L’incident était réglé mais pas oublié, pas clôt, c’était certain. Cependant, l’alliance ne risquait plus de se déliter dans les heures à venir et c’était déjà énorme… Il avait escompté avoir affaire à plus fort parti lorsqu’il s’était décidé à se présenter devant le souverain humain. Pas que Korentin Kohan soit un simple d’esprit ou qu’il manque de caractère non, ça n’avait rien à voir, cependant, il avait connu plus borné et prompte à écouter sa colère et cette colère uniquement. Au moins, le couronné avait du bon sens et remplissait bien son rôle. En y repensant, il le trouvait décidément amusant et intéressant oui… L’entrevue lui avait plus et elle appelait à davantage dans son esprit. Pouvait-il se rapprocher de lui ? Ce serait une bonne chose et cela soulagerait peut-être sa paranoïa qui allait grandissante. S’il parvenait à se faire un ami du Kohan… oui ce serait toujours une bonne chose, on ne savait jamais. Mais pour le moment, il sortait tout juste de son entrevue et retournait à l’extérieur de Fort-espérance pour constater que l’agitation c’était un peu calmée même si elle palpitait encore et pour de bonnes raisons. Il avait sentis l’agitation de Silarae un peu plus tôt, et lorsqu’elle le contacta, il répondit immédiatement. *Cœurempire, devant le fort * Il n’en dit pas davantage, n’ayant pas envie que l’on épie sa conversation même si l’idée semblait totalement absurde. Qui aurait le pouvoir de faire cela, ou la folie de le tenter d’ailleurs ? Pourtant la crainte était bien présente et l’étreignait, comme la faim. Ainsi cela ne s’étendait pas qu’à ses pairs ou à la politique ? Il semblait soudain méfiant envers le reste du monde entier… et sa faim n’arrangeait rien. La faim sans fin, le dragon sinistre enfoui dans ses entrailles de vampire, s’agitait sourdement et réclamait plus qu’une simple dose de sang. Il se sentait affamé, littéralement. Elle avait été relativement distante pendant l’entrevue, sans doute parce qu’il n’y avait pas beaucoup d’humains présents. Mais là, c’était une toute autre paire de manche. *J’arrive* se contenta-t-il de rajouter, un peu sèchement peut-être quoi que totalement sans le vouloir.

Il força l’allure pour la rejoindre, les larges pans de sa tunique virevoltant autours de lui. Lorsqu’il la rejoignit enfin quelques instants plus tard, il affichait une mine grave et sérieuse et décocha un regard condescendant à un humain apparemment aux prises avec un totem caméléon qui faisait des siennes. Elle n’était pas difficile à voir, même dans le noir et il lui fit un large geste du bras réfrénant un puissant élan de sociopathe. *Vient sortons d’ici tout de suite, si je reste là je vais finir par voir des tentatives de meurtres et de trahisons dans tous les coins… ou alors j’en mangerais un* Les deux options ne lui plaisait guère surtout après avoir dit à Korentin qu’il voulait une égalité durable entre leurs peuples. Ne prenant pas le temps de faire un détour pour aller chercher sa selle, il se dirigea manu militari vers l’une des sorties les plus discrètes, passa les gardes qui semblaient suer toute l’eau de leurs corps et… s’arrêta lorsque le soleil manqua l’aveugler un instant. Il cligna plusieurs fois des yeux, les sentant s’humecter avant qu’il ne sente enfin l’accablante chaleur de l’extérieur. Par Dracos… une canicule au mois de mars ? Et si forte ? Non ce n’était pas possible… ce devait être une autre des catastrophes climatiques auxquels ils devaient faire face. Canicule donc… Avec une moue contrariée, il rabattit la capuche de sa cape de brume sur son visage, et instantanément, il se sentit bien au frais et dissimulé. Une autre preuve que la magie était bien plus puissante que d’habitude. Se tournant vers Silarae, il s’approcha d’elle. *Baisse toi un peu, que je puisse monter, s’il te plait* Il l’escalada de son mieux et s’installa entre quatre grandes piques, sur une plaque d’écaille solide et stable. Etrangement, dès qu’il fut installé, il se sentit beaucoup plus à l’aise, mieux, en présence de sa moitié d’âme et caressa son esprit. *Allons-y, nous pourrons mieux discuter en te cherchant une proie*

