Elendill se trouvait dans la main de Nalaïa Melanwan. Celle-ci, cela était désormais devenu une habitude, venait de défier Fiztéring. L'homme aux cheveux blonds n'avaient pas attendu pour sortir son poignard denté si redoutable. De nombreuses blessures étaient visibles sur les bras dénudés de la jeune éclaireuse, traces laissées par cette arme lors de leurs précédentes confrontations. Depuis qu'elle avait été affectée au groupe des éclaireurs, elle ne cessait de vouloir affronter l'ancien. Ce dernier lui avait d'ailleurs dit un jour, ce qui avait renforcé sa détermination, :

- Je te considèrerais comme une éclaireuse à part entière le jour où tu parviendras à me mettre ne serait-ce qu'une unique fois en difficulté.

Les heures, les journées d'un entrainement draconien avait fini de sculpter le corps élancé de l'Elfe. Aujourd'hui, elle était déterminée à ne pas subir une nouvelle humiliation. Pour la première fois de sa vie, tout son être était concentré sur le même objectif. Patiemment, elle attendit que Fiztéring passe à l'attaque. Cela ne tarda pas à venir mais Nalaïa parvint à anticiper le coup et à le parer. Elle riposta sans attendre et sa dague dessina une estafilade sur le dos de la main de son adversaire. Surpris, celui-ci regarda le sang coulait de la plaie avec étonnement. Mais il ne se laissa pas distraire bien longtemps. Il décida d'adopter la même technique que la jeune fille aux cheveux de feu en pensant qu'il ne craquerait pas avant elle. De longues minutes passèrent qui devinrent une heure. Le soleil était désormais haut dans le ciel et ses rayons ardents rendaient l'air irrespirable et la chaleur accablante. La sueur trempait le visage des deux combattants. Soudain, alors que la tension était devenue palpable, l'homme décida de passer à l'action. Il espérait que sa rivale se serait laissée déconcentrer par la chaleur. Mais il se trompait et l'Elfe parvint à lui infliger une nouvelle blessure toutefois sans gravité. Fiztéring comprit à cet instant la tactique qu'appliquait Nalaïa Melanwan. Elle cherchait à lui causer de multiples plaies sans grand danger mais qui, accumulées, pourraient lui être fatales. Déterminé à ne pas se laisser piéger, il entreprit de ne plus la laisser souffler. Ses attaques se succédaient mais aucune atteignit sa cible et les estafilades se multipliaient sur le corps du mentor. Tout à coup, Nalaïa aperçut l'ouverture qu'elle attendait depuis plus d'une heure et demie et s'y engouffra. Elendill se posa sur la peau tendre du cou de son adversaire. Ce dernier capitula, vaincu par l'Elfe pour la première fois depuis des mois. Un sourire se dessina sur les visages fatigués des deux éclaireurs. La jeune guerrière rousse rangea son arme et son maitre lui tendit la main en signe de respect. Elle la serra avec joie et fierté.

-Bienvenue parmi nous Nalaïa Melanwan, lui dit Fiztéring.

Soudain, l'un des soldats qui s'étaient rassemblés autour des combattants en pensant assister à une nouvelle humiliation de l'Elfe applaudit et fut rejoindre par l'ensemble des hommes. Gênée, l'indisciplinée rougit et préféra s'éclipser au dehors pour aller flâner dans les rues de la ville. Alors qu'elle arpentait tranquillement les rues du quartier riche, elle heurta quelqu'un...

Si les journées de Ninna étaient chargées, on pouvait en dire autant de ces rares moments de liberté: ils n'étaient qu'une vague excuse pour laisser trainer les yeux et les oreilles de la demoiselle qui pourrait faire son rapport à sa princesse sur ce qui se passait réellement dans les rues de sa ville, qu'est-ce qu'il se racontait dans son dos, surtout depuis sa récente "promotion" au rang d’impératrice par intérim du royaume humain.

Elle avait troquée sa belle armure de garde impériale un peu trop voyante contre la tenue simple et plus discrète de soldat. Oh Ninna n'avait pas la prétention de passer inaperçue, non, c'était un peu trop prétentieux pour sa carrure, et tout ceux qui s'était déjà rendue à la cour n'avait pas pu manquer de remarquer l'armoire à glace qui servait d'ombre derrière la princesse.
Néanmoins, elle pouvait se balader avec une cape et un capuchon dans les rues de Gloria sans se faire alpaguer . Sur les étales de riches marchandises, les uns et les autres se pressaient pour admirer les derniers bijoux à la mode sans faire attention à ce qu'il se passait autour d'eux, un jeu d'enfant et une belle opportunité pour les voleurs habilles.

Rien d’intéressant par ici, alors elle se laissa guider par l'odeur alléchante d'un étalage de pâtisserie d'une devanture qui donnait l'eau à la bouche. Elle se laissa attirer et délaissa ses intentions d'aller au bar pour glaner plus d'informations croustillante, quand soudain quelqu'un vint la heurter de plein fouet.

"Hé vous pouvez pas faire attention?" dit-elle d'un ton menaçant avec son tact habituel . Après une seconde de réflexion, elle croisa les doigts pour que ça ne soit pas un de ces nobles snob qui allait encore lui attirer des ennuis, mais heureusement non. Il s'agissait d'une soldat, apparemment , encore en tenue d'entrainement.
Mais en regardant de plus prés, un détail la frappa : ses traits étaient trop... parfait pour être ceux d'un simple vulgaire soldat, non... Tout comme sa démarche et sa manière de se tenir, tout en grâce... Il lui revint alors en mémoire une des rumeurs qui courrait parmi les gardes comme quoi un elfe s'était enrôlée dans la garde, et de plus une femme! Ninna s'était promis d'aller vérifier ce ragot dés que possible, mais le temps lui avait manqué... Jusqu'à aujourd'hui apparemment!

