Il était une fois, un dragon particulièrement malheureux.
Pourquoi cela ? Tout simplement parce qu'il se sentait seul. Bien sur, vous me direz que tous les dragons sont seuls à moins qu'ils n'aient une compagne. Leur propention à avaler tout rond ou à carboniser tout ceux qui les approchaient y était très certainement pour quelque chose. Quand à avoir une compagne, et bien notre dragon était tout simplement bien trop timide pour cela. Il avait bien essayé une fois ou deux d'approcher les belles qui vivaient en groupe non loin de sa caverne mais à chaque fois c'était la même chose, dès qu'il arrivait en vue de ces demoiselles il ratait son atterrissage, s'emmêlait les pattes, marchait sur sa queue, loupait ses entrées et massacrait ses sorties. Autant dire qu'il n'avait aucune chance de parvenir à ses fins d'autant qu'en plus d'amuser beaucoup les femelles il s'attirait la foule des quelques mâles qui trainaient par là et qui se faisaient un devoir de le chasser sans aucune pitié
Le pire de cette histoire c'était qu'il n'y avait pas que cette raison là qui le rendait triste, en effet en plus d'être seul notre dragon se sentait bien inutile. A quoi servait un dragon à votre avis ? Et bien à terroriser les humains, à casser des maisons, à brûler des forêts, à garder un trésoir à la rigueur mais lui ne savait rien faire de tout cela. Les flammes qu'il crachait étaient ridiculement petites, les humains en le voyant se gaussaient de lui parce qu'il n'avait jamais vraiment le courage de leur faire du mal. Il faut dire qu'il avait le coeur tendre, notre dragon...
C'est ainsi qu'il plongea en pleine déprime et se calfeutra dans sa grotte, se jurant de ne plus jamais en sortir quoi qu'on en dise. Puisque de toutes façons il n'était bon qu'à se ridiculiser ou à se faire taper dessus le mieux était sans doute de ne plus se montrer !
Les jours passèrent ainsi, il était bien décidé à se laisser aller. Il ne lustrait plus ses écailles, faisait ses besoins n'importe où, ne mangeait pas et buvait à peine. L'odeur qui sortait de sa grotte était nauséabonde, ses écailles ne brillaient plus mais il s'en fichait pas mal, il passait ses journées à ronfler et c'est ainsi que la petite fille le trouva.
"Ce que tu fais comme bruit !"
Brusquement tiré de son sommeil, il sursauta et se cogna la tête contre le haut de la grotte ;
"Hein ? Qu'est-ce que tu fais là toi ?" grogna-t-il
La gamine ne devait pas avoir plus de sept ou huit printemps. Elle l'observait d'un oeil vif, le teint éclatant et les cheveux en désordre. En voilà une qui n'avait peur de rien... Ce qu'il avait pu tomber bas quand même pour ne même pas faire peur à une enfant...
"Je suis venue voir pourquoi tu ne voles plus au dessus de mon village ! Tu nous manques tu sais..."
Le barrissement étrange qui sorti de la gorge du dragon ne sembla pas l'inquiéter, avait elle compris qu'il riait ? En fait non... Il ne riait plus là, il s'étouffait à moitié... Aurait-il été humain qu'il serait certainement devenu bleu, il tira la langue, cherchant à récupérer son souffle et par chance ses voies respiratoires se dégagèrent, il haleta :
"Je vous manque ? Ah je suis vraiment un dragon lamentable ! Que vous n'ayez pas peur de moi passes encore mais que vous soyez attristés de ne plus me voir... Baste !"
Impertubable, la gamine le laissa rire tout son saoul avant d'asséner :
"Tu n'es peut-être pas effrayant dragon, mais tu es utiles."
Il sorti à moitié la tête de la grotte pour mieux l'observer, elle était à peine plus grosse que son oeil ! Curieux il voulu savoir :
"Comment cela ? Prouve le."
"D'accord je vais te montrer mais il faut que tu viennes avec moi."
Il hésita quelques minutes mais la curiosité étant la plus forte il céda, c'est ainsi que le grand dragon marcha derrière la gamine qui gambadait vers le village sans s'inquiéter le moins du monde du mastodonte qui marchait pesamment derrière elle. Arrivée au village, elle désigna les villageois qui s'ennuyaient, mollement appuyés contre les murs de leurs habitations.
"Tu vois ? Sans toi ils s'ennuient, c'était amusant de te voir piquer vers nous ou de t'admirer voler sous le soleil. Sans toi, nous n'avons plus grand chose à faire."
Peu convaincu, le dragon gronda sombrement :
"Ainsi donc pour vous je suis qu'un jeu ?"
"Pas seulement..."
Elle l'emmena plus loin, vers les champs que le village cultivait.
"Et bien quoi ? A quoi puis-je bien servir ici ?"
"Tu effrayes nos ennemis" émit sentencieusement la gamine
"Hein ? Je n'ai jamais effrayé personne, tu te moques de moi ?"
La gamine eut un sourire embarrassé, provoquant l'agacement du dragon. Décidement elle se moquait bel et bien de lui ! Quelques flammèches sortirent de son museau tandis qu'il soufflait bruyamment. Il commençait à regretter d'avoir quitté sa caverne. Voyant les silos vides au loin (l'année de culture se terminait, les réserves touchaient donc à leur fin) il eut un doute désagréable. Lentement, il formula sa pensée
"Ne me dis pas que... Vous ne me prenez tout de même pas pour un épouvantail ?"
