Les jours, les mois venaient de passer sans se ressembler, mais en laissant le même sentiment de tristesse dans le cœur de la princesse. Et pour cause.
Elle avait fait son travail de régente avec une ardeur et une détermination qui avait laissé septique ses détracteurs. Mais beaucoup devaient avouer que la petite princesse avait grandi et était devenue une femme de caractère qui s'imposait de plus en plus. Et la régence de l'empire fut pour beaucoup. Elle sortait de son carcan de potiche décorative, de princesse qu'on pose, de faire valoir de l'empire à une personne qui décide, pense. Il n'y avait pas que Ninna et ses proches pour savoir qu'elle n'était pas que cela.
Cependant, le retour de son frère fut un réel bonheur, même s'il était synonyme pour elle du plus grand et sacrifice qu'elle devait faire. Au nom de quoi??? D'un nom, d'une position. Oh par le Dracos, qu'est-ce qu'Esmelda donnerait pour pouvoir fuir sa vie, s'en aller au loin, loin du palais pour vivre sa vie, comme elle l'entendait, et vivre avec qui elle voudrait. Avec Kyllian. Le seul pour qui son cœur battait et battrait. Le cœur n'a-t-il pas sa raison que celle-ci ignore? Et son choix d'aimer un vampire... elle n'avait pas choisit, ils s'étaient trouvés. Elle oubliait tout quand elle était avec lui, qu'il était vampire, elle princesse. Voilà pourquoi son cœur s'était ouvert. Il était homme avant vampire, et cette caractéristique restait au plus profond de son être. Puis il était cultivé et suivait le même idéalisme qu'elle. Une vie harmonieuse pour tous, où chacun se respecterait. Fini les différences mises en avant. Si le Dracos avait permis autant de vie différentes sur Armanda ce n'était sûrement pas pour se détruire. Mais apprendre des autres et se servir de leurs forces, de leurs connaissances et faire que chacun en profite. Mais hélas la cupidité des uns, l'ignorance des autres et cette peur de la différence les menait droit dans le mur et à une guerre dont le vainqueur sera la seule désolation des survivants. Mais qu'importe, Esmelda se battrait jusqu'à la mort pour faire vivre ses idées. Au delà de son nom et de son statut, elle se le devait pour elle, pour son peuple, pour ceux qui ne peuvent comme elle se défendre.

La princesse avait réussi à s'échapper du palais pour la journée. L'empereur revenu, toutes les attentions sur lui, il était maintenant plus facile pour elle de regoûter à la liberté. Surtout que bientôt, elle serait enchaînée à un mariage de convenance. Elle avait besoin de sentir encore une fois cette douce sensation que rien ne pouvait la retenir nul part. Le vent sur son visage, les pas de son cheval comme seule musique et la perspective de revoir celui qui hante ses rêves.
De le voir encore une fois en tant que femme libre d'aimer celui qu'elle veut. Car après, tout serait différent. Esmelda quitterait Gloria, pour vivre auprès de celui qui sera son mari. Elle quitterait son palais, ses souvenirs d'enfance, son peuple, ses rues qu'elle aimait arpenter, le son d'une ville animée, les odeurs que lui offraient les commerçants. Heureusement que sa maisonnée la suivait. Ninna, Lyssandre et ses quelques servantes. Les dames de compagnie resteraient. Quelque part tant mieux, la princesse les voyait comme les yeux de la noblesse.

Après quelques temps de folle chevauchade, la princesse et Ninna arrivèrent non loin du rendez-vous. Un petit hameau à l'abri d'une petite foret. Bien plus discret. Elle mit pied à terre, tenant Galad par la bride et la tendit à Ninna.

« -Je ferai vite. »

Elle sourit à son ami et s'en alla vers la foret. Après quelques pas, elle y retrouve son amant. Il était là droit, caché à demi sous sa capuche, elle enleva la sienne. Elle sourit, son visage tendu des derniers jours s'effaça. Pourtant, son cœur était serré. Elle lui avait dit, pour son avenir, pour leur avenir. Compromis. Mais elle ne se laisserait pas abattre comme ça, sans se battre pour lui.

« -Qu'il est doux de vous revoir. Toutes ses journées sans vous... un labyrinthe sans fin. »

Le mariage... En temps normal, ce mot devrait être synonyme de fêtes et de réjouissances, car ce simple mot est censé signifier que deux êtres ont décidé de concrétiser leur amour mutuel à travers un lien somme toute invisible, intangible, mais pourtant tellement important. Jusqu'à ce que la Mort les sépare... Malheureusement Armanda ne vivait pas des temps que l'on pouvait qualifier de normaux, et dans l'esprit de Kylian, ce mot résonnait avec un grondement de tonnerre.

Depuis qu'il avait récupéré la dernière missive de la princesse Kohan que lui avait remise Ninna, l'une des très rares personnes à savoir où, quand et comment trouver Kylian, les sept lettres s'étaient gravées dans son crâne et ne semblaient pouvoir le quitter. Le vampire avait lu et relu encore le parchemin manuscrit. A chaque fois qu'il le dépliait, il espérait s'éveiller d'un cauchemar et ne pas y retrouver le mot fatidique, mais celui-ci revenait systématiquement. La princesse Kohan allait se marier. Elle n'avait pas fait mention du nom du futur époux, peut-être même l'ignorait-elle, mais elle avait précisé qu'il s'agissait d'un elfe, certainement pour sceller l'alliance des deux peuples. C'était une pratique courante dans les royaumes de l'Empire Kohan. La peste soit de ces mœurs révolus, en quoi le fait de marier deux personnes, le plus souvent contre leur gré, pouvait bien avoir quelque valeur politique ? L'amour n'entre pas en jeu quand on parle de politique, l'Histoire l'avait démontré à plusieurs reprises. Les nerfs de la guerre, c'étaient les richesses : les terres bien évidemment, mais aussi la nourriture et l'eau, et par dessus tout, l'or. Pour bien des esprits, l'or faisait oublier n'importe quel mariage.

