Cela faisait quelques jours que Roëric et Isyndar étaient arrivés au royaume de chanteurs magiciens prônant une société un peu différente. Décidément, ces bipèdes étaient étranges. Mais au moins, cela permit à la dragonne de rencontrer des elfes. Seules créatures qu'elle n'avait pas eu le loisirs de rencontrer. Ils étaient bien différents des humains. Ils se dégageaient de leur êtres une sorte de paix et d'aura lente ancrés dans le temps en harmonie avec la nature environnante. Mais malgré tout ça, la dragonne ne se sentait pas à son aise. Même si la flore dominait, il y avait bien trop de bâtiments, en tout cas bien plus qu'elle n'ait pu en voir en même temps. D'ailleurs, elle n'était jamais rentrée dans un bâtiment en dur. Une tente, une cabane en bois, mais pas de grandes bâtisses. Et à vrai dire, elle n'en avait pas vraiment envie. La dragonne de l'ombre préférait largement le vent et l'air sur ses écailles grises que l’emprisonnement entre de hauts murs. Cela lui rappelait dans son œuf, certains doux et sécuritaire, mais elle y était bien seule. Sans Roëric. Maintenant qu'il était près d'elle, Isyndar ne pouvait concevoir la vie sans son lié.

Dans tous les cas, la petite dragonne de l'ombre avait bien hâte que son lié en finisse avec son Maître, qu'ils s'en retournent à leur liberté de mouvements, de penser, d'action. Ici, même si ce havre était synonyme de paix, rendait la dragonne nerveuse. Il y avait un quelque chose de trop. Et puis ce faire servir par des bipèdes et ne pas se débrouiller par elle même, comme depuis toujours... Elle avait l'impression d'être prise pour une incapable. Un petit lapin, juste un à chasser, ce n'allait pas à l'encontre de tout un protocole de paix. Isyndar respectait plus que tout le concept de races, de paix, de non violence. Bien loin de là et au contraire. Mais manger comme une grande toute seule. Un peu plus et il lui prémachait son repas.

Mais il y avait en contre partie de larges avantages. Déjà à ne pas fuir et regarder toujours derrière soit si un ennemi ne se cachait pas pour mieux vous planter un couteau dans le dos ou les ailes. Un repos bien mérité après cette fuite face aux alayens et leur folie destructrice à l'encontre des vampires et des dragons. Les vampires, Isyndar pouvait comprendre. Depuis le temps. Mais les dragons ? Depuis sa naissance, on ne cessait de dire qu'elle était une bénédiction. Mais pas pour ces barbares en armures.

La petite dragonne grise marchait dans l'herbe abondante à la recherche de ses frères et sœurs d'écailles, tandis que son lié était avec les siens. Enfin son ami. Peut être qu'elle aurait enfin la chance de pouvoir en voir un, sans que Roëric ne l'enferme dans une grotte, ou qu'elle aperçoive une dragonne à qui elle arrachait le dragonnier. Un dragon de sa génération, pas comme la noble mère des dragons qui l’impressionnait autant par sa stature que par sa longue vie. Un dragon de son âge avec qui échanger leur courte vie, le pourquoi de leur retour, leur choix, leur avenir, la guerre. Bref, avoir quelqu'un qui peut la comprendre mieux que personne.

En pleine réflexion et philosophie, la dragonne mit un temps à voir et à comprendre ce qu'il se passait. Une ombre au dessus de sa tête qui plonge en piquet dans la prairie. Une grosse pierre luisant au soleil tomba avec lourdeur dans l'herbe haute. Un dragon. Doré. Aussi clair qu'elle était sombre. Isyndar marcha vers lui. Et un brin taquine, usant de son habituel sens de l'humour, enfin celui de son dragonnier.

« - C'est ce que l'on appelle une arrivée en toute discrétion. »

La dragonne de l'ombre lui fit face le soleil dans le dos, brûlant un peu trop ses écailles habituées à l'ombre et à la nuit.

« - Mais le domaine semble-t-il plus libre vu d'en haut ? »

De tout temps, les cieux avaient été le domaine des dragons. Un territoire sans limite, silencieux et paisible, loin au dessus de l'agitation du sol et de la folie des êtres bipèdes qui y évoluaient. Tout semblait toujours magnifique vu du ciel, même le pire champs de bataille devenait une mosaïque de couleurs mouvantes au gré des évolutions des troupes. Un point de vue incomparable sur le monde donc, et une sensation de liberté infinie. Atalos et ses semblables étaient maîtres des cieux, donc maître du monde, et lorsque le dragon d'or ressentait le besoin de s'apaiser, c'est tout naturellement qu'il déployait ses ailes et s'élançait à travers les airs. Bientôt, Amyelenor pourrait l'accompagner car si la technique du dragon demeurait encore hésitante, elle s'affermissait de jour en jour et bientôt, le dragonnier pourrait se risquer sur le dos de son lié sans craindre pour sa vie. Alors, il pourrait lui montrer tout cela, lui offrir cette sensation incomparable qui vous saisissait les entrailles lorsque le vent venait vous fouetter le visage tandis que du regard, vous admiriez les nuages défiler à vos pieds. La jeune Lame Noire apprécierait certainement de voler. Il apprécierait cependant sans doute un peu moins le retour au sol, l'écailleux doré ayant définitivement abandonné l'idée de reprendre contact avec la terre ferme sans heurt, son dragonnier devrait apprendre à s'accrocher fermement au pommeau de la selle.

En parlant de regagner le plancher des elfes, un regard vers le soleil dont les rayons faisaient briller ses écailles de milles feux lui fit comprendre qu'il était temps pour lui de rentrer, les négociations devaient débuter le soir même et Amyelenor devait déjà s'y préparer. Effleurant le lien qui l'unissait constamment à son lié, Atalos pouvait sans peine ressentir les premiers signes de l'inquiétude et de la nervosité naissantes chez le dragonnier. Le doré pourtant n'était pas vraiment convaincu du bien fondé de cette réunion et s'il comprenait l'importance stratégique que cela pouvait représenter, la seule idée de négocier avec des vampires lui coupait l'appétit pour une bonne heure. D'ailleurs, depuis leur arrivée, son seul désir avait été de repartir, mais son lié avait insisté prendre part aux discussions et le dragon l'y accompagnerait donc. Serment ou pas, il veillerait sur le jeune homme et le vampire qui aurait l'imprudence de s'en approcher d'un peu trop près ne vivrait pas assez longtemps pour comprendre son erreur, parole de dragon.

