Pourquoi est-ce que tout allait toujours de travers ?
Jusque là il avait repoussé cette pensée pessimiste de toutes ses forces. Certes il était né dans un monde au bord de la guerre et plongé dans la souffrance causée par la lente extinction de la magie. Bien sur il avait ressenti dès sa sortie de l'oeuf la lutte intérieur féroce qu'avait mené son dragonnier qui en réalité n'avait absolument pas l'envie d'en devenir un et de se lier à la pelote d'écailles maladroite qu'il était à ce moment là, que ça ai changé ou non depuis le dragon noir ne pouvait s'empêcher de parfois s'en vouloir d'avoir ainsi bouleversé l'existence de son lié. Serait-il plus heureux si cela n'avait pas été le cas ? Sans doute n'aurait-il pas été capturé par les Elfes et retenu en leur royaume contre sa volonté, condamné à mourir de faim. Bien sur il aurait tout de même était rejeté par les humains si il lui avait prit fantasie de traverser Aldaria comme il l'avait fait avec Shaynar et toute la compagnie, mais au moins il n'aurait pas eu à se retrouver au beau milieu de deux dragons fous de rage (enfin surtout lui en fait !) et n'aurait pas été blessé en tentant de les séparer. Peut-être aussi n'aurait-il pas eu à combattre pour Lorenz, il aurait pu s'enfuir avec beaucoup moins de conséquence puisque comme il le lui avait expliqué il n'était alors absolument pas important pour lui. Lié à un dragon il était devenu une recrue indispensable et déserter l'armée vampirique était devenu bien plus dangereux, pour ne pas dire suicidaire. Et surtout, surtout il n'aurait pas été envoyé faire cette mission dangereuse qui s'était terminée de si terrible façon. Oui en somme tout était de sa faute, il n'avait été qu'un boulet qu'Eliow avait dû trainer dès son éclosion et qu'il ai fini par s'attacher à lui ne changeait rien, absolument rien. Il était couché, gravement blessé encore une fois et même si proche des portes de la mort (véritable ce coup-ci) qu'il avait fallu le plonger dans un sommeil magique pour lui permettre de survivre. Dire que Shaynar s'en voulait était un euphémisme.

Il était rentré quelques nuits plus tôt après un départ en catastrophe lorsque Eliow à bout de force était parvenu par miracle à se hisser sur son dos avant de perdre connaissance. Dès lors le dragon avait volé, manquant se tuer plusieurs fois alors qu'il s'endormait en vol vaincu par la fatigue mais une volonté farouche l'animait, la peur aussi. Une peur si puissante qu'elle en devenait iréelle, il avait vu la blessure béante et le sang qui tâchait la tunique du vampire, il avait vu la mort dans ses yeux, non pas celle qu'il y croisait chaque jour non, une mort plus présente, ricanante... Fou de terreur il avait volé, volé et encore volé traversant les territoires à une telle vitesse que les Armandéens en bas ne distinguaient de lui qu'une trainée floue. Son objectif s'affichait en lettre de feu dans sa tête, le campement principal des vampires. Ce campement où devait se trouver Meri, pourvu qu'il y soit n'avait-il cessé de penser... Il saurait quoi faire, il maitrisait une magie différente, plus douce et que Shaynar sentait instinctivement faite pour soigner. Et si cela ne marchait pas ? Alors il était décidé à attraper Lorenz par le haut de sa tunique et à le secouer jusqu'à ce qu'il accepte de soigner Eliow, certes sa magie était très loin d'être vraiment liée à l'art de la guérison mais il avait d'immenses pouvoirs, il y arriverait c'était sur. Le plus difficile serait de le convaincre mais pour cela Shaynar ne s'était à aucun moment inquiété, il était prêt à tout et puis Eliow était bien dragonnier du peuple vampire non ? Ils avaient besoin de lui, Lorenz avait besoin de lui. Si il avait été blessé c'était aussi et en partie de sa faute à ce peuple qui ne songeait qu'à batailler encore et toujours. Non pas que Shaynar s'en plaigne vraiment, il n'avait rien contre la guerre qui était un passe temps comme un autre mais il sentait bien qu'Eliow n'était pas du même avis.

Quelle sensation il avait fait en arrivant... Il lui avait fallu une nuit et une journée entière pour dénicher le campement que l'on avait déplacé un peu plus à l'ouest. Incapable de faire mieux il avait contacté directement le Baptistrel et le chef vampire avant de s'écraser purement et simplement au beau milieu des tentes et des vampires ahuris.
La suite était nébuleuse dans l'esprit du dragon, des cris, quelques lamentations mais aussi des regards satisfaits de quelques vampires qui n'avaient pas vraiment apprécié de ne pas être choisi comme dragonniers. Shaynar était bien trop abasourdi et épuisé à ce moment là pour s'en occuper, il avait à peine senti que l'on descendait le corps flasque de son dos, il avait prit juste le temps d'effleurer l'esprit de son lié pour vérifier qu'il était encore en vie avant de perdre à son tour connaissance. Il n'avait jamais été aussi loin dans l'épuisement et plusieurs jours de repos complet lui furent nécessaires pour récupérer en partie ses forces, jours qui furent une torture d'ailleurs car on les passa à essayer de sauver Eliow, au final on ne pu que le plonger dans le sommeil pour lui éviter des souffrances supplémentaires et pour aider son corps à se régénérer. Combien de temps cela mettrait-il ? Des jours, des mois, des années ? Nul ne le savait.

*Je l'attendrais"*

Cette pensée farouche l'accompagnait lorsqu'il décolla sous le regard réprobateur de Lorenz qui ne fut toutefois pas assez bête pour tenter de l'en empêcher et sous l'oeil attristé du Baptistrel qui semblait en bien piteuse forme depuis le retour de ses deux compagnons. Shaynar n'avait toutefois pas la force nécessaire pour tenter de le consoler, il avait trop à faire avec lui même et avait un besoin viscéral d'être seul.

