Depuis leur évasion des geôles de Gloria, quelques jours auparavant, le petit groupe de réfugiés qui était parvenu à en extirper l'empereur légitime, Korentin Kohan, arpentait les plaines et forêts de l'Empire sous la direction toute relative d'un renégat vampirique. L'exil et la survie dans un monde où tout vous est hostile, Kylian connaissait, et s'il était encore trop tôt, beaucoup trop tôt même, que pour oser parler de confiance, le vampire était tout de même parvenu à faire partager quelques-unes des règles élémentaires d'un tel mode de vie. Se déplacer la nuit pour se reposer le jour, fuir les routes, endurer la faim et le froid ou encore faire disparaître efficacement les traces telles que les cendres d'un feu et autres restes de nourriture n'étaient que quelques exemples des leçons qu'avaient dû apprendre des humains qui, pour certains, n'avaient jusqu'alors connu que luxe et abondance. Dans leur petit groupe, certains encaissaient donc mieux que d'autres : les vampires souffraient moins du froid et de la fatigue, les soldats avaient pour eux leur entraînement et parfois même l'expérience des campagnes militaires. Restaient les deux Kohan, Esmelda et Korentin, accompagnés de la dragonne liée à ce dernier, pour qui le changement avait été plus que radical. Du faste d'une vie dans la noblesse, ils découvraient l'âpreté d'une existence qui leur imposait de se battre pour chaque nouveau lever de soleil. Pas un ne se plaignait, toutefois, et chacun affrontait la rudesse des conditions avec courage.
L'atmosphère n'en était pas moins lourde pour autant et il régnait encore un climat de tension constante, éprouvant physiquement et mentalement. Les deux vampires, notamment, étaient constamment épiés par des humains qui ne se risquaient jamais à écarter les mains bien loin de leurs épées. Lors des phases de repos, essentielles pour la constitution des vivants, les soldats avaient d'ailleurs instauré un tour de garde, sous la houlette de leur sergent, de sorte qu'en tout temps au moins trois d'entre eux demeuraient éveillés. Officiellement, pour palier au risque d'embuscade. Officieusement, les regards guettaient surtout les faits et gestes du ''couple'' des prédateurs de la nuit.

Sitôt qu'ils avaient quitté les environs immédiats de la capitale impériale, la petite troupe s'était dirigée vers le sud : l'automne débutait et, avec la chute des feuilles, c'étaient la pluie et le froid qui bientôt déferleraient sur eux. La nuit précédente, la traversée de la Wylorel s'était d'ailleurs révélée l'épreuve la plus éprouvante qu'ils eurent à affronter jusqu'alors et, tandis que pointait à l'horizon l'aube du sixième jour de cette fuite éperdue, chacun ne put qu'accueillir avec gratitudes les premiers rayons de l'astre solaire, synonymes de repos.
Ils établirent bientôt un campement rudimentaire dans les sous-bois d'une forêt avoisinante, les uns s'en allant remplir les outres et autres gourdes de l'eau d'un ruisseau tout proche, les autres ramassaient un peu de bois sec pour faire un feu et les derniers cherchaient déjà l'emplacement le plus confortable où se laisser aller au repos de l'âme et du corps.

De son côté, Kylian posa un regard pensif sur la silhouette de sa congénère. Depuis leur départ, aucun des deux vampires n'avait eu l'occasion de se nourrir, ce qui portait maintenant à onze le nombre de jours de jeûne consécutifs du rebelle vampirique. Bientôt, Sylira et lui devraient aborder cette question avec le reste du groupe, ce qui n'apaiserait certainement pas la méfiance dont faisaient preuve leurs compagnons.
Le vampire baissa les yeux un moment, pour réfléchir aux mots qui seraient les plus adaptés lorsque viendrait le temps de présenter la situation, avant de les relever pour venir trouver le visage de la princesse. Un regard furtif accompagné d'un discret sourire d'encouragement furent tout ce qu'il put lui offrir à cet instant.
La jeune femme s'éloigna de quelques pas, pour ramasser des baies semblait-il, un peu à l'écart du groupe.

Après un dernier coup d'oeil circulaire sur le reste de la troupe, Kylian se redressa pour s'approcher de son aimée et entreprit à son tour de collecter quelques fruits sucrés. Lorsqu'elle tourna la tête vers lui, il s'efforça de lui sourire un peu plus franchement, dans l'espoir que cela l'aide à chasser ses idées noires, avant de prendre la parole à demi-voix :

« Tu devrais essayer de te reposer, tu as l'air épuisée. »

Et le mot était faible : si aux yeux de son amant, elle n'avait rien perdu de la beauté qui était la sienne, le joli minois de la princesse, marqué par l'épuisement, n'était plus que l'ombre de lui même. Ses yeux, soulignés de profonds cernes, peinaient à rester ouverts tandis que ses cheveux décoiffés et ébouriffés, avaient connu meilleurs temps.
D'un signe du menton, le vampire désigna l'un des soldats qui les épiait et venait de porter discrètement la main à la garde de son épée.

« J'aurais voulu te serrer dans mes bras mais j'ai comme l'impression qu'il n'apprécierait pas. »

Difficile pour lui de ne pas se montrer amer devant cet état de fait : alors que la jeune princesse avait plus que jamais auparavant besoin de son amant pour la soutenir, ce dernier se trouvait les mains liées par une méfiance qui n'avait pourtant pas lieu d'être.
Sans plus s'attarder sur l'incident, le renégat profita de ce que les buissons les dissimulaient partiellement à la vue du campement pour expédier sa main à la conquête d'une petite baie d'un rouge sombre, non sans effleurer au passage la main de la jeune femme. Ses doigts caressèrent délicatement la peau rosée avant de glisser sur les contours d'une marque plus sombre qui ornait le dos de la main et le poignet de la demoiselle. Intrigué par cette fantaisie qu'il n'avait jusqu'alors jamais remarquée, il interrogea :

« C'est nouveau, ça ? De quoi s'agit-il ? »

Des jours et des jours de marches, presque sans s'arrêter, de nuit de préférence et pour aider les vampires dans leur phobie du soleil et des ses rayons, et pour éviter les gardes de l'empire à leur poursuite ou des alayens toujours en campagne. Effacer ses traces, pas de bruit, pas se montrer, le silence comme ami et la nuit comme complice. La foret devenait leur seul refuge. Les hauts arbres comme murs et les feuillages comme toit.

Le petit groupe marchait vers le sud, temps plus clément et moins d'alayens.  Le gros fleuve restait encore un obstacle, certes éphémère, ce n'était plus qu'une question de temps avant que Fabius leur ouvre les ponts.

