L’intérieur de la tente éclairée comme il était dans les habitudes d’Achroma de le faire, d’une lame dorée projetant une chaude et basse luminosité autour d’elle, nimbant la pièce d’une auréole de miel ou d’ambre et jouant de reflets chatoyants sur les surfaces de bois et de tissus éparpillées. La flamme émettait un doux bruit, très discret, derrière son écran de verre soufflé en une forme arrondie rappelant un œuf de belle t’aille, suspendu à un support sur pied, au-dessus de son bureau de voyage taillé dans un bois de rose, formé d’arrondis souples et fluides rappelant bien davantage les créations sylvestres que les rares objets vampiriques. Mais il était vrai que le Conteur était un collectionneur avide de possessions exotiques. Elles trônaient autours de lui, construisant un intérieur chargé d’histoire, au goût unique et à l’atmosphère presque vivante, accueillante quoi que studieuse. Une atmosphère qu’il avait toujours aimé et consolidé, se créant une bulle, un univers dans lequel il était à l’aise sans être mis à l’écart des siens. N’importe qui pouvait entrer là, en temps normal, et serait le bienvenu à condition d’avoir une raison de le troubler. Une bonne raison. Qu’il s’agisse de curiosité ou d’une demande d’entretien, ou de quoi que ce soit d’autre… Mais pas cette fois-là.
Cette fois, personne n’était admis, il s’en était assuré avec efficacité. Devant les pans de la tente lourde veillaient Merveille et l’un des anciens l’accompagnant, barrant le passage à quiconque tenterait de s’introduire chez-lui pendant sa veille et son ouvrage. Des protections magiques, installées avec autant de précipitation que d’une sombre passion, scintillaient faiblement au sol, promettant mort et désolation à ceux assez fous pour forcer le passage… Silarae elle n’était point-là, et pourtant son ombre prismatique planait dans l’atmosphère, rappelant que les imbéciles cherchant à le troubler encourraient la colère de la dragonne pâle. Il n’y avait point à s’inquiéter au sujet de la sécurité et c’était un soulagement car il avait déjà bien assez d’angoisse concernant son patient.

Kedrildan était allongé sur sa couche, le plus confortablement que possible, toujours inconscient. Le millénaire dragonnier avait eu bien des peines à rattraper l’ignoble œuvre de Lorenz, et malgré toutes ses connaissances et sa fabuleuse puissance magique, la guérison n’était nullement un domaine dans lequel il excellait. Hélas. Il avait fait tout ce qui lui était possible de faire, après avoir plongé le rouquin blessé dans un état de transe qui lui épargnerait un réveil douloureux sur la table d’opération, il s’était échiné tout le reste de la nuit et de la journée à essayer de le laver de ses souillures. Usant de toutes ses connaissances, il avait produit baumes et teintures, potion et crèmes, lotions, enchantements, sortilèges de toutes sortes, puisant dans les rares connaissances Baptistrales qu’il avait jamais pu trouver pour tenter d’enrayer l’horrible travail des chairs putréfiant rapidement sous les brûlures immondes. Oui, sans nul doute avait-il fait tout ce qui était en son pouvoir pour parvenir à lui rendre un semblant de dignité, mais si il était parvenu à sauver sa vie et son intégrité physique, il avait été incapable, à terme, d’effacer les traces… les dégâts étaient tout simplement trop énormes. Kedrildan avait perdu une oreille, une partie de la chair du visage noircie et brûlée, reposant à présent sous des compresses et des bandages afin de ne pas être attaqués par l’environnement ambiant. Il n’y avait plus rien d’autre à faire, à présent, qu’attendre et le laisser s’éveiller à son rythme en considérant les graves dommages mentaux que le choc avait dû créer.

Amertume, compagne aigrie, ne le quittait plus, alors qu’il observait le visage ravagé, installé dans un assemblage aérien confortable ressemblant davantage à un nid qu’à un fauteuil à balancier. Les plis de sa longue tunique se froissaient sans qu’il eut le moindre égard pour eux, la lassitude ayant assis son emprise sur lui. Il avait peiné un temps qui avait semblé infini et à présent, de longues heures durant, il observait simplement son œuvre d’un regard ternis par des émotions contradictoires. Sa main brûlait encore de la magie hérétique du Double Royal, et son corps fourbu avait du mal à s’habituer à la douleur constante qu’il l’emprisonnait à présent comme un filet, brisant les délicates ailes de la phalène qu’il était. Enveloppé de silence, il reposait, tentant de gagner quelques forces, tentant de se défaire du drapé d’horreur qu’il l’avait brièvement étreint et du désastre qu’il vivait autant que Kedrildan bien que d’une façon totalement différente. Certes, lui n’était nullement blessé ou défiguré, mais son sort était d’autant plus déplorable qu’il s’était infligé volontairement un châtiment des plus terribles. Son propre outil, retourné contre lui semblait-il… Triste ironie que celle-ci. Il était las, si las de tout cela… Il n’aspirait qu’à la tranquillité pour l’instant, loin de tous, à veiller sur celui qui était autant à l’origine de ses malheurs que l’ambitieux Lorenz mais qu’il ne blâmait pas… pas encore peut-être, sans doute. L’instant semblait déjà bien assez pénible sans qu’il ne décide de s’immiscer dans un potentiel futur. Apathie frôlant son âme….

Immobile, il n’eut qu’un bref clignement d’yeux alors que le changement subtil s’effectuait dans l’atmosphère, infime comme le grattement d’une âme sur la coque de coriandre qui la contenait. Un œil s’ouvrant difficilement, un bref mouvement du corps en souffrance…

« Tu es réveillé… »