Kylian ne pouvait se laisser aller à abandonner. Il devait revoir Esmelda, et le plus tôt serait le mieux. Elle était ce qui le faisait tenir. Quand il se sentait épuisé par le fardeau de sa malédiction, quand il se laisserait volontiers mourir pour ne plus avoir à endurer ce supplice, c'est à elle qu'il pensait. Elle était ce qui lui était arrivé de mieux depuis sa transformation, et probablement même de sa vie d'avant, bien qu'il ne soit capable de se remémorer que quelques images floues de cette vie révolue.
Assurément, le vampire n'était pas prêt à laisser la princesse lui échapper, les mots qu'elle avait couché sur le papier de sa lettre ne laissaient pas de place au doute, elle ne voulait pas de ce mariage et cette union la rendrait malheureuse. C'était plus que suffisant pour que Kylian décide de se battre pour elle. Il ne savait pas encore comment, mais il se battrait. Par les mots ou par l'épée, ce mariage n'aurait pas lieu !

Ninna lui avait expliqué où et quand retrouver la princesse, et Kylian s'était mis en route. Il lui faudrait plusieurs jours de voyage pour atteindre le petit village que Ninna lui avait renseigné mais cela n'était pas un problème. Sur les petites routes de l'Empire qu'il empruntait pour se déplacer discrètement, il eut même la chance de se faire attaquer par un petit groupe de bandits de grand chemin. Tous avaient détallés comme des lapins sitôt que le vampire avait montré les crocs. Tous, sauf un que la Bête n'avait pu se résoudre à laisser filer. Son dernier repas humain remontait à plusieurs semaines et "Elle" réclamait son dû. Kylian devenait un danger s'il se refusait à la satisfaire trop longtemps et lorsqu'il avait rencontré Ninna, il avait déjà eu toutes les peines du monde à faire taire sa malédiction. Il aurait été trop risqué de rencontrer Esmelda dans cet état et le vampire ne voulait même pas considérer la possibilité qu'il puisse faire du mal à la seule personne qui le comprenait, qui l'aimait même en connaissant sa nature véritable. Il en perdrait la raison. Alors il avait pris la vie de ce bandit, pour sauver celle d'un ou une innocente. La flèche qu'avait décoché Kylian lui avait transpercé le coeur, le bandit était mort sur le coup, n'avait pas souffert et n'avait probablement même pas vu la mort arriver. La Bête aurait nettement préféré une offrande encore vivante, mais c'était un pas que le vampire se refusait à franchir. Tuer pour se nourrir était déjà un véritable calvaire, il n'était nul besoin d'assombrir encore le tableau.

Finalement, grâce à la monture qu'il avait empruntée à sa dernière victime, Kylian était arrivé sur le lieu du rendez vous un peu en avance. Cela lui permettait de faire le tour du propriétaire afin de s'assurer que le village était sûr et n'abritait aucun vampire. Depuis qu'il avait malencontreusement rencontré cette voleuse vampire à Aldaria, il craignait de tomber sur des vampires partout où il allait.
Enfin, l'heure tant attendue était arrivée. A l'ombre d'un grand chêne, adossé contre le tronc, Kylian attendait l'arrivée de sa bien-aimée. Il la reconnut dès qu'il aperçut la fine silhouette qui se glissa bientôt entre les arbres. Ses mouvements n'étaient que grâce et harmonie, même la capuche et la cape qui la dissimulaient ne pouvaient empêcher sa beauté de rayonner. Le vampire ne comprendrait jamais comment les gardes pouvaient se laisser berner par les déguisements, lui aurait pu la reconnaître au premier coup d’œil parmi toute la population de Gloria.

Souriante, elle fit glisser la capuche qui dissimulait son visage et ses cheveux retombèrent en cascade sur ses épaules. Kylian se redressa avant d'en faire autant. En plein jour, cela lui coûtait de se découvrir mais à l'ombre des arbres, c'était tout à fait supportable. Il avait néanmoins plus de mal à se laisser aller à sourire, rapport à la petite particularité de sa dentition. Esmelda avait beau lui avoir souvent répété qu'elle aimait de le voir sourire, cela restait pour lui une épreuve. Les crocs sont faits pour tuer et rien d'autre, ce sont des outils de mort, des armes qui lui rappellent sans cesse ce qu'il est, aussi préférait-il éviter de les exhiber.

« -Qu'il est doux de vous revoir. Toutes ses journées sans vous... un labyrinthe sans fin. »

Il la prit dans ses bras. Il ne se lassait jamais de la tenir contre lui, il pouvait ainsi ressentir les battements de son cœur dont le rythme rapide et régulier lui rappelait ce qu'était la Vie, la vraie, pas celle d'un être à moitié-mort.

« Mon amour. J'ai l'impression de revivre à chaque fois que je vous revois. »

Ils restèrent ainsi enlacés un moment, profitant de leurs retrouvailles en silence avec pour seul accompagnement le chant des oiseaux printaniers. Mais les meilleures choses ont une fin et si le vampire serait volontiers resté ainsi pour l'éternité, cela ne leur était pas possible. A contrecœur, il se résigna à aborder le sujet qu'ils auraient préféré ne jamais avoir à traiter. Du bout des lèvres, il laissa échapper quelques mots dans un souffle :

« Et pour le mariage ? »

Instinctivement, il avait un peu resseré son étreinte sur la princesse, comme si le simple fait d'avoir prononcé le mot risquait de la voir lui être arrachée par une force invisible.



HRP : avec toutes mes excuses pour le délai.
Si quelque chose ne convient pas, n'hésite pas à me MP

Ses bras. Le seul endroit où elle se sentait elle-même. Pas une princesse, pas une Kohan. Juste Esme. Une femme, comme toute les autres. Et s'y réfugier était pour elle la plus grande des forces. C'est là qu'elle l'a retrouvait. Trop peu de fois, mais qu'importe. A chaque fois c'était un apaisement pour son cœur et son âme, et la princesse ne pensait à plus rien d'autres que le bonheur d'être avec lui.
Mais ce bonheur de courte duré fut rappeler à l'ordre bien vite par une réalité douloureuse. Le mariage. Le sien. Avec un homme, dont elle ne savait rien. Des pourparlers pour la lier corps et âme à un destin auquel elle se refuse.