Marcher, toujours et encore marcher. Esmelda en avait par dessus les bottes de marcher. Mais elle ne disait rien, il le fallait pour leur vie, pour l'empire, pour donner une lueur d'espoir au peuple humain. Alors quand elle sentait ses forces partir, elle se raccrochait à cela. A cela et à la présence de Kylian. Un regard, un sourire volé et voilà que le courage lui revenait. La fatigue se taisait pour mieux reprendre par la suite. Mais il fallait avancer, alors ils avançaient. Dans le brouillard pour le moment, la seule urgence était de mettre de la distance avec Fabius, sa folie destructrice et ses nouveaux alliés.
Mais pour combien de temps et pour finir où ? Plus jamais l'univers qu'elle avait connu depuis sa naissance ne serait le même, plus jamais elle ne reverrait ceux qui faisait son quotidien, les bonnes blagues de Miss Hughes, ou les jurons grossiers de monsieur Devastellen, le forgeron.

Enfin, lors d'un après-midi de pause, à essayer de manger, de se pauser et reprendre des forces, Esmelda put enfin avoir un moment de répits avec son amant. La méfiance à l'égard des vampires était omniprésente et permanente, même s'il n'y avait de raison d'être. Même face à dix soldats en colère, fatigués deux vampires feraient vite un repas frugal.

Cherchant des baies pour ne pas mourir de faim, cherchant aussi à s'occuper l'esprit, Esmelda se laissa aller à repenser aux derniers événements, à son frère. Mais son aimé la tira de ses songes et son regard inquiet lui peina le cœur. Mais elle lui répondit avec ironie.

« -Dormir où ? Contre un arbre rugueux. Me reposer comment ? Nous marchons la nuit, peinons le jour. Je dormirai demain. »

Esmelda regarda le soldat et lui sourit. Qu'il ne s'inquiète pas. S'il savait. Jamais le vampire ne lui ferait le moindre mal.

« -J'aimerai m'y blottir, mais je pense que ce n'est pas lui qui apprécierait le moins. Et pourtant, c'est bien la seule chose dont j'ai envie en cet instant. »

Et y dormir, dormir en toute sécurité, dans une douceur absolue. Alors le simple fait qu'il lui toucha la main fut une torture sans nom. Ils en étaient revenus à ça. A peine se toucher, se voir, se regarder.
Elle posa un regard sur leur main, souriant et repensant à l'instant où les esprits apparurent sous leurs yeux ébahit.

« -Le tatouage ? Je l'ai eu lors des négociations. Je te l'ai dit, les esprits veillent sur nous. Au beau milieu de nos échanges de paroles, les esprits nous sont apparus. Kylian, les esprits. Je les ai vus. Il n'y a pas de mots pour décrire la beauté de cette vision irréelle. Ils sont d'une beauté... sans noms, aucun mot pour décrire leur visage et l'aura qui se dégageait de chacun d'entre eux. Et leur voix, je n'ai jamais entendu de plus beaux sons de toute ma vie. Même le rire d'un enfant paraît fade aux oreilles. »

Esmelda cherchait dans ses souvenirs. C’était flou, trop de choses s'étaient passées depuis, trop d’événements, et la fatigue n'aidait en rien.

« -C'est eux qui nous ont dit pour le Dracos, son emprisonnement par le Néant, ainsi que la demande aux dragons et dragonniers de le combattre. J'ai pris la parole et l'esprit de la mort m'a demandé de venir à lui. Il m'a parlé, rien qu'à moi, m'offrant le coffret où j'ai mis cette maudite bague, et lorsque sa main effleura la mienne et apparut ce dessin. »

La princesse se stoppa pour reprendre sa respiration et caresser la main de Kylian du bout des doigts, cherchant de son autre main quelques baies. Rassembler ses souvenirs étaient plus difficiles qu'elle le pensait, même ce merveilleux souvenir. Mais était-ce peut être une volonté des esprits. Ne laisser que de vagues images, des sensations à peine voilées.

« - Il m'a dit que mon père était fier de moi.Et que mon heure n'était pas encore venu. Puis ils sont partis. Le conseiller elfique eut aussi un objet d'un des esprits, mais je ne sais pas quoi. Mon esprit ne garde que des bribes de souvenirs lointains. Des flash et des impressions, plus que des réels souvenirs. »

Mais elle gardait ce magnifique souvenir. Il semblait si fou, ce ne pouvait être vrai qu'elle princesse de l'empire eut un échange de mot avec un esprit. Rien que pour cet événement, la vie valait d'être vécu. Qui pouvait se targuer d'une telle rencontre.

« -L'esprit de la mort veille sur toi et moi depuis le début, je t'avais dit de ne pas le craindre. Il nous a aidé à nous rencontré. Mais je ne sais pas à quoi sert ce symbole ni ce qu'il veut dire. Mais il me vient de l'esprit qui m'a mené à la plus belle rencontre de ma vie. »

Esmelda releva ses yeux vers son amant. La jeune femme savait qu'il aurait peur, peur que la mort vienne la prendre. Mais la mort n'était pas une fin. Juste un passage. Et la princesse n'en n'avait pas peur. Pas pour elle.

« -Alors ne t'inquiète pas. »

La jeune femme regarda son maigre butin et haussa les épaules. Voilà où ils en étaient réduits.

« -Ce n'est pas avec ça que nous ferons un festin, mais bon. C'est mieux que rien. »

Un sourire complice en regardant vers le garde occupé à autre chose, mais dans le doute, Esmelda se retint de voler un baiser à son aimé. Même si l'envie y était.

A la place de la jeune femme, beaucoup auraient déjà craqué et cédé au plus profond désespoir. Mais certainement pas elle. Mue par l'amour inconditionnel qu'elle éprouvait pour son peuple, pour les valeurs qu'elle défendait, elle trouvait encore le courage d'avancer là où il aurait pourtant été si simple de baisser les bras et tout arrêter. Il lui sourit tendrement, réfrénant à grand peine son envie de lui caresser le visage du revers de la main, tout en lui faisant remarquer :

« Et demain, tu répèteras la même chose. Nous repartirons plus tard ce soir, essaie quand même de dormir un peu d'ici là. »

Et encore était-il à cet instant loin de se douter d'à quel point le manque de sommeil commençait à se faire cruellement ressentir chez la princesse. Lorsqu'elle lui raconta d'où lui était venu cet étrange tatouage, le vampire ne put totalement dissimuler la lueur dubitative qui éclaira ses yeux. Il la regardait avec un mélange de tristesse et de compassion, la pauvre délirait complètement et il ne pouvait pas totalement s'astreindre d'une certaine culpabilité. Il ne les avait pas ménagé ces derniers jours, exhortant sans arrêt la petite troupe à avancer encore et encore, parfois la nuit entière sans guère leur accorder ne serait-ce qu'une petite heure de repos. La fatigue avait visiblement porté un coup rude à l'imaginaire de la jeune femme.
Il approuva d'un simple hochement de la tête, après tout la contredire maintenant ne les avancerait à rien, et se contenta d'un sourire compréhensif pour répliquer :

« Je n'ai pas besoin de mots, s'ils sont si merveilleux que cela, il me suffit de poser les yeux sur toi pour imaginer ce à quoi ils peuvent ressembler. »

Mais ce n'était alors que le début car voila que maintenant, l'Esprit de la Mort en personne lui avait parlé et l'avait touchée. Un rêve éveillé, c'était véritablement ce qu'elle était en train de vivre, son esprit était si fatigué qu'elle s'imaginait des évènements totalement incohérents mais, d'une certaine manière, merveilleux. Une façon comme une autre de fuir les horreurs auxquelles ils avaient été soumis ces derniers temps, sans doute. Pourtant, aussi invraisemblable que pouvait paraître cette histoire, le mystère planait encore sur l'origine de ce tatouage et du mystérieux coffret dans lequel la princesse avait soigneusement enfermé la chevalière damnée. Il ne pouvait affirmer avec certitude quand la marque était apparue, mais ce dont il était parfaitement assuré, et pour cause, c'était qu'elle n'arborait aucun signe de ce genre la nuit précédent les négociations.

