda. Aussi s'étaient-ils tous réunis à Aigue-Royal, la ville souterraine d'Althaia la Romantique pour organiser la rébellion.

Ses pas résonnant dans les couloirs, Kedrildan s'y rendit tranquillement et regarda les rebelles s'entraîner entre eux, essayant de repérer quelqu'un qui serait susceptible de l'aider ou au moins de faire un échange de bons procédés : je t'aide à travailler telle compétence et tu m'aides à travailler telle compétence. Les bons comptes font les bons amis non ? Enfin il pouvait toujours essayer mais certainement pas avec les humains par contre : il avait beau promettre d'être sage, il était toujours autant allergique à ces bipèdes sans importance. Quant aux elfes... Hmpf pourquoi pas oui mais bon, pas sûr qu'ils acceptent eux aussi... Et il ne voyait pas de vampires à l'horizon pour le moment... Bah, il n'avait plus qu'à attendre un petit instant donc.

Cependant, il n'eut pas à attendre plus que ça dans le fond puisque bien vite ses sens l'avertirent qu'un membre de sa race était dans la place, des idées d'entraînements sûrement. Se levant, il chercha la personne avant d'hausser un sourcil en voyant une vampire s'avancer dans la Caverne, le faisant aller à la rencontre de la jeune femme qu'il reconnut comme une fanatique de leur abruti de roi, Lorenz Wintel. Bah, tant qu'il pouvait s'entraîner, il s'en fichait de son appartenance.

« Mes salutations... Rechercheriez-vous par le plus pur des hasards un compagnon d'entraînement ? J'en cherche un pour tout vous avouer mais je n'ai guère de succès parmi les « humains » et je doute que les elfes soient enclins à ce genre d'exercice. Aussi, je vous propose ma compagnie... Cela vous intéresserait-il donc ? »

Ce qu'il causait bien le Kedrildan non ? On peut dire merci à Maître Achroma pour le coup !

En même temps s'entraîner avec des humains ou des elfes, ça fait vraiment vampires en dépression nerveuse non ? Au bord du désespoir absolu... Fort heureusement, Dracos, dans sa grande mansuétude, décida d'accorder un geste au roux qui se promit de le prier avec ferveur pour le remercier d'un tel geste : une vampire venait d'apparaître parmi eux et il doutait que cela soit pour tricoter des portes jarretelle en peau humaine brodés de cheveux d'elfe. Motivé, Kedrildan se leva et s'avança vers elle, se demandant s'il devait être charmeur pour la persuader de jouter en sa compagnie mais espérant surtout qu'elle ne lui oppose pas un refus pour aller plus loin. Cela ne lui plaisait pas de retourner dans son coin pour se morfondre de nouveau comme un con... Et puis Havard ne faisait même pas surface, son humain lui manquait et puis il avait les crocs... Hmpf...

Aussi lui parla-t-il en essayant de la brosser dans le sens du poil, essayant de ne pas en faire trop pour garder un minimum de crédibilité et croisant mentalement les doigts pour qu'elle accepte. Il était prêt à devenir végétarien et à être la grande folle de Lorenz pour que cette vampire soit la lumière de son ennui mortel et de son apathie destructrice ! Et... *roulement de tambour*... Oh seigneur elle a dit oui ! Malgré la tentation de l'embrasser fougueusement pour la remercier d'avoir dit oui, Kedrildan se dit que c'était sûrement le meilleur moyen de lui faire changer d'avis à ce sujet.

« Il est vrai que les humains sont tellement fragiles qu'on nous accuserait de mauvaise volonté... Aucun savoir-vivre ni raisonnement logiques ces vivants... »

Un reniflement dédaigneux, le vampire marcha à ses côtes pour trouver un coin tranquille pour ne pas se mêler aux autres et aussi créer des « accidents diplomatiques », enroulant ses cheveux en un chignon d'apparence précaire mais qui tiendrait correctement avant de croiser les bras en la regardant. A quoi ils allaient bien pouvoir s'entraîner.... La dague ? Et bien pas de souci et puis s'ils avaient un bon feeling entre eux, peut-être pourront-ils se retrouver pour travailler d'autres de leurs points faibles comme l'agilité et le combat à main nu pour lui par exemple. Enfin, si elle avait quelques capacités bien évidemment ; ils devraient en discuter pour voir quelle expérience ils ont chacun de leur côté pour s'aider et s'entraîner ensemble. De toute façon, Kedrildan doutait fortement de trouver un autre adversaire vampire et volontaire... Alors autant soigner son cobaye du jour pour qu'elle revienne lui tenir compagnie !