Tel un météore, le dragon d'or se laissa plonger vers le sol et contourna la haute tour du Tomingorllo pour s'aligner avec le sanctuaire de l'air, préparant l'atterrissage. Avec un grondement sourd, ses pattes foulèrent la plaine herbeuse, arrachant au passage de large bandes de terre tandis que sa musculature encaissait le choc de l'impact et la décélération brutale. C'était encore rude, mais avec son poids et sa taille, il pouvait difficilement se poser avec la douceur d'une plume. Tandis qu'il secouait vivement une patte pour en déloger la terre qui s'était glissée entre ses écailles, son regard d'or liquide se posa sur ... une autre créature d'écailles. Beaucoup plus petite que lui, une dragonne aux écailles grisées s'approchait avec souplesse et légèreté, semblant glisser silencieusement sur l'herbe verte, telle une ombre. A en juger par la taille, elle devait avoir approximativement son âge, et alors qu'elle approchait, le dragon d'or ressentit une certaine forme de familiarité avec elle. Il ne l'avait jamais rencontrée, mais sa présence lui était étrangement familière : comme il l'avait vécu lors de ses rencontres avec le dragon bleuté ou Ashy, il avait la sensation de la connaître sans la connaître vraiment. Le doré en avait la certitude maintenant : elle était de ces oeufs qui avaient partagés sa solitude de longues années durant, alors qu'il n'était lui aussi qu'un jeune dragonnet enfermé dans sa coquille.

Atalos se redressa lorsqu'elle commenta son arrivée avec malice, non sans une certaine ironie d'ailleurs, puis écarta les épaules pour bomber le torse et élargir un peu plus encore sa carrure. Et bien quoi son arrivée ? Il était le Salvateur Céleste après tout, pourquoi aurait-il voulu faire dans la discrétion ? Empruntant son ton moqueur, il prit le parti de lui répondre de la même manière :

* J'aime passer inaperçu, en effet. *

Inclinant la tête pour se mettre à sa hauteur, il l'observa un instant. Il n'avait jamais entendu parler de la présence d'une dragonne elfique et en fait, à l'exception d'Ashy qui avait éclot pour Korentin Kohan et de Skade, les seules dragonnes dont il ait jamais entendu parler étaient les liées des dragonniers vampiriques. Etait-il possible qu'il se trouva à cet instant devant l'une d'elle ?

* Tout semble toujours plus libre vu d'en haut, surtout quand ceux d'en bas s'octroient le droit de t'enchaîner. As-tu toi aussi été asservie au serment des elfes chanteurs ? *

Ses larges griffes se crispèrent imperceptiblement tandis qu'il se remémorait le serment auquel l'avait lié le baptistrel Idrysil. Poursuivant sur le ton d'une banale conversation, le dragon d'or s'aventura à se présenter :

* Je suis Atalos, le dragon d'or lié au général humain Amyelenor Farkstein. Je l'accompagne pour veiller sur lui durant les négociations. *

Ses mots lui faisaient l'effet d'une bouteille à la mer, il les avait prononcé sans trop savoir le retour dont il allait bénéficier mais avec un peu de chance, la réaction de la dragonne l'aiderait à mieux la cerner.

Le ciel, rien de plus grisant et depuis que la petite dragonne eut le ciel comme nouveau terrain de jeu, elle s'en délectait. Un dragon était fait pour voler, pourquoi donc apprendre à se servir de ses pattes avant de pouvoir déployer ses ailes. Une étrangeté de sa race. Tout comme celle de se sentir en terrain connu face au dragon d'or.
Elle d'habitude plus méfiante, voir craintive après tout à fuir un ennemi invisible on le voit partout. Mais là il y avait un quelque chose de rassurant, de connu, c'était à peine palpable mais en son fort intérieur, elle savait qu'elle n'avait pas à fuir.

La dragonne de l'ombre affirma cependant ce que le dragon aux écailles dorées semblait considérer comme un outrage.

« - Liberté chérie, vue d'en haut paraît bien plus jolie. Et oui, ces bipèdes ont cru bon de me lier à un serment de non agression. Si cela leur fait plaisir, je ne prendrai pas l'offense de voir en moi une bête assoiffée de violence. »

Que pouvait-elle dire de plus ? Après tout, en arrivant chez un peuple, chez quelqu'un on se plie aux uses et coutumes, aux règles de la maison. Isyndar n'en pensait pas moins, mais si c'était la condition que pour son lié soit rassuré sur le sort de son Maître, alors elle acceptait cette chaîne inutile. Même si sa fierté en prenait un coup, mais bon il ne fallait pas trop en demander aux bipèdes et ça lui permettait de voir des elfes, seule créatures encore jamais côtoyer. Étrange d'ailleurs, et pas que des oreilles.

« -Ni même de juger bon de voir la race draconique affabulée d'une chaîne magique non utile sinon que pour nous museler tels des bipèdes. »

Oui, bon, il fallait aussi montrer son accord avec les paroles de son frère d'écailles. Fichtre soit de penser comme les siens et de suivre les règles de vie des autres. Et fichtre soit les convenances des uns et des autres. Tous ne pourrait se mettre d'accord sur une chose : la règle draconique.

« -Mais je ne suis pas ici pour parler de l'accueil fait et j'ai juré à mon lié de ne pas faire ombrage à l’accueil qui nous ait fait en ce domaine. »

Mais il ne fallait enfoncer le clou dans la porte un peu plus. Son interlocuteur semblait bien plus remonter qu'elle sur ce sujet. Ne mettons guère plus d'huile sur le feu.

« -Mais je manque à mes devoirs, je suis Isyndar, dragonne de l'ombre. »

Rien de plus. Car la dragonne se doutait bien que la mention vampire accroché à son lié pouvait être bien mal prit par un dragon lié à un humain. La race de son lié avait un bien mauvaise réputation et un passif trop ancré dans l'esprit des hommes chassées, tués et vidés comme des poissons par les créatures de la nuit. Isyndar ne prendrait pas mal en reproche ce que les vampires pouvaient être, mais le contraire serait un affront en ce qui concerne son lié. Roëric était...différent. Oh certes, sa nourriture était essentiellement composée de sang humain, mais il y avait autour de cette question alimentaire toute une réflexion sur lui même et pas une violente pulsion de tuer pour tuer, pour manger sans se soucier de la pauvre proie. Peut être était-ce la raison pour laquelle la dragonne gris orage respectait tout autant son repas et les animaux qui finissent dans son estomac ?

« - Je suis ici avec mon lié, en mission de sauvetage. Nous n'avons eu vents des négociations en venant. Nos voix ne se feront pas entendre, même si nous avions à dire. Qu'importe. »

Oui, à vivre dans l'ombre, cachés, traqués, poursuivis, on apprend vite à ne pas trop en dire, à rester discret. Ne pas trop de dévoiler, donner d'indices. La peur de se faire découvrir, prendre aux pièges et...

