Décidément, être un dragonnet sur Armanda n’était pas de tout repos. Après quelques jours de découvertes, Dawan et lui s’étaient rendus à Estellin pour assister au mariage de l’empereur elfique avec la belle Baptistrelle Aramis. Il avait fait la connaissance de sa sœur et d’Alkhytis et n’avait eu de cesse d’apprendre encore et encore. Malgré sa curiosité, il ne s’était jamais éloigné bien longtemps de son Lié, le suivant dès qu’il le pouvait, se blottissant dans la poche qui lui était destinée.

Ce matin-là, le petit dragon de nacre savait que c’était le grand jour et il se réveilla tout contre l’Elfe. Les deux êtres retournèrent dans les appartement de Dawan et Kaalys écouta avec attention les consignes qu’il lui donna pendant que ses écailles étaient lustrées et que le Cawr dessinait d’étranges symboles sur son corps de nacre dont le petit écailleux demanda bien évidemment la signification. S’il n’aimait pas particulièrement l’odeur de fleurs qui l’entourait, il n’en dit rien et transmit plutôt à son Lié de la fierté. Il était élégant vêtu de cette façon et Kaalys n’aurait voulu être le Lié de personne d’autre à cet instant –et à aucun autre d’ailleurs-.

Une fois fin prêts, le fils de Silarae la Blanche et d’Atalos le Doré suivit le Baptistrel jusqu’à l’Esplanade florale. Il essaya de ne pas regarder partout autour de lui et contint autant que possible sa curiosité pour faire honneur à Dawan. Mais tout était si parfait en ces lieux transformés pour l’occasion que Kaalys ne put s’empêcher de poser un regard émerveillé sur tout ce qui l’entourait. Et puis son regard se posa sur deux dragons, l’un d’améthyste et l’autre d’argent. D’après la description que lui en avait fait le Chanteciel, il reconnut Trissi et Cynoë. C’était à leur côté qu’il devrait se tenir pendant la cérémonie. Après un dernier coup de langue sur le bout des doigts de son Lié, il s’en éloigna pour s’approcher avec prudence de ses aînés. Ils étaient impressionnants de par leur taille mais aussi leur présence. Non loin d’eux, leurs Liés discutaient avec d’autres bipèdes. Puis tous prirent place et Kaalys se retrouva à ne plus apercevoir que les pieds de ceux qui étaient sur l’estrade. Un peu perdu dans toute cette agitation et sans son Lié pour le rassurer, il n’osa d’abord pas bouger jusqu’à ce que quelque chose ne le pousse vers l’avant, le plaçant devant tous. De là, il pouvait enfin voir Dawan et cet empereur elfique que le Baptistrel semblait tant estimé. Curieux de savoir ce qui l’avait placé là, ou plutôt qui, il se retourna pour découvrir la dragonne d’argent donc les écailles brillaient tout autant que les siennes.

*Merci, belle et noble Trissi. Vous avez raison, je vois bien mieux d'ici.*

Le dragonnet aux yeux d’or n’osa pas la contredire sur sa dernière phrase même s’il ne partageait pas son avis sur la question. Mais ce n’était certainement pas l’endroit pour ce genre de discussion. Son Lié le lui avait dit, ce mariage devait être un signe que la paix entre les peuples d’Armanda était bel et bien à l’ordre du jour et pour le plus longtemps possible, et s’il y avait bien une chose que Kaalys ne risquerait pas, autre que la vie de Dawan, c’était de fragiliser plus encore la paix.

Sans s’en mêler ni même approcher, le petit écailleux observa le manège de son aînée au regard d’azur et il devina sans peine qu’elle avait la fierté de leur peuple bien plus qu’il ne l’aurait sans doute jamais. Puis il se détourna d’elle pour se tourner vers l’Améthyste et sa Liée princesse. Lui semblait plus posé et calme que leur semblable argentée. Avec prudence, le dragonnet de nacre s’approcha et salua le dragon.

*Bonjour, noble dragon. Vous devez être Cynoë, lié de la princesse humaine Esmelda Kohan si je me souviens de ce que m’a dit le Lié de mon âme ? Je suis Kaalys, fils de Silarae et d’Atalos, Lié du Cawr Dawan Sywel. C’est un plaisir de rencontrer d’autres dragons.*

Il espérait un peu d’aide de la part du dragon pour s’y retrouver dans tout ce monde. Ah, si seulement il avait pu être tout près de Dawan.

