Mélusine naquit dans une famille plutôt modeste, habitant une chaumière dans les bois avec son père, sa mère et ses trois frères. Ses plus jeunes années furent les meilleures. Son paternel lui apprit à chasser et elle ne cessait de se chamailler gentiment avec ses frères. Elle ne fut pas éduquée comme une gentille fille gracile et délicate – loin de là. Entourée de ses frères, elle apprit rapidement à se bagarrer et à aider sa famille à subvenir à leurs besoins. Ce fut lorsque son père et ses frères partirent pour servir l’Empereur que les ennuis commencèrent. Ils ne revinrent jamais, laissant Mélusine et sa mère seules, éplorées et sans ressources. Livrées à elle-même, Mélusine fut la plus capable pour leur permettre de trouver de quoi se nourrir. Elle prit les choses en main et alla régulièrement braconner, laissant sa mère ayant la santé fragile à la chaumière. Mais comme remplir leur ventre n’était pas non plus leur seule nécessité, la jeune fille alors âgée de dix ans se mit alors à voler sur les étalages et piquer dans les bourses des passants. Ce ne fut pas tâche aisée et Mélusine se fit attraper à bon nombre de reprises avant de réussir à se faire assez dextre et discrète pour ne pas se faire repérer. Ça lui valut d’ailleurs quelques visites des geôles qui furent le début d’un long apprentissage et d’une rancœur certaine à l’égard des autorités. C’est qu’il y faisait froid, humide, et que son ventre vide criait famine. Les gardent lui firent bien quelques bleus en espérant lui donner une leçon mais la petite sauvage n’en retint guère une quelconque efficacité. Elle avait bel et bien conscience que c’était mal de voler les gens, mais elle n’avait pas d’autres choix. Elle ne pouvait résolument pas laisser sa mère mourir de faim et de chagrin. Plus la jeune fille était confrontée aux Impériaux, plus sa haine grandissait à leur égard. Son père et ses frères étaient morts pour leur Empereur, et maintenant, elle et sa mère étaient seules et pauvres. Aucune reconnaissance, aucune gratitude, rien. Renfrognée, la gamine attendait son heure. Et à chaque fois, elle recommençait.
Sa mère savait pertinemment à quoi sa fille se risquait. Elle tenta de la raisonner à plusieurs reprises, ayant tout de même conscience de la nécessité de ses larcins. Petit à petit, elle perdait l’esprit et elle devenait de plus en plus malingre. Désespérément, Mélusine essaya de tout faire pour l’aider à s’en sortir. Elle prenait davantage de risques, essaya de voler des remèdes, mais en vain. Sa mère sombrait peu à peu et elle n’y pouvait rien. Cela prit quelques années avant que la mort ne l’emporte définitivement. Mélusine avait alors dix huit ans et elle se retrouvait seule et désemparée. Le propriétaire eut tôt fait de la jeter dehors comme une malpropre, alors que c’était elle qui s’était assurée qu’il obtienne son gagne-pain depuis plusieurs années. Elle commença à errer dans les ruelles, à se trouver des planques dans une bonne partie de la ville, à jouer les imposteurs pour mieux piocher dans les bourses. S’emmurer dans la solitude n’était vraiment pas son genre, elle qui était toujours d’un naturel jovial avec quiconque – enfin, surtout les gens de sa classe sociale. Elle rencontra bien vite des gens qui étaient comme elle, nécessiteux et forcés de voler pour survivre. La jeune femme se fit rapidement une place parmi eux et commença à étendre ses relations, à essayer de les rassembler pour agir en collaboration. Mine de rien, Mélusine commençait à se faire une réputation, surtout auprès des gardes qui commençaient à avoir l’habitude de ses petits larcins.
