Quatre mois. Quatre mois qu'elle ne dormait plus, mangeait plus – à peu de chose près… - et ne respirait plus… Le temps pouvait paraître long, c'était ce que les mortels imaginaient… Certains collègues de l'ancienne princesse elfique lui avaient d'ailleurs posé la question, fort de sa véritable nature, mais elle avait toujours répondu avoir quelque chose à faire, à penser… et puis … Le temps était une notion très abstraite pour un Elfe, mais l'était encore plus pour un vampire, un être immortel…

Orfraie ne se souvenait pas de sa vie passée, elle ne se souvenait pas des six cent soixante et onze dernières années … Elle avait quelques flashs lorsqu'elle évoquait certain sujet avec Lewyn. Des sons, des odeurs lui revenaient… Mais sans son ami, son père vampirique, Orfraie n'aurait jamais su qui elle était. Elle lui était redevable pour cela et pour bien d'autres choses.

Mais, depuis sa transformation, le destin avait joué avec elle et avait placé sur sa route le magnifique dragon de Jade, Firindal. Dragonnière, qui l’eut cru ? Ce nouveau statut permettait à Orfraie de vivre un peu plus sereinement au milieu des hommes tandis que le lien entre elle et son lié lui permettait de mieux contrôler ses instincts. En effet, depuis son éclosion, le temps avait permis aux deux êtres de s’apprivoiser. Désormais, lorsque la vampire était sujette à une « crise », Firindal était là pour l’apaiser… et cela marchait particulièrement bien.

En cette soirée de septembre, l'ancienne Rôdeuse s'était éloignée du palais où se tenait une réception. Orfraie et Firindal étant inséparables, la vampire n’était pas de garde ce soir, évitant ainsi à son lié d’être l’attention de toute une foule. Le jeune dragonnet intéressé beaucoup ceux que la vampire croisait, après tout un si jeune dragon était tout un évènement.

Orfraie et Firindal s'étaient donc installés sur une terrasse dans l'aile des Lames Écarlates. Celle-ci était totalement vide de vie à cette heure, tous les invités et toutes les Lames se trouvant à l'intérieure du palais. L'été était presque passé et le fond de l'air était de plus en plus frais, mais cela ne dérangeait pas la vampire, ni son lié. En effet, celle-ci ne ressentait plus le froid et pouvait donc se tenir au bord du balcon, les mains sur la rambardes de pierre blanche, sans craindre la température. L'Ancestrale ne portait pas son armure mais une simple tunique elfique d'un vert émeraude qui se mariait parfaitement à sa longue chevelure lie-de-vin et qui allait de pair avec le dragon accroché à ses épaules. Son lié avait bien grandit, mais il n’avait pas perdu cette habitude. Orfraie aimaut beaucoup l’avoir là, la sensation de ses écailles contre ses vêtements lui faisait du bien. Elle aimait être en contact avec lui. A la ceinture de l’ancienne princesse était fixé le fourreau de son épée, Fëalócë, qui la quittait rarement. Sa « griffe » comme l’appelait Firindal. Le saphir incrusté dans le pommeau semblait luire dans la nuit. L'épée avait sans doute un fort passé, mais Orfraie ne s'en souvenait pas et Lewyn n'en savait rien… Levant la main, Orfraie vint caresser le dessous de la mâchoire de son lié. Elle savait qu’il appréciait particulièrement cet endroit. La communication entre eux se passait de mots. Tout n’était que pensées et sensations lors de leur conversation, du moins principalement. A travers leur lien, elle lui envoya tout son amour et le plaisir d’être en sa compagnie dans ce silence parfait.

Soudain, l'ouïe du lièvre lui permit de déceler des bruits de pas. Son flair d'Immortel prit ensuite le relais et celle qui avait été une princesse Elfe décela l'odeur caractéristique de cette race. Un invité s'était-il perdu ? Sans doute ne viendrait-il pas déranger la vampire… du moins l'espérait-elle…

Mais elle s'était trompée. Elle entendit clairement l'Elfe s'arrêter et retenir sa respiration… Puis prononcer son nom. Orfraie sentit un frisson parcourir son corps : Cette façon de prononcer son prénom ne pouvait signifier qu'une chose, toutefois… « Nous nous connaissons ? » Demanda tout de même l'ancienne princesse en se retournant, dévoilant son visage à la nouvelle arrivante, mais surtout en dévoilant le facies de Firindal, face à la lune. La peau autrefois délicieusement bronzée d'Orfraie était beaucoup plus claire et sous la lueur de l’astre nocturne, elle paraissait presque totalement blanche. Les deux cicatrices qui ornaient son visage étaient également un peu plus visibles sur cette peau si claire… quant à son regard, il n'était que plus intense, cerné de noir. Sans jamais cesser de cajoler son lié, elle reprit. « Évidement que nous nous connaissons. Vous avez cette façon de prononcer mon nom... ». Elle détourna le regard, dévoilant ses crocs en un sourire triste.