Alors qu'il se remémorait le détail des récents évènements, un vif sentiment d'inquiétude s'empara de l'esprit du renégat vampirique : était-il possible que cette marque lui soit venue du Prêcheur encapuchonné qui l'avait emmenée avec lui dans ce sombre vortex ? Etait-ce l'Esprit du Néant qui avait ainsi tourmenté les souvenirs de sa belle avec des visions hallucinantes ? Dans quel but ? Et ce tatouage... Les Alayiens étaient adeptes de ce genre de stigmates, alors... Peut-être étaient-ce eux qui lui avaient procuré le coffret ? Elle lui avait dis à quel point ses souvenirs étaient diffus, l'avaient-ils droguée d'une quelconque manière avant que le vampire ne soit parvenu à l'arracher à ses kidnappeurs ? Lui faisant croire que le coffret serait un atout bénéfique alors qu'il servait en vérité les pires desseins ?

Ces questions et conclusions tombèrent alors que la princesse venait de commenter la maigreur de sa cueillette, avec un regard en coin pour le garde qui les avait observé un peu plus tôt. Avec un peut-être trop bref regard aux alentours, Kylian céda à ses craintes et s'aventura à prendre le risque d'un contact plus affermi : sa main vint se refermer avec douceur mais fermeté sur l'avant-bras ainsi tatoué pour écarter la manche de la tunique et en approcher le visage, sans guère s'attarder sur d'éventuelles protestations.
Le regard inquisiteur du vampire s'attarda sur les symboles, cherchant dans sa mémoire s'il en avait déjà vu de semblables auparavant, que ce soit dans les bien rares écrits religieux qu'il avait pu parcourir ou sur la peau des Alayiens qu'il avait pu apercevoir, pour essayer de conforter l'une ou l'autre des hypothèses. Il avait subitement très envie de croire à l'histoire de la princesse, quand bien même il aurait alors volontiers dis deux mots à un Esprit de la Mort qu'il préférait voir très éloigné de sa belle, mais ne parvint pas à trouver de quoi valider l'une ou l'autre des hypothèses.

Il releva un regard inquiet vers le visage de sa belle tandis qu'il l'interrogeait d'un ton autoritaire, la pressant presque de répondre avant même qu'il ait terminé de poser ses questions :

« Est-ce que ça te fait mal ? Où as-tu mis ce coffret ? Il faut en sortir la bague, ce n'est pas à toi de la porter, Fabius et les Alayiens voudront certainement la récupérer et je doute qu'ils se montrent cléments envers son possesseur. »

Plus il parlait, plus il confirmait ses propres craintes et se convainquait que cette histoire de tatouage et de coffret n'était qu'un piège tendu par les Alayiens. Après tout, cela n'avait été que trop simple de découvrir un anneau d'un si grand pouvoir dissimulé dans les appartements de l'usurpateur : et si toute cette fuite n'avait été qu'un plan minutieusement élaboré par leurs ennemis ? Avaient-ils vraiment réussi à s'échapper ou, au contraire, s'étaient-ils laisser berner ? Cela n'avait certainement pas été simple, difficile de le nier, mais dans le même temps, ç'aurait pu être terriblement plus compliqués aussi.

Oubliant complètement la réserve qu'il se devait encore d'afficher, il porta les deux mains au visage de la demoiselle et plongea son regard effrayé dans le sien pour la questionner d'un ton radouci, presque suppliant :

« Réfléchis bien, quand ce grand type en chasuble t'a emmenée, pendant la bataille, a-t-il dit ou fait quelque chose ? »

La jeune femme lui sourit, les yeux pétillants. Il y parvenait toujours. A lui faire oublier un instant, tous ces soucis, pour la faire se sentir mieux. Remplir de chaleur son cœur.

« -Ne me compare pas à un esprit. Tu es adorable mais tu es bien loin du compte. »

Ils auraient été seuls, Esmelda aurait conclut ce gentil compliment par un baiser amoureux. D'ailleurs, elle dut se raviser avançant un peu sa tête vers celle du vampire, ils n'étaient pas seuls. Tant mieux la plupart du temps, mais en cet instant, la princesse aurait aimé être seule avec son amant. Pouvoir agir sans se stopper. Les derniers jours, les deux amants avaient été bien plus libre de s'aimer, de vivre ensemble. Une habitude bien vote prise. Bien plus difficile à oublier.

Esmelda allait se remettre à cueillir quelques baies quand Kylian lui prit la main avec vigueur, la regardant comme si elle allait se transformer d'un coup d'un seul en aile d'oiseau. Il releva la manche de sa tunique. Il perdait la tête. La jeune femme regarda à droite à gauche avant d'enlever sa main avec vigueur. Si quelqu'un les voyait.

« -Kylian, arrête, tu me fais peur. Qu'est-ce qu'il te prend ? »

Ses yeux l'imploraient presque. Elle n'avait pas peur pour elle, mais les soldats et son cousin n'étaient pas tendre avec les vampires. Il ne valait pas mieux ajouter de l'huile sur le feu et elle ne se pardonnerait pas si cette huile était son aimé.

« -Non, je n'ai pas mal. Il est apparut simplement au contact de l'Esprit sur ma main. Il m'a à peine effleurer en me donnant la boite.»

La jeune femme leva sa main pour la regarder avec une certaine admiration. Jolies arabesques noires travaillées sur sa peau fine couverte de terre. Souvenir d'une rencontre éphémère mais qu'elle ne pourra jamais oublier. L'instant d'une vie.
Mais Kylian la ramena à une réalité violente. Il n'avait pas osé. S'il y avait bien une personne envers qui elle ne pensait pas entendre ces mots, c'était bien de son amant. Mais non, il perdait la tête. Pourquoi ? Il n'avait pas confiance en elle ? Il ne la pensait pas digne de cette confiance ? Qu'elle était faible ? Mais non, elle n'était pas tout cela. Elle pouvait être forte. N'avait-elle pas survécu à l'attaque du serviteur du Néant, à son emprisonnement, à une bataille, à un sauvetage ? N'était-ce pas la preuve qu'elle pouvait survivre au pire. Alors que la personne en qui elle avait le plus confiance, lui balance qu'elle n'était pas capable de porter ce fardeau ?

D'un ton virulent et sur la défensive, elle lui répondit :

« -Et non, je ne donnerai ni cette boite ni la bague, à personne, pas même à toi. Je sais qu'elle corrompt les esprits même les plus pures et je sais maintenant que l'Esprit m'a offert la boite pour y cacher cet artefact de malheur. »

Elle se redressa s'asseyant sur ses fesses posant sa maigre cueillette au sol. Toujours aussi en colère et blessée elle continua.