"Hé mais dites voir, vous ne seriez pas la dernière recrue Elfique de ce vieux Fiztéring ?" demanda-t-elle un peu vivement. Au moins, elle n'aurait pas a redouter une nouvelle sanction pour son "comportement de sauvage" comme dirait Esmelda! Il n'empêche que , si elle ne s'était pas trompée au sujet de l'identité de sa nouvelle rencontre, sa curiosité venait de lui faire oublier la raison principale de sa venue dans ces quartiers!
Une foule de questions menaçaient de déborder dans sa tête, mais aussi une envie de faire plus ample connaissance : les femmes soldats n'étaient pas si nombreuses que ça à Gloria, et quand elles ne ressemblaient pas à des hommes, elles n'étaient pas forcement intéressantes... Alors qu'une elfe qui avait sans doute des centaines d'années, voilà qui devait avoir pas mal de choses à raconter! A commencer par la raison qui l'avait pousser à demeurer parmi les hommes et de les servir comme simple soldat... Ça ne correspondait pas du tout au comportement des elfes qu'elle connaissait...

-Hé vous pouvez pas faire attention? entendit l'Elfe d'une voix menaçante.

La jeune femme à la crinière flamboyante regardait ses pieds et le sol pavé du quartier riche de Gloria avec une moue déconfite. Elle leva les yeux vers le visage de l'armoire à glace qu'elle avait eu la malchance de heurter. Elle ne douta pas une seule seconde de l'appartenance à l'armée de la femme. *Mince, Fitzéring va encore me passer un savon et je vais perdre son respect que j'ai si durement acquis* pensa Nalaïa Melanwan. Elle se redressa et répondit d'un ton doux et posé :

-Je suis profondément navrée de vous avoir importuner. Veuillez accepter mes plus sincères excuses.

Son regard émeraude se plongea dans celui de la femme à la carrure impressionnante et elle comprit que celle-ci chercher à savoir qui était la nouvelle éclaireuse. Alors qu'elle la scrutait sans retenue aucune, l'Elfe se souvint de ce que son mentor lui avait dit sur les membres de la garde impériale et notamment sur une certaine Ninna Galliang. Aucun doute, c'était bien cette dernière qui se tenait devant elle. Nalaïa rougit, gênée et sûre de s'être encore attirer des ennuis. Elle baissa à nouveau les yeux vers ses pieds qu'elle trouvait fort intéressant tout à coup. La jeune Elfe mourrait d'envie de provoquer un peu cette géante mais elle avait bien trop peur de perdre le respect de Fitzéring, le sage éclaireur. Et puis, elle considéra la rue bondée avec un regard déçu. Elle préféra contenir ce besoin de chercher les difficultés. Elle n'était certainement pas prête à prendre le risque de se faire humilier publiquement. Pas encore... Elle sursauta lorsque la soldat lui demanda :

-Hé mais dites voir, vous ne seriez pas la dernière recrue Elfique de ce vieux Fitzéring?

La guerrière aux traits fins la regarda avec des yeux écarquillés avant de répondre en balbutiant :

-Euh... Oui...

Elle ne savait si elle venait de faire le bon choix. Mais l'expérimenté éclaireur lui avait suffisamment dit que tout chez elle respirait sa nature elfique. Elle reprit alors de l'assurance. Elle se demanda ce que pouvait penser Ninna Galliang à cet instant et elle finit par la questionner :

-Comment me connaissez-vous?

Acceptant ses excuses sans trop de questions, elle écouta la jeune recrue confirmer ses soupçons. Ce n'était donc pas une banale rumeur... Et puis de toute façon, depuis quand Ninna laissait-elle passer ce genre de ragots sans aller vérifier directement à la source ? Rhaaa décidément, elle manquait vraiment de temps en ce moment ! Heureusement, sa princesse lui avait donner quartier libre pour l’après-midi pour aller laisser traîner ses yeux et ses oreilles ! Elle rentrerait donc directement dans le cadre de sa mission en allant boire un verre avec sa nouvelle connaissance, pas vrai ? Et puis, Ninna était persuadée que, quand elle raconterait tout à Esme ce soir, cette dernière voudrait absolument la rencontrer ! Donc, ni une, ni deux, Ninna déploya un large sourire pour répondre :

« Bah, vous apprendrez très vite que par ici, tout ce sait très vite, mais l'information de base n'arrive pas forcément intacte au bout de quelques personnes ! Et, ne le prenez pas mal mais vous avez mine de rien pas mal de caractéristiques elfiques qui sautent aux yeux ! Après, simple déduction, ou coup de chance ! » conclue la jeune femme avec un clin d’œil. Bien que son travail l'éloignait de plus en plus souvent du reste de la garde et des soldats de Gloria, elle gardait quelques contacts dans les casernes, de vieux amis , du genre de ceux qui vous ont ou dont vous avez sauvé la vie, bref, ceux en qui vous pouvez avoir confiance et qui répondront toujours présent si besoin ! Certains d'entre eux avaient parler d'un possible avenir prometteur pour la jeune elfe...

