¤ Méditation ¤

4 janvier, an VII ère d'obsidienne


Au nord, dans la partie ouest du continent d’Armanda situé entre le lieu de débarquement des Alayiens il y a sept ans et la forêt noire, à quelques kilomètres de l'orée de cette dernière, se trouvait un dragon. Un dragon rouge. Au sol, légèrement allongé avec les pattes avant l'une sur l'autre, le museau dressé face au vent et les yeux clos. C'est une chose étrange qu'un dragon qui médite, sans doute même inattendu. Après tout, les dragons ne sont pas supposés avoir besoin de ce genre de pratique. Et pourtant le dragon, que les humains nomment ailes-de-mort, médite bel et bien. Ce n'est pas pour son plus grand plaisir il faut avouer, mais uniquement par nécessité. Dans le but d'être en mesure de mener un combat qui aura lieu dans le futur. Tout n’est que conflit pour le dragon rouge, Alors il n’y a rien d’étonnant à ce que sa vie soit rythmée par ces derniers. Et que ses moments de repos ne soient qu'entrainement dans l'attente d'un futur conflit. S'entrainer, c'est effectivement ce que faisait Verith depuis que la honte de la race draconique, Vraorg, était morte. Et la méditation est sans doute la partie la plus important de son entrainement, mais en même temps la plus difficile pour lui. Un souvenir, des paroles flottant dans son esprit depuis quelques années déjà.

« La plupart des chimères ne sont pas très dangereuses, ou du moins pas pour ceux qui savent se comporter en leur présence. Elles sont attirées par deux choses, la puissance magique et aussi et surtout les émotions. Mon peuple recommande de se vider entièrement la tête avant de se risquer à les croiser, et de camoufler sa magie par certains artifices. Cela permet de se rendre parfaitement invisibles à leurs yeux. Mais nous n'avions pas le temps pour ce genre de choses... »

Dire qu’il avait beaucoup appris et en même temps souffert à cause de … cette abomination ! Edwyn Ruddy ! Mais Verith avait bien l’intention de mettre en pratique tout ce qu’il avait appris en le retournant contre tout ce qui voulait du mal à sa race. Tout particulièrement, détruire la création du Tarenth. Le rouge le lui avait déjà dit, il est inutile d’être en colère contre quelque chose de mort, mais le colérique était toujours en colère à l’encontre du créateur du lien. Et s’il était toujours en colère, c’est parce qu’il le considère comme encore vivant, au travers de ses créations. Vraorg était déjà mort, une partie d’Edwyn l’était donc. Mais tant que le lien demeurait, une autre partie de cet être infâme vivrait toujours.

Cependant, Verith n'avait pas pour le moment le temps de s'occuper du lien. Une autre chose présentait une plus grande menace à l'encontre de sa race et de lui-même. Les Chimères. Le descendant de la lignée de l'orage savait déjà comment les combattre et aussi comment les détruire. Cependant la première méthode était insuffisante et la seconde hors de sa portée. Il devait donc trouver un moyen. Et à défaut de trouver un moyen il devait s'en prémunir. Si une façon de s'en prémunir, son ire enflammée, était déjà en sa possession elle restait insuffisante. Le rouge ne pouvait mener un combat indéfiniment, il finirait donc par s'épuiser. Néanmoins, une seconde méthode existait. L'enfant de l'orage en avait connaissance, mais ne la maîtrisait pas. Il devait apprendre à la maitriser. Il s’agissait d’un camouflage. Si les Chimères sont attirées par les émotions et la magie, les dissimuler permet de se rendre invisible. Or le colérique est un véritable volcan en constante éruption pour ce qui est des sentiments. Et la magie … et bien il est tout bonnement un pont permettant à la magie de venir en ce monde.

Toutefois, buter comme il est ce n'est pas ce qui va l'arrêter. Edwyn en avait dit suffisamment pour répondre à ces deux problèmes et la mémoire draconique déverrouiller de Verith faisait le reste. Première étape se vider la tête, en somme maitriser ses émotions et les enfermer au plus profond de soi. Deuxième étape trouver un artifice pour masquer la magie. La première étape relevait complètement de Verith. Il devait apprendre à contrôler sa colère et à la dissimuler au plus profond de lui sans la laisser exploser aux alentours. C'était un exercice difficile, car il allait à l'encontre de la nature du colérique qui laissait rejaillir autour de lui ses émotions les plus virulentes. Mais les dernières années et la malédiction de Vie lui avaient appris à contrôler les émotions. Ce n'est donc pas comme s'il partait de zéro. Il devait renforcer son emprise et dompter son indomptable ire. La deuxième étape en revanche risquait de poser plus de difficultés. Néanmoins, Verith avait plus d'un tour dans son sac. Il comptait bien demander le concours d'une de ses possessions pour trouver l'artifice permettant de dissimuler sa magie.

C'est donc allongé, le museau dressé face au vent, que le dragon s'était plongé dans une profonde méditation. Après deux années d'entrainement, il faut dire qu'il s'en sortait plutôt bien … du moins … tant qu'il n'y avait rien pour perturber sa concentration. Donc tant qu'il ne communiquait pas, ni ne se déplaçait le rouge était en mesure camoufler ses émotions, se vidant l'esprit. Ce n'était pas très utile dans l'immédiat … mais c'était un début. Sans doute même un grand pas en avant pour un individu comme Verith.

Et tandis qu'il méditait, le rouge n'avait pas remarqué la présence d'une cavalière en approche.