Il s’accrocha de toutes ses forces au décollage, et restant ferme dans sa prise, quand bien même la situation particulière le rendait moins prompte à céder à son malaise du vol. Une fois là-haut, il soupira lourdement et se laissa aller contre l’un des piquants, regardant le ciel autours d’eux… *C’est mieux… au moins ici personne ne nous espionnera* Il était bien là, très bien même, il aurait pu y rester le reste de son existence. *Tu as vu cette pagaille ? Comment vas-tu-toi ?*

L’ironie suintante lui fit rouler des yeux et il ne cacha absolument pas ses pensées suivantes à la dragonne. Si vraiment c’était là de la tranquillité, il risquait fort de les achever tous et de les envoyer dormir éternellement, histoire d’avoir la paix. Certes, l’impatience et la bougeotte humaine étaient des stimuli satisfaisant à son esprit mais il ne fallait tout de même pas abuser. Hors là c’était de l’abus justement. Il émit finalement un grognement vague alors qu’elle reprenait la parole dans sa tête. Moui, lui aussi avait très faim. Même s’il savait se contrôler, il se serait bien vu dévorant tout Aigue-Royale, comme un loup dans la bergerie après un jeun de six mois… autant ne pas se tenter en restant là-bas, sans compter le reste. Alors si chacun avait particulièrement faim, à porter une partie de la faim de l’autre, c’était encore pire. *Moi aussi je suis heureux d’être-là, enfin sauf si une tornade apparaît, là je pense que je le serais moins sans selle…. Enfin bon, je louerais mon imbécilité à ce moment-là et remercierait tous les esprits de tes talents de danseuse aérienne* Enfin il doutait que les esprits aient quoi que ce soit à faire, de ses remerciements, ils devaient être occupés à autre chose en ce moment. Probablement à empêcher le monde d’exploser. En attendant donc que la ligne ne soit plus occupée, il étudiait les environs avec attention, son regard certainement moins acéré que celui de sa compagne qui reprit la parole. Il allait lui répondre lorsqu’elle se décida à faire un plongeon vertigineux depuis les airs vers le sol, l’obligeant à s’accrocher comme si sa vie en dépendait, ce qui était certainement le cas. Echevelé et agrippé au piquant comme une bernique à son rocher, il rouvrit les yeux en ayant l’impression que ses poumons venaient d’être délocalisés dans sa gorge, ou même dans ses orbites.

*La végétation ?* demanda-t-il, quelque peu déphasé par rapport à la réalité après avoir vu sa non vie défilée devant ses yeux. Puis il jeta un regard perturbé par-dessus une épaule écailleuse et écarquilla les yeux en voyant un océan verdoyant se mouvoir avec une férocité impressionnante. 9a et là, des couleurs l’alertait, envoyant un signal d’alarme impérieux à son esprit. *Silarae… remonte s’il te plait, j’ai comme l’impression que cette verdure-ci n’aime pas beaucoup nous savoir présents… * C’était le moins qu’on pouvait dire. La dragonne ne craignait certainement pas grand-chose et lui non plus sur son dos, mais il ne voulait pas tester les limites des conditions magiques actuelles. Ils volaient au niveau de la cime des arbres, ce qui était suffisant pour échapper à l’herbe griffeuse et mordeuse, mais quand même. En fronçant les sourcils, il capta un mouvement en bordure de la petite forêt de laquelle ils approchaient et constata avec plus ou moins de désillusion qu’un petit animal, certainement un chat sauvage, était en train de se faire mettre en pièce par ces attaques végétales. *Et bien j’aurais finalement vécu assez longtemps pour que le monde devienne fou* lâcha-t-il dans un élan d’humour noir. *Tu crois que les poules ont des dents ? ça ne m’étonnerait pas vraiment en f…* Il ne parvint pas à terminer sa phrase, quelque chose, une liane selon toutes apparences, venait de le cingler en plein torse et, sous la surprise, il se trouva éjecté de son assise sur le dos de la dragonne, s’étalant plusieurs mètres plus bas, de tout son long dans les fougères assassines.

