Telle une insupportable Sentence, le laïus du Grand Dracos résonnait en elle. Mila ne savait trop si elle rêvait, ou si elle voyageait vers ses ancêtres… elle flottait en l’air, dans un univers ouaté et étrange, sans odeurs, aux sons étouffés, l’antichambre de la Mort, certainement. Elle n’avait aucune volonté, ne pouvait se mouvoir ni ouvrir les yeux, tous ses sens aux aguets, étonnamment vigilante, en extase presque…
Elle subissait totalement, se laissant aller à la volonté de quelque Entité et se sentait à la fois très rassurée et terriblement fragile, voire manipulée, ce qui la rendait heureuse et en colère ! Elle ne sentait plus son corps, Esprit parmi les Esprits !
Une Peine intime, profonde, indicible lui déchirait l’âme, l’empêchait de choisir revenir parmi les siens. Le Grand Dracos l’avait donc trouvée non Digne. Elle qui se sentait portée par un sentiment de Paix absolue, de détachement, du refus de la violence, de cette guerre qui couvait, elle n’était pas digne. Elle qui se voyait déjà avec « son » dragon, portée par les Vents de Paix, prêcher la Parole de villes en villages, de monts ténébreux en forêts hostiles. Elle qui s’était promis de ne jamais œuvrer à l’aide de « son » Céleste pour aider à la Guerre, elle qui croyait fermement à l’avènement des Dragons pour rendre les Hommes, Vampires et Elfes matures, précisément dignes du retour des Grands Dragons. Elle n’était pas Digne ! Une plaie vive lui rongeait le cœur et les pleurs étaient là, abondants et chauds, sincères. Sauf qu’elle ne pleurait pas ! Elle était Energie vibrante, Force vive, Magie pure et Etre désincarné. Mila savait.
Son corps devait être non loin. Et tout son être l’appelait à un choix impossible : Continuer ou Cesser. Vivre ou Mourir. Rejoindre ses ancêtres ou ses parents. Impossible choix, elle était tellement jeune, à la fois très mature dans sa détermination, et tellement jeune pour se battre contre l’avis du Grand Dracos, contre l’Ire paternelle, la Peur maternelle… et puis cette Paix qu’elle vivait là, enfin, facile, tous ses aïeux qui lui tendaient les bras quelque part non loin. Tapie dans l’ombre, la Colère était encore là. Elle croyait l’avoir oubliée mais elle se rappelait soudainement à Elle. Comme une flamme dans la nuit, celle d’un Phare ? Quel était ce signe-là ? Que devait-elle comprendre ? Quoi ? Revenir sur Armanda pour laisser la Colère la mener ? Foutaises !
Et si cela était un appel ? Celui de la Vie ? La vie et ses émotions, ses ressentis, ses joies et ses peines, ses blessures et ses plaisirs ? Et si cette Colère était juste cela, un rappel qu’il fait bon vivre, auprès de ceux que l’on aime ? Contre quoi, ou qui était-elle en colère ?
L’image Vampirique vint la visiter… toutes ces rencontres avec ces êtres s’étaient soldées par la sensation pénible, insupportable d’être un Objet que l’on manipule. Par-dessus tout ce qu’elle avait pu vivre, cette sensation qu’on la prive de son libre-arbitre, de sa liberté d’agir plongeait la Belle de Valblanc dans une Colère infinie. Elle la savait mauvaise conseillère et ne voulait céder à cette facilité-là. Mila savait que cette émotion était une épreuve. Une épreuve de Vie.
Une vive douleur la réveilla !
Quelque chose, ou quelqu’un lui écrasait la main !
Mila émergeait d’un très, trop long coma… en fait, ce quelqu’un lui mordait la main !
*Un Vampire !* pensa-t-elle, ne comprenant rien de ce qu’elle vivait…
*Vivante, je suis en Vie !*
Oui, Mila était en vie, sous un tas de pierres coupantes et lourdes… et quelque chose lui bouffait la main ! Elle la retira vivement. Du sang coulait fraîchement par-dessus des croûtes plus anciennes. Une faim terrible lui tordait les boyaux. Elle ouvrit les yeux. Une lueur ténue lui parvenait à travers l’éboulis…
A force de contorsions improbables, Mila se sortit de sa tombe de pierre. Elle était bien seule. Si ce n’était trois Vautours aux plumes collées de sang… qui s’envolèrent à son apparition. Ceux-là avaient intégralement bouffé un Homme et attendaient non loin que Mila tombe de nouveau !
*Seule !*
Oui, seule. Mila était seule. La dernière à se sortir de ce traquenard. Elle ne savait pas si elle devait en rire ou pleurer. Elle soigna ses plaies, heureusement bénignes et entreprit de réunir ses effets. Sa bouffe était comptée… *Tss ! Et moi qui ai la dalle !*. Malgré tout elle entama un de ses biscuits de voyage, dur, sec et insipide, mais tellement nourrissant ! Elle croyait être capable de se contenir et n’en manger qu’un morceau, c’était sans compter sur sa Faim de loup ! Elle mangea le biscuit en entier.

Mila partit aussitôt. La lame de sa Rapière lui battait les flancs. Une Aube magnifique colorait de fuchsia les Monts escarpés… Elle décida de ne pas traverser seule ce désert aride et inhumain. Elle le contournerait pour rejoindre les Terres de l’Empire.