« -Le mariage... » Répondit-elle du bout des lèvres, les yeux dans le vague, ne lâchant pas son étreinte auprès de son amant de toujours.

« - Quoiqu'il arrive, je ne serai jamais à un autre homme que vous. Mon cœur vous appartient et pour toujours. »

Elle se recula un peu pour mieux le voir, sans pour autant quitter la chaleur réconfortante de ses bras.

« - Je trouverai...une solution, un stratagème, un échappatoire à ce choix que mon frère me propose. Sans pour autant offusquer cet homme dont je ne sais rien, et sans risquer la réputation de mon frère et de l'empire. »

La princesse passa une main douce et tendre sur sa joue.

« - Et sans risquer de rompre la promesse que je vous ai faite. Quitte à rejoindre ma mère dans son lieu de quiétude et de retirement, et renoncer à mes droits de princesse. »

Elle le ferait pour lui. Sans hésiter, même si cela lui coûterait énormément. Elle aimait sa vie à la cour, se retrouver au cœur de la ville de Gloria et chercher à aider du mieux qu'elle pouvait le peuple humain. C'était une part importante de sa vie, de ce qui faisait d'elle un être.

« -Mais pour le moment, oublions les intrigues de la cour et des alliances face à ce terrible mal qui nous ronge. Oublions tout ceci et ne soyons que nous. Oubliant nos différences... Ces jours sans vous sont d'une terrible longueur et malheureusement ses quelques instants avec vous filerons trop vite sous nos doigts sans que nous puissions les retenir. Je ne comprends pas les choix de mon frère mais les accepte cependant. Je le dois, mais pas au détriment de mon amour pour vous. N'en doutez jamais. »

Elle lui prit la main, pour aller s'installer sur une roche non loin de là. Elle s'assit.

« -Savez-vous que j'ai eu l'honneur de rencontrer un des nobles dragons que le Dracos a bien voulu offrir à mon peuple ? »

La princesse semblait au comble de l'émerveillement, presque comme une enfant fasse à son jouet préféré.

« -Je ne pensais pas un jour avoir la chance de voir une telles créature. Elle est bien plus belle que toutes les graphies que j'avais pu voir au palais. Noble, fière, mais sans arrogance. Et d'une beauté exquise. Et son choix s'est porté sur une personne de confiance au cœur vaillant et pur. »

« ... ce choix que mon frère me propose. »

L'attention de Kylian s'attarda un instant sur ce bout de phrase. Les mots utilisés, surtout, avait su attirer son attention car ce choix que son frère lui proposait avait surtout l'écho d'un destin que l'Empereur lui imposait et aux yeux du vampire, cela ressemblait même davantage à un acte tyrannique plutôt qu'à une simple proposition que l'on est en droit de refuser poliment. Ce type de comportement n'était pourtant pas l'apanage de Gregorist. La seule explication que le vampire pouvait entrevoir à cet instant était que l'Empereur lui même avait les mains liées. Liées par les protocoles, liées par la noblesse, liées par les politiques. Toujours eux.

Le contact des doigts de la princesse sur sa joue apaisa le jeune Kylian. Esmelda renoncerait à ses droits de princesse pour lui ? Il ne doutait pas qu'elle le ferait, mais il savait à quel point cela lui tenait à coeur. Le vampire avait soigneusement conservé toutes les lettres que sa bien-aimée lui avait écrites, il les avait rangées dans un coffret lui-même astucieusement dissimulé dans un endroit connu de lui seul. Quand il avait le cafard et qu'il ne pouvait trouver de réconfort dans les bras de son amour, il récupérait ce coffret et relisait ces lettres. Justement parce que la princesse y couchait par écrit ce qu'elle réalisait pour le bien de son peuple et la satisfaction que cela lui procurait. Si elle devait quitter ses fonctions, cela serait un déchirement non seulement pour elle, mais également pour tout le peuple des Hommes. Il aurait été égoïste de sa part d'accepter une telle solution, mais pourrait-il jamais se passer de son seul et unique amour ? Non, il faudrait trouver autre chose. Peut-être la solution pourrait-elle se trouver du côté du futur époux. Après tout, s'il pouvait convaincre le marié de refuser la main de la princesse, il n'y aurait pas de mariage.

Préférant aborder un sujet plus heureux, la belle l'entraîna près d'un rocher sur lequel elle s'installa. Ses yeux brillaient de mille feux tandis qu'elle lui parlait du dragon. Il s'assit auprès d'elle et passa le bras par dessus ses épaules, l'invitant à se lover contre lui.

« Je n'ai encore jamais eu la chance de rencontrer l'une de ces nobles créatures, mais aussi belles soient-elles, j'ai peine à croire qu'elles puissent vous surpasser dans ce domaine.

Il est toutefois réconfortant de voir que le Dracos nous vient en aide. Avec le soutien de ses enfants et de leurs dragonniers, les jours sombres que nous connaissons sont désormais comptés et nous pourrons peut-être bientôt goûter à la paix entre les peuples. »

Kylian se prit à lever les yeux vers le ciel, tournant le visage vers le soleil. Les rayons de l'astre du jour lui brulaient la peau, mais si la lumière faisait souffrir son corps, elle faisait énormément de bien à son esprit. Car lorsqu'il se tenait en pleine lumière, la Bête qui se terrait en lui allait se cacher plus profondément encore et il ne luttait que plus facilement contre elle. Alors, il endurait la douleur. Et avec d'autant plus de volonté lorsqu'il était en présence d'Esmelda. Les battements du coeur et la chaleur du corps de la jeune femme, si proche de lui, faisait hurler le monstre qui se démenait pour prendre le contrôle et planter ses crocs dans la chair tendre et offerte de sa nuque. Jamais ! Kylian était le plus fort et dans ces moments là, la Bête n'avait pas voix au chapitre. Elle était reléguée dans un recoin de son esprit, fermement cloisonnée et ne pouvait que cracher sa rage sans avoir la moindre chance de prendre le contrôle. Bien sûr, il en paierait le prix plus tard, lorsqu'il aurait quitté la princesse et qu'il aurait épuisé toute sa force mentale, le monstre reprendrait ses droits et le ferait souffrir à son tour. Mais il avait encore quelques heures devant lui avant d'avoir à y faire face, pour l'instant, il était avec Esmelda et tout ce qui lui importait était de goûter chaque seconde en sa compagnie. Le jeune vampire reporta donc son attention sur elle, passa une main dans les cheveux de sa belle avant de reprendre à voix basse, sur le ton de la confidence :