Aussitôt, les plantes s’échinèrent à l’attaquer, lui entaillant effets et peau en plusieurs endroits sans qu’il ne réagisse vraiment. Il relâcha une onde brûlante de magie pour les tuer immédiatement et se releva un peu lourdement, faisant craquer ses os. Puis il lança un regard consterné vers Silarae avant de sourire. *Achroma le tueur de plantes affamées, ça sonne bien non ?* Puis, avec un rire dans la voix *Voudriez-vous me faire l’honneur de me laisser remonter, dame des cieux ? *

Heureusement qu’il n’avait pas la main verte en vérité. Ça l’aurait définitivement dégoûté de jardiner. Il eut une pensée justement pour tous les amoureux des plantes de par le continent et se félicita du même coup de son état de vampire et de la facilité de régénération qu’il possédait. Les coupures faites par les feuilles enragées guérissaient déjà. Il ne resterait donc plus de sa mauvaise chute que les dégâts infligés à ses vêtements, qu’il lui faudrait certainement réparer à son retour à Aigue. La fabrique était trop délicate pour qu’il essaye de faire ça lui-même avec de la magie. L’intervention mentale de sa liée le fit rire. *Merci je suis effectivement bien assez mort comme cela ! Je ne tiens pas à l’être davantage. Tu ne me croiras peut-être pas mais la mort, c’est tuant…* Hm oui bon on pouvait dire que la fin du monde agissait aussi sur son humour non ? Et même si ce n’était pas vrai, rien à faire personne ne le contredirait. Ou il mangerait l’importun en question, ce qui reviendrait fondamentalement au même. Il s’apprêta donc à remonter sur la belle aux blanches écailles lorsque l’odeur du prédateur vint chatouiller son nez sensible. Fronçant les yeux, il se retourna juste à temps pour voir Silarae le mettre en pièce d’un coup de crocs comme s’il s’agissait d’un vulgaire pantin. Hm… voilà quelque chose qu’il n’aimerait pas expérimenter, un coup de crocs de dragon adulte. Finir en bouillie ou découpé par les sabres ivoirins ne lui disait absolument rien. Secouant la tête, il approcha de la patte de sa liée pour remonter sur son dos, s’arrachant un rictus à la proposition. *Non merci, je n’ai aucun goût pour le sang animal, surtout du sang déjà mort… Je ne m’appelle pas Kylian Wallam moi* Bon il gardait un peu rancune au renégat de lui avoir fait perdre son temps l’autre fois, effectivement. Mais il avait de nombreuses raisons de le faire et ce n’était certainement pas Silarae qui allait le juger là-dessus. Est-ce qu’il jugeait sa rencontre avec Verith lui ? Non. Enfin si. Il ne portait pas du tout le dragon rouge dans son cœur. S’il le croisait, il y aurait explications, dragon ou pas. *Et en plus j’ai de la chance, tu as beau avoir de superbes crocs tu n’es pas une poule, je ne risque donc pas de me faire attaquer ! Enfin à part par une plante devenue subitement carnivore. Tu crois qu’elles se sont levées ce matin en ayant cette lubie ?* Question rhétorique, évidemment que non. Mais il aimait en rire, ça le détendait.