«Mais j'en oublie les bonnes manières, apparemment je vous connais pas l'inverse n'est pas vrai : je suis Ninna Galliang, membre de la garde royale et garde du corps personnel de sa majesté la princesse Esmelda Kohan... » dit-elle en lui tendant la main. Oui, le titre était pompeux, il faut l'avouer, et il ne plaisait pas beaucoup à Ninna. Et encore, cette dernière l'avait raccourcis de quelques lignes depuis le départ, après que Gregory Kohan lui ait expliqué à l’époque qu'en se présentant de manière incorrecte ou malpolie, c'était la princesse elle-même que Ninna embarrasserait... L'image de Ninna n'étant déjà que celle d'une reprise de justice quand la princesse l'avait prise sous son aile, inutile d'entacher un peu plus sa réputation !
Elle poursuivit donc courtoisement :
« Je suis désolée mais vous piquez ma curiosité au vif : si vous n'avez rien de prévu , que diriez-vous de prendre un verre à côté et de me raconter comment le destin vous a-t-il amené jusqu'ici ? » proposa-t-elle en indiquant d'un geste de la main la taverne derrière elles. L'endroit n'était pas trop mal famé, et Ninna y était assez connue pour qu'on ne les importune pas pendant qu'elles étancheraient leurs soif et leur curiosité tranquillement.

Ninna Galliang. La jeune Elfe avait entendu ce nom dans la bouche des soldats de sa garde. Elle se souvint du ton admiratif qu'ils employaient lorsqu'ils parlaient d'elle. Alors, c'était elle. Lorsqu'elle lui offrit de prendre un verre, elle fut tentée de refuser. Aucun doute, la guerrière lu poserait des questions sur son passé et Nalaïa ne savait pas si elle désirait vraiment y répondre. Mais elle était face à face avec le garde du corps personnel de la princesse Kohan. Un refus n'était donc pas envisageable. Ce fut alors avec un soupir de résignation que la nouvelle éclaireuse accepta d'un signe de tête.

Elle suivit Ninna dans une taverne qu'elle ne connaissait que trop bien pour s'y être déjà attirer des ennuis. Elle pria intérieurement pour que l'homme qu'elle avait froissé ne s'y trouve pas. Malheureusement, il était assis au comptoir. En entendant la porte s'ouvrit, il se tourna vers l'entrée et un rictus pour le moins explicite se dessina sur son visage. C'était clair, il voulait la peau de la jeune femme aux oreilles pointues. Cependant, à la vue de celle qui l'accompagnait, il se ravisa d'esquisser le moindre mouvement.

Apercevant une table libre dans un coin de la pièce, la jeune Elfe s'y rendit et prit place. Elle attendit que Ninna Galliang en face autant. Alors, ne lui laissant pas le temps de poser la moindre question, Nalaïa entama son récit :

-Je suis née dans les forêts du royaume elfique il y a plus de deux siècles de cela. J'y vécus une enfance paisible auprès de ma famille. Un jour, mon père décida de se rendre à Gloria la Magnifique pour demander une audience à l'empereur des humains. Je ne connais pas la raison à cela. Toute ma famille prit la route pour quitter les bois. Nous étions presque parvenus aux portes de la forteresse quand des bandits nous tendirent une embuscade. Par chance, ou pas d'ailleurs, je parvins à me faufiler jusqu'au fossé qui bordait le chemin. A la lueur de la pleine lune, j'ai vu un spectacle qui restera à jamais gravé dans ma mémoire. Cette nuit-là, j'ai vu mourir ma mère, mon père et mon frère ainé. Seule, orpheline, je me suis dirigée vers Gloria la Magnifique. Pendant des heures, j'ai erré dans les rues sombres de cette cité. Alors que j'étais en danger, un soldat m'a sauvée la vie en faisant fuir un voleur. Il m'a conduite jusqu'à son chef. En le voyant, j'ai eu comme une révélation. Je me suis engagée dans l'arme glorienne. Peu à peu, je me suis faite acceptée par mes compagnons d'arme. Aujourd'hui, je viens de devenir éclaireuse. Ce sont ces hommes qui m'ont recueillie alors que je n'avais plus nulle part où aller. Je leur dois très certainement la vie alors j'ai décidé de leur prêter serment et de les protéger aussi longtemps que le Dracos me le permettra.

La jeune Elfe se tut. Elle n'avait rien à ajouter. A cet instant, une serveuse vint prendre leur commande.

-Je prendrais ce que tu choisiras, dit-elle en s'adressant au garde personnel d'Esmelda Kohan.

Pénétrant dans la taverne d'un pas assuré, elle observa du coin de l’œil qu'il n'en était pas de même pour la demoiselle qui l'accompagnait... Enfin, demoiselle.... Voilà un bien grand mot car en réalité, elle ne savait absolument pas quel âge elle avait , et elle était prête à parier qu'elle était plus vielle que son arrière grand-mère... ! Il valait mieux oublier les « mon petit » ou « mon enfant » avec elle, bien que son apparence donnait envie de lui donner le même nombre d'été que Ninna.

Elle suivit donc Nala jusqu'à une table un peu en retrait, ce qui n'était pas pour déplaire à Ninna . Les imbéciles ne sont souvent pas capable de faire la différence entre une jolie et faible femme et une guerrière aguerrie, ces détails ne les arrêtent que rarement et leurs impolitesse finit par leur coûter cher...