¤ Rupture ¤

La sérénité, le vide, l’absence d’émotion … C’était un exercice d’une rare difficulté pour Verith. Faire des acrobaties aériennes, pulvériser une montagne, atteindre les profondeurs abyssales de l’océan … tout cela paraissait bien plus simple aux yeux du dragon rouge. Mais depuis qu’il était arrivé sur Armanda, ce continent n’avait eu de cesse d’exploiter ses points faibles, si bien qu’il avait été obligé de les travailler pour en faire une force et combattre les nouveaux ennemis qui lui faisaient face. Cela avait du bon dans un sens, le colérique était obligé de devenir plus puissant, ce qu’il ne regrettait pas. Mais les exercices étaient de plus en plus complexes et éprouvants. Combattre des dragons ancestraux était un jeu d’enfant en comparaison. Un petit soupir s’échappa du géant de flammes. Sérénité … sérénité … calme … vide … absence d’émotion … c’était plus facile à dire qu’à faire. L’enfant de l’orage avait toujours été d’une nature tempétueuse. Son esprit et son cœur ressemblaient plus à un volcan en éruption ou un ciel cataclysmique qu’un long fleuve calme à l’eau transparente et douce. Un petit grondement siffla entre les crocs acérer du dragon libre. Il n’avait malheureusement pas le choix, et Verith détestait ne pas avoir le choix, cependant ce qu’il faisait pouvait lui être utile un jour prochain.

Fermant les yeux, se tenant le plus immobile possible, le rougeoyant étant venu se plonger dans ses souvenirs du continent sauvage. Les vastes étendues verdoyantes d'une forêt qui feraient passer celle d'Armanda un vulgaire bosquet. Un ciel bleu infini traversé de quelques nuages, navigateur solitaire. Les plaines fleuries du sud et ses nombreux lacs à l'eau cristalline. Petit à petit, l'esprit de Verith s'apaisa. La colère et la haine qui l'animant semblant être aspiré par son cœur qui la générait afin de l'enfermer au plus profond. La cacophonie de rugissements régnant dans la conscience et la mémoire du rouge s'amenuisant jusqu'à devenir un profond silence. Le poitrail du géant commença à se soulever de moins en moins vite. Ses paupières étaient clauses, ses orbites ne bougeant plus sous elle. Sa queue avait cessé de se balancer dans son dos comme un chat grognon. Ses griffes d'ébènes avaient cessé de pianoter sur le dos. Doucement, mais surement le colérique devenait serein. L'atmosphère environnante ne fut plus polluée par l'ire du dragon libre, s'assainissant, si bien que quelques oiseaux se risquèrent à s'approcher et à se poser sur les écailles du dos de l'enfant de l'orage, venant taper leur bec contre pour picorer ce qui avait pu s'y loger.

Mais le rouge ne ressentait pas le contact des oiseaux contre sa peau, il ne sentait plus d'ailleurs le contact avec le monde extérieur, trop concentrer qu'il était à se maintenir dans cet état de profonde méditation. Il ne sentit pas la cavalière arriver. Il n'entendit pas les bruits de sabots de la monture tapant sur le sol, ou encore s'ébrouer. Il ne ressentit même pas le contact de la peau de Sombréclat contre ses écailles, ni même s'adosser à lui. Et il ne l'entendit pas non plus chanter, du moins pas immédiatement. Ce n'est qu'au bout de quelques minutes qu'une voix lointaine lui parut, se faisant doucement plus proche et distinguable. Mais plus il la ressentait, plus sa concentration s'amenuisa. Très doucement, le rouge vint étendre son esprit pour toucher celle de la personne qui était à côté de lui. Il l'avait déjà reconnu, en entendant sa voix il s'était mis à percevoir son odeur. C'était Kälyna. Son esprit l'étreignit doucement, calme, serein, peut-être même froid voire glacial, celui-ci étant d'habitude brulant et volcanique en raison des puissants sentiments qui le traversaient. Mais lorsque le rouge voulut dire un mot, l'équilibre se rompit.

La tornade d'émotion qu'était Verith reprit le dessus. Il passa de calme à agiter, puis d'agiter à calme. Son esprit fut en dent-de-scie, une véritable montagne russe avec la pauvre bipède dans ce manège infernal, jusqu'à ce que le dragon libre n'abandonne à vouloir contrôler la situation et son esprit redevenant normal. Par ici j'étends, colérique, haineux, cacophonique, ect … . Doucement, le géant de grenat ouvrir les yeux, ses prunelles dorées se posant sur l'elfette.

« Sombréclat … on dirait que je ne suis pas encore au point … »

Le rouge ferma doucement les yeux et cracha des flammes par ses naseaux, énerver de ne pas être parvenus à faire ce qu'il souhaitait.

« La compagnie des chimères et des vampires est-elle si exécrable que tu me préfères ? Cela dit je ne sais pas si tu gagnes aux changes. »

L'héritier du sang de l'orage venait-il te faire un brin d'humour ?

« Dites-moi mon cher, qu’essayez-vous donc de faire? Y a-t-il moyen que je puisse vous aider à atteindre vos objectifs? »

« Euhm… La première option permettrait de perdre mon âme à jamais et de me faire posséder par une joyeuse entité tandis que la deuxième me ferait plutôt perdre la tête à rester avec ces êtres incapables, ennuyeux et trouillards. Que dire de cette troisième option? Être aux côtés de cet être passionné et fier, doté d’une charmante arrogance et d’une détermination sans limite. C’est une question très difficile que celle-là. »

« J’ai gagné. Lorsque j’ai ouvert mon gros lot, il y avait un grand dragon rouge à l’intérieur. Je ne pourrais plus m’en passer désormais. »

« Oh Verith! Comme je m’ennuie… Vous ne pouvez pas savoir à quel point. Les chimères sont trop dangereuses et les vampires… ils ne m’aiment pas. Ils ne veulent même pas que je m’amuse avec eux. On pourrait croire qu’ils ont peur de moi. »

« Et si on allait s’amuser? À quelque part, loin d'ici...? »