Là pour le coup la gamine avait vraiment l'air gênée, elle haussa les épaules, fataliste :
"Et bien tu sais, sans toi il y a bien longtemps que nous serions morts de faim. Les oiseaux sont voraces par ici et n'ont peur de rien. Il n'y a qu'un dragon pour les faire véritablement fuir. "
Le dragon ferma à demi les paupières, affligé
"Je suis vraiment tombé plus bas que terre... Que diraient mes semblables si ils apprenaient cela ?"
Réfléchissant à toute allure, la petite fille fronça les sourcils avant de s'éclairer tout à coup. Mais quelle bonne idée elle venait d'avoir !
"Passons un pacte veux-tu ? Je te propose un marché..."
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Quelques jours plus tard sur le territoire draconnique
"Je t'assure Amélia, ce dragon est juste craquant. Figure toi qu'il a trouvé le moyen de terroriser le village à un tel point qu'ils n'osent même plus s'approcher de leurs champs ! Il y a élu domicile et GRAHOUUU ! Ah ma belle, si tu entendait seulement les rugissements qu'il pousse ! J'en ai les écailles toutes retournées..."
L'autre dragonne gloussa sans cesser de nettoyer ses griffes.
"Et alors quoi ? Qu'attendons nous pour aller le voir ce beau mâle ?"
Son interlocutrice garda un instant le silence, le bout du museau rose d'émotion :
"Oh tu crois ? Je n'oserai jamais... Je suis bien trop timide... "
Roulant paresseusement sur elle même une troisième héla le resta du groupe
"Allons-y tous ensembles ! J'en ai marre de nos mâles qui ne font que rester ici à rouler des mécaniques. Il est grand temps qu'on aille voir un vrai dragon, véritablement effrayant et qui fait son boulot de créature en terrorisant les bipèdes."
C'est ainsi que gloussant et se bousculant, la petite troupe prit son envol. Ah ça ils ne furent pas déçus à leur arrivée sur les lieux ! Trônant comme un pacha au beau milieu du champ de blé notre dragon était occupé à se gaver de viande tandis qu'une petite humaine lui lustrait les écailles en tremblant. Un oiseau écervelé osa se poser non loin, lui tirant un rugissement sonore. Effrayé, le volatile ne demanda pas son reste et disparu très vite dans le ciel sous les grognements ravies de ces dames qui n'en pouvaient plus d'admiration, elles se pâmaient à qui mieux mieux, lançant des regards langoureux en direction du mâle
"Oh, quel rugissement vous avez ! C'est gaspillage que de l'utiliser juste sur un oiseau voyons..."
Le dragon fronça le nez avant d'expliquer :
"Je n'aime pas ces volatiles, et j'ai déjà tant effrayé les humains qu'ils sont à mon service comme vous pouvez le voir... Il me plait d'effrayer les oiseaux en exerçant ma voix, cela passe le temps et je suis bien ici, je n'ai jamais été aussi bien nourri et soigné. J'aurai tout de même fini par trouver une utilité à ces insignifiante créature. Plus bas veux-tu ?" précisa-t-il à la gamine qui avait entreprit de lui gratter le dos.
Les belles ouvraient de grands yeux, muettes d'adoration. Elles même n'avaient jamais pensé à utiliser les humains de cette façon ! Qu'il était intelligent ce dragon ! Elles minaudèrent :
"Il est vrai que vous avez une voix magnifique..."
Le dragon s'adoucit, cachant à grande peine la malice qui brillait dans ses yeux :
"Ah mais mes amies, je suis absolument certain que vos propres voix ne peuvent qu'êtres célestes comparées à la mienne, à voir votre physique avantageux j'imagine mal comment la nature aurait pu ne pas vous donner une voix assortie à votre beauté ! Bien sur cela se travaille mais avec un peu de temps je suis sur que cela donnerait quelque chose de merveilleux..."
Il avait gagné et le savait, ronronnant et roucoulant les dragonnes clignèrent des paupières, le museau écarlate. Il ne se passa pas plus de quelques secondes avant qu'elles ne l'implorent :
"Oh s'il vous plait, laissez nous participer ! Nous travaillerons notre voix avec vous et nous profiterons des humains !"
Il fit mine d'hésiter, apparemment embêté. Avait-il vraiment envie de partager cette aubaine ? Croisant leur regard suppliant il céda tout de même, soupirant :
"Très bien, je vous laisse faire. Eparpillez vous, vous aurez plus de chance de trouver des volatiles, ne les laissez pas se poser, terrorisez les ! Quand aux humains il faut les garder en vie, rien n'est plus agréable qu'une main humain s'insinuant entre vos écailles pour gratter directement la peau ue vous ne pouvez atteindre !"
Ainsi passa la journée, et les suivantes, et les autres encore... Sous les yeux ahuris des autres mâles, le petit groupe fit le malheur des oiseaux de toute la région. Jamais récolte ne fut aussi bonne que celle-ci pour les humains heureux de n'avoir qu'à labourer les champs et flatter quelques naïves pour remplir leurs silos. Et notre dragon alors ? Il était heureux, enfin utile même si il n'avait jamais imaginé pouvoir un jour servir d'épouvantail on raconte que lassé de courtiser toutes ces dames sans cervelle il se lia avec la petite fille de qui il devint très proche. Aujourd'hui dragonnière, la jeune femme qu'elle est devenu ne peut s'empêcher de sourire en voyant les dragonnets de son lié s'amuser comme des fous en poursuivant quelques moineaux. Qui aurait pu croire un jour que le bonheur d'un dragon pouvait se trouver dans un champs ?
[fin]