C'est ainsi qu'il avait prit son envol, traversant lentement l'empire humain d'est en ouest jusqu'à presque frôler la frontière Elfique. Que cherchait-il ? Il ne le savait pas trop pour tout dire, avait-il envie de mourir ? Peut-être bien... Peut-être que cela aiderait Eliow de sentir qu'il n'avait plus aucune obligation envers lui... Ou peut-être que cela l'achèverait, allez savoir ! Shaynar préférait ne pas y réfléchir, sa tête était vide depuis son retour, mortellement vide en fait depuis qu'il ne sentait plus l'esprit d'Eliow mêlé au sien. C'était... Douloureux. D'une douleur étrange qu'il serait bien incapable de décrire mais le mot était le bon, une douleur incommensurable. Et le pire était qu'il ne pouvait en parler à personne, personne ne pouvait le comprendre, pas même Merithyn... Il était seul, seul dans un monde qu'il comprenait encore mal et qu'il avait toujours vu à travers les yeux de son dragonniers plutôt qu'à travers les siens. Il ne l'avouerait sans doute jamais mais le fait était que cela l'effrayait. Où était donc celui qui l'avait guidé à contrecoeur ou pas depuis sa naissance ? Celui qui lui avait expliqué les mystères de cette existence, la haine entre les vampires et les autres, le nom de chaque chose et la façon dont elle s'agençait avec le reste, le fonctionnement des peuples, le goût du miel aussi et tant de petites choses plus ou moins utiles qui faisait à présent de Shaynar ce qu'il était à ce jour. Il ne le comprenait que maintenant mais malgré sa mémoire ancestrale il s'était en grande partie forgé sur l'exemple et les enseignements de son dragonnier, sans lui il n'était plus que la moitié de lui-même. Sans lui, il n'était plus qu'une ombre...

Son coeur se serra en repensant à tous les souvenirs qu'il partageait avec Eliow, ces moments si doux et qui n'appartenait qu'à eux, les disputes aussi, les piques et les plaisanteries. Par le Dracos, jamais il n'avait été aussi seul. Jamais il n'avait eu aussi mal, aussi envie de rabattre ses ailes d'un seul coup et de se laisser tomber du haut du ciel afin de ne plus jamais ressentir ce manque. Il ne pouvait pas toutefois, Eliow pouvait encore se réveiller et il faudrait qu'il soit là. Il serait là. Mais en attendant, il avait mal...
Sa peine menaçait de le faire exploser en plein vol alors il fit la seule chose qui lui vint à l'esprit, ouvrant sa gigantesque gueule il lâcha un rugissement atroce, savant mélange de peine, de douleur et de rage contre le monde. L'air en vibra à des kilomètres à la ronde et nombres d'humains durent sans doute se terrer, terrorisé à l'idée de croiser la créature capable de jeter un cri si horrible. On l'aurait dit à l'agonie, il y avait un peu de cela en fait lorsqu'il y réfléchissait...
Il se laissa descendre lentement, inutile de chercher à vaincre sa fatigue à présent. Le sol trembla lorsqu'il se posa et se laissa tomber sans douceur au milieu des fougères. Il allait dormir là, en plein milieu de la plaine et gare à celui qui oserait venir le déranger. Il était fatigué, déprimé, de fort mauvaise humeur et force lui était de constater qu'il avoisinait à présent la taille d'une petite habitation humaine. Dans ces conditions il y avait bien peu de chance pour qu'un humain soit assez fou pour l'approcher... Non ? Ah dracos, il n'avait pas pensé aux Elfes...

Et une elfe qui n'avait ni peur des dragons et encore moins des conséquences d'une rencontre importune avec ce dragon.

Lyroë avait quitté quelques jours plus tôt, l'humaine qui l'a tira du charnier de l'ancien camp vampirique. L'elfe était éteinte, le visage blême, les trait sans expression. Elle n'était plus que le pale reflet d'elle même. Une vie sans vie. Elle allait là où on lui disait d'aller, elle marchait, remontait sur le cheval. Plus rien n'avait d'importance à ses yeux. Cymbor n'était plus là. Et le vide qu'il laissait était encore plus immense que la taille du dragon. Son cœur ne sentait rien, il battait à peine. Elle n'avait goût à rien. De toute façon, elle ne pensait à rien. Juste à Cymbor.

Leur rencontre, quand l’œuf ramené par Mery trônait dans les grands bois, où chaque elfe se devait de le toucher. Elle l'avait fait sans conviction. Cymbor, lui, en eut en elle. Il l'avait choisit. L'archère ne comprenait pas pourquoi. Pourquoi elle ? Elle aimait sa vie de guerrière au service de sa majesté. N'être lié qu'à son devoir, servir et honorer son rang, son art, l'arc. N'avoir personne à ses crochets et seulement aller là où on avait besoin d'elle. Aider son peuple. Voilà ce qui la rendait fière.
Mais avoir un dragon lié à soi. Lyroë n'avait jamais eu personne. Elle prenait bien soin de ne pas le faire. Car elle savait que les départs étaient trop douloureux.
Et lui la choisissait, il ne pouvait le faire avec un autre elfe bien plus méritant ? Surtout que maintenant, on lui devait une sorte de respect qu'elle ne méritait pas, qu'elle ne voulait pas, et en plus l'attention serait sur elle, constamment. Rien de pire pour la discrète Lyroë.
Mais Cymbor avait vu en elle des qualités insoupçonnées. Elle ne comprenait toujours pas. Car elle ne les voyait toujours pas. La preuve. Elle avait mené à la mort son dragon. Il lui avait fait confiance et elle, elle l'avait tué.