¤ Menaces ¤

La présence de Sombréclat à ses côtés était quelque chose de particulier. Vraiment très particulier. Verith n’avait pas pour habitude de permettre à des bipèdes de rester aussi longtemps auprès de lui, ni aussi fréquemment, ni aussi proche. Il y a quelques années, le rouge aurait nimbé ses écailles de flammes à l’endroit où cette bipède l’aurait touché, pour éliminer la contamination et autres germes impures que celle-ci aurait pu déposer. Pris d’une hypocondrie soudaine en quelque sorte. Même Alford ou Saemon avait pu être aussi proche de lui, mis à part lorsqu’il les avait transportés dans ses pattes, mais c’était une occasion totalement différente de l’actuelle. La jeune elfe était totalement adossée à ses écailles comme-ci de rien n’était. Le colérique ne pouvait dire qu’il appréciait ce contact … si probablement … mais orgueilleux et buté comme il l’était, il ne le reconnaitrait sans doute jamais. Mais cela signifiait ni plus ni moins qu’il avait une certaine estime pour cette créature qu’était Kälyna. En raison de son passé, en raison de ce qu’elle était, en raison des valeurs que tous deux pouvaient partager. Y avait-il eu pour autant un grand changement au sein du colérique ? Non, pas plus qu’il y a quelques années. Certains bipèdes pourraient vivre, ces possessions, mais le reste flamberait. Et le lien, oui le lien serait détruit, il pouvait pardonner à cette chose.

Alors qu’il enroulait sous esprit autour de celui de l’elfette, il sentit cette dernière lui répondre au sein du pont qu’il avait établi, cette dernière pressant son propre esprit contre le sien. L’espace d’un instant, il eut la même impression que lorsque sa mère avait frotté le bout de son museau contre le sien quand il était petit. Mais cette impression disparut bien rapidement lorsque Verith se rappela que cette dernière l’avait trahi et qu’elle était morte. Le rouge ne s’exposait-il pas trop ? Kälyna ne pourrait-elle pas le trahir comme sa mère l’avait fait ? Comme Edwyn l’avait fait ? Non, il contrôlait la situation cette fois, et non l’inverse. Il avait appris qui plus est. On ne pourrait pas le blesser à nouveau de la sorte. Jamais plus. La chanson vint s’évanouir dans l’air quand l’elfette s’arrêta, venant poser une question à l’enfant de l’orage. Si elle pouvait l’aider ? Non, du moins pas pour cette partie en tout cas.

« Malheureusement je crains que tu ne puisses rien faire pour m’aider dans cet exercice. Masquer le torrent d’émotion qui jaillit de mon cœur, il n’y a que moi qui puisse le faire. J’espérais pouvoir le maitriser avant de te l’apprendre. Mais peut-être le pourras-tu pour autre chose. Je connais un moyen de détruire les Chimères, mais à portée. En revanche, je connais des moyens de les repousser et de s’en préserver qui sont totalement à ma portée. Et à la tienne également. »

Et tandis qu'il finissait de faire glisser cette réponse dans la trame pour lui faire rejoindre l'esprit de Kälyna, celle-ci répondit à son trait humoristique, avant d'éclater de rire. Le rouge souffla légèrement des naseaux, s'associant à un petit pouffement de rire que pourrait faire un bipède. Rabaisser les vampires et le flatter lui dans la même phrase, il n'en fallait pas beaucoup que pour l'enfant de l'orage soit légèrement enjoué. Il plaignait l'elfette de devoir vivre parmi les cadavres animés que sont les vampires. S'il n'en était des protections magiques et des pièges magiques qui ne pouvaient le faire échapper à quelques blessures, ça ferait longtemps qu'il aurait fait le tri dans ce camp de renégat.

Le regard doré et brulant de Verith resta poser sur la personne de Sombréclat qui s’était levée pour se poster devant son museau. Il ne sut quoi répondre à ce qu’elle venait de dire. Il aurait pu la rabrouer en disant que le fait qu’elle ne puisse se passer de lui était une mauvaise chose. Elle devait rester indépendante, l’indépendance permettant la liberté.

« Tenir la ligne de front est une tâche ingrate et ennuyante, mais quelqu'un doit bien le faire. L'Est ne se préoccupe pas de l'Ouest. Leur paix les aveugles, ils ne prennent pas conscience du danger qui sommeille dans cette forêt. Il faut bien quelqu'un pour le surveiller et se préparer à son arrivée. »

Le rouge dodelina un peu de la tête avant de venir glisser une de ses griffes d'ébène contre son coup, se le grattant un peu, ayant une démangeaison entre les écailles.

« La proie a peur de son prédateur. Dans leur cas, ils n'ont jamais été autre chose que prédateur. Ils doivent être chamboulés de voir ce qu'ils considéraient comme une proie inversée les rôles. Et s'il arrive au chasseur de jouer avec sa prise, l'inverse n'est pas vrai. »

Le colérique plissa légèrement des yeux. S’en aller ? Où voulait partir l’elfette ? Autre part sur Armanda ? Cela n’intéressait pas vraiment Verith, et puis il y avait une menace importante, sur qui il fallait garder un œil. À moins que la brune ne souhaite quitter Armanda ? L’enfant de l’orage ne connaissait le chemin que pour une seule autre terre, celle du continent sauvage. Et il cracherait de la neige le jour où il laisserait un bipède, peu importe celui-ci, venir souiller de sa présence la nouvelle terre de sa race.

« Aller où ? S’amuser à quoi ? Je préfère réduire au maximum les occasions où je quitte cette forêt noire des yeux. »

Le rouge redressa un peu le museau pour regarder derrière lui, en direction de l’Est.

« Bien qu’il y ait à l’autre extrémité du continent une menace que je devrais également garder à l’œil … Mais je préfère ne pas m’en approcher avant d’avoir totalement récupéré de mes blessures. »

Verith tourna à nouveau sa tête pour observer à nouveau Sombréclat.

