Il y avait tant à faire, au campement, tant à faire pour soutenir les troupes vampiriques et protéger au moins quelque peu les enfants que Lorenz lançait dans sa guerre contre les peuples encore en vie. Le nombre de vampires assez âgés pour ne plus être appelé des enfants était si bas que s'en était navrant, par rapport à ceux des nouveaux nés qui servaient de chair à canon. Combien d'humains rejoindraient leur rang, lorsqu'ils avanceraient de nouveau vers les villes et les lieux plus habités, nul ne le savait encore. Certains le feraient sans doute de leur plein grès, par attrait ou par peur de la mort définitive, ne voyant que les bons cotés du vampirisme en oubliant trop aisément les mauvais. D'autres seraient forcés de prendre parti, devenu non-mort lors qu'un assaut ou ensuite, dans les cages de fer des prisonniers. Peu survivraient au delà de leur centième année et encore moins ensuite. C'était là la triste réalité.

Il n'en pensait rien, se souvenant de sa propre transformation. Oh oui, depuis le temps les souvenirs lui étaient revenus, difficilement mais ils étaient là. Avant de devenir un suceur de sang il avait été une petite chose sans attrait et désespérément sans avenir. La mort lui avait offert tout ce que la vie lui avait refusé. Il était beau, il était fort, et il avait accès à une connaissance dont il n'aurait auparavant même pas déliré. En vérité, on l'avait tant comblé qu'il semblait que ses partisans le croit capable de remplacer Lorenz. Les fous. Il ne voulait pas devenir seigneur des vampires, l'ancestral tenait parfaitement le rôle, même un peu trop depuis quelques temps...

Non il avait d'autres chats à fouetter. Il avait aussi ses propres buts, des buts dont il ne parlait absolument pas. Et puis après tout, à qui aurait-il put en parler, son fils était mort. Mort ! Tué de la main de Lorenz pour une banale histoire de duel et de prise de pouvoir. L'idée même en était ridicule, comme le plan d'Adryne pour devenir chef. Qu'est-ce qu'il lui était passé par la tête, pour en arriver à cela. Si il avait seulement attendu... attendu qu'il revienne. Il s'en voulait, rien ne servait de le nier, malgré son manque de sentiment il souffrait atrocement du manque qu'infligeait la perte de celui qui avait représenté tant à ses yeux. Son fils, son amant, son élève. Celui qui incarnait son grand espoir. Mort pour rien. Et c'était de sa faute. Si seulement il était revenu plus tôt, si seulement il n'était pas partit même.

Mais cela ne servait à rien, il le savait parfaitement, avec des si il pouvait refaire le monde et ne rien avoir accomplit. Il n'avait pas le temps de penser à tout cela, mais le temps pour un vampire est une chose étrange, surtout après plus de milles ans. Le temps, il le prenait et ne demandait l'avis de personne. Faire le deuil de son fils était une chose qu'il se devait de faire, en silence bien entendu, dans l'intimité de sa mémoire et de son esprit , ainsi personne ne saurait. Il avait horreur des curieux un peu trop invasifs. En apparence, il accomplissait avec diligence et succès tout ce qu'il entreprenait, nourrissant la flamme étrange dans le regard de ses interlocuteurs chaque fois que son regard de lagon pur croisait le leur. De cela aussi, il se serait volontiers passé, mais il n'avait guère le choix. Et puis, si les enfants avaient besoin d'un modèle, il n'avait pas le droit de le leur refuser, quoi que Lorenz paraisse sans doute plus accessible que lui. Il était ce qu'il était, une icône d'or et d'ivoire précieux que la mort avait embelli au point de le parer d'une illusion de vie à la sublime perfection.