« Ça tombe bien, la dague est l'une de mes spécialités. Nous n'avons qu'à commencer par des exercices simples de lancer si vous le souhaitez ? Ou alors on peut faire des attaques de corps à corps, parade et esquive, les mouvements adéquates pour tel point faible lorsqu'on est amené à nous battre en rapproché. Alors ? Qu'est-ce qui vous motive en premier ? »

Amusé, le vampire avait les yeux qui pétillaient en se frottant les mains, impatient de commencer l'entraînement avec la demoiselle avant d'attraper ses propres dagues, s'amusant à jongler habilement avec en la regardant d'un regard suggestif. Aussi, quand elle fit son choix, Kedrildan se mit à lui expliquer les règles de bases avant de faire quelques exemples pour vraiment illustrer ce qu'il essayait de lui montrer : feinte, parade, estoc, esquive, et un deux trois, un deux trois, un deux trois... C'était un peu comme une valse, il n'y avait rien de compliqué non ? Arrivait-elle ?

« Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous : bien évidemment le plaisir de la chasse est vraiment sans fin, mais il est toujours pratique de connaître le maniement d'une dague au corps à corps en cas d'un possible retournement de situation qui ne serait pas à notre avantage. »

Mais elle avait décidé de commencer par le lancer qui était un exercice tout aussi intéressant et des plus amusants à vrai dire, surtout si on s'entraînait sur les humains ou les elfes prisonniers. Choses qu'ils n'avaient pas sous la main pour cause d'union dans la rébellion... Tch, même pas drôle. Aussi préféra-t-il ignorer sa frustration pour se concentrer sur les gestes de la vampire, lançant quelques fois ses dagues pour qu'elle calque ses mouvements sur lui. Les premiers jets ne furent pas des plus glorieux... Et il devait retenir avec force un rire amusé à chaque échec de peur de la frustrer et de la faire décamper : il s'amusait bien en sa compagnie, ça aurait été dommage de mettre fin à cette entraînement qui venait à peine de débuter. Et puis, à force de conseil et de persévérance, elle maîtrisait un peu mieux la technique même si ça méritait d'être davantage peaufiné. Peut-être que la prochaine fois il trouverait un système pour avoir des cibles mouvantes sans pour autant utiliser des vivants en guise de cobaye... A sa plus grande déception et sûrement celle de la vampire s'il avait soumit l'idée à haute voix.

« Oui, dès que vous pourrez et jusqu'à ce qu'on se retrouve de nouveau pour lutter si vous le souhaitez, n'oubliez pas de vous entraîner régulièrement jusqu'à ce que vous visiez avec excellence la portion de la cible que vous souhaitiez : une tête, un bras, une jambe, le cœur, etc. Bien entendu, vous pourrez sûrement demander à ce qu'on vous fasse un épouvantail en paille pour vous aider, ça rendrait les choses un brin plus réaliste. »

Pensivement, Kedrildan fixait les cibles en se frottant le menton : oui, l'épouvantail était une idée pas mal.

« Pour assouplir vos gestes, vous pouvez aussi vous amuser à jongler avec votre lame, cela vous habituera à son poids et son calibre jusqu'à ce qu'elle devienne une extension de vous-même. Et c'est une astuce des plus amusantes pour peu que vous faites ça en regardant les vivants avec un air affamé et dangereux, l'étincelle de peur pétillant dans leur regard est des plus jouissif alors qu'ils dépêchent de poursuivre leur route. »

Un sourire mutin aux lèvres, le faciès joueur, le roux fixait la vampire avec malice : taquiner les vivants était un des rares plaisirs auquel ils pouvaient encore prétendre depuis cette union en place.