Maître ? Quel maître était-il donc pour avoir laissé pareille chose se produire. Quel maître était-il pour n’avoir pas été aux cotés de Kedrildan depuis le début, pour lui éviter pareille destinée… Pas un bon maître très certainement. Pas assez bon peut-être ? Il n’avait pu prévoir ce qui se passerait et n’en avait pas eu le pouvoir bien sûr mais cela ne l’empêchait nullement de se ronger de remords. Quelle folie ! Quelle terrible démence avait pu conduire à ce résultat ? Abomination n’était pas même un terme approchant de ce qu’il avait dû affronter lors des soins de son élève, devant le travail sauvage et barbare de la chair fondue et carbonisée… ce n’était nullement là le travail d’un tortionnaire méthodique et froid, c’était l’acte d’un animal, d’une bête fauve sans intelligence et sans discernement. Une bête écumante qu’il aurait fallu achever dès que possible et pourtant, il ne pouvait guère le permettre, plus à présent… Quel gâchis pourtant que pareille œuvre. Quoi qu’œuvre fut un mot trop beau et trop délicat… une boucherie. Encore à présent, alors qu’il avait tout fait pour tenter de rattraper les dégâts, les séquelles restaient impressionnantes et horrifiantes à contempler, même pour lui… Oui, quel maître était-il donc ? Il ne pourrait sans doute guère se pardonner son manquement, mais à présent ce qui était fait était fait et le plus important n’était pas de s’apitoyer sur leurs sorts mais bien de le remettre sur pied. Il souffrait, cela se voyait… pas seulement de ses blessures et cela également était prévisible. Mais que devait-il réellement lui dire alors ? La vérité ? Elle ne ferait qu’accroître ses souffrances au-delà du raisonnable et pourtant ne pas la lui offrir serait un crime aussi grand que celui de Lorenz lui-même… Et pourtant, à le voir aussi pathétiquement faible, aussi désespérément sans défense, lui donnait envie d’étouffer la vérité, de nouer ses deux mains sur le cou de cygne de la véracité et de le tordre sans merci.

L’observant, il sentit une part de lui reculer, dégoûtée et répugnée par sa faiblesse. Sa partie intimement vampirique et mauvaise, ce dragon froid et venimeux au creux de son corps. Il le sentait siffler et se tordre, mordre son corps de ses crocs en lui dictant de mettre un terme définitif à la souffrance du roux. Le tuer serait un acte de merci et débarrasserait le monde de son poids inutile… ce n’était que la justice vampirique après tout, rien qui ne sortit de l’ordinaire. Et pourtant il étouffait cette part de lui-même avec vigueur, la refusait et l’écartait… elle était instinct et envie de sang, mais rien d’autre. Pas lui pas vraiment… elle était un fléau qu’il ne contrôlait qu’à grand peine mais certainement pas son expérience ou sa volonté. Qu’il était fort pourtant, si puissant en l’instant qu’il crut y succomber avant de plonger son regard au creux de l’orbe ternie de souffrance de Kedrildan. Non il ne pouvait lui faire de mal et ne le désirait nullement… Mais lui dire la vérité ? Était-ce vraiment le servir ? Il ne pouvait y agréer sans pourtant repousser pleinement l’hypothèse. Et le silence s’étira, long et douloureux, alors qu’il l’observait et débattait intérieurement, pesant le pour et le contre et faisant sans nul doute durer l’attente… et pourtant c’était tout de même sans honte qu’il le faisait, car sa réponse conditionnerait sans doute bien des choses dans les futurs d’une manière ou d’une autre et parfois sans même que l’un ou l’autre puisse le savoir. Et alors que le temps semblait soudain révolu, les transformant en statues il soupira profondément et se releva de son siège afin de s’installer près de lui, le soulevant avec une grande délicatesse avant de le poser contre lui, le plus confortablement possible alors qu’il caresse ses cheveux de ses doigts. Un bref instant, il laissa ce petit jeu s’écouler avant de présenter la paume meurtrie à l’œil valide du roux pour qu’il contemple la marque honnie.

« J’ai donné ma liberté » Il aurait put simplement dire qu’il était devenu le double royal mais doutait que son élève sache de quoi il s’agissait au bout du compte « Je suis son ombre. Incapable de le trahir, incapable de lui désobéir ou de lui mentir. Je souffrirais à sa place, et je peinerais à sa place… je mourrais si il le faut » Sa voix était plate, douce mais neutre, énumérant les faits avec une simplicité presque désarmante et pourtant empreinte d’un regret certain à défaut de rancœur « Il m’a demandé ce que je lui offrais en échange de ta vie et je lui ai donné cela » Il baissa les yeux, ne souhaitant point que Kedrildan put penser qu’il l’accusait de quoi que ce soit et ajouta, plus doucement et presque hésitant « Je ne pouvais te voir périr » L’amère vérité comme un baume d’aloès sur une blessure à vif « Tu es bien trop important pour périr maintenant Kedrildan » Ses doigts jouant de nouveau avec ses cheveux, lui dégageant le visage, caressant avec douceur et hésitation, craignant de lui faire plus mal encore. « Ne t’en tourmente pas, il a fait un bien mauvais échange… » De nouveau silencieux, il resta de longues minutes à cajoler le blessé, perdu dans ses pensées, attendant la réaction qu’il savait inévitable…

Insignifiant ? Certainement pas à ses yeux à lui, qui voyait plus que la simple force précaire de l’instant présent ou la malice inutile d’une éducation animale. Pas insignifiant à ses yeux non, loin de là même. Il n’aurait jamais pris le temps d’essayer de l’éduquer, si ça avait été le cas, pas plus qu’il n’aurait sacrifié sa liberté pour lui. Mais cet enfant, car on ne pouvait douter que Kedrildan soit encore un enfant en son propre esprit, avait été porté plus bas que terre pendant trop longtemps pour être simplement capable d’accepter cela. Comme il aurait certainement du mal à comprendre et surtout accepter pourquoi il l’avait sauvé. Qu’importe cependant il le ferait, sur le long terme, de cela il était certain. Pour l’instant malgré tout, ce qui comptait était qu’il reprenne des forces, qu’il se repose…. Ses blessures étaient si profondes et si terribles, les cicatrices telles, autant en son corps qu’en son esprit… Il faudrait du temps oui, beaucoup de temps. Des mois, des années peut-être pour que cela aille mieux. Il avait foi en lui, oui, mais savait aussi à quel point pareille expérience pouvait être douloureuse et lancinante. Choquante. Il se devrait de trouver sa force pour endurer le futur, mais le millénaire n’avait guère de doutes là-dessus. Ce dont il doutait c’était de la fin prochaine des ennuis qui découleraient de tout cela. Et cela commençait immédiatement il fallait croire, alors que le roux tentait de ramper hors du lit sans guère y parvenir, encore trop faible pour se tenir debout ou pour véritablement bouger. Se levant avec un soupire, Achroma le récupéra et l’installa de nouveau sur le lit, confortablement, et s’assit de nouveau près de lui pour l’observer. Pourtant les babillements incohérents du vampire lui aurait bien valut une gifle si il avait été en état… pour l’instant cependant il n’avait d’autre choix que de laisser couler de son mieux. Du moins de ne pas aggraver la situation.