« Si tu t’ennuies tant que cela, je peux t’apprendre une nouvelle chanson. »

« Apprenez-moi, je vous prie. Le savoir est arme redoutable et j’ai horreur d’être démunie face à mes ennemis. »

« Ils sont aveuglés par leur paix. Ils ne voient ce qui se passe et il sera trop tard lorsqu’ils poseront leur regard effrayé sur les Chimères. Mais Verith… Aussi puissant que vous êtes… Vous ne pouvez pas tenir la ligne de front seul, pas avec la blessure qui vous afflige. »

« De quelle menace faites-vous référence à l’Est? L’île du Flocon? »

« N’importe où sera plus amusant qu’ici! Nous pourrions en profiter pour voir ce qu’on peut faire avec cette vilaine blessure… Malheureusement, si moi-même n’y peut rien, nous n’aurons pas le choix de se tourner vers une autre magie. »

« J’ignorais que les dragons savaient chanter. »

¤ Dracochant ¤

« Apprenez-moi, je vous prie. Le savoir est arme redoutable et j’ai horreur d’être démunie face à mes ennemis. »

Le rougeoyant rit légèrement, intérieurement. Le savoir … le savoir est en effet une arme redoutable. Jeune, Verith ne l’avait pas considéré comme tel, bien trop fonceur, bien trop belliqueux et peu réfléchi. Ou plutôt, ce n’est pas qu’il ne l’avait pas considéré comme tel, c’est plutôt qu’il n’en avait pas eu conscience. Le savoir est la première des armes qu’a pu utiliser le colérique. Car pour se battre, il faut savoir se battre. Il faut savoir comment se battre, savoir quels mouvements faire, savoir comment bouger son corps pour porter une attaque, en esquiver une, en contrer une, ou en encaisser une. Ce n’est que bien plus tard qu’il prit conscience que le « savoir » était bel et bien une arme. Mais il ne saisissait pas encore tout le relief, toutes les déclinaisons de celui-ci. S’il avait commencé à l’apprendre sur le continent sauvage, c’est en Armanda que sa formation se termina. C’est ici, sur cette terre maudite, qu’il apprit que la connaissance était un allié indispensable. En effet, en comparaison d’ici, les duels qu’il avait pu mener sur la terre draconique étaient … simplistes ? Hormis quelques exceptions … et bien sûr tout cela sous l’angle de sa race. Là-bas, le rouge n’avait pas eu besoin d’utiliser son esprit pour combattre, ou très peu. Son corps suffisait simplement. Pas besoin d’intense réflexion. Un coup de patte bien placer pouvait apporter la victoire. Mais ici, en Armanda, le rouge avait dû faire face à des forces qui ne combattaient pas avec les mêmes règles que lui. Et comme ces dernières ne semblaient pas vouloir s’adapter à lui, c’est à Verith que revenait la charge de se mettre à leur niveau. Alors son esprit et son intellect furent mis à contribution à un niveau bien supérieur. Car face aux esprits, face aux Tarenth, face à Vraorg, face aux Chimères … un coup de patte bien placer n’apportait pas la victoire. Seul un coup porté avec l’esprit, allier à la connaissance adéquate permettait de remporter ce nouveau type de combat. Une tâche difficile, très difficile pour l’enfant de l’orage qui n’avait jamais jouté avec ces armes-là. Mais, il était un guerrier dans l’âme, alors il savait s’adapter pour abattre l’ennemi. Il comprenait donc parfaitement le ressenti de l’elfette. Être démuni face à l’ennemi … lui aussi l’avait été … et cela ne lui avait pas plus du tout.

« Tu as peut-être raison … après tout, pour porter un coup à Vraorg, il a fallu que je travaille en équipe avec le Corbeau et l’Épervier. »

Kälyna ne saurait peut-être pas à qui le rouge faisait référence. Mais il ne s’en inquiéta pas pour autant. Il n’appelait pas Saemon et Sighild par leur prénom de bipède. Ou alors très rarement. Si elle voulait savoir à qui il faisait référence, il n’aurait qu’à le demander. Sinon, elle aurait connaissance de la personne de ces derniers plus tard.

« Je veux bien t’apprendre Kälyna. Mais à mes conditions. Ce dont je te fais part, tu devras le garder pour toi. Et enfin, sache que je suis un combattant solitaire. Si tu veux te battre à mes côtés, libre à toi. Mais prend garde à ne pas te mettre sur mon chemin, je n’ai pas pour habitude de retenir mes coups mêmes si un obstacle se trouve entre moi et ma cible. Aussi faible ou puissant soit-il. »

Vie en était la preuve. Quand bien même ce dernier s’était interposé entre Edwyn et lui, Verith n’avait pas cessé son attaque, bien au contraire. Son intention sur le moment avait été très claire, transpercé l’obstacle pour atteindre sa cible. Il en serait de même pour Kälyna. Même si l’enfant de l’orage était prêt à faire une exception et balayer l’elfette seulement si elle se mettait entre lui et une cible prioritaire. Mais cette dernière était intelligente et puissante, elle saurait ne pas commettre cette erreur et dans le pire des cas, elle esquiverait. Doucement, le rouge leva sa patte blessée, l’observant, les sourcils draconique froncés.

« Les bipèdes ont toujours été aveugles et suffisants. Ils ne cherchent jamais ce qui se tapit dans l’ombre. Et ils pensent qu’un ennemi en déroute est un ennemi qui ne représentera plus jamais un danger. Mais la vérité … la vérité est que le monde est régi par le conflit. Une chose cherchera toujours à en détruire une autre. Et le seul moyen de mettre un terme à ce conflit pour passer au suivant, c’est de s’assurer de la mort de l’opposant. »

Verith replia à moitié ses griffes d’ébène contre la paume de sa patte. Un léger grincement eut lieu, résultant du frottement de ses écailles, tandis que le rouge bandait les muscles de son membre bruler. Redressant ses griffes, il vint poser doucement sa patte contre le sol qui se brisa sous elle, se fissurant un peu autour, progressivement, jusqu’à ce que le colérique relâche ses muscles.