L'idée était doucement ironique. On vous enlevez le plus précieux trésor au monde, votre vie, et en échange on vous donnez tout ce qui aurait pu combler le cœur des puissants mais qui n'avait rien de vital : la puissance, la beauté, l'admiration des foules... Il s'en serait bien passé. Mais il était vrais qu'il avait un jour été jeune comme eux tous, et qu'il pouvait comprendre l'attrait que cela représentait pour un esprit qui n'était pas encore emplit de la fatigue des jours anciens. Toutes ces années qui s'écoulaient lentement, trop lentement... et son retour n'avait pas arrangé les choses, il devait bien se l'avouer. Ici, rien n'était comme dans ces grands espaces qu'il avait parcourut durant des années. Tout était si... petit, si étriqué. Il aimait Armanda, mais l'inconnu lui manquait. L'adrénaline était l'une des rares choses qui lui permettait de sortir de sa routine et du carcan de froideur qui enserrait son cœur comme des griffes malsaines. Et sans Adryne pour l'assister...

Un doux soupire lui échappa, faisant s'entre ouvrir ses lèvres délicates. Il n'avait pas besoin d'air, mais la respiration l'aidait à ordonner ses pensées de façon raisonnable. Ainsi, il était certain d'être capable de se concentrer sur ce qu'il attendait. Dès qu'il était revenu il s'était mit en devoir de comprendre exactement les tenants et aboutissants des conflits divers et variés qui avaient lieu à l'heure actuelle. Ainsi, la disparition de Kylian n'était pas passée inaperçue, de même que celle de son bras droit. Quand aux dragonniers, ils avaient eut le plus grand mal à rester en vie. Et lui dans tout ça ? Lui avait un rendez-vous qui n'allait pas tarder à arriver.

« Votre altesse » un vampire entra sous sa tente sans qu'il ne tourne le regard vers lui, vivante incarnation de pensées éloignées. Il ne faisait pourtant aucun doute sur le fait qu'il avait clairement entendu l'injonction « Nous aurions besoin de votre aide»

Cette fois encore un soupire s'échappa de ses poumons inutilisés et il hocha légèrement la tête, faisant scintiller sa chevelure d'or dans la lumière légère du lieu. Le soldat ressortit alors qu'il se relevait sans fioriture et sortait en remontant le tissu de son col jusqu'à son nez, puis suivit le jeune enfant à travers le camp vers l'une des zones d’entraînement où lui et deux autres étaient apparemment en train de s'entraîner au maniement de la magie. Gracieusement, il leur fit la leçon devant un publique aussi silencieux que des tombes. Une fois qu'ils eurent ce qu'ils désiraient il les abandonna à leurs devoirs et sortit du camp sur sa monture sombre pour une petite balade....

La nuit était fraîche et belle, quoi que légèrement nuageuse. Le silence, dans la campagne environnant le camp vampirique, était profond, comme si le monde s'était soudain endormit, apaisé, presque comateux, loin des blessures de la guerre et des souffrances des peuples. Il n'y avait plus trace du moindre vampire après quelques lieux, et de toutes façons, Achroma ne craignait personne. Qui aurait eut l'idée stupide de l'attaquer, alors qu'il était un des meilleurs mages de tout Armanda. Personne. Il exsudait la puissance par tout les pores de sa peau, seule une taupe aurait put raté son aura, sans compté qu'il savait se faire intimidant quand il le fallait. Ce n'était simplement pas ce qu'il affectionnait le plus au monde, le rôle du méchant, comme celui du politicien, était entièrement laissé à Lorenz. Traçant sa route sur la plaine, au pas de son destrier paisible et docile, il suivit sa route en rêvassant sur ses souvenirs des terres inconnues qui l'appelaient encore de leurs merveilles. Que de beautés, dans ce monde de gigantisme où il n'était que poussière au vent, que de mystère ! Mais aujourd'hui, le mystère était sien, et il devait le transmettre aux nouvelles générations de vampires, afin de les aider à progresser et à survivre. C'était le moins qu'il pouvait faire, bien que la conduite de certains vampires un peu plus âgés ne laisse cruellement à désirer d'après lui. Il ne pouvait cependant reprendre l'éducation de tout un peuple à zéro, et n'avait pas assez de temps pour cela, ni l'envie, malgré son altruisme.