« Suffit » posa-t-il d’une voix ferme. Douce, mais ferme et sérieuse. Il ne voulait pas d’excuses, il refusait catégoriquement de le voir encore s’abaisser. De le voir encore se noyer dans la peine. S’en était assez de cela, assez d’avoir cette certitude ancrée en lui sans qu’il ne la brûle au fer rouge de son désespoir. « Tu n’as pas à me demander pardon » Il caressa son front à nouveau, sans pour autant s’attarder. « Mais ne pense pas être en mesure de me dire ce que je dois faire ou non… De cela je suis seul juge. Et à mes yeux, ton existence valait d’être sauvée. Tu valais d’être sauvé » Oui il le valait, il était jeune, il avait un avenir, il avait une merveilleuse opportunité de se construire, plus dignement, plus intelligemment… Mais à l’observer, une vérité se faisait jour en son esprit. Kedrildan ne pourrait pas éternellement rester auprès de l’armée vampirique. C’était un immense frein à ce dont il était capable tout simplement en raison des chaines psychologiques que cette damnée compagnie lui imposait. Le méprit l’avait imbibé comme une eau saumâtre et il était bien difficile de l’en préserver lorsqu’il baignait littéralement dedans. Et puis en dehors de cela, il y avait encore la menace que Lorenz se décide à ne pas s’en tenir à la fin de cette affaire et ne tente de le tuer d’une manière ou d’une autre… Qui pourrait même se plaindre si il périssait sous les balistes alayiennes ? Il serait simplement mort au combat, même si le prince n’avait nullement besoin d’excuse pour être l’individu le plus répugnant de la création. Et lui ne pourrait alors rien faire pour aider le roux à s’en sortir une nouvelle fois. « A mes yeux tu as de l’importance » Affirma-t-il d’une voix plus douce, en un murmure léger. « Et tu ne me déçois pas » Non la déception n’avait rien à voir avec tout cela au final…

Se releva, il s’éloigna un moment afin de récupérer une coupe de sang frais, toujours pensif. Si le Double lui était apparu au départ comme une simple torture qu’il s’infligeait, il était pourtant parvenu à des utilités fabuleuses une fois loin du principal concerné. Oui il pouvait se servir du Double Royal pour bien des choses. Il fallait juste manœuvrer avec attention et il aurait une superbe opportunité de vaincre Lorenz. Le tout était effectivement de s’y prendre correctement. Mais pas tout de suite. Il devait d’abord mettre Kedrildan sur pied et en sécurité avec sa dragonne, loin de tout. Il revint auprès du roux, le souleva de nouveau. « Bois, lentement » Le sang était coupé d’une potion de cicatrisation et d’une plante pour alléger les souffrances, bien qu’il ne savait guère si cela serait efficace sur lui.

Au moins était-il relativement raisonnable. C’était un point qu’il ne fallait pas négliger. Il n’avait vraiment pas envie d’entrer dans une bataille de rhétorique avec un grand blessé qu’il était censé ménager et remettre sur pied. Ce n’était vraiment pas le moment de discuter de tout cela quand bien même Kedrildan en sentait le besoin… Se torturer plus avant alors même qu’il avait échappé à une mort atroce dans les flammes n’était pas sage, pas alors qu’il avait besoin de son entièreté pour se remettre. La guérison n’était pas seulement une affaire de corps, de régénération des chairs et de reconstitution des forces… c’était hélas bien plus que cela, la psyché influait grandement sur les facultés thérapeutiques octroyées au corps. Il se devait d’avoir la volonté de vivre et de guérir avant toute autre chose et le millénaire craignait sincèrement que de s’appesantir sur ce qui avait été perdu ou offert lors des derniers évènements ne vienne empêcher son apprenti de se remettre correctement. Il porterait certainement les traces de ce qui s’était passé pour le restant de l’éternité devant lui… c’était déjà bien suffisant sans que quiconque en rajoute. Il lui apporta de quoi reprendre quelques forces et aider son organisme à se remettre de façon bien plus pragmatique. Le vampire n’avait pas bu depuis son coma et les soins qu’il lui avait prodigué et sa régénération physique était diminuée du fait de ce jeun, il lui fallait de la nourriture pour soutenir l’effort constant de son organisme pour colmater les dommages. La magie ne pouvait pas tout faire et encore moins dans un cas aussi dramatique, aussi il fallait s’en remettre à une stratégie de longue durée et bien plus humaine. Si il avait eu la possibilité de conduire Kedrildan auprès des elfes, il aurait sans doute pu bénéficier de leur aide mais ce n’était pas possible, encore moins avec la laisse invisible qui enserrait son être. Il ne pouvait se permettre de prendre de tels risques. Il ne pouvait mettre personne en danger, en ayant déjà trop fait.

Il releva légèrement les yeux, alors qu’il examinait le tapis sans le voir, plongé dans ses pensées tout le temps que dura le repas léger de son apprenti qui ne pesait rien de plus qu’une plume entre ses bras. L’observant à nouveau, d’un regard paisible et neutre, il le laissa parler, silencieux alors que les mots s’insinuaient dans ses oreilles. Kedrildan projetait sur lui toutes ses promesses, affirmant qu’il le faisait pour lui, et si cela restait flatteur c’était aussi une erreur qu’il valait mieux ne pas commettre. Il ne voulait pas qu’il s’ingénie à lui plaire, ce serait une prostitution comme une autre… et il ne s’abaissait nullement à ce genre de choses. Il ne voulait pas que son apprenti se contente de trimer pour lui, lui ne devait être qu’une main secourable dans son éducation et rien de plus. Certainement pas le moteur même ni la raison de sa maturité. Plus qu’une promesse, ce qu’Achroma désirait était l’assurance qu’il allait avoir un peu plus d’amour pour lui-même. Non point ce narcissisme qui l’avait desservi mais une véritable dignité intérieur qui le servirait bien davantage dans cet univers de sauvagerie et de stupidité chronique. Mais le reste l’empêcha cependant de répondre à cela. Transvaser la marque sur lui ? Certainement pas ! Il était hors de question de faire cela quand bien même Lorenz l’aurait permis ce qui ne serait certainement pas le cas. Il comprenait la pensée du roux mais n’y agréait absolument pas et pas simplement parce qu’il désirait le protéger mais bien parce que la malédiction du double royale était quelque chose d’extrêmement complexe et noir, quelque chose qu’aucune âme ne devrait subir et qu’il ne s’infligeait que dans l’absolue nécessité des bienfaits qu’il pouvait lui apporter. Lui, créateur de cette malédiction en un temps reculé ne désirait absolument pas que ce jeune vampire la subisse alors qu’il devait déjà faire face à des blessures… des blessures à faire frémir.