Isyndar secoua doucement la tête, il ne fallait pas penser à ce genre de chose ni même attirer l'attention sur soit, alors revenons au dragon d'or. Il semblait assez fier de lui au vue de sa posture en arrivant à ses côtés. Elle petite, discrète, cherchant presque à se fondre dans l'herbe de la prairie. Isyndar y arriverait presque.

« - Votre lié se plaît à votre façon de regagner terre ? »

Le dragon d'or releva l'un des sourcils écailleux lorsque la petite grisée lui affirma ne pas s'offenser de la conduite des elfes. Etait-elle vraiment sérieuse ? D'accord, elle ne se considérait pas comme une bête assoiffée de violence, pas plus que lui d'ailleurs, mais n'était-ce justement pas ce que les sylvains sous-entendaient en croyant bon de lier les dragons à leurs serments ? D'ailleurs, il ne fallut pas longtemps pour que la dragonne rectifie d'elle-même. Oui, une muselière, c'était le terme le plus adapté malheureusement. Ses griffes s'enfoncèrent un peu plus profondément dans la terre meuble sous ses pattes, l'orgueil des elfes n'avait décidément pas de limite et il lui tardait vraiment de retrouver le chanteur qui l'avait assermenté pour obtenir de lui les excuses qui lui étaient dues.

Atalos inclina légèrement la tête pour saluer celle qui venait de se présenter comme la dragonne de l'ombre. Un titre qui lui convenait merveilleusement bien d'ailleurs, sombre et silencieuse, elle avait tout de la silhouette obscure qui suivait chacun sans bruit. Tout le contraire du massif dragon aux écailles d'or, en fait, qui passait difficilement aperçu et s'amusait même souvent de l'effet qu'il provoquait sur les foules admiratives. Volontairement ou pas, elle s'abstint cependant de présenter son lié, ce qui ne manqua pas de titiller davantage encore la curiosité du doré si tant est que cela fut possible. Elle y parvint cependant fort bien en lui avouant le but de sa présence ici : un sauvetage ? Qui donc pouvait avoir besoin d'être sauvé sur des terres protégées par un serment de non-agression s'appliquant à tous, jusqu'aux dragons eux-même ? Hormis peut-être justement Idrysil si ce dernier avait le malheur de s'entêter dans son arrogance envers le doré, mais pourquoi l'ombrée souhaiterait-elle sauver le chanteur ?

Isyndar le devança de peu lorsqu'il allait lui poser la question, changeant radicalement de sujet. Apparemment, discrète, elle ne l'était pas seulement dans sa façon d'être ou de se mouvoir et ne semblait pas particulièrement désireuse de trop en dire sur elle-même. A moins que ce ne soit un genre qu'elle se donnait, dragonne d'ombre et de mystère ? Après tout, lors de ses campagnes militaires, Atalos avait souvent entendu les hommes plaisanter au sujet du caractère bavard de la gent féminine, si cela s'appliquait également aux dragonnes, il ne serait probablement pas bien difficile d'obtenir de quoi rassasier sa curiosité. Patience donc, les petits ruisseaux forment les grandes rivières comme le disaient souvent les humains.

D'un geste lent, le dragon d'or détendit à demi ses ailes avant de les rabattre contre ses flancs, la grisée n'avait peut-être pas envie de parler d'elle-même pour l'instant, mais elle savait mettre la griffe sur les sujets délicats et Atalos ne parvint pas vraiment à dissimuler la gêne qui teinta sa réponse.

* Pas vraiment, en vérité. Mon dragonnier ne m'a pas encore accompagné à travers les cieux, les humains sont de petites créatures fragiles et mes atterrissages sont encore un peu... rudes, pour leur constitution. *

Le souvenir de son dernier crash, celui qui vit tomber un majestueux châtaigner, était là pour le lui rappeler. Si Amyelenor avait été sur son dos lors de cet épisode, l'issue aurait pu être autrement plus dramatique, c'était un risque qu'il n'était pas encore prêt à prendre. Un jour peut-être. C'était à espérer.

* Je crains encore de le blesser. Les airs sont le domaine de ceux de notre race, mais je dois bien avouer être plus à l'aise sur la terre ferme. *

La tournure de la conversation ne lui plaisait pas vraiment, il n'était pas dans ses habitudes de faire aveux de faiblesse ainsi et mieux valait pour sa fierté ne pas trop insister dans ce domaine. Ce fut donc sans hésitation qu'il passa du coq à l'âne en recentrant la discussion sur les questions qu'il avait voulu poser précédemment, s'efforçant de modérer le ton inquisiteur de ses mots :

* Tu ne m'a pas dis qui était ton lié, s'agit-il d'un elfe ? Ou d'un humain peut-être, bien que je m'étonnerais alors de ne pas t'avoir rencontrée plus tôt, je pensais connaître tous les dragonniers humains ? A moins qu'il ne soit un... vampire ? *

L'hésitation de sa dernière question était nettement perceptible, c'était une possibilité qu'il ne pouvait évidemment pas écarter mais il espérait tout de même qu'elle infirmerait bien vite cette suggestion. Dans le cas contraire... ce serait la première fois qu'il se retrouverait devant la liée de l'un de ses ennemis et étrangement, il ne savait pas trop comment réagir.

* Et qui est cet être que tu es venu sauver ? Un bipède ? Pas l'un ou l'une de nos frères ou soeurs d'écailles quand même ? *

Après tout, la question n'était pas aussi invraisemblable qu'elle pouvait le sembler au premier abord : les elfes avaient déjà capturé le Premier Né par le passé, le doré le tenait de la dragonnière elfique que son lié et lui avaient rencontrés et l'archère n'aurait eu aucun intérêt à avouer pareille félonie s'il ne s'agissait pas de la stricte vérité. Le doute était permis donc...

Son frère d'écailles semblait bien différent de l'idée qu'elle s'était faites d'une rencontre avec un autre dragon. Le doré semblait en colère et se rattacher à des détails comme la nature de son lié ou bien les chanteurs et leurs sermons. Et ses griffes dans le sol terreux, enfoncées fermement, ne pouvaient que confirmer les pensées de la dragonne.
Était-ce d'avoir vécu avec deux races qui ne cohabitent pas habituellement ensemble, se chassent et se méprisent ? D'avoir vécu une séparation longue avec son lié ? Ou bien de vivre traquer telle une bête dangereuse ? Alors d'avoir un lieu où rien de tout cela risque de se passer, qu'elle et son dragonnier n'ont pas à se retourner à chaque pas.