Cependant, alors qu’il s’apprêtait une fois de plus à grimper sur son dos, l’intervention de la dragonne le retint et il faillit lui demander si elle escomptait vraiment le transporter de nouveau ou si c’était une nouvelle méthode de torture. Néanmoins, ce qu’elle mettait en lumière l’intriguant et alarma sa toute nouvelle paranoïa. *Qu’est-ce que quoi exactement ?* demanda-t-il alors qu’elle manquait le percuter de sa patte et de son aile dans son élan protecteur. Ah mais c’est que se faire désarçonner par un saule lui suffisait, pas besoin qu’elle lui refasse le portrait en plus hein ! Cependant, il perçu ce qui troublait la dragonne au travers de leur lien et se mit à humer l’air. Effectivement, il y avait une odeur étrange… Elle était légèrement douceâtre, sucrée et entêtante. A la fois très… sensuelle, mais également un peu écœurant pour ses sens très fins. Il la renifla pourtant avec attention. *Je n’ai jamais rien sentit de tel auparavant… c’est le parfum d’une fleur c’est certain, mais aucune idée de laquelle il peut bien s’agir. On dirait un mélange de rose, de miel et de…. Décomposition…* La découverte le fit grimacer, avant qu’un tout autre sentiment chasse le malaise et la tension. C’était… un bien-être étrange. Le bien-être d’un cœur amoureux, léger et parfaitement satisfait de sa condition. Son regard glissant sur Silarae, il se prit soudain à penser qu’elle avait vraiment une très jolie ligne pour un dragon, très féminine… La courbe du cou et des ailes était sensuelle, le brillant des écailles représentait un attrait sans fin et il se sentait soudain prêt à passer des heures à observer la moindre irisation, à tester la texture des écailles en les caressant… Son regard était profond et il aurait aimé si perdre. De but en blanc, il reprit la conversation, semblant ne plus se préoccuper du tout de ce qu’elle avait pu sentir. *J’adore quand tu es protectrice… Non c’est vrai, tu dégages un tel magnétisme c’est impressionnant, je ne peux pas m’empêcher de t’admirer. Tu es magnifique Silarae…* S’il avait été humain il aurait rougit de gêne, mais il ne fit que se mordiller la lèvre d’un croc, se montrant un peu timide. *Je ne peux pas m’en empêcher il faut absolument que je te le dise, quitte à être rejeté et à avoir le cœur en morceau mais je ne peux vivre cette passion sans lui donner voix au moins une fois… Silarae je… je t’aime !*

Il ne savait pas exactement si les plantes le trouvait à leur goût, mais la dragonne elle était certainement à son goût à lui en tout cas… Il avait déjà émis une fois auparavant l’idée d’être amoureux d’une dragonne, mais là ce n’était pas une simple hypothèse, c’était tout simplement la vérité. Il aimait Silarae d’une façon impossible, improbable même… il la désirait, c’était clair comme de l’eau de roche. Rien d’autre n’avait d’importance à ses yeux en dehors du brillant de ses écailles, de sa majesté, de ses ailes souples et vives, de ses yeux de gemmes si profonds et troublant. Un soupire énamouré le quitta alors qu’elle lui parlait par la pensée. Oh comme il aimait le son de sa voix, sa profondeur et son écho… Splendide.

Les Esprits supérieurs n’auraient pu avoir plus belles voix. Mais pourquoi donc avait-elle l’air contrariée ? Si quoi que ce soit la contrariait il ferait en sorte de la rendre heureuse et de détruire ce qui pourrait causer son mécontentement. Si elle n’était pas contente alors lui non plus non pouvait pas l’être. Pourtant à bien y regarder… c’était lui qui la mécontentait ? Confus, il répondit. *Bêtises ? Mais je…* Il n’alla pas jusqu’au bout, coupé par l’esprit de sa douce amie qui chassait l’effet délétère du parfum qui contrôlait ses pensées. Il cligna des yeux, secoua la tête pour clarifier davantage ses pensées et se sentit rougir quand bien même c’était difficilement possible. Il s’était conduit comme un imbécile et n’avait même pas vu le piège qu’était cette plante…

Immédiatement, il cessa de respirer et de sentir, ce qui était plutôt simple pour un vampire. Intérieurement, il transmit ses excuses à la blanche, désolé de s’être mis en scène comme ça. Il n’avait pas voulu l’embarrasser. Mais il le fut encore davantage lorsqu’il se rendit comptes qu’elle l’avait envoyé au sol et qu’il ne l’avait qu’à peine sentit. Affalé dans un tas de végétation morte, il jura dans l’argot du nord et se releva en vitesse. *J’arrive !* Il fit naître la magie au cœur de ses doigts et, dans l’empressement de délivrer sa compagne, manqua balayer d’un incendie ravageur les environs et la forêt, ne parvenant que d’extrême justesse à reprendre le contrôle de ses flammes pour détruire définitivement la végétation. * Aller retournons dans les airs ça sera plus sûr !*

Il se hissa précipitamment sur le dos de la blanche et s’accrocha fermement lorsqu’elle décolla. Il ne laissa la tension redescendre qu’une fois haut dans les cieux. Là, il soupira lourdement, cessant de retenir son habitude de respiration. * Au moins ici nous sommes saufs… à moins de croiser un vautour ou une buse folle je ne vois pas ce qui pourrais venir nous…* Et bien si, il y avait quelque chose. Le ciel noircissait lentement mais sûrement. *Peut-être devrions-nous retourner à Aigue…même si ça ne me plait que moyennement. Sans selle dans un orage, je ne m’y risquerais pas. Ou alors gagnons la côte et une caverne quelconque ?* Il attendit la décision de sa compagne, restant un long moment silencieux. Le regard perdu dans l’horizon, il reprit un peu plus tard.