« Avez vous déjà pensé à ce que nous ferions une fois la guerre terminée et la paix restaurée ? Pour ma part, j'adorerais vivre dans une petite maison au bord d'une plage de sable fin, loin de l'agitation de la ville. Sur la côte sud du continent par exemple. Qu'en pensez-vous ? »

De tels projets semblaient utopiques à cet instant, mais n'était-ce pas les projets qui faisaient avancer le monde ? Si l'on gardait l'espoir de restaurer la paix, si l'on gardait l'espoir d'une vie paisible et heureuse, était-il réellement si irréaliste que d'avoir des projets pour l'avenir ?

Des projets, voilà une chose à laquelle Esmelda aimait rêver. Surtout ce genre de projet. Oubliant qu'elle était son rôle et pouvant aller vivre là où elle le souhaitait. Avec Kyllian.
Mais là encore demeurait un obstacle. Kyllian resterait toujours aussi beau, sa peau aussi lisse et clair que le jour de sa mort, ou nouvelle vie comme préférait dire la jeune femme. Elle, elle fanerait. Sa peau deviendrait telle une pomme qu'on laisse trop à la lumière. Son corps subirait les assauts de la vie tandis que son amour resterait figer dans le temps. Esmelda ne souhaitait pas cela, qu'il la voit mourir, suivant le cours, le cycle de la vie humaine. Mais pour autant elle ne désirait pas devenir vampire et voir son âge se figer dans le temps. Elle aimait sa condition, sa vie, et ne voulait se sentir contrôler par la bête, comme l'appelait Kyllian, cette envie de nourriture, cette soif de sang. Le sang de son peuple. Au départ de ses sentiments pour Kyllian, après leur rencontre, après que l'amour est naquit entre eux, elle s'en voulait. Elle avait l'impression de les trahir quelque part. Mais peu à peu, elle n'y pensa plus. Kyllian n'était pas un vampire comme les autres. Il cherchait à se contrôler, sans cesse. Contrôler cette bête. Et surtout, il était avide de la paix de tous les êtres d'Armanda. Leur plus beau projet. Vivre cette vie en paix.

Avec une sincérité touchante, presque enfantine, elle lui répondit :

« - Du moment que je suis avec vous, le lieu sera un lieu de bonheur. Loin de l'agitation du palais. Où vous ne serez plus en cavale et moi princesse. Juste nous, où personne ne se souciera de notre origine. Tous égaux. Libre de vivre notre vie.»

Elle lui prit la main pour l'embrasser avec douceur.

« - Croyez-vous que cette paix soit possible ? Pensez-vous être entendu de certains de votre peuple ? Ou tous son sous la tutelle de ce vampire noir ?? »

Esmelda avait espoir en Kyllian, en son franc parlé, sa douceur, pour convaincre d'autres vampires, d'autres êtres de la nuit, que la cause de leur prince n'est que folie et les mènera vers leur perte. A tous. Sa folie n'était que poison pour Armanda et il l'infiltrait au cœur de tous à chacun, elfes, humains, et même vampires. La folie d'un seul homme contre la vie sur Armanda. Par le Dracos, le choix était très rapide. Même pour la jeune Kohan qui se refusait toujours à la moindre souffrance sur quiconque. Même au début, de leur rencontre, Esmelda se refusait à ce que Kyllian se dresse contre ce prince. Pas frontalement, pas par la violence. Elle était même prête à aller lui parler. Kyllian avait sourit, peut être même rit à l'intérieur. Lui connaissait sa nature profonde. Pas l'insousciente Esme.

Maintenant, elle comprenait pourquoi et se voyait bien plus prête à prendre arme contre ce fou. Même de ses fragiles mains de princesse.

« - Ils ne peuvent être aveugle plus longtemps... Je sais que les elfes et humains ont beaucoup à se reprocher vis à vis des vampires, mais c'est par peur, peur de l'inconnu, de la différence. Nous, on avons occulté cela. D'autres peuvent. Armanda n'est pas seulement remplis d'idiots et de fous."

Aux oreilles de Kylian, la voix de la princesse illuminait chaque mot qu'elle prononçait, mais lorsqu'elle parlait de paix, elle rayonnait plus encore. On pouvait ressentir dans sa voix tout l'amour qu'elle portait à ce mot.
Pensait-il la paix possible ? Au début de sa croisade, il lui était arrivé de se laisser ronger par le doute. Mais depuis qu'il avait rencontré la princesse, il n'en avait plus aucun. S'ils avaient pu s'aimer malgré leurs différences, s'ils avaient pu s'aimer en dépit de la guerre qui faisait rage entre leurs deux peuples, c'est qu'il y avait un espoir. Si chacun faisait un pas vers l'autre, comme eux l'avaient fait, alors la paix était forcément une possibilité tangible, certes difficile à atteindre, mais pas définitivement hors de portée. Désormais, c'était la raison même de son combat. S'il ne croyait pas sincèrement que la paix fut possible entre leurs peuples, alors sa lutte n'aurait eu aucun sens.