« Bref, place à la lutte avec dague donc ! Je sais que vous êtes une excellente chasseuse, qui adore jouer avec ses proies et qui manie ses crocs et ses griffes avec art. Seulement vous ne devrez vous battre qu'avec elle avec moi d'accord ? Je vais vous montrer quelques feintes et quelques parades bien utiles en cas de corps à corps imprévu et en votre défaveur : souplesse et rapidité sont les meilleurs amis de vos lames. Et si vous êtes ambidextre, n'hésitez pas à vous trouver une seconde dague, cela vous aidera grandement dans votre équilibre et les dégâts que vous infligerez. »

Se mettant en position de combat, il attendit qu'elle fasse de même avant de s'élancer vers elle, feintant vers son visage puis vers son flanc avant de planter le bout de sa dague au bout de ses bottes, entre ses orteils pour ne pas le blesser.

« Vous avez vu ? D'ailleurs, même avec les feintes et les parades vous pouvez faire durer le plaisir : pour peu que vous sachiez l'anatomie des vivants, vous pouvez les planter autant que vous le souhaitez du moment que vous évitez les points vitaux. Enduire la lame de poison plus ou moins toxique, aux vertus diverses et plaisantes, ou même grâce à un enchantement, et les séances de torture ou de chasse seront des plus amusantes pour vous. »

Souriant, il finit par lui décomposer les feintes classiques et faciles, les parades efficaces dans un combat, ou plutôt une danse, des plus lentes pour qu'elle saisisse d’entièrement du mouvement et qu'elle s'en imprègne.

« L'idéal serait de vous montrer des enchaînements de bases et de les répéter avec lenteur plusieurs fois par jour jusqu'à ce que cela devienne des réflexes. C'est ce que je vous ai dit tout à l'heure : l'art de la dague doit juste être une extension de vous-même et de vos capacités et vous verrez qu'il sera tout aussi plaisant de chasser ainsi. »

Il se faisait l'effet d'être un colporteur très doué là en fait, d'être un marchand très habile au vu de sa réussite à lui faire préférer la dague à ses mains. En même temps, avec une arme pareille à chaque main, on gagnait une allonge et des dégâts non négligeable, sans compter que cela faisait quand même bien plus propre et le roux adorait se sentir propre. Sauf quand il avait décidé de s'amuser avec sa proie ou de prendre un bain de sang bien évidemment... Se rengorgeant de fierté en l'entendant adopter ouvertement l'art de la dague, le roux se mit à sourire en se lissant mentalement les plumes avant de reprendre l'exercice, débouchant cette fois-ci sur l'art de la lutte armée.

Comme exemple, il fit quelques feintes avant de percer la pointe de sa chaussure pour lui montrer le champs des possibilités et surtout qu'il ne fallait jamais sous-estimer ces petites lames d'une vingtaine de centimètres : elles pouvaient faire bien plus de dégâts que leurs consœurs épées de plus d'un mètre de long. Aussi, quand Norwen lui demanda de recommencer le même exercice pour qu'elle réussisse à saisir la parade, le vampire s'exécuta sans ralentir la cadence, à pleine vitesse les même gestes pour qu'elle trouve la faille et perçoit la faille. Ils recommencèrent encore et encore, sans se lasser ou respirer vu qu'ils étaient morts, juste la faim dans leur ventre, jusqu'à ce qu'elle comprenne approximativement le geste.

« Il faut que vous réussissiez à percevoir l'infime mouvement qui se passe avant l'action, cette petite seconde qui vous montrera si c'est une feinte ou une attaque pour avoir un coup d'avance sur votre adversaire. Sur les humains empotés ce ne sera pas un problème mais les mangeurs de salades sont aussi rapides que nous et c'est d'eux qu'il faut se méfier. »

Profitant d'une légère pause dans les mouvements, il lui donna ce petit conseil qui lui avait déjà sauvé une fois ou deux ses précieuses canines.