Elle s'assit donc et, surprise, écouta l'elfe raconter son histoire sans que Ninna n'eut besoin de poser la moindre question ! Voilà qui était à la fois frustrant et fascinant, mais l'essentiel était sans doute là, et cela évitait à Ninna de poser des questions peut-être trop indiscrètes tout en lui permettant de mieux comprendre les motivations qui l'avaient conduite ici. Une histoire tragique d'ailleurs, et Ninna se mit à éprouver une compassion sincère pour la jeune femme : voir toute sa famille se faire décimer sous ses yeux sans pouvoir rien faire d'autre que de se cacher, et de culpabiliser un peu plus chaque jour qui passe d'être toujours en vie ! Dans ce genre de cas, on retrouvait fréquemment deux façons de réagir : une grosse dépression suivit soit d'un suicide, soit d'une vie d’ermite, soit de poivrot au fond du caniveau à côté d'une taverne... , ou dans le meilleur des cas, une farouche envie de vengeance qui pousse l'homme à se surpasser et à devenir le meilleur, pour certains dans le but de protéger les plus faibles, pour d'autres de tuer à leur tour... Ainsi va la vie , parait-il...

Elle n'eut pas le temps d'ajouter quoi que ce soit toute suite qu'un des serveuses, connue de Ninna comme très friande de ragots et qui devait se frotter les mains à l'idée de surprendre une conversation entre les deux femmes, notre stratège préféra attendre avant de continuer leur discutions que les murs n'aient plus d'oreilles...

«Alors ça sera deux bières pour nous ! Merci, Ely... ! » dit-elle en accentuant son regard et le ton sur la fin de sa phrase, invitant la serveuse à aller voir au bar si elles y étaient.

En attendant que la dénommée Ely revienne avec leur commande, elle en profita pour poursuivre :
« Eh ben, voilà qui est plutôt un parcours atypique pour une elfe ! Et devenir éclaireuse est une ambition tout à fait respectable  ou je te souhaite de réussir ! J’espère que tes... origines ne te posent pas trop de problèmes ! Je veux dire, autant au niveau de ton intégration dans l'armée que du point de vue de ton peuple... ? » Le tutoiement était venue naturellement entre les deux femmes, qui aprés tout, se ressemblaient beaucoup finalement... Elle ne connaissait des traditions elfiques que ce qu'Esme lui en avait apprit, mais elle savait qu'en ces temps incertains, pour tous les peuples c'était chacun pour soi … Alors un elfe qui allait défendre un autre camps que le sien, Ninna ignorait comment cela serait perçut chez les siens...
Mais elle dut laisser ses phrases en suspend car voilà Ely qui se hâtait pour leur apporter leur pinte respective, tout sourire et toute ouïe...

Nalaïa fit tourner sa choppe de bière entre ses mains, le regard perdu dans le vide. Pourquoi ne s'était-elle jamais posée cette question ? Que pensait son peuple de son choix ? Le savaient-ils au moins ? Elle l'ignorait. Ses yeux verts se posèrent sur le visage aux traits fins de la guerrière. D'une voix assurée, elle lui dit :

-Les hommes de ma garde ont appris à me connaitre et me respectent. Ils semblent se moquer de mes oreilles pointues et de tout ce qui fait de moi une Elfe. Je me comporte comme leur égal et je tente à penser qu'il me considère comme tel. Je l'espère du moins.

Nalaïa Melanwan marqua un temps d'arrêt. Son regard émeraude se perdit de nouveau dans le vide et, avec une voix où pointait un soupçon de nostalgie, elle poursuivit en reprenant le tutoiement qui était venu si naturellement à Ninna Galliang :

-Tu sais, j'ai vécu près de deux cents ans aux côtés des Elfes. Je n'y ai été ni malheureuse, ni comblée de joie. J'ai eu une enfance tout ce qu'il y a de plus normale au royaume de l'Impératrice. Mais aujourd'hui, ma vie a pris un tournant important. Je mange, je bois, je dors... Je vis au milieu des humains et cela ne me dérange pas. Alors qu'ils le sachent ou non, que cela leur pose un problème ou non, cela m'est égal. J'ai choisi que, pour l'instant du moins, ma vie serait ici. Je pense avoir le droit de faire ce choix. Peut-être qu'un jour l'envie me prendra de retourner dans les bois qui m'ont vu naître et grandir. Mais pas toute de suite. Pour l'instant, je ne me considère plus comme un sujet de Galadrielle Evanealle mais plutôt comme celui de Gregorist Kohan ainsi que de toute sa famille et cela m'honore.

L'éclaireuse aux oreilles en pointes but lentement de gorgée de bière. D'un coup d'oeil rapide, elle s'assura que l'homme bien bâti ne voulait toujours pas s'en prendre à elle. Non, il semblait absorbé par la contemplation de son verre d'alcool. Nalaïa reporta son attention sur la garde du corps personnelle de la princesse Kohan. Une question lui vint à l'esprit et elle la posa sans hésiter :

-Comment es-tu devenue la garde du corps personnelle d'Esmelda Kohan ?

Décidément, cette elfe était bien étrange... En tout cas, elle ne ressemblait en rien de ceux qu'elle avait déjà rencontré! En général, Ninna les côtoyait de loin quand Esmelda les rencontrait de manière officielle, et elle les trouvait bien trop pompeux...
Oh c'est sur, ils étaient beaux, toujours bien habillé, gracieux et compagnie, mais ils affichaient toujours cette arrogance dans leurs yeux , comme s'ils posaient leur regard sur des enfants qui n'ont encore rien comprit à la vie... Alors oui, ils avaient peut-être vécu depuis plus longtemps que les ancêtres encore vivant de Ninna ne puissent s'en souvenir, mais ce n'était pas une raison suffisante pour les toiser ainsi et se croire si supérieur. A ce prix là, les vampires aussi étaient plus vieux que le monde, ça ne faisait pas pour autant d'eux des êtres supérieurs et plus intelligent que Ninna...