En grandissant, il avait essayé de lui montrer. De la sortir de sa rigidité de penser, de voir les choses. Il cherchait constamment à la tester, la mettre en avant. Qu'elle méritait ce statut qu'elle contestait, et ce regard, cet égard qu'elle appréciait pas. Au final, elle avait fait avec, en s'en moquant. Elle était elle et Cymbor juste une partie d'elle. C'était lui qui devait avoir le respect de tous, pas elle. Qu'avait-elle fait pour ça ? Pas grand chose.
L'elfe n'était pas un dragon, l'essence même de la vie sur Armanda. Elle en était juste la gardienne. Mais elle avait échoué. Elle l'avait tué.
En cherchant à aller au delà des apparences le dragon blanc avait protégé et mis en avant sa dragonnière. Il avait un idéal, le même que le sien, même si ils n'étaient pas d'accord sur les termes. Mais le but final était le même.

Tout deux libres, esprits et corps liés, mais chacun désirait garder son champ d'action. Au final, le dragon blanc comprit ce désir farouche de l'elfe de mener ses actions comme elle l'entendait. Après tout, il l'avait aussi choisit pour ça.
Et elle, elle l'avait tué.

Son ignorance, son entêtement, voilà ce qui réduit Cymbor au silence. Et maintenant qu'allait-elle devenir ?
Plus rien. Elle n'était rien. Son âme sœur, celui qui l'a faisait avancer n'était plus là.

Elle quitta l'humaine, lui laissant l’œuf. Après tout, elle le lui avait confié, et elle l'avait sorti du camp. Et vu ce que Lyro avait fait du dernier dragon qu'elle avait auprès d'elle, il valait mieux que l'humaine le garde. Les humains en auraient bien plus besoin. Et l'elfe ne voulait plus entendre parler d’œufs, de dragon. Elle avait tué le sien.

Lyroë rentrait vers les grands bois, mais pas chez elle. Elle n'y retournerait pas. Plus. De toute façon, les elfes savaient qu'elle avait échoué. Qu'elle «était fautive de la mort de leur dragon, de son dragon. Une honte, une disgrâce pour elle. Mais elle s'en moquait. C'était pire. Elle n'était que morte-vivante.

Elle avait marché sans but, juste vers ses bois. Dans cet univers où elle s’était toujours sentit libre, vivante.
Elle approchait l'ouest du pays. Un dédale de chemins et le soleil ou la lune pour se guider. L'elfe les suivait tel une ombre. Heureusement, elle ne croisait personne. Elle aurait pu être mauvaise. Mais en avait-elle la force ? Elle se portait à peine. Sa force, elle la trouvait dans sa volonté à se laisser aller dans ses bois. Son idée fixe. Rester là bas et après, le Dracos déciderait pour elle. L'elfe ne ferait rien.

C'est à ce moment que le Draco lui envoya un signe. Enfin, si l'ironie était de mise. Il lui envoya plutôt une autre malédiction.
Le dragon noir se retrouva face à elle après un atterrissage qui fit trembler ses pieds. Lyroë leva la tête et vit le chaos de sa fureur. S'en était -elle aperçu avant ? Peut être, son esprit lui jouait des tours. Des absences, des faiblesses. Qu'importe ! Elle avait tué son dragon.

Elle se stoppa, le fixant. Il avait grandit. Il était seul. Voilà les seules constatations qu'elle put faire.
Le visage défait, elle restait là planter face à lui, comme si elle attendait qu'il parte de son chemin, même si elle pouvait largement passer. Puis lui vint l'idée de se venger en prenant aux vampires luer dragon. Mais sa souffrance et son inertie l'en empêcha. Ou bien ce fut la dernière image de Cymbor.

Il venait à peine d'atterrir et se couchait pour entamer son somme lorsque une vision désagréable s'imposa à lui. Aussi surprit qu'ulcéré, il bondit sur ses pattes pour faire face à la menace, tout crocs dehors. Non mais vraiment, était-il maudit décidément pour toujours attirer les ennuis ? Combien de chance sur un million y avait-il pour qu'il tombe sur elle dans tout Armanda ? Très peu mais bien évidemment il fallait que ça lui arrive, il n'y avait que lui, Shaynar, pour avoir autant de malchance.
Il gronda, tapa le sol de sa patte avant, agita furieusement la queue bref ! Il lui fit le grand numéro de Dragon en colère dans l'espoir bien futile de la voir déguerpir mais après tout il commençait à la connaitre et il ne fut qu'à moitié étonné de voir qu'elle ne bougeait pas d'un pouce, simplement figée là, l'observant d'un oeil vague.

Il se figea donc à son tour, les naseaux fumants et les écailles dressées. Tiens, cela lui rappelait quelque chose ça... Même si à ce moment là il ne fumait pas encore des naseaux... La transperçant de ses yeux flamboyants, il projeta avec force son esprit vers le sien, oublieux de toutes les règles de bienseillance, d'ailleurs comment aurait-il pu faire autrement sans son dragonnier ?

"Ne t'y trompes pas Elfe ! Je ne suis plus un dragonnet juste sorti de l'oeuf et je n'aurai aucun scrupule à te broyer sous mon poids."

Pour appuyer ses dires, il se redressa encore, la dominant de toute sa taille dans une tentative d'intimidation typiquement draconique. L'idée lui vint un peu tard qu'elle devait très bien connaitre les manoeuvres de sa race et ne s'y laisserait pas tromper. Méfiant, il sonda les alentour de son esprit :

"Où est ton lié ?"

Là il ne comprenait pas, un dragon ne laisserait jamais sa dragonnière en tel danger sans intervenir dans la seconde. Shaynar n'avait jamais très bien compris ce drôle de Dragon qu'était Cymbor mais de ça au moins il était sur, il aimait sa dragonnière et la protégeait au moins aussi férocement que lui Shaynar, protégeait son dragonnier. Ne restait plus au grand dragon noir qu'à espérer que son frère blanc aurait eut plus de chance et se serait montré un peu plus efficace que lui, parce que de son côté il ne pouvait pas vraiment se vanter des résultats !