« Je doute que la force physique soit nécessaire face aux chimères, à moins qu’elles n’en viennent à posséder un dragon, ou une armée de bipède. Mais ne t’en fais pas pour moi … j’ai d’autres cordes à mon arc … et je t’ai toi … même si je dois avouer qu’il m’est très déplaisant de ne pas pouvoir me battre à mon plein potentiel. »

Tranquillement, le rouge vint faire cliqueter ses griffes les unes contre les autres, semblant les aiguiser ainsi.

« Je fais en effet référence à l’île du flocon. Je ne crains pas les dragons liés et leurs dragonniers. Non, ce que je redoute c’est la magie infâme qu’est capable de déployer le lien. Je connais mieux que quiconque sur ce continent, pour l’avoir subi, quelle est la puissance de ce dernier. Et je me passerais bien volontiers de cette désagréable sensation. Mais ils sont pour le moment insignifiant en comparaison des Chimères. À défaut d’être partout, je préfère me concentrer sur le problème le plus urgent. »

Oui, l’héritier de l’orage se passerait totalement de cette magie infâme qui vient asservir son esprit et souiller son âme. Il l’avait déjà subi avec Edwyn et à nouveau avec Vraorg. Il n’avait pas l’intention de laisser quelqu’un d’autre lui imposer cela et encore moins un misérable bipède.

« Malheureusement, si moi-même n’y peux rien, nous n’aurons pas le choix de se tourner vers une autre magie. »

Il est vrai que les deux êtes avaient déjà essayé à maintes reprises de soigner cette vilaine blessure. Certaines écailles avaient pu être régénérées, mais trop peu au regard de la gravité de la brûlure. Le rouge sentait pourtant la magie parcourant cette dernière s’affaiblir de jour en jour, mais apparemment pas suffisamment pour permettre une guérison totale. Sans doute faudrait-il attendre plusieurs années avant que les efforts combinés de Kälyna et de Verith ne viennent à bout de cette blessure. L’elfette était une grande mage et cette dernière était puissante en elle, très puissante. Mais c’était insuffisant, malheureusement. Probablement que le colérique aurait pu quitter Armanda pour retourner sur le continent qui l’a vu naître et demander à ses frères dragons d’allier leurs souffles guérisseurs pour venir à bout de la brûlure. Sans doute y seraient-ils parvenus, mais Verith ne pouvait quitter ce lieu, pas maintenant alors qu’un puissant ennemi sommeillait dans la forêt qui lui faisait face. Et sur ce continent, le colosse de flammes ne connaissait aucune magie capable de faire disparaitre son handicap.

« S’il en existe une, je suis preneur. Mais je ne connais qu’une seule magie plus puissante que la mienne et c’est celle qui m’a fait cette blessure. Et elle est hors de notre portée. »

Un soupire s’échappa de colérique de même qu’un grondement sourd de mécontentement.

« J’ignorais que les dragons savaient chanter. »

Tournant doucement son regard doré en direction de l’elfette, Verith leva le museau, prenant un air légèrement offusqué, crachant un petit nuage de fumée noire par ses naseaux.

« Bien sûr, nous savons chanter. Comme chaque créature. Vous bipèdes ignorez beaucoup de choses sur nous. Nous chantons même sans doute plus que vous ne pourriez l’imaginer. Nos rugissements par exemple. Tout comme le chant des oiseaux, tout rugissement signifie quelques choses. Il s’agit de chants, mais vous ne tendez pas suffisamment l’oreille pour saisir leur signification. Même s’il s’agit de chant très simple. Mais des plus complexes existent. Ils ne sont chantés qu’en de rares occasions. »

Verith vint poser ses pattes l’une sur l’autre, face à lui, son poitrail se soulevant doucement comme s’il commençait à emmagasiner de l’air, la stockant dans ses poumons.

« Mais les chants draconique sont très différents de ceux des bipèdes. Nous n’utilisons pas de mot. Les dragons n’en ont jamais eu besoin. Impressions, émotions, c’est ce que transmettent nos rugissements et nos esprits. Mis bout à bout, comme des notes, ils donnent la signification du chant. »

L’esprit du dragon rouge se leva pour venir s’abattre sur celui de Kälyna, s’enroulant autour d’elle encore et encore, venant former entre d’eux un pont plus profond que celui établi par un simple contact mental. Verith fit en sorte que cette dernière soit en mesure de saisir ce qui découlerait du chant. Peut-être ne parviendrait-elle pas à le saisir pleinement, mais au moins à le comprendre, à lui ouvrir l’esprit afin d’être en mesure de comprendre chaque rugissement.

« Ouvre grand ton esprit et tes oreilles, Sombréclat. »

L’enfant de l’orage leva haut son museau et ouvrit sa gueule, prenant une grande inspiration, aspirant une grande partie de l’air environnant. Si le rouge rugissait souvent, chantant donc assez fréquemment, cela faisait bien longtemps qu’il n’en avait pas fait un complexe. Il espérait ne pas être trop rouillé. Verith referma sa gueule. Ce chant complexe ne nécessitait pas de rugissements puissants. Ce n’était pas un chant de guerrier, festif, joyeux ou même enflammé. Au contraire tout l’inverse. Alors qu’il retenait sa respiration, le rouge commença doucement à faire cliqueter ses griffes d’ébènes les unes contre les autres. Verith faisait souvent cela, par tic ou simplement pour aiguiser ses serres, il s’en dégageait un son peu harmonieux et même désagréable. Mais cette fois-ci ce fut différent. Les cliquetis qui émanaient du choc étaient mélodieux et rythmés. Ce que faisait Verith était, pour un bipède, l’équivalent de venir pincer les cordes d’un luth. Doucement, le rouge se mit à dodeliner de la tête, et expira de l’air par ses naseaux, très doucement. L’air ainsi relâché se mit à glisser contre ses écailles, un sifflement harmonieux s’en dégageant, rappelant presque celui d’un violon. À ces instruments draconique s’ajouta la voix du rouge. Les cordes vocales de l’enfant des tempêtes se mirent à trembler, un meumeunement grave s’échappant de lui, profond venant faire vibrer les écailles de son cou tel un carillon. Les fredonnements du colérique vinrent se mêler aux cliquetis, aux sifflements et aux carillonnements. Le son du chant venant bientôt couvrir tous les autres. Celui du vent, du bruissement des arbres, des bêtes, de l’herbe…