Enfin bref, tout ça pour dire que Ninna n'était pas une grande fan des immortels, qu'ils soient amateurs de sang frais ou trop guindés pour se lancer dans une guerre avec eux de peur de se casser un ongle...
Mais cette elfe ne lui donnait pas cette impression, peut-être était-ce l'uniforme qui ressemblait tant au sien qui lui inspiré de la confiance? Son regard qui ne semblait pas porter de jugement, mais au contraire qui avait l'air un peu admiratif, ce qui était plutôt flatteur pour l'ego de Ninna! Un bon point pour l'elfe!

Elle écouta son histoire tout en sirotant sa choppe, et en même temps elle remarqua un étrange manège, quoi que familier, se dérouler à l'entrée du bar: une silhouette encapuchonnée qui tentait de faire profil bas, et qui se dirigeait discrètement vers la table des deux jeunes femmes...
Un sourire vint étirer les lèvres de Ninna , ayant presque immédiatement identifié l'identité de l'inconnue pour la voir si fréquemment...

Elle fit mine de rien et se permit de parler un peu plus fort, consciente que l'inconnue qui s’installe à la table juste à côté d'elles entendrait tout ce qui se dirait:
"Oh et bien, c'est une longue histoire, mais pour faire court, je lui doit une dette, une grosse, elle m'a sortie de prison car elle a estimé qu'on m'y avait enfermé injustement, et je lui ai juré fidélité sur mon arme et nous nous sommes offert une protection mutuelle, basée sur la confiance, et sur l’amitié! L'as-tu déjà rencontré? Que t'as t'on raconté à son sujet?" demanda-t-elle sciemment, attendant de savoir ce qu'on avait pu lui dire parmi les soldats, et laissant le choix à sa princesse de dévoiler ou pas son identité, ou de se joindre à elle de façon anonyme... Ce n'était pas la première fois qu'elles se prêtaient à se petit jeu là et ni Ninna ni Esme ne s'en lassait....

Ainsi, c'était Esmelda Kohan qui avait libéré la jeune femme. L'Elfe avait bien du mal à comprendre les humains parfois. Pendant qu'elle écoutait les questions de Ninna, elle vit une silhouette encapuchonnée prendre place à la table d'à côté. *Tiens, il ne retire pas son manteau à l'intérieur. Quel manque de politesse!* pensa-t-elle. Finalement, elle reporta son attention sur son interlocutrice. Que pensait-elle de la princesse ? Nalaïa ne sut d'abord que répondre. Elle essaya de se remémorer les paroles des gardes de Gloria à propos de la jeune Kohan. Sans se douter qu'elle se tenait en personne à côté d'elle, la guerrière rousse répondit à Ninna Galliang :

-Je n'ai jamais rencontré ni même croisé le chemin de la princesse. Cela dit, j'en serai honorée. Je n'ai entendu dire que du bien sur son Altesse depuis mon arrivée à Gloria la Magnifique. Sa beauté et sa gentillesse m'ont été décrite de nombreuses fois. Mais je crains que nos routes ne se croisent jamais. Je ne suis qu'une éclaireuse.

Elle se tut. Un bruit de pas lourd avait attiré son attention du côté du comptoir. Son regard se porta sur l'homme qui ne la portait pas dans son coeur. Il s'était levé et semblait décidé à en découdre malgré la présence de Ninna Galliang. Les doigts de Nalaïa se sairent de sa dague, Elendill, alors qu'elle posait sa main droite sur le bras de la jeune soldat. Elle lui murmura :

-Ne vous en mêlez pas, quoi qu'il arrive. Je tiens à mon honneur et il y a longtemps déjà que j'aurai pas l'affronter. Mon mentor m'aura au moins appris à assumer mes erreurs et mes bêtises.

Elle s'avança vers le mastodonte et lui lança d'une voix forte et claire :

-Je ne tiens pas à ce qu'un innocent soit blessé, ni que nous abîmions les biens du tenancier. Je te propose de me suivre dehors.

Sans ajouter un mot, elle tourna les talons et franchit la porte pour se retrouver à la lumière du soleil. Un instant éblouie, elle se ressaisit vite. Heureusement, car son adversaire était déjà là. Elle ne lui laissa pas le temps de s'habituer à l'éclat solaire et s'élança vers lui. Elle sentit sa pointe de fer lui saisir le poignet. Sa main gauche fut forcée de lâcher l'arme qui tomba sur le sol pavé. L'étreinte se resserra et un craquement sonore se fit entendre. Le regard émeraude de Nalaïa se porta sur la foule qui s'était rassemblée autour des deux combattants. Il se posa alors sur Ninna Galliang. Près d'elle se tenait cette mystérieuse silhouette cachée sous une large capuche. Qui était-ce donc? Mais la jeune Elfe oublia bien vite cette interrogation quand son adversaire relâcha sa prise. Sa main tomba mollement, lui arrachant un cri de douleur qu'elle ne put contenir totalement. Son poignet était cassé, ce qui rendait sa main gauche inutilisable. Cela n'était guère en sa faveur. Mais, la jeune femme aux oreilles en pointes avait un honneur et elle y tenait. Vivement, elle se baissa et faucha la brute qui tomba lourdement. Avec agilité, elle ramassa Elendill de sa main droite encore valide et se mit en garde. Attentive, elle regarda son rival se relever avec peine. Il était simplement contusionné, cependant, son ego en avait pris un coup. Un sourire se dessina sur le visage de Nalaïa malgré la douleur lancinante qui irradiait son avant-bras gauche. Soudain, après plusieurs secondes d'une immobilité parfaite, elle entra en action. D'un geste fluide, elle feinta. L'homme s'y laissa prendre et l'Elfe planta sa lame fine dans le torse de son adversaire déséquilibré. Une lueur d'étonnement passa dans son regard, puis elle laissa place à celle de la souffrance. Dans un gargouillis sanglant, il tenta d'articuler quelques mots avant de s'effondrer sur le sol pour ne jamais plus se relever.

