Était-ce de la nervosité? Indubitablement. Mais comment ne pas être nerveuse en un tel jour? Galadrielle était une elfe, personne ne pouvait contester cela. Elle n'était pas particulièrement obtuse d'esprit, au contraire même, mais elle était tout de même quelqu'un de relativement important pour son peuple, aussi il était primordial de conserver sa crédibilité... Allait-elle la conserver longtemps? Là était toute la question. Voilà trois jours qu'elle ne mangeait pas, et dormait à peine. Et lorsqu'elle dormait, ses nuits étaient tellement agitées... Des combats défilaient sur ses paupières closes comme un film projeté sur une toile, comme un spectacle d'ombres hautes en couleurs et particulièrement effrayantes. Alors elle se réveillait en sursaut. Elle se passait la main sur le visage et écartait les cheveux qui étaient venus s'y réfugier à cause de son agitation, pour faire quelques pas. Elle allait jusqu'à sa fenêtre, observait le monde des elfes sous ses pieds, et ignorait péniblement le douloureux pincement au cœur qui la prenait toujours dans ces moments là. Alors elle retournait se coucher, et laissait les cauchemars la malmener à nouveau...
Depuis que ces rêves décousus s'étaient emparés de ses nuits, l'Impératrice était contrariée. Ses traits étaient tirés et ses sourires faibles. Elle était tourmentée. Elle avait peine à consacrer son attention à des sujets préoccupants, ce qui était relativement fâcheux étant donné la situation délicate dans laquelle ils se trouvaient, elfes comme humains. Alors elle se mit à réfléchir. Depuis quelques temps, l'accès à leur royaume avait été facilité. La barrière était toujours en place, mais un plus large cercle avait l'autorisation de faire pénétrer des humains dans l'enceinte privilégiée de leur havre. La raison à cela? Faciliter les communications entre elfes et humains. Mais attention, le fait qu'il soit plus aisé d'entrer ne signifiait pas qu'il était également plus aisé d'y circuler. Les invités de l'Impératrice étaient libres d'aller et de venir à leur guise, mais les simples messagers étaient tout juste autorisés à séjourner dans quelques endroits précis. Les elfes, s'ils étaient un peu plus conciliants, restaient méfiants, ce qui était normal pour un peuple ayant vécu tant de temps en autarcie.
Toujours est-il que le fait était là. Galadrielle faisait des rêves, tantôt effrayant, tantôt dont elle peinait à se sortir, grandement, mais il y en avait tout de même un récurent. Elle entendait son nom, répété inlassablement dans sa tête, tantôt faible écho, tantôt aussi fort que le tonnerre. Elle l'entendait, on l'appelait... Puis une créature blanche venant se saisir d'elle, l'enveloppait en elle-même et l'emportait... L'Impératrice avait alors l'impression de se noyer, et c'était toujours haletante qu'elle s'éveillait, en sursaut, le corps parcouru de tremblements. Elle était épuisée, à bout de nerfs et ne cessait d'espérer que ses nuits redeviennent calmes et relativement sereines.
N'étant pas exaucée, elle était allée voir des guérisseurs. Ils ne lui avaient rien trouvé. Alors elle était repartie, et plutôt que de baisser les bras, elle choisit de solliciter sa mémoire. Dure, très dure épreuve... Car ce qu'elle cherchait, c'était des connaissances vieilles de plus de cinq cents ans... Ce qu'elle cherchait, c'était des réminiscences de souvenirs, fugaces et impalpables, vécus en un temps révolu. Les souvenirs du voyage entreprit avec son père. Voilà pourquoi elle se privait depuis plusieurs jours de nourriture, et voilà pourquoi elle était si fatiguée et si nerveuse. Elle était parvenue à remettre le doigt sur ce qu'elle avait appris il y avait de cela plusieurs siècles...
Les esprits humains. Esprits totems, créateurs, selon eux, du monde. Voilà ce qui la rendait nerveuse! Comment une elfe pourrait-elle y être sensible? Et pourtant, elle se reconnaissait dans certains signes distinctifs d'une protection de l'un de ces esprits. Serait-ce possible, alors quelle n'était pas humaine? Le meilleur moyen était d'essayer.
Après plusieurs jours d'isolement dans ses appartements, Galadrielle avait rejoint le sol et la clairière de ses ancêtres. Avec tout le tact et la délicatesse dont elle était capable après avoir si peu dormi et en étant affamée, elle demanda à tous les elfes présents de lui laisser quelques heures de paix, car elle ne concevait de faire ce qu'elle allait faire dans aucun autre endroit. Aucun autre endroit n'était à même de lui inspirer calme et tranquillité que la clairière du grand Chêne. Une fois que tout le monde l'eut laissée en paix, Galadrielle revint vers l'arbre sacré, leva les yeux vers sa cime et, soulevant les pans de sa robe, grimpa sur ses racines. Doucement, avec maintes précautions, elle alla se nicher dans un refuge minuscule, entre deux mastodontes de bois, et s'y assit, repliée sur elle-même, serrée contre ces membres sylvains qui faisaient figure pour elle de soutient perpétuel, inébranlable.
Elle ferma les yeux et se laissa aller, cherchant la paix et la quiétude, puisant autant de sérénité possible en prenant exemple sur le Chêne. Une fois envahie par un bien-être jusqu'alors inégalé, elle laissa échapper, dans un souffle que le vent eut tôt fait d'emporter...
"Esprit Cygne, est-ce toi qui tourmente mes nuits?"