« -Et elle est à l'abri, et que Fabius ou les alayens viennent, je la protégerai comme je protégerai mon peuple des souffrances à venir. Et je sais me défendre. La boite m'a été confiée et elle semble annihiler les effets de la bague. Ashy peut nous souffler ses paroles. Alors elle reste dedans et dans mon corset. Et t'avises pas de venir les chercher.»

La jeune femme lui lança un regard noir, mais se raidit quand il posa ses mains sur son visage, comme dans l'urgence d'une réponse. Mais qu'est-ce qui lui prenait ? Ce que ce prêcheur lui avait fait. Humiliée, battue, enlevée, trois fois rien en sommes. Et pourtant, elle gardait encore au plus profond de son âme les traces de cette lutte contre ce qui a ses yeux est le mépris au possible, la haine à l'état brute.

« -Cet homme m'a attaquée, m'a frappée, m'a traînée de force avec lui et envoyée dans ce tourbillon étrange. Quand à dire des choses, à part qu'il voulait que je reste bien docile à le suivre, nous n'avons pas eu le temps de beaucoup discuter. Le lieux ne s'y prêtait pas. Et quand on vous menace curieusement, il est difficile d'entamer une conversation de salon. »

La jeune Kohan cherchait dans les yeux du vampire une explication à une telle façon d'agir.

La fatigue se disputait à la hargne sur le visage du dragonnier. Les derniers jours avaient été une véritable torture pour lui et il ne savait plus si ses douleurs plantaires étaient plus insupportables que son mal de dos ou si c'était simplement les grondements furieux de son estomac vide qui le rendait fou. Un mix de tout cela sans doute... Il en serait presque arrivé à regretter les longues et interminables heures de repos qu'il prenait dans sa cellule, au moins n'avait-il pas à marcher pendant des heures entières avec le ventre vide et plus de courbatures qu'il ne pouvait en porter ! Mais bien sur tout cela il ne pouvait en aucun cas le dire. Un empereur se devait de montrer l'exemple, de se montrer courageux et de ne pas se mettre à geindre à longueur de journée qu'il avait mal aux pieds, aussi tentante que soit cette idée.

Et il remplissait son rôle. Cela au moins on ne pourrait pas le lui reprocher. La façade était parfaite, le masque tout à fait soigné. On lui avait souvent reproché de ne pas être capable de cacher ses sentiments, et bien voilà il avait comprit le truc ! Ses traits autrefois si mobiles étaient devenus inexpressifs. L'homme jovial et rieur qu'il avait été se montrait à présent plus renfermé, moins accessible, plus... Royal en quelque sorte... Mais cette idée le déprimait quelque peu. C'était typiquement la raison pour laquelle il n'avait jamais aspiré au trône de son cousin... Il n'avait pas le caractère pour un tel rôle s'était-il souvent dit, et voilà qu'à présent les coups durs de la vie se chargeaient de l'endurcir ! C'était bien gentil, mais il n'avait strictement rien demandé... Que n'aurait-il pas donné pour retourner en arrière...

Cette idée lui revenait souvent en tête et il la chassait avec agacement. Revenir en arrière cela signifiait accepter de revenir à un temps où Fabius le menait en bâteau et où sa propre femme se fichait de lui dans son dos ! Mieux valait accepter d'aller de l'avant plutôt que de ruminer le passé, mais forcément quand l'avant en question se révélait si douloureux et compliqué cela n'était pas très encourageant... Toute cette désolation marinait dans son esprit, nourrissant l'amertume de ses interminables silences irrités et emplissant ses nuits de cauchemars terrifiants ou de songes plus ou moins tristes dont il s'éveillait difficilement, plus renfrogné encore que la veille. Il soupirait alors en tapotant l'aile d'Ashy pour qu'elle le laisse se lever, câlinait un instant son esprit en la rassurant du mieux qu'il le pouvait, puis il enfouissait profondément ses sentiments afin de ne rien laisser voir de sa détresse et présenter le masque plus respectable du digne souverain en exil qu'il devait être. Leur situation était déjà bien assez compliquée comme ça, il n'avait pas le droit de décourager tout le monde.

Et il y en avait du monde mine de rien... Il était toujours assez interloqué de voir le nombre de soutiens qu'Esmelda était parvenue à s'accaparer en si peu de temps. Et quel genre de soutiens surtout ! Les humains passaient encore, bien que la voir entourées de mercenaires plutôt que de nobles et de militaires de métier était étonnant. Mais les vampires... Et LE vampire surtout... Korentin connaissait son nom à présent, mais il ne le prononçait que rarement même dans le secret de son esprit. Mépris pour ce représentant de la race vampirique ? Pas vraiment... C'était plutôt une protection instinctive contre l'aura charismatique de la créature. Il était un Kohan, donc un homme politique et un orateur expérimenté ainsi qu'un dirigeant naturel. Il savait donc reconnaître facilement ces êtres qui inspirait confiance dès le premier regard et qui d'une simple tirade pouvait décider toute une armée à les suivre ou faire changer toute une foule d'opinion ! L'encapuchonné possédait ce don, c'était indéniable. Qu'il en soit conscient ou pas, il possédait l'âme d'un meneur et la force de persuasion nécessaire pour faire douter n'importe qui de ses plus intimes convictions. Le vampire donc ! Voici ce qu'il était, et ce qu'il resterait sans doute. C'était simplement une manière pour Korentin de garder ses distances et donc de respecter les règles implicites les plus élémentaires de son peuple et de tout être vivant : on ne se liait pas avec le prédateur naturel de son espèce.

Esmelda ne semblait pas contre pas connaître cette règle... Ou avait décidé de l'ignorer... Oh elle prenait d'infinies précautions bien sur, elle n'avait quasiment pas approché le vampire depuis qu'ils avaient quitté le palais et ne se permettait de le regarder que lorsqu'elle était persuadée que personne ne la voyait... Ce qui était quasiment le cas sans doute... Elle cachait son jeu plutôt bien après tout ! Mais pour une fois dans ce qu'il connaissait maintenant des déceptions de sa vie, Korentin n'était pas dupe. La dure expérience de Fabius, puis de Valentine, avait porté sa leçon. Une leçon que l'ex mauvais élève qu'il était avait assimilée soigneusement bien qu'amèrement. Il s'efforçait à présent d'observer les gens qui l'entouraient avec autant de soin qu'il le pouvait et s'essayait parfois à percer leurs pensées et leurs aspirations. Qui serait le prochain à le trahir ? Qui d'autre lui cachait un lourd secret ? Oh bien sur Esmelda était la toute dernière personne qu'il pourrait imaginer contre lui, mais cela ne l'empêchait pas de devenir plus observateur et donc de remarquer avec étonnement les regards furtifs que la princesse décernait parfois au vampire, et les instants fugaces qu'ils s'octroyaient à deux lorsque c'était possible, presque jamais donc, mais c'était suffisant. Après tout Korentin et Esmelda se connaissaient depuis la naissance, il y avait même de très fortes chances pour qu'elle ne soit pas non plus dupe de la profonde tristesse de son cousin...