« Quand on a vécu une existence comme la mienne, on se rend bien vite compte que les dagues sont nos meilleurs amies. Bien que j'apprenne l'art de l'épée en ce moment, chose un peu moins aisé je dois l'avouer... Nous reprenons ? »

Se mettant en garde, Kedrildan ne l'attaqua pas mais lui montra plutôt au ralentit les diverses feintes et leurs parades qui pouvaient exister afin qu'elle les perçoive et les reproduise, ajustant ses poignets ou ses coudes, la position de son bassin ou de ses jambes, pour garder un geste optimal. Une série qu'il recommençait en boucle mais de plus en plus rapidement et dans des positions aléatoire pour faire travailler sa mémoire et aiguiser ses réflexes, ne la lâchant pas du regard tout en veillant à ne pas la blesser ou à laisser des failles dans sa garde pour qu'elle les exploite et use des techniques qu'il s'efforçait à lui apprendre.

Bien entendu, le roux était loin d'être stupide (enfin il l'était il y avait encore quelques années mais son maître l'avait grandement aidé à ce sujet) et il se rendait bien compte qu'elle ne pouvait atteindre son niveau en un seul essai mais c'était déjà un début des plus concluants : elle n'était pas stupide et était persévérante, prenant vraiment à cœur leur entraînement. Si elle le trouvait bon entraîneur, lui la trouvait excellente élève.

« Est-ce que tu veux qu'on essaie avec deux dagues cette fois-ci ? Ça pourrait être intéressant et je suis sûr que tu aimeras, dis-toi que ça te fait des griffes plus grandes... »

Malicieux, il lui fit un clin d’œil complice.

Les mouvements étaient d'une fluidité sans pareille, identique à la caresse du vent, les coudes arrondis, le poignet souple, il n'en restait pas moins aussi vif que la piqûre du scorpion ou la morsure du serpent. Malgré l'absence d'expressivité de son visage, ses yeux verts étaient aussi étincelants que des émeraudes : les déliés de son corps alors qu'il feintait et paraît, enchaînement les piques audacieuses et les retraits protecteurs, Kedrildan exécutait une vraie danse, l'art de tuer au bout de ses doigts alors que l'acier de ses dagues reflétaient les lueurs tremblotantes des torches murales. Pas le moindre souffle ne s'échappa de ses lèvres vu qu'il était mort depuis un temps si long aussi était-ce des plus pratiques alors qu'il se mouvait avec la grâce des félins des neiges, tueur implacable aux yeux couleurs ambre ou orage. Bien que coiffé, ses mèches se paraissaient de reflets sanglants alors qu'il enchaînait les mouvements sans fin, infini mouvement pourtant toujours identique afin que son « élève » réussisse à les reproduire et les enchaîner avec le plus de facilité possible.

Bien entendu, le roux ne se faisait pas d'illusions : elle ne pourrait pas avoir sa maîtrise en n'ayant fait qu'une leçon mais il comptait sur sa mémoire et son imagination afin de retenir le maximum d'informations pour appliquer docilement certains exercices dans l'intimité de sa solitude. En tout les cas, il continua de s'exercer en sa compagnie, bondissant agilement, s'arrondissant souplement, s'éloignant vivement, il était arme et mort, danger et douleur, il était enfin. Bien que mort, l'adrénaline que son corps mort continuait de sécréter quelque peu ainsi qu'aidé son instinct de chasseur, lui donnait l'impression de pouvoir déplacer des montagnes, d'être enfin vivant mais de façon bien plus époustouflante que lors de sa misérable existence humaine. Heureusement que son maître veillait à ce qu'il ne devienne pas comme ces fous furieux qui étaient drogués au sang et à l'excitation dû à l'adrénaline, de cette manière il était capable de savourer chaque plaisir qu'il recevait à sa juste valeur et c'était une supériorité non négligeable sur les autres dont il était fier. En rien flattait l'orgueil de Kedrildan depuis qu'il avait accédé à la connaissance et l'intelligence de par la gentillesse et le savoir de son maître, Achroma.

