Depuis les plus luxueuses demeures jusqu'aux plus pauvres quartiers de la capitale, en passant bien évidemment par les échoppes des marchands sans cesse en effervescence, toute la population de la capitale ne semblait plus avoir pour seul sujet de conversation que le départ des armées impériales et alayiennes. Quatre jours plus tôt en effet, des milliers de soldats en armes jusqu'alors rassemblés et entassés dans les immenses casernes de la cité s'étaient mis en marche et dirigeaient à présent leurs pas vers la cité souterraine d'Aigue-Royale, siège de la rébellion menée par le régicide Korentin Kohan. Attablé dans une auberge des beaux quartiers située à quelques rues seulement du mur d'enceinte qui ceinturait le palais impérial, Kylian écoutait distraitement la discussion animée qui opposait deux clients accoudés au comptoir. L'un prétendait que l'empereur était le pantin du Prêcheur Alayien, l'autre lui soutenait le contraire ; le premier argumentait que jamais Fabius n'aurait imposé l'interdiction de la magie, le second rappelait que c'était bien le souverain et non son sinistre conseiller religieux qui avait pris la tête de l'armée. Difficile de dire lequel des deux l'emporterait, mais une chose demeurait certaine, ce genre de discours agrémenterait encore longtemps les conversations de la populace.

Le rot sonore qui s'échappa de la bouche du garde assis à la même table que le renégat vampirique ramena l'attention de ce dernier sur la chope vidée de son contenu que tenait en main le soldat. D'un signe, Kylian interpella le tenancier :

« Aubergiste ! Remplissez donc le verre de mon ami, il ne serait pas correct de laisser le gosier d'un homme se dessécher par cette chaleur. »

L'ami en question, le vampire le côtoyait depuis presque deux heures déjà, alimentant comme il le pouvait la conversation tandis qu'il prenait soin de veiller à ce que le brave homme ne manqua jamais se retrouver à sec. Ce type faisait partie de la garnison mineure de la cité, les troupes chargées de maintenir l'ordre et de pourvoir aux défenses de la Magnifique pendant que le gros de l'armée était en campagne. Un poste monotone et peu gratifiant s'il en était, mais qui n'en demeurait pas moins une précieuse source de renseignements pour le rebelle soigneusement dissimulé sous sa cape, en particulier lorsque l'augmentation de son taux d'alcool dans le sang avait commencé à lui délier la langue. A présent que son informateur involontaire lui semblait mûr, Kylian se risqua à aborder le sujet qui n'avait cessé de lui occuper l'esprit depuis qu'il avait découvert la fonction de celui qui se tenait laborieusement assis devant lui :

« Et la princesse Kohan ? Je ne peux imaginer qu'un soldat de votre envergure ne l'ait jamais rencontrée. »

« La princesse ? Vous n'êtes... vous n'êtes pas très futé vous, pas vrai ? Naaaaaan, la princesse est gardée par les ... *hic* ... les lames noires, la garde d'élite... PRETENTIEUX OUAIS ! »

L'homme ponctua ses deux derniers mots d'une nouvelle et généreuse gorgée de sa chope fraîchement réapprovisionnée.

« Les lames noires, vraiment ? Ne sont-elles pas parties avec l'empereur pour en assurer la sécurité ? »

« Pas toutes... La plupart seulement... dont leur commandant, Daisy... enfin Dessay... mais quelques-unes sont restées auprès de la princesse. »

Rien de particulièrement surprenant ici, mais une agréable confirmation de ce qu'avait pu supposer le renégat vampirique. Sur le ton le plus anodin qu'il était capable de prendre, Kylian laissa finalement glisser une remarque parfaitement innocente :

« Mais dites moi, n'est-ce pas justement aujourd'hui que nous fêtons l'anniversaire de la princesse ? Avec la guerre, on l'en oublierait presque, n'y a-t-il donc aucune célébration ? »

« Ah siiiiiiiii, si si si si... mais il n'y aura pas de bal cette année... je suis triste, j'aimais bien le bal d'anniversaire de la princesse... mais je n'y ai jamais été invité, pour ce genre de fête, ils veulent des lames noires, PRENTECIEUX OUAIS ! »

« D'accord, d'accord, il n'y aura pas de bal, mais quoi alors ? »

« La princesse va ... *hic* ... réciter les prières du Néant en public ... pour encourager nos soldats partis en guerre ... dans le nouveau temple qu'ils ont bâtis dans les quartiers riches ... vous saviez qu'ils ont rasés tout un pâté de maison pour le construire ? Le cousin de mon beau-frère était manoeuvre sur le chantier, il ... heeeey mais où tu vas ? Reviens copain, ça se fait pas de partir sans un dernier verre pour la ... »

Mais Kylian n'écoutait déjà plus. Agile et silencieuse, la silhouette encapuchonnée du vampire s'était redressée pour se diriger vers la porte qui menait à l'extérieur. A présent qu'il avait appris ce à quoi Esmelda occuperait cette soirée d'anniversaire, il lui fallait mettre les quelques heures dont il disposait encore pour planifier la façon dont il pourrait influencer le déroulement des évènements. Car s'il était une chose dont il pouvait être sûr, c'était que la princesse n'appréciait certainement pas fêter le jour de sa naissance avec des prières, moins encore des prières au Néant.

Lorsqu'enfin le soir s'annonça, Kylian était prêt. Du moins aussi prêt qu'on pouvait se permettre de l'être lorsqu'on projetait d'enlever la princesse impériale pendant la célébration de son anniversaire. Les projets du vampire ne manquaient pas d'audace, c'était le moins que l'on put en dire, mais le renégat comptait beaucoup sur le fait que l'empereur, les serviteurs du Néant et l'armée avaient quitté la ville. Selon toute vraisemblance, la garde n'en serait que moins nombreuse et moins expérimentée. Restaient les lames noires bien sûr, mais Dessay avait accompagné le souverain borgne et l'on pouvait raisonnablement penser que les meilleurs éléments de la garde d'élite avaient été désignés pour en faire autant. En tout cas, c'était ce dont avait essayé de se convaincre le vampire depuis que cette idée folle lui avait traversé l'esprit. Dracos, si même lui en arrivait à admettre sur son projet était fou, c'était qu'il l'était plus encore que d'habitude, mais après tout, ne disait-on pas que la chance souriait aux audacieux ? Kylian pourrait bientôt vérifier la véracité de cette maxime, comme le lui fit comprendre l'apparition du carrosse à bord duquel la princesse était escortée jusqu'au grand temple du Néant.

Accroupi sur le toit de la demeure d'un riche commerçant, l'archer vampirique bénéficiait du parfait point d'observation sur la rue qui menait à l'édifice religieux alayien. De là, il avait d'abord pu contempler la foule des fidèles venus s'entasser dans le temple pour accompagner les prières de la princesse, et à présent, il profitait de sa position surélevée pour scruter ses adversaires. Quatre cavaliers que le renégat identifia sans mal comme des lames noires encadraient le carrosse, le tout suivi d'une dizaine d'hommes à pied. Quatorze gardes en tout, même pour un vampire, cela faisait beaucoup mais si tout se déroulait comme prévu, Kylian espérait pouvoir éviter toute forme d'affrontement direct. Un frisson de nervosité lui parcourut l'échine tandis qu'il vérifiait une dernière fois ses armes et se remémorait le déroulement de son plan. Pour réussir, le vampire aurait besoin de sa magie, il lui fallait donc parvenir à arracher sa belle à l'attention de ses gardes avant qu'elle ne soit entrée dans le temple. Les doigts du prédateur nocturne effleurèrent lentement l'empennage des flèches qui garnissaient son carquois : uniquement des projectiles étourdissants ou à soie d'araignée, il n'était pas ici question de tuer.

La lente progression du carrosse vint finalement s'immobiliser au pied du grand escalier qui menait à la porte du temple, signalant ainsi au renégat que le moment d'agir était venu. La première flèche du vampire fendit l'air et vint assommer le conducteur du carrosse, empêchant toute manoeuvre de fuite, mais l'archer n'avait pas attendu pour armer deux autres projectiles, à soie d'araignée cette fois, qui vinrent pour leur part engluer les casques des deux cavaliers de tête, les aveuglant pour de bon et leur interdisant la possibilité de se séparer des heaumes devenus particulièrement encombrant. Un cri retentit pour signaler l'attaque, mais les deux autres cavaliers subirent aussitôt un sort identique à celui de leurs collègues. Le crissement des lames sortant de leurs fourreaux vibra dans l'air du soir à l'instant précis où le vampire bondissait de sa position surélevée vers le carrosse qui se trouvait en contrebas, refermant le poing sur la sombre forme de son Coeur d'ombre. Renforcée tout à la fois par l'abondance de la trame, la pierre d'ombre, et l'enchantement de l'armure du vampire, la brume des morts plongea l'intégralité de la rue dans le plus impénétrable des brouillards. Kylian lui-même ne pouvait désormais plus compter que sur son ouïe et son flair pour se repérer, usant et abusant de sa perception des battements cardiaques pour localiser précisément les humains dans l'obscurité. Sa main trouva finalement la poignée de la porte du carrosse, qui s'ouvrit sur les cris terrifiés des dames de compagnie qui suivaient la princesse dans chacun de ses déplacements.

« Mesdames, permettez que j'emprunte votre princesse. »

La formule ne lui évita pas pour autant une claque vigoureusement distribuée par l'une des suivantes, mais déjà les doigts du vampire se refermaient délicatement mais fermement sur la main de la princesse, l'entraînant à le suivre. Naviguant dans la brume sans se préoccuper des cris et jurons que poussaient la garde aveuglée, Kylian guida sa ''captive'' vers une ruelle adjacente, puis une autre, et enfin une troisième sans lui accorder la moindre seconde de répit. S'il ne s'était pas trompé, ils arriveraient bientôt devant ... oui, c'était cela, le vampire reconnut la devanture d'une joaillerie autrefois spécialisée dans les bijoux magiques, à présent désertée depuis que le commerce de ces objets avait été rendu illégal. La serrure de la porte céda sans effort devant le sort de crochetage du vampire, et le couple s'y engouffra sans attendre que d'éventuels poursuivants ne parviennent à les apercevoir. A peine eut-il refermé la porte que le vampire prenait la parole, interdisant à la jeune femme de le devancer :

« Oui, je suis fou ! Non, ils ne nous retrouveront pas, ils ne sont pas assez nombreux pour fouiller tout le quartier. »

Pour la première fois depuis qu'il avait enlevé sa belle au confort de son carrosse, le regard du renégat vampirique vint croiser les prunelles ambrées de la jeune femme. Sans se laisser perturber, il poursuivit :

« Cette journée vous appartient, Esmelda, j'ai pensé que vous apprécieriez la fêter autrement qu'en récitant les prières du Néant mais si je me trompe, ne vous privez pas de sortir d'ici et retrouver vos gardes, ils se feront une joie de vous ramener à vos devoirs. A présent, vous pouvez soit passer la nuit à me reprocher la stupidité de mon comportement, soit troquer cette robe pour les vêtements que j'ai pris soin d'apporter, et accompagner l'impertinent rebelle que je suis dans ses agissements anarchistes et contestataires... »

Joignant le geste à la parole, le vampire plongea la main dans les sacoches qu'il portait en bandoulières et en extirpa l'une des tenues d'entraînement que la jeune femme affectionnait lorsqu'elle avait séjourné à Aigue-Royale. Elle avait toujours voulu crier sa liberté, elle avait toujours voulu aider son peuple par les actes autant que par les mots, elle avait toujours voulu prouver qu'elle pouvait être aussi forte et brave que bien des hommes, sinon plus. C'était précisément tout cela que je le vampire s'était proposé de lui offrir le temps d'une nuit, ponctuant son offre de deux mots timidement formulés :

« Joyeux anniversaire ? »

Encore une bataille, encore une guerre avec son lot de perte, d'âmes brisées, d'enfants à grandir sans père. Cette effervescence puis le départ des troupes fut un arrache cœur pour ceux qui restaient. Pour Esmelda. Qui savait contre qui cette armée allait se battre et elle n'avait aucun envie de voir toutes ces personnes qui composaient le camp rebelle mourir sous la lame d'un loyaliste. De plus, une de ses dernières rencontres avec Fabius avait redessiné son avenir. Et cela troublait encore un peu plus la jeune femme. Même si pour le moment, seul l'avenir de son peuple rebelle ou pas, l'inquiétait. Mais aussi de celle des siens préparant l'attaque massive d'alayens et de loyalistes plus déterminés que jamais.

Alors passer sa soirée d'anniversaire à aller murmurer des prières pour ces troupes, pour les alayens et leurs croyances, pour cet esprit dont elle ne vénérait nullement la suprématie, n'était pas vraiment ce qu'elle avait espéré. Certes, cette soirée n'aurait pas le faste d'antan ni la même brillance. Déjà sans Gregorist un anniversaire ne serait plus jamais pareil, sans sa première danse, sans son rire et son cadeau toujours recherché pour sa petite sœur, qui avait une histoire toujours d'une beauté sans nom aux yeux de la princesse. Sans Korentin, pour la faire rire avec quelques récits épiques de sa jeunesse ou de celle de Nolann. Non, rien ne serait plus pareil et en ce jour, la jeune femme aurait aimé juste être avec sa mère a se souvenir. Mais non, avant de partir le prêcheur avait abaissé son dernier coup en traître envers la princesse. Le fourbe, le vil personnage. Même si d'un point de vue extérieur cela semblait une bonne chose, des prières pour les soldats, Esmelda en ferait, mais auprès de tous les Esprits, de plus près l'homme cherchait encore à prouver sa domination sur le palais et ses dirigeants, même loin, en imposant ses désirs. Esmelda était restée impassible à cette annonce. Même si dans son esprit, elle le maudissait et espérait qu'une épée soit assez forte pour lui traverser la tête.