« Non Kedrildan. Non cela n’existe pas…. Et je ne compte nullement mourir. Je compte bien vivre encore et me remettre également » Il chassa une mèche rouge de devant les bandages « Et même si cette possibilité existait… Il faudrait l’accord de Lorenz pour transférer la malédiction. Son accord et le mien. Hors tu le comprendras parfaitement, il ne le donnera pas et moi non plus d’ailleurs… Si je t’ai sauvé ce n’est pas pour que tu portes cette charge… que tu ne supporterais nullement de toute façon. Oublie de telles pensées. Je suis bien assez fort pour conserver cette cangue le temps qu’il faudra » Il resta un bref instant silencieux avec de fermer les yeux, se reposant contre le montant de bois du lit sans rejeter le corps de son patient, toujours contre lui. « Pour l’instant il te faut te reposer. Nous parlerons de tout cela plus avant lorsque tu iras mieux. Le temps ne manque pas pour cela. » Beaucoup de temps effectivement, trop de temps même, beaucoup trop de temps. Il n’imaginait pas encore exactement comment se délivrer à terme mais avait plus d’une piste à suivre pour cela et n’était nullement presser. En revanche autre chose vint frapper son esprit sur l’instant qui lui sembla bien plus important. « Dit moi… où se trouve ta dragonne ? Je ne l’ai pas vu après qu’elle ait tenté de revenir vers toi. J’ai dû lui demander de te donner de l’espace, mais sa présence te ferait sans doute du bien, ou bien suis-je dans l’erreur ? »

Trissi. Voilà bien un sujet qui le laissait parfois perplexe. Le lien que les deux liés entretenaient était tellement singulier et différent de celui que lui-même avait tissé avec Silarae… Il les avait observés, et avait presque finit par en conclure qu’ils s’étaient liés par erreur, tant ils semblaient parfois souffrir du comportement de l’autre. Cette dragonne-là semblait réellement tenter de détruire ce que le Dracos avait imaginés pour eux, de ce caractère si ridicule qu’il en était une insulte pour le reste de la race draconique. Elle qui clamait haut et fort ne voir que par les yeux de ses ancêtres semblait en l’état un bien triste spécimen de ce peuple autrement grandiose et autrement intemporel. Oui cette jeune dragonne était un véritable problème ambulant et hélas seuls les ravages de la vie pourraient véritablement lui apprendre l’humilité et la restriction si tant est qu’elle fut capable d’apprendre réellement quelque chose. Il était bien dur de remplir une coupe déjà pleine à ras-bord. La grise agissait de façon fort discutable et lui n’avait jamais manqué de faire remarquer ce genre de chose, pourtant au-delà de cela elle aurait sans aucun doute était un soutien important à son apprenti en cet instant, en partageant ses premiers instants d’éveil. On ne pouvait cependant rien changer au fait qu’elle n’était pas là, et qu’il y avait à nouveau un manque qui n’aurait pas dû être…. Quoi que Kedrildan puisse penser ou dire par ailleurs.

La puissance n’était pas uniquement contenue dans les muscles, loin de là mais de ses légitimes envies de vengeances, la dragonne risquait fort de compliquer encore la situation. Lorenz avait déjà prouvé qu’il pouvait vaincre un dragon et qu’il n’hésiterait pas à tuer un dragonnier… Et le millénaire était certain qu’il n’attendrait qu’une simple excuse pour s’en prendre à ces deux-là. Nourrir sa haine était une chose, mais la porter en bandoulière était une grossière erreur qu’il valait mieux ne pas commettre lorsque l’on avait affaire à des vampires de la trempe de Lorenz… ou de lui d’ailleurs. La haine était une faiblesse lorsqu’elle était ouverte à tous les yeux, mais une force lorsqu’on la nourrissait dans le secret d’un œil solitaire, gorgée du venin de milles outrages qui se payeraient un jour ou l’autre. Oui tout se payait pour celui qui savait tirer parti de son environnement et des opportunités… cela aussi il comptait lui apprendre car c’était là une leçon qui lui servirait pour le restant de son éternité. Savoir plier l’échine en apparence en dissimulant ce que l’on pensait… c’était toujours utile. Oui il avait les bases mais c’était encore tellement grossier. Quand il aurait appris il n’aurait plus tant de peine à se défendre et à tirer son épingle du jeu, pourvu que sa dragonne ne se décide pas à tout gâcher.

« Fort bien en ce cas »

Que pouvait-il dire d’autre en l’instant ? Pas grand-chose certes. Il ne comptait pas lui faire la leçon en cet instant et l’apprentissage viendrait en son temps. Alors oui, pour l’instant se taire était sans doute la meilleure solution possible. Une fois à la fois, un pas après l’autre, une marche après l’autre… Il faisait bien assez d’efforts en une seule fois, beaucoup trop même. Il ne fallait pas que son enthousiasme lui soit préjudiciable. Il fallait d’ailleurs qu’il le replonge prochainement dans une nouvelle transe afin de le laisser prendre du repos encore quelques heures si possibles. Ensuite ? Et bien ensuite ils seraient tous contraints de lever le camp aussi ils n’avaient guère voix au chapitre. Il l’observa avec douceur, alors que le roux lui souriait et caressa ses lèvres du pouce qu’il mordillait en un geste affectueux. Oui il ne faisait aucun doute qu’il devait être affamé, le blond doutait simplement qu’il soit capable d’encaisser tout un repas sans risque sur l’instant… mais quand bien même, cela l’aiderait certainement si il pouvait avoir un petit quelque chose de plus dans l’estomac, aussi hocha-t-il la tête avant de se relever, allant lui chercher une nouvelle coupe de sang qu’il rapporta. S’asseyant, il réitéra le moindre de ses gestes, s’assurant qu’il boive correctement tout en répondant d’une voix posée, et qui niait la gravité de la dispute qu’il avait eut avec Silarae au sujet de sa folie et du double Royal.