*Silarae… Je sais ce qui cause tout cela, et je dois avouer que ça ne me plait pas. Avoir détruit Dévoreuse est une chose, mais même si j’ai dit au monarque humain qu’il y avait certainement des bons côtés à la situation actuelle, je doute de plus en plus de mon affirmation. Le temps, les plantes, les animaux, la végétation… la magie, les totems… Je ne vois que des désavantages ici, sous des aspects de potentiels dons du plan astral. Mieux vaudrais que cette situation se dissipe rapidement. Et pourtant je doute également de cela, le traumatisme est trop profond pour le traiter comme un banal phénomène magique… Fous qu’ils étaient de faire cela, fous qu’ils étaient que d’attaquer Néant… Je ne sais si je dois être en colère ou simplement atterré… *

Il ne savait vraiment pas non, mais ça le contrariait profondément. *Il semblerait que j’ai surestimé Lorenz une fois de plus.. *

Il émit un son pensif qui se perdit certainement dans le vent, inaudible à Silarae, à moins qu’elle ne décide de surveiller son esprit dans les moindres recoins. Surestimait-il si souvent Lorenz ? Peut-être bien que oui, mais il devait admettre que pour le coup, il avait réellement et sincèrement pensé que l’autoproclamé prince vampirique avait plus de bon sens que cela. Jouer les tyrans d’un continent d’accord, manquer détruire ledit continent cependant… Il y avait un gouffre entre ces deux choses. Mais il fallait croire que réfléchir et prendre des précautions avait été au-delà de la logique de l’autre vampire sur le moment, ce qui pourtant lui restait étrange. Magiquement parlant, Lorenz n’était pas un débutant. *Ils ne découvriront pas plus aisément leur cachette pour autant non. Les fondations rocheuses de la ville sont particulièrement solides et sa construction ainsi que les sorts de protections associés la maintienne parfaitement en place, qu’un bout de plafond tombe ou non. Voilà bien un point positif dans tout cela. A défaut d’avoir la clairvoyance de ne pas faire flamber le reste du monde, j’ai au moins confiance en la magie baptistrale et ses représentants pour avoir bien accompli ce travail-là* Il secoua légèrement la tête, n’appréciant décidément pas la blague qui lui avait été jouée. S’il ne le respectait nullement comme vampire, qu’il ait au moins la décence de reconnaître son expertise magique, qui dépassait même la sienne. Il aurait dû être consulté. Ou au moins prévenu à défaut d’autre chose, qu’il ne tombe pas des nues en devant protéger l’alliance auprès du monarque humain au débotté. Mais non, rien de tout cela. Damnation…

*De plus si le conflit pourrait ne pas s’éterniser, il est bien probable que ni les rebelles ni les alayiens en réchappent… Se battre avec une magie devenue folle, c’est attraper à pleine main une épée à double tranchant* En fait, la formulation exacte était que jouer avec la magie c’était prendre une épée double tranchant à pleine main. Une citation glacernoise de son enfance. Elle lui semblait parfaitement appropriée pour le coup ! Cependant ses lèvres se pincèrent et une vague ironique déferla dans l’esprit de sa dragonne sans qu’il l’arrête, acide. Lorsque la sagesse des dragons veillait à ce que de telles erreurs n’adviennent pas, hein ? Mouai. Elle n’avait pas tort mais pas raison non plus. *Disons simplement que les erreurs d’hier valent sans doutes celles d’aujourd’hui en d’autres façons* finit-il pas affirmer, en une réponse un peu plus diplomatique qu’il ne l’avait d’abord pensé. Oui la sagesse des dragons avait apporté beaucoup, il serait totalement fou de ne pas le reconnaître. Mais il ne pouvait s’empêcher de penser qu’aucune période n’avait fondamentalement été bonne ou mauvaise si l’on exceptait l’avant bipèdes… Là il reconnaissait que tout avait dû allait très bien. Mais bref, il ne désirait pas vexer sa partenaire, ce n’était pas le but. Sans nul doute que la situation participait de son élan critique. Il resta un moment silencieux tandis qu’elle reprenait la parole. Un soupire lui vint. Répugnant à user de mot cette fois, il lui fit tout de même parvenir sa réponse sous la forme d’impressions. Celle qu’il ressentait en ce moment même. Celle qu’aucun lieu ne serait à l’abri…

