Vanaël observait pensivement la fontaine dont les gouttes d'argent dévalaient les courbes, les lignes pures et les arrêtes harmonieuses avant de rejoindre le bassin qui soutenait la représentation. L'élément eau représenté dans toute sa splendeur. Être vampire n'empêchait pas d'apprécier la beauté, que du contraire. Ses voyages et sa longue existence lui avait appris qu'on pouvait survivre parmi les siens, se battre pour la survie et regarder la beauté du monde. Cette beauté en mouvement constant, en perpétuel changement, qu'elle pouvait observer de son immobile immortalité.

Tout compte fait, cette ambassade n'était pas une mauvaise chose. La paix imposée lui permettait de penser un peu à autre chose qu'à la guerre et de pouvoir baisser au moins en partie sa vigilance. Il était étrange de voir le contraste d'ailleurs entre les hall sombres d'Ygg Chall et les allées aérées de la Rhapsodie. Pour la première fois depuis longtemps, elle se remémora ce pour quoi elle se battait avec acharnement, non seulement contre les Alayiens mais surtout contre les autres peuples et même contre ses semblables. Un jour, eux aussi pourraient jouir de la beauté du monde. Même si cela devait signifier la réduction en esclavage de toutes les autres espèces, ou bien la négociation avec leurs ennemis jurés et leurs proies naturelles.

Elle avait tant et tant de gens à voir et avec qui s'entretenir. Vampire, Baptistrels, Elfes, voire même Humains peut-être. Mais jusqu'alors, elle ne se souciait guère de les chercher. Dans le domaine, les êtres allaient et venaient, elle croiserait assurément assez d'interlocuteurs que pour satisfaire sa soif de savoir et d'information. Et surtout, elle comptait bien utiliser ce pour quoi elle était ici. Le serment Baptistral les avait pour la plupart dépossédé de toutes leurs armes, sauf peut-être Lorenz dont l'étendue du pouvoir était difficilement compréhensible et donc complexe à circonscrire, mais pourtant, il lui restait encore à elle la plus importante qui soit, un secret bien gardé et dont elle userait assurément à foison durant son séjour.

Un son de pas délicats et légers la tira de ses pensées. Relevant son regard tout en chassant sa natte fraîchement achevée derrière son épaule drapée de pourpre, elle scruta la pénombre à la recherche du promeneur. Avec un peu de chance, il s'agirait d'un de ses émissaires qu'elle souhaitait rencontrer. Il y avait même une grande probabilité pour que ce fut le cas. Et comme de fait, il en fut ainsi...

Le pas qu'elle avait pris pour léger ne l'était pas tant que ça finalement lorsqu'il se fit plus proche. Et la raison en était aisément compréhensible. La gracieuse impératrice du Beau Peuple semblait quelque peu peiner sous le poids de sa progéniture. Même si elle tentait de n'en rien montrer, il était évident qu'aucune femme, si forte soit elle, ne put conserver toute sa prestance, sa fluidité et se grâce avec un tel chargement. Cette forme de détresse et de faiblesse fit d'abord sourire la Vampire dans les ombres des plantes grimpantes qui abritaient le banc où elle se tenait.

Mais bien vite, sans qu'elle sut vraiment dire pourquoi, son amusement moqueur devint une forme de jalousie et de haine particulièrement acerbe. Elle se rendait alors compte que la joie qu'éprouverait un jour cette elfe, elle ne la ressentirait jamais et, si elle l'avait déjà ressentie, elle ne s'en souviendrait sans doute pas avant plusieurs siècle si elle se le rappelait jamais. Elle se sentit lésée et, pour la première fois depuis longtemps, elle eut le désir de faire du mal juste pour le plaisir d'en faire, sans autre but ni aucun dessein que celui de se venger d'une injustice dont personne n'était vraiment responsable.

La haine retomba bien vite lorsque la magie Baptistrale commença à rappeler sa présence à la Dame Cardinale. Elle ne tenterait rien ici, rien ce soir. Respirant profondément pour se calmer, l'air ne lui étant pas vraiment nécessaire, elle fit refluer ce déluge irrationnel et violent. Lorsque l'impératrice fut assise, elle se racla la gorge et s'avança pour engager une sorte de discussion. Elle tenait là l'occasion rêvée de donner à son Prince des informations inestimable. En tout cas, elle en tirerait une grande joie, il était toujours étonnant de voir à quel point les elfes pouvaient mentir. Leurs formules de politesse désuètes n'étaient que vide et mascarade. Cette reine par exemple ne pensa pas un traître mot de ses excuses, c'était évident.

"Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas à vous de vous excuser, mais bien à moi qui trouble votre repos, impératrice. Je suis Vanaël Aerin, membre du Conseil d'Ygg-Chal. Cela fait longtemps que je n'ai pas conversé avec un membre du peuple sylvestre. Puis je m'asseoir?"

Elle se garda bien naturellement de préciser la nature des derniers échanges qu'elle avait eu avec un Elfe. Ça n'aurait été ni courtois ni à son avantage. Il était assez délicat pour un Vampire Ancestral de se souvenir d'assez de formule de politesse que pour pouvoir prétendre engager la conversation avec un elfe. Mais Vanaël était préparée à cette rencontre, elle restait déterminante dans les prétentions qu'elle avait pour son peuple. En fait, depuis la réception de la missive de Merithin Shadowsong, elle avait tout de suite vu le potentiel d'une telle réunion. Restait à voir si il resterait au simple état de potentiel...

Elle s'était assurément attendue à plus de réticence de la part de l'Elfe, d'un autre coté, l'assurance qu'aucun mal ne pouvait lui être fait avait peut-être atténué la peur ou la haine instinctive qu'elle aurait du ressentir. En tout cas, la grossesse de l'impératrice ne passait pas inaperçue et n'était peut-être pas non plus indifférente à ce comportement étrange. Peut-être aurait-elle réagit différemment si elle avait pu voir les oreilles effilées que l'ancestrale cachait sous sa coiffure rougeoyante? Mais toutes ces interrogations étaient vaines et ne trouveraient jamais de réponses.

Aussi, elle s’assit avec grâce à coté de l'impératrice, se mettant légèrement de biais pour pouvoir contempler son interlocutrice et tenant son dos bien droit pour faire preuve de la dignité qui seyait à son rang de Conseillère. Le son de la fontaine formait une délicate musique de fond pour cette discussion. Et le nuit était des plus exquise pour parfaire le tableau. On aurait eu peine à croire en les regardant ainsi que la guerre faisait rage à l'extérieur et que leurs peuples s'étaient entre-tués pendant plusieurs millénaires sans doute. Pour se donner une contenance, elle entreprit de rectifier sa natte pourpre dans la lueur nocturne.

"De quoi? J'admets ne pas très bien savoir moi-même. Mais ces négociations ont l'avantage inestimable de nous mettre tous dans un terrain privilégiant l'échange et la discussion. Si cette situation ne nous plait pas vraiment du fait de siècle d'inimité, nous pouvons cependant quand même tenter d'en faire une expérience, si pas agréable, au moins constructive. Après tout, si tout se passe convenablement, nous sommes censés passer tous du même coté.

Je pourrais parler politique, c'est vrai qu'en définitive, ce serait un moment propice pour mettre au clair quelques arrangements. Le consensius a beau être posé, les détails mettront du temps à être discutés et fixés. Mais je pense que nous aurons largement le temps de faire une indigestion de toutes ces négoces. Aussi, j'aimerais plutôt parler de sujet plus triviaux..."

Elle se sentit un peu rosir, mais espéra que l'obscurité masquerait ce détail. Une espérance un peu vaine quand on connaissait la vue des elfes. Elle était un peu gênée, même honteuse de poser cette question. Mais la jalousie et l'envie qui croissait en elle faisait croître une nécessité irrésistible de la poser. Elle déglutit, tentant de reprendre ses esprits et de cacher son trouble.

"Qu'est ce que cela fait? Je veux dire, d'attendre un enfant..."

Elle s'en voulut instantanément. Elle se maudit de sa faiblesse et trouva que les mots sonnaient plus que désagréablement dans sa bouche. En plusieurs siècle d'existence, elle n'avait jamais flanché. Elle avait toujours pu cacher ses angoisses, doutes et confusions derrière son masque de conseillère. Et là, devant celle qui devait faire partie de ses pires ennemies après les Kohan, elle avait laissé se craqueler son masque. Elle en aurait bien hurlé, mais elle se contenta de mordre l'intérieur de ses joues et de pincer légèrement les lèvres. Cherchant à masquer ce conflit intérieur par un air perplexe, en désespoir de cause. Elle tenta de rattraper ses mots.