Pourrait-il raisonner les vampires ? Probablement. Mais il lui faudrait d'abord renverser Lorenz. Au cours des siècles passés, le prince vampire avait instauré un climat de terreur tel que rares étaient les vampires osant se dresser contre lui. Pourtant, Kylian en était convaincu : à quelques exceptions près, la plupart de ses congénères ne suivaient Lorenz que par crainte de ses représailles. L'ancestral dirigeait le royaume vampirique par la peur et la violence, mais c'était lui qui avait peur. Le chef autoproclamé des vampires crevait littéralement de trouille à l'idée que les vampires puissent comprendre qu'en unissant leurs forces, ils pouvaient choisir de se dresser contre la tyrannie du puissant Wintel.
Beaucoup de vampires ne souhaitaient pas sincèrement la guerre. Après tout, la majorité d'entre eux avaient été des humains ou des elfes avant de se voir infliger le traumatisme de la transformation, le plus souvent contre leur volonté. En dépit des efforts que déployait le poison vampirique pour annihiler toute trace d'humanité de ses victimes, il devait forcément rester une part de vie dans ces corps à moitié mort. Kylian avait su trouver la sienne, la cultiver, la développer et s'en servir pour lutter contre la Bête. S'il avait pu le faire, les autres le pourraient aussi. Ils avaient juste besoin que quelqu'un les guide, que quelqu'un leur montre comment faire. Tout être vivant disposait de l'instinct de survie, c'était une composante indissociable de chaque être que la Vie avait un jour touché. Si les vampires avaient perdus tout espoir de vivre, c'était parce que Wintel ne leur avait jamais fait miroiter que la violence, la mort et la destruction.

Le jeune vampire caressa le visage de sa princesse puis plongea son regard bleuté dans les prunelles couleur noisettes qui le dévisageaient. Il adorait les yeux d'Esmelda. Où qu'elle le pose, son regard débordait de vie et d'amour et lorsqu'il le sentait peser sur lui, il en oubliait presque son statut de vampire. Kylian eut même la sensation que son cœur s'était remis à battre dans sa poitrine, si une humaine pouvait regarder celui qu'elle était censé considérer comme son prédateur avec autant d'amour, tout était possible.
Sans détacher son regard du sien, il lui répondit dans un souffle :

« Oui, il y a de l'espoir. Lorenz ne gagnera pas. Je raisonnerais les vampires. Je les obligerais à m'écouter. L'amour que j'ai pour vous portera mes paroles, et ils entendront. Ils ne pourront faire autrement que d'entendre et de comprendre. Je vous le promets. »

A mesure que les mots s'échappaient de sa bouche, il avait approché son visage de celui de la princesse, à tel point que lorsqu'il prononça le dernier mot, ses lèvres effleuraient les siennes et il conclut en l'embrassant tendrement. A cet instant, il était loin de se douter n'être qu'à quelques heures de rencontrer son destin, dans ce petit village dont on apercevait les toits en contrebas de la colline sur laquelle ils se trouvaient.

Lorsque leurs lèvres se séparèrent, il poursuivit :

« Je possède déjà un ami parmi les vampires. Il m'est dévoué et je sais qu'il pourra comprendre. J'ai même rencontré une vampire indépendante de l'emprise de Lorenz à Aldaria, il y en a forcément d'autres. Je les trouverais. Un à un s'il le faut. Je les trouverais, et je leur expliquerais.

Votre frère est au courant de ma rébellion également et m'a affirmé être disposé à me venir en aide. Il ignore encore qui je suis, je n'ai pas osé lui en parler car je crains qu'il ne prenne peur s'il apprenait ma vraie nature. Mais il sait que je peux lutter contre Lorenz. »

Le jeune vampire laissa courir sa main le long du bras de la jeune femme jusqu'à ce que leurs mains se rejoignent et que leurs doigts s'entremêlent. Il inclina doucement la tête.

« En parlant de votre frère, je ... je me demandais si par hasard, vous aviez déjà pensé à l'informer ? Je veux dire... pour nous deux ? Gregorist est quelqu'un d'intelligent et il vous aime profondément, peut-être comprendrait-il ? »

Ses lèvres sur les siennes, court moment d'un bonheur sans fin. Rien que pour ce bonheur simple, Esmelda ressentit son cœur reprendre courage et son esprit penser que cette lutte en valait vraiment la peine. Il lui donnait force et détermination. Même si hélas souvent des nages venaient sans cesse troubler cet paradis idyllique qu'elle vivait avec lui.

« - Je nous l'espère. En espérant qu'ils y voient aussi de l'amour, de l'espoir et de la vie pour chacun. »

La princesse avait peur que beaucoup le prenne pour un fou. Que son amour pour une humaine l'aveugle, si jamais cet argument venait en jeu. Ou que la soif de sang soit plus forte que l'envie de vivre une paix en harmonie. Cette faim qui dirigeait pour beaucoup de vampires, leur monde. La jeune femme avait espoir, car elle avait en face d'elle la preuve que le contrôle était possible. Elle n'avait jamais eu peur de Kyllian en ce sens là. La seule peur qu'elle avait était de le perdre. Car son entreprise était ardue, voir utopique pour certains. Mais les rêves, ne doit-on pas se battre pour les voir se réaliser ?

« - Faire savoir votre, notre quête est la meilleure façon de prouver que cela existe, que cette paix est possible. Même si le chemin est ardu. Si je pouvais vous aider, je viendrai avec vous. Mais si tous ne sont pas attachés à ce vampire et qu'ils ont emprunt de liberté alors vos mots ne pourront qu'être entendu. »

Esmelda lui revola un baiser chaste tout en continuant de jouer avec sa main.

« - Mon frère est un homme de liberté. Il vous écoutera. Quelque soit votre condition. De plus vos mots le toucheront comme ils m'ont touchés. Nous sommes fait des même rêves, et notre éducation nous a mené vers ce rêve que notre peuple vive comme il le mérite. Il se méfiera certainement, surtout après les dernières luttes contre nos villages. Mais il n'est pas homme à ne pas écouter ce qu'on a lui dire. Au contraire. Surtout s'il vous a dit être en mesure de vous écouter. C'est que vos mots l'interpellent déjà. Le reste n'est qu'un détail. Nous sommes tous fait de la poussière d'Armanda. »

Mais de là à l'informer de leur relation, Esmelda ne se sentait pas encore de sauter le pas. Pour des raisons de jeune femme amoureuse. En tant que princesse, ses faits et gestes étaient sans cesse épier, critiquer, décortiquer, on l'observait sans cesse. Kyllian était son secret, son jardin. Personne ne savait pour lui. Elle était libre de l'aimer comme elle l'entendait. Pas que en princesse.