Mais passons, elle n'allait pas le lui dire bien trop heureuse de voir un écaillé, il valait mieux pas parler de choses qui fâchent. Quoique, encore une fois tiré des griffes des problèmes le Maître de son dragonnier pouvait prêter à cette voie. En espérant que cette fois, elle ne risque pas ses écailles face au tueur de dragon.

« -Oui, je suis venue sauver, encore une fois, un bipède. »

Oui à croire que ces deux pattes n'étaient bons qu'à cela.

Si elle voulait, Isyndar enverrait cette pensée mentale à son lié. Mais ce dernier devait avoir mieux à faire. Jouer le rôle de père face à un vampire amoureux qui semblait aussi à l'écoute qu'un élan en rûte.
Puis pour une fois, elle pensait à elle et aux siens. D'ailleurs, la dragonne ne put que avouer tristement que :

« -Je n'ai pas la chance de connaître les nôtres. Toi si ? »

Peut être que si le dragon d'or connaissait d'autres dragons, la petite dragonne de l'ombre pourrait ainsi en rencontrer d'autres. Un sentiment de bonheur à cette idée traversa son cœur et ses écailles. Enfin, pas connaître oui, mais elle en avait aperçut. Son lié avait même cru en entraver une, même si c'était plus contre les actions de son lié vampirique.
Puis, elle avait eu la chance de voir une mère dragonne. Une des siennes revenant du passé. Une source de savoir, mais aussi la projection dans le future. Serait-elle comme elle ? Aussi sage ? Grande ? Isyndar imagina un instant Roëric sur elle aussi haute qu'une montagne.

« -Lors d'une bataille près du village de Feusacré, j'ai pu entrapercevoir une dragonne liée à un vampire proche du prince noir. Mais rien de plus, hormis la dragonne mère qui est revenue d'au delà des océans. »

Apparemment, ce détail avait de l'importance pour le dragon d'or. La race de son lié. Était-ce le fait que le sien soit un humain ? Et que les vampires sont les prédateurs officiels des humains ? Oui, peut être, certes, mais comme il y avait des hommes violents, il y avait des vampires violents et à contrario des humains bons et des vampires tout aussi respectables. Comme son lié. Car à part lui et Kylian, Isyndar n'avait rencontré que de mauvais vampires, et hormis la Horde, la petite grise n'avait rencontré que des humains adorables et la brossant dans le sens des écailles. Rien de tel pour une petite dragonne.

« -Mon lié a la résistance des vampires, la bravoure des humains et la délicatesse des elfes. Alors sa race n'a guère d'importance à mes yeux, il est mon dragonnier. »

Le choix d'Isyndar ne s'était pas arrêté à sa race. Du moins pas que. Sa condition avait aussi fait ce qu'il était, mais c'était l'ensemble, son histoire, sa vie, humaine et vampirique qui l'avait façonnée et qui, quand il avait posé sa main sur sa coquille, avait fait sortir de sa coquille la petite dragonne. Sa personnalité, son âme, ce qui était, est et sera. Isyndar le savait au fond d'elle que ce vampire ferait de bien grande chose. La preuve, il revenait aider son ami, au cœur d'une guerre, de négociations raciales.

Atalos eut un grognement amusé devant le ton désappointé avec lequel la dragonne de l'ombre l'informa être ''encore'' venue sauver un bipède. Il n'était d'ailleurs pas bien difficile de concevoir qu'elle aurait sans doute préféré abandonner l'individu en question à son sort mais elle n'en dit pas davantage et préféra laisser le doré dans l'ignorance. Qui était-elle venue sauver et de quoi devait-elle le protéger ? Mystère... Et visiblement, tirer les vers du museau de la petite dragonne serait plus difficile qu'il ne l'avait imaginé.
Aussi, lorsqu'elle revint à la charge avec une nouvelle question, changeant au passage habilement de sujet, l'écailleux fut tenté de ne lui répondre que du bout des lèvres, pour reprendre une expression humaine, mais alors que son regard d'or liquide se plongeait dans celui de la grisée, une autre approche se fit jour à son esprit. De son propre aveux, Isyndar ne connaissait pas d'autres dragons et il ne souhaitait pas vraiment faire mauvaise impression si tel était bien le cas : il se souvenait encore parfaitement de la froideur de son premier contact avec le dragonnet bleuté, une expérience pas vraiment des plus plaisantes. Une lueur traversa son regard lorsqu'elle évoqua la bataille de Feusacré et c'est un étrange sentiment de nostalgie qui lui étreignit l'esprit. Car le nom de ce petit village s'était gravé en lettres de sang dans sa mémoire et pour cause, il avait été le théâtre de sa première bataille, alors même qu'il était encore suffisamment petit et léger pour tenir dans les bras de son lié. Un temps qui semblait bien loin et qui pourtant demeurait si proche. Elle y avait donc participé, elle aussi ? Et une autre dragonne également, apparemment, mais lui n'avait pourtant pas le souvenir d'avoir aperçu une quelconque autre créature d'écailles, et encore moins une qui fut liée à un vampire. Cela dit, il n'avait en vérité pas vraiment de souvenir précis de l'évènement, tout s'était alors déroulé si vite que les seules images qu'il avait été capable de mémoriser n'étaient que des enchevêtrements de lances, d'épées et de boucliers au milieu de nuages poussiéreux, le tout enjolivé par le crissement métallique des lames, les hurlements des blessés ou encore l'odeur mêlée du sang et de la sueur qui emplissait l'air du champs de bataille et soulevait les estomacs les plus solides. Et dernier mais non des moindres souvenirs, une légère marque sur ses écailles, cicatrice héritée de l'affrontement. Sa première blessure de guerre.

* Tu as fais la bataille de Feusacré ? J'y ai accompagné mon lié, il est celui qui a protégé le grimoire et l'a ramené auprès des nôtres, au péril de sa vie. *

Et quand bien même la Lame Noire avait le triomphe modeste, ce n'était pas le cas du doré qui n'hésitait pas à louer le courage et l'abnégation de son dragonnier à sa place, y compris auprès des autres dragons dont il croisait la route.

* J'ai moi aussi rencontré la matriarche, elle nous a d'ailleurs apporté son aide lorsque nous avons affronté les Alayiens autour de Gloria. *

Approchant son esprit de l'ombrée, il lui offrit de partager quelques images mentales des autres dragons qu'il connaissait, alternant les images avec les pensées à mesure qu'il parlait.