Des émotions se dégagèrent alors de Verith, transpirant du faible rugissement. Une admiration, qui allait en s’intensifiant face à une découverte d’un appel lointain, très lointain. La tristesse face l’oubli que cette découverte fait prendre conscience. Puis le désir grandissant, de se rappeler, de se souvenir de cette chose oubliée. À nouveau vint la tristesse en raison d’une recherche infructueuse, d’un voyage interminable, face à un souvenir qui ne cesse de s’échapper. Et un faible espoir de voir cette perte un jour être comblée.

Un message glissa de l’esprit de Verith à celui de Sombréclat. Le message décrypté du chant draconique. C’était assez grossier, car la musique des dragons ne pouvait être pleinement transmise par les mots.

¤ Pouvez-vous entendre les âmes errantes parmi les étoiles lointaines ? Elles chantent un requiem … Nous guidant vers un souvenir inoubliable … Un jour, dans cette mer d'étoiles, Ces voix me montreront le chemin, Vers ce précieux souvenir … C’est un nouveau voyage … Dans cette spirale mémorielle, Je navigue … À travers les ténèbres sans fin, Pour trouver l'éclat … Un jour sûrement, Ce que nous avons perdu, Nous reviendra … ¤

L’enfant de l’orage continua de chanter un long moment, jusqu’à ce que l’air contenu dans ses poumons ne s’épuise. Doucement le chant tomba avant de s’évanouir. Lentement, Verith rouvri les paupières pour poser son regard de l’elfette.

« Les dragons possèdent une mémoire collective. Plus un dragon vieillit, plus sa mémoire s’éveille, plus il est apte à connaitre des actes du passer. Tout comme certains dragons sont plus doués pour le combat ou cracher le feu, certains disposent d’un don pour la mémoire. Certains dragons, plusieurs fois millénaires, ont un jour eu le sentiment que leurs mémoires étaient incomplètes. À partir d’une certaine époque, les souvenirs s’arrêtaient. Les ténèbres absolues. Mais dans cette obscurité, ils ont cru distinguer un son. Lointain, ancestral. Ce n’était peut-être qu’une impression ou une étourderie due à leur grand âge. C’est alors qu’ils ont composé ce chant, pour qu’un jour peut-être, ce qu’ils pensaient avoir oublié leur revienne. »

Les cliquetis harmonieux des griffes de Verith cessèrent petit à petit, le son s’évanouissant dans l’air.

« Et ce fut le cas. Car cette mémoire dont nous sommes si fières a été en partie altérée par les Esprits. Afin que soit effacée du temps une partie du passé d’Armanda. Si j’ai pu me souvenir, et que je continue à me souvenir de ce passé, c’est grâce à une créature qui y a vécu et qui fut en mesure de lever le sceau des Esprits. C’est avec cette même créature que je me suis rendue dans le monde esprit. Et c’est également d’elle que je tiens les moyens de combattre et de se préserver des chimères. D’elle, et de certaines bribes de souvenirs. »

Et cette créature était bien sûr Edwyn Ruddy. Le Tarenth. Tueur de destin et honni d’entre tous. Le créateur du lien et premier dragonnier. Abjecte créature.

« Les Chimères sont attirées par deux choses. La magie et les émotions. Mais ces dernières sont également leurs points faibles. La magie de la trame est un poison pour elles, elle peut les tuer si elles se risquent à errer à l’intérieur. C’est pour cette raison que les Chimères se trouvent dans cette forêt, là où l’emprise de Néant a été forte et a détruit la trame. Le plan astral est baigné dans la haute magie, celle qu’utilisaient les Esprits et les Tarenth. Les Chimères sont en mesure d’évoluer librement à l’intérieur. Mais en la concentrant, on peut les repousser et même les tuer. Les émotions puissantes, comme ma colère, peuvent les repousser et les blesser, mais pas les tuer. Si j’entrais dans cette forêt, je serais tel un brasier. Elles seraient attirées, mais ne pourraient m’atteindre. Cependant il y a des exceptions. Il existe des Chimères très puissantes qui sont capables de faire face au volcan d’émotion, qui je suis, mais aussi de faire face à des êtres capables d’utiliser la haute magie. Tout cela n’est qu’une question de rapport de forces. Contrairement à nous je ne crois pas qu’elles connaissent la fatigue, ce qui est un profond inconvénient. C’est pour cela qui existe une méthode pour s’en préserver autre que la confrontation. Il suffit de devenir invisible à leurs yeux. Si elles sont incapables de ressentir la magie ou les émotions qui émanent de nous, alors elles ne peuvent nous trouver. Il faut donc se vider la tête, être calme, serein, sans se laisser parcourir par les émotions. Et pour ce qui est de la magie, il faut user d’artifice pour la dissimuler. »

« Ce serait un honneur que vous m’appreniez. Soyez sans crainte, je n’aime pas partager mes armes avec autrui. Elles seront miennes et à moi seule. Vous êtes puissant, Verith, et je tâcherai de ne point me mettre sur votre chemin. Je veillerai plutôt vos arrières et ferai regretter à tout individu qui ose remettre en question la place qui vous sied. »