La jeune femme était dans son salon personnel, dans ses appartements, parées des plus beaux bijoux, d'une robe aux tissus soyeux et d'un éclat resplendissant et coiffé d'un diadème, attendant la corvée, la sentence de cette soirée. Quel bel anniversaire ! La jeune femme pensa qu'avec un peu de chance elle pourrait feindre un malaise, avec ce corset qui lui comprimait les poumons se ne serait pas bien difficile. La princesse brodait en attendant l’heure fatidique, son ouvrage n'avançait guère, car son esprit vagabondait ailleurs, bien loin des prières pour un esprit qui n'en voulait pas car pourquoi prier pour ce qui va englober un tout et préférant le rien, le néant. Puis ce serait lui mentir et même si la jeune femme ne croyait pas en cet esprit, lui mentir et faire semblant envers elle n'était pas une chose avec la quelle la princesse était d'accord.
La porte s'ouvrit pour laisser entrer une de ses dames de compagnie, accompagnée d'un page. Après une révérence, elle lui annonça :

« -Madame, c'est l'heure. Votre carrosse vous attend. »

La jeune femme posa son ouvrage représentant un passage de la vie d'un de ses ancêtres et se leva pour partir vers sa sentence.

« -Très bien. Prenez ma cape légère, il risque de faire un peu plus frais en sortant. »

Le trajet vers le temps se fit en silence. La jeune femme avait ses lèvres comme scellées, sa gorge sèche et son esprit était bien loin au delà des maisons qui défilaient sous ses yeux. Mais au bout d'un instant le carrosse se stoppa net. Pourtant, ils n'étaient pas encore arrivés. Puis tout devint sombre, un brouillard épais. La princesse se redressa contre son siège alors que ses dames criaient. Puis une voix qu'elle connaissait bien arriva à ses oreilles. Kylian, mais par tous les esprits que faisait-il donc ici. Bien vite elle comprit. Il lui attrapa la main et l’entraîna avec lui dans une folle course au travers des rues de la ville. Mais la jeune fille peina en robe et chaussures pas vraiment adaptés à une escapade rapide. Esmelda trébucha plusieurs fois, mais Kylian lui maintenait fermement la main, la relevant d'un geste ample et vif. La course se termina dans une boutique que la princesse connaissait bien, vidée de son occupant qui croupissait en prison, pour avoir refusé dans un premier temps de fermer son commerce.
Les yeux totalement ébahis de la princesse, entre stupéfaction et colère plongèrent dans les yeux clairs du vampire qui tenta d'expliquer son geste.

« -A ce niveau ce n'est plus de folie Kylian. T..Vous êtes ...insensé. Si vous aviez été fait prisonnier. Je conçois qu'on ne doit passer une telle fête à faire une chose qu'on arbore, mais de là à risquer sa vie pour m'empêcher de réciter une prière... »

De le savoir prêt à cela pour lui éviter de mentir encore une fois était totalement fou mais aussi touchant et d'une gentillesse sans nom. Mais la peur dominait dans les yeux de la princesse. Et de le voir ne pas prendre conscience de la chose l'agaçait. S'il mourrait s'imaginait-il qu'elle serait ravie et chanterait sur sa dépouille ?

Elle ajouta un brin mutine.

« -Je comptais feindre un malaise qui plus est. »

La jeune femme baissa la tête un instant et releva ses yeux vers son ancien amant.

« -Mais merci. De m'extraire en cette période de la monotonie de la vie d'un palais qui vit au rythme d'une guerre, dont je crains l'issue. Mes prières auraient été pour les rebelles, et les soldats de mon empire. »

La jeune femme s'approcha du vampire et se saisit des vêtements qui lui tendait.

« -Mais puisque ma soirée change de voie, pourquoi ne pas suivre cette soirée que vous m'avez préparé. »

Elle fit un pas vers le fond du magasin pour se rendre dans les réserves, mais se stoppa en faisant une petite mine désolée.

« -Malheureusement, vous n'avez pas enlevé une de mes dames de cour et je crains ne pouvoir enlever tous ces lacets seule. »

La jeune femme montra son dos au vampire pour qu'il l'aide à dénouer un peu sa robe mais surtout son corset nouer solidement dans son dos. Quand elle le sentit plus lâche, elle retint le haut de sa robe et se tourna vers le jeune homme.

« -Merci, je pourrai faire le reste seule. »

La réserve fit un très bon endroit pour se changer malgré sa petitesse et surtout le fait de se changer seule. Mais Esmelda n'était pas manchote elle y parviendrait bien. Sans sans manquer de tomber au sol une fois ou deux. Elle déposa sur sa robe ses bijoux et autres parures, afin de passer bien plus pour une fille du peuple qu'une riche héritière. Elle détacha aussi ses cheveux. Peu de personnes la voyait ainsi, changeant un peu son visage.

« -Très bien, me voilà en parfaite rebelle, bien loin des atouts de la noblesse. Quels agissements contre cet ordre nouveau désirés vous perpétrer en parfait rebelle que vous êtes. Je ne suis qu'une novice et ma meilleure réussite, grâce à de nombreuses personnes de mon peuple est d'avoir continuer à perpétrer des soins grâce à la magie et caché de nombreux objets non désirables dans la ville. Et retarder la construction d'un énième temple je ne sais où. Leur cargaison de pierres s'est un peu perdue en route. »

Risquer sa vie pour une prière... Evidemment, présentée de la sorte, l'initiative du vampire apparaissait totalement déraisonnable et sans doute l'était-elle bel et bien, ne serait-ce qu'un peu... Voire beaucoup. Mais de son point de vue, Kylian n'avait pas risqué sa vie à seule fin d'empêcher son aimée de réciter les dogmes du Néant devant la population. La prière n'était jamais qu'un prétexte gracieusement offert par les occupants alayiens de la capitale humain : ce qui avait réellement motivé l'intervention du vampire, c'était plutôt la perspective d'arracher la belle à la monotonie d'une existence sous occupation alayienne. Pouvoir profiter de sa présence, caresser du regard les traits de son visage, se réjouir au son de sa voix et tout simplement être là pour elle en ce jour si particulier, voila tout ce pourquoi le vampire avait risqué ce qui lui restait de vie. Et n'en déplaise à la demoiselle, aux yeux du renégat, cela valait amplement de malmener quelques lames noires et de provoquer le bran-le-bas de combat dans la garnison. Heureusement, les reproches - si tant est qu'on put les qualifier ainsi - s'estompèrent bien vite et un sourire s'invita même brièvement sur les lèvres du renégat tandis qu'il imaginait les réactions qu'aurait suscité l'évanouissement de la princesse impériale au milieu de la cérémonie qui lui avait été préparée. Son visage retrouva cependant bien vite le sérieux de rigueur face aux inquiétudes de la belle, elle ne pouvait ignorer le départ de l'armée, pas plus qu'elle ne pouvait ignorer sa destination et l'objectif de cette campagne : Althaïa et plus particulièrement la cité souterraine d'Aigue-Royale verraient bientôt leurs terres souillées d'un sang que l'on eut préféré ne jamais voir couler. Un temps plus grave, Kylian s'efforça d'apaiser les craintes de la jeune femme autant qu'il lui était possible de le faire :

« La rébellion les attend de pied ferme. Depuis la trahison de Gorder, les défenses se préparent et les elfes sont finalement venus renforcer les rangs de votre cousin. Les alayiens trouveront adversaire à leur mesure, soyez en certaine. »

Que pouvait-il dire de plus ? Cela n'éviterait pas les morts, rien ne permettrait de les éviter. Ils ne pouvaient plus guère qu'attendre, attendre et espérer que les pertes seraient aussi réduites que possible, espérer et prier. Mais ils n'étaient pas pour autant obligés de se morfondre, l'absence des troupes impériales et alayiennes était un atout dont ils se devaient de profiter pour préparer l'après-bataille, et ce quel qu'en soit le résultat.

Du regard, le renégat vampirique suivit la silhouette de la jeune princesse qui s'éloignait vers l'arrière-boutique pour se changer en toute intimité, relevant un sourcil intrigué lorsqu'elle s'immobilisa pour tourner vers lui un visage soudainement embarrassé. Prétendre que la raison de ce malaise laissa l'ancien amant de marbre serait un mensonge, comme le fit d'ailleurs clairement comprendre l'étincelle de nostalgie qui traversa ses yeux clairs. Avec des gestes lents et mesurés, Kylian se porta au secours de la demoiselle prisonnière de sa robe et de son corset, laissant ses doigts glisser d'un lacet à l'autre pour vaincre l'un après l'autre les noeuds qui comprimaient le torse de son aimée. Chaque nouveau noeud qui lui cédait laissait défiler dans son esprit tout à la fois le souvenir d'un temps amèrement regretté et la perspective d'un avenir brisé qu'il espérait voir rapidement reconstruit. Bientôt, le tissu se fit moins serré, le cuir plus détendu, la robe et le corset glissèrent pour dévoiler un peu de la peau rosée et raviver le désir que le vampire pouvait lui porter. L'espace d'un instant, sa raison se vit disputée par l'éventualité que ses doigts pussent poursuivre sur leur lancée et aider à débarrasser la belle de cette robe encombrante, mais ce fut finalement la jeune femme qui prit la décision pour lui. Avait-elle ressenti le moment de faiblesse de son soupirant vampirique ? Difficile à dire, toujours est-il qu'elle s'était rapidement soustraite aux mains de son ancien amant et n'avait pas manqué raffermir la distance qui les séparait de quelques mots bien placés. La voix de la raison, quand bien même Kylian aurait-il préféré ne pas avoir à l'entendre pour cette fois.

L'incident clos, le vampire attendit patiemment et silencieusement que la demoiselle se fut changée, ramenant son regard vers elle lorsqu'elle revint dans la pièce principale de la boutique qui leur tenait lieu de cachette. Ainsi vêtue et les cheveux détachés, elle paraissait plus libre que jamais, plus heureuse aussi, tandis que son timbre de voix sonnait soudainement plus enthousiaste et volontaire à l'oreille du prédateur vampirique qui se tenait adossé à une étagère abandonnée. Kylian se redressa et laissa un nouveau sourire éclairer son visage tandis qu'il répondait avec le même entrain, saupoudré d'une complicité sincère :

« Vous ne me semblez pas si novice que cela, insurgée demoiselle, j'ai dans l'idée que vous diminuez volontairement l'ampleur de vos actes. Mais en matière de rébellion, il n'y a pas de petites victoires, chaque acte de désobéissance perpétré à l'encontre de nos ennemis est un coup de plus porté à leur stabilité, aussi modeste soit-il. Alors mettons nous en route, je vous expliquerais ce que j'ai prévu pour vous cette nuit en chemin, les heures nous sont comptées. »

Aussitôt dis, aussitôt fait, Kylian risqua un rapide coup d'oeil à l'extérieur pour s'assurer qu'aucune patrouille n'était venue s'égarer dans les alentours, puis quitta la boutique et guida sa complice du soir dans le dédale des rues des beaux quartiers. Au détour d'une ruelle, le vampire se blottit dans l'ombre et attira la jeune femme contre lui pour les dissimuler à la vigilance d'une troupe de gardes visiblement très préoccupés par l'enlèvement de la princesse. A voix basse pour ne pas risquer être entendu, il profita de l'occasion qui lui était donnée pour dévoiler la destination vers laquelle il entraînait la demoiselle.

« Je suppose que vous connaissez Crissolorio Ostiz, le trésorier impérial ? »

On imaginait difficilement le contraire, depuis que Fabius s'était emparé du pouvoir, il n'avait pas fallu plus de quelques mois à cet ancien percepteur pour gravir les échelons de la hiérarchie et se tailler une place confortable à la cour du souverain illégitime, dont il se faisait à présent un devoir et sans doute un plaisir de remplir les caisses, se taillant bien évidemment une part confortable du gâteau. Pour beaucoup, son nom était synonyme d'imposition, de faim et de misère tandis que la noblesse festoyait l'esprit tranquille, mais cette nuit, par l'intermédiaire d'un couple d'anarchistes, le brave homme participerait à remplir l'estomac des familles dont il avait lui-même causé la ruine.

« Il est absent pour le moment, mais sa demeure se situe à quelques rues d'ici, non loin du palais impérial. Nous allons y entrer et le soulager de quelques économies personnelles que nous redistribuerons dans les quartiers moins fortunés. »

Un peu plus loin, les gardes venaient de repartir dans une autre direction, libérant le passage aux deux oiseaux de nuit qui se hâtèrent alors de traverser la rue principale pour s'engouffrer dans une ruelle opposée. Le manoir du trésorier était gardé et bien gardé, trop que pour espérer pouvoir entrer par la grande porte, mais le vampire avait d'ores et déjà prévu la solution à cette petite difficulté.

« Il va nous falloir passer par les toits des maisons environnantes pour nous introduire dans la propriété. »

Un peu plus loin, Kylian désigna du doigt la façade d'une maison qui leur fournirait le tremplin idéal pour franchir le mur d'enceinte supposé garantir la tranquillité du ministre des finances et s'en approcha, laissant glisser entre ses mains plusieurs longueurs de sa précieuse corde elfique. Finalement, le vampire ramena son attention sur sa charmante compagnie et l'interrogea une dernière fois :

« Prête ? »

Dans le cas contraire, il était encore temps de reculer.

Entraînée dans la rue sombre et silencieuse, Esmelda s'inquiéta un peu sans la sécurité des murs de la boutique abandonnée. Le frais s’insinua sur son visage et la jeune femme remonta sur sa tête la capuche de sa cape pour couvrir sa tête. Elle sera ainsi aussi moins reconnaissable si jamais une patrouille venait à les retrouver. Mais l'ouïe fine de Kylian, ses sens de vampire et la nuit comme allié devrait les tenir éloigner un temps de toutes présences. Elle le suivait de près, comme par peur de se perdre dans ses rues qu'elle connaissait pourtant.
Au détour d'une ruelle, Kylian l'amena à lui pour la cacher d'une petite faction de soldats qui traversa la rue plus large en courant d'un pas certain la cherchant, leur chef braillant d'ouvrir l’œil et le bon. Perdre la princesse en effet était assez problématique, surtout peu de temps avant une soirée prière en vue de renforcer le Néant et ses soldats.
Kylian lui murmura enfin la destination de leur escapade. Cela la fit sourire. Une bien jolie perspective de soirée. Bien mieux que celle qu'elle avait prévu. Et de voir le trésorier avare subir quelques pertes dans son trésor personnel ne pouvait que la rendre joyeuse, encore plus si cela servirait à son peuple. Après tout c'était son argent. Prélever par les impôts toujours de plus en plus lourds pour son peuple qui avait déjà bien du mal à se nourrir. Il faisait parti des nobles qu'Esmelda n'aimait pas. Trop arrogant, proche de leurs petits sous, juste à graviter autour d'elle, de son cousin ou des nobles pour enrichir sa petite personne. Elle n'aurait donc aucun scrupule à aller l'alléger un peu plus.