* Voici Shaynar, le premier né. Celui-ci est un dragonnet bleuté dont j'ignore le nom, cela fera bientôt un an que je ne l'ai plus vu. Et enfin, Ashy, la dragonne d'émeraude, qui a éclos au palais Kohan il y a de cela quelques mois. Les deux premiers sont liés aux elfes, la dernière est liée à un humain, tout comme moi. *

Apparemment, il venait de toucher un point sensible en évoquant la race des liés de leurs cousins draconniques, puisque ce fut l'instant que choisit la petite ombrée pour lui parler un peu plus de son lié, sans toutefois se départir de ce voile de mystère qu'elle semblait entretenir avec soin. L'évidence pourtant ne pouvait plus vraiment manquer d'interpeller, pour que la dragonne insista ainsi pour ne pas trop en dire sur celui à qui elle s'était liée, c'était que cela devait la mettre mal à l'aise. Peut-être même éprouvait-elle une certaine honte d'avoir éclos pour celui qu'elle avait choisi, et ce n'était certainement pas le doré qui irait le lui reprocher si comme il venait de le conclure, elle était bel et bien liée à un vampire.

Redressant son crâne massif pour surplomber l'écailleuse d'ombre, il laissa échapper un souffle rauque par ses naseaux avant d'entrouvrir la gueule pour aspirer une profonde goulée d'air frais.

* Ton lié est un vampire, c'est cela ? *

Il avait posé la question sur le ton de l'affirmation, sans insister plus que nécessaire mais en laissant sous-entendre de manière plus qu'évidente qu'il désapprouvait. Etrangement, alors qu'il avait toujours pensé éprouver de la colère devant ceux qui avaient choisis de se lier aux aberrations vampiriques, ce fut une compassion nettement perceptible qui tinta sa voix lorsqu'il reprit, sans lui laisser le temps de répondre.

* Je comprends maintenant pourquoi tu as tenté de me le cacher. Mais pourquoi avoir choisis de te lier à une si pitoyable créature ? Ils ne sont que mort et violence, s'agit-il des qualités que tu attends d'un dragonnier ? Ignores tu que l'un d'eux a assassiné l'un des nôtres et s'est repu de son sang ? Tu as trahis notre race en décidant d'éclore pour celui que tu as choisis... *

Déçue, la dragonne était vraiment déçue, et elle ne put le cacher. Peut être aurait-elle dû être en colère, en furie, mais non seule la déception dominait. Finalement, les dragons étaient comme les bipèdes. Ils se donnent des airs supérieurs, s'affirmant supérieurs, mais ils réagissaient de la même façon : en se focalisant sur l'enveloppe et pas sur ce qu'il y a à l'intérieur. Pourquoi donc en ce bas monde, il fallait prouver qui on pouvait être, se battre, car la race affichait bien trop de préjugés. A l'instar de l'homme du nord envers elle. Dragons du passé, vampires différents de son lié. La preuve, Isyndar allait devoir se justifier de ses choix. Et puis quoi encore. On ne discute pas les choix d'un dragon, même entre pair. Son choix était fait, c’était Roëric point.

« - Je n'ai trahit personne ni les miens ni mes choix. Et je ne l'ai nullement caché, j'ai juste éviter de te mettre dans une situation de jugement sans fondements ni connaissance de qui est mon dragonnier. »

Et de faire passer pour un rustre sans cervelle le premier dragon qu'elle rencontrait. Car oui, voilà que l'euphorie du début de la rencontre devenait une déception totale. La dragonne de l'ombre se redressa affichant sa musculature fine mais surtout sa fierté.

« -Oui c'est un vampire. Mais ce fut un homme avant et il a rencontré un jour une malédiction qui a fait de lui ce qu'il est aujourd'hui. Mais il n'est pas pour autant ce que tu décris. »

Alors tourne ta langue sept fois dans ta bouche avant de parler dragon, ne juge pas sans savoir. Par tous les dragons, vivre en Armanda auprès des bipèdes annihilait certaines choses. Isyndar devrait demander à Skade pourquoi rester après avoir su ce qui était arrivé à son fils.

« - Bien loin de là. Mais je ne chercherai pas à te prouver le contraire, car sans même savoir qui il est, qui je suis tu juges. Je pourrais en faire autant sur les Humains ou bien sur les elfes. Voir même sur tes choix. »

Après toutes les races n'étaient pas exemptent d'avoir commis des impairs et des crimes. Mais les vampires, de part leur chef, leur régime alimentaire était jugé et montré du doigt. Alors que. Des humains tuaient pour le plaisir. Alors il était aisé de mettre la faute sur les vampires. Sur son vampire.

« - Mais tu sais tout aussi bien que moi que ce qui nous fait choisir un lié, ce pourquoi on le choisit lui et pas un autre ne dépend pas de cette enveloppe charnelle mais de ce qui se trouve au plus profond de leur âme. Et au cœur de celle de mon dragonnier il y a l'espoir, des questionnements, une colère sourde et une envie d'avancer sans faille dans un monde de chaos. »

Alors qu'elle enfonçait ses griffes dans la terre meuble, la dragonne de l'ombre ne put que s'offusquer de s'entendre dire qu'elle trahissait. Les dragons ou autres qu'importe. Ce n'était pas le genre de la liée sombre.

« - Quand à trahir les miens, car un vampire a tué le dragon blanc. Les humains ont fait de même par le passé et pourtant tu es lié à un homme qui semble courageux et qui estime ta présence à ses côtés. Mon lié n'accepte en rien cet acte et même avant cela, même avant de me connaître, il avait refusé de servir celui qui se fait appeler prince auprès des vampires et lutte contre lui et sa monarchie basée sur la seule loi du plus fort. »

Ah ba si finalement, elle devait se justifier. Peste soit les gens bornés et encore plus chez les dragons, chez les siens, les seuls à même d'enfin la comprendre.

« - Alors juge mon dragonnier, mais j'ai sûrement vécu bien plus que toi auprès des humains en étant liée à un vampire que toi au cœur de l'empire de ton dragonnier. »

La réaction de la dragonne d'ombre était prévisible, après tout si l'attachement qu'elle ressentait pour son aberration vampirique était comparable à celui qu'Atalos éprouvait pour son propre lié, il y avait de quoi la mettre en colère. Immobile, il observa non sans une pointe d'amusement la dragonne se redresser fièrement devant lui. La partie demeurait cependant par trop inégale, elle était trop fine et trop petite que pour rivaliser avec le massif dragon d'or et en imposer de sa présence face à lui, toute dragonne qu'elle était.
Mais que croyait-elle ? Bien sûr qu'il jugeait, après tout, n'était-il pas un fier représentant du peuple d'écailles ? En tant que tel, il avait la puissance et la sagesse, quand bien même cette dernière demandait peut-être encore à être développée, que pour se permettre de juger, de condamner et même d'exécuter si l'envie lui en prenait.