Revenons-en à nos fioles de sang, enfin en l’occurrence ici de son élève. Aussi, bien qu'il était de son avis, il n'était pas d'accord et il le lui fit savoir en secouant simplement sa tête tout en fronçant le nez : bien que l'immobilisme et le pacifisme était leur fort, ils n'avaient pas leur pareil dans le maniement des armes pour peu qu'ils se bougeaient le popotin. Mais il maintenait une chose avec certitude, un écho qu'il trouva chez elle aussi : les dagues n'étaient rien d'autre que des griffes, une extension de soi-même, et il ne fallait pas les voir différemment sinon on serait toujours entravé.

« Quand l'esprit n'assimile pas, il est comme entravé et le champs des possibles qui lui est grand ouvert se retrouve restreint. Vivant ou mort, la même leçon est valable pour tout le monde dès l'instant où l'on souhaite manier l'art de la dague : de part sa nature peu longue mais aussi tranchante que ses consœurs, il faut qu'elles soient vues et considérées comme nos propres mains. En fait, d'un coup, vous venez de gagner une trentaine de centimètres avec un bonus tranchant comme un rasoir et peut-être magique pour peu qu'on ait de l'imagination et de l'humour. Mais si vous vous écartez un tant soit peu de ce constat évident, vous verrez bien qu'elles perdront leurs pleins potentiels et si cela arrive dans un moment critique, je ne donne pas cher de votre peau. Il ne faut jamais douter de ses lames, jamais, parce qu'elles ne vous trahiront jamais... »

La regardant tranquillement, le dragonnier sourit brièvement avant de lui proposer d'essayer avec deux dagues ce coup-ci, ce qui pourrait peut-être lui faciliter la tâche vu qu'avec qu'une seule ce n'était pas trop évident. En fait, lui n'aimait pas se sentir les mains vides et il veillait à ce que ses compagnes de métal soient dans un état irréprochable : il les bichonnait avec beaucoup d'amour, elles n'avaient pas d'amant plus tendre que Kedrildan et ça aussi cela le rendait fier.

« Ce n'est pas grave si tu n'en as qu'une seule, il y en a ici à disposition pour les entraînements mais essaie de voir avec un forgeron ou un marchand pour en trouver une de très bonne qualité. A vrai dire, je suis plutôt double moi : avoir une main vide ne sert à rien à mon goût aussi si nous continuons de nous entraîner ensemble dans l'avenir, ce que je souhaite bien entendu, l'entraînement se fera toujours double. C'est peut-être un défaut de ma part, c'est peut-être une restriction et une branche que je néglige avec dédain, mais quand on voit comme moi les dagues comme des extensions de nos griffes, ce serait comme se battre avec un moignon à l'une des deux mains. Bref, sans intérêt quoi. »

Haussant les épaules, légèrement snob sur les bords, le roux lui lança une dague d'entraînement et la regarda prendre position avec un sourire appréciateur bien que le coude droit méritait d'être un peu plus haut et le pied gauche un peu plus décalé que son confrère. Mais chaque chose en son temps.

« Non non, pas peu importe : il y a une stratégie sous-jacente en fait. Certes l'une est en défense et l'autre en attaque, c'est la base des mouvements les plus simples. Mais pour certaines parades, il faudra qu'elles soient toutes deux de front ou toutes deux de parades, tout dépend de ce que l'adversaire tentera pour te vaincre. Il faut aussi que tu saisisses autre chose : parce que tu as deux lames, tu dois être parfaitement ambidextre et pouvoir alterner leur fonction, d'un bond la défensive devient l'offensive et vis et versa, ou alors elles se croisent pour te défendre avant de se tendre dans une attaque sournoise. Cela doit devenir une danse mortelle et ensorcelante, la vision de la mort l'étreignant suavement jusqu'à ce qu'il meurt en se rendant compte de sa stupidité. »

Un sourire carnassier aux lèvres, le roux la regarda avec l’œil du chasseur, pliant légèrement les genoux, ses bras arqués le long de son corps, tenant négligemment ses armes. Un temps de vide passa avant que ses poignets se crispèrent en positionnant les dagues lames en arrière et pommeaux vers les mâchoires de l'adversaire, son attache capillaire se rompant quand il prit sa détente pour bondir vers elle. Un pommeau pour frapper son bras et la déséquilibrer, il effectua une pirouette pendant que son autre lame visa le ventre : les deux étaient offensives même si l'une effectuait une parade.