Flaîrant que quelque chose n'allait pas, il l'observa plus attentivement, approchant son museau de son visage non sans renâcler. N'allait-elle pas lui tirer un de ces sales petit bâton pointu qui se cassait sur les écailles en les rayant atrocement et qui déchiraient les ailes ? Qu'elle essaye seulement tiens... Mais pour tout dire elle ne bougeait pas vraiment et ne semblait pas décidé à se défendre. Elle était comme... Résignée oui... Résignée et défaite, le visage pâle comme la mort et les yeux égarés. Dans un élan de perplexité, il souffla bruyamment par le nez, soulevant les cheveux de l'elfe de son souffle chaud. Par le Dracos ! Elle était au moins aussi déprimé que lui...

Un mauvais pressentiment s'insinua dans son coeur, il avait bel et bien ressenti un déchirement dans la magie il y avait peu de temps de cela mais il se trouvait très loin du côté du désert à ce moment et il était bien trop profondément enfoncé dans son chagrin pour s'intéresser au monde. Il recula à nouveau pour s'accroupir souplement dans une position plus confortable, les rubis de ses yeux toujours plantés dans le bleu de ceux de l'Elfe. Il répéta, l'esprit mal assuré :

"Où est-il ? Pourquoi Cymbor n'est-il pas avec toi ?"

Avec bien plus de douceur cette fois-ci, il effleura l'esprit de l'Elfe et ressenti la douleur. Cette douleur que lui-même ressentait profondément. Comme piqué au vif, il retracta son esprit à toute vitesse et lâcha un rugissement mauvais :

"Je ne le crois pas, ce n'est pas possible. Tu cherches à me pièger n'est-ce pas ? Il est allé chercher des renforts pour me capturer encore, ou pire ? Il est comme toi décidément, une association fourbe et lâche, ah ça il t'a bien choisit c'est certain !"

La terre trembla alors qu'il martelait à nouveau le sol de ses pattes, apparemment sur le point de la dévorer toute crue. Comme toujours face à une réalité qui lui déplaisait, il se laissait aller à la colère dans l'espoir qu'elle effacerait tout. Une seconde seulement il eut la brève vision d'Eliow, secouant doucement la tête avec autant de tendresse que de réprobation devant le comportement de son lié. Clignant des yeux, le dragon noir se figea à nouveau, aussi penaud étrangement que si son dragonnier avait réellement été présent.

"Je... C'est faux n'est-ce pas ? Il est en vie, quelque part ? Il a simplement été séparé de toi quelque temps ?"

Sa question était une supplique plus qu'une véritable interrogation. S'il te plait, s'il te plait songeait-il, dit moi que je ne suis pas le seul dragon survivant sur le continent... Dans ses yeux se disputaient la peine, la peur et l'incompréhension de l'enfant qu'il était encore et qui se retrouvait tout à fait seul dans un monde qu'il comprenait mal. Seul dragon encore vivant, il aurait sans doute épanché son chagrin dans le coeur d'Eliow, seul dragon vivant et coupé de son dragonnier alors là il allait très certainement sombrer dans la folie avant la fin même de la saison....

Est-ce que Lyroë avait peur ? Sans doute au plus profond d'elle, mais elle était tellement amorphe et sans réaction que ses yeux cillèrent à peine quand le dragon se braqua en fureur face à elle.
Même si l'ancestrale créature était bien plus impressionnante que dans ses souvenirs. Plus grand, plus massif et bien plus effrayant. N'importa qui aurait fuit depuis plusieurs minutes. N'importe qui de senser, mais Lyroë ne l'était plus.
Il était bien rare de faire le malin devant une telle créature. La dragonnière, pour elle, c'était autre chose. Elle avait déjà vécu avec une telle créature. L'impression était autre.


Elle l'observa se braquer, tapant au sol, le faisant trembler sous les pieds de l'elfe. S'adressant à elle, Lyroë n'avait rien à répondre. Ses lèvres de toute façon étaient scellées, si elle s'ouvrait Lyroë ne pourrait contenir sa rage, sa douleur. Et une fois de plus, ce sera ce dragon qui en subirait les conséquences.
Puis Lyroë pensa que leurs incessantes querelles, outre le fait que l'elfe lui ôta sa liberté, qu'elle voulait tuer son dragonnier et sûrement un tas d'autres erreurs de sa part, ils se ressemblaient. L'esprit libre (quand il n'est pas en prison, quoique), le caractère bien trempé, se butant sur ses positions, cela était peut être aussi une des raisons des éclats et du feu entre eux.

A sa question « où est ton lié ? », Lyroë eut envie de pleurer. D'ailleurs des larmes ne purent que monter à ses yeux clairs. Le visage crispé, elle fixait toujours le dragon. Celui-ci approcha sa large tête noire de son frêle visage clair. Que cherchait-il ? A ressentir son dragon ? A lire en elle. Elle serait un livre ouvert. Elle n'avait rien à cacher. Même pas sa honte.

Leurs visages si près l'un de l'autre en fit soulever ses cheveux couleurs de l'automne. Mais l'elfe restait muette. Même son changement de position et son ton bien plus doux, plus questionneur, plus inquiet qu'auparavant ne changea en rien son attitude toujours stoïque. Il en faudrait plus. Comme une réponse. Pour le moment aucun son ne pouvait sortir de sa bouche. Ils restaient coincer dans sa gorge, en y formant une boule douloureuse.

Après un silence ce plomb, où l'archère ne cessait d'aller d'un œil à l'autre de l'ancestrale créature, elle ouvrit la bouche et d'une voix étranglée reflétant sa peine.

"-Je l'ai tué. Je.. j'ai failli... il m'a sauvé. Il est partit."

Les mots sortaient embrouillés, de façon presque mécanique.