Quelque peu interdite, Orfraie observait la jeune femme se tenant face à elle. Elles s’étaient connues, cela ne faisait aucun doute, mais la multi-centenaire n’arrivait pas à se souvenir malgré les efforts qu’elle déployait en cet instant. La perte de sa mémoire étai très handicapante lors de ce genre de rencontre. Firindal s’adressa alors à sa liée, tournant son esprit vers celle-ci. La vampire posa un instant son regard sur le dragonnet, caressant sa tête écailleuse.

# Je ne sais pas. Quelqu’un de mon passé. # Lui répondit-elle, son lié pouvant sentir à quel point cela la rendait mal à l’aise et l’attristait. Elle n’aimait pas voir ceux qui avaient été proche de son ancienne elle souffrir.

Et l’Elfe pleurait, désormais, et l’Ancestrale se sentait particulièrement mal, et mal à l’aise. Cette femme avait vraisemblablement couru jusqu’ici et mis à mal sa tenue pour la trouver. Et à ses dires, elles se connaissaient plus que très bien… Orfraie tiqua évidement sur l’adjectif- possessif utilisé. « Ma princesse » … Orfraie ferma les yeux sous le coup de l’émotion. Elle avait oublié quelqu’un d’aussi proche et cela l’énervait et l’agaçait… Et la rendait particulièrement triste. Évidement, elle avait également oublié la fille dont cette femme faisait référence mais dont elle était toutefois la marraine. Mais, pire que tout, cette femme l’aimait. Ou plutôt, avait aimé celle qu’elle avait été autrefois.

N’y tenant plus, la princesse déchue fit les quelques pas qui les séparaient. Malgré la perte de son titre et de son statut d’Elfe, celle qui se trouvait face à elle semblait n’en avoir rien à faire. C’était plaisant, car Orfraie avait eu l’occasion de rencontrer quelques Elfes qui s’étaient montrés particulièrement… blessants… Du moins avant la naissance de Firindal. Depuis celle-ci, Orfraie était traitée avec bien plus d’égard… On ne murmurait plus sur son passage et on ne colportait plus des rumeurs sur son potentiel statut de Vampire – ce qui était vrai bien sûr.

Avec une grande douceur, la Vampire leva la main à hauteur du visage de l’Elfe et vint essuyer ses larmes du revers de son index. Elle y allait doucement. Harthea ne manquerait surement pas d’être étonnée, car la peau de l’Ancestrale n’était pas glacée, comme elle pouvait s’y attendre, mais délicieusement chaude.

« Je suis vraiment navrée. J’essaie de me souvenir, mais rien ne me viens. C’est très frustrant, vous n’avez pas idée. »

La Vampire laissa tomber sa main, son bras revenant le long de son corps. Elle sembla réfléchir quelques instants, détournant le regard pour le poser sur Firindal. Ses iris bleus glacés revinrent toutefois rapidement se poser sur la jeune femme. « Lorsque Lewyn me parle de qui j’étais, j’ai l’impression d’être face à la vie d’une autre combien même je sais que c’est la mienne… Toutefois… Accepteriez-vous de me parler de nous ? Et de qui j’étais pour vous. » Demanda l’Ancestrale avec un petit sourire. D’un geste, elle invita l’Elfe à se rapprocher de la balustrade de pierre, où se trouvait Firindal. Orfraie aimait être à son contact, aussi revint-elle près d’elle, déposant un baiser sur le bout de son museau écailleux en caressant son cou.