L'espace d'un instant, Trissi demeura parfaitement immobile. Difficile à observer sur un dragon, mais ses oreilles étaient totalement vouées aux paroles de son Lié, qu'elle avait déposé à terre. C'était… Incroyable. Non, pire… Au vu de ce que cela produisait en Trissi, le mot le plus adéquat était autre. C'était choquant. Tout bonnement choquant.
Passons le fait que l'Autre, le "meilleur ami" vampire de Kedrildan, semblait suffisamment dénué d'amour-propre pour se laisser traiter de faire-valoir. Ce n'était rien que cela, rien, excepté un divertissement et un amusement qui n'échappèrent pas à l'argentée, même si elle n'en profita pas dans un premier temps. Non, le pire c'était… Ça ! Par le Dracos et les Sept défunts, depuis quand Kedrildan s'exprimait-il ainsi ? Lui qui normalement avait un langage fleuri au point de faire défaillir les elfes les plus sensibles ! Peut-être était-il malade ? Ah non, hein ! Ras-le-bol de ces sangs malpropres qui malmenaient son Lié ! Si les elfes avaient eu l'audace de lui en servir, mariage ou non, elle ferait un scandale ! Mais l'écho qu'elle percevait de l'autre moitié de son âme, cet esprit contre le sien, ne semblait pas malade. Il semblait même particulièrement en bon état. Bigre. Même avertie, Trissi aurait refusé d'y croire. Qu'il était étrange, d'ailleurs, de pouvoir observer ce petit être changer sans que sa présence en soit altérée…

La dragonne voulut intervenir, elle n'en eut pas l'occasion. Le chant du Baptistrel s'éleva, elle sut qu'il fallait bien se tenir, ne serait-ce que pour avoir plus fière allure encore dans les récits. Elle se tint droite, l'encolure courbée à la façon des cygnes et son regard de saphir rivé vers le centre de l'attention. Le chant lui parut incroyablement long. De temps à autre, plus ou moins consciemment, sa longue queue balayait la roche et les herbes derrière elle. Impatience… Mais heureusement, il lui restait un moyen bien simple de s'occuper, qui consistait à taper la discussion mentalement avec son bipède favori, celui qui ne cessait de la surprendre !

"- C'est loooong ! Ont-ils vraiment besoin de nous pour cela ? Pour assister à cela ? Ne peuvent-ils pas faire ça dans leur coin ? Nous les dragons, on ne s'encombre pas de formalités aussi… Creuses ! Même les plus puissants d'entre nous… Il ne me semble pas que Vraorg nous ait conviés à observer ses diverses parades nuptiales." Et blablabla, et les dragons étaient les meilleures, et leurs écailles étaient quand même bien plus jolies que celles des bipèdes, avec leur tête toute plate et leurs pattes maigrelettes, aux doigts bizarrement écartés. "Par contre, dis donc, tu m'avais dit que Lewyn était ton meilleur ami… Pas qu'il te faisait cet effet-là ! Es-tu sûr que ce n'est qu'un ami ? Oh, Lié, tu ne m'aurais pas caché cela !" Elle eut comme un temps de réflexion, songeuse, avant d'ajouter: "J'aurais dû m'en douter. Certes, tu es plutôt à préférer d'autres espèces, mais si l'on omet cela, c'est vrai qu'il convient à pas mal de tes critères…"

Et sur ce type de conversation, jouant avec les nerfs de Kedrildan ou occupant simplement son esprit, elle passa les longues heures que durait cette cérémonies. Lorsque ce fut enfin achevé, elle s'étira autant que cela lui était possible dans cette foule, avec un soupir chaud de bonheur. Ce n'était pas trop tôt ! Un peu plus, et elle se serait endormie ! Cette formalité étant complète, elle et son Lié allaient pouvoir retourner vers des aventures bien plus fascinantes, bien plus transcendantes, et bien plus remuantes ! À moins que…
La surprise de Trissi éclata dans l'esprit de Kedrildan comme une bulle de savon. Bon, d'accord, elle l'avait charrié un peu sur sa relation avec Lewyn, mais elle n'y avait pas sincèrement cru ! Elle s'imaginait que c'était encore là une des subtilités des relations entre bipèdes ! Son esprit vint bousculer un peu celui de son Lié, pour capter son attention mieux que Lewyn:

"- Attends-attends… Les danses bipèdes ne sont pas entre deux membres de sexe opposé, normalement ? Ca fait partie de vos parades nuptiales, non ? Kedrildan, toi et ce vampire, vous êtes VRAIMENT ensemble ? Dracos ! Et tu ne m'as rien dit ! Mais c'est merveilleux ! Je veux que tu aies la même cérémonie que ce roi des elfes ! Qu'on vous lie dès maintenant !" Déjà, dans son enthousiasme, Kedrildan put comprendre que, mentalement, elle se préparait à s'exprimer pour toute l'Assemblée ici présente… Non, pour tout Estëllin ! Pour annoncer sa merveilleuse idylle.