Des larmes... Shaynar connaissait cette manifestation de peine pour l'avoir souvent vu dans les yeux des humains dont il venait de détruire vies et maisons. Il avait toujours considéré cela comme une preuve de faiblesse jusqu'ici, sauf qu'après avoir lui-même goûté à ce que pouvait être la douleur, en particulier celle liée à la séparation d'avec un proche, il comprenait mieux... Avait-il grandit ? Sans doute, et il ne parlait pas là de sa croissance physique exponentielle. Non il savait qu'il avait mûrit d'un seul coup, la guerre et la souffrance ne pouvait que donner ce résultat. Il ne ressentit donc pas de mépris face au regard embué de l'Elfe, juste un profond et total sentiment d'impuissance, une peine énorme et une inquiétude légitime. Il l'avait toujours connue forte, dangereuse même, il l'avait détestée et avait plusieurs fois souhaité sa mort mais la voir là d'un seul coup totalement perdue et désespérée le laissait désemparé. A sa façon elle avait été un pilier qui avait aussi forgé l'existence du dragon noir, quelque chose qu'il avait cru solide, indestructible et sur quoi il pouvait donc s'appuyer. C'était terminé, elle était aussi détruite que lui...

"Je suis désolé..." gronda-t-il avec hésitation

La situation était étrange, il ne savait trop comment réagir face à celle qui avait toujours été une ennemie et que le Dracos lui présentait maintenant que comme une compagne de souffrance. Il se mira dans ses yeux bleu, lisant la même peine que la sienne et senti son coeur se serrer lorsqu'elle parla enfin :

"-Je l'ai tué. Je.. j'ai failli... il m'a sauvé. Il est partit."

Non seulement elle souffrait autant que lui mais en plus elle aussi s'en rendait responsable ! Il ignorait totalement ce qui avait pu se passer, mais ce dont il était sur c'était que la mort pouvait frapper à tout instant et que ce n'était pas une petite elfe, fusse-t-elle dragonnière, qui pourrait s'y opposer. Comment aurait-il pu croire un seul instant qu'elle pouvait être responsable de la mort de Cymbor ? Foutaises, il ne pouvait qu'être mort en la protégeant comme un véritable et honorable dragon. Il l'avait sauvé donc ? Rien de plus normal, il était un dragon et elle était sa dragonnière, il était né pour cela. Lui au moins avait été capable de jouer son rôle contrairement à Shaynar qui pouvait encore se promener à travers tout le continent alors que son dragonnier gisait, perdu au beau milieu d'un mode comateux ! Sa mémoire ancestrale lui soufflait que cela ne devait pas se passer ainsi, il savait que la mort du dragonnier provoquait le plus souvent la mort du dragon et que le contraire n'était pas toujours vrai, c'était ainsi que les choses devaient êtres, ainsi que les esprits l'avaient voulu. Les dragons protégeaient leurs liés et mourraient si besoin, le contraire ne lui semblait pas légitime. C'était eux qui étaient forts, eux qui possédaient la magie ancestrale, les solides écailles, les muscles puissants, les griffes tranchantes et les crocs impitoyables. Eliow aurait dû s'en sortir, et lui prendre les coups à sa place.

"Tu n'as pas failli, il a fait ce qu'un dragon est sensé faire. Dire que je l'ai méprisé, aujourd'hui il se révèle bien plus digne que moi..."

Il baissa la tête, honteux et malheureux

"J'ai perdu mon dragonnier; il a été blessé gravement par ma faute. Je ne sais pas si il se réveillera un jour..."

Le museau humide, il renifla si fort que les feuilles alentour s'envolèrent. Un dragon pouvait-il pleurer ? Il ne le savait pas, aucune larme ne lui venait et c'était d'autant plus douloureux. Pourtant, son coeur saignait.

"Racontes moi... Dis moi comment il est mort. Ma mémoire ancestrale me dicte de rendre hommage à tous mes frères tombés, je ne peux le faire si j'ignore ce qu'a été leur destin."

Il laissa son lourd corps s'affaisser contre le sol, épuisé tout à coup par tout ce chagrin. D'un geste naturel il leva son aile, l'invitant à s'appuyer contre lui dans un geste d'autant plus exceptionnel qu'il était sans arrière pensée. Il faisait froid, son corps à lui était chaud. Tout deux avaient besoin de réconfort et le destin leur donnait une chance exceptionnelle d'échanger leur chagrin pour peut-être l'atténuer un peu. Elle n'était pas Eliow, et il n'était pas Cymbor. Pourtant ce jour, il partageait un instant exceptionnel...

D'un point de vue extérieur, Lyroë aurait trouvé cette situation d'un pathétique et d'une absurdité affligeante. Hormis le fait qu'une elfe soit entrain de pleurnicher face à un dragon. Non que deux êtres soient entrain de d'étaler leurs sentiments, leur vie en se plaignant au détour d'un chemin.
Rien de pire pour la jeune elfe. Ce sentiment de faiblesse, l'archère l'avait toujours fuit et combattu. Fuit, car voilà ce qu'elle n'aimait pas chez les humains. Très souvent, leur de rencontres avec cette race, ils étaient à se plaindre de la moindre chose, sans cesse. Pour des futilités de météo, de labeur trop rude, d'une femme trop bavarde, d'enfants trop paresseux. Le Dracos les faisait vivre, rien que pour ce fait ils devraient se taire et écouter son long silence dans les feuilles des arbres, sa présence chaque matin au lever du soleil. Mais non, ils aimaient parler pour ne rien dire ( et l'auteure de Lyro écrire pour faire pareil)
Les elfes avaient au moins la délicatesse de le cacher et de se taire la plupart du temps.

Mais pour l'instant, il n'y avait rien de plus rude. Rien de pire, car là c'était elle. C'était elle, la pleurnicheuse. Sa force l'avait quitté.

Lyroë pensa que le dragon dans un autre excès de violence à son égard, somme toute justifié, il referait trembler la terre sous ses pieds. Qu'il entrerait dans une fureur sans nom. Même si les deux dragons ne se portaient pas dans leurs cœurs, ils étaient les deux seules créatures ancestrales d'Armanda. Ils se complétaient. Le blanc et le noir. Ils étaient seuls à deux.
Mais non, rien de ça. Au contraire. Et il prononça les mots que Lyroë ne voulait pas entendre.