Il lui jeta un regard en coin à cette pensée, quelque peu déçu de voir qu'ils ne partageaient plus autant qu'avant et qu'ils avaient apparemment tous les deux une très bonne raison de se cacher quelque chose. Les deux gamins qu'ils avaient été s'étaient toujours entendus comme larrons en foire, Esmelda s'amusant de ses sottises et le suivant plus discrètement dans ses frasques, le soignant avec des attitudes de mère lorsqu'il s'écorchait les genoux tandis qu'il l'enveloppait d'un amour quasi fraternel aussi protecteur que taquin. Il avait très mal prit la décision de Gregorist de la marier à un elfe, et s'y était même opposé farouchement malgré tout le respect qu'il avait toujours eu pour son souverain. Que restait-il de tout cela à présent ? Greg était mort, il était roi sans couronne, et Esmelda couvait une créature de la nuit qu'elle n'était pas sensée connaître du regard sagace des êtres qu'elle fréquentait et appréciait depuis des années... Alors quoi ? Se trompait-il sur toute la ligne ou le connaissait-elle plus qu'elle ne voulait bien l'admettre ? Bien sur peut-être que le courant passait tout simplement bien entre eux et qu'ils n'avaient pas besoin de se fréquenter depuis des lustres pour se comprendre, mais cette dernière idée était tout aussi perturbante que les deux autres ! Il soupira en réchauffant ses mains près du feu qu'on venait d'allumer et caressa l'esprit d'Ashy qu'il sentait affamée :

"Tu devrais aller chasser, tu n'as rien avalé depuis un bon moment. Je ne risque rien, file."

Elle s'exécuta avec réticence et il dû encore lui promettre de ne pas s'éloigner du camps avant qu'elle se décide. Il la regarda décoller avec soulagement, heureux qu'elle accepte enfin d'aller se remplir l'estomac et lui souhaitant bonne chasse. Une dernière caresse affectueuse, et leurs esprits s'étirèrent pour ne plus laisser place qu'au lien mental qui leur permettaient de rester en contact jusqu'à une certaine distance. Bon... Vivement qu'elle revienne quand même... Il pouvait bien râler contre son côté protecteur, il ne valait pas vraiment mieux de son côté quand il y pensait... Mais il devait lui faire confiance, et elle était très loin d'être sans défenses.

Un soupir lui échappa lorsqu'il songea aux longues heures d'absence de sa dragonne qui s'étalaient à présent devant lui. Mais ce n'était pas comme si il allait s'ennuyer n'est-ce pas ? Il avait trop longtemps remis à plus tard les discussions qu'il voulait avoir avec tous les gens du groupe, et en particulier avec deux d'entre eux... Il était grand temps d'y remédier même si il n'était pas tout à fait certain d'en avoir envie. Il repoussa l'instant encore un peu, se réchauffant les phalanges pensivement tout en observant sa princesse de cousine sans en avoir l'air. Elle avait l'air épuisée, cela lui faisait mal au coeur... Il aurait aimé qu'elle ne soit pas mêlée à tout ceci, mais c'était trop tard à présent. Elle avait prit sa décision, et avait choisit son camp avec trop d'éclat pour ne pas mettre Fabius dans une colère noire... Ce n'était peut-être pas plus mal quand il y pensait, ces deux là ne s'étaient jamais vraiment entendu et sans doute n'aurait-il pas été des plus tendres avec elle même si elle avait choisit son camp... Il n'avait plus d'autre choix que de l'accepter à ses côtés à présent, et de la protéger de son mieux. A commencer contre elle même si cela s'avérait nécessaire... Même si ce serait certainement désagréable pour elle comme pour lui...

Avec un nouveau soupir, il se redressa. Ce qui était très agaçant avec les vampires c'était qu'ils étaient capables de se déplacer dans un silence total. L'instant d'avant ils étaient là puis... Ils ne l'étaient plus ! Et c'était ce qu'il venait de se passer avec l'encapuchonné bien sur. La vampiresse n'avait pas bougée elle, impossible de savoir ce à quoi elle pouvait bien penser mais au moins ne suivait-elle pas sa cousine.. Car il n'était pas difficile de deviner où pouvait bien se trouver le vampire, Korentin n'apercevait qu'à peine Esmelda qui lui était à moitié cachée par un buisson mais son instinct lui disait qu'elle n'était pas seule. Elle n'était pas vraiment en danger bien sur, outre le fait que le vampire ne s'était jusque là pas montré spécialement belliqueux, les soldats d'Alford mieux placés que lui pour voir le duo ne se privaient pas de les reluquer avec plus ou moins de discrétion... En d'autres circonstances cela lui aurait déplu, là ça le rassurait... Mais pas assez pour qu'il ne se décide pas à aller voir de lui-même de quoi ils pouvaient bien parler, et de toutes façons il était bien sensé avoir une conversation avec eux non ?

D'un pas rapide et certainement bien moins discret que celui des créatures de la nuit, le dragonnier s'éloigna du feu et marcha vers le buisson impoli qui lui bouchait la vue. Il le contourna sans chercher à cacher ses intentions, non pas qu'il n'aurait pas apprécié de saisir quelques bribes de leur conversation mais d'une il était trop bien élevée et de deux il ne se faisait pas d'illusions sur l'efficacité de l'ouïe vampirique. Il n'aurait pas dû les surprendre donc, c'était tout à fait illogique, et pourtant la scène sur laquelle il tomba n'était de toutes évidences pas destinées à ses yeux... Il se figea en découvrant Esmelda assise par terre, le vampire souplement accroupit devant elle, et ses mains surtout... Que faisait-il les mains sur son visage ? Comment osait-il seulement la toucher ? La main du dragonnier se crispa presque douloureusement sur le pommeau de son épée et sa voix trancha avec presque autant d'efficacité que l'aurait fait sa lame :

"Eloignez vous d'elle. Immédiatement."

L'ordre était impérieux, sans réplique possible. C'était la voix d'un homme habitué à se faire obéir et sans doute peu sensible à l'idée qu'un vampire n'avait aucun ordre à recevoir d'un Kohan. D'ailleurs à cet instant il n'y avait pas que la race de son interlocuteur qui lui posait problème même si c'était certainement le plus épineux, rien que son éducation à elle seule aurait pu le décider à pourfendre l'importun, on ne pouvait se permettre une telle familarité avec une princesse royale qui qu'on puisse être. Le fait de posséder des dents acérés ne faisant bien sur qu'empirer la situation...

Mâchoire serrée et regard vif planté dans les prunelles de la créature, il inspira profondément pour se calmer. Les règles de bienseillance de la cour ne pouvaient plus être aussi rigides dans un tel cadre, et tout vampire qu'il était, l'autre lui était venu en aide et n'avait jusque là pas trahit leur cause. Il se maîtrisa rapidement et relâcha la poignée de son arme autant qu'il s'en sentait capable avant de reprendre aussi calmement que possible :

"J'étais venu discuter avec vous, nous n'en avons pas eu l'occasion jusque là et je n'ai pas pu vous remercier, l'un comme l'autre... Mais je crois que le faits parlent d'eux même, vous me devez quelques explications..."