« -Et comment avez-vous eu cette idée ? »

Esmelda n'était pas sûre qu'il était vraiment bon qu'elle sache les raisons, les conséquences lui plaisaient. Savoir que demain, des familles pourraient au moins manger un peu plus.

Au loin une autre troupe passait en courant, sûrement à la poursuite d'une fausse information, vu la hâte avec laquelle ils partaient. Kylian lui attrapa la main et les deux fuyards traversèrent la rue pour replonger dans les profondeurs d'une des ruelles. La porte n' était pas très loin, mais ce n'était par là qu'ils rentreraient, car des gardes surveillaient la bâtisse. Plus compliquer que prévu et la solution de Kylian devait paraître facile pour un vampire rebelle habitué à se cacher, à fuir et à escalader des murs pour la rejoindre, mais la princesse, même avec une enfance passée à grimper aux arbres n'avait pas sa force et ses réflexes.

« -Nous n'avons pas vraiment le choix, je suppose ? » dit-elle dans une petite moue pas très sûr d'elle en regardant la maison que lui désignait le vampire, première étape de leur aventure.

Esmelda le suivit jusqu'au pied de la façade de la maison d'un autre noble. Une corde elfique comme aide, il allait falloir être sacrément habile pour pourvoir parvenir à y grimper.

« -Je ne sais pas... grimper, je ne l'ai pas fait depuis des années. Je n'ai pas votre expérience... »

La jeune femme lui jeta un coup d’œil en coin puis baissa les yeux avant de regarder la corde passée et s'accrocher au haut de la façade de pierres.

« -Je vous laisse la primauté de monter en premier. »

Le rebelle pourrait ainsi aussi l'aider Et de l'aide elle en eut besoin, de saisir de la corde c'était facile mais s'y hisser de ses petits muscles, ce fut autre chose. Kylian l'aida à passer par dessus la rembarre du balcon du premier étage. Un regard furtif avant de relancer la corde vers l'étage du dessus. L'avantage de ses maisons, elles se ressemblaient et étaient faites du même moule. Sur le toit, ils parviendraient à sauter sur celui de la maison du trésorier et les petites fenêtres du grenier seraient une parfaite entrée. Mais avant l'escalade ne se fit pas sans glissade de pieds de la princesse ou d'accroche mal saisit, mais Kylian était là pour la retenir à chaque fois. Elle ferait une piètre voleuse. Dans l'espoir que les propriétaires de la maison ne l'entendent pas. Avec un peu de chance, ils se trouvaient aux prières pour Néant.

« -Et pour sauter à l'autre balcon, vous comptez sur mon habilité de chat? »

Le balcon du second était à quelques mètres mais pour la princesse cela semblait être une crevasse immense. Ou bien ses capacités de magicienne. Elle cligna des yeux pour faire un bon, elle atterrit non sans difficulté de l'autre côté. Elle se retourna vers Kylian d'un sourire ravi de ce qu'elle venait de faire. Pas mal pour une petite princesse, non? Mais elle fut vite rattraper par la réalité. Des bruits arrivèrent à ses oreilles en dessous. Elle se colla contre le mur et attendit son ancien amant pour entrer dans la maison. Lui savait bien mieux qu'elle s'introduire dans une maison, un palais.

Comment il avait eu cette idée ? Si la même situation s'était présentée un an plus tôt et que la même question lui avait été posée alors, sans doute aurait-il osé lui répondre qu'il lui avait suffit de penser à elle pour en trouver l'inspiration. Elle et son sens inné de l'empathie, elle et sa générosité, elle et son courage, elle et simplement elle, voila tout ce dont il avait besoin pour avoir des idées. Malheureusement, une telle réponse lui semblait aujourd'hui déplacée : c'était le genre d'aveu que l'on pouvait se permettre de confier à sa fiancée, à son aimée, pas à une femme que l'on avait brisée. Peut-être avait-il tort, peut-être le fait d'entendre ces mots aurait-il pu soulager les saignements du coeur de la belle, mais Kylian n'y croyait pas. Pas pour l'instant. Il était encore trop tôt, s'il avait tenu semblable discours, il ne serait parvenu qu'à la déchirer un peu plus entre l'amour qu'elle lui portait – dont il ne doutait pas qu'il était encore bien présent, soigneusement conservé dans les méandres de son coeur – et la colère qu'il lui inspirait encore.
Si bien qu'après une brève seconde d'hésitation, la réponse du renégat tomba finalement, froidement détachée et raisonnée, simplement juste et efficace.

« Le nerf de la guerre, princesse, l'argent, celui-là même qui fait briller le regard des hommes et leur fait oublier jusqu'aux plus simples valeurs. Et puis, tant qu'à nous attaquer à un trésorier, autant le frapper là où il en souffrira le plus : son trésor. »

Il était tout de même parvenu à glisser une pointe de malice dans son regard, réchauffant par la même occasion la distance qu'il s'efforçait de s'imposer vis-à-vis de la princesse. Mais Dracos lui en soit témoin, domestiquer la flamme passionnée qui animait son coeur moribond lui était un exercice aussi pénible que difficile. D'ailleurs, preuve en fut donnée tandis qu'il manqua de peu commettre un nouvel écart en essayant de rassurer la jeune femme, un peu hésitante à l'idée d'escalader la façade d'une maison haute d'une dizaine de mètres. Pour un vampire, une telle chute ne présentait aucun danger véritable, pour une humaine, les dégâts à l'atterrissage pourraient se révéler autrement plus sérieux. Confiant néanmoins, Kylian se remémora les histoires que lui avait jadis confiée celle qui avait été sa fiancée à propos de son enfance, et répliqua avec assurance :

« Ne vous en faites donc pas, cela fait partie des choses qui ne s'oublient pas. C'est comme l'am... »

L'amour, c'était bien le mot qu'il avait voulu prononcer alors, ne le retenant qu'à la dernière seconde. L'amour, ce feu autrefois brûlant qui n'était plus désormais que braises mourantes et qu'il s'efforçait tant bien que mal de raviver. L'amour, cette nuit volée, arrachée, au cours de laquelle les deux amants s'étaient noyés... pour mieux se séparer. L'amour.

« ... hum ... comme la danse. »

Décidément, cette situation le pesait plus qu'il n'aurait voulu l'admettre. Aussi ne perdit-il pas plus de temps : préférant éviter le sujet et détourner l'attention loin de ses maladroites hésitations, le vampire entreprit l'escalade de le façade, prenant appui sur les rebords des fenêtres ou encore l'encadrement de bois qui agrémentait la pierre adroitement taillée. L'agilité vampirique fit le reste et bientôt, la discrète silhouette du prédateur nocturne grimpa jusqu'aux tuiles d'argiles qui garnissaient la toiture de la noble demeure. La princesse le suivit, aidée par la corde elfique que son ancien amant avait laissé glisser jusqu'à elle. Lorsqu'elle se fut à son tour hissée jusqu'au toit, Kylian lui tendit la main et s'offrit de l'aider à franchir le dernier mètre, la maintenant le temps nécessaire à ce qu'elle trouve son équilibre sur le plan incliné. Leurs regards se tournèrent instinctivement vers la toiture opposée, celle qu'ils cherchaient à atteindre. La princesse semblait anxieuse à l'idée de se lancer dans le vide, mais le vampire n'eut pas même le temps de lui proposer de la porter qu'elle s'élançait déjà, usant de sa magie pour exécuter un bond félin. Le sourire qu'elle adressa en retour à son ancien amant fut probablement l'une des plus belles choses que le vampire eut jamais vues : un sourire sincère, éclatant d'un peu de cette joie de vivre qu'il avait espéré lui procurer. Un bonheur communicatif par ailleurs, puisqu'à peine l'eut-il silencieusement rejointe qu'il laissait échapper un murmure taquin :

« Je ne comptais pas tant sur votre habileté de chat que sur vos ailes de moineau. »

Autant que sur son ingéniosité et les ressources dont la jeune femme débordait mais que le vampire s'était jusqu'alors refusé à voir. Si un peu plus tôt, il s'était laissé prendre au piège du doute, craignant encore les possibles conséquences de leur tentative de cambriolage, il était à présent convaincu que son choix avait été le bon. La seule lueur émoustillée qui avait traversé le regard de la belle tandis qu'ils s'étaient avancés l'un à côté de l'autre sur les toits valait déjà tous les châtiments qui auraient pu leur être infligés s'ils venaient à être capturés. Leurs regards se croisèrent tandis qu'ils entendaient la quinte de toux que venait de laisser échapper un garde en contrebas, et le vampire posa lentement un doigt sur ses lèvres en signe de silence. Il tourna ensuite son attention sur la serrure de la porte qui reliait le balcon à l'intérieur de la demeure du trésorier, en faisant habilement cliqueter le verrou à l'aide d'un peu de sa magie, et pénétra le premier dans le couloir qui s'ouvrit bientôt devant eux.

Telle une ombre, la silhouette du vampire disparut brièvement dans les ténèbres de l'endroit, les sens en éveil, guettant tout à la fois l'odeur typiquement humaine dont le nez du prédateur était friand et le battement révélateur des coeurs pulsant qui lui signalaient fidèlement la présence de gardes. Son regard perça sans mal les ténèbres et découvrit un intérieur sobrement décoré, tout au plus garni de quelques meubles en bois. De toute évidence, le sire Ostiz n'était pas un adepte des démonstrations clinquantes, restait à espérer qu'il conservait quelque part l'un ou l'autre coffret généreusement garni. Tout à ses pensée, Kylian se raidit un instant, nerveux, tandis qu'une large silhouette traversait le couloir à quelques mètres devant lui, quittant une pièce pour redisparaître dans une autre, heureusement sans tourner le regard dans sa direction.

Lentement, il se recula pour revenir auprès de sa jeune complice, approchant son visage du sien pour lui glisser au creux de l'oreille :

« Il y a au moins deux gardes à l'étage, et quatre à six autres au rez-de-chaussée. »

L'espace d'un instant, il fut tenté d'ajouter qu'en cas de pépin, elle ne devrait pas hésiter à fuir tant il importait qu'elle ne soit pas reconnue, mais il s'en abstint finalement. Il ne se faisait aucune illusion : pas plus elle que lui ne serait capable d'abandonner l'autre à son sort, quand bien même ils étaient séparés. D'une certaine façon, cette pensée était rassurante, d'une autre, elle était tout autant terrifiante. Glissant sa main dans la sienne, croisant les doigts dans les siens en un geste qu'il espérait rassurant, Kylian encouragea la princesse à l'accompagner. Ils ne firent guère plus de quelques pas cependant, s'immobilisant dans le couloir tandis qu'il expliquait :

« Votre cousin m'a confié ceci avant mon départ. Je ne crois pas qu'il imaginait que j'en ferais un tel usage, mais cela devrait nous aider à localiser où ce vieux grippe-sou dissimule son petit bas de laine personnel. »

Joignant le geste à la parole, le vampire extirpa de sa poche un pendule d'opale, enchanté de telle sorte qu'il oscillait perpétuellement en direction de ce que son porteur recherchait. Lui-même guidé par le pendule, Kylian entraîna la princesse à travers la demeure, lui mentionnant discrètement ici une lame de plancher mal fixée, là une table basse que l'obscurité rendait difficilement perceptible pour qui ne possédait pas des yeux de vampire. A plusieurs reprises, le bruit des pas de gardes les firent s'immobiliser, le rythme haletant du coeur de sa belle venant caresser les tympans du vampire tandis que leurs mains entremêlées se resserraient imperceptiblement à l'idée qu'ils n'étaient peut-être qu'à quelques secondes d'être découverts.

Mais la chance joua en leur faveur et le couple interdit arriva bientôt sans encombre dans une chambre apparemment inoccupée. Le pendule se mit alors à osciller plus fiévreusement, signe que le but n'était plus très loin désormais, mais encore fallait-il à présent le localiser précisément. D'un geste, le vampire désigna un bureau et un coffre qui occupaient le mur opposé à celui contre lequel reposait le lit tandis qu'il commentait :

« Je vais jeter un oeil de ce côté, à vous le soin de fouiller dans les culottes de notre hôte. »

Avec un peu de chance, ils n'auraient pas besoin de pousser à ce point leurs investigations, mais le clin d'oeil lui parut un bon moyen de détendre l'atmosphère. Du moins, pour les quelques instants qu'ils avaient encore à passer ici, car le vampire leva bientôt la main pour attirer l'attention de sa complice tandis qu'il jetait un murmure anxieux :

« Quelqu'un vient ! »

C'était en tout cas ce que ses oreilles affûtées lui avaient permis de percevoir, au travers l'approche d'un battement cardiaque s'avançant dans le couloir qui menait à la pièce qu'occupaient encore les deux voleurs d'un soir.

Kylian la rejoignit bien vite, avec l'aisance vampirique pour mieux la quitter, entrant dans la maison avant elle pour prendre la température de la pièce. Quand il revint lui murmurer la présence des gardes, la princesse ne put que frissonner de sa présence à murmurer à son oreille. Mais sa main à de nouveau sur la sienne la fit revenir sur terre et elle entra à son tour dans la maison en enjambant la fenêtre ouverte. Au bout de quelques pas, Kylian se stoppa et sortit de sa poche un pendule, du moins ce qu'elle en distingua. Korentin serait de la partie, du moins un peu avec eux. Lui qui aurait aimé ce genre de chose, enfin, autrefois.