Après un moment passé à chevauché il parvint enfin près d'un lac de petite taille, dont la surface lisse luisait sous l'éclat de la lune, renvoyant l'image du disque de lait comme un joyeux contenu dans les tréfonds de l'eau. Il fit arrêter sa monture, descendit dans un murmure de cape, et s'approcha de l'eau en laissant son bâton sur la selle de sa monture. L'eau était très belle, avec cette couleur nocturne qui rappelait le ciel, les espaces infinis où le rêve et la pensée fantasque s'ébattaient librement et sans contraintes, comme de grands dragons majestueux et sans soucis. Il soupira, une habitude qu'il avait souvent prise, même si il n'avait pas besoin de respirer pour survivre. Il retira sa cape, ainsi que sa tunique blanche qu'il accrocha sur la branche basse d'un arbre. Laissant sa tête retomber en arrière dans un chatoiement de cheveux, il laissa l'air caresser son visage avec douceur tout en délivrant sa longue chevelure de son lien de tissu, la laissant retomber tout autour de lui en des vagues lisses et somptueusement soyeuses. Il secoua légèrement la tête, puis retira également sa chemise légère et ses bottes avant de s'avancer dans l'eau, l'étreinte glacé se refermant sur sa peau froide comme une amante affamée. Il s'immergea ensuite totalement, nageant sous l'eau de longues minutes. L'univers aqueux le transportait, éveillait doucement son être ancien à la nature. Avec adresse, il délia son corps comme un prédateur silencieux dans les remous de l'eau avant de remonter à la surface, émergeant de l'eau comme une apparition pâle et fantomatique à la dorure légère, les paillettes l'illuminant. Il replongea, une, puis deux, puis trois fois, restant de très longues minutes sous la surface miroir de l'eau avant de remonter. Puis il regagna la rive et s'y installa après avoir prit l'une des sacoches de selles sur sa monture qui attendait toujours. Il en sortit un ouvrage à reliure rouge, fait de cuir, prit une plume et commença un nouveau récit, inspiré par la baignade qu'il venait de faire.

Au détour d'un mot, il s'arrêta, tourna la tête, puis soupira « Tu n'es pas encore assez discret »

Qu'y avait-il de plus paisible et de plus attractif pour l'esprit d'un conteur que d'écrire ses propres histoires, d’entrelacer les mots comme les mailles délicates d'une tenture pour raconter des événements sortis tout droit de son esprit fertile et imaginatif. Imaginer des univers, des personnages, une morale, une série d'épreuves et des représentations, tout cela relevait de la construction d'un récit complet et attractif. Une histoire pour une histoire ne servait à rien. Il aimait la sensation légèrement rugueuse du papier sous ses doigts, le bruit discret de la plume courant sur la surface vierge, traçant les mots avec la dextérité et la grâce d'un écrivain habitué à l'usage de ces outils. L'odeur de l'encre, discrète mais agréable dans sa simplicité.

La reliure de l'ouvrage qu'il composait était de cuir brun, simple, mais protégeant efficacement les pages fragiles qui contenaient tout son art de conteur. Il avait beau posséder des armes sans pareilles, des bijoux à faire rougir les nobles humaines, ce qu'il avait de véritablement précieux se trouvait dans les pages des livres qu'il avait rédigé, tout au long de son séjour dans les terres sauvages. N'ayant pas le matériel, il avait dû apprendre à fabriquer de l'encre lui-même et à tailler les plumes pour écrire. Les pages, il en avait assez. Et quand cela ne suffisait plus il y avait la pierre et le bois, et la peau des animaux. Même le cuir lui même pouvait servir. Il avait ainsi noircit une dizaines d'ouvrages, dont certains reposaient dans la cachette qu'il avait fabriqué, loin à l'est d'ici. Mais désormais, il n'avait plus autant de temps libre pour pouvoir s'adonner à cette première passion, pourtant primordiale à ses yeux. Il devait écrire comme les êtres vivants devaient respirer, il ne pouvait en être autrement, son esprit était trop impénétrable, trop pleins de pensées infinies pour qu'il les conservent toutes sous forme brute, il fallait un moyen de leur donner corps, et c'était parfait.