Silencieux, Atalos laissa néanmoins la grisée défiler le flot de ses paroles, ses sourcils écailleux froncés dans une expression sévère. Une lueur enflammée passa dans son regard d'or lorsqu'Isyndar évoqua le prince des vampires, l'assassin même de Cymbor. Ainsi donc, le lié de l'ombrageuse dragonne s'opposait lui aussi à son propre peuple ? Avec le discours que lui avait tenu la dragonnière elfique, cela faisait la deuxième fois qu'il entendait parler d'un vampire soi-disant différent. Sottises. Le dragon d'or avait vu bien des vampires, il en avait combattu, il avait entendu les récits de vieux soldats : les vampires agissaient sur les autres peuples comme une maladie, un mal insidieux qui grignotait peu à peu le continent, détruisant les faibles et contaminant les forts avec pour seule ambition de rompre l'équilibre instauré par les esprits.

* Je n'ai nul besoin de juger ton dragonnier, le sang impur qui coule dans ses veines et abreuve un coeur qui ne bat plus suffit amplement à le condamner. Tu le dis toi-même : ton lié est maudit ! Il était un humain et a été tué, son âme aurait dû retrouver l'esprit de la Mort depuis des siècles mais elle est restée coincée dans le monde des vivants, captive d'un poison qu'il répand désormais de la même manière que celui qui le tua un jour. Ton dragonnier est mort, Isyndar, c'est ton coeur qui t'aveugle si tu crois le contraire. *

La queue du doré fouetta l'air un instant, marquant sa désapprobation avant qu'il ne la fasse retomber lourdement sur le sol.

* Les humains pas plus que les elfes ne sont exempts de défauts, mais aucun de ces peuples ne consume un autre pour son extension. Toutes les créatures de ce monde, animaux, elfes, humains et même dragons naissent, vivent et meurent selon le cycle immuable de la vie. Les générations se succèdent selon l'ordre et l'équilibre naturels instaurés par les Créateurs. Les vampires, eux, sont immortels et transforment des innocents pour répandre leur venin, ils se soustraient à l'esprit de la Mort et empêchent l'esprit supérieur de réguler naturellement leur nombre. Ils sont une maladie qui ronge les peuples d'Armanda : il a suffit d'un seul d'entre eux pour que leur poison se répande à des milliers de victimes. Où est l'équilibre ? Qu'adviendra-t-il si l'on devait laisser exister les vampires ? Peu à peu, les elfes et les humains disparaîtront, remplacés par toujours plus de vampires qui demanderont toujours plus de victimes ! Et lorsqu'elfes et humains auront totalement disparus, les vampires sombreront dans la folie de leur violence et se déchireront entre eux. Combien de temps s'écoulera alors avant que les trois peuples n'en viennent à totalement disparaître, selon toi ? *

Après un bref silence, Atalos laissa lentement retomber sa tête massive pour porter le regard à hauteur de celui de l'ombrée, secouant tristement le museau.

* Les vampires sont une menace pour l'avenir d'Armanda au même titre que les Alayiens, et si je ne doute pas que ton lié ait possédé de remarquables qualités de son vivant, il est mort désormais et son âme s'est égarée dans les limbes d'une terrible malédiction : qu'il le veuille ou non, il est vecteur de ce mal.
Ton rôle de dragonne, si tu aimes ton dragonnier autant que j'aime le mien, est de libérer ton lié de ses tourments et de ne plus lui imposer cette existence damnée. C'est ton devoir envers lui mais également envers ce que nous ont légués les esprits. *

Et pour rien au monde n'aurait-il voulu être à sa place, pauvre petite dragonne d'ombre. Il se souvenait encore avec horreur de ce qu'il avait ressenti tandis qu'Amyelenor était lui même victime du venin vampirique, cette horrible putréfaction de son âme et de son corps. Le doré en faisait encore régulièrement des cauchemars, au plus grand dam des occupants du palais impérial d'ailleurs : avec une telle carcasse, un sommeil agité était souvent synonyme de quantité de dégâts matériels, et il était bien difficile de le réveiller sans risquer un violent coup de patte involontaire. Non, sa jeune soeur d'écailles n'avait décidément pas eu de chance.

Tant de stupidité en une créature qui se voulait sage et pleine de volonté. L'adage un corps musclé mais rien dans la tête se montrait évident pour la dragonne en cet instant. Et pourtant. Roëric était bien musclé, fort et il avait une certaine lucidité quand à dire et mettre les choses en relief avec justesse. La force de l'âge et l'expérience de la vie. Sûrement.

Mais le jeune dragon d'or oubliait de voir au delà du mur. Il se focalisait sur ses simples acquis ce qu'il avait vu. Ne cherchant pas à comprendre. Un attitude sûrement purement masculine, cherchant la force et non pas la compréhension.

« - La mort n'est qu'une étape de la vie. Et il n'est pas mort. Il est dans l'entre-deux. Sa race est l'unique qui peut se targuer de connaître aussi bien la vie que la mort. Mais seul un esprit buté ne peut le comprendre ne se focalisant que sur une seule et unique chose : son alimentation. Occultant le reste. Et c'est ta haine pour une race qui t'empêche de voir que tout le monde n'est pas pas mettre dans le même sac. Ton aveuglement à croire et à voir en la race vampirique un simple ennemi mortel te fera passer à côté de liens et d'une force bien plus important que celle de tes muscles. »

Isyndar se redresse plantant un regard sombre et peu commun, elle d'habitude si douce. Les griffes ancrées dans le sol pour ne pas montrer comment elle traître ceux qui osent s'en prendre à son lié adoré.

« - Et tous ne consume pas pour leur extension. Mon lié n'est pas de cet acabit. Il lutte auprès des humains, j'ai grandi auprès d'humains, avec un lié vampirique. Et ils sont tous encore en vie, sauf si le Néant et ses sbires ont pris leur âmes dans leur mains. »

Mais aller expliquer à un mur la réalité de la vie. Mais le lié doré semblait avoir vécu que dans son palais doré entouré d'humains, n'ayant vécu que les attaques perpétuées par des vampires assassins, rien à voir avec son lié.

« - Certains ont gardé leur humanité et réfutent ce qu'ils sont devenus, car cela ne résultent pas de leur choix. Et ne cherchent pas à soustraire les elfes ou humains à devenir comme vampire. On leur a imposé cet état de fait. »

Comment pouvait-on croire que devenir vampire était un choix. A part quelques rares cas, comme Mélusine. La belle louve préférait devenir un être de la nuit que de vivre et vieillir sans son lié. Il avait refusé naturellement et entendre que les vampires ne pensaient qu'à s'étendre après la perte que venait de subir son dragonnier... il y avait de quoi grogner de mécontentement.