Orfraie dissimulait du mieux possible sa gêne et son trouble, mais cela était difficile. Rencontrer quelqu’un ayant connu son ancienne elle était toujours déstabilisant, d’autant que la douleur d’Harthea était palpable. Toutefois, une chose m’était du baume au cœur désormais desséché d’Orfraie : L’Elfe l’acceptait telle qu’elle était désormais, et cela fit grandement plaisir à l’Ancestrale, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres pulpeuses. Toutefois, elle ne doutait pas que les autres Elfes accepteraient également sa malédiction maintenant qu’elle était dragonnière… ou au moins ne lui cracheraient-ils par ouvertement au visage. Toutefois, Firindal avait des réserves et il ne manqua pas d’en faire part à sa liée. Celle-ci couvait son lié avec amour, continuant à caresser son cou.

# J’ai envie de savoir, mon doux lié. Et combien même il fut douloureux, cela m’importe peu. Ce passé… J’ai l’impression qu’il est celui d’une autre alors que ce fut pourtant ma vie. Cette femme ne me blessera pas, même si elle me conte quelque chose de malheureux. #

Orfraie tentait de rassurer son lié. Elle le savait très protecteur, elle avait eu l’occasion de le sentir en présence de Lewyn ou de Luna. La Vampire se tourna alors vers Harthea.

« C’est… plaisant. Je sais que … que ce que je suis devenue me classe dans la catégorie « pariât » du peuple Elfique. Du moins… pour un grand nombre d’entre eux. » se corrigea la guerrière en offrant un léger sourire, quoi que tinter de tristesse, à l’Elfe. « Mais quand ils sauront pour Firindal et moi… Cela sera probablement très différent. » Ajouta l’ancienne princesse.

La vampire se mura alors dans le silence, et Harthea entreprit alors de lui répondre. Toutefois, elle tint à ne pas lui révéler ce qu’elles étaient l’une pour l’autre. A cela, Orfraie hocha simplement le menton de haut en bas. Elle ne la quitta pas du regard tout au long de son récit, en oubliant même de respirer...combien même cela lui était inutile. L’Ancestrale était pendue à ses lèvres, concentrée également. Elle faisait de réels efforts pour tenter de se souvenir, mais son passé commun avec Harthea demeurait parfaitement dissimulé dans le brouillard de sa mémoire.

Grâce à Harthea, l’Ancestrale touchait du doigt de nouveaux éléments de son passé, combien même avait-elle l’impression qu’il ne lui appartenait pas. Elle savait ce qu’elle avait fait pour son peuple, comment elle avait conduit l’armée, combattu Vraorg… Et cela lui faisait du bien. Elle découvrait celle qu’elle avait été, se retrouvant dans cette description tout en y décelant des différences. Par rapport à son ancienne elle, Orfraie se savait plus sauvage, plus prompte à s’emporter, plus instable… Les résultats de sa nouvelle condition, des effets secondaires qui s’estomperaient avec le temps, mais également grâce à la présence de Firindal à ses côtés.

Toutefois, si Harthea n’avait pas voulu dire à quelle point Orfraie comptait pour elle, son corps la trahissait. Son cœur battait fort, l’ouïe de son totem lui permettait de l’entendre. Son odeur était même différente… Enfin, la vampire ne manquait pas de déceler les larmes qu’elle retenait ou les léger trémolos dans sa voix… Cet Elfe tenait à elle, c’était indéniable, mais jusqu’à quel point ?

Doucement, l’Ancestrale leva une main. Du bout des doigts, elle caressa la joue délicieusement douce et chaude de l’Elfe. A travers le lien, elle sentait que Firindal n’était pas vraiment d’accord. Elle le savait possessif et lui envoya donc des ondes rassurantes, des ondes d’amours pures et sincère. Il serait toujours à la première place dans son cœur et dans son âme, qu’ils partageaient. L’avantage d’être face à une représentante du beau peuple était l’immunité de celle-ci : son sang n’attirait pas Orfraie comme celui des Humains, lui offrant un peu de répits. Dans un murmure, en Elfique, l’Ancestrale prit la parole. « Vous ne souhaitez pas me dire ce que nous étions l’une pour l’autre, mais vous ne pouvez me le cacher. Je le devine entre les lignes... Vous étiez très proche de mon ancienne moi car elle était la marraine de votre fille… Mais quelque chose me pousse à croire qu’il y a plus qu’une simple amitié, que c’est plus fort que cela. Votre ton, votre regard, vos gestes, votre façon de vous comporter avec moi… Alors dites-moi, Harthea Thaidforodren, ce qu’il en est. » Termina l’ancienne princesse Elfe en saisissant doucement le menton de l’Elfe entre ses doigts glacés, soutenant son regard sans sourciller. Le bleu royal face à un océan bleu gris.