Cette nuit là, après tout les événements récents, il sentait qu'il devait coucher sur papier certaines choses, afin d'exorciser un peu du brouillon de sentiment qui s'enroulait autour de son cœur mort depuis longtemps. Et il choisissait ses mots avec un grand soin, laissant son être porter aussi loin qu'il était possible afin d’appréhender au mieux ce qu'il cherchait à saisir. Ce n'était pas simple, mais pas compliqué non plus, c'était simplement précis, comme on peut l'attendre du maillage complexe d'une broderie luxueuse, cela prenait du temps, cela demandait de la concentration, et il s'appliquait au travail avec la rigueur qu'il mettait dans chaque chose. Le cadre était réussit, un paysage sauvage mais non menaçant, dans toute la gloire lunaire que seul peut apprécier un enfant de la nuit. Il se sentait bien, en ce lieu dépourvu de présence vivante, du moins sans présence vivante et pensante. Ici il n'y avait que lui, son esprit et la nature. Et bien entendu, non loin, le petit cœur endormit de la dragonne qui était désormais la sienne.

Elle était restée dans sa tente, bien à l'abri, protégée par des soldats vampiriques dont il connaissait la valeur et la loyauté, afin qu'elle ne craigne rien en son absence. Elle était encore si jeune, si fragile... perdue dans le vaste monde qu'il était chargé de lui montrer, son guide attitré pour le restant de ses jours. Il ne voulait pas aller trop vite, l'impatience n'était pas de ses défauts. Il fallait apprendre à la connaître, dompter leur nouvelle relation... cela demandait du travail, et de l'attention, tout autant que le reste. Devenir dragonnier à son âge, c'était tout autant une surprise inattendue qu'un tour du sort, ou du Dracos. Pourquoi lui, alors qu'il était vieux, désillusionné et qu'il manquait si cruellement d'enthousiasme au quotidien. Pourquoi lui alors qu'il avait déjà parcourut le monde et la vie dans tout les sens possibles et imaginables, qu'il avait vu et apprit tout ce qu'il pouvait voir et apprendre. Qu'avait-il à offrir à cette créature légendaire et sublime, ce petit être appelé à de grandes choses, lui qui n'était ni un chef ni un guerrier, mais simplement un observateur soucieux de son peuple. Qu'est-ce que Silarae avait vu en lui.... il se le demandait, sans trouver de réponse. Et elle était encore si jeune qu'elle ne devait pas en avoir une non plus, si tant est qu'elle en ai une plus tard. Il avait beau tenter toutes les hypothèses, aucune ne semblait convenir. Et elle était là, petite boule d’écailles aux yeux capables de faire fondre une calotte glaciaire. Il était honoré, quoi que perdu.

Finalement, il sortit de sa contemplation des pages pour s'assurer qu'il n'était pas suivit, et justement...il l'était. De ses yeux de lagon pur et miroitant il observa le jeune vampire qui s'avançait vers lui et s'imposer à sa compagnie sans même demander son avis.

« Je ne le savais pas. Je me suggérait simplement que Lorenz avait put me faire suivre. Est-tu mandé par lui, ou bien était-tu simplement curieux ? »

Ce vampire. Il l'avait vu, quelques fois, de loin. En compagnie d'un haut nocturne aux idées et à la façon d'être douteuse. Klodiunë, c'était ça. Il réprouvait fortement son comportement, et n'avait pour ce personnage veule et vain qu'un souverain mépris, chose difficile à accomplir lorsqu'on connaissait le caractère bienveillant de l'aîné vampirique. Et pourtant. Ils n'avaient pas eut l'occasion de discuter, dans le cas contraire Achroma l'aurait sans doute vivement réprimandé. Quand à cette petite ombre ci, Keldrildan, c'était ça ? Il lui semblait que c'était ça. Il ne le connaissait pas, ne l'avait pas vu auparavant, mais en revanche lui semblait le connaître. Rien d'extraordinaire bien entendu, du moins avait-il une approche totalement différente des autres vampires. D'un mouvement aussi vif que celui d'un serpent il attrapa la dague alors qu'elle allait retomber dans les mains délicates de son propriétaire et décocha un regard inquisiteur quoi que parfaitement courtois vers le roux, son regard le perçant comme si il était capable de lire dans son cerveau. Un bref instant, le silence régna alors qu'il traçait le contour de l'arme d'un doigt. C'était une arme simple, un peu comme son propriétaire. Il la lui rendit.

