La mort n’était pas une fin en soi. Cela, Orfraie l’avait toujours pensé. Mais avec la mort des Esprits, cette conviction s’était ébranlée. Aujourd’hui plus que jamais, la princesse et générale elfique doutait. Elle n’avait pas vue le coup venir, elle n’avait pas su esquiver, bloquer. Désormais, sa vie ne tenait qu’à un fil. Allait-elle mourir aujourd’hui ? Si c’était le cas, alors elle serait morte comme elle l’avait toujours voulu : Auprès de ses amis, l’arme à la main.

Au bord de l’inconscience, elle se laissait porter par Lewyn. Fort heureusement, celui-ci était suffisamment fort pour pouvoir le faire. Les autres Rôdeurs présents n’avaient plus assez d’énergie pour soulever et transporter leur générale, aussi avaient-ils laissé le vampire se charger d’elle. Le petit groupe avait été sauvé par nul autre que Verith, le dragon de l’ire. Toutefois, celui-ci n’avait pas daigné aider Orfraie, la condamnant de se fait à la mort.

Dans sa presque inconscience, Orfraie sentit qu’on la déposait. Ça y est, était-ce la fin ? Allait-elle mourir ? L’Elfe avait très froid malgré l’enchantement de son armure, elle savait que c’était la mort qui arrivait pour la faucher. Elle parvenait toutefois à entendre, et elle se fit violence pour ouvrir les yeux lorsqu’elle entendit son ami l’appeler, lorsqu’elle sentit sa main froide prendre la sienne. Le bleu royal d’Orfraie rencontra celui de Lewyn, et l’Elfe se permit un petit sourire. « Ça va aller. Ce n’est… ce n’est pas ta faute. » Doucement, la Générale resserra ses doigts sur ceux de son ami. « Je ne veux pas mourir. » Ajouta celle-ci, plus pour elle-même que pour son ami ou ses Rôdeurs. Ces derniers s’étaient approchés et entouraient désormais Lewyn et Orfraie, couvant celle-ci d’un regard triste. Le regard de la Générale revint se poser sur le vampire après avoir parcouru les visages de chacun des Rôdeurs. Elle avait soudainement une idée. Elle reprit la parole dans un éclair de lucidité. « Lewyn. Tu peux encore .. me sauver. J’ai 671 ans. Mon sang n’est pas... n'est pas... immunisé à ta morsure. » Soudainement, la Rôdeuse saisit Viladric par le cou et l’attira vers elle, très proche, si bien qu’il pouvait sans le moindre doute sentir le souffle de l’Elfe sur son visage. « M-mord-moi. Je p-préfère mou-rir pour re-renaître que mourir et ne ... et ne... jamais revenir. »

Elle le maintenait tout prêt d’elle. Son regard ne quittait pas le sien. Si elle fermait les yeux, Orfraie n’était pas certaine de les rouvrir. Autour d’elle, les Rôdeurs échangeaient un regard. Ils étaient partagés. Voir leur générale, leur princesse devenir un vampire était une idée pour le moins troublante et qui, à coup sûr, ne manquerait pas de faire des remous chez les Elfes. Quant à Orfraie, sa décision était prise. Elle ne voulait et ne pouvait pas mourir maintenant. Il y avait encore tant de chose à faire… et l’éternité vampirique ne serait pas de trop. Alors, dans un murmure, elle répondit à Lewyn. « J’en suis certaine. Je s-sais ce que je vais ... sacrifier, ce que je vais ... perdre. J’aurais ensuite l’éternité… pour tout retrouver. »

Le regard de la princesse se posa ensuite sur les Rôdeurs. Ils s’approchèrent tous d’un seul homme et s’accroupirent afin d’être à la hauteur de leur générale et amie. Celle-ci relâcha Lewyn et tendis la main, qu’un de ses hommes prit. Plus que ses guerriers, ils étaient ses amis et sa seconde famille. « Rentrez à Estëllin. Dites à ma famille… Dites-leur ce qui s’est passé… dites-leur que c’est mon choix. Dites-leur que je les aime. » Elle relâcha la main du Rôdeur. « Puissions-nous nous revoir. »

L’Elfe reporta son attention sur Lewyn alors que les Rôdeurs se reculaient, sans jamais lui tourner le dos. Elle sentait leur appréhension. L’un d’eux grimpa sur le dos d’Hajja et intima à Arphen de le suivre. Du coin de l’œil, elle les observa s’éloigner, laissant seule leur Générale. Ils savaient ne rien pouvoir faire, ils savaient devoir laisser Lewyn tenter le tout pour le tout. La princesse laissa les larmes qu’elle retenait depuis quelques minutes dévaler ses joues pour venir mourir sur ses lèvres. Son regard bleu roi était particulièrement brillant alors qu’elle posait celui-ci sur son ami. Doucement, la Rôdeuse leva de nouveau la main. Elle posa celle-ci sur la joue glacée de Lewyn, puis la fit glisser jusqu’à sa nuque. Elle l’attira contre elle, presque comme si elle voulait lui faire un câlin. En vérité, elle lui donnait surtout accès à son cou.

« Merci pour tout... Je suis prête. »

Spoiler:

Orfraie était prête. Son destin était désormais scellée. Lewyn tout contre elle, elle attendait la fin.

Alors, elle le sentit se pencher vers son cou. Elle sentit son souffle sur sa peau. Elle sentit ses lèvres, puis ses crocs transpercer sa chair. Elle ne pu retenir une plainte étouffée. C’était douloureux, moins qu’elle l’imaginait, mais douloureux tout de même. Soudainement, Orfraie eu très peur et très froid. Puis le froid fut remplacé par le chaud. Le venin pénétrait rapidement en elle, il circulait dans son système sanguin. Elle ferma les yeux si fort qu’elle vit les étoiles, se retenant de gémir de douleur. Elle tendit ensuite Lewyn bouger, juste au dessus d’elle, mais ne répondit pas. Elle lui faisait confiance.

