| Sujet: Un brasier au milieu des Ténèbres Lun 22 Nov 2010 - 0:10 | |
| VIII. FOUND
"Le but n'est pas le but, c'est la voie." Lao-Tseu La cité s’étalait tel un océan de merveilles : une ville enchanteresse, joyau du monde des hommes. Mais aux yeux de Roëric Alokor, qui après deux siècles et demi d’existence n’en était pas à sa première visite, loin de là : c’était pendant la nuit qu’elle révélait sa véritable beauté. Éclairée par les feux des tours et des remparts, ainsi que par les innombrables bougies qui peuplaient chaque pièce de chaque bâtiment ; c’était comme observer une fourmilière dont même la plus humble des ouvrières illuminerait la nuit noire. Un brasier au milieu des ténèbres, oui, c’était ainsi que le vampire concevait cet endroit.
Au sens propre comme au figuré.
Ce qui posait un problème, évidemment. Le guerrier faisait parti d’un race maudite, appartenant aux abysses les plus profonds et qui sortait de son antre uniquement pour peupler les ombres, sans jamais trop s’approcher de la lumière, au risque de s’y brûler. Ainsi allait le monde : ombre et lumière, deux faces d’une même pièce, vivant côte à côte mais sans jamais se mélanger. Pénétrer dans la capitale de l’ennemi, surtout en temps de guerre, relevait donc de la stupidité la plus crasse : le vampire aux cheveux de glace le savait bien, mais ne l’acceptait pas. Il avait besoin d’entrer en ville pour récupérer les informations promises, coûte que coûte, et se moquait pas mal des conséquences que cela entraînerait.
Après tout, son maître n’était plus là pour, hum… réfréner ses pulsions les plus primaires…
Cependant, et malgré son goût accru pour le combat, Roëric restait un stratège avisé et se doutait bien que de livrer duel avec la moitié de la ville ne l’avancerait guère. Surtout avec le nombre croissant de chasseurs de prime qui se promenait dans le coin. Comme si la garde impériale n’était pas suffisante… Quoiqu’il en fut, le meilleur moyen de faire ce pourquoi il était venu, et le faire dans des conditions potables, restait encore le déguisement.
Exercice certes ardu lorsqu’on est quatre fois plus beau que le plus prisé des humains. Sans compter tout le reste…
Se faire passer pour un elfe était une bonne idée, mais il restait le problème des oreilles. Une cape à capuche devrait faire l’affaire, en espérant qu’on ne lui demanda pas de la retirer, ce qui restait probable étant donné les relations, disons tendus, entre les deux « alliés». Ce fut donc ainsi vêtu que le voyageur se présenta au poste de contrôle. Il avait pris soin d’arriver vers huit heures du soir, de façon à ne pas être trop suspect mais surtout à ne pas tomber sur des portes closes.
Étonnement, son statut d’elfe lui valut un respect auquel il ne s’attendait guère. On lui proposa même un escorte, qu’il déclina évidemment, targuant qu’il n’était pas envoyé par les « siens », mais juste en voyage. Roëric pénétra donc sans drame dans la plus puissante cité humaine. C’en était presque comique.*Ceci étant fait, il me reste encore à la retrouver.*Si le vampire ne s’était guère aventuré dans les quartiers riches ou plus encore au palais, il avait une certaine expérience du quartier marchand et connaissait comme le fond de sa poche les ruelles étroites et délabrées du quartier pauvre. Après tout, il y avait chassé pendant quelques temps, les humains ne se préoccupant guère du trépas de leurs sujets les plus humbles.
Quelques questions posées, quelques auberges traversées et quelques bras cassés plus tard, le guerrier-mage savait exactement où aller. Il rejoignit donc l’auberge du Dragon Euphorique. Son entrée ne se fit évidemment pas comme il l’aurait espéré, c’eut été trop beau : toute l’assemblée le repéra immédiatement et le catalogua presque tout de suite comme étant nuisible. C’était fou ce que les pochtrons avaient un instinct aiguisé.
Emma était là aussi. Elle avait grandie et semblait s’être encore endurcie. Son contact lui avait donc trouvé un endroit correct. Tant mieux pour lui, il vivrait une nuit de plus. La jeune fille le repéra et écarquilla des yeux. Le vampire fit un discret non de la tête puis commanda une chambre. Elle le rejoindrait plus tard.
Sans accorder ne serait-ce qu’un regard de plus à sa protégée, il monta les escaliers puis pénétra dans la chambre deux, celle que l’aubergiste lui avait louée. Il retira sa cape, puis décida d’entrer en transe, en attendant que la jeune fille ait fini son service.