« Et que voulait-tu exactement ? Tu ne m'auras pas suivit pour rien n'est-ce pas. Que puis-je faire pour toi enfant ? »

C'était vrai, si il avait eut une demande commune, il aurait très bien put la faire devant n'importe qui d'autre et se la voir accordée, il devait avoir une bonne raison pour avoir décidé de le suivre jusque là « Je me suis éloigné pour obtenir un peu de tranquillité. Si tu as vraiment quelque chose à obtenir de moi nomme le, mais je ne souffrirait pas une telle nervosité à mes cotés, c'est un lieu de calme ici sache le » Il leva une main et la posa sur l'épaule frêle de l'autre vampire pour l'apaiser et lui transmettre sa plénitude. Et il plongea son regard tout au fond des prunelles vertes qui lui faisait face...

Encore un. Un autre qui l'admirait. N'était-ce pas fatiguant, à force, de s'émerveiller sur sa personne. N'était-ce pas fatiguant, de relever les yeux vers lui, comme si il était l'incarnation de la perfection absolue ? Il avait ses propres défauts, ses propres faiblesses. Comme n'importe qui d'autre. Tout les individus, vivants ou non, bons ou mauvais, avaient des faiblesses, des faiblesses, des secrets et des mystères inavouables. Tout le monde avait un squelette dans son placard, pourquoi devait-on toujours chercher à le placer au dessus de tout, sur ce piédestal qu'il ne méritait absolument pas. La beauté, le pouvoir, ça ne voulait rien dire, au pire, cela laissait encore davantage de place à l'échec réel en nourrissant l'illusion d'un paraître invincible et sans tâches. Qu'importe qu'il soit beau ou puissant, il avait abandonné son fils, au pire moment, et il n'avait même pas été capable de le venger, d'honorer sa mémoire correctement. Il avait laissé Lorenz amasser le pouvoir, prendre la tête des vampires... lui n'avait jamais tenté, n'avait jamais été intéressé par la politique. C'était lui, autant que l'ancestral, qui avait passé Adryne au fil de l'épée. Et cela le détruisait de le savoir, même si, désormais il pouvait passer du baume sur ses plaies grâce à sa dragonne.

Mais peu importait. Il avait un cas spécial sur les bras. Très, très spécial, même. Et pas dans le bon sens. Qu'est ce que c'était que ces histoires d'appartenance et de manipulation ? Il était tombé dans la cinquième dimension ? Ouvrant de grands yeux sans pouvoir s'empêcher d'afficher la surprise qu'il ressentait il finit par se reprendre, après un bref instant de flottement, et haussa un sourcil il reposa son ouvrage sur le coté, en caressa un bref instant la couverture, puis se releva sans rien dire à l'enfant, récupérant sa longue tunique pour s'en couvrir, faisant disparaître sa silhouette dans les plis ondoyant de la tenue irisée comme une perle marine. Il remonta le col sur sa gorge blanche qui portait encore, comme un tatouage grossier, les marques de dents du vampire qui l'avait transformé. Puis, enfin, il se tourna pour observer le vampire, s'approcha et se planta devant lui, lui attrapant le menton pour le forcer à regarder dans ses yeux à la couleur plus profonde.