Digne, oh que oui Cymbor l'était. Bien plus que beaucoup de monde sur Armanda. Fort aussi, et d'une noblesse de cœur et d'esprit qui rendait fière Lyroë de le suivre dans sa vie.

L'archère releva la tête avec une expression de compassion intense quand le dragon noir lui raconta son propre malheur. Son vampire de dragonnier était lui aussi en situation difficile. Elle en aurait presque rit il y a quelques temps, pensant que de toute façon, il valait mieux un vampire endormi qu'un vampire prêt à vous sauter au cou.

Mais là non. Elle prit cette nouvelle avec une grande compassion. Elle ne le cacha pas.
L'elfe pensa aussi à son ami d'enfance. Qu'était devenu Mery alors ? Sans la protection de ce vampire. Car pour Lyroë le savoir en vie s'était s'assurer que son ami aussi.

Raconter sa douleur, la revivre une nouvelle fois, la jeune femme ne savait pas si elle pourrait. Ça serait rendre encore plus vraie sa douleur et cette triste réalité.
Mais elle se força et fit preuve d'un courage et d'une force venue du plus profond de son cœur pour revoir dans son esprit cet événement tragique. De façon un peu découpé, même si elle ne cherchait pas à cacher des choses, mais la mémoire la protégeait en effaçant des choses.

« -Nous étions au milieu d'un camp de vampires, Il y avait un autre elfe, une humaine, il a voulu nous sauver et un vampire, un différent des autres, il a... il l'a combattu. Par la magie, il avait une force telle, Cymbor n'a pas pu... Il a été blessé, puis... »

Lyroë ne put continuer plus loin.

La compassion... Il la lisait dans les yeux de l'archère et ça le blessait, comment pouvait-elle avoir de la compassion pour lui alors qu'il était responsable de tout ce qui avait pu se passer ? L'idée qu'il puisse se sentir responsable aussi injustement qu'elle-même ne lui vint même pas à l'esprit, il était plutôt du genre à ne laisser passer que les idées qui allaient dans son sens et certainement pas les autres.

L'image de Merithyn qui flottait dans l'esprit de son interlocutrice fit tiquer le dragon, il renâcla avec un certain agacement. La récente sottise du Baptistrel ne lui avait pas plu, mais alors pas du tout ! Combien de fois lui avait-il conseillé de rester loin de Lorenz ? Combien de fois l'avait-il prévenu que cela risquait de tourner mal ? Et après cela, combien de fois lui avait-il hurlé directement d'esprit à esprit qu'utiliser la magie pour se changer ne pourrait qu'occasionner de gigantesques catastrophes ? L'Elfe ne l'avait pas écouté, celui qui avait été son chanteur avait changé, et était finalement parti au grand désarroi d'un Shaynar qui encore une fois, ne comprenait pas. Avait-il bien fait de le laisser partir ? Peut-être pas, mais sur le coup il n'avait pas trop bien vu ce qu'il pourrait bien faire d'autre. Il ne pouvait tout de même pas le prendre par un bout de sa tunique et le secouer jusqu'à ce que chaque neurone retomber dans la bonne case non ? Encore que, cette situation était plaisante à imaginer... Ah ce qu'il l'avait énervé dernièrement le Meri ! Shaynar ne savait pas quand il le reverrait ni même si il le reverrait un jour mais si cela devait arriver il ne manquerait pas de lui faire encore entendre son désaccord.

Il jeta un oeil prudent à l'elfe, n'était-elle pas l'amie de Merithyn ? Il hésitait un peu à lui dire ce qu'il en était mais après tout c'était important... Par chance elle parla avant lui, lui laissant le temps de mettre ses idées en place :

« -Nous étions au milieu d'un camp de vampires, Il y avait un autre elfe, une humaine, il a voulu nous sauver et un vampire, un différent des autres, il a... il l'a combattu. Par la magie, il avait une force telle, Cymbor n'a pas pu... Il a été blessé, puis... »

Si il avait été un humain, il aurait sans doute haussé un sourcil. A la place, il chargea son esprit de toute l'interrogation perplexe qu'il ressentait :

"Au milieu d'un camp de vampires ? Mais qu'est-ce que vous y faisiez ? Attends... Ne me dis pas... Ce n'était pas le camp principal j'espère ?"

La magie... Une force magique terrible, suffisante pour tuer un dragon... Il n'y avait qu'un seul et unique vampire capable de réussir une telle prouesse, ou plutôt capable d'une telle infâmie. Lorenz... Ce vampire si dangereux que Shaynar avait peiné à cerner dès le premier jour, ce vampire qui était à la tête de tous les autres, cet être qui ne voulait pas la renaissance des dragons mais uniquement le pouvoir pour son arrogante petite personne...

"Lorenz..." Gronda-t-il, terriblement inquiétant tout à coup

"Comment cela s'est-il passé ? Il l'a tué uniquement par magie ? Il est indemne ou blessé ?"

Ses interrogations pouvaient paraitre étrange mais le fait était que la colère latente qui couvait dans le coeur du dragon noir menaçait d'exploser à tout moment, ainsi donc cet être abject avait osé tuer un de ses frères d'écaille ? Ainsi il avait décidé de s'afficher en ennemi du peuple Ancestral ? Il le regretterait !

Non, il n'était pas en fureur contre elle d'avoir laisser un de ses semblables se faire tuer par sa bêtise.
Au contraire, il cherchait à comprendre, à savoir ce qu'il s'était passé. Qu'importe, pour Lyroë, le fatal dénouement restait le même. Son cœur ne cessait de saigner.

Même si son questionnement était légitime, l'elfe avait hâte qu'il cesse pour retourner à sa peine et cesser de se remémorer ce cauchemar.
Elle ne savait que lui répondre. Oui ils devaient se trouver près d'un camp principal, vu le nombre, vu l'importance des personnes présentes et vu la présence d'au moins un œuf de dragon.