« -Il ne vous en voudra pas de vous en servir de la sorte. »

Bien au contraire, voler aux riches pour donner aux pauvres, surtout de l'argent prit à ce trésorier et à Fabius. S'il pouvait il viendrait les aider. Ou bien, il irait seul avec Kylian, car il n'apprécierait peut être pas la dangerosité de cette escapade. Et pourtant, la princesse était bien à même d’entreprendre cet audacieux vol.
La main de Kylian se refermant sur la sienne, la jeune femme se raidit un instant avant de fermer, elle même ses doigts. Cela n'était juste qu'une aide pour se guider dans la maison et ses méandres sombres. Car y pénétrer semblait simple, mais s'y déplacer bien plus. Il y faisait nuit sombre et la jeune femme n'avait pas les habilités de son ancien amant. Lui semblait se déplacer avec facilité, mais elle restait à l'arrière tâtonnant, le pas peu sûr et l'autre main en avant comme pour se guider.

Le froid de la pièce lui assaillit le visage et la jeune femme se dirigea vers sa charge et s'agenouilla devant le coffre en bois.

« -Merci de me laisser une charge aussi charmante. »

la jeune femme lui sourit, même s'il ne devait guère la voir. Qu'importe. Esmelda chercha dans le coffre à vêtements du trésorier. Culottes ou pas, Esmelda cherchait un autre coffre en bois rempli d'or. Même si cacher son or et trésor dans ses vêtements serait d'un commun. Et concernant le trésorier et son argent, l'homme était tout sauf commun.

Mais Kylian l'interrompit, on arrivait. Dans l'urgence, la jeune femme regarda à droite, à gauche, il leur fallait une cachette, au cas où. La chambre n'en regorgeait pas tant que cela. Le lit, mais Esmelda n'osa pas. Les rideaux, mais il fallait traverser la pièce.

« -Venez, la tapisserie. »

La jeune femme attrapa Kylian par le bras et l'attira vers une des tapisseries du fond, médiocre cachette mais de nuit, elle serait suffisante. Du moins si le garde ne cherchait pas la petite bête dans les moindres détails.

La poignée de la porte grinça et s'ouvrit en lenteur.

« -Tu fais quoi, Hanz !? »

Le garde ouvrit un peu plus la porte pour jeter un coup d’œil dans la pièce.

« -Rien, j'ai cru entendre un bruit. »

L'autre voix se refit entendre. Esmelda essayait de ne plus respirer sa main contre sa bouche et son nez.

« -Bwarf, tu sais dans cette vieille bâtisse. C'est pas les bruits qui manquent. Elle craque de partout ! Allez vient ! Amilkas a dégoté une vieille bouteille dans la cave. »

La porte se referma dans un grincement sonore, tranchant avec le silence nocturne de la maison. Les pas du garde se firent entendre pour s'atténuer peu à peu.

« -Hummm ! J'arrive, je finis ma ronde. »

Esmelda expira avec soulagement. La peur devait s'être fait sentir aux battements rapide de son cœur. Même elle les entendait cogner contre la paroi de son corps. Était-ce la présence toute proche du garde ou bien de celle de son ancien aimé ? Sûrement un mélange des deux. Elle releva sa tête vers ce qu'elle imaginait être les yeux clairs du vampire et rompit ce sentiment étrange qui naissait en elle ainsi que le silence ambiant.

« -Je crois qu'il est parti. Mais ne traînons pas. Que dit le pendule ? »

Esmelda regarda Kylian le ressortir et l'activer dans la pièce sombre. Elle ne voyait pas grand chose malgré la fenêtre dénuée de rideaux, ouvert. Mais la lune étendait un sourire dont la clarté était faible pour baigner la chambre. La jeune sentit et vit l'ombre de Kylian se déplacer dans la pièce. Lui devait bien mieux voir l'objet dans cette pénombre nocturne.

« -Il doit avoir une cache. Avec ce genre d'homme. »

La noblesse aimait les recoins, les caches, et autres portes dérobées. Et pour une fois Esmelda n'allait pas les blâmer bien au contraire. Elle appréciait ce genre de choses un peu cacher à découvrir, souvent des mécanismes amusant et recherchés. Même si pour l'heure, le princesse espérait la rapidité et sortir vite de cette maison. La perspective de se faire prendre commençait à palpiter dans son cœur.

Esmelda reprit sa recherche le long de la cheminée cette fois-ci. Les mains courant sur la pierre, elle trouva au bout d'un instant une pierre un peu branlante, qu'elle poussa avec délicatesse. Celle-ci s'enfonça pour laisser place à une petite cache avec à l'intérieur un petit coffre en bois.

« -Ici! »

La princesse le saisit pour le sortir et le tendre à Kylian.

« -Endroit classique ! »

L'un des avantages qu'il y avait à être vampire, c'était qu'il n'y avait pas besoin de beaucoup forcer pour retenir sa respiration. Dissimulé sous la tapisserie derrière laquelle lui et sa complice d'un soir avaient trouvé refuge, Kylian écoutait silencieusement l'échange que tenaient les deux intrus venus perturber les recherches que menaient les deux voleurs improvisés. Dans le même temps, son regard glissa lentement vers la silhouette de la jeune femme dont les battements cardiaques trahissaient la nervosité, et sa main se risqua à venir effleurer celle de la demoiselle en un geste qu'il voulait rassurant. De son autre main, le vampire n'avait cependant pas manqué se rapprocher du pommeau de son épée, juste au cas où le garde aurait eu la mauvaise idée de se sentir d'humeur à faire du zèle. Heureusement pour le couple des amants interdits, l'appel d'un bon verre fut suffisant pour détourner l'attention du vigile et celui-ci repartit sans plus prêter attention à eux. Le vampire entendit d'ailleurs nettement le soupir de soulagement qui accompagna les premiers mots à peine murmurés par la princesse et ne put qu'acquiescer à ses encouragements. Ils avaient déjà suffisamment passé de temps ici : s'il ne redoutait pas particulièrement d'affronter la garde en pleine nuit, Kylian se passerait volontiers d'avoir à faire couler le sang aujourd'hui. Malheureusement cette fois, le pendule ne semblait plus savoir où donner de la boule, indiquant alternativement différentes directions comme si le trésorier avait dissimulé ses économies en de multiples endroits. Voila qui allait considérablement compliquer les recherches, mais c'était oublier un peu vite que la belle à ses côtés connaissait particulièrement bien la noblesse et ses petits travers, ses habitudes et ses faiblesses. Au bout de quelques instants seulement, la princesse avait découvert l'une des caches du trésorier et exhibait fièrement le coffret qu'elle était parvenue à subtiliser. La serrure était protégée par magie et nécessiterait quelques efforts pour leur céder, mais quoique désagréable, la découverte ne manqua pas pour autant amuser le vampire qui se risqua à commenter :

« Apparemment, monsieur Ostiz a une façon toute personnelle d'appliquer les lois de l'Empire. »

Un comble pour un individu gravitant aussi près de l'empereur en place, mais une preuve de plus s'il en était besoin que les alayiens ne parviendraient pas si facilement à priver les armandéens de la magie si chère à leurs coeurs. Ou à leurs économies. Quoi qu'il en soit, le coffret disparut rapidement dans les sacoches du vampire : à présent qu'ils avaient obtenu ce qu'ils étaient venus chercher, il était plus que temps de s'éclipser. Ainsi, aidé par ses facilités nocturnes, Kylian guida la princesse sur le chemin du retour et la dirigea vers le balcon par lequel ils s'étaient introduits dans la place. Un nouveau frétillement du pendule retint cependant son attention tandis qu'ils passaient devant un petit meuble de bois. Une autre cache ? L'appât du gain est mauvais conseiller paraît-il, mais lorsque le gain en question avait pour objectif de nourrir des ventres affamés, le risque pouvait prendre une toute autre dimension.

« Un instant, je pense qu'il y a un autre coffre par ici... »

Déjà, le vampire avait ouvert le meuble et le fouillait méticuleusement, s'arrêtant de temps à autre pour consulter le pendule d'opale. Rien, hormis quelques livres et de la paperasse sans réelle importance ou valeur. Il était pourtant persuadé qu'il y avait quelque chose à trouver non loin d'ici et l'idée qu'il passait à côté l'agaçait. Par chance, sa persévérance fut finalement récompensée : son regard glissa sur une lame du plancher qui vint subitement éclairer sa lanterne. Aussitôt, Kylian repoussa le meuble d'un geste sec pour laisser courir ses doigts sur le bois du sol, accrochant finalement une planche à peine moins bien fixée que celles qui l'entouraient et découvrant une autre cache.

« Je le savais, fieffé pingre, il doit avoir des dizaines de ces coffrets dissimulés dans ... »

« Je savais que j'avais entendu un bruit ! Halte là misérables, les individus dans votre genre, je sais comment les mater ! A LA GARDE ! »

Le crissement de l'acier quittant son fourreau était plus qu'il n'en fallait pour comprendre la façon dont le garde prévoyait d'accomplir son devoir. Et de fait, le vampire reconnut rapidement la voix du dénommé Hanz, celui-là même qui était venu perturber une première fois les investigations des deux monte-en-l'air ! Mais quel imbécile celui-là, pourquoi n'avait-il pas rejoins ses camarades comme il était supposé le faire ? Et surtout, pourquoi le vampire n'avait-il pas prêté oreille plus attentive aux bruits qui l'entouraient, plutôt que de se concentrer sur ses recherches ? Difficile à dire, mais dans l'immédiat, le renégat avait plus urgent à l'esprit : dans toute la maison, les cris se multiplièrent et l'on pouvait d'ores et déjà entendre le vacarme des gardes alertés courant en tous sens pour bloquer les issues. Jurant contre lui-même, Kylian abandonna immédiatement son butin et projeta instinctivement une sort d'Aranea en direction des escaliers au sommet desquels avait surgi l'importun, avant de bondir tel un fauve en direction de la princesse.

« L'ambiance devient malsaine par ici, puis-je suggérer que nous faussions compagnie à nos hôtes ? »

Il avait certes posé la question, mais n'avait pas vraiment le temps d'attendre une quelconque réponse et n'attendit d'ailleurs pas pour passer les bras autour de la jeune femme et l'emporter avec célérité. Derrière eux, une voix leur intima l'ordre de s'arrêter, commandement auquel le vampire n'était pas précisément prêt à obtempérer. Que du contraire d'ailleurs : il se précipitait déjà vers la sortie et bondissait agilement sur le balcon, portant toujours son aimée contre lui. Là, ils furent confrontés à une volée de carreaux d'arbalète venus leur siffler aux oreilles, chaleureux accueil qui leur avait été réservé par les gardes extérieurs rassemblés en contrebas. Instinctivement, le renégat s'était recroquevillé sur lui-même pour diminuer d'autant les chances d'être atteint et protéger du mieux qu'il le pouvait le précieux bagage qu'il serrait dans ses bras. Après la salve, le vampire profita de ce que les arbalétriers devaient recharger leurs armes pour bondir vers le parapet le plus proche et usa de toute son agilité de prédateur nocturne pour cavaler au milieu des toits et cheminées. A présent hors d'atteinte, la ténébreuse silhouette du vampire disparut rapidement dans l'obscurité de la nuit et s'éloigna sans demander son reste.

Kylian n'en ralentit pas pour autant le rythme de sa course, jetant de rapides regards autour de lui pour s'assurer ne pas avoir été suivis tandis qu'il se laissait tomber vers le plancher des vaches, glissant silencieusement dans le premier jardin qui lui avait offert le répit recherché. Répit temporaire malheureusement, déjà les chiens du propriétaire avaient reniflé l'indésirable présence et aboyaient furieusement dans l'espoir de chasser l'intrus vampirique, lequel les contenta en reprenant sa course effrénée, franchissant habilement les murets et autres haies qui séparaient les différentes demeures des beaux quartiers. A présent, les deux fuyards n'étaient plus qu'à quelques rues seulement de la boutique abandonnée qui leur avait servi de refuge plus tôt dans la soirée, dans quelques instants, ils pourraient ... trébucher, s'effondrer, s'emmêler ... Par le Dracos, avait-on idée de laisser traîner du linge à sécher dans son jardin au beau milieu de la nuit ? Certes, sans doute le renégat eut-il pu y voir une importante leçon, à savoir celle de regarder devant soi plutôt que de baisser un regard protecteur sur le joli minois qu'il serrait dans ses bras, mais il était bien plus facile d'en faire le reproche à l'étourdie qui avait oublié de rentrer ses draps propres. Dans sa chute, le vampire avait bien évidemment entraîné la demoiselle dont il s'était fait la monture, s'enrobant malencontreusement avec elle dans les tissus qui s'étaient dressés sur leur passage. Pourtant, tout involontaire qu'avait été la manoeuvre, Kylian fut bien incapable de se la reprocher bien longtemps, s'en amusant même tandis qu'il commentait :

« Voila une bien inhabituelle façon de partager des draps... »

A la lueur de la lune, son regard trouva rapidement celui de sa belle pour s'inquiéter auprès d'elle :

« Je suis désolé pour cette cavalcade un peu précipitée, je ne voulais pas risquer que l'un d'eux puisse vous reconnaître. Est-ce que tout va bien ? »

Esmelda tendit le coffre à Kylian pour qu'il puisse bien mieux l'étudier qu'elle, dans l'obscurité de la pièce. Devait-elle s'étonner de voir de la magie entrer en jeux ?

« -Cela me rassure de voir que je ne suis pas la seule à garder mes petits secrets. Mais Monsieur le Trésorier aime trop l'or pour le laisser sans la sécurité que la magie apporte. »

L'avare ! Elle pourrait le faire plonger pour cela, mais elle n'en ferait rien. Car quelque part, elle approuvait cet acte de résistance de la part du trésorier. Il remonta un eu dans son estime.
Les deux voleurs sortirent de la chambre pour quitter la maison, mais Kyllian et son pendule en voulait plus. Esmelda préférait vite sortir, ils n'étaient plus à l'abri dans la chambre. Plus de cachette. Elle supplia.

« -Kylian, allons-y... »

Esmelda ne voulait pas rester une minute de plus dans la demeure. La présence des gardes et l'entrée furtive du Hanz l'avait grandement inquiétée. S'ils se faisaient prendre, Kylian serait de suite tué sur place. Et son intuition fut bonne, une voix tonna derrière eux.