« Enfant, tu vas m'écouter » Et dans ses paroles se logeait toute son autorité de vampire millénaire

« J'accorde énormément d'importance aux êtres qui m'entourent. A mes yeux les individus ont, tous autant qu'ils sont, des droits et une dignité. Posséder un être est une violation pure et simple de l'honneur et de l'intégrité d'une personne et je ne souffrirais jamais que quelqu'un possède un autre être quel qu'il soit et ce peu importe la raison invoquée. Toi, comme n'importe quel autre, tu n'as pas à être considérer comme un objet ou un animal. Personne ne doit ' t'avoir ' comme tu sembles le penser , car personne n'en a le droit, moi y comprit, si jamais une pensée aussi invraisemblable prenait naissance dans mon esprit. Je te considère comme ce que tu es, un de nos fils, un jeune vampire prometteur. Et c'est tout. Et si comme je le pense, c'est cet imbécile de Klodiunë qui t'as mit de pareilles absurdités dans la tête, alors je vais devoir avoir une longue conversation avec lui, à défaut de pouvoir le corriger comme l'arrogant parvenu qu'il est. Quand à toi, ne te prierait de ne plus jamais... jamais, m'attribuer le statu de manipulateur. Je te pardonne cette fois car nous nous connaissons à peine, mais je ne serais pas aussi compréhensif, la prochaine fois. Si il y a bien une chose que je ne supporte pas, c'est la manipulation » Il relâcha son menton, l'observa comme si il le disséquait, longuement avant de prendre de nouveau la parole

« J'ai l'impression que tu as besoin de quelqu'un pour t'éduquer correctement, enfant... Pour te donner un peu d'amour propre et de dignité »

Il se détourna, prit son livre et siffla son destrier, rangeant l'ouvrage relié de cuir dans une des poches de selle avant de délier les nœuds dans ses cheveux. Pourquoi semblait-il que, depuis son départ, les vampires se comportaient comme de véritables bêtes sans intelligence et sans le moindre avenir. Qui étaient-ils ? Des goules dépourvues de raisons ? C'était navrant

« Dit moi, jeune vampire, quel est ton métier ? À quoi sert-tu, dans cette guerre ? »

Chacun avait un rôle bien à soit. Lorenz avait celui du maître de guerre, lui celui de nouveau dragonnier vampirique et fer de lance prochain de l'armée... Et ce bien malgré lui. Si on lui avait demandé son avis, il aurait préféré que Silarae ne soit jamais confrontée à l'horreur de la bataille et de la guerre, aux morts, à la douleur et à la peur. Mais on ne lui demandait pas son avis, il devait aider son peuple qui n'avait plus de dragonnier pour le moment. Il aurait apprécier de connaître l'identité de l'autre vampire qui avait eut la chance d'être fait dragonnier. Il aurait eut, sans aucun doute, des conseils à obtenir de lui. Quand à Keldrildan, il avait vraiment besoin, lui aussi, d'un peu d'éducation....

Il ne s’intéressait absolument pas à ses protestations, en effet. Pour la simple, mais bonne, raison qu'il était persuadé d'avoir raison, et qu'à se titre, peu importait ce qu'en disait le gamin, il ne reviendrait pas sur sa décision. Pourquoi d'ailleurs le ferait-il puisque, justement, il avait totalement raison. Il savait mieux que lui ce qu'il disait, tout de même. Il avait plus d'expérience, plus d'intelligence. Oui ! Il n'était pas narcisse, mais il reconnaissait tout de même que le rouquin manquait cruellement de jugeote. Et il le prouvait avec chaque nouvelle phrase. Dans un monde où la fourberie était de mise, l'idée même qu'il puisse exister autre chose que la manipulation et le vice disparaissait. C'était vrai, tout simplement, le plus simplement du monde, d'ailleurs. Tout ces êtres veules, flatteurs, bouffis d’orgueil mal placé, de mépris d’autrui et d'une ambition sans mesure ne parvenaient même plus à imaginer que quelqu'un puisse se comporter différemment, puisse avoir encore un peu de noblesse et de dignité. Ils voyaient le mal partout, quand aux conspirations, mieux valait ne pas en parler, car c'était encore pire. À croire que, pour eux, le monde se limitait à cela, et tout ce que les autres pouvaient bien dire était forcément une attaque contre leur petites personnes insignifiante. Il était donc presque trop simple, de les manœuvrer. Puisqu'en bonnes taupes ils cherchaient quelque chose qui était mit sous leur nez sans la moindre prétention de le dissimuler. Les nouveaux vampires étaient des bêtes sauvages sans intelligence, à son grand désespoir, qui étaient incapable de mettre au point une tactique correcte. Le pire, c'était sans doute que certains parvenaient à cumuler les deux, aussi étrange que cela puisse paraître. Et il semblait d'ailleurs que Kedrildan soit l'un de ceux là.