Son regard alla de l'un à l'autre, aussi buté qu'interrogateur. Il voulait savoir ce qui les reliaient et depuis quand. Et il ne lâcherait sans doute pas le morceau avant... Il aurait aimé qu'Esmelda s'éloigne plus avant de commencer néanmoins, mais blesser le vampire en lui démontrant à quel point il se méfiait de lui n'aurait pas été des plus diplomate. Il rongea donc son frein et compensa en se rapprochant encore de sa cousine, non sans lui décocher un lourd regard désapprobateur qu'elle comprendrait sans doute mieux que l'encapuchonné. Il n'appréciait pas les risques qu'elle prenait...

L'inquiétude du vampire était telle que la virulence de la jeune femme ne l'atteignit même pas. A cet instant, il se moquait bien de la vexer, la seule chose qui lui importait, c'était de s'assurer de son bien-être présent et futur. Les yeux plongés dans ceux de son aimée, il s'efforçait de réfléchir à la situation, multipliant les hypothèses, en écartant certaines pour en retenir d'autres. Il ne demandait pourtant qu'à la croire, que cette boîte et se tatouage se révèlent effectivement un don des esprits, fusse celui de la Mort, plutôt qu'un traquenard des Alayiens. Mais comment le vérifier ? Comment s'assurer de sa provenance réelle ?

Une étincelle illumina soudain le regard clair du renégat vampire, idiot qu'il avait été de ne pas y penser plus tôt ! La réponse était pourtant évidente : par la magie bien sûr. Les serviteurs du Néant l'exécraient, jamais ils ne s'abaisseraient à en user même pour piéger les Armandéens. Si la boîte recelait ne serait-ce qu'un peu de magie, alors cela prouverait que les craintes qu'avaient nourries Kylian n'avaient pas lieu d'être. Il tenait toujours le doux visage de sa belle entre les mains lorsqu'il s'efforça de la convaincre :

« D'accord, la bague peut rester dans la boîte. Mais il faut ... »

Une petite seconde d'inattention. Il avait suffit d'une toute petite seconde d'inattention pour que le vampire se laissa surprendre par la curiosité protectrice du duc devenu empereur, puis fugitif. Pourtant, il avait nettement entendu les pas approcher, ses sens avaient perçu sans difficulté la silhouette qui s'était dirigée vers eux et son instinct de prédateur avait hurlé dans son esprit pour l'en avertir. Mais il n'avait pas écouté, il n'avait pas voulu admettre l'évidence et s'en mordait les doigts maintenant. La réaction du renégat avait été immédiate, l'intrus n'avait pas même encore prononcé le deuxième mot de son autoritaire avertissement que le vampire s'était déjà écarté, caressant du regard la main portée à la garde d'une épée qu'il s'attendit à voir jaillir de son fourreau d'un instant à l'autre. Pourtant, en dépit de la menace très claire, Kylian n'esquissa pas le moindre mouvement en direction du pommeau de sa propre lame et se contenta de lever les mains à hauteur d'épaules, doigts écartés, comme il l'avait fait au milieu des cellules de Gloria. Pris au dépourvu, il balbutia quelques mots incertains mais s'interrompit de lui même devant le regard sévère que portait sur lui un cousin visiblement peu satisfait de ce dont il venait d'être témoin. Peste soit de cette méfiance maladive qui n'avait pourtant pas lieu d'être. Peste soit des préjugés.

« Ce n'est pas... Je m'inquiétais juste... »

La situation demeura cruellement incertaine l'espace d'une seconde, puis le Kohan relâcha l'emprise qu'il maintenait alors sur son arme. Geste qui lui avait de toute évidence demandé un certain effort de volonté mais que le vampire n'apprécia que davantage. S'il avait pu pousser un soupir de soulagement, sans doute l'aurait-il fait mais ses poumons à cet instant étaient aussi vides que le regard d'un Serviteur du Néant. Figé dans une immobilité parfaite, Kylian adressa un rapide regard à la belle dont il avait nettement perçu le coeur s'emballer au moment de l'irruption de son cousin d'empereur, puis ramena son attention sur ce dernier et composa sa réponse avec soin :

« Je vais vous les donner. »

Ou du moins lui en confier une part non négligeable car pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, il eut soudain l'impression que sa mémoire lui ferait défaut pendant son discours. Peut-être omettrait-il quelques menus détails sans réelle importance comme, par exemple, la nature exacte de la relation qu'il entretenait avec la jeune femme.

« Au regard de mon peuple, j'occupe sensiblement le même rang que vous au regard du vôtre : un traître exilé que l'on préfèrerait voir mort que vif. J'ai en effet toujours été intimement convaincu que nos espèces pouvaient cohabiter en paix, et c'est pour défendre cette conviction que je me suis rebellé contre l'autorité de celui qui s'est proclamé prince des vampires. Lorsqu'ils ont quitté les cavernes pour semer la mort et la destruction, comme vous, j'ai dû fuir pour survivre. Comme vous, seul, je n'avais aucune chance de parvenir à accomplir quoi que ce soit... »

Il n'avait toujours pas baissé les bras, jaugeant du regard le crédit que l'autre pouvait bien accorder à ses paroles. Difficile de dire si son histoire trouverait écho dans l'esprit d'un humain élevé dans la crainte des vampires mais il n'avait pas vraiment d'autre choix, aussi poursuivit-il :

« L'ennemi de mon ennemi est mon ami, je présume que vous connaissez cet adage ? Je me suis tourné vers les humains pour les aider du mieux que je le pouvais, mais comme vous le démontrez vous-même, votre peuple a quelques raisons de craindre ce que je suis. Je suis tout de même parvenu à rencontrer votre prédécesseur, Grégorist, mais je n'ai jamais osé lui révéler ce que j'étais par crainte de sa réaction. »

Son regard se tourna vers la princesse tandis qu'il continuait à expliquer :

« Esmelda s'est montrée plus ouverte d'esprit que son frère. Elle a d'ailleurs toujours su ce que j'étais, je n'ai jamais ressenti le besoin de le lui dissimuler. Elle a alors profité de sa position pour intercéder en ma faveur auprès de son frère et a joué le rôle d'intermédiaire pour lui faire parvenir les renseignements que je parvenais à récolter et ainsi, nous avons aidé à limiter les victimes de Lorenz. Cela fera bientôt quatre ans de cela... »

Le visage du vampire encapuchonné revint alors vers celui de l'empereur pour conclure ses explications :

« Quant à ce que vous avez interrompu... Avant que nous ne venions vous délivrer, la princesse a été capturée par l'un de ces généraux Alayiens et en découvrant le tatouage qui orne sa main, j'ai crains qu'il ai tenté de se servir d'elle pour nous tendre un piège. »

De nouveau, l'attention du vampire se détourna pour se reporter sur la princesse, s'adressant cette fois directement à elle :

« Je voudrais voir la boîte dans laquelle tu as enfermé la chevalière. Je ne chercherais pas à te la prendre et je suis prêt à croire tout ce que tu m'en as dis, aussi invraisemblable que cela puisse encore me paraître. Mais pour en être parfaitement sûr, je voudrais pouvoir user d'un sort d'identification... »

Instinctivement, Kylian lança un dernier regard vers celui qui était intervenu pour l'en empêcher un peu plus tôt :

« Avec votre permission, bien sûr. »

Esmelda se releva bien vite, comme une jeune fille prise en faute. Son cœur avait bondit contre sa corps avant de s'emballer comme un cheval sauvage. Elle eut peur que son cousin face un geste de trop et elle se tenait prête à s'interposer.