Alors que pour une fois, elle n’avait rien fait, elle se fit alpaguer par l’un des soldats qui lui reprocha avec virulence d’être la responsable d’un vol commis quelques heures plus tôt sur un marchand fortuné. Mélusine n’était en rien concernée, mais elle eut beau le répéter hardiment à son interlocuteur, celui-ci ne voulut rien entendre. Il la traîna jusqu’à la prison et se montra cruel en la frappant à plusieurs reprises et en la jetant dans sa cellule. Alors que la voleuse s’attendait à être relâchée étant donné que rien sur elle ne l’inculpait sur cette affaire, elle se heurta à la désillusion la plus totale. Le sourire mauvais de son bourreau ne laissait rien à présager de bon et bien qu’elle ait saisi quelques uns de ses regards lubriques, elle avait préféré penser qu’il ne la toucherait pas. Elle avait beau être crasseuse et se cacher sous des vêtements amples, ça ne parut pas déranger le soldat qui risqua ses sales pattes sur elle. Elle eut beau se débattre et hurler à pleins poumons, effrayée par la perspective de subir, l’homme prit un malin plaisir à la soumettre et à abuser d’elle.
Mélusine en resta mutilée et profondément affectée, à tel point que les gardes durent la jeter à même les pavés tant elle resta prostrée durant des heures durant. C’est un de ses compagnons des rues qui l’aperçut et lui vint en aide. Alors que la jeune femme était dans un état catatonique, la graine de fureur et de détermination ne la rendirent que plus certaine d’une chose – elle allait faire payer l’Empire. Elle allait aider les opprimés et voler sans remord ceux qui profitaient du pouvoir. Il fallait qu’ils paient – que ce soit pour sa famille qu’ils lui ont volé, comme de sa chasteté qu’ils ont bafoué. Elle sentit une nouvelle force prendre l’ascendant sur sa torpeur et parla de ses desseins à son comparse. Elle avait un cercle d’amis - des miséreux assez dextres et motivés pour faire d’une pierre deux coups. Elle commença donc à les réunir et face à l’engouement, elle prit la décision de leur donner un nom. La horde. Ils seraient la horde.
Avant de pouvoir profiter pleinement de son nouveau plan en marche, Mélusine dut se rendre à l’évidence. Son ventre était en train de s’arrondir – là voilà enceinte. Et ce bébé qui grandissait en elle était le fruit de ce traumatisme qui lui avait permis de finalement se relever avec plus de hargne. Elle ne pouvait le garder. Elle n’était pas une mère mais une meneuse, et n’avait rien à offrir à cet enfant qui allait voir le jour dans d’horribles conditions pour vivre avec une mère recherchée par l’Empire.
Son réseau commença à s’organiser au fur et à mesure et réunissait toujours plus d’individus. Elle devint la louve, protectrice, furtive et tenace, guidant sa meute qui lui était exemplairement loyale.
Ses frères et ses sœurs surent faire taire son goût pour le sang et la vengeance. Donner la mort n’était pas ce qu’elle désirait, malgré toute l’amertume que le traumatisme avait fait naitre en elle. Il y avait bien plus, dans le fait de voler, rouler et extorquer. Un plaisir somme toute jubilatoire. Au moment d’accoucher, la jeune femme dut le faire en pleine forêt, loin de toute civilisation, aidée par quelques membres de la horde. Elle resta forte et inflexible. Ils étaient deux, et elle ne les portera plus. Plus jamais. Sans même un regard pour les deux enfants qu’elle venait de mettre au monde, Mélusine chargea une des siennes d’aller leur trouver une bonne famille. Une fois disparus, seule cette cicatrice fut la preuve même de ce qu’il venait de se passer. Une marque qui ne faisait que renforcer la douleur de l’abandon. Mais la louve n’avait pas le choix.
Sa réputation et celle de la horde gonfla au fil des années. Elle devint même une tête à abattre et du moment où l’on en vint à placarder son visage à tous les coins de rue, la jeune femme prit soin de se couper les cheveux. Son groupe de hors la loi et elle, allèrent semer la pagaille sur les routes, piller les riches marchands et restituer tout ce que l’on taxait aux petites gens. Une épine dans le pied de l’Empire et curieusement, la louve et ses pairs adoraient ça. Bientôt, ils seraient nombreux et le peuple pourra finalement se soulever contre les puissants – elle en avait la certitude.