« Elle n’a pas apprécié ma prise de parti et m’en veut. Je crains qu’elle ne m’ôte sa présence quelques temps. Ce n’est pas un mal cependant elle a besoin d’encaisser de son côté et d’en retirer les conclusions qui s’imposent. J’ai également besoin de rester seul quelques temps. Je dois m’assurer que tu guérisses et ne peut prendre en charge plus d’une tâche à la fois. Silarae est assez grande pour se débrouiller seule pendant ce temps »

Il reprit la coupe fermement en main lorsqu’elle fut vide et renouvela le service deux fois supplémentaires avant de reposer l’objet sur un meuble en s’installant près de Kedrildan. Tous deux semblaient étrangement seuls et gauches loin des bêtes splendides qui faisaient désormais leurs statuts et pourtant la vie d’Achroma ne s’était jamais étriquée à un seul aspect de lui-même. Il était ce qu’il était et Silarae était venue consolider et magnifier cela non point le lui ôter tout bêtement. Et il avait évidemment hâte qu’elle revienne même si sa raison lui dictait de la laisser prendre son temps. Toute chose parvenait à ceux qui savaient attendre et patienter.

« Ne t’en fait pas pour elle…. Pour l’instant nous ne risquons rien. Quand nous partirons dans quelques jours elle reviendra et nous monterons tous les deux en attendant de pouvoir t’offrir une santé plus complète. Il faudra faire attention au début, mais en dehors des séquelles esthétiques et traumatiques, sur le long terme, tu devrais être parfaitement capable de te battre à nouveau et d’accompagner Trissi. Elles grandissent vite toutes les deux, bientôt elles volerons et nous aussi »

Cela irait certainement oui, au fur et à mesure, jusqu’à un certain point oui. Il suffisait de savoir tirer son épingle du jeu et de prendre les choses comme elles venaient. Mais les efforts demandés n’en seraient pas moins grands alors. Et la peine pas moins pesante alors. Ce n’était qu’une épreuve de plus… et une épreuve qui passerait comme une feuille emportée par le fleuve lorsque ce serait fini. Il n’avait nul doute là-dessus, de simples attentes concernant la façon dont ils parviendraient à bout de tout cela. Ils avaient un peu de temps pour y penser, à tout le moins pour l’instant… Il ne se relèverait pas tout de suite et puis de toute façon, Lorenz ne donnerait pas l’ordre de lever le camp avant encore plusieurs jours, il le savait déjà, l’avait senti, dans son esprit, lorsqu’il l’avait effleuré. Il n’avait cependant pas osé aller plus loin, encore trop souffrant pour utiliser cette étrange capacité qu’il semblait avoir acquis de se glisser dans l’esprit des autres. Il l’avait découvert totalement par hasard et s’en trouvait toujours quelque peu perturbé… et cela appelait évidement à une étude approfondie, lorsqu’il en aurait l’occasion ce qui n’était pas le cas pour le moment. Et pourtant une telle capacité laissait entrevoir d’infinies possibilités. Ainsi c’était ainsi que les dragons appréhendaient le monde ? Peut-être pas exactement mais cela s’en approchait et lui avait bien de la chance de connaître déjà la caresse de l’esprit de sa dragonne, autrement il était certain qu’il se serait sentit paniqué par l’approche de quiconque. Oui sa curiosité serait satisfaite à un moment ou un autre, mais pour le moment, il n’attendait que de voir son élève se remettre de sa rencontre avec la mort.

Il haussa un sourcil, amusé de le voir faire ses plans. Le maniement de l’épée hein ? Voilà une bien drôle d’idée. Il y avait pourtant tellement d’épéistes de par le monde. Et tellement peu d’autres guerriers, surtout dans leurs propres rangs. Si eux avaient la force il était également vrai que les humains étaient bien plus doués pour la technique pure du maniement d’une arme. Adryne avait été très doué, lui aussi, l’un des rares vampires à l’être d’ailleurs. Il était même plus que doué… un virtuose dans le maniement de son arme et pour cause, quelle arme c’était-là ! Une lame légendaire et redoutable à l’intelligence maligne et empoisonnée. Il hocha doucement la tête à ses affirmations, le confortant dans sa détermination. « Tu n’es plus un rat, non et oui, cela fonctionnera, je m’en assurerais » Il pouvait demander à Cyrène de le former à l’épée, à Isendal pour la discrétion, à Merveille pour le combat à mains nues… Et lui-même pour tout le reste. Kedrildan se montrait un bien meilleur élève que son incapable de fils après tout, aussi cela ne le dérangeait nullement que de prendre de son temps pour lui enseigner en détails. Il comptait bien lui offrir une véritable chance. Oh il le faisait déjà, bien entendu, cela faisait un moment que le roux était son élève mais il s’agissait encore d’autre chose. Cela dit, il y aurait certainement des domaines dans lesquels il serait moins apte à lui venir en aide, le vol entre autre chose. Il n’avait jamais été particulièrement bon cavalier après tout et pas très à l’aise dans les airs, les rares fois où un dragonnier avait décidé de le prendre avec lui. Mais il ferait de son mieux c’était certain.