« - Et la menace sont les personnes trop obtus pour pas ouvrir leur museau bien plus loin que le bout de leur première écaille. Le premier né s'est lié à un vampire et nous somme trois dragonnes à avoir suivit sa voie en voyant en nos dragonniers leurs qualités au delà de leur race. A croire que nous sommes quatre dragons, sans compter la mère dragonne à aller dans l'erreur. Je crois en mon instinct ancestral. »

Et bim, réfléchit avant de parler dragon doré.

« - Quand aux esprits, si les vampires ont encore une place sur Armanda c'est sûrement de leur seul fait. Chaque être à sa place et son rôle à jouer. Il suffit de savoir suivre le bon guide, ce que ne font pas les vampires pour le moment. Bientôt, ils ouvriront les yeux et verront que leur prince les mènent vers la perte de nos vies à tous. »

Isyndar était en colère. Ce qui était bien rare et pourtant, au vue des bourdes de son lié dans sa jeunesse, elle avait de quoi être en colère. Et par quelqu'un qui comptait réellement à ses yeux. Mais se sentir en colère par un des siens, un de ceux qu'elle avait tellement envie de voir, de rencontrer, de se confier. De comprendre ce monde qu'ils foulaient de nouveaux, apportant réconfort, espoir et joie. Mais non, en quelques mois, l'obscurité dans laquelle Armanda vivait restait là, implacable. Dragon, créature ancestrale, magie ou non. Rien de tel pour peiner un peu plus la petite dragonne de l'ombre.

Têtue, la petite ombrée. Au moins autant qu'il l'était lui-même en fait, mais n'était-ce pas là une caractéristique propre à ceux de leur race ? Les dragons n'étaient après tout pas du genre à changer d'avis si facilement, et certainement moins encore à propos de leurs liés. Pourtant, sa ténébreuse soeur d'écailles faisait fausse route, il en était convaincu et aurait voulu l'aider, mais comme le proclamait fort justement un adage humain, il n'était pire sourd que celui qui ne voulut entendre. Et sourde, celle qui se tenait devant lui et s'efforçait comiquement d'imposer sa présence devant le doré l'était complètement. Sourde, et aveugle au point de se refuser à voir le danger que représentait son lié pour Armanda. Laissant entendre un grondement, le dragon doré redressa la tête et écarta les épaules pour paraître plus imposant encore, avant de répondre aux illusions de sa jeune soeur :

* Ton esprit est aussi buté que le mien, Isyndar de l'ombre. Si ma haine m'aveugle, que dire de l'amour que tu portes à ton dragonnier ? Tu te refuses à voir la vérité en face parce que tu l'aimes, alors que contrairement à ce que tu sembles penses, ma haine n'est pas dirigée contre ton lié. Je ne hais pas ton vampire, je hais le poison qui coule dans ses veines. Ce n'est pas ton lié que je veux détruire, c'est la malédiction qu'il véhicule indépendamment de sa volonté. *

Ses sourcils écailleux se plissèrent en une attitude sévère lorsqu'il poursuivit :

* Même si ton lié s'est montré suffisamment fort pour refuser ce qu'il est devenu, même s'il lutte auprès des humains contre l'assassin de Cymbor, il ne peut s'opposer à ce qu'il est véritablement qu'en remettant son âme à celui auquel elle aurait dû être rendue depuis longtemps : l'Esprit de la mort.
Prétendre que sa transformation ne fut pas souhaitée n'est qu'une pitoyable excuse, va donc expliquer aux familles de ceux que ton lié a tué pour se nourrir que ce choix n'était pas le sien. *

Atalos l'avait appris depuis de nombreux mois, quels qu'ils soient, tous les vampires sans exceptions avaient un besoin régulier de sang frais pour ne pas sombrer dans la folie et voir leur non-vie s'échapper de leurs carcasses putrides. Le lié de la dragonne de l'ombre ne pouvait donc pas se soustraire à cette règle et répandait obligatoirement le malheur dans son sillage. Quand bien même le doré était-il prêt à accorder le bénéfice du doute devant les mots de l'écailleuse qui lui affirmait que son lié luttait aux côtés d'humains, il n'en demeurait pas moins un vampire avec tout ce que ce statut pouvait impliquer.

* Le Premier Né a compris qu'il était dans l'erreur et est revenu à davantage de raison après la mort de son lié, à vous dragonnes d'en faire autant. Si tu es trop faible pour libérer ton dragonnier de cette malédiction qui lui fut imposée, conduis moi à lui et je lui rendrais la paix à laquelle il est en droit d'aspirer. *

Il ne croyait évidemment pas un instant qu'elle serait prête à le mener jusqu'à son dragonnier. Car en fait, en essayant de convaincre la petite dragonne qui lui tenait tête, c'était en partie lui-même qu'il tentait de persuader : comment aurait-il réagi, lui, si Amyelenor n'avait pu être sauvé de la morsure et s'était réveillé pourvu d'une paire de crocs suintant de venin ? Le dragon d'or aurait-il vraiment été capable d'appliquer ses propres consignes et de tuer son lié ? Ou même simplement de laisser les humains le tuer à sa place ? Il n'en était pas vraiment sûr, et remerciait d'ailleurs le Dracos et tous les Esprits de lui avoir épargné pareille situation jusqu'à présent.

* Les vampires ? Le fait des Esprits ? Sottises ! Les Esprits ne sont que spectateurs et c'est probablement l'unique raison pour laquelle il existe encore des vampires. C'est à nous et à nous seuls de faire ce qu'il convient de faire... Du moins, c'est à ceux qui sont assez forts pour cela.*

Et le dragon ne parlait alors pas uniquement de la force physique...

Par le Dracos et tous les dragons d'Armanda réunis depuis qu'Armanda est Armanda. Heureusement que tous deux se trouvaient sous couvert de la protection du serment des baptisrels. Finalement. Sinon, la douce, timide, calme et paisible Isyndar se serait transformée en un monstre de feu et de griffes. Comment osait-il s'en prendre ainsi à son lié ? A ses choix ? On ne discute pas les décisions d'un dragon. Elle aurait tout autant à dire des choix du dragon doré. Mais la politesse, le respect lui retenait de lui balancer ce genre de chose. Rustre. Aucune éducation. Une déception. Finalement, Isyndar n'était plus très sûre de vouloir rencontrer ses frères ou sœurs d'écailles.