Alors, l'éclaireuse lança un regard de défi à l'assemblée, comme un avertissement de ce qui attendait celui qui lui chercherait des ennuis. Ensuite, elle invita Ninna à retourner dans la taverne. Elles reprirent leur place devant leur choppe de bière. Nalaïa la but d'une traite, espérant que l'effet de l'alcool atténuerait un tant soit peu la douleur qui parcourait tout son avant-bras.

C'était un de ces jours où il y avait à faire au palais. Réunion, arrivée d'émissaires de tout le pays. De quoi occuper tout ce petit monde qui fourmillait dans ce grand dédale royal. Une aubaine pour la princesse qui put se faufiler, non sans l'aide de Ninna, hors du château pour se rendre à l'orphelinat situé au nord de la ville. La princesse aimait s'y rendre, apporter de nouveaux jeux aux enfants ou bien de nouveaux vêtements. Leurs rires, leurs simplicités infantiles la remplissait d'un bonheur sans nom et la remettait bien souvent à sa place. Ne pas se plaindre. Ils ne le faisaient pas, alors qu'ils avaient sûrement plus de raison que quiconque. Il y avait de quoi faire réfléchir sur ses petits tracas somme toute sans importance, alors qu'eux ne se souciaient pas encore des tours que la vie leur avait jouer.

La gérante était une femme forte, qui avait perdu de nombreux enfants en couche ou en bas âges. Maintenant, elle en avait une sacrée bande pour elle. Une bande qui devenait hélas de plus en plus nombreuses depuis ces derniers mois. Il fallait s'en douter. Les vampires en étaient la cause, ainsi que les conséquences qui en découlaient. Travaux acharnés des parents, famines dans les campagnes. Ils étaient placés là dans l'espoir d'une vie meilleure. Peut être un temps, mais après. Une fois grand. Esmelda cherchait à mettre en place avec M'dame Asilis un moyen de les aider à trouver un emploi par la suite. L'orphelinat ne pouvant les accueillir au delà de leur treize ans. Tant de chose à faire qui pourrait être simple, mais qui se compliquait à chaque fois qu'il fallait aider le peuple. La princesse se heurtait à l'hostilité des sages du conseil. Alors elle le faisait à leur insu et au nez de tous, mais cela demandait bien plus de temps.

Esmelda avait donc laissé Ninna dans Gloria. Même si cette dernière n'aimait pas laisser la princesse vagabonder ainsi dans les rues de la ville. Bien dissimulée sous sa cape, et vêtue le plus simplement possible, il y avait peu de chance qu'on la prenne pour une dame de haute noblesse.
Ninna lui expliquait qu'elle aimait laisser ses oreilles traînées pour entendre ce qu'on pouvait dire de sa princesse, et elle se faisait un malin plaisir à lui raconter par la suite. Le meilleur sûrement, ou en atténuant le pire, car à l'entendre peu se plaignait d'elle. Ninna ne voulait peut être pas heurter la princesse. Même si elle n'était pas du genre quand il fallait la secouer.

Sur le chemin du retour au palais, Esmelda se dit qu'on n'était jamais mieux servi que par soit même, alors pourquoi ne pas faire comme son amie. Elle entra dans une taverne dont le nom lui rappelait vaguement quelque chose. Sûrement que Ninna lui en avait parler. L'endroit était un mélange étrange d'accumulation d'objets divers et varié. Il y avait même une barre de bateau en guise de cadre sur le mur. Pour sûr ça changeait du tableau affreux de sa grande tante la duchesse Erynia. Esmelda dénotait un peu dans sa façon de marcher et de se mouvoir avec le naturel plus déconcertant des habitués des lieux.
Elle se glissa cependant à une table non loin de celle qu'elle reconnut le premier pas dans la taverne : Ninna.
La princesse se dit qu'au cas où, elle aurait une protection (courageuse mais pas téméraire) et puis, comme ça elle verrait un peu son amie dans une disposition autre qu'au palais.

Ninna se trouvait avec...une elfe. Une elfe dans une taverne, après tout il y avait bien une princesse. Mais quand même, cela faisait beaucoup pour ce simple lieu. Au moins son amie traînait avec du beau monde. Il fallait qu'elle s'y habitue, n'allaient-elles pas bientôt se retrouver au confins de leur foret.

En tout cas l'amie de Ninna semblait être comme la jeune femme, un volcan que rien ne contient. Et surtout pas un homme sûrement ivre ou bien peu enclin à voir des elfes dans la capitale, car en peu de temps ils se retrouvèrent dehors à régler des comptes. La princesse exultait presque de se retrouver dans une vraie bagarre de rue.