Elle sentit la flèche pénétrer sa chair, le noctare fait doucement effet. Elle s’endormait… allait-elle se réveiller ? Peut être, peut être pas. Elle n'en savait rien. Aussi, alors qu’elle sombrait, la dernière pensée de la princesse fut pour sa mère, car dans les moments les plus terrifiants, beaucoup repensaient à leur mère. Et même pour une Elfe de six cent soixante dix ans, cette pensée fut rassurante.

Dans son sommeil, l’Elfe ne ressentit pas la douleur. Tout juste avait-elle extrêmement chaud, mais le noctare l’empêchait d’avoir mal. C’était sûrement bien mieux ainsi. Endormit, elle n’avait pas conscience des changements qui s’opéraient en elle… Mais sa peau était couverte de sueur, son corps se crispait régulièrement et parfois elle laissait échapper une plainte.

Les heures s’écoulèrent ainsi. Longues, très longue. Vingt quatre heures plus tard, le venin avait fait son effet, il avait accompli sa tâche. La peau de la princesse s’était terriblement éclaircit et était désormais fraîche. Son coeur, surtout, avait cessé de battre. Enfin, sa mémoire s’en était allé, victime de la malédiction. Tout juste se souvenait-elle de ses derniers instants en tant que mortel et, étrangement, du visage de sa mère ainsi que l’amour qu’elle avait pour elle.

Dans la nuit, uniquement éclairé par la Lune, Orfraie naquit une seconde fois. Elle s’éveilla pour ne jamais se rendormir, du moins jusqu’à ce que la mort la fauche pour de bon. En sursaut, elle se redressa. Assise à même la terre, son regard bleu roi balaya les environs alors qu’elle sentait sa gorge lui brûlait. C’était la sensation de la soif, elle le devina aisément. Dans le silence le plus complet, presque morbide, elle se releva. Celle qui avait été une princesse n’avait plus la beauté si caractéristique des Elfes. Celle-ci avait été remplacée par un charme ténébreux qui lui sied bien, avec ses cheveux presque rouge et son regard bleu roi encore plus intense que lors de sa vie de mortelle.

Alors, dans la nuit, elle distingua sans mal une silhouette. Elle distingua Lewyn. Présent lors de la fin de sa vie mortel, elle se souvenait de lui. Elle savait qu’il était son père vampirique, son créateur. Soudainement, la brûlure dans sa gorge se fit plus violente, et Orfraie tomba à terre, à quatre patte, une main sur sa gorge.

« Lewyn ! » Eut-elle le temps d’appeler.

Un gémissement suivit son appel. La brûlure de sa gorge était si intense qu'elle en avait mal, très mal. Ses doigts fins et pales se serrèrent autour de sa gorge. Elle avait envie de se la arracher tant elle avait mal. Toutefois, ses pensées se détournèrent de la soif lorsqu'elle entendit Lewyn lui répondre. Toujours à terre, elle tourna son visage vers lui. Dans la nuit, elle le voyait parfaitement. Il souriait. Un sourire à la fois triste et heureux. Triste d'avoir perdu … D'avoir perdu son ancienne elle. Orfraie fronça les sourcils lorsqu'elle tenta de se souvenir. Rien ne lui venait. Elle n'arrivait pas à se souvenir de… Du passé. Elle se souvenait à peu près de ses derniers minutes en tant qu'Elfe, mais le reste… C'était une sensation de vide bien étrange, mais en même temps elle se sentait apaisé. Le passé… Toute la douleur, la tristesse… tout cela s'était envolé. Elle se doutait avoir perdu plus que cela, aussi, mais… Quelque part, elle s'en moquait. Elle n'était plus celle qu'elle avait été… Elle était une partie de son elle passé, mais tellement plus également.

Revenant au présent, elle vit Lewyn déposer au sol un calice. Elle l'observa le remplir de sang, hypnotisé par la couleur de ce liquide, ainsi que par son odeur. Elle se sentit saliver à la seule idée de le boire. En silence, elle saisit le calice, puis le porta à ses lèvres. Elle savait qu'une si petite quantité ne serait pas suffisant, mais elle en savoura chaque gorgée. Les paupières closes, elle but son premier repas et s'en délecta. Déjà, elle sentait la brûlure de sa gorge se faire moins forte, elle parvint presque à l'oublier.

Alors, elle le laissa l'aider à se relever. Elle prit même appui sur lui avec plaisir, car elle se sentait encore faible. Comment se sentait-elle ? La vampire haussa un sourcil et prit quelques instants pour répondre. « Je… Étrangement… Je … Je me sens bien. Très bien même. » Elle vint caresser sa gorge de sa main droite, le regard soucieux. « Mais… j-je ressens cette brûlure. C'est douloureux. »

Elle le trouvait très délicat et attentionné. Cela lui fit plaisir, aussi sourit-elle à son ami en plongeant son regard dans le sien. Elle le laissa la serrer contre lui, et Orfraie passa ses bras autour de son cou. Beaucoup plus grande que lui, elle vint poser son menton sur le sommet de son crâne.

« Mon frère. » Murmura t-elle, les paupières closes. « Je… J'ai tout oublier. Ou presque. Et étrangement, je me sens bien. Je me sens… En paix. » Poursuivit-elle en rouvrant les yeux. Elle faisait ainsi face à la forêt. « Lewyn… J-j'ai soif. » Avoua t-elle avec une certaine hésitation.