Pas impressionné pour un sous par le petit monologue enflammé de la tête de cuivre, il croisa les bras et arqua un sourcil blond en le voyant hésiter. Bien, il répondait à la question et à la réponse en même temps, si ça n'était pas beau à voir... et bien oui, si, comme il le disait, la manipulation et la traîtrise étaient les maîtres mots, comment se faisait-il qu'il soit encore là, pauvre hère perdu, à soupirer aux basques d'un être qui ne daignerait pas même lui adresser un simple regard quand il giserait, brisé, dans la fange noire et poisseuse de sang du champ de bataille, après une amère défaite. Parce qu'il n'y avait aucune illusion à avoir, jamais Lorenz ne le verrait autrement que comme un outil utile, de la chair à canon comme tout les autres. Bien entendu, lui n'était pas mieux perçu, mais il s'en fichait pas mal, puisqu'il haïssait l'ancestral de tout son être et qu'il désirait le tuer, chose que seule Silarae savait. Ah ! Rien que d'y penser et ses veines mortes bouillaient comme des volcans.

« Tu n'es pas doué à grand chose, tu le dis toi-même. Et pourtant tu suit ce que tu dis être la voie du monde vampirique. Personnellement je n'ai jamais vu personne parvenir à ses fins en se contentant d'être n'importe qui. Une image fugace dans la foule de tout les courtisans écervelés qui piailles à ses basques en espérant se faire remarquer. Le tout n'es pas d'être sous estimé, mais mésestimé »

Il se désintéressa une nouvelle fois de lui. Oui, le tout n'était pas d'être prit pour un moins que rien, mais de troubler l'adversaire pour qu'il ne sache pas exactement à quoi s'attendre de votre part. Et pour cela, il suffisait d'être l'inverse exacte de ce qu'on attendait de vous. Il se souvenait de Velours et Ciel, les jumeaux vampiriques qu'il avait rencontré lors de sa jeunesse de non mort, et qui passaient leur temps à s'inventer de nouvelles personnalités. Des êtres changeants, fantasques, mais d'une force incroyable. C'était d'eux qu'il avait apprit à se servir de ses dons, et d'eux également qu'étaient venus ses premiers contes. Une véritable source d'inspiration que ces morts fabuleux et hauts en couleur. Beaucoup plus appréciables, bien que cruels, que les vampires dont il était entouré maintenant. La différence était énorme puisqu'il avait la sensation de comparer une maigre vaguelette de terre à une gigantesque montagne. Sans aucun doute, les jumeaux n'apprécieraient pas ce que faisait Lorenz avec les leurs.... et ce qu'il faisait, lui ? Il n'en savait rien. Peut-être désapprouveraient-ils également ses méthodes. Il ne pourrait le savoir sans aller les voir, mais où se trouvaient-ils à l'heure actuelle, il ne savait pas, nul ne le savait d'ailleurs.

« Oui tu as bien besoin d'un peu d'éducation. Ne serait-ce que pour te démarquer des autres. En l'état, tu n'arriveras à rien. Tu ne survivras pas longtemps, tu n'auras jamais une place bien à toi. Quand à Lorenz... je n'en dirais rien. Mon avis à son sujet ne regarde que moi » Il secoua la tête

« Tu n'es bon à rien uniquement parce que tu te complaît dans cette idée... et parce qu'un imbécile sans caractère s'est servit de toi comme faire valoir pendant trop longtemps » Sévère, il le toisa soudain de ses yeux de glace « Tu veux être quelque chose ? Tu veux avoir une chance de réaliser tes souhaits ? Alors devient quelqu'un, au lieu de vomir les idées toutes faits que la masse t'impose »