Le bleu roi fixé Harthea sans sourciller. Orfraie avait ce regard spécial, elle semblait observer le monde, et surtout l’Elfe, avec le recul de tous ses siècles passés. En cet instant, elle avait un regard impérieux qui ne laissait pas de place au mensonge. Elle avait le regard de la princesse qu’elle avait été… 

A côté d'elle, l'Ancestrale entendit toutefois très nettement les griffes de Firindal entamer la pierre de la balustrade. Elle sentait également toute sa … Jalousie. D'un côté, Orfraie trouvait cela adorable, Firindal se montrait si protecteur… Mais de l'autre, elle savait que cela poserait sûrement problème à l'avenir. Voulant le rassurer, une fois de plus, la liée lui envoya tout son amour à travers leur lien… elle n'aimait pas sentir Firindal souffrir ainsi. Elle le voulait heureux et -si le dragon le souhaitait – Orfraie était prête à se fermer à l'amour pour qu'ils soient ensemble, rien que tout les deux, pour l'éternité.

Toutefois, pour l'instant Harthea ne semblait pas vouloir se défaire de l'entreprise d'Orfraie. Il était plaisant de se trouver face à une personne ne craignant pas celle qu’elle était devenue… Mais Orfraie était loin de se doutait à quel point Harthea ne la craignait pas… Aussi, ne vit-elle pas venir le baiser.

Un baiser. Elle en avait oublié la sensation. Une délicieuse sensation qui réchauffa le coeur endormis de la princesse, Sans nuls doutes aurait-elle sentit son coeur s’emballer si elle avait été encore mortelle… Mais à la place, ce fut une explosion dans son cerveau. Pendant un instant, l’Ancestrale cessa de réfléchir et s’abandonna à ce baiser malheureusement trop court.

A regret, elle vit l’Elfe se reculer. Pire, elle croisa son regard. En cet instant, la diplomate, l’Elfe propre sur elle, avait laissé place à l’amie amoureuse de son ancienne elle, à l’elfe qui espérait la retrouver, qui espérait retrouver une place dans son coeur. Orfraie demeura interdite alors qu’Harthea prenait la fuite. L’oublier ? Elle l’avait fait une fois, mais ne pourrait pas le faire une seconde fois. Cette Elfe l’avait embrassé en connaissant sa nature, elle était la première de ses semblables qu’Orfraie croisait et qui ne la regardait pas de travers. Ce baiser était synonyme de beaucoup pour l’Ancestrale. Une chance, une lueur d’espoir dans le noir… pour être un jour accepté de nouveau par les siens. Car en son coeur, en son âme, elle restait Elfe. Une partie d’elle demeurait avec son peuple d’origine et une autre partie appartenait aux Vampires. Une autre, plus récente, appartenait à Firindal, aux cieux, à la liberté. Mais pour Elfes et Vampires, elle était un pond, un chemin entre ces deux peuples, ennemis depuis la nuit des temps mais pourtant si proche… et Harthea, avec ce baiser, venait de donner l’espoir à Orfraie : un jour, peut être, son peuple serait prêt à accepter les vampires, frères de l’obscurité. A l'acceptait elle.

Soudainement, l’Ancestrale se leva. Elle ne pouvait pas la laisser fuir. Humant l’air, il ne lui fallut qu’un instant pour retrouver le parfum de l’Elfe, reconnaissable entre milles. Toutefois, alors qu'elle allait s'élancer à sa poursuite, Firindal la rappela à l'ordre. La vampire tourna son regard bleu roi vers lui, intrigué. Le jeune dragon l'observait, plongeant son regard dans le sien. Il semblait si sérieux en cet instant, assit bien droit sur la rambarde, les ailes repliés dans son dos. Il n'y eu aucun mot échangé à travers le lien, seulement des sensations et des pensées, des idées. Lentement, l'Ancestrale se rapprocha de son lié. Il lui conseillait d'attendre, de laisser du temps à l'Elfe. Et c'est ce qu'elle allait faire. Doucement, la dragonnière prit la tête écailleuse de son lié entre ses mains et posa son front sur le sien. Que ferait-elle sans lui ?