Tout ceci, ils le devaient aux Esprits créateurs du monde. Evidemment qu’il n’y avait nul lieu où se cacher. Elle continua de voler jusqu’aux abords de l’océan et il tourna la tête plusieurs fois, à la recherche d’une caverne ou d’une plage suffisante pour eux et en trouvant finalement une, faite de galets. *Là…* fit-il enfin et attendit qu’elle descende en s’accrochant. *Pas de plantes, pas d’animaux. Et les éléments ont l’air calmes. Parfait donc* Une fois qu’elle fut au sol, il cligna des yeux, et fut instantanément debout sur les galets, l’air iodé jouant dans ses vêtements et ses cheveux. Il inspira profondément, appréciant l’odeur de l’océan même s’il faisait très chaud. Trop chaud. S’installant sur un gros rocher, dans l’ombre de Silarae, il se mit à caresser les écailles, flattant sa magnificence d’une main à présent experte. Il savoura le silence pendant un très long moment, perdant la notion du temps comme lui seul savait le faire… Puis, au bout d’un long moment, il attira son attention d’une pensée et se confia à elle. *L’empereur humain m’imaginait défiant Lorenz pour le titre de prince. Il ne le faisait que par dépit d’une certaine façon et sous le coup de nombreuses émotions et révélations mais… Je dois avouer que la question se pose. Elle se pose depuis longtemps. J’ai délayé une affirmation trop tranchée, mais en mon fort intérieur je pèse le pour et le contre. Je ne suis pourtant pas incliné à céder au pouvoir mais il y a une alternative… Peut-être devrions-nous repenser à la formation d’une caste indépendante pour les dragonniers. Si l’alliance se poursuit cela pourrait être le meilleur moment*

Il fronça sensiblement les sourcils. *J’en prendrais la tête… il le faut. Mais je ne réduirais pas les autres au rang de simples subordonnés. Ne serait-ce que par égard pour vous dragons, qui ne devaient allégeance à personne*

Ce qu’il pensait de la propension des dragons à altérer l’équilibre Armandéen resterait tut et enfoui au fond de son esprit, de sorte qu’elle n’y ait pas accès. Ses convictions à ce sujet risquaient fort de conduire à une crise conjugale violente entre eux. Il admirait et respectait de tout cœur les dragons, mais il ne les adulait pas au point de les placer au-dessus de toute imperfection. Il ne pouvait guère le faire après tout ce qu’il avait vu, mais une dragonne et une dragonne aussi fière que sa liée, aurait certainement du mal à le raisonner, aussi logique puisse-t-il être pour lui. La logique également avait une part d’interprétation. Bien lui prit d’ailleurs de ne pas poursuivre sur cette dangereuse pente. Le sujet s’écoula, passa comme l’eau de pluie dans la rivière. Il y avait bien autre chose à penser. Bien autre chose à débattre également… comme souvent, comme toujours. Et pour autant ils ne discutaient pas autant qu’on aurait pu le croire. Silencieux, il l’observa d’un regard lourd de sous-entendu… Ce n’était pas encore suffisant pour vaincre Lorenz. C’était loin de l’être en vérité. Mais c’était un début au moins.