« -Korentin, les faits sont ce que tu veux voir. »

Bon, ils étaient aussi une réalité vraie et elle se sentait bien stupides de s'être ainsi laissée aller maintenant. Mais la fatigue, la tristesse n'avaient aidé en rien. La jeune femme avait eu besoin de ce court contact avec son aimé.

Kylian se débrouillait bien. Il était d'un calme serein, expliquant les choses avec sincérités, oubliant certains faits, mais ceux-ci ne devaient être connus que d'eux deux. Du moins pour l'instant. Esmelda essaya de ne pas trop le regarder, mais il avait parfois cette captivante façon de parler. Surtout quand cela concernait son passé, son avenir, ce qu'il était pour les vampires. Un rebelle, un paria. Et pourtant, il aurait tant à leur apporter. Il lui disait souvent ne pas avoir la confiance ou la force de faire passer ses idées, et pourtant quand il le voulait il y arrivait. Peut être la menace de la découverte de leur lien était un bon moyen de...

« -Il dit vrai. Je sais, je ne suis pas fière d'avoir menti à mon frère, à mon empereur, mais Gregorist l'aurait jugé sans autre procès. Alors que de part ma voix, nous avons pu sauver des vies, des villages, contrer l'armée vampirique dans certains de ces raids. Un mensonge vaut bien des vies et rien que pour cela je ne regrette rien. »

Esmelda se remémora ce soir qui avait changé sa vie, cette rencontre sous un ciel d'été. Qu'est-ce qu'elle ne ferait pas pour y retourner. A l'époque les choses étaient bien plus simples.

« -J'ai toujours su ce qu'il était, depuis notre rencontre. Il m'a compté son histoire, sa vie, son rêve, et comme nous partageons le même, nous avons décidé de nous aider. Et il m'a aidé bien plus d'une fois. Il m'a été d'un grand secours quand le prince vampirique s'est introduit au palais et m'a enlevé. Et c'est encore lui qui m'a tiré des griffes des alayens et de leur chef.»

Oui, Korentin ne retiendrait qu'une première chose, et ce serait légitime. Elle aussi y avait pensé.

« -Alors oui, il est un vampire dont le principal soucis est la malédiction qui le frappe et les conséquences sur notre peuple. Mais Kylian n'est pas de ces sauvages qui torturent, massacrent des familles, des enfants par simple plaisir de voir la mort dans leurs yeux. »

Toujours aussi véhémente et sur la défensive, la princesse se défendit et reprit ses explications avant d'être interrompue. Ne réfléchissant même pas à sa façon de parler avec Kylian, usant le tutoiement, marque de confiance, de relation proche, voir intime, Esmelda continua sur le même ton que quelques minutes auparavant.

« -Les alayens ne tentent rien du tout. Je te l'ai dit, les Esprits sont venus nous prévenir d'un danger, et nous mettre en garde. J'ai reçu ce présent. C'est tout. Il n'y a rien à redire. Les Serviteur du Néant ne le sait pas. Et je ne pense pas qu'il aimerait une boite qui annihile les pouvoirs de sa bague. »

Mais, elle sentait bien que ses mots étaient du vent à leur oreilles. Subir les tortures d'un homme en armures semblaient peut être normal à leur yeux, mais pas aux siens, tout comme la violence, la mort et la privation de sa liberté par un fou en capuche. Quoique à voir la réaction de Kylian, Esmelda allait peut être revenir sur ce point.

« -Et à part avoir été frappée et jetée comme un vulgaire sac sur son destrier, cette espèce de sale vermine des bas fonds ne m'a rien fait. Et merci de me voir comme un piège ou une folle délirante. »

La princesse releva mieux sa tunique pour laisser voir la marque des mains laissées pas l'homme en l’attrapant, comme preuve. Mais apparemment cela passait pour naturel. Les hommes et la guerre qu'ils aillent au Néant justement.

« -Prêt à me croire sur parole, après avoir vu de tes propres yeux que je ne mens pas... »

Je te crois, mais ma pauvre fille montre moi que j'ai raison. Elle était certes épuisée, retournée par les événements passés, mais pas au point de perdre pied. A moins que son aimé la rabaisse comme une petite fille sans défense devant son cousin pour se faire bien voir de l'empereur. Elle lui enfoncerait bien la boite dans la bouche pour qu'il stoppe ses inepties et la croit enfin. Mais Esmelda pensait cette chose acquise depuis le temps. Il fallait croire qu'elle se trompait.

« -Et tu n'as besoin que de ma permission, pas celle de mon cousin. Il n'est pas mon père et je suis assez grande pour choisir par moi même. »

La princesse affichait un regard noir et semblait prête à mordre le premier qui oserait approcher d'elle ou dire encore un mot sur le fait qu'elle délirait. Déjà que Kylian ne la croit pas la peinait fortement, alors si son cousin s'y mettait.

La situation avait été plutôt tendue, et étrange aussi... C'était la première fois de sa vie qu'il menaçait un vampire, et même si il avait espéré que cela n'arrive jamais il devait bien avouer qu'il ne s'était pas attendu à ce que le vampire en question se montre si... Coopératif. L'aurait-il vaincu si combat il y avait eu ? Il avait la main sur son arme et donc la possibilité de dégainer plus vite après tout... Mais il chassa rapidement ses illusions. D'autres que lui étaient morts d'avoir sous estimé les vampires. Néanmoins il ne comptait pas laisser passer de telles visions sans réagir, tant pis pour les possibles conséquences si cela devait se reproduire.

En attendant, il se contenta de faire peser un regard sévère sur la créature et de se concentrer sur ses explications. Un rebelle donc... Cela se tenait. Korentin en savait assez sur le prince vampirique pour se douter que celui-ci ne devait pas être du genre à faire la belle vie à ceux qui décidaient de lui tourner le dos. Surtout si ceux-ci se mettaient en tête de s'allier aux humains... Il hocha la tête sans sécheresse inutile pour montrer qu'il connaissait bel et bien l'adage en question Mais il ne pu s'empêcher de froncer les sourcils à nouveau en apprenant que l'autre n'avait pas révélé sa condition à Gregorist. Ainsi donc il avait trompé son cousin... Pas un mince exploit lorsqu'on connaissait le sens de l'observation et l'intelligence acérée de l'ex souverain... Mais un exploit qui n'était pas du goût de Korentin bien entendu.