« -Nonn... »

Esmelda n'eut guère le temps d'en dire plus, Kylian se saisit d'elle pour fuir au plus vite de ce guêpier. Saisit dans ses bras, la jeune femme laissa le vampire agir, en essayant de bouger le moins, de ne pas le déstabiliser, les déstabiliser. Une chute serait la fin pour eux d'eux, une chute, la prise par les gardes, ou les flèches qui fusaient derrière eux. Sa tête caché contre la tunique de Kylian, Esmelda essaya de ne pas regarder en bas quand ils se trouvaient à grimper le long de corniche. Elle avait peur de ce vide et peur d'y tomber. Mais sortir de la maison et s'en éloigner ne signifiait par pour autant être encore en sécurité. La première demeure traversée fut gardée par des chiens et la seconde par des draps bien plus féroces qui les clouèrent au sol. Esmelda accusa le coup même si Kylian fit tout pour qu'elle en souffre le moins. La jeune femme put enfin reprendre son souffle et se fut pour dire :

« -Par tous les esprits, Kylian, vous êtes fou !! Nous aurions pu...Allons-nous en d'ici, avant que d'autres gardes ou chiens nous tombent dessus ou pire... des draps. »

La jeune femme tenta de se lever en poussant doucement le vampire qui se trouvait sur elle. Mais les draps rendaient cette chose bien difficile. Essayant tant bien que mal de se délivrer de cette prison de tissu, la princesse pesta avant de pouvoir en voir la fin, sous le regard amusé de son ancien amant.

« -Nous sommes loin du magasin ? Il vaut que je me remette en princesse impérial avant de rentrer au palais après avoir été enlevée. »

La jeune femme se releva et regarda à droite, à gauche pour essayer de voir où ils pouvaient se trouver. Kylian lui fit signe de la suivre et quelques instants plus tard ils escaladaient de nouveau un mur pour se retrouver dans une ruelle.

Les deux voleurs longèrent les murs et entrèrent de nouveau dans le magasin. Kylian prit soin de refermer la porte et de la bloquer un peu. La nuit sombre plongeait dans l'obscurité le magasin et la faible lumière de la lune permettait tout juste à la princesse de voir les contours de son ancien amant. Revenant vers lui, Esmelda lui fit face à posant sa main sur son bras.

« -Mais merci. Merci de m'avoir fait sentir libre et utile, et de ne pas avoir passer cette nuit à déblatérer des inepties. Et d'avoir pris soin que je reste une princesse rebelle anonyme. »

Son regard plongé dans le sien, Esmelda lui sourit avec sincérité, même si quelque chose commençait à la ronger. Au delà de cette soirée. Elle se devait de parler avec Kylian. Mais avant, elle devait le remercier. Il avait fait beaucoup pour elle ce soir. Elle ne l'oublierait jamais.

« -Merci de me faire sentir en vie. »

La princesse laissa un silence s'installer avant de reprendre en le rompant de sa petite voix fluette, qui tremblait.

« -Kylian, je dois vous dire quelque chose et j'aimerai que vous le répétiez à mon cousin quand vous le reverrez. Ce n'est pas des plus évident à dire, mais je veux que tu... vous le sachiez par moi. »

La princesse ne savait pas comment aborder cela. Dracos que c'était plus facile de parler à une folle, à un conseil royal que là face à Kylian. Esmelda n'allait pas tourner autour du pot, elle n'y arriverait pas. La jeune femme inspira un grand coup et déclara :

« -Fabius m'a demandé en mariage. Pour le moment, rien n'est fait. J'ai posé des conditions et l'empereur est parti en guerre. Je ne peux nier que je ne m'y attendais pas. Il a besoin de moi pour lutter contre les alayens. Mais de là à s'allier de cette façon... Mais je ne peux rejeter totalement cette proposition. Cela peut être une force de plus par la suite. Un avancement pour Korentin, pour l'empire. Je pourrai m'imposer plus et si par bonheur il lui arrive quelque chose... Le trône me sera offert un temps. Le temps que je rétablisse Korentin.»

Oui, Korentin devait savoir, même loin, elle aurait son soutien, enfin... après qu'ils la traite de folle, d'inconsciente, de bornée et de véritable Kohan.

« -Mais j'ai... j'ai besoin de... »

De vous, de toi, mais ses mots se turent au fond de sa gorge et ne franchirent pas ses lèvres qui se scellèrent. La princesse baissa les yeux, ayant bien trop peur de lire dans les yeux du vampire rebelle... quoi de l'indifférence ? Ce serait le pire, bien plus que de la déception. Au moins cela voudrait dire qu'il tient à elle. Ne serait-ce qu'un peu.

Apparemment, elle allait bien. Suffisamment bien en tout cas que pour lui rappeler une fois encore à quel point il était fou, arrachant dans le même temps un sourire rassuré au vampire. Ils auraient pu, ils auraient pu... oui... mais en attendant, ils n'avaient pas, et c'était bien là l'essentiel. Ils s'en sortaient même avec assez d'or pour nourrir plusieurs familles et le souvenir d'une soirée mouvementée et haletante, était-ce vraiment si fou de sa part ? Probablement, mais il faudrait bien plus que cela pour le faire culpabiliser, en particulier lorsqu'ils furent de retour à la boutique délabrée qui leur tenait lieu de planque pour cette nuit de révolte. Un élan de satisfaction vint enlacer l'esprit du renégat vampirique tandis que sa belle lui faisait part de ses remerciements.

« C'est moi qui vous remercie : merci à vous d'être vous, tout simplement. »

Les regards se croisèrent et les sourires s'échangèrent tandis que s'installait un silence complice. Pourtant, une étrange sensation de malaise sembla bientôt naître entre les deux anciens amants, comme si la douce insouciance d'une nuit passée à briser les règles d'un empire qu'ils ne reconnaissaient pas venait brutalement de laisser la place à une réalité que l'on eut préféré taire. Quelque chose tracassait la jeune femme, le vampire la connaissait bien assez que pour le deviner à cette seule lueur d'inquiétude et d'embarras qu'il pouvait discerner dans le regard de sa belle. Lentement, Kylian baissa la tête, comme pour mieux encourager la confidence, refrénant du mieux qu'il le pouvait l'inquiétude qu'il sentait monter en lui lorsque la princesse reprit la parole. Quelque chose qu'il se devait d'apprendre par elle ? Pour le répéter ensuite à Korentin ? Très bien, c'était d'ores et déjà le rôle que le vampire s'était vu attribuer de toute manière, alors en quoi était-ce si difficile cette fois ? Cette question, le renégat regretta se l'être posée aussitôt que la réponse jaillit des lèvres de son aimée. Un flot interrompu de paroles qui vinrent résonner dans l'esprit du vampire avec la violence d'un orage, et depuis qu'il s'était lié à la mère des tempêtes, Kylian pouvait prétendre savoir de quoi il parlait à ce sujet. Les mots vibraient entre ses oreilles, semblables aux roulements du tonnerre se répercutant entre les flancs des montagnes. Fabius, mariage, conditions, autant de termes qu'il lui était difficile d'imaginer réunis dans les mêmes phrases, dans le même discours. Et par dessus tout, la souffrance et la peur qui transpiraient dans la voix de celle qui les avait prononcé. Etait-ce de la perspective d'épouser son cousin qu'elle avait peur, ou au contraire de la réaction que pareille révélation pouvait susciter chez son ancien amant ? Lorsqu'on se remémorait les mots et les gestes qu'avaient eu le vampire la dernière fois que la belle s'était risquée à le contrarier, il y avait tout lieu de penser qu'elle pouvait craindre autant l'un que de l'autre. Un instant figé par la stupeur d'une pareille annonce, Kylian sembla brutalement reprendre pied dans la réalité et s'avança lentement vers la jeune femme, la couvant d'un regard aimant tandis qu'il venait refermer ses bras sur elle pour l'enlacer avec tendresse, l'incitant à se blottir contre lui tandis que lui-même venait se lover tout contre elle, murmurant doucement :

« Je sais... Je sais... »

Certes, le vampire avait souhaité instaurer une certaine distance avec celle qui avait été sa fiancée, préférant ne pas risquer la faire souffrir plus encore qu'elle n'avait déjà souffert, mais pas à n'importe quel prix. Avec une infinie douceur, Kylian vint poser un doigt sur le menton de la jeune femme pour en relever le visage vers le sien, s'approchant au plus près d'elle pour venir poser le front contre le sien, les yeux dans les yeux, avant de laisser ensuite glisser sa joue contre la sienne en une caresse sécurisante.

« Je n'ai aucune approbation ou objection à formuler, après tout, tu es ... vous êtes ... célibataire. »

Il parlait d'une voix triste, mais n'en sourit pas moins tandis qu'il remarquait avec une certaine forme d'humour mélancolique :

« Et nous sommes bien ridicules de continuer à nous vouvoyer quand manifestement pas l'un plus que l'autre ne le désire vraiment. »

Son visage demeurait outrageusement proche de celui de la princesse, avide de ces caresses timidement glissées, de ces contacts aussi doux que brefs mais non moins rassurants et apaisants. Le vampire vint ensuite délicatement poser la main sur la poitrine de la jeune femme, juste au niveau du coeur, et poursuivit avec douceur :

« Je sais que je l'ai bafoué, je sais que je l'ai brisé, je sais qu'il m'est refusé. Mais je sais aussi qu'il m'est réservé, et qu'aucun mariage ne pourra jamais me le retirer. »

Ses lèvres approchèrent alors de celles de son aimée jusqu'à les effleurer en une tentatrice promesse d'un baiser qui semblait toutefois tarder à venir. Laissant le souffle haletant de la demoiselle venir lui caresser le visage, Kylian plongea ses yeux dans les siens pour reprendre avec une assurance derrière laquelle il s'efforçait de dissimuler les tremblements de sa voix :

« J'ai confiance en toi, alors si... épouser Fabius... peut t'aider à faire bouger les choses, à prendre de l'influence pour la cause que tu veux défendre... Je comprendrais, je te soutiendrais, et quoiqu'il arrive, je resterais avec toi. Sinon de corps, au moins de coeur : je suis déjà assez fou pour courtiser une princesse, pourquoi ne le serais-je pas assez pour courtiser une reine ? »

Il s'était appliqué pour donner à sa dernière phrase une intonation plus enjouée, afin de mieux dissimuler sa peine autant que sa colère. Mais en réalité, il se démenait intérieurement pour repousser les envies de meurtre qui assaillaient sa jalousie vampirique et sa possessivité instinctive, pour ne pas succomber à la tentation d'aller arracher les yeux - enfin l'oeil qu'il lui restait encore - à l'empereur usurpateur.

« J'informerais Korentin, mais je veux que tu saches... si tu devais... je ne sais pas comment le formuler... mais si pour une raison ou une autre, Fabius décidait de passer outre... tes conditions... sache simplement que je suis derrière toi : si tu hésites, si tu as peur, souviens toi que je crois en toi, j'ai toujours cru en toi, je croirais toujours en toi. Même si je t'ai donné des raisons de penser le contraire, souviens toi que je ferais tout pour toi. »

Ses lèvres approchèrent encore mais se refusèrent toujours à venir trouver celles de la jeune femme, tant et si bien que ce fut finalement l'extrémité de la langue du vampire qui se fit l'ambassadrice de ce baiser refoulé et vint presque timidement déposer une caresse lascive sur les lèvres rosées qui lui faisaient face, l'accompagnant d'un dernier murmure :

« Je t'aime. »

Et qu'importe la réserve qu'il espérait s'imposer vis-à-vis de celle qui avait été sa fiancée, à cet instant, il ne désirait rien plus que la garder précieusement blottie au creux dans ses bras.

Esmelda cherchait le regard de Kylian, pour se rattraper à quelque chose ou pour tenter d'y lire ses sentiments. Elle avait du mal à les comprendre. Il imposait une distance tout en la brisant l'instant d'après. Oui, elle lui en voulait toujours, de l'avoir ainsi traité il y a quelques mois, mais son amour pour lui lui disait de se plonger dans ses bras.Mais le voulait-il ? Ne venait-il pas de dire qu'elle était libre, libre d'épouser qui bon lui semblait. Elle était seule et pouvait donc bien choisir un autre époux. Son cœur se serra à cette phrase et cette pensée.

« -Ce n'est une objection ou une approbation que je cherche, je veux, juste... »

Que voulait-elle ? Bonne question, la jeune femme n'en savait pas grand chose et tout changeait d'une minute à l'autre. Pourquoi le choses n'étaient pas aussi simple, comme avant.
Kylin était proche d'elle et cette sensation de le savoir presque tout contre elle ne l'aidait aucunement à la réflexion et quand sa main vint se poser contre son cœur celui-ci se mit à battre encore plus vite. Dans une danse effrénée de battements qui se cognaient contre la paroi de son corps.

« -C'est toi qui a voulu me tutoyer. Je n'ai fait que suivre ton choix, ta volonté... Je ne veux pas t'empêcher de... »

De l'oublier, de continuer à mettre de la distance, de... tout ce qu'il désirait. Même si à cet instant c'était l'embrassé. Ses lèvres caressant presque les siennes dans une délicieuse torture. Esmelda releva un peu la tête en plongeant son regard ambré dans celui du vampire. Même si elle sentait que ses mots avaient eut bien des difficultés à franchir ses lèvres, Esmelda ne put que répondre avec plus de véhémence envers ceux-ci.

« -Ce n'est pas une question de confiance. Kylian, je n'ai pas besoin que tu acceptes, je veux... je suis perdue, j'ai juste besoin que tu m'aides à y voir plus clair. Je serai reine, cela n'aurait rien à voir avec mon rôle de princesse, tout changera. Je serai sans cesse sous surveillance, il ne sera même plus question de me laisser dormir seule, mes obligations seront encore plus grande et surtout j'aurai Fabius à mes cotés. Si je l'accepte c'est uniquement pour m'imposer encore plus aux yeux des conseillers, même si je n'aurai guère plus mon mots à dire. Mais je pourrais agir bien plus facilement, mais surtout je pourrai encore plus graviter pour essayer de rendre à Korentin sa place, et rendre hommages à mon frère en prouvant qui est son véritable assassin. »

La jeune femme rebaissa la tête et ajouta d'une voix terne et morne.