Aux nouvelles questions, aux affirmations, il resta à la fois peiné et surpris. Gêné, en un sens. Et désolé également que tout soit si compliqué, autant pour lui que pour Kedrildan. Il ferma un instant les yeux, puis répondit, sachant qu’il serait sujet à une douleur cuisante pour certaines de ses paroles, conséquences de la malédiction pesant à présent sur lui. Devait-il réellement lui dire la vérité ? Ou tout simplement s’ouvrir à lui des milles et une chose qu’il prévoyait ? Cela pouvait être dangereux certes surtout si on parvenait à briser ses résistances encore faibles. Mais en même temps ce serait une preuve de confiance de sa part et un moyen de le responsabilisé encore davantage, comme d’honorer l’affection qu’il avait pour lui. « Ce qu’il va se passer ? Bien des choses. Tes questions sont liées les unes aux autres… » Avec un soupire délicat, il entama résolument, la voix calme et posée « Mon devoir est de protéger mon peuple. Pour cela je me dois de rester auprès de son dirigeant actuel. Je suis loyal aux vampires, mais non à Lorenz ou au conseil. Pour le moment et ce dans les mois à venir, il me faudra poursuivre ce que j’ai commencé, en attendant mon heure. Tu peux te tenir à mes côtés si tu le désir, car tu es libre de tes choix. Quand à porter mes couleurs…. Si c’est ce que tu désir également alors j’accepte. A la condition bien entendu que mes idéaux soient en accord avec les tiens. Penses-tu que défendre notre race et tenter de la guider vers le haut lorsque le moment sera venu correspond à tes idéaux et à tes attentes ? Cela signifiera forcément servir sous Lorenz jusqu’au bon moment hélas »

L’observant attentivement, il eut cependant une autre pensée et se hâta de reprendre « Il y a évidemment une autre possibilité. Moi ainsi que d’autres dragonniers, désirons former une caste pour les nôtres, qui ne serait sous le joug d’aucune nation ni seigneur. Des dragonniers libres et indépendant pouvant rendre la justice sans subjectivité aucune. Et préservant notre monde malgré les ambitions de chacun » Il chassa une mèche de devant son œil « Je compte prendre ma place en ce conseil une fois les miens en sûreté. Et tu auras la tienne également si tu le désirs, à mes cotés »

En cela Kedrildan était certainement encore trop jeune pour comprendre, aussi ne lui en tenait-il nullement rigueur. Beaucoup, si non tous les jeunes vampires avaient cette tendance qu’il aurait presque qualifiée de naturelle. Lui l’avait eu également, même si sa mère avait pris soin de l’éduquer pour qu’il soit plus qu’un simple animal. Bien entendu cela avait tout d’abord eu pour effet de le rendre passablement dangereux pour les vivants, comme en témoignaient aisément ses nombreuses expériences et ses sortilèges les plus sombres et révoltants. Oh certes il n’avait pas considéré les humains comme de la simple nourriture mais… mais il fallait avouer que les prendre comme cobayes n’était pas plus charitable. Sinueux, mauvais, et d’une insatiable curiosité à l’égard non seulement de la magie mais également de toutes formes de connaissances utiles, il s’était évertué à comprendre comment fonctionnaient les hommes et les elfes… Mais heureusement, l’âge avait aidé à améliorer ses tendances tout comme sa vision des humains. Ou peut-être était-ce simplement ses nombreuses aventures à leurs côtés ? Il ne pourrait véritablement l’affirmer, sans doute un peu des deux. Peut-être Kedrildan avait-il simplement besoin de prendre de l’âge et de vivre également ses propres expériences avant de pouvoir pleinement apprécier les autres races. C’était fort probable après tout et il l’encouragerait en ce sens. De toute façon, il y avait fort à parier qu’il serait contraint à la cohabitation, surtout si il prenait effectivement part à la création d’une caste des dragonniers à part et indépendante. Oui effectivement, à ce compte-là il serait contraint de prendre sur lui… mais ça, il le découvrirait en temps voulut ou le comprendrait tout seul comme un grand, après tout il n’était pas stupide.

Il fronça doucement les sourcils, pourtant. Car si il appréciait de voir Kedrildan s’emballer pour quelque chose, il y avait également des idées qu’il devait bien saisir. « Si ce n’est que la liberté, tu peux la prendre sans cela, Kedrildan. Tu es un dragonnier. Si tu désir partir, quand et où tu le désir, tu le peux sans avoir de comptes à rendre à personne. Mais cette caste, dont je parle présentement… Si elle est au-dessus de tout souverain, elle n’est pas au-dessus de l’éthique et de la décence. Inatteignables jusqu’à un certain point. Nous ne sommes pas au-dessus des lois pour autant… Et quant à moi » Il sourit un bref instant, amusé « Quant à moi je ne prends nullement ton allégeance pour acquise sache-le. C’est un honneur que tu me fais, non un dû. Je suis ton maître-professeur, non un tyran régissant ton existence. Lorsque je t’ai pour la première fois proposé de devenir mon élève, je l’ai fait pour toi non pour moi et il en va toujours de même. Je suis heureux de pouvoir t’enseigner, mais seulement si toi tu en retire quelque chose… et cela va au-delà des leçons en elles-mêmes » Penchant la tête, il donna tout de même un petit coup de griffe au problème majeur du raisonnement de son rouquin d’élève « En revanche je ne sais guère comment nous mangerons et survivrons si tu te décides vraiment à génocider les humains » C’était décoché d’un ton amusé et presque taquin, mais tout de même fort sérieux dans le fond car c’était là de quoi lui permettre de réfléchir à sa propre haine envers ces créatures et peut-être à tenter, plus tard, de prendre le soucis par un autre bout que celui des quenottes ou de l’épée. Il caressa sa joue de la main, affectueux et tendre. Une facette de sa personne qu’il montrait au final rarement. « J’ai de la chance d’avoir un élève aussi prévenant » Ce qui était fort vrai au bout du compte.

C’était même étrange cette relation qu’il avait avec Kedrildan. Ce n’était pas semblable à sa relation presque fusionnelle avec Adryne… et malsaine il fallait l’admettre. C’était plus tranquille et plus sage. Et d’une certaine manière, il était plus enclin à se présenter sous un jour favorable. « Tu le peux, je ne te chasse nullement » Il le rapprocha même de puis « Lorsque tu seras guérit. Je t’aiderais à t’épanouir. Et quand le moment sera venu tu voleras de tes propres ailes »