« Il m’est impossible de garantir que cela fonctionnerait puisque cette blessure qui vous afflige est l’objet d’une haute magie. Mais avec le décès des Esprits, leur influence disparait. La preuve est que j’ai pu vous soigner quelque peu, mais tant que la plaie ne sera pas complètement rétablie, complètement refermée, elle ne fera que revenir et continuer à vous hanter. Ma magie, aussi puissante soit-elle pour un individu de ma race, n’est malheureusement pas suffisante pour vous aider. La seule autre option que je vois, c’est de se tourner vers les Baptistrels. La magie baptistrelle est une puissante magie et à plusieurs, je crois qu’ils pourraient venir à bout de cette ancienne malédiction. Il faudra alors se diriger vers le territoire elfique et convaincre les Cawrs de vous venir en aide. C’est la seule option que je puis voir et je crois que nous devrions saisir cette possibillité. Qu’en pensez-vous, Feu de l’Ire? »

« Les Armandéens seront pris au dépourvu si rien n’est fait. Ils se feront engouffrer par les Chimères un à un jusqu’au dernier. Aussi exécrables qu’ils puissent être, nous ne pouvons pas laisser passer cela. Mais avant de chercher à les protéger, eux, il faudra d’abord penser à soi et à empêcher les Chimères de nous atteindre. »

« Trouvons ces artéfacts et cachons nous des Chimères. Nous ne devons pas être pris au dépourvu et nous devons chercher à toujours avoir une longueur d’avance sur elles. »

¤ Sur le départ ¤

Le chant du dragon flottait encore quelque peu dans l'air. Phénomène rare et étrange que d'entendre et de voir un dragon chanter. Peu de créatures pouvaient se vanter d'avoir assisté à un tel spectacle, encore moins d'avoir pu saisir la signification du chant. Et alors que les vibrations provoquées par le rouge retombaient, il vint partager avec Sombréclat sa connaissance sur les Chimères. Elle était limitée, mais il devait être dans ce monde l'un des rares à en savoir autant sur ces étranges créatures. Origine et les Esprits devaient être ceux ayant eu une connaissance absolue de ces derniers. Les Tarenths venaient se placer en seconde position. Et finalement en troisième se trouvait Verith ainsi que Kälyna. Bien qu'il en sache peu, c'était suffisant. Le colérique savait comment les combattre et les détruire. C'était selon lui le principal. Bien que le moyen de les détruire était hors de sa portée, il savait comment s'en préserver et les repousser. Sur l'heure, c'était amplement suffisamment. Mais il ne devait pas se reposer sur cela. Il devait mettre à profit ses connaissances pour atteindre le moyen de les détruire avant qu'il ne soit trop tard. Cependant, sur l'instant présent, l'enfant de l'orage ne savait pas comment l'atteindre. Peut-être aurait-il besoin d'un petit coup de pouce du destin.

« Trouvons ces artéfacts et cachons-nous des Chimères. Nous ne devons pas être pris au dépourvu et nous devons chercher à toujours avoir une longueur d’avance sur elles. »

Verith ne savait pas si de tels artéfacts existaient encore. Oh, il pensait que oui, ils devaient toujours en avoir. Mais où les trouver ? Et puis, était-ce nécessaire de les trouver ? Maintenant que tous deux connaissaient l'effet rechercher, ils devaient plutôt s'interroger à la manière de les construire. L'enfant de l'orage devrait interroger sa mémoire pour cela. Se plonger dans ce flux mémoriel, assombri par le temps et les siècles d'ignorance, altérer par la magie des esprits. Cela lui prendrait du temps. Il aurait besoin de se concentrer.

« Je n'ai cure des Armandéens. Ma race se situant sur le continent qui m'a vu naitre, mes protégés, et enfin moi. Voilà tout ce qui m'importe de protéger des Chimères. Les bipèdes du reste du monde peuvent bien être dévorés par ces dernières. Je n'ai pas la moindre envie de les protéger après tout ce qu'ils ont pu faire. Au même titre que les Chimères, ils sont mes ennemis. Et je ne m'associe pas avec mes ennemis, même pour faire face à un grand danger. »

Lentement, le géant de flamme inclina son museau en direction de Sombréclat, repassant en mémoire les propos qu'elle avait pu tenir peu avant son chant. Les Baptistrels. Ainsi ils seraient en mesure de résorber cette blessure infligée par Feu. Verith en avait déjà rencontré un, et il n'avait pas gardé un très bon souvenir de ce dernier, il n'était pas certain d'accepter de remettre entre leurs mains le rétablissement de sa patte. D'un côté, c'était soit cela, soit attendre de longues années que la magie de la blessure soit suffisamment faible afin que Kälyna et lui soient en mesure de la guérir. Non, il ne pouvait pas attendre aussi longtemps. Il allait devoir faire appel aux Baptistrels. Cela ne lui plaisait pas plus que cela. Ces chanteurs n'étaient-ils pas des servants des esprits ? Du moins c'est ainsi que sa mémoire les décrivait. Mais d'un certain côté, c'était plutôt logique, que les serviteurs réparent les torts de leur maître.

« Si les Baptistrels sont en mesure de soigner ma patte, alors nous allons faire appel à leur service. Cela ne me plait pas de m’éloigner d’ici, surtout pour aller sur le territoire squatter par les elfes, à l’autre extrémité d’Armanda. Mais je crains que nous n’ayons pas de meilleur choix. Quant à les convaincre … je peux toujours faire flamber une partie des montagnes en guise d’avertissement. Sinon je peux aussi les capturer. Je briserais leur esprit avec le mien afin de les rendre dociles. »

Doucement, le rouge se redressa avant de s’étirer, ayant été immobile et allonger un long moment lors de sa méditation. Il fit de même avec ses ailes, soulevant un peu le vent, pour finalement les replacer dans son dos.