Au même moment sa couverture auprès de Ninna tomba. Évidement qu'elle l'avait reconnu. Et la princesse dut se résoudre à abandonner son déguisement face à son amie.

« -Pourquoi cela ne m'étonne pas ? » dit la princesse en sortant et en observant d'un air dégoûté la scène. Oui, et bien si c'était ça, elle n'appréciait guère ce genre de chose. Et encore moins en arriver à un cas extrême de la sorte. Il allait falloir faire profil bas pour éviter un incident diplomatique par la suite. Une elfe attaquant un pauvre bougre en plein Gloria, ça faisait mauvais genre.

Une fois le spectacle finit, chacun reprit ses occupations, comme si rien ne s'était passé, une broutille. Ce qui choqua encore plus la princesse un peu tremblante et toute émotionnée.
Pour se calmer, elle commanda quelque chose de fort, ce qu'elle regrettera une fois avalé, et continua son espionnage en s'amusant des paroles de Ninna. Au moins, ça lui ferait oublier les images horribles de l'homme à terre.

Ce fut en sirotant sa nouvelle choppe de bière qu'elle tendit son bras meurtri à la guerrière. L'Elfe n'avait pas pour habitude de boire et encore moins de cette boisson, mais les circonstances étaient quelques peu... Elle allait dire différentes, cependant ce n'était pas le mot approprié. Depuis son entrée dans l'armée glorienne, elle avait partagé son temps entre ses entrainements avec Fiztéring et ses ballades en ville qui se finissaient souvent -pour ne pas dire toujours- avec des ennuis. L'affrontement contre l'homme n'avait été qu'un de plus parmi tant d'autres.

Ninna examinait son poignet d'un oeil quelque peu connaisseur. Il n'était pas joli à voir et le craquement qui s'était fait entendre sous les doigts de son adversaire ne laissait aucune place au doute : l'os était cassé. En retournant la main de l'éclaireuse, la soldat lui tira une grimace de douleur. Alors, Nalaïa retira et reposa le membre blessé sur la table. Elle souffrait mais son attention tout entière n'était plus porté sur l'avant-bras devenu bleu-violet. Non, son regard émeraude fixait cette silhouette encapuchonnée assise à la table derrière Ninna Galliang. Elle l'avait vu se déplacer, se tenir d'une façon très... Altière? Féminine? Délicate? Peu importait d'ailleurs, deux questions traversèrent l'esprit de la guerrière rousse pour trouver une réponse l'instant d'après. Qui était cet être qui se cachait et se mouvait ainsi ? Et surtout, que faisait-il ici ? Un prénom et un nom se formulèrent sur ses lèvres, mais elle le rejeta bien vite. Esmelda Kohan. Mais ce n'était pas possible. La princesse devait se trouver dans ses appartements, entourée de dames et certainement pas dans une taverne mal famée. A moins que... Un sourire fendit le visage de Nalaïa. Elle venait de comprendre. La princesse avait suivi Ninna hors du palais. S'adressant à la guerrière brune, elle dit :

-Bien vu. Mais ce petit manège dure-t-il depuis longtemps? Ne crains-tu pas qu'on la reconnaisse et qu'il lui arrive malheur?

Ses yeux émeraude fixaient toujours la silhouette encapuchonnée derrière son interlocutrice et son sourire n'avait pas quitté ses lèvres.

Son analyse du poignet de la jeune femme n'était pas très optimiste, en effet, cela avait tout l'air d'une vilaine fracture!
"Hum... Tu devrais tout de même t'occuper de cela rapidement, une guerrière sans main ne sert pas à grand chose..."
En effet, si certaines blessures de combats pouvaient être minimisés, n'occasionnant que de vilaines cicatrices qui attestait de son implication lors d'une guerre, ou encore des blessures plus grave comme l'amputation de la moitié de la jambe du commandant de la garde d'Aldaria qui s'était reconvertit en spécialiste du tir à l'arc mais dont toute sa garnison raconter encore fièrement comment il avait tenu le front sans ciller en première ligne au détriment de sa jambe...
Mais perdre l'usage d'une main après un combat contre un soudard de taverne et ne pas s'en occuper au plus vite par fierté ou autre excuse semblable, voilà qui serait sans doute mal vu et très handicapant pour la jeune elfe....

Mais ses mots n’allèrent pas plus loin que sa pensée, car la demoiselle remarqua les regard curieux et interrogateurs que Nalla lançait en direction de sa princesse, jusqu'à y voir apparaître cette petite lueur tinter dans ses yeux, lui indiquant qu'elle avait deviné l'identité d'Esme . Au moins, elle était perspicace, et avait fait le lien entre les remarques de Ninna et la petite silhouette encapuchonnée qui suivait Ninna comme son ombre...
C'était étrange d'ailleurs, comme situation, car en général il aurait été plus logique que les rôles soient inversés: Esmelda qui se baladerait au grand air, parcourant son royaume à sa guise, et Ninna, tapie dans l'ombre, prête à intervenir en toute discrétion pour la protéger...
Aussi, Ninna sourit en finissant son verre et ajouta tranquillement :
"Oh cela dure depuis plusieurs années, ce stratagème nous permet de nous promener sans se faire aborder toutes les trente secondes par n'importe qui et de fréquenter des lieux que l'on dit peu fréquentable pour la noble famille Kohan! Quant à la mettre en danger, le serait-ce plus de la laisser enfermer dans les murs du palais jusqu'à ce qu'elle craque et s’échappe par la fenêtre sans moi? Non, c'est bien plus amusant ainsi ! Et quel meilleur métier que celui d'aller boire un verre en ville accompagné d'amis tout en faisant son devoir?" dit-elle avec un grand sourire complice vers Esme tout en levant son verre à l'attention de la serveuse, lui signifiant que ce dernier était vide, laissant toujours le choix à Esme de les rejoindre ou pas. Ninna espérait néanmoins que cette journée au moins lui ai aidé à se changer les idées et à penser à autre chose qu'aux problèmes royaux...