L’amabilité de Cynoë contrastait avec l’assurance de Trissi. Oh, pas que l’Améthyste en manqua mais l’Argentée en débordait tellement qu’elle semblait être l’incarnation même de ce trait de caractère. Mais les pensées du dragonnet furent vite happées par ce qu’il ressentit émanant de son Lié au doux regard d’acier. Il l’avait entendu chanter à de nombreuses reprises mais les notes qui s’élevaient de la poitrine de ce petit Elfe le faisait toujours frissonner sous le coup de l’émotion. Il aurait pu les écouter pendant des heures sans s’en lasser, lui et sa vièle. D’ailleurs son aîné aux écailles violines lui en fit la remarquer et, en dragon poli qu’il était, le petit Lié de nacre le remercia.

*Ce que tu dis là me touche, Cynoë. Et tu as raison, Dawan est un être merveilleux qui me remplit de joie et j’espère qu’il en va de même pour lui. C’est un honneur et j’ai conscient qu’il s’accompagne de responsabilité. Je ferai de mon mieux pour être à sa hauteur.* dit le petit écailleux avec un signe de tête respectueux.

Aussitôt, son regard chercha le Chanteciel du regard et il le vit au loin. Le sourire qu’affichait son visage aux traits harmonieux rassura Kaalys qui en profita pour s’intéresser un peu plus à ses congénères aux comportements assez différents. En effet, s’il ne s’interposa pas dans leur conversation, il n’en perdit pas pour autant la moindre miette et il essaya de deviner quelle relation existait entre les deux dragons. Si Trissi était un brin prétentieuse et autoritaire aux yeux du petit nacré, Cynoë semblait plus humble et plus prudent aussi dans ses propos. Assis à quelques mètres de ses aînés, il observa donc la scène entre l’Argentée et son Lié qui devait être un vampire et qui était accompagné de l’un de ses pairs, puis l’esquisse de conversation entre elle et l’Améthyste. Il n’osait pas intervenir même si quelques mots lui brûlaient les lèvres –enfin, c’est une expression bipède qui ne se prête pas vraiment à un dragon mais bon, l’idée reste exactement la même-. Mais la patience était une arme bien plus utile qu’un beau discours parfois. Alors il se contenta de les observer encore un peu, ne sachant trop s’il serait judicieux de s’incruster dans la discussion. Il en doutait fortement au vu du tempérament de la dragonne.

Mais le dragonnet finit par se laisser distraire par l’agitation qui régnait tout autour de lui et il se laissa entraîner par l’air rythmé, se faufilant entre les pieds des danseurs, manquant d’en faire chuter plus d’un. Et puis il finit par se retrouver malgré lui entre deux danseurs vampiriques qu’il reconnut presque aussitôt. Le Lié de Trissi et cet autre vampire dont le nom lui était inconnu. Il tenta de les éviter tant bien que mal mais l’un d’eux lui marcha sur la queue et, répondant à son instinct sous le coup de la douleur, le petit dragon de nacre se retourna et mordilla la jambe du danseur le plus proche de lui. Regrettant aussitôt son geste, il pria silencieusement le Dracos que ce ne soit pas la moitié d’âme de Trissi, redoutant sa réaction. Et si elle le mangeait, qu’adviendrait-il de son doux Baptistrel ?

Pour Kedrildan & Lewyn:

Elle avait pris une grande inspiration, gonflant son esprit, prête à l'étendre à toute la ville pour que chacun puisse entendre la nouvelle. Elle en était certaine: devant un tel comportement, devant une telle annonce, l'empereur elfique ne pourrait que concéder à ce qu'un dragonnier lui vole la vedette, à ce qu'ils fassent deux mariages en un !D'une part, parce qu'il n'aurait pas le choix. D'autre part, parce qu'il avait prétendu être favorable à l'alliance entre les peuples. Ne serait-ce point dommage de se fâcher pour avoir refusé de lier l'amour de deux êtres.
Malheureusement, son cri mental resta coincé en son âme, Kedrildan lui coupant la parole in extremis. Roh… Quelle mauvaise tête, et quelle mauvaise fois ! Soit-disant qu'ils ne se connaissaient pas assez… Croyait-il vraiment qu'à l'instant où il estimerait suffisamment connaître Lewyn, le mariage elfique serait encore en cours, avec autant de potentiels invités ? Ces bipèdes n'avaient aucune logique, même draconisés par le Lien.
Pour l'argentée, c'était plus qu'évident, et les mots couinés par son vampire n'y changeaient rien: ils s'aimaient ! Kedrildan ne l'avait-il pas admis, en comparant Lewyn au père de son oeuf ? Le voir ainsi nier, le voir passer à côté d'une si belle opportunité… Elle transmit à Lewyn ainsi qu'à son roux son ressenti. Les deux purent sentir un lourd soupir plein de lassitude et de déception s'abattre sur leurs âmes. Elle leur envoya également une sorte de grondement sourd; c'était là sa façon à elle d'insister, de demander "allez, dites-moi oui, ou je vais être insupportable". Cela ne porta pas ses fruits. Un bref instant, elle montra les crocs, sa tête triangulaire résoluement penchée vers les deux vampires.

"- Les enfants dragons n'ont pas besoin que leurs parents agissent à leur place, contrairement aux bipèdes." Pour Kedrildan seul, elle ajouta: "Tu devrais écouter mes conseils. De nous deux, tu n'es pas celui qui a trouvé son mâle."

C'était violent, c'était piquant. C'était de bonne guerre également. Il n'avait qu'à la servir, et reconnaître combien ses intentions étaient louables, et ses actions bienveillantes et pertinentes !
Elle ne craignait pas de vraiment le vexer. Elle et lui savait qu'il avait eu d'autres "conquêtes" plus fructueuses (le consentement n'étant pas un critère pour définir un être vivant comme une conquête, pour qui côtoyait le dragonnier d'acier). Loin de s'imaginer que Kedrildan pouvait avoir besoin de soutien avant un certain moment, elle se détourna de lui, lui ferma son esprit, boudeuse. Bientôt, il put totalement sortir de ses pensées. La silhouette unique du dragon d'améthyste rentra dans son champs de vision, son esprit vint contacter le sien. Cela la fit dé-bouder un peu. Elle ne l'avouerait pas, mais elle appréciait sa façon de communiquer avec elle, et commençait à comprendre auprès de lui ce qu'était le sens de l'esthétique. Elle le trouvait beau, avec ses cornes ainsi faites, avec l'agencement de ses écailles, ses proportions, et sa façon de se mouvoir.
Mais non, surtout ne pas l'avouer. Ils n'avaient fait Alkhytis que par devoir, n'est-ce pas ?

"- Oh, si. Mais d'ordinaire, il accepte mon soutien. C'est ce vampire, là…" Mentalement, elle désigna Lewyn. "Il le rend complètement fou. Les bipèdes ont d'étranges réactions à leurs instincts de reproduction, ne trouves-tu pas ?" Quant à cette histoire de farce, elle détourna la tête, se forçant un peu pour faire mine de n'être qu'une innocente dragonette. "Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler. Aurais-tu eu des ennuis, doux Cynoë ? Tu peux me le dire, j'irai en châtier l'auteur !"

À nouveau son attention fut prise, par un glapissement qu'elle ne connaissait que trop bien. Elle sut immédiatement repérer son origine, et examiner la scène. Le petit fils de nacre de Silarae, tout désolé, et son Lié avec un bobo dans le bas de sa jambe. La réaction fut immédiate, et sans appel: sur la foule, sans compter, Trissi transmit son grand amusement, l'équivalent par l'émotion pure de ce qui aurait été un rire bipède, tandis qu'elle restait immobile, les yeux tous juste plissés de bonheur. À Kaalys seul, elle transmit, fière:

"- Bien joué, brave enfant ! Ne te laisse donc pas marcher dessus ! C'est à eux de s'écarter de toi !" Suivit de moult compliments, sans mots, pour lui faire comprendre combien il grandissaiit bien, combien il était un beau spécimen de leur espèce, et un futur très bon adulte.

Et ce qu'il redoutait arriva. C'était bel et bien le Lié de la dragonne d'argent que le petit écailleux venait de mordre. Inquiet, affolé même, il perdit ses moyens et il lui fallut de longues minutes pour parvenir à s'exprimer de façon assez claire pour que tous, dragons, dragonniers et les autres puissent le comprendre. Mais il lui fallait éviter un possible conflit au plus vite, surtout avec le caractère de Trissi.

-Je suis vraiment désolé, j'ai agi par instinct. Quand l'un de vous deux à marcher sur ma queue, j'ai mordu au hasard pour me défendre. Je vous présente mes plus sincères excuses,

conclut-il en se tournant vers le dragonnier à l'odeur étrange et en lui transmettant son sentiment de culpabilité.