« - Je ne veux pas que vous pensiez que je puisse avoir honte de notre amour. Et même si je sais que mon frère ne cherche que mon bonheur et que celui-ci existe dans vos bras... Il comprendrait, oui. Mais vous êtes mon trésor le plus précieux, et je ne veux pas prendre le risque de vous perdre. Car d'autres que mon frère n'auront pas sa capacité de comprendre les choses. Beaucoup de ses conseillers et autres nobles ne m'aiment pas. Je le sais, je ne me leurre pas. Ils le sauront et ils chercheront à me nuire. Encore. Et vous aussi. Et je ne veux pas vous imposer ça. Vous avez tant à faire. Et bien plus important que les médisances de gens jaloux. »

La noblesse. Encore et toujours la noblesse. C'était la noblesse qui voulait marier la princesse contre son gré. C'était la noblesse qui n'acceptait pas de la voir fréquenter celui qu'elle aimait. Décidément, ces gens qui se faisaient appeler nobles étaient loin d'avoir les qualités que laissait supposer ce titre. En vérité, la majorité d'entre eux avaient les dents plus longues que le jeune vampire. Belle ironie.

Kylian prit la main de la princesse entre les siennes et y déposa un baiser.

« Vous avez raison. Il nous est déjà si difficile de nous voir quand les gens de la cour ignorent notre relation, s'ils l'apprenaient, cela nous serait impossible et cette seule idée m'est insupportable. »

Alors, ils attendraient. Ils attendraient patiemment ce jour béni par le Dracos où les Hommes, les Elfes et les Vampires pourront vivre en paix. Ce jour où leur amour sera accepté et pourra être révélé. Ce jour où Kylian pourrait enfin demander officiellement la main de la princesse à l'empereur sans craindre de représailles pour celle qu'il aimait, sans que la noblesse n'ait son mot à dire.
Le jeune vampire ne savait pas si ce jour était proche ou lointain, mais il savait de qui la réponse à cette question dépendait. Car c'était à lui que revenait cette responsabilité. C'était son rôle, la place que le Dracos avait prévue pour lui sur l'échiquier de la vie. Plus vite il renverserait Lorenz, le prince noir, plus vite la paix reviendrait sur Armanda et plus vite il pourrait clamer haut et fort l'amour qu'il ressentait pour sa bien-aimée. C'était son combat.

« Par le Dracos, si j'en avais la possibilité, je vaincrais Lorenz ce soir et je vous épouserais demain ! Et qu'importe l'opinion de la noblesse, une fois nos peuples réconciliés, ces vautours n'auront plus rien à dire ! »

Il s'emballait. Si on le prenait au sérieux, on pouvait même dire qu'il délirait. D'autant plus qu'il était loin de se douter que le destin répondrait à son appel et lui donnerait la possibilité de mettre en pratique ces belles paroles, du moins pour la première partie. Il était pourtant parfaitement sain d'esprit, il savait que ces projets n'avaient ni queue ni tête, mais à cet instant, cela lui faisait tellement de bien. Cela lui donnait l'impression que tout aurait pu se régler en moins de 24 heures, un simple claquement de doigt et ils pourraient vivre leur bonheur au grand jour. Aussi invraisemblable soit-elle, cette pensée le rassurait.

Kylian se redressa soudain et quitta le rocher sur lequel ils s'étaient assis. Apparemment surprise, Esmelda le dévisageait avec cette lueur pétillante dans le regard qu'il aimait tant. Il lui sourit avant de lui attraper la main pour l''entraîner à le suivre. Ils firent quelques pas dans l'herbe verte et atteignirent un point d'observation idéal, d'où l'on pouvait admirer la silhouette grandiose de Gloria dans le lointain. Les hauts murs de la cité semblaient étinceler sous le soleil.
Il fit tournoyer la jeune femme comme s'ils avaient été en train de danser mais amena rapidement sa partenaire à se lover dans ses bras. Ils se tenaient maintenant tous les deux face à la Magnifique. Légèrement en retrait, Kylian avait glissé les bras autour de la taille de la princesse et approchait le visage de son oreille. Il huma son parfum délicat avant de lui glisser dans un souffle :

« Et notre mariage sera grandiose, nous inviterons tous vos amis du palais à célébrer notre bonheur avec nous, nous danserons et rirons sous les fenêtres des nobles jusqu'à l'épuisement, nous leur montrerons ce qu'est un vrai mariage d'amour et cet homme à qui ils vont ont promise n'aura plus qu'à se trouver une autre compagne. »

Il laissa flotter un instant de silence pour permettre à la jeune femme d'assimiler la scène qu'il lui décrivait. Puis reprit toujours aussi tendrement :

« Mon petit programme vous convient-il ? »

C'était bien entendu totalement fantaisiste, mais Kylian avait envie d'un peu de rêve tant qu'il pouvait encore se le permettre. Dans le ciel, le soleil poursuivait lentement sa course, en dépit des protestations silencieuses que le vampire formulait auprès du Dracos, le temps suivait son cours. Les secondes succédaient aux secondes, les minutes filaient l'une après l'autre et les heures s'écoulaient comme les grains de sables d'un sablier.
Ils avaient déjà accordés trop de temps à la sombre réalité, désormais, Kylian voulait rêver. Ne serait-ce que quelques instants...