Pinçant les lèvres en une moue cynique, il rétorqua avec cynisme, le sombre serpent sinueux d’un antique impérialisme persiflant au travers de ses mots. *Ils n’ont pas besoin de totems détraqués pour être incapables de penser correctement. Ce ne sont guère plus que des bêtes, pour la majorité. Je ne sais pas même si je pourrais les tirer de cet état et si c’est réellement impossible ? Alors c’est un génocide que nous aurons sur les bras. Ou bien une purge…. Ou tout simplement une évolution positive, je ne sais pas trop lequel choisir je dois dire* Il n'appréciait pas forcément la plupart des vampires mais il détestait plus encore l’état de dégénérescence que subissaient ces nouveau-nés laissés en friche comme de mauvaises herbes. La moue disparu et il retrouva une expression neutre et pensive en se perdant dans les méandres de ses plans… jusqu’à sa remarque suivant qui lui tira l’ombre d’un sourire.

*Pas pire que lui ? C’est plutôt facile ça… La barre n’est pas placée très haut* Le sardonique de sa voix vibra, même dans leurs esprits, comme une plaisanterie secrète. *Mais si je le défie il ne vivra pas plus. Il devra mourir. Je n’aime pas humilier… Une mort propre est peut-être encore trop luxueuse pour lui, mais il l’obtiendra néanmoins. Au moins entrerais-je en fonction avec l’image d’un prince miséricordieux… * Il ne manquerait que ça. Mais ça donnerait le ton de la suite. Il n’avait jamais eu de goût pour la torture et aucun respect pour les tortionnaires, de quelque race qu’ils soient. Ces méthodes arriérées ne donnaient au final pas grands résultats. Et cela gâchait des matériaux et du temps, deux éléments extrêmement précieux …. Mais soit, sans doute fallait-il qu’on leur donna l’illusion d’une quelconque utilité.

*Prince Seithvelj… ça ne sonne pas très bien* dit-il avec détachement, usant du même ton dont il aurait gratifié la météo. Haussant les épaules, il glissa sa main sur une autre plaque écailleuse et reprit ses papouillages en conservant à nouveau, longuement, le silence. En fond sonore, la mer continuait de gronder doucement, les vagues s’écrasant sur la plage et apportant l’embrun iodé qui lui emplissait les sens. Que tout cela était compliqué ! Parfois Il espérait encore pouvoir déposer son fardeau et se trouvait en butte à une totale impossibilité. A croire qu’il se devait de traverser tous les bourbiers politiques de la terre. Mais c’est qu’il y en avait beaucoup trop, de ces bourbiers et c’était loin d’être fini. Il y en avait certainement d’autres encore, toujours plus, hors de sa vision.

Il émit un son qui n’engageait à rien. * Nous sommes trop peu pour établir une véritable hiérarchie. Même si cela signifie une certaine lenteur, l’égalité est de mise, à moins qu’ils ne le décident d’eux-mêmes. Comme pour les anciens, je serais simplement leur voix. A terme cependant, si de nouveaux dragonniers apparaissent, j’aimerais mettre en place une organisation simple mais efficace. Un cercle dirigeant composé de nos membres les plus actifs et impliqués, prenant les décisions, et une seconde approche, entre chaque dragonnier confirmé et ses apprentis… Ce n’est qu’un brouillon je te l’accorde. Il nous faudra l’adapter. Quant à la question de l’indépendance actuelle de nos pairs…. La crois-tu vraiment ? Pas moi*

Il soupira * Ce n’est pas parce qu’ils agissent parfois comme bon leur semble qu’ils sont indépendants. Je dirais même que c’est une illusion d’indépendance. Leurs mœurs, leurs morales, leurs éducations et surtout leurs loyautés, les enchaînent. Moi également, toi également. Si nous jouerons le jeu ? Pas entièrement, pas au début. Aucun d’entre nous. Nous devrons apprendre et nous échiner, nous efforcer de nous entendre. Et de nous placer au-dessus des autorités qui veulent nous suborner. Cela ne fera pas plaisir à tous. Je dirais même que cela ne fera plaisir à personne et surtout pas aux dirigeants des différents ‘clans’ mais tant pis… Et puis nous aurons déjà une première double mission…*

Il lui jeta un coup d’œil sérieux *Faire perdurer l’entente vacillante et protéger le premier des nouveaux dragons Armandéens. Tu as appris pour Isyndar, non ? Cet œuf… il nous faut le garder sauf jusqu’à trouver son dragonnier*