Et s'il avait déclenché un incident diplomatique lors de ce mariage qui était censé être un signe de la paix qui régnait depuis la chute de Vraorg? Alors, le petit dragonnet s'en voudrait pour le restant de ses jours et Dracos seul sait à quel point cela pouvait être long. Le Lié du Baptistrel aurait pu soigner sa "victime" si seulement il avait su utiliser un peu mieux la magie qui coulait dans ses veines. Il se tourna vers l'Argentée et, inclinant la tête devant elle en signe de rest mais aussi d'excuses, il lui dit.

-Je suis désolé d'avoir blessé ton Lié, Trissi. Je ne le voulais pas...

Mais la réaction de la dragonne le surprit. S'il l'avait connu davantage, peut-être aurait-il été moins étonné mais les propos de l'écailleuse le prirent au dépourvu. Des... compliments? Kaalys ne savait plus s'il devait être fier ou gêné. Se dandinant, d'un côté puis de l'autre, le dragonnet aux yeux d'or finit par bredouiller un "merci" hésitant. Qu'il se sentait minuscule devant ses deux aînés. Soudain, l'excitation ambiante mêlée à sa curiosité reprirent le dessus sur son inquiétude et son balancement cessa. Son regard doré posé sur l'Argentée, il se lança à lui poser quelques questions plus ou moins indiscrètes.

-Dis, pourquoi n'es-tu pas fâchée que j'ai blessé Kedrildan? Moi, je pense que si c'était arrivé à Dawan, j'aurai été en colère. Et puis, en quoi mordre un bipède qui n'a pas fait exprès de me faire du mal fait de moi un "brave enfant"?

Oui, Kaalys se posait bien d'autres questions mais le petit dragon de nacre n'était même pas certain que son aînée accepterait d'y répondre. Alors, autant attendre les premières réponses avant de continuer. Enfin, les festivités étaient bien loin d'être terminées et il aurait sans doute le temps de questionner Trissi plus tard si ce n'était pas maintenant.

Pour le coup, Trissi pouvait avoir des raisons de se fâcher. Le petit de nacre s'excusait ! Comptait-il devenir, à l'image de Möebius, un dragon domestique prêt à courber l'échine devant les moindres folies bipèdes ? Cette colère-là, naissante, ne fut pas suffisante pour prendre la place des encouragements et félicitations, sur l'instant.
Les questions du petit vinrent à point nommé. Ainsi elle allait pouvoir lui parler sérieusement, accomplir la volonté de sa défunte mère, et commencer les enseignements qui feraient de lui un véritable dragon. Ravie, Trissi eut un petit mouvement d'ailes, un balancement de la queue qui menaça de faire tomber quelques bipèdes alentours. Elle s'en moquait. Son esprit se penchait vers celui de Kaalys, sérieux et doux, mais sans vraiment s'inquiéter que ses pensées soient également audibles à d'autres:

"- Ne t'en fais donc pas; tu vois bien qu'il n'est pas sérieusement blessé. Ne t'excuse pas non plus. Tu n'as pas à le faire. Ton instinct t'a correctement guidé, et tu dois l'écouter. Nous disposons d'une sagesse au-delà de cette logique bipède qui te fait culpabiliser. Tu dois entretenir et choyer ce qui fait de toi un être supérieur, si tu veux protéger ce que tu aimes." Un bref instant, le regard de Trissi se tourna vers son Lié. Elle aurait pu accélérer sa guérison, d'un sort, mais… Elle ne le fit pas. Au lieu de cela, elle continua sa leçon:

"- Vois, Kaalys. Le puits de sagesse que tu recèles a su t'indiquer que Kedrildan avait mal agi. Il a su te montrer que faire. En plus d'avoir su réclamer la place qui t'est due dans leur monde, tu as appliqué les lois au-delà de leurs conditions. C'est parfait. Voilà en quoi tu es un brave enfant. Aie foi en ce que tu es."

La voix de la sagesse -comprendre "la voix de Trissi"- avait parlé, solennelle. Elle laissa au petit le soin de s'approprier ces mots. Pendant ce temps, elle s'intéressait à nouveau à ce petit être qui partageait son âme, et qui venait de recevoir une toute autre leçon. Peut-être était-il temps de cesser la bouderie entre eux deux:

"- Alors ? Tu n'as toujours pas changé d'avis, mon tout-beau, devant la justice des dragons ?"

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