Esmelda se voyait rassurer que le jeune homme ne prenne pas sa requête comme une offense quand à leur situation. Bien sûr que la jeune princesse voulait crier à tout Armanda que son cœur était enfin prit et que cesse le manège et le ballet des prétendants, que se stoppe les alliances sans avenir, et que l'amour que se portaient les deux jeunes amants suffisait amplement. Un bonheur simple. Et sans nom. Pourquoi fallait-il tant de convenances pour satisfaire des personnes dont Esmelda se moquait bien ? Le poids de sa famille se posa avec lourdeur sur ses épaules à chaque fois qu'elle y pensait.
Mais qu'importe pour le moment, il lui était permis de rêver, de vivre cacher, ce qu'elle avait fait depuis son enfance. Se cacher face à son père le dirigeant, se cacher des nourrices, se cacher pour voir son frère. Continuer serait-il un jeu d'enfant ?
En avait-elle encore envie de se cacher ? Oui, car la princesse en tant que personne publique se sentait épier, et ça elle ne l'aimait pas. Pour vivre heureux, vivons cacher.

Esmelda jouait avec la main de son amant, et la serra de peur quand il parlait de ce vampire. Elle ne le connaissait pas, mais le portrait que toutes les rares personnes l'ayant vu et encore en vie pour en parler ne lui donnait pas l'envie de le rencontrer un jour. Il était bien pire que la mort, bien pire que la peur que l'on pouvait avoir de ces créatures dites de l'ombre.

« - Croyez-vous que ce vampire soit le seul à avoir le cœur sombre et l'esprit noir ?? Si certains le suivent, c'est que d'autres seront près à suivre son exemple. Il est bien plus facile de basculer vers la facilité de la noirceur que d'ouvrir son âme au bonheur. Il faut croire qu'il fait bien plus peur au final. Et les vampires ne sont hélas pas les seuls à suivre ces pas. Cela aurait été bien plus facile, mais certains de mon peuple ne valent pas mieux que lui. La seule consolation est qu'ils sont sûrement moins puissants. »

Devant eux, ce monde qui tournait de façon bien étrange pour un vampire et une humaine. Gloria, sa ville, qui régnait telle une reine face aux autres villes. Esmelda l'aimait autant qu'elle avait envie de la fuir. Rapport étrange et quasi viscérale avec la capitale, lieux de sa naissance.

« - Vous savez, si nous devions inviter que nos amis, il n'y aurait pas grand monde. Car pour ma part peu peuvent se prévaloir de ce titre.Est-ce pareil pour vous ? »

Esmelda lui sourit, avant de reculer doucement, lui tenant toujours la main.

« - Mais pour le reste cela me convient parfaitement. Et de toutes les façons, je n'aurai que vous comme compagnon. Et ce jusqu'à la fin de mes courts jours. Car sans vous voir, je sens comme enfermer, dans une nuit noire dont la fin ne fini que lorsque je sais que vous allez me revenir. Ce vide qui vit en moi s'en va avec cette obscurité. »

Esmelda ne manquait pas de clairvoyance. Kylian aurait préféré lui épargner ce genre de sombres pensées mais effectivement, la princesse avait raison. Le mal qu'ils affrontaient n'était pas un simple serpent que l'on aurait pu tuer en lui coupant la tête, c'était véritablement une hydre aux têtes multiples qu'il faudrait couper les unes après les autres. Sur l'abominable créature, Lorenz représentait la tête la plus importante, celle qui une fois tranchée simplifierait considérablement la suite de la lutte. Mais c'était la plus dangereuse également. Kylian en était conscient, mais il préférait éviter de trop y penser. Il préférait au contraire s'accrocher à l'idée que la nature profonde des vampires et leur penchant naturel pour l'application de la loi du plus fort permettaient raisonnablement de croire que le vainqueur du prince vampire s'attirerait immédiatement le respect d'une part importante du royaume vampirique.

« - Vous savez, si nous devions inviter que nos amis, il n'y aurait pas grand monde. Car pour ma part peu peuvent se prévaloir de ce titre. Est-ce pareil pour vous ? »

Le jeune vampire sourit à cette idée. Effectivement, il était beaucoup plus facile de citer dix de ses ennemis qu'un seul de ses ami. En fait, il n'y avait que Roëric qu'il pouvait considérer comme un véritable ami, du moins s'il était encore vivant.

« Qu'importe le nombre restreint de nos amis, cela facilitera l'organisation de la cérémonie. Je me moque bien du faste de la fête, dès lors qu'il scelle notre amour même le plus modeste des mariages sera grandiose à mes yeux. »

Le sourire de Kylian s'effaça lorsque la princesse évoqua la brièveté de sa vie. Cela n'avaient été que quelques mots, mais l'idée de voir mourir la princesse le torturait. A supposer qu'aucune lame ennemie ne vienne mettre un terme à son existence, son espérance de vie était infinie. Celle de la jeune femme, dans le meilleur des cas, se mesurait en dizaines d'années. Il appréhendait cette fatalité depuis qu'il avait réalisé l'ampleur de l'amour qu'il portait à Esmelda. Lorsque la princesse rendrait son âme au Dracos, Kylian la suivrait, de sa propre main s'il le fallait. Il savait qu'elle n'approuverait pas, mais il n'avait pas peur de mourir. Ce qu'il craignait plus que tout, c'était l'idée de vivre sans la seule femme qu'il ait jamais aimé et qu'il aimerait jamais. Mais une autre question le hantait : sera-t-il vraiment en mesure de la laisser partir lorsque le moment sera venu ? Sachant qu'il avait en lui le pouvoir de la sauver quand bien même cela impliquait de sacrifier une part de son humanité ? Il ne voulait pas en arriver là, il préférait mille fois trouver une solution au mal vampirique afin de se guérir, de pouvoir vieillir et mourir avec Esmelda, mais à ce jour, il n'y avait aucun remède connu et les chances d'en trouver un dans les décennies à venir étaient plus que minces. Kylian avait peur. Peur de ne pas être capable de se dominer, peur de perdre la tête devant sa princesse mourante et de commettre l'irréparable pour la sauver.

Il rejeta ces sombres pensées dans un recoin de son esprit, il y penserait plus tard, quand il aurait quitté la princesse. Tant qu'il était avec elle, il ne voulait pas se laisser aller à broyer du noir, mais cet instant tant redouté était à la fois si loin et si proche...