Il tourna la tête lorsque le vampire désigna sa cousine, pas vraiment surprit d'entendre qu'elle s'était montrée moins rigide que son frère. Elle l'avait toujours été, même si ce n'était pas vraiment difficile de se montrer plus ouvert que Gregorist. Il est vrai que lorsqu'il y réfléchissait, le dragonnier ne pouvait nier que dévoiler sa véritable nature au roi aurait sans doute été la dernière mauvaise idée qu'aurait pu avoir le vampire. Gregorist avait hérité sa fermeté de Rodrick, son père, et s'était même révélé plus dur encore que lui sur certains points. Cela n'en avait pas fait un mauvais roi, très loin de là mais il était clair qu'il n'avait pas pu être considéré comme l'interlocuteur idéal pour ce genre de sujet... Bon d'accord... Il pouvait tolérer éventuellement l'idée que le vampire n'avait pas été assez suicidaire pour dévoiler à vérité à Greg. Au moins lui connaissait la vérité, mais cela n'empêchait pas qu'il ne voulait pas le voir approcher Esmelda de trop près. Simple précaution légitime. Il ne pu toutefois s'empêcher de siffler doucement entre ses dents en vrillant la princesse d'un regard lourd :

"Quatre ans hein ?"

Elle avait caché son jeu pendant si longtemps... Lui qui croyait bien la connaître ! Il s'était trompé sur toute la ligne. D'accord il avait comprit ses raisons de n'avoir rien dit à Gregorist mais de là à garder cela complètement pour elle... Elle aurait pu en parler à quelqu'un non ? A lui par exemple ! Oui bon d'accord... Peut-être pas à lui... Il aurait explosé un peu moins fort que Greg sans doute mais tout aussi spectaculairement. Et sa loyauté envers son cousin l'aurait forcé à le tenir au courant malgré tout l'attachement qu'il avait pour Esmelda. Alors quoi ? A quelqu'un, n'importe qui. Quelqu'un qui aurait pu prendre les risques à sa place enfin qu'elle reste en sureté. Il n'envisagea toutefois qu'une seconde de lui dire cela, ce n'aurait pas été très malin sachant comme elle était chatouilleuse sur ce sujet. Mais il n'était pas question qu'il laisse passer la pilule pour autant :

"Nous en reparlerons."

Et il se méfierait désormais. Il venait de comprendre à quel point Esmelda pouvait s'avérer maline lorsqu'il s'agissait de risquer sa vie sans inquiéter sa famille. Il ne la laisserait plus faire, c'était terminé. Elle était tout ce qu'il lui restait après tout, et il était responsable d'elle déjà en tant que cousin et ensuite en tant que roi. C'est ce que Gregorist aurait voulu, il ne le décevrait pas. Et tant pis si la principale intéressée n'appréciait pas. Pour le moment elle était trop occupée à parler pour s'inquiéter de la lueur farouchement protectrice qui s'était allumée dans les yeux du dragonnier, lueur qu'elle attisa d'ailleurs en évoquant les dangers qu'elle avait courru et dont le vampire l'avait apparemment tirée. Oui bon, là aussi il n'avait pas d'autre choix que de le remercier, ce qu'il fit sans réserve ni réticence :

"Pour cela aussi, je vous suis reconnaissant."

Et le mot était faible, il n'osait imaginer ce qui aurait pu se passer si Esmelda était restée aux mains des Alayiens. Dans le meilleur des cas ils l'auraient livrée à Fabius... Autant dire qu'il n'y tenait absolument pas. Mais tout ceci avait beau être vrai, il ne pouvait pas pour autant passer sur le point principal et il se rembrunit en répondant aux arguments de sa cousine :

"Qu'il y prenne plaisir ou pas ne ramènera pas ceux qu'il a vidé de leur sang..."

Il haussa les épaules en sentant le regard lourd du vampire tourné vers lui, et s'expliqua :

"Je ne suis pas ingrat, Wallam. Je peux reconnaître ce que vous avez fait pour moi-même, pour ma famille, et pour mon peuple. Mais je ne peux non plus oublier que vous vous nourrissez du sang de mes sujets. Quand bien même cela vous rendrait malade de culpabilité, les faits sont là..."

Il l'avait finalement appelé par son nom, reconnaissant par là que le vampire avait décidément mérité d'être plus qu'une simple créature plus ou moins dangereuse. Mais le message était clair, il ne serait pas aussi conciliant qu'Esmelda. Pas parce qu'il en le voulait pas, mais simplement parce que la nature même du vampire s'y opposait à ses yeux. Tant que celui-ci ferait couler le sang des impériaux même loyaux de Fabius, il ne pourrait lui faire confiance. Et surtout pas en ce qui concernait la sécurité de sa cousine. Rien que le fait d'entendre celle-ci tutoyer le prédateur faisait danser une flamme mécontente dans ses prunelles sombres.

Mais son mécontentement devrait attendre. Déjà, il posait le regard sur le tatouage bien visible sur la main de sa cousine. Dracos... Comment ne l'avait-il pas vu plus tôt ? L'inquiétude soudaine qu'il ressentait pour elle effaça tout le reste et il tendit la main pour s'emparer du frêle poignet et ainsi avoir une meilleur vision de la chose. Il pencha la tête, concentré :

"On dirait une... Rune... Sans doute tirée d'un de ces vieux alphabets dont on ignore l'origine. J'en ai déjà vu..."

Et pour cause qu'il en avait déjà vu... Le vieux Faudar l'avait assez forcé à plonger le nez dans d'insupportables grimoires qui semblaient avoir le pouvoir de l'endormir rien qu'en s'exhibant sous ses yeux ! Tout ceci avait toujours fasciné Gregorist, mais pas lui évidemment. Et l'étude de runes ne devait pas se trouver dans le programme d'apprentissage des princesses impériales sinon Esmelda aurait tout de suite fait le lien. Ne restait plus que lui et sa mémoire défaillante donc... Quoique non, elle était loin d'être défaillante. Il pouvait même se vanter d'en avoir une excellente, le problème étant qu'il n'avait sans doute pas été assez concentré pour enregistrer l'information qui l'intéressait ! Il secoua la tête après quelques secondes d'intense réflexion :

"Je n'en connais pas la signification... Mais je connais la rune qui décrit la notion de vide, ce qui équivaut au Néant je suppose. Ce n'est pas celle-ci. Bien sur cela ne veut rien dire... Mais Esmelda n'a pas tort lorsqu'elle dit que les Alayiens et leur protecteur n'apprécieraient pas une boite qui rend Dévoreuse inactive..."

La rune pouvait tout aussi bien signifier malédiction, ou condamnation. Même si par hasard elle avait voulu dire mort et ainsi appuyer la version de sa cousine il n'aurait pas été rassuré pour autant. Ce truc là ne lui disait rien qui vaille... Il accorda sa permission d'un signe au vampire, sachant qu'ils n'avaient de toutes façons pas d'autres solutions. Puis reporta un regard ferme vers sa cousine