Plus il la poussait dans ses retranchements et plus il pouvait voir à quelle point cela semblait la frustrer au plus haut point de ne pas pouvoir mener la danse contre le roux. Mais en même temps, c'était une technique d'apprentissage comme une autre et Ked adorait avoir l'avantage sur l'autre, il se sentait moins en danger de cette manière, de vieux reste de son passé misérable. Enchaînant les pas et les feintes, les pirouettes et les parades, le vampire ne cessa pas un seul instant de la pousser au plus loin de ses retranchements pour tester sa force et ses lacunes, interrompant à peine la mélodie des lames l'une contre l'autre pour expliquer l'art du maniement de la dague ou rectifier sa position. Le temps s'écoulait peu à peu et bientôt, le dragonnier ne pouvait dire si cela ne faisait que quelques minutes ou plusieurs heures qu'ils paradaient ensemble, les autres avaient-ils cessé leurs propres entraînements pour les observer ? Il n'en avait cure dans le fond même si cela flatterait sûrement son ego pour le coup.

Mais cela semblait durer depuis un moment de toute évidence puisqu'il constata peu à peu elle répondait avec moins de vivacité et plus de hargne à ses attaques, commencerait-elle à s'épuiser ? Il était vrai que sur du long terme pour un être ne connaissant que très peu le maniement de ce genre d'arme cela ne devait pas être évident... Profitant d'une attaque un peu molle, il exécuta une parade et y mit assez de force pour la faire tomber à terre en la désarmant, la pointe de Plaie chatouillant sa poitrine sans la blesser. Immobile, la fixant avec attention, Kedrildan finit par sourire et se redressa, la regardant avec une pointe de malice en rangeant ses dagues dans ses bottes, leurs manches dépassant négligemment.

« Que vous ayez comprit l'importance est déjà un grand pas vers le progrès. »

S'étirant, il se frotta la nuque en regardant autour d'eux, l'absence d'indicateur temporel autre que leur horloge biologique pour leur dose de sang faisant cruellement défaut, le roux finit par la regarder attentivement avant d'hocher la tête, un léger sourire aux lèvres.

« Je dois vous avouer que vous avoir comme élève est des plus passionnants, aussi accepte-je avec grand plaisir votre proposition ! Loin de moi de faire du sentimentalisme, je voudrais seulement savoir si nous retrouver dans trois jours vous conviendrait ? Je dois partir en mission-éclaireur prochainement et ma dragonne me ponce vigoureusement le cuir pour sortir prendre enfin l'air, aussi ne pourrais-je vous dispenser mon enseignement avant ces trois jours m'étant nécessaire. Bien entendu, je vous conseille vivement de reproduire en solitaire les exercices que je vous ai montré ou suggéré plus tôt lors de notre entraînement : les mouvements de parades et de feintes au ralentit puis de plus en plus vite, ainsi que quelques exercices de jonglages pour assouplir vos poignets par exemple, mais cela peut être un sacré élément de surprise pour votre adversaire. Le lancé serait aussi à travailler bien entendu ; vous voyez ? Je ne vous laisse pas démuni durant mon absence, cela vous convient-il ? »

Lui souriant, il pencha légèrement sa tête sur le côté avant de défroisser ses vêtements en se tenant bien droit.

« Aussi, si cela ne vous dérange pas, je vous donne donc rendez-vous ici dans trois jours pour continuer la leçon d'accord ? En attendant, il faut que je me rende auprès de mon maître : il serait des plus intéressants que je me nourrisse. »

Un brin charmeur, le roux s'inclina avant de s'en aller tranquillement jusqu'à l'endroit où résidait Achroma, le seul possédant la persuasion et la solution pour lui faire boire du sang sans qu'il ne régurgite tout à cause de la malédiction de Néant.