Retrouvant le sourire, il plongea son regard dans celui de sa belle, puis lui caressa le visage et fit jouer un instant une mèche de ses cheveux châtains entre ses doigts.

« Je vous aime, Esmelda, et je n'aimerais jamais que vous. »

Armanda pouvait d'un coup cesser de se mouvoir, la princesse s'en moquait bien. Il y avait là dans les yeux de son amant tout ce qu'elle cherchait. Réconfort, sécurité et espoir que demain, le soleil brillera bien plus fort, même si pour le moment celui-ci commençait à décliner dans le ciel. La nuit viendrait bientôt couvrir de son manteau d'étoiles Armanda.

Elle posa ses mains sur celles de Kyllian avant se se mettre sur la pointe des pieds et de déposer un baiser tendre. C'était là sa réponse. Elle aussi, elle l'aimait. Plus que tout et ne se voyait pas non plus aimer quelqu'un d'autre après lui avoir donné son cœur. C'était eux, et rien d'autre. Tant qu'ils étaient unis, cette force du cœur serait un lien indéfectible. Rien ne pourrait se mettre au travers de leurs sentiments, pas même un mariage contraint. Même si cet amour avait signifié pour la jeune femme mettre un terme à un rêve de devenir mère. Cela avait-il de l'importance si ce cadeau n'était pas partagé avec celui que l'on aime ? L'espoir de leur amour avait laissé s'en aller ce désir. Il était plus fort. Pour lui, elle était prête à tous les sacrifices et bien plus encore. Pour lui, elle serait forte. Femme, homme, vampire, magicienne, tout ceci à la fois.

Quand elle reposa ses talons au sol, Esmelda lui offrit un sourire conquit et passa sa main sur sa joue, tendre, du bout de ses doigts.

« - La nuit va bientôt nous séparer pour me plonger dans l'attente lancinante de votre retour. Je ne puis imaginer ces secondes sans vous. Je vous ferai parvenir la date du mariage, et je tacherai de m'en enfuir sans déshonorer mon royaume, mon nom et mon frère. Je n'épouserai pas cet homme. Je vous en fais le serment. Je vous ai donné mon cœur, il y a bien longtemps, il est à vous et je ne le reprendrai jamais. Je vous aime Kyllian Walam, noble guerrier. »

Elle lui prit la main et la posa sur son cœur, pour qu'il sente qu'il ne battait que pour lui. Dans ses yeux, il y avait une détermination dont faisait preuve la princesse quand le sujet lui tenait à cœur.

"- Nous, nous reverrons vite. Mon frère vous écoutera quand vous viendrez lui expliquer votre noble et valeureuse quête. Notre quête. Car lui aussi a rêve de liberté. Tout comme nous. "

Elle scella son désir par un baiser.

Au loin, le soleil descendait lentement sur l'horizon. Sa lumière déclinante auréolait le ciel de couleurs éclatantes, cela aurait pu être magnifique si cela n'avait pas signifié que le moment était venu pour le couple de se séparer. Inexorablement, le jour s'achevait pour laisser place à une nouvelle nuit de pénombre, le temps se rappelait à eux. A cet instant, Kylian aurait voulu avoir le pouvoir sinon de l'arrêter, au moins de ralentir sa course effrénée.

Lorsqu'elle évoqua le mariage qui avait décidé pour elle, le regard de la princesse avait été plus explicite encore que ses paroles. Le cœur moribond de Kylian se retrouva en proie à deux émotions contradictoires, d'un côté il ne voulait pas que la princesse se lie à un homme dont elle ne voulait pas dans un mariage sans amour mais d'un autre, il ne voulait pas non plus la voir renoncer à ce qu'elle était car elle en serait tout aussi malheureuse.

« Je vous y aiderais. J'ignore encore comment, mais je vous y aiderais. Nous trouverons une solution. Le Dracos nous y aidera. »

Les battements de son cœur. Grâce à son instinct de prédateur, Kylian pouvait les ressentir à distance mais lorsque la princesse guida sa main et qu'il put ressentir sous ses doigts les impulsions régulières du petit organe de vie, il eut l'impression d'écouter une douce mélodie dont il ne pourrait jamais se lasser.
Au tréfonds de son être, la Bête hurlait littéralement sa douleur et sa rage, mais le vampire tenait bon. Il s'en réjouissait même. Qu'elle souffre donc à son tour, cette malédiction qui faisait peser sur lui tant d'horreurs. Cette malédiction qui l'empêchait de rendre à Esmelda ce qu'elle venait de lui offrir. Il aurait voulu pouvoir à son tour lui faire ressentir les battements de son cœur à lui, mais dans sa poitrine, ce dernier avait rendu son dernier battement depuis longtemps déjà.

Il enlaça sa princesse et leurs lèvres échangèrent un dernier baiser. Désormais, il était temps pour eux de se séparer. Ils avaient repoussés l'échéance autant qu'il le leur avait été possible, mais ils ne pouvaient plus reculer. La princesse devait regagner le palais, chaque minute de plus qu'elle passerait dans les bras du vampire serait une minute d'absence qu'elle devrait justifier auprès de la cour. Ils n'avaient pas eu besoin de parler, un regard avait suffit pour qu'ils se dirigent discrètement vers le village en contrebas, là où les attendait Ninna.

Pour l'un comme pour l'autre, c'était un déchirement. Chacune de leurs retrouvailles était aussi heureuse que leurs séparations étaient douloureuses. Quand se reverraient-ils ? Peut-être pas avant des semaines, voire des mois. Une dernière caresse, et déjà Kylian souffrait de ne plus ressentir sous ses doigts le contact de la peau de sa bien-aimée. Un dernier sourire, la princesse enfourcha sa monture et s'éloigna, encouragée par son amie à se presser. Un ultime regard lorsqu'elle se retourna vers lui, puis les deux jeunes femmes lancèrent leurs montures au galop et s'éloignèrent.
Le vampire se retrouva seul. Désormais, chacun de ses gestes n'était dévolu qu'à le porter jusqu'à la prochaine occasion qu'il aurait de replonger son regard dans celui de celle qui le faisait tenir.