L'elfe laissa le dragon lire en elle, chercher son cheminement de penser. Plus simple que les mots et bien moins douloureux. Elle tenta de lui remontrer le camp, son emplacement, les vampires vus, même si pour l'elfe, ils avaient tous la même tête et qu'elle ne se rappelait pas d'eux, juste de celui qui avait … Les images revinrent comme un flot de larmes.

Le vampire qui criait de blesser le dragon. Les lances et flèches lancées sur lui pour l'affaiblir, la rage de Cymbor attérissant au sol dans un fracas. Brûlant tout ce qui se trouvait autour de lui. Et ce maudit vampire cherchant à le tuer, le noir qui l'entoura, le dragon prit au piège et enfin la magie qui s'abattit sur lui puis des lames noires qui achevèrent la noble créature. Le suceur de sang à terre et plus rien. Comme si l'esprit de Lyroë ne pouvait plus rien voir, enregistrer. Plus rien montrer. Elle avait perdu connaissance peu de temps après.

L'archère remarqua que l'attitude d'attente du dragon noir changea en une attitude plus nerveuse, plus révoltée. Elle aurait aimé l'être, mais c'est comme si son être s'y refusait.

D'une petite voix, Lyroë réussit à murmurer.

« -Lorenz, tel est son nom. Un nom maudit. »

Son regard redevint noir et rempli de haine, perdu dans le vide, cherchant à assimiler cette nouvelle information.

Entre ses dents :

« -Il ne restera pas indemne bien longtemps. »

Elle était tendue, le regard parfois fuyant. Il lisait clairement en elle le désir qu'elle avait de le voir passer à autre chose, de la laisser seule avec son chagrin. Lui trouvait plutôt réconfortant de ne plus être seul dans son désarroi et de pouvoir partager sa peine avec quelqu'un mais elle avait l'air d'avoir plutôt envie de se refermer comme une huitre et de ne plus jamais laisser entrer personne. Il ne pouvait pas la laisser faire cela néanmoins, il avait encore besoin de renseignements.
Les image se bousculaient dans son esprit et il renacla à nouveau face à ce torrent de douleur et d'information aussi horribles que vitale pour lui. Il ne pouvait lire exactement dans un esprit autre que celui de son dragonnier bien sur, d'ailleurs les échanges d'esprit à esprit n'étaient jamais aisement déchiffrable, il ne s'agissait pas là de lire un livre mais quelque chose de bien plus complexe, vivant et en perpétuelle animation. Il comprit tout de même l'essentiel et sentit sa résolution et sentit sa résolution se raffermir encore si c'était seulement possible. Le nom la fit réagir et sonna étrangement sur ses lèvres :

« -Lorenz, tel est son nom. Un nom maudit. »

Il cligna des yeux en signe d'assentiment, effectivement il ne pouvait que l'être après avoir accomplit un acte aussi infâme. Shaynar ne voyait pas comment on pouvait salir encore plus son âme, encore que si, sa mémoire ancestrale lui soufflait que c'était possible autrement mais le dragon noir ne voulait même pas y penser. Lorenz était fou, mais pas à ce point tout de même... Seule son ouïe développée de dragon lui permit de saisir le murmure qui suivit :

« -Il ne restera pas indemne bien longtemps. »

De la fumée monta de ses naseaux

"Bien que cela me paraisse étrange, je suis pour cette fois d'accord avec toi."

Ses babines se soulevèrent lentement à mesure qu'il lui faisait passer un flot d'image sanglant d'image ayant toutes lui et Lorenz comme personnages principaux. Lui déchirant le torse du vampire d'un coup de griffe, lui lui brisant tous les os sous son poids, lui encore lui arrachant la tête d'un coup de crocs. Des crocs qui étincelelaient à présent sous les yeux de l'elfe synonyme d'une promesse pleine de haine

"Je vais le tuer."

Il l'observa, sachant qu'elle serait sans doute surprise par cette résolution. Après tout il était dans le camp des vampires, et tuer leur prince n'aurait sans doute pas que des conséquences agréables pour lui et Eliow. Son plan se résumait ainsi ; où il parvenait à le tuer et les vampires trop terrorisés ne cherchaient pas à le venger, ou bien il le tuait et il devait fuir leur colère en emmenant Eliow comme il le pourrait, ou encore il ne parvenait pas à le tuer et se faisait tuer lui-même ce qui serait à la fois un soulagement et une fin digne de lui-même et de l'image qu'il se faisait de ce que devait être un dragon. Bien sur il ne croyait pas une seule seconde qu'un minuscule bipède, fusse-t-il Maitre Mage parviendrait à le tuer, il avait une trop haute opinion de lui-même mais il doutait fortement que les choses tourneraient tout à fait aussi bien que le prévoyait sa première hypothèse. C'était sans importance, il n'avait pas d'autres choix. Par contre et pour le bien d'Eliow surtout il se devait d'assurer ses arrières.

"Cela fait trop longtemps que nous suivons les vampires faute de mieux, qu'aurions nous pu faire alors que nous étions rejeté par tous les autres peuples ?"

Là il marqua une pause dans son discours mental, ne pouvant s'empêcher de lui envoyer cette petite pique teintée de froideur et d'amertume. Bien sur qu'Eliow était un vampire mais Shaynar était bien placé pour savoir que l'âme de celui-ci était bien différente de celle de la plupart de ses frères. Qui sait ce qui aurait pu se passer si on leur avait donné seulement une chance, une minuscule petite chance ? Enfin c'était le passé, il reprit :

"Si jamais il se réveille, il sera sans doute furieux de ma demande mais... Si je survie aux prochains jours, si je parviens à ramener mon dragonnier... Est-ce que... Est-ce que je peux espérer un abri ne serais-ce que temporaire au sein du peuple Elfique ? J'ignore si je parviendrai à tuer notre ennemi commun mais même si ce n'est pas le cas cette fois là je ne renoncerai pas tant que je serai en vie. Il me semble que dans ces conditions ton peuple et moi-même avons une petite chance de nous entendres sur les points principaux..."