Deux heures du matin. Un petit bout de temps s’était écoulé, mais la nuit restait forte. Et puis pour quelqu’un d’immortel, une telle notion n’aurait pas du avoir autant de prise sur lui. Illusion quand tu nous tiens, il semblerait qu’au final, les mortels et les immortels fussent bien moins différents qu’ils ne le pensaient. Mais là n’était pas le propos : Emma et Roëric étant enfin réunis. Comment ça se passe ?Plutôt étonnée par la question du vampire, la jeune fille resta un moment muette, se demandant ce que cela cachait. Il ne devait pas réellement se soucier d’elle. Ne pouvait pas. C’était un monstre après tout. Un monstre qui lui avait sauvé la vie…Je suis bien installée et on me traite correctement. Ce qui tient du miracle étant donnée le quartier. Ton ami doit être plutôt puissant.Un sourire aussi léger que bref se dessina sur le pâle visage du guerrier.Il contrôle ce que le pouvoir ne peut contrôler ici. Soit parce qu’il ferme les yeux, soit parce qu’il n’est pas au courant.Bref, le chef d’une bande de criminel pensa aussitôt Emma, qui ne fut guère étonnée que son protecteur compte de telles fréquentations parmi ses amis.Il a tout de suite deviné ce que vous vouliez de moi, enfin je crois, parce qu’il m’a placé dans cette auberge. Ici, il me suffit de laisser traîner l’oreille pour savoir tout ce qu’il y a besoin de savoir. En un sens c’est terrifiant. Mais pourquoi ne pas avoir demander à votre ami de vous aider.Le vampire hocha la tête, approuvant la remarque. L’information est une force avec laquelle il fallait compter. Elle décidait le plus souvent de l’issue d’un affrontement.Ce genre d’homme ne fonctionne pas ainsi. Il n’avait qu’une dette envers moi. Il n’est pas à mon service. Si je lui avais demandé des informations, j’aurai dû payer un prix. Et je n’en ai pas le temps.Plaçant l’honneur au centre de ses principes, Roëric n’aurait pu refuser de payer ce prix. Ce fut ainsi que par le passé, il avait accompli des besognes pour cet homme, en échange de son aide dans un milieu hostile aux vampires.Quelles informations désirez-vous ?On passait dans le vif du sujet.Kylan Wallam. Tout.La jeune fille, remarquant l’importance que ce nom avait pour le vampire, prit quelques secondes pour réfléchir.C’est très étrange en ce qui le concerne. Sa tête est mise à prix.Le crispation de son interlocuteur s’accentua. Ça il le savait déjà, mais cela prouvait qu’il était sur la bonne voie.Mais pas par les Kohan. Par les… autres. Enfin pour les chasseurs de prime, c’est du pareil au même, peu leur importe d’où vient l’argent qui les engraissent.Une touche de mépris s’était glissée dans sa voix.Quoiqu’il en soit, aux dernières nouvelles, on le chasserait dans la ville d’Aldaria.Elle sursauta lorsque son protecteur se leva d’un bond. Son visage défiguré par une joie purement animale. Lorsqu’il avança la main vers elle, elle ferma d’abord les yeux, de peur d’être frappée, puis les rouvrit lorsqu’elle sentit les lèvres glacés du vampires sur son front, suivit d’une caresse sur le joue. Il la prit ensuite par le menton, puis plongea son regard dans le sien.Bien joué ma fille. Continue ainsi. Je reviendrai rapidement. Et prends ça en guise de cadeau.Il lui donna une lourde bourse, et à peine détournait-elle le regard qu’il avait disparu. La laissant seule, ébahie par cette scène surnaturelle.
Quelques mètres plus loin, Roëric Alokor déboulait à travers les ruelles sans même se préoccuper de son apparence. Par exemple du fait qu’il ait oublié de remettre sa cape… Une grave erreur d’inattention, mais le vampire était trop bouleversé par les révélations qu’il venait d’entendre, pour en prendre la mesure. Kylian était en vie (façon de parler) et il savait où il se trouvait.
Euphorie quand tu nous tiens !Malheureusement, la patrouille de gardes se fichait pas mal des états d’âmes du guerrier. Elle lui somma de s’arrêter puis l’encercla. Ce qui lui fit l’effet d’une douche froide. Presque immédiatement, les gardes impériaux remarquèrent l’étrange beauté de l’inconnu, ainsi que sa paire d’oreilles… arrondies.VAMPIRE !!L’alerte fut donnée. La peine pour vampirisme était la mort et ils s’apprêtaient dans le cas présent à se passer d’un tribunal… Par chance, il faisait toujours nuit.
Roëric mit un coup de boule à l’homme de droite suivit d’un coup de pied au torse. Ce dernier vola à quelques mètres et le vampire se saisit de l’ouverture pour courir en direction des murailles. Ni une ni deux, il trouva un escalier qu’il grimpa quatre à quatre. La porte étant close, il n’avait pas d’autre choix que de faire le grand saut. Quelques gardes s’interposèrent, mais il ne posèrent pas de difficultés majeures. Pas du tout en fait. Le guerrier à l’épée noire atteignit très vite son objectif mais dû le revoir à la baisse.
Ces fichues murailles étaient tout de même sacrément hautes.
Loin de se décourager, il entreprit de l’escalader à l’envers le plus rapidement possible. Ses muscles se nouaient et se dénouaient sous l’effort, mais ses capacités vampiriques lui permirent d’atteindre le sol, avant de s’éclipser dans les ombres.
* ** Deux heures trente du matin. Gloria ouvre sa porte. Deux patrouilles impériales en sortent. |
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