« -Fabius respectera ses engagements. Sinon, je ne respecterai pas les miens. Et il le sait bien. Il a tout à perdre. Il me connaît autant que je le connais. Il sait que je me méfierai de lui, tout comme lui se méfiera de moi. Il sait que je peux le planter, et je ne le laissera pas faire le premier. Kylian, je ne veux pas que tu fasses tout pour moi, si ce tout est à tes yeux une stupidité. Car bien sûr et que j'hésite et que j'ai peur. Le ferais-tu ? »

Elle attendait cette réponse avec inquiétude. Non, pas par peur qu'il dise que oui il le ferait pour son peuple, et la douleur de le savoir avec une autre. Quoique, mais de savoir si son choix était juste. Elle avait besoin de savoir ce qu'il pensait réellement, pas en façade. Pas lui.
Son cœur repartit tel un tambour battant quand le vampire revint lui caresser ses lèvres, qui bougèrent à peine sous ce baiser d'une tendresse qui lui faisait autant de bien qu'un mal douloureux.

« -Je sais que tu crois en moi, que tu m'aimes, je le sais au plus profond de mon être. Mais puis-je encore te demander de me suivre, de m'aimer, de rester près de moi quand je te demande de subir une telle chose ? »

La princesse laissa ses lèvres se délecter de la peau du vampire pour finir dans un chaste baiser au coin de ses lèvres, déposé tout en douceur et délicatesse.

La douce chaleur des lèvres de son aimée venues tendrement effleurer la peau de son visage contrasta subtilement mais non moins agréablement avec la rudesse et le désarroi qui transpiraient dans son discours. Elle hésitait, cherchait ses mots, semblait craindre en prononcer certains et laissait en suspens des phrases énigmatiques. En quelques mots, elle était plongée dans un océan de perplexité duquel rien ni personne ne semblait pouvoir l'extirper et pas même la présence toute proche de son aimé... de son ancien aimé... ne devait lui offrir un point auquel se raccrocher. Soucieux des idées qui avaient pu naître dans l'esprit de sa belle, le vampire expliqua rapidement :

« Je ne voulais pas te vouvoyer, mais après notre dernière rencontre, je pensais que prendre mes distances aiderait à soulager ta peine et qu'un retour en arrière aurait pu nous aider à reconstruire ce que j'ai brisé. J'espérais pouvoir ainsi éviter que ma présence ne te soit douloureuse... »

Ironie de la chose, celui-là même qui venait de prononcer ces mots resserrait un peu plus encore son étreinte, attirant tout contre lui celle avec laquelle il prétendait vouloir garder ses distances. Ses yeux clairs plongés dans le regard plus sombre de la demoiselle, comme s'il espérait ainsi pouvoir s'y noyer définitivement, le vampire se remémora avec nostalgie le temps lointain où le seul fait d'être ensemble leur suffisait à chasser leurs idées les plus noires. Aujourd'hui, il y avait entre eux tant de peine, de colère ou de peur qu'il en devenait difficile pour lui d'imaginer pouvoir encore jamais admirer le sourire de celle qu'il pressait contre lui. Lentement, le vampire se mit à se balancer d'un pied à l'autre, entraînant dans son mouvement le corps de sa belle tandis qu'il venait caresser de ses doigts la longue chevelure délivrée de toute attache, aussi rebelle que celle qui l'arborait. Enjôleur, cajoleur, Kylian continua de la bercer ainsi, sur un rythme qui ne serait entendu que de lui seul, tandis qu'il répondait avec autant d'assurance qu'il lui était possible d'en démontrer :

« Non seulement tu peux me demander de te suivre, de t'aimer et de rester auprès de toi, mais plus encore, tu le dois. Car je ne suis pas le seul à subir cette situation, imagines-tu un seul instant que je puisse croire que la perspective d'épouser Fabius te réjouit ? Je sais les retombées que ce mariage auront sur toi, sur nous, mais je sais aussi que tu es bien plus au fait des intrigues, de la politique et de la vie à la cour que je ne le suis. Tu es née dans ce monde, tu y évolues depuis ton enfance, tu en connais les pièges et les astuces, ne l'as-tu pas encore prouvé en dénichant la cachette de ce vieux grippe-sou de trésorier ? Tu n'as pas besoin de moi pour prendre la bonne décision, écoute simplement ce que te murmure ton instinct : si tu penses que ce mariage peut être un atout pour la rébellion, alors il le sera, je n'ai aucun doute à ce sujet. »

Et par dessus tout, il fallait qu'elle-même en soit tout autant convaincue, sans quoi elle ne parviendrait jamais à supporter l'épreuve que cela représenterait. Il s'agissait d'ailleurs certainement là de la plus grande crainte du vampire, aussi prit-il sur lui pour donner à la belle tous les outils dont elle aurait besoin pour garder espoir. Et cela commençait par lui faire comprendre qu'aussi jaloux et possessif pouvait-il être, il était prêt à faire taire ses plus profonds instincts par amour pour elle.

« Moi, je... je peux attendre. Ce ne sera pas la première fois que ta main sera promise à un autre, mais cette fois, je sais que lorsque tout sera fini, lorsque tu seras parvenue à rendre à Korentin sa légitimité, il pourra rendre caduque cette union forcée et alors, nous serons enfin libres de ... »

... nous aimer, nous retrouver, et tant d'autres mots encore qui à cet instant venaient mourir sur les lèvres du renégat sans parvenir à les franchir. Conscient qu'il s'était laissé entraîner par sa propre fébrilité, le vampire se rasséréna et laissa un silence pesant s'installer entre eux. Silence que l'ancien amant de la princesse brisa finalement, alors qu'il laissait glisser sa main vers celle de la jeune femme pour y mêler ses doigts aux siens :

« Mais je ne veux pas que tu aies à te salir les mains. Prendre une vie, même celle d'un être aussi méprisable que Fabius, n'est pas un acte anodin et je parle en connaissance de cause, Esmelda. Alors si les événements devaient dégénérer, si quelque chose devait mal se passer, promets que tu m'en avertiras s'il t'est possible de le faire. Ne fais pas la même erreur que moi, n'essaie pas de me préserver alors que je peux t'aider, n'oublie pas qu'ensemble, nous sommes plus forts. »

Etrange comme il lui avait été nécessaire de voir les rôles s'inverser pour comprendre toute l'ampleur des tourments dans lesquels il avait plongé sa fiancée jadis. A présent, c'était elle qui allait s'élancer dans l'arène, au milieu de lions qui dissimuleraient leurs crocs et leurs griffes sous des sourires et des révérences, et lui qui ne pourrait qu'attendre patiemment qu'elle s'en extirpe.

La jeune femme se détacha un peu plus de l'étreinte de celui qui fut son ancien amant. Ses mots venaient de marteler son cœur en la projetant dans une réalité dans laquelle elle avait espéré fuir. Perdue et l'esprit oscillant autant que les vagues sur une mer déchaînée, Esmelda lui répondit avec une tristesse immense dans la voix.

« -Ce n'est pas un vouvoiement qui donne de la distance, ce n'est pas cela qui m'aidera, qui nous aidera à reconstruire ce que tu as brisé. Si la distance t'es bénéfique ou que tu penses que se le soit, eh bien retourne à Aigue. Mais pas faire les choses à moitié. Me vouvoyer et me couvrir de baisers. »

Esmelda releva des yeux de colère vers son ancien amant et se détacha de lui. Pourquoi rendait-il les choses si compliquées ? A juste s’effacer devant ce choix. Si elle avait besoin de lui dans ce choix, mais là encore la distance s'insinuait entre eux deux. La désirait-il encore ? Esmelda avait eut un doute il y a encore quelques instants, maintenant elle avait la réponse.

« -Lorsque tout sera fini ? Kylian, ce n'est pas un jeu qui a un début et une fin. Cette fin sera peut être dans un an, dix ans, jamais. Fabius n'est pas un enfant de cœur, il est intelligent, malin et lui aussi a des désirs, qui vont à l'encontre des miens. Et lui aussi connaît les intrigues de cour et bien mieux que moi. Il en a bien plus l'expérience. Dans ce que tu penses être un jeu, je n'ai pas l'avantage. Bien loin de là. Mais si j'ai une infime possibilité de pouvoir le faire plier ne serait-ce qu'un peu je le ferai. Et si j'ai besoin de toi pour prendre cette décision. Car justement c'est à deux que nous sommes plus forts. »

La jeune femme était déçue et triste. Il la laissait choisir, peut être, mais il ne semblait pas prendre au sérieux les conséquences de ce mariage. Comme si à côté de cela, tout serait beaux et merveilleux, quand elle pourrait s'échapper des griffes de l'empire. Non, ce sera rude et la jeune femme savait qu'elle prendra des coups. C'était une réalité à accepter et maintenant, Kylian lui avait au moins donné la force de cela.

« -Mais c'est seule que je vais monter sur le trône, épouser Fabius et suivre cette voie. Tu ne comprends pas que ce n'est pas juste être reine et suivre les affaires de la cour, que j'y parvienne, Korentin reprend la couronne et on vit heureux, enfin, ensemble. C'est devoir me soustraire à Fabius, à ses idées, à suivre sa politique. Même si je demande et exige des demandes très précises, il y en aura d'autres qui ne seront guère négociables. Et c'est une vie de tous les jours. »

Ce ne serait pas comme pour Elrond, et encore moins comme sous le nez et la barbe de Gregorist, et encore moins une simple question de jours. Et Esmelda se sentit bien triste que son ancien amant ne puisse le comprendre. Elle releva des yeux tristes mais une moue déterminée et déclara la voix ne tremblant plus.

« -Je me salirai les mains à partir du moment où j'accepterai. Car ce choix, je le fais seul. »

Maintenant, cela ne regardait plus qu'elle et personne d'autre. Cela n'était pas plus mal au final, car cela n'impliquerait qu'elle. Les mains déliés, elle pourrait agir comme bon lui semblait.

« -Il est temps que je renter au palais. Je te donne mes bijoux, ils serviront bien plus à mon peuple qu'à moi. Et cela me servira comme excuse. J'ai été enlevée pour cela et pour une rançon. Et j'ai réussi à m'enfuir. Je dirai que je n'ai pas vu qui c'était mais qu'ils avaient un accent bien différent des habitants de Gloria, il n'y aura ainsi pas de représailles pour ses habitants. »

La jeune princesse retourna vers le fond de la salle pour revêtir sa robe de soirée. Se rhabiller était bien plus difficile que de tout enlever. La princesse s'empêtra dans les tissus plus d'une fois, pestant et déchirant parfois un peu le tissu fin. Qu'importe, cela la servirait. Elle revient vers son ancien amant, débraillée, laissant ses cheveux tombés en cascades sur ses épaules nues.
La princesse alla vers une étale poussiéreuse. La jeune femme s'en saisit un peu et l'étala sur sa robe pour lui donner un peu plus de crédit. Esmelda en déchira un pan. Qu'importe cette robe, elle ne la remettrait pas de toute façon.

« -Et encore merci, pour cet anniversaire. » lui dit-elle en tendant sa parure d’émeraude offerte par un duc qui aurait aimé bien plus qu'un sourire poli de la part de la jeune femme.
Au moins, elle avait pu rêver un temps avant de retourner dans la noirceur de la vie de la cour, du palais. A l'oubli de soit qui deviendrait bientôt son quotidien, pour devenir une autre Esmelda, pour le bien de son peuple, la justice et sa famille.

La tension qui venait de s'installer sournoisement entre les deux anciens amants ne manqua pas interpeller l'attention du renégat. Il ne lui avait pas été difficile de ressentir la crispation qui était peu à peu venue saisir celle qu'il tenait encore entre ses bras ; crispation qui se mua bientôt en une résistance certaine à l'encontre de son étreinte, et finalement, la jeune femme se recula pour se soustraire aux bras du renégat. Elle le repoussait, une fois encore, et se détournait de lui comme s'il n'était plus à ses yeux qu'une source de douleur et de déception. Qu'avait-il bien pu faire, qu'avait-il bien pu dire pour s'attirer une telle attitude ? Désemparé par l'hostilité et la froideur de la réponse qui lui fut bientôt apportée, Kylian ne parvint pas à esquisser le moindre geste pour retenir auprès de lui celle qui fuyait de nouveau sa présence. Il ne pouvait que constater, impuissant, la colère et la peine qui étaient venu instiller leurs flammes vengeresses dans le regard de la belle tandis qu'elle lui faisait part de ses reproches. Critique d'autant plus acerbe et douloureuse au coeur tourmenté du vampire que celui-ci avait sincèrement pensé marcher dans les pas de la princesse en réagissant comme il l'avait fait. Il avait combattu et dominé son impulsion première, sa jalousie, sa possessivité instinctive, il avait fait taire les défauts du vampire qui sommeillait en lui et dont il voulait se détacher, mais ne récoltait pour tous fruits de son labeur que de nouvelles remontrances. Pensait-elle vraiment que les explications dont elle abreuvait son ancien fiancé étaient à ce point nécessaires ? Croyait-elle vraiment qu'il put comparer leur situation à un jeu dont il suffisait de jouer habilement ses cartes pour l'emporter ? Imaginait-elle qu'il ne s'inquiétait pas pour elle ? Qu'il ne comprenait pas les difficultés auxquelles elle s'exposerait pour endurer ce mariage ? Ces questions et des milliers d'autres d'un cru similaire déferlèrent brutalement dans l'esprit du renégat vampirique, sans qu'il ne fut capable d'y apporter des réponses, ou plus précisément, sans que les réponses qui lui apparaissaient ne purent le satisfaire. Muet de rage autant que de chagrin, Kylian demeura immobile, ne sachant encore s'il devait s'effondrer en pleurs ou au contraire laisser exploser le bouillonnement furieux du sang qui lui coulait dans les veines. Son regard consterné suivit la silhouette de la demoiselle qui repartait dans l'arrière boutique pour se changer, implorant le Dracos pour qu'elle se retourne et revienne sur ses paroles. Mais ses prières demeurèrent sans réponse et bientôt, la princesse lui tendait sa parure de joyaux non sans saluer cette sinistre conversation de remerciements qui furent probablement le pire poison dont elle aurait pu accabler le coeur meurtri de celui qui avait été son amant, son fiancé, de celui dont, jadis, elle s'était éprise au point d'espérer de lui un enfant. Merci ? Comment pouvait-elle le remercier après ce qu'elle venait de dire ? Pourquoi même voulait-elle le remercier, alors qu'il était évident qu'une fois encore, il n'était parvenu qu'à la décevoir, à la briser, à échouer ? Acquiesçant machinalement, Kylian referma les doigts sur les bijoux et déposa ces derniers sur la table auprès de laquelle il se tenait tandis que la future reine quittait l'établissement et s'en retournait à ses devoirs, ses sacrifices, le laissant seul. Solitude qui, au regard du vampire, prit rapidement des allures de soulagement puisqu'il pouvait à présent libérer sans retenue la douleur qui était la sienne. Ses poings furieux s'abattirent violemment sur le bois de la table, laquelle ne manqua pas céder sous l'impact, avant que les chaises ne furent projetées en travers de la pièce pour achever leurs vies contre les murs. Les étagères elles-même, heureusement vidées de leur contenu depuis que la boutique avait été déclarée illégale et condamnée, accusèrent le contrecoup de la colère vampirique, s'effondrant en travers de la pièce tandis que résonnaient contre les murs les cris indistincts que laissait échapper le renégat courroucé. Pourquoi ? Comment ? Ces deux questions revenaient inlassablement harceler l'esprit du vampire, attisant sa rage à tel point qu'il se jeta bientôt avec férocité en direction de la porte qu'il ouvrit d'un brutal coup d'épaule pour s'élancer dans les rues, oubliant derrière lui aussi bien le butin de leur cambriolage nocturne que la parure d'émeraudes que lui avait confié la jeune femme. Ces babioles n'avaient plus la moindre importance à ses yeux, seul comptait désormais pour lui de retrouver la princesse. Elle ne pouvait pas fuir comme elle le faisait, elle ne pouvait pas lui dire tout cela et espérer ensuite qu'il acquiesce sans chercher à comprendre, elle ne pouvait pas...