« J’aimerais régler cette affaire au plus vite, tant que la forêt est encore calme. Tu m’accompagnes Sombréclat ? Ça te permettrait de changer un peu d’air, même si je doute que quitter les renégats pour ton ancien peuple soit un équivalent plus agréable. Dois-je attendre que tu te prépares ? Ou pouvons-nous nous mettre en route immédiatement ? »

« Je ne désire point voir Armanda être décimée par les Chimères. Ma haine envers les autres peuples est un torrent immense, mais elle devient un abîme lorsque l’on désire m’arracher quelque chose qui m’appartient. C’est sur ce continent que j’ai grandi et ces intrus n’ont pas leur place ici. »

« Cela ne me plait pas non plus d’aller sur le territoire squatté par les elfes. Mais nous n’avons pas d’autres solutions et le temps presse. Les Chimères m’inquiètent bien plus que ces êtres qui croient tout savoir et que tout leur est dû. »

« Bien sûr que je vous accompagne, Feu de l’Ire. Je ne le prendrais pas bien si vous décidiez de me laisser derrière. »

« Laissez-moi parler en votre nom auprès des baptistrels. L’arrivée d’un dragon tel que vous risque de les inquiéter, plus que l’exilée que je suis. Si je me fie à leur principe, ils n’ont d’attache à aucun royaume. Et pacifiques comme ils sont censés l’être, ils ne devraient pas chercher à poser ma tête sur un pieu avant que j’aie eu la chance de parler. »

« Je suis prête. Je n’ai rien ici qui vaille la peine de vous faire patienter davantage. Partons. »

¤ Sur le départ II ¤

Verith ne souhaitait pas s’éloigner de cette forêt. Il ne voulait pas que sa surveillance à l’égard de cette dernière s’arrêter. Malheureusement entre ce que l’on souhaite et ce que l’on doit faire, il y a parfois un abîme. Aussi la décision la plus sage voulait que le dragon rouge s’éloigne de cette forêt pour aller faire soigner sa patte, et retourner à son poste de garde plus fort qu’avant. C’est donc ce que le rouge allait faire, Kälyna venant également appuyer dans ce sens. Ces derniers temps, il avait pu remarquer que la philosophie de l’elfette et la sienne se recoupaient en plusieurs points. Rien que ses premières paroles, ne pas aimer qu’on touche à ce qui lui appartient et plus encore à ce qui lui appartient de détruire. Le rouge était totalement en accord avec ce genre de réflexion. Aussi se contenta-t-il d’un léger hochement du museau pour affirmer son adhésion au propos de l’ancienne prêtresse blanche.

« Cela ne me plait pas non plus d’aller sur le territoire squatté par les elfes. Mais nous n’avons pas d’autres solutions et le temps presse. Les Chimères m’inquiètent bien plus que ces êtres qui croient tout savoir et que tout leur est dû. »

Il était par moments plus sage de se concentrer sur un seul ennemi plutôt que tous à la fois. Même si Verith n'appliquait pas cette manière de pensée. Ou du moins pas totalement. Oui il pouvait « délaisser » un ennemi au profit d'un autre bien plus puissant et représentant une menace bien plus importante. Mais ce n'est pas pour autant qu'il irait jusqu'à considérer l'ennemi délaisser comme un allié dans son propre combat. Cela était un raisonnement de bipède. Un raisonnement qu'ils avaient appliqué du temps de la théocratie et du protectorat. Verith lui ne s'alliait pas avec ses ennemis pour en battre un autre. Il leur faisait tous face. Il n'était pas hypocrite et lâche au point d'appliquer pareille méthode. Il était un dragon fier, rempli d'honneur, et d'orgueil. Sombréclat approuva son désir de l'accompagner. Cela ne lui ferait pas de mal de s'éloigner de cette forêt maudite et des êtres y vivant. Elle était une de ces possessions après tout, il devait faire en sorte que personne ne la détruise, aussi l'éloigner de la forêt était une décision à prendre. Quand bien même il s'approchait d'une autre menace pour elle, celle des elfes. Mais il serait aisé pour le colérique de les balayer si ces derniers commençaient à jaser.

« Laissez-moi parler en votre nom auprès des Baptistrels. L’arrivée d’un dragon tel que vous risque de les inquiéter, plus que l’exilée que je suis. Si je me fie à leur principe, ils n’ont d’attache à aucun royaume. Et pacifiques comme ils sont censés l’être, ils ne devraient pas chercher à poser ma tête sur un pieu avant que j’aie eu la chance de parler. »

Verith plissa légèrement des yeux en observant Kälyna, se répétant la phrase qu’elle venait de dire. Il se moquait bien d’inquiéter les bipèdes, il se moquait bien de la diplomatie. Il prenait ce qu’il désirait et puis c’est tout. La méthode que voulut employer Kälyna, ne lui plus pas. À vrai dire, cela lui rappela Edwyn qui souhaitait toujours mettre en avant la diplomatie, perdant ainsi un temps considérable avec que ce dernier jouait justement contre nous. Renâclant un peu, le rouge réfléchit. D’un côté, si ce qu’elle disait était vrai, si les Baptistrels étaient des pacifistes, alors venir vers eux toutes griffes dehors ne serait peut-être pas le moyen le plus rapide. Lâchant un léger grondement il répondit.

« Soit, fait comme il te plaît. »

L’elfette s’approcha de lui et Verith posa une patte contre elle, paume vers le ciel. Il la laissa monter avant de refermer sa seconde patte avant sur elle. La gardant ainsi dans une petite alcôve. La laissant s’installer, il déploya ses ailes et s’envola, prenant la direction de l’Ouest.