Il était bon de discuter avec elle. Surtout d’un pareil sujet… de pareils sujets devrait-il dire. Parce qu’auprès d’elle il n’avait nullement besoin de faire attention, de maintenir une quelconque image ou apparence. Il était ce qu’il était, tout simplement et sans concessions. Elle le connaissait parfois mieux que lui-même. Alors il n’avait nullement l’intention de se dissimuler. S’il se trompait, s’il pouvait parfois délirer… ça n’avait nulle importance, elle ne le jugeait pas. Aujourd’hui, il ouvrait son cœur, au sujet de cette caste dont il rêvait depuis longtemps et pour laquelle il avait activement travaillé pendant un très long moment… Il s’ouvrait non seulement à cette idée, à cette quête, mais également à la possibilité, la volonté, de la voir finalement se réaliser. Eclore, comme la plus belle des fleurs. Il se décidait lentement, aussi lentement que le vampire millénaire qu’il était le pouvait et le vivait. A son âge, les changements brutaux n’étaient pas tous très bien accueillit après tout… mais celui-ci n’aurait pas été brutal. Et leur discussion scellait les lambeaux de son incertitude. *Ils vivront. Nous veillerons à ce qu’ils vivent… Nous les protègerons Sila’… c’est notre devoir, à nous les aînés* A eux tous, les premiers de la nouvelle génération. Eux qui avaient été contraints de se défendre eux-mêmes, d’apprendre sans guides et de s’en sortir seuls… Ce serait à eux de protéger les suivants, tout en leur permettant tout de même de développer la même force qu’ils possédaient après ces épreuves. Ces épreuves, ils en étaient sortis grandis, chacun à leur manière singulière et personnelle. Il resta silencieux, pondérant tout cela un long moment tandis qu’elle poursuivait plus avant dans ses considérations. Finalement, il reprit la parole. *Il n’y a aucun espace réellement protégé de toute façon. Nous ne sommes en sécurité nulle part, si l’on s’occupe seulement des lieux. Pas totalement en sécurité, du moins. Pourtant, si cette sécurité n’est pas assurée par un quelconque sanctuaire, nous pouvons l’offrir, nous, en tant qu’individus. Nous pouvons bâtir une forteresse pour cet œuf et pour les nôtres…*

Il fronça sensiblement les sourcils. *J’en avais discuté avec Isyndar. Nous avions parlé de l’île du Flocon, là où vos œufs se trouvaient… c’est une île au large de la côte, à une journée ou deux de voyage à dos de dragon, un vieux volcan éteint. Une fois travaillé, le site serait aisément défendable et idéal car isolé, personne ne possède d’autorité sur les lieux si ce n’est Dracos, nous serions donc tranquilles. Cela nous éloigne un peu du continent lui-même mais ce n’est pas cher payé et ça a des avantages autant que des inconvénients…* Il se serait volontiers établit dans les montagnes du croc du dragon, mais disputer les lieux aux nordistes ne lui disait rien, pas plus que de devoir faire attention à ce que les jeunes ne disparaissent pas, par ‘accident’…. Non décidément l’île du Flocon était le meilleur choix pour une forteresse. Mais ils n’en auraient pas vraiment besoin avec un très long moment. *Tout le monde n’appréciera pas, mais ça doit être fait et pour le coup je pense être le mieux placé pour l’affirmer et défendre cette position. Ce que j’ai vu par le passé, je ne veux pas le voir se renouveler dans notre temps. Il y a déjà bien assez de guerres et de dangers, sans cela. Si l’ordre des dragonniers peut aider à pacifier notre monde…. Il ne faut pas hésiter* De cela, il était convaincu. Un soupire lui vint, puis il se reposa contre elle, posant la tempe contre les écailles puissantes. *Oui, je pense que cette fois je suis décidé, Silarae… Je vais fonder cet ordre. Ce ne sera plus un simple rêve, une simple aspiration. Ce sera une réalité tangible sur laquelle nous agirons, que nous pourrons cultiver… C’est nécessaire. Et c’est le mieux que nous puissions faire je pense…* Certes, cela les empêcherait de voyager autant qu’ils se l’étaient promis, mais c’était un sacrifice nécessaire non ? Lui le ferait sans regret, s’il le fallait. *Si j’avais seulement pu imaginer être un jour le fondateur d’un ordre des dragonniers….*

C’était tellement étrange….