Usant et abusant de ses capacités de créature des ombres, en particulier de son flair prédateur, le vampire s'élança à la poursuite de la demoiselle. Au dessus de lui, le ciel se teintait déjà de couleurs moins sombres, signe que l'aube ne serait probablement plus très longue à venir désormais, mais quelle importance ? La princesse ne lui avait-elle pas déjà dis qu'il était fou ? Un peu plus, un peu moins, cela ne ferait plus guère la moindre différence désormais. D'autant que le vampire devait de toute façon se hâter, il lui fallait la rattraper avant qu'elle ne soit parvenue à rejoindre des gardes. Au détour d'une ruelle, Kylian put laisser son regard clair caresser la silhouette de sa ''proie'' qui déjà hâtait le pas en direction de deux gardes visiblement très étonnés de voir la princesse surgir de nulle part. Trop tard ? Non, pas cette fois. Pas pour lui. L'ombre du vampire disparut pour resurgir presque aussitôt sur les toits, bondissant agilement entre les cheminées pour se ruer vers le centre de toutes ses attentions. Lorsqu'il fut arrivé à une distance adéquate, le prédateur fondit sur les deux soldats tel l'oiseau de proie auquel il était lié. Le premier n'eut guère le temps de comprendre ce qui lui arrivait, cueillit brutalement par le poing du vampire venu lui déboîter la mâchoire et l'assommant pour le compte. Le second quant à lui n'eut que le temps de pousser un juron avant de se voir fauché par un habile croc-en-jambe tandis qu'un sort de boule de glace de la taille d'un poing venait brutalement faire connaissance avec son front. L'ensemble du mouvement n'avait guère duré plus de quelques secondes, trop peu en tout cas que pour que la jeune femme qui en avait été la témoin ne put réagir.

Le regard clair du vampire trouva immédiatement celui de la princesse. Nul doute que cette dernière n'apprécierait pas, mais alors pas du tout ce qui se déroulait devant elle, mais Kylian était alors au moins aussi furieux qu'elle, si ce n'était plus encore. Sans plus accorder la moindre attention aux deux hommes inconscients, il fit un pas en direction de la demoiselle et s'exclama sèchement :

« Mais qu'est-ce que tu veux, Esmelda ?! Qu'attends-tu de moi, exactement ? »

Son ton s'adoucit néanmoins rapidement, à mesure que la colère des premiers instants laissait la place à une peine sincère et profonde. Contournant les soldats gisant à ses pieds, le vampire s'approcha pour expliquer :

« J'ai besoin d'une réponse, car moi, je ne sais plus quoi faire, je ne sais plus quoi dire, je ne sais plus comment agir pour ... pour te comprendre. Et pourtant, j'essaie, j'essaie vraiment, mais je n'y arrive pas, je n'y arrive plus. »

A tout moment à présent, une patrouille pouvait surgir au coin de la rue, une fenêtre pouvait s'ouvrir sur le visage ensommeillé d'un habitant venu admirer les premiers rayons du soleil sur la capitale, mais Kylian ne s'en inquiétait pas. Il avait par trop besoin de libérer son coeur du poids qui y pesait, s'il devait prendre la fuite, il improviserait après tout, ce ne serait pas la première fois qu'il aurait à semer des poursuivants, c'en devenait même un sport dans lequel il excellait.

« Quand tu m'as annoncé ton possible mariage avec Fabius, sais-tu qu'elle était la première image qui m'est venue à l'esprit ? Mon épée lui tranchant la gorge, Esmelda, parce que je suis vampire et que c'est dans ma nature de vouloir tuer ceux qui s'opposent à moi, ceux qu'ils veulent s'approprier... mes possessions... »

Car elle lui appartenait, quand bien même son esprit conscient essayait-il de se détacher de cette idée. On ne pouvait jamais totalement s'affranchir de ses plus primaires instincts, on pouvait essayer de les domestiquer, de les museler, ils n'en demeuraient pas moins présents. Et Kylian, comme tous les vampires, ne pouvait totalement s'absoudre de ce désir de possessivité caractéristique à ceux de son espèce.

« Je ne prends pas ce mariage pour un jeu, certainement pas, car en vérité je suis terrifié à l'idée que je pourrais ne plus te récupérer. Je voudrais pouvoir t'enlever, te ramener à Aigue avec moi, en sécurité et loin de cette aberration, mais je sais que ce n'est pas ce que tu veux. Tu veux servir ton peuple, rendre justice à ton frère, à ton cousin, et je ne peux que t'admirer pour cela, mais je pensais que suivre ta décision te redonnerait confiance, je pensais qu'essayer de me montrer optimiste apaiserait tes craintes, et je découvre qu'il n'en est rien. Que dois-je penser à présent ? Si tu veux rester, je suis prêt à te suivre, à supporter l'idée de te voir mariée à un autre, mais si tu veux partir, je serais fou de joie de pouvoir te ramener auprès de Korentin. »

Et ce même si une tempête sans précédent déferlerait bientôt sur la cité souterraine qui abritait la rébellion, car si c'était là qu'Esmelda devait choisir de combattre, alors le vampire était prêt à le lui permettre. Il avait appris sa leçon, du moins l'avait-il pensé, et comprenait à présent qu'il ne pouvait pas se montrer aussi protecteur qu'il le souhaiterait, qu'il se devait d'accepter que la princesse puisse prendre sa part des risques, alors pourquoi ne parvenait-il toujours pas à la satisfaire ?

« Je fais les choses à moitié, tu as raison : je te dis célibataire puis te couvre de baisers, je prétends vouloir me tenir à distance alors que je ne peux m'empêcher de te prendre dans mes bras, nous sommes séparés... mais je brûle de pouvoir te faire l'amour. Pourquoi selon toi ? Parce que je ne sais plus où j'en suis, je ne sais plus ce que je suis, je suis tiraillé, écartelé entre d'un côté la colère que tu peux ressentir à mon égard, et de l'autre, l'amour que je peux encore apercevoir au fond de tes yeux... »

Plongeant justement les siens dans ceux de la jeune femme, Kylian approcha jusqu'à pouvoir porter les mains au visage de la belle, l'enserrant tendrement tandis qu'il posait sa dernière question, la plus importante, celle qui lui brûlait les lèvres depuis des semaines.

« Qui suis-je encore pour toi ? »

La porte refermée derrière elle, la jeune femme s'engouffra dans la nuit qui s'étiolait pour commencer à laisser place à la lueur d'un jour encore timide. Le frais de la nuit lui saisit un peu le visage et la jeune femme se plongea dans la ruelle silencieuse. On n'entendait que ses pas resonnés sur les pierres et la terre sèche. Ses pas et ses sanglots qui se mirent à couler tel un flot de vagues sur la plage.
Soulagée d'être partie de cette pièce où son cœur ne cessait de saigner à chaque instant et où la colère ne faisait que gronder comme un orage lointain. Esmelda savait qu'elle ne tarderait pas à exploser laissant toute sa peine et sa colère. Et il ne fallait pas. Un Kohan ne devait pas s'exprimer ainsi. Un Kohan gardait pour lui tout ce qu'il avait sur le cœur, et surtout, cela ne regardait plus Kylian. Il avait fait le choix de la laisser seule s'aventurer dans cette nouvelle voix dans laquelle elle s'engageait. Le silence qui avait précédé son départ la confortait dans cette idée. Il ne lui donnait qu’affirmation dans ses propos. Alors la porte refermée sur le vampire prenait tout son sens. Elle le laissait derrière retournant seule vers le palais pour poursuivre son nouveau destin de reine. La jeune femme tenta de nouer sa cape mais ses mains tremblantes ne lui permirent pas de faire quelque chose de correct, ce qui l'agaça encore plus. Elle se stoppa au milieu de la ruelle pour regarder le ciel étoilé et laisser sa frustration prendre le pas en laissant sa peine s'exprimer. Pourquoi Kylian agissait ainsi ? La laissant croire à tant d'amour, à un pardon possible, qu'il serait là pour elle pour ensuite se mettre en retrait quand elle avait besoin de lui, de son soutien, de savoir ce qu'il pensait, qu'elle cherchait à prouver que sa confiance revenait. Pourquoi balayait-il tout cela dans un simple je te suis fait ce que bon te semble. Comment pouvait-elle de nouveau nourrir l'espoir de le voir de nouveau à ses côtés ? La princesse n'avait au final qu'un seul intérêt à ses yeux. Et ce n'était pas celui de la femme de cour, de pouvoir qu'elle était, juste la satisfaction d'être une femme aimante à ses côtés. Pourtant le vampire savait bien qu'elle était bien plus que cela. S'était-elle trompée vraiment ? Son espoir de voir ces deux races réunies et en une union possible et sereine n'était vraiment qu'un rêve de fou ? Sûrement, car elle devait être folle de pouvoir croire que quelqu'un la comprendrait et la suivrait dans sa quête de vengeance. Et ce n'était pas plus mal. Sans aucune attache, sans personne auprès d'elle, la princesse serait plus à même de combattre et lutter contre Fabius. Ses faux pas serait que les siens, aucune conséquence. Kylian serait à Aigue à veiller sur la rébellion, avec Korentin, loin d'elle, tous les deux.

La jeune femme reprit sa route s'avançant dans un dédale de ruelles puis de rues, une chance qu'elle ne rencontra personne. Hormis deux gardes de patrouilles la recherchant. Les deux hommes semblaient soulager et de suite s'enquérirent de sa santé et de son état, avant de se diriger avec douceur pour ne pas la presser vers le palais. Ils devaient déjà penser à la récompense qu'ils auraient de ramener ainsi la régente de l'empire, saine et sauve au palais. La jeune femme se mura dans un silence tandis que ses larmes séchèrent sur ses joues. Les deux soldats devaient les voir comme le soulagement de se savoir protéger leur côté. Assurance bien vite mis à mal quand une ombre fit tomber le premier dans un coup sonore de craquement des os. La princesse cria en se reculant tandis que l'ombre se jeta sur le second soldat le faisant tomber au sol comme le vent balayant la poussière. La princesse, le cœur s'emballant de peur, chercha à fuir quand l'ombre lui fit face. Kylian. Mais par tous les esprits que lui prenait-il donc ? Avait-il perdu l'esprit. La jeune femme fit un pas en arrière, par peur qu'il ne redevienne violent, avec elle cette fois, comme cette nuit là, à Aigue.

Sa respiration était rapide, et Esmelda cherchait une issue mais face à un vampire c'était peine perdue. Userait-il de la magie contre elle, ou bien de sa force, encore une fois ? Esmelda était donc bien obligée de lui répondre, même si son arrivée soudaine la laissait encore plus perdue qu'elle ne pouvait l'être. Etait-il ici pour elle ? Ou pour satisfaire une curiosité vampirique ? Ou par cette folie dont il avait fait preuve auparavant ? Les larmes lui montaient aux yeux, mais elle se força de les retenir. L'idée de se faire traiter d'idiote en cet instant ne serait pas des plus opportuns. Elle chercha à répondre, sans que sa voix ne tremble. Ses yeux allaient des deux corps au sol au vampire :

« -Pourquoi les avoir attaqué si c'est à moi que tu veux t'en prendre ? Ils ne t'ont rien fait que je sache ? Pourquoi tant de violence sur des innocents ? Tu espères obtenir de meilleures réponses de cette façon ? »

Il avait le droit d'être en colère contre elle, mais de là à attaquer deux pauvres hommes et à les malmener ainsi. Il ne la comprenait plus, mais elle non plus n'arrivait plus à comprendre le vampire.

« -Tes possessions ? C'est ce que je suis à tes yeux ? Ta possession ? »

La princesse était toujours figée dans un état oscillant entre la peur et la colère. Il avait besoin de réponse, mais elle aussi. Elle avait l'impression de faire face à un inconnu.

« -Ce que je veux Kylian, c'est que tu me parles, que tu me dises le fond de ta pensée, que tu me dises que je suis folle de suivre cette voie car elle te rend fou au lieu de me dire que tu acceptes de me suivre sans rien dire. Car j'avais peur d'une chose. Que ton silence nous ramène à la situation dans laquelle nous avons été il y a quelques mois. Et j'en ai encore la preuve maintenant. »

Cette fois les larmes coulaient, il pouvait la traiter d'idiote, après tout c'est ce qu'elle était.