Contrairement à ce que certains pouvaient penser, Kedrildan n’était pas obtus, preuve en était faite d’ailleurs puisqu’il avait fort bien comprit où le conteur voulait en venir au sujet des humains. Oui, eux vampires buvaient le sang humain ou celui des elfes. Alors que se passerait-il si jamais il n’y avait plus de quoi se nourrir ? Si par exemple il se trouvait à tuer tous les humains jusqu’au dernier d’entre eux ? Et bien il était fort probable qu’ils mourraient, s’étiolant sans possibilité de retrouver des forces et ce en une lente et terrible agonie. Il serait alors plus charitable de se trancher la gorge après avoir tué tous les vampires sur lesquels ils pourraient mettre la main. Heureusement cependant ce n’était nullement à l’ordre du jour ce qui le rassurait quelque peu car la sinistre tâche lui aurait réellement coûté, et de plus d’une façon d’ailleurs. Il était donc content que son apprenti ait attrapé la perche tendue si aisément. Il était vif lorsqu’il le voulait et pouvait parfaitement faire fonctionner son cerveau, ce qui le confortait dans l’idée que le roux pouvait faire de grandes choses si il se donnait la peine de raisonner. Qu’il comprenne le problème était un bon début, le reste viendrait peu à peu, à son propre rythme, de telle sorte qu’il s’approprierait le raisonnement pour le faire sien et le modeler ensuite selon son apprentissage. Il le laissa donc à ses pensées, continuant de lui prodiguer de douces attentions en attendant. Il se repassait mentalement la discussion, car quelque chose avait titillé son esprit : Kedrildan souhaitait apprendre le maniement de l’épée. L’épée était une discipline de base, une dans laquelle il était lui-même une catastrophe ambulante. Il désirait donc devenir un guerrier et non un mage, c’était son choix, et cependant cela ouvrait une possibilité à laquelle il n’avait pas pensé jusque-là… Mais qui lui plaisait beaucoup, si seulement elle pouvait s’avérer exacte.

Sortant un instant de ses pensées en l’entendant s’adresser à lui de nouveau, il l’observa avec attention. Jeune vampire, encore un enfant par certains côtés. Et pourtant il ne pouvait nier qu’il se trouvait touché par ses paroles. « Tu pourrais toujours revenir me voir quand bon te semble, une fois Lorenz vaincu » Il n’insista pas cependant, c’était au roux de choisir et de se faire sa propre idée de son futur. Et après tout, il pouvait changer d’avis en cours de route, rien de ce qui était dit ici ne se gravait dans la roche immuable après tout. Si, une fois ses projets réalisés, il voulait partir, au moins pour un temps, il le pourrait aisément et lui ne le retiendrait pas, respectant ses volontés. Il ne comptait pas forcément partir lui-même désormais, aussi y avait-il fort à parier qu’il serait encore là à son retour. Lui-même avait beaucoup à faire et beaucoup en prévision même une fois sa victoire assurée… transformer les vampires en nation unie ne se ferait pas en un jour ni en un an. Cela demanderait des dizaines d’années, peut-être des centaines et bien plus encore pour être acceptés par l’alliance des elfes et des humains. On pouvait imaginer sans aucun mal qu’il faudrait travailler sans relâche à tout cela et qu’il n’irait donc pas courir les champs avant longtemps. Ce n’était de toute façon guère sa façon d’être au départ bien que l’appel des contrées sauvages lui soit un doux chant et qu’il se souvienne encore de ses aventures là où personne d’autre n’était allé. Un jour, il retrouverait ces lieux, mais pas avant de très longs siècles et alors ? Ses amis perdus là-bas seraient tous morts, les humains ne vivant pas plus de cent petites années… A nouveau, il se sortit de ses pensées et le regarda qui se lever avec réprobation et soucis, ne voulant pas qu’il brûle trop vite ses forces tout juste retrouvées.

Le voyant peiner à rester debout, il se leva à son tour et vint le soutenir mine de rien, sans toutefois lui laisser le choix de s’appuyer réellement sur lui, épargnant ainsi sa fierté. Il lui sourit légèrement, appréciant les efforts malgré tout. « Bien sûr que tu vas y arriver. Mais avant d’être utile, mon cher, soit, tout simplement. Je ne contente pas ton existence simplement par l’utilité, avant tout, tu es toi-même et non un outil hm ? » Caressant son visage, il le reprit en main et le guida avec lenteur dans une autre partie de la tente. « Tu dois avant tout te reposer cependant Kedrildan. Tu souffres encore et cette souffrance ne va pas s’estomper d’un claquement de doigt, il faudra y aller lentement. Pour l’instant, tu vas te nourrir et faire quelques exercices afin de reprendre la maîtrise de ton corps. Ensuite nous verrons. Et entre-temps, je vais te montrer quelque chose, un secret qui restera entre nous » Il lui présenta un humain encore en vie, mais totalement saucissonné et réduit au silence par les soins des anciens le servant. « Mange, avant tout » Il lui caressa les cheveux, puis le laissa à sa proie. Il avait besoin de se nourrir, avait besoin de sang, et il en avait une bonne source présentement, aussi attendit-il qu’il eut finit afin de l’aider à se relever et d’un claquement de doigt ordonné à ses soldats, fidèles transformés par les soins de son ancien fils, de débarrasser le cadavre des lieux. Il le fit asseoir sur une chaise. Oui… c’était là son nouvel apprenti, pleinement à présent et il tenait à lui montrer. Prenant une longue boite sombre mais riche de décorations d’argent étincelantes et sinistrement raffinée, il la posa sur ses genoux, assit sur un coffre, et l’ouvrit. A l’intérieur ? Stormbringer, toute de noir, de bleu, posée sur son fourreau de noir et d’argent et sur sa couche de velours, l’épée murmurant doucement de sa voix étrange, dégageant un vent léger…

« Regarde, Kedrildan. L’épée que tu porteras un jour. Voici Stormbringer la faiseuse des tempêtes »

Un objet, une arme… et bien plus qu’une arme. L’aspiration de mille guerriers avides et le désespoir de bien plus d’entre eux. Une création parfaite des temps anciens et pourtant plus jeune que lui-même, une sinistre compagne de carnages pour l’élu qu’elle choisissait. Stormbringer au nom lacé de mystères, forgée pour un bretteur de génie et qui l’avait suivie, fidèle, par-delà la mort et la déchéance vers l’état de vampire. A présent, elle dormait dans son écrin en attendant un nouveau porteur qui serait capable de lui redonner l’envie de combattre et la complèterait, réceptacle de sa puissance primaire. Stormbringer ne l’aimait pas beaucoup, lui. Il le savait bien d’ailleurs… la lame le trouvait trop vieux et trop puissant, une insulte à ce qu’elle était, lame sans pareille, lame que l’on craignait avec révérence. Elle l’avait jalousé d’avoir l’attention de son porteur et si tant est que Kedrildan devienne son nouvel élu comme il l’espérait ? Elle le haïrait de nouveau. Pour l’instant cependant, elle se reposait là sous leurs yeux sans daigner lui accorder d’intérêt… La seule attention qu’elle semblait accorder allait aux doigts qui la caressaient et l’effleuraient… Achroma eut un sourire et se redressa légèrement, posant correctement la boite sur ses genoux pour éviter qu’elle ne glisse à terre en provoquant une catastrophe. « Oui. C’est une arme de bretteur magique avant tout. Ceci, mon élève, est une lame légendaire, forgée dans les temps anciens et gorgée d’une magie unique. Elle est imprégnée du vent du monde et en possède la maîtrise. En la maniant tu manieras aussi cet élément, mais bien plus que cela. Pour la maîtriser, il te faudra t’entraîner avec lorsque tu seras apte à la porter… et lorsque tu pourras enfin comprendre ses murmures, alors tu seras prêt et elle te renforcera autant que toi tu la renforceras en lui donnant un bras puissant à soutenir » Il l’observa avec attention « Elle n’a qu’un seul élu, sache-le et si elle te choisit elle sera tienne à jamais, jusqu’à ta mort hypothétique. Pour toi elle sera la plus douce des compagnes mais pour les autres une terrible et farouche adversaire. Jamais elle ne se retournera contre toi, jamais elle ne te blessera… Tu risques cependant de la trouver jalouse si tu uses d’une autre arme »

Un rire léger le prit avant qu’il ne redevienne sérieux « A cela cependant j’ajouterais que tu te verras également désigné comme le rival de celui portant sa contrepartie : Mournblade la graveuse de terre, une arme elfique. Celui qui la manie et toi êtes désignés à vous affronter car vos épées ont été avant tout conçues pour cela. Mais si je me souviens bien, l’épée en question n’est pas portée et introuvable à l’heure actuelle. D’ici à ce qu’elle se trouve un élu, tu seras assez fort pour le tailler en pièce » Il lui tendit afin qu’il puisse se familiariser avec elle. Après tout si il devait la porter un jour alors elle devait le suivre dès aujourd’hui. « Pour l’instant je la conserve comme mon bien mais elle sera un jour tienne j’en suis certain, aussi je t’invite à apprendre à t’en occuper dès que possible. Je vais demander à Cyrène de t’enseigner le maniement de l’épée. C’est la meilleure bretteuse de notre peuple après tout, et ma digne mère… elle te sera un excellent professeur j’en suis certain. Moi-même ne suit pas un bon guerrier, la magie est bien davantage mon domaine de compétence et je désir que tu ait les meilleurs professeurs si tu tiens à devenir un guerrier » Et ainsi, Cyrène ferait parfaitement l’affaire, de même qu’il demanderait à d’autres de s’occuper d’autres domaines, afin de le parfaire en tout… Oui, cela serait une très bonne chose il en était certain. « Dès que nous le pourrons nous nous entraînerons également avec nos compagnes dragonnes…. » Le laissant admirer la lame un moment, il resta silencieux, perdu dans la contemplation de ce nouveau duo qui lui en rappelait un autre, pas si différent que cela au fond… et qui pourtant remontait à une véritable éternité dans tous les sens du terme. Une page qui se tournait finalement, en ouvrant une autre, peut-être plus glorieuse encore… et lui survivait une fois de plus, comme si de rien n’était, comme si il était un pilier inébranlable d’orichalque… mais s’en était presque déprimant. Fronçant les sourcils, il s’avança de nouveau et vint le tenir contre lui un bref instant sans dire un mot ni s’expliquer de ce geste soudain… Il n’avait guère à expliquer à vrai dire. La spontanéité n’était pas son apanage en temps normal.

« Kedrildan… »

Que pouvait-il y avoir de plus beau que le ciel immense et sans fin, la voûte céleste scintillante de millier d’étoiles semblant flamboyer d’un feu blanc, traversée par les vagues lumineuses d’une aurore encore dormante. Flotter là-haut sur les ailes puissantes d’un dragon, en accord parfait avec les éléments, n’être qu’un avec le souffle du vent… Oui, il n’y avait sans doute rien de plus beau, de plus magnifique et poignant que cela, de par le monde. Y penser refaisait vivre d’anciens souvenirs de son passé, du temps où il était encore jeune et plein d’énergie… Il se souvenait avoir été invité à voler avec un dragonnier, une fois, une seule… Et ce moment de grâce lui était resté, un joyau au fond de son cœur mort, qu’il chérissait infiniment. Et bientôt, ce serait sur le dos de sa propre dragonne qu’il volerait, dragonnier lui-même, un rêve qu’il n’avait pourtant jamais complètement eu. Goûter la voie lactée, caresser les étoiles de ses mains… Oui, que pouvait-il bien avoir de plus beau que cela. Lui aussi avait hâte de ne faire qu’un avec sa dragonne, tout là-haut. Et ce quand bien même il n’était pas très bon cavalier, voire pas du tout… trop raide disait-on à son égard voilà bien des années. Oh il s’était peut-être un peu amélioré depuis, mais juste un peu. Ce serait certainement particulièrement drôle que de tenter de monter sur le dos de la dragonne blanche… mais ils n’y étaient pas encore. Pour le moment ils avaient le temps d’en rêver et d’en soupirer de langueur. Pour l’instant oui, ils avaient du temps pour s’entrainer… car après tout, lui aussi avait besoin de se remettre en forme, de garder ses capacités intactes et même de s’améliorer encore et toujours. Il le sentait effectivement, il n’était pas encore au bout de son potentiel, ce qui laissait rêveur sur ce dont il serait capable une fois pleinement et complètement entraîné, au sommet de sa puissance écrasante. Une étoile sur terre peut-être… un jour oui, tout venait à ce qui savait attendre. Etre patient et sage. Il avait appris à l’être et si cela signifiait pourchasser gloire et honneur… pourquoi pas ? Protéger les siens, leur rendre leur dignité. Et plus encore. Soupirant légèrement, il sera légèrement Kedrildan en souriant avec légèreté… un sourire délicat comme une figure de cristal et le darda de ses yeux d’eau. « Bien entendu » Pourtant, loin au fond de son âme, ouvrant un œil d’un vert empoisonné, une petite voix susurra Doux rêve que cela

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