Il observa le cheminement des pensées du jeune vampire sans marquer l'affaire de la moindre expression. En réalité, il ne doutait pas un instant de la réponse. C'eut-été un monde, si il n'avait pas crû lui-même à son pouvoir de persuasion ! Il avait peut-être des lacunes dans certaines disciplines, comme la manipulation, mais il tenait cependant honorablement son rôle lorsqu'il s'agissait de convaincre son entourage qu'il détenait la solution. Mais il n'avait pas de raison d'affirmer cela à voix haute, ça casserait complètement l'effet de ses précédentes paroles. Il valait mieux que Kedrildan parvienne lui même à la conclusion qu'il possédait lui-même. Cependant, lorsque il le vit baisser les yeux un éclat de mécontentement parcourut les siens et ses lèvres fines se pincèrent légèrement. Ah mais ça n'allait pas du tout, il ne voulait en aucun cas de sa soumission.

*Pourquoi doivent-ils toujours voir le monde en blanc et noir ? Je ne veux pas de lui comme d'une serpillière mais comme un individu doté d'un minimum de sens commun. Oui, peut-être n'en a-t'il aucun... * Adryne n'avait jamais eut à se comporter ainsi. Jamais il n'avait été rabaissé, durant son entraînement, car ce n'était absolument pas ce qu'il cherchait à accomplir. Le but de son ' dressage ' était de transformer un pathétique esquif en navire capable d'affronter les pires tempêtes. Certainement pas de soumettre qui que ce soit. Il étudia le visage du vampire méfiant en face de lui alors que celui ci relevait le nez pour lui adresser la parole. Il était ravis de le voir enfin se ranger à l'avis de la sagesse, mais tout de même.... pourquoi devrait-il vouloir quoi que ce soit de lui ? Il n'était pas un vulgaire marchand pour avoir envie de marchander un retour à ses services. En fait, c'était presque à lui de payer pour éduquer le gamin, étant donné le malaise que ses manières lui apportait. Il était cependant d'une autre sorte que le vampire d'ivoire qui avait été son fils et compagnon. Ce n'était pas la même chose, ils n'étaient pas fait du même bois. Pas de la même trempe. Adryne était un prédateur redoutablement complexe et tortueux, Kedrildan était.... et bien il ne trouvait pas encore le mot exacte pour définir une telle énergumène.

* Dracos me garde, il semble que je sois destiné à entretenir des relations avec les êtres les plus étranges du continent. J'espère simplement que je n'aurais pas à avoir un débat avec lui chaque fois que je lui demanderais quelque chose * Secouant la tête, il eut un fin sourire

« Je finirais presque par me vexer que tu me compares au reste de ce monde. Ne l'as-tu pas dit toi-même ? Je ne suis pas comme vous autres. Mais si tu insiste pour que je te demande quelque chose et bien ce sera une unique chose : Que tu me fasse confiance, même si, de prime abord, ce que je dis ne semble pas avoir de sens pour toi. Je sais parfaitement ce que je fais » Il se pencha légèrement pour venir le regarder dans les yeux, à quelques centimètres de son visage

« Comprend moi bien, je te propose une éducation telle qu'aucun autre ne pourrait mieux faire. Je ferais de toi un être paré pour affronter n'importe qui, du moment que tu te sers de ton intelligence. Oh tu en as, je t'assure, tu ne t'en sert tout simplement pas, mais ça viendra » Il se redressa, caressant la joue du jeune vampire avec affection avant de se détourner « Je rentre au camp. Tu n'auras qu'à venir me voir, lorsque tu désireras commencer ton apprentissage » Il monta sur le dos de son destrier qui hénit doucement et lui caressa l’encolure avant de couler un regard amusé à son nouvel apprenti * Un apprenti, moi qui pensait ne plus jamais en avoir un. J'espère au moins qu'il me fera honneur et qu'il n'ira pas se jeter dans les griffes de Lorenz, celui-ci *

« Sauf si tu désirs monter avec moi... » Il retint un gloussement en voyant Kedrildan le rejoindre et sauter en selle derrière lui. S'assurant que le jeunot était bien accroché il fit avancer sa monture et prit la direction du camp, au pas....