« -Tu t'es tût, tu as voulu me suivre sans rien dire, et voilà quelques minutes après où nous en sommes. Deux soldats à terre, tes envies de tuer mon cousin, et la crainte de me voir partir. Je ne veux pas que tu me suives sans dire un mot. J'ai besoin d'un allié, d'un ami, d'un confident, d'un amant, pas d'une autre personne encore en accord avec moi. J'ai besoin que tu me dises no, que je me trompe, que tu as mal ou peur. Même si j'avancerai dans cette voie, car si tu tais tes pensées, elles nous noieront à coup sûr à un autre jour. Je n'ai pas besoin d'avoir d'optimisme, je n'ai pas choisi cela pour suivre une quête joyeuse, j'ai besoin de quelqu'un qui puisse me tenir tête et être sincère avec moi. Et j'avais pensé que tu étais cette personne.»

Du moins, il l'avait été jusque là, alors pourquoi avait-il changé ? La peur de la froisser ? Il venait de montrer qu'il pouvait le faire justement. Alors pourquoi ? Que voulait-il au juste ? Qu'elle le suive comme il semblait le désirer ? Mais Kylian savait bien qu'Esme n'était pas le genre de femme à fuir devant les responsabilités et encore moins par peur de ce qui pouvait lui arriver.

« -Je ne remets pas en cause tes sentiments... mai je ne sais plus comment avancer, comment tu avances. Et je suis en colère parce que tu te caches derrière mes envies en laissant les tiennes en arrière. Nous avons vu que cela pouvait faire mal quand elles revenaient, alors pourquoi continues-tu ? Qu'attends-tu de moi  toi aussi ? »

Le vampire s'approcha d'elle. Esmelda ne bougea pas oscillant toujours entre la colère et la peur. Pouvait-il le lire dans ses yeux ou aux battements de son cœur ? Peut être, mais elle ne bougea pas. Et quand il lui posa son ultime question : un sanglot brisa un silence éphémère.

« -Tout. »

Il l'avait vue naître, délicate perle scintillante venue briller un instant au coin de l'oeil de la belle avant de s'écouler lentement, inexorablement, sur la joue à la peau pâle le long de laquelle elle avait laissé apparaître un discret sillon humide. Cette larme dont le vampire n'avait pu détacher son regard avait rapidement été suivie de nombreuses autres, chacune aussi pure que celle qui la précédait, de plus en plus abondantes à mesure que les mots franchissaient les lèvres tant aimées. L'un d'eux en particuliers était venu frapper l'attention du vampire plus durement que tous les autres réunis : sincère. Elle voulait simplement que quelqu'un soit sincère avec elle, elle avait besoin de cette sincérité, si précieuse à son coeur, que le vampire était jadis parvenu à lui apporter et dont il semblait à présent tellement avare. Pourquoi et comment avait-il pu ne pas le voir, ne pas le comprendre ? Ces questions, Kylian n'était pas sûr de pouvoir y apporter une réponse, à moins qu'il n'eut simplement peur de ce qu'auraient pu être ces réponses, mais au moins avait-il eu le mérite de se les poser, au moins prenait-il à présent conscience de l'erreur qui avait été la sienne. Désemparé par la situation dans laquelle il avait lui-même plongé ce qui avait été son couple, il s'était laissé prendre au piège de vouloir tout faire pour le récupérer, au point d'en oublier l'essentiel. Il s'était comporté comme le dernier des imbéciles, singeant les multiples courtisans et autres prétendants que la princesse voyait défiler chaque jour depuis qu'elle était capable de se tenir sur ses deux jambes, promettant monts et merveilles à celle dont il convoitait l'amour, jurant par tous les Esprits qu'il retournerait ciel et terre pour le seul bénéfice d'un sourire de sa part, se pliant à ses quatre volontés sans même chercher à la comprendre. Seulement pour plaire. Plaire à tout prix. Plaire à un coeur qui pourtant lui était déjà acquis, comme le lui confirma le dernier mot qui était venu précéder un silence lourd de signification. Plaire à un coeur qu'il faisait saigner.

Avec un geste tout en douceur et lenteur, le vampire vint caresser la joue humide de sa belle afin d'en balayer d'un revers du pouce les perles étincelantes de la tristesse qui luisait dans ce regard embué de larmes. L'espace de quelques instants, il oublia tout, absolument tout : l'aube qui pointait à l'horizon, les ruelles qui bientôt s'animeraient de l'effervescence de la ville, les deux gardes inconscients qui gisaient à seulement quelques pas de là, les palais, les temples, les échoppes, Fabius, Korentin, la rébellion, les Alayiens, tout. Plus rien n'existait désormais, à la seule exception de celle qui se trouvait devant lui. L'une de ses mains vint alors se glisser autour de la taille de la demoiselle, manquant de peu s'emmêler dans un pan de robe déchiré tandis que l'autre plongeait vers la crinière échevelée, s'y enfonçant pour venir en saisir la nuque. Sans le moindre effort, Kylian attira à lui la jeune femme, plongeant ses lèvres vers les siennes pour s'en emparer dans un baiser enflammé. Lorsqu'il consentit à les libérer une première fois, ce ne fut que le temps de lui murmurer quelques mots :

« Je suis désolé. Tellement, tellement désolé. »

Avant de replonger aussitôt vers cet échange de tendresse et d'innocence, d'autant plus précieux qu'il leur était normalement interdit. Enfin, et bien malgré lui, le vampire écarta lentement son visage de celui de sa dulcinée, trouvant même l'audace de laisser apparaître un sourire tandis qu'il reprenait toujours sur le ton de la confidence :

« Tu es folle, mon amour, complètement folle. »

Folie oui, non seulement d'avoir fui les souterrains d'Aigue-Royale pour venir mener un combat de l'ombre sous les lumières de la cours impériale, folie de vouloir épouser un homme qu'elle méprisait et qui lui avait promis de la tuer, mais folie aussi et surtout que d'aimer encore le vampire entre les bras duquel elle semblait prisonnière.

« Voila ma sincérité, Esmelda : je ne veux pas te voir épouser un autre que moi, et Fabius encore moins que tout autre. J'ai peur qu'il puisse parvenir à te faire du mal, d'une manière ou d'une autre. Même si je sais que tu rendras coup pour coup, même si j'ai confiance en toi pour ne pas les laisser lui ou le Prêcheur te manipuler, je ne veux pas imaginer que tu puisses avoir à en souffrir. Mais tu ne reculeras pas quoique je puisse dire, je le sais parce que tu es déterminée à servir ton peuple, et c'est une chance merveilleuse pour eux que de t'avoir comme princesse, comme reine, mais je refuse de te laisser affronter ces dangers seule. Alors je serais là, même si tu ne me verras pas, même si tu ne m'entendras pas, même si tu ne sentiras pas ma peau contre la tienne, je serais là. Parce que tu m'appartiens... »

A quoi bon essayer encore de refuser l'admettre ? Il était vampire et resterait vampire, mieux valait pour lui l'accepter s'il espérait pouvoir avancer, s'il espérait pouvoir faire comprendre ce qu'il était réellement à celle dont il s'était approprié le coeur.

« Ma possession, oui, c'est ce que tu es à mes yeux car c'est ainsi que pense et existe le peuple auquel appartient celui que tu as choisi d'aimer : ce qui m'est donné, je le garde, ce que je veux, je le prends, ce qui m'est refusé, je l'exige, ce qui m'est dérobé... je le récupère. Tu m'as donné ta confiance d'abord, ton coeur ensuite et finalement jusqu'à ton corps, et je me les suis appropriés. Il est trop tard pour reculer à présent, tu es mienne et je combattrais quiconque essaiera de t'enlever à moi. »

Le comprendrait-elle ? Probablement que oui. Depuis le début de leur histoire commune, elle lui était apparue comme un exemple de tolérance et de compassion, de courage et d'espoir, de bonté et de générosité. C'était ce qui l'avait séduit chez elle, aussi ne doutait-il pas qu'elle comprendrait. Mais l'accepterait-elle ? Rien n'était moins sûr. Les différences entre homme et femme étaient déjà tellement nombreuses qu'il en devenait parfois surprenant de les voir s'unir et s'aimer, mais lorsqu'en plus devaient s'ajouter les différences qui existaient entre vampire et humaine, la seule idée de bâtir une relation de couple semblait une véritable utopie. Utopie que le monde semblait devoir s'acharner à briser, à l'image de ce cri qui retentissait à l'extrémité de la rue, précisément là où venaient de surgir les silhouettes d'une nouvelle patrouille de gardes dont les bras se tendaient déjà en direction du couple des amants interdits. A trop vouloir tirer sur les minutes, sur les secondes, ils avaient franchi l'imperceptible limite qui séparait le risque du danger.

Heureusement, la réaction du vampire fut immédiate : d'un geste sec, il repoussa la princesse contre un mur et porta la main à son cou comme s'il essayait de l'étrangler. De loin, l'illusion d'une agression en bonne et due forme serait parfaite, quand bien même il prenait soin de ne pas lui faire de mal. Son regard clair trouva aussitôt celui aux reflets ambrés de la princesse tandis qu'il ordonnait sèchement :

« Poignarde moi ! »

Probablement pas le genre de chose qu'elle était prête à entendre, encore moins à faire, mais il n'y avait pas d'autre solution.

« Il faut protéger les apparences, du sang sur les mains sera la meilleure preuve que tu pourras leur apporter alors fais vite et ne t'inquiète pas pour moi, la blessure cicatrisera rapidement. »

Kylian avait tout les raisons de se méfier et d'avoir peur de Fabius. Rusé, intelligent et puissant, l'empereur des humains était un adversaire de taille, mais la princesse le connaissait, ses faiblesses mais aussi sa force. Et la princesse se servirait des deux pour parvenir à ses fins. Et elle y arriverait, elle était déterminée.

« -Le mal il me l'a déjà fait. Il a tué mon frère, bannit mon cousin, menti à mon peuple et il s'est allié aux alayens. Que peut-il me faire de plus ? Du moment, qu'il ne connaît rien de toi, il ne pourrait jamais m'atteindre. Il ne le pourra plus, car ce mal est déjà fait et il est ma force pour continuer, pour le faire plier et qu'il retrouve la place qui est la sienne : aux cachots, jugé pour ses crimes. »

La jeune femme planta un regard déterminé et que rien ni personne ne ferait ployer avant de se radoucir dans un regard bien plus doux, ce seul regard que Kylian pouvait voir.

« -Mais merci, de ta sincérité, de tes craintes, de tes doutes, mais aussi de ta confiance. Cela compte pour moi. Mais la seule personne qui peut m'enlever à toi au final, c'est toi. Personne d'autre. Comme tu dis je suis à toi, mais je reste aussi à moi. Et rien ni personne ne m'enlèvera ma liberté et ce que je suis, pas même toi.»

Car il pouvait l'aimer, la voir comme lui appartenant, elle pouvait l'aimer sincèrement, la nuit où son cœur était noircit par le diamant, elle l'avait haït comme jamais et la jeune femme avait été prête à ne plus jamais le revoir. Qu'importe ses sentiments. Il devait le savoir et le comprendre. Mais la réponse qu'il aurait pu lui donner se finit dans un baiser qui ne pouvait être que la plus belle des réponses.
Mais la réalité revient vite au galop, tout aussi vite que les pas des gardes arrivants dans la ruelle. Kylian fut le premier à réagir. Mais ce qui lui demandait était trop. Trop pour la jeune femme qui sentait encore les lèvres fraîches de son amant sur les siennes, aimantes, d'une infinie douceur, scellant l'amour de ses deux êtres que tout oppose.

« - Non, tu as perdu l'esprit...jamais... »

Comment pouvait-il lui demander pareille chose.

« -Je ne te blesserai pas pour les sauver. Je ne veux pas ton sang sur mes mains. Ne me demande pas ça. »

Kylian insista, du regard, plongeant ses yeux clairs dans les siens. Elle le devait mais ne s'y résignerait pas, elle préférait se planter la dague elle même dans le ventre. Mais le vampire resserrant sa fausse étreinte d'une main pour lui même donner l'arme à la jeune femme. Les yeux affolés, Esmelda lui supplia de renoncer. Mais il avait raison, de cette façon, elle serait blanche comme neige et non inquiétée de quoique se soit.
La suite fut comme si le temps se suspendait pour laisser place à l'horreur. La princesse ne put que murmurer du bout des lèvres.

« -Je suis désolée... »

Les larmes perlaient dans ses yeux, son cœur se serrait et sa gorge était terriblement douloureuse. La princesse lâcha la lame et se recula se laissant glisser le long du mur pour finir assisse non loin d'un corps d'un des soldats encore assommé. Elle ne vit pas Kylian partir, ses yeux embrumés de larmes ne lui permettaient pas. Son esprit était comme suspendu dans un autre temps, un autre lieu. Mais cela ne pouvait s'être passé.

La garde se rapprocha épée à la main, certains venant vers la princesse pour la relever et la mettre à l'abri d'autres partis poursuivre le fuyard et encore un à aider les soldats au sol.

« -Je n'ai rien, je vais bien, je ne suis pas blessée, ce n'est pas mon sang. »

Un soldat venait à elle angoissé, ayant, lui, vu le sang sur ses mains et quelques gouttes sur sa robe. Avait-il vu la couleur sombre ? Peut être, ou bien non dans cette pénombre encore présente. Qu'importe, la jeune femme le rassura et ajouta pour la forme.

« -Un anti alayen qui désirait porter un coup au gouvernement en place. J'ai réussi à fuir mais il m'a rattrapé. »

La princesse ressentit enfin la fatigue des événements de la soirée se poser comme un poids sur les épaules. Et même si nuit fut des plus profitables, agréables, étranges et qu'elle n'en disposerait pas de pareilles avant bien longtemps, Esmelda ne put s'empêcher de n'avoir qu'une envie. Retourner au château, chez elle, bien loin de cette dernière vision qu'elle avait de son amant blessé par ses mains, cette sensation, la chaire laissant place à la lame dans ce corps tant aimé.

« -Ramenez moi au palais, je suis exténuée. »