Quand on est princesse, il n'est pas tous les jours faciles d'être une femme. Surtout une femme indépendante, éprise de liberté, de naturel. Bref absolument pas une femme du monde.
Les matins étaient pour la princesse un calvaire. Le balais incessant des dames de compagnie qui lui proposait deux ou trois tenues pour le matin, puis rebelote pour le midi et l'après-midi, encore une autre tenue, et le soir. Je vous donne dans le mile, encore une autre. Bref, Esmelda passait sa vie à s'habiller et à se déshabiller de ses robes souvent bien trop encombrantes, froufrouteuses, remplies de nœuds, et autres fanfreluches dorées.

Puis après le choix des robes, venait la coiffure. Celle du matin, puis du midi de l'après-midi et celle du soir. Les cheveux lâchés entremêlés de fils d'or, de perles ambrées, ou bien attachés et retenus par des pierries luxueuses, des diadèmes étincelant, et des couronnes dignes des plus grandes reines. Bref la princesse passait sa vie à se faire coiffer.

Alors pour une jeune femme qui se moquait de la mode, qui ne s'extasiait pas devant un rubis et qui pouvait aussi bien se présenter en tenue d'équitation devant un haut dignitaire, ces moments étaient de véritables corvées.
Heureusement, avec l'arrivée de Ninna et leur complicité, les choses changèrent. La princesse habillée comme le commun de son peuple allait et flânait dans les rues de Gloria. Elle s'y sentait libre et pouvait goûter au bonheur de l'anonymat. La jeune femme avait été reconnue quelques fois, mais Ninna avait vite rétablit la sécurité de la princesse et s'était bien plus souvent par curiosité ou pour questionner sur la politique de son frère que par méchanceté pure envers sa personne.
D'ailleurs, c'est comme ça que la princesse put connaître son peuple. Ses joies, ses peines, ses drames et ses bonheurs. Esmelda avait donc put avec ses faibles moyens leur venir en aide. Le plus souvent sans qu'on sache son nom. La gloire très peu pour elle, juste le fait d'avoir aidé et permis à des personnes d'avancer dans la vie.

Donc malgré sa tenue de camouflage et ses manières moins rustres pour une taverne, Esmelda aimait s'y rendre. C'est là où plus librement, on parlait des dernières nouvelles de la ville ou de l'empire. Elle pouvait ensuite glisser à son frère les inquiétudes de leur peuple.
Bien cachée près de Ninna, elle se fit servir enfin sa boisson surment pas recommandée pour elle. En même temps, du thé dans une taverne....
La princesse ne put s'empêcher de sourire face aux remarques de son amie. Elles étaient toutes deux éprises de liberté et ne se gênaient pas pour la gouter à pleine dent.

La jeune Elfe imita la guerrière et porta son verre à ses lèvres. Après une gorgée, elle le reposa devant elle pour le faire tourner entre ses doigts. Puis, un sourire étira ses lèvres. Cela faisait donc longtemps... Comment se faisait-il que le fait ne se soit pas ébruité dans Gloria ? Cela avait peu d'importance aux yeux de Nalaïa, la princesse faisait ce qu'elle voulait après tout. Et l'indisciplinée se voyait mal lui reprocher son envie d'un peu plus de liberté, elle qui enfreignait souvent les règles édictées par Fiztéring comme ne jamais tuer sous la colère. Règle qu'elle avait encore enfreint aujourd'hui et elle savait qu'il l'attendrait à son retour.

Comme pour chasser ces pensées peu positives, l'éclaireuse aux cheveux couleur du feu secoua la tête avant de reporter son attention sur la silhouette toujours encapuchonnée. Ainsi, la princesse Kohan se tenait à quelques mètres d'elle, dans une taverne de Gloria. Elle trouva un côté ironique à la situation : elle souhaitait parler avec elle mais cela risquait de la trahir. Finalement, elle se décida et, sans quitter des yeux la silhouette que dissimulait en partie Ninna Galliang, prit son verre avant de s'approcher de la table d'Esmelda. D'un geste de la main, elle sembla demander si elle pouvait prendre place mais finit par le faire sans attendre de réponse. Tout en fixant le visage à demi caché de la princesse, la jeune Elfe porta à nouveau son verre à ses lèvres et but une unique gorgée. Puis, elle prit la parole d'une voix calme mais où pointait un soupçon de curiosité -l'un de ses défauts dont elle avait renoncé à se défaire- :

-Etrange habitude même si je la comprends. Ne craignez-vous pas qu'il vous arrive malheur ? Je sais que vous avez confiance en Ninna mais personne n'est infaillible.

Elle s'interrompit un instant et s'aperçut que ses mots pouvaient être mal interprétés. Elle poursuivit donc sur un ton plus enjoué :

-Je n'ai rien contre vous. Au contraire, dans un sens, je suis redevable à la famille impériale puisque c'est en m'engageant dans votre armée que j'ai pu surmonter la mort de ma famille. Je suis d'ailleurs honorée de vous rencontrer, conclut-elle, inclinant la tête en signe de respect.