Il s'interrompit à nouveau, étonné lui-même d'avoir su ranger son égo quelques instants pour formuler cette demande, mais avait-il un autre choix ?

"Je ne demande pas une place au sein de votre royaume, je pense que nous nous sommes trop déçus mutuellement pour que cela soit raisonnable. Je ne veux qu'un sanctuaire où je pourrai oser laisser Eliow quelques temps sans danger. Je n'ai pas confiance en ton peuple mais au vu de ce que tu as vécu je pense que je peux te faire confiance pour m'assurer de la sécurité de mon dragonnier. De sa sécurité je dis, pas de son emprisonnement..."

Il avait grondé les derniers mots, se souvenant très bien de la façon dont s'était déroulé leur dernier et seul séjour dans le royaume Elfique.

"Si en échange et pour prix de sa sécurité je dois servir ton peuple jusqu'à son réveil je le ferai. Ensuite il décidera de notre avenir, je ne peux parler en son nom."

Il s'était fait violence pour courber ainsi l'échine devant un peuple elfique qu'il n'aimait pas beaucoup. Pourtant il était sincère, il ne pouvait pas quitter cette terre, il ne pourrait pas non plus rester chez les vampires alors il lui restait les elfes, et les hommes éventuellement si il ne trouvait pas sa place au sein du beau peuple. Il attendit la réponse, l'esprit déjà très loin. Reviendrait-il seulement de sa confrontation avec Lorenz ? Cette interrogation lui rappela qu'il avait encore une chose importante à dire :

"Tu m'as parlé du chanteur tout à l'heure, je peux t'en donner des nouvelles. Merithyn est en vie, mais meurtri lui aussi par Wintel. Il a changé profondément, sa magie a fait de lui quelqu'un de différent que je ne comprend pas et que je dois dire, je n'aime pas beaucoup. Néanmoins sa nouvelle force me rend service vu la dernière chose que je vais demander. Si je meure, et tu le sentiras dans la magie. Pourrai-tu le retrouver et lui demander de retrouver Eliow et de le ramener dans le royaume elfique ? Je sais que Lorenz ne le tuera pas, un dragonnier même sans dragon reste puissant et il voudra s'en servir. Je sais aussi que ce sera difficile mais Merithyn y parviendra, surtout si tu l'aide... Me fera-tu cette promesse, avant que je ne parte ?"

Il déployait déjà ses ailes, prêt à s'envoler vers un destin qu'il n'aurait sans doute pas imaginé aussi terrifiant. Il n'avait pas peur toutefois, c'était comme si depuis son éclosion il avait su qu'il devrait en passer par là. Pour tout dire dès sa première rencontre avec Lorenz il avait pressentit que leurs deux caractères ne pourraient ne pas s'opposer un jour. Ce jour était venu...

La situation était déjà suffisamment étrange. Le dragon noir du vampire parlant avec l'elfe qui les avait enfermé, mais qu'il soit d'accord avec celle qui avait insulté, violenté son dragonnier faisait office d'exploit.
Les choses changeaient vraiment. La mort de Cymbor avait tout changé. Pas que la magie même d'Armanda. Cela allait bien au-delà. Les rancunes et haines d'autrefois s'estompaient pour laisser l'espoir d'un renouveau. Fallait-il la mort d'un être aussi pur, d'une magie vitale pour que tout soit remis en question ? Qu'est-ce qui avait déjà causer la perte des anciens dragons ? La même folie ?
Sûrement, les vampires continuaient leur rengaine, les humains n'apprenaient pas des erreurs d’antan quand aux elfes... Les elfes, ils portaient en eux une lourde connaissance du temps qui faisait d'eux les maîtres d'un temps en éternel retour.

"Je vais le tuer."

Lyroë se redressa, pointant vers lui des yeux presque suppliant.

« -Non, pas ça. Plus ça. Si jamais un autre dragon devait subir le même sort que Cymbor, je ne...nous ne pourrions le supporter. Ce vampire a tué un dragon, il est maudit. »

Lyroë observa une détermination affirmée sur le visage écailleux du dragon. Mais aussi que son choix était fait et que son esprit cheminait vers une finalité à laquelle l'elfe ne se serait jamais attendue.

« - Je ne peux parler au nom de mon peuple. De plus, je ne pense pas rejoindre les miens. Je suis une déception pour eux. Leurs regards, leurs murmures, je ne pourrai le supporter. Mais je peux t'assurer que si toi et ton lié, malgré nos différences, notre passé commun, avez besoin d'un refuge... »

Elle fit une pause et reprit.

« -Un refuge, j'ai bien compris, je me rends vers le sud de notre pays. Les clairières y sont plus nombreuses et les bois moins denses. Les elfes ne s'y rendent que peu. La végétation y manque.
Une vallée claire en son ouest vous accueillera. Même si les miens ne comprennent pas, l'impératrice ne s'offusquera pas de mes choix. S'ils sont justes. »

Aux nouvelles de Mery, Lyroë ne put s'empêcher d'afficher une inquiétude encore plus profonde que cela ne pouvait être possible.
Pourquoi tant de douleur ? Était-ce encore à cause de ce maudit vampire ? Il influait son poison en chacun ?
Mais elle accepta, sans même réfléchir. Comme si pour une fois quelque chose de naturel sorti de sa bouche et de son cœur.

« -Je te le promets. Ton dragonnier sera sauf quoiqu'il arrive, quoique le Dracos offre à Armanda. Mery protégera ton vampire. Et si le destin l'en empêche, je le ferai. Sur ça part l'esprit tranquille. Le temps n'est plus aux représailles, mais à la lutte contre la folie d'un homme. »

La dragonnière le laissa partir rejoindre son destin. Quand à elle, le chemin était encore long pour reposer ses peines et ses craintes. Mais au fur et à mesure de ses pas, grandissait en elle, une envie de plus en plus forte de retrouver aussi ce vampire et de lui rendre la monnaie de sa pièce.


[RP terminé]