« - Chacun choisit de m'être son énergie à bon escient. Moi, je préfère être têtue et avoir un esprit buté, être aveuglé par l'amour que la haine des autres. Je ne pense pas que notre retour soit un synonyme de violence et de haine. N'est-ce pas à cause de cela que nos parents sont partis ? Recommencerons-nous ? En tout cas avec des propos comme les vôtres, nous allons en effet dans le même sens que nos ancêtres. »

La haine n'amenait que la haine et le dragon d'or en était la preuve. Quelle déception pour la dragonne de l'ombre. Elle qui se faisait une joie, un honneur de voir un des siens. Il y avait de quoi devenir une dragon solitaire, ne prenant guère compte des autres. Une des meilleures solutions pour foncer droit dans une montagne. Quand les êtres comprendront que seule une unité de tous mènera à la paix. Elle pensa même aux Alayens. Cette race qui pourtant la haïssait, n'avait-elle pas sa place aussi ? Quand les elfes sont arrivés, les humains n'y avait-il pas de conflit d’intérêt ?

« - Quand au poison qui coule dans ses veines, à cette malédiction...détruire les hommes, femmes qui subissent ne mènera qu'à une déséquilibre. N'existe pas des animaux, des plantes que l'on qualifie de néfastes, mais les détruire, les annihiler permettent-ils à la nature de mieux vivre par la suite. Non. Le cercle est rompu. Chaque élément, de la pierre au dragon, de l'insecte au vampire a son rôle dans le cercle de la vie. Hélas trop peu cherche à vivre avec et préfère détruire que comprendre. La facilité à la réflexion. Je n'en attendais pas moins des bipèdes, mais pas d'un dragon. La mort n'est qu'une étape de la vie. Le cycle immuable de la vie comme tu parles peut avoir un équilibre envers les humains et les vampires, car là est le seul soucis à tes yeux. La magie revient, des vampires luttent contre leur principe hiérarchique, les dragons sont de retour, de nouvelles voies s'ouvrent à ceux qui osent changer de chemins d'un avenir tracé par les erreurs de nos ancêtres. »

Mais comment comprendre le cycle de la vie, en refusant de l'accepter et cherchant à prendre en compte toutes les races, les qualités et défauts de chacun. Pour preuve, elle ne lui en voulait pas. Elle avait juste pitié pour lui, lui et son obstination.

« -Le premier lié a tourné le dos à qui ??? A la race vampirique ou aux vampires qui côtoyaient son lié ? Il y a là une grande différence que seul un esprit éclairé et non borné peu observer. Quand à mon lié, ne te soucie pas de lui et ne tente même pas de l'approcher, car tu ne vaudras dans ce cas guère mieux que ce tueur de dragon en en devenant le second. A toi de voir, dans quel tu veux être... »

Car oui, à chercher la violence, la haine on ne pouvait que la récolter. Et le dragon ne deviendrait que la copie draconique d'un être abject, qui usurpait la vraie valeur de sa race. Isyndar était persuadée qu'il aurait pu être humain ou elfe, et avoir la même âme noire et pourrie. Quand on est mauvais, foncièrement mauvais, qu'importe d'où on vient, seul compte ce que l'on fait. Et si le dragon voulait devenir une telle pomme pourrie dans l'arbre de la vie d'Armanda, elle l'en empêcherait, tout comme s'il s'en prenait à son lié.

« -Et mon devoir envers lui et de le protéger contre des âmes implacables de voir plus loin que le bout de son museau. »

Il ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. S'il ne comprenait toujours pas comment l'une de ses soeurs avait pu s'abaisser à se lier à un cadavre ambulant, l'entêtement qu'elle déployait à défendre son dragonnier demeurait pour sa part parfaitement compréhensible. Elle devait avoir éclos depuis environ un an, comme lui, et avait donc passé ce temps à tisser son lien avec l'ignominie vampirique qu'elle appelait dragonnier. Pas étonnant qu'elle soit incapable de faire preuve d'objectivité dans ces circonstances. Tant pis, au moins le dragon d'or aurait-il essayé de la mettre en garde, il ne pouvait que difficilement faire mieux en l'état.

* Notre retour n'a pas à être synonyme de violence et de haine, au contraire, il nous faut apporter la paix à Armanda. Mais il faut poser des actes forts pour cela, nos ancêtres ont échoués parce qu'ils ont tentés de composer avec le problème plutôt que de s'attaquer à la racine du mal qui ronge ces terres. Depuis leur apparition, les vampires ont plongés Armanda dans la guerre, avec les elfes d'abord, puis avec les humains. La paix est impossible avec une race qui désire la guerre, essaierais-tu de faire la paix avec les Alayiens ? Non, et pourtant, il en va de même pour le peuple de ton lié : plus de vampires, plus de guerre. *

C'était la solution la plus évidente : pour assécher le plus grand fleuve, il suffisait parfois d'une pierre pour en obstruer la source. Les vampires étaient la source de guerres millénaires et puisque les deux autres peuples ne parvenaient pas à détruire cette source, les dragons devraient les y aider. Simple, mais cela, évidemment, la dragonne d'ombre refuserait de l'admettre aussi longtemps qu'elle serait liée à l'une de ces immondes créatures nocturnes.

* Le monde existait en équilibre bien avant l'arrivée des vampires, ce sont eux qui ont apporté la violence et la haine que tu méprises tant. Voila plusieurs millénaires déjà qu'ils arpentent ces terres et rien n'a changé, ils ont été incapables de s'adapter et ne prônent que la destruction des autres races. Il est temps pour eux de récolter ce qu'ils ont semés. *

Le doré approcha la tête de la petite femelle avant de laisser échapper par ses naseaux son souffle grondant :

* Tu n'es pas mon ennemie et je ne te tuerais pas à moins que tu ne m'y obliges. Ton lié devra toutefois périr pour ramener la paix, et il périra. Tôt ou tard. Il n'est rien que tu puisses faire pour l'empêcher, alors ne sacrifie pas ta vie pour lui, tu ne fais pas le poids. *

Le dragon ponctua sa phrase d'un coup sec de la patte sur le sol avant de se détourner de l'écailleuse ombrée. Pendant quelques instants, il caressa l'idée d'essayer de la suivre pour voir qui était son dragonnier mais abandonna bien vite, sa carcasse massive brillant de milles feux sous le soleil n'était pas vraiment idéale pour passer inaperçu. Qu'importe donc, il ne souhaitait de toute manière pas vraiment causer de problème à Amyelenor en allant affronter une dragonne éprise d'un lié vampirique sur les terres baptistrales.
Il se retourna une dernière fois vers la petite écailleuse et déploya ses larges ailes d'or miroitante sous les rayons du soleil.

* Je sais dans quel camps je suis, j'espère que tu auras la sagesse de choisir le tien judicieusement avant notre prochaine rencontre. *

Ses pattes heurtèrent ensuite violemment le sol pour propulser sa masse dans les airs tandis que ses puissants muscles dorsaux actionnaient les fines membranes qui l'aideraient à faire porter son poids par les vents.