"Vous comprenez, en tant que Vampire, je n'ai jamais rencontré de femme portant la vie. Pour être honnête, je pense n'avoir même jamais vu de véritables enfants. Ou alors, ces souvenirs appartiennent à un passé auquel je n'ai plus accès. Aussi, je m'interroge en vous voyant porter votre descendance, avec quelques difficultés, je pense qu'on peut l'admettre..."

Et c'était peu dire, lorsqu'une elfe avait la démarche aussi pesante qu'une humaine, c'est qu'il avait un sacré handicape. Mais étrangement, sa maternité n'enlevait rien à la beauté légendaire de Galadriel. Elle l'amplifiait même d'une certaine manière, lui conférant l'attrait d'une maturité nouvelle et une aura protectrice et maternelle. Ce charme si réputé en aurait fait chavirer le cœur de Vanaël si elle n'avait pas été emplie de jalousie et de convoitise futile pour se ventre rond et ce qu'il cachait.

HRP:

Elle dit vrai... Étrangement c'est la première chose à laquelle elle pensa après l'explication de l'Elfe. Un réflexe peut-être, une défense, se réfugier derrière l'analyse de sa sincérité, faire de son totem une barrière au mal-être qu'elle aurait sans doute du ressentir. Et puis, elle contempla le ventre rond, puis l'air épanoui de l'impératrice. Un mélange étrange de curiosité, de jalousie, de colère et d'admiration. Était ce donc cela? Le prix de l'éternité, de la force et de la supériorité? Celui de ne jamais jouir de la vie?

Mais elle se refusait à y penser. De toute façon, à quoi cela aurait-il bien pu servir? Elle était ce qu'elle était et elle en était fière d'ailleurs, elle n'aurait certainement pas essayer de faire que les choses soient autrement. Mais elle ne pouvait désormais plus s'empêcher de ressentir ce manque. En fait, l'idée que les autres races aient le droit d'avoir quelque chose que son peuple... non qu'elle ne pourrait jamais ressentir était intolérable à son ego. Et pourtant, c'était ainsi et déverser la bile amère sur l'Impératrice n'apporterait bien. Alors elle souffrirait sa frustration en silence derrière le masque d'ivoire qui était le sien au conseil.

"J'ai connaissance en effet de cette particularité. Le miracle et la joie d'un tel événement ne doit être que plus grand. Des jumeaux en plus, je suis certaine qu'on pourrait compter sur les doigts des mains ce genre d'événement historique. Le père doit en mourir de fierté et de joie, je suppose."

Elle aurait pu changer de sujet, c'était vrai, rien ne l'en empêchait. Mais pourtant, la curiosité prenait le pas sur tout le reste du bouillon émotionnel qui la traversait. Et puis, en apprendre plus sur ce point ne pouvait pas lui faire de mal. Même si elle ne pouvait encore percevoir si ces choses triviales lui apporteraient quoi que ce soit à l'avenir. Elle trouvait des excuses pour elle-même, arguant qu'elle pouvait bien percer un secret, trouver un élément qui pourrait lui servir. Oui c'était cela qui la motivait avant tout, pas de désir ridicule ni même de curiosité malsaine envers cette chose bassement mortelle.

"C'est une chose assez curieuse pour nous. C'est bien la seule chose que nous ne ressentirons jamais, la procréation et la maternité. Mais cela ne vous angoisse-t-il pas de les voir arriver en des temps si sombres? Les Alayiens sont aux portes des trois royaumes, même si il s'agit plutôt de la porte du donjon que de celle de l'entrée pour ce qui est des humains, et l'avenir est plus qu'incertain..."

Elle s'était bien rendu compte qu'évoquer tout haut la situation ne pouvait que blesser Galadrielle. Et elle s'en foutait clairement sous l'air dégagé sur lequel elle avait énoncé sa phrase, comme si elle réfléchissait simplement à voix haute sur la situation à laquelle ils faisaient tous face. Après tout, elle aussi, elle avait bien droit à une petite vengeance. Après elle pourrait aborder un autre sujet, mais d'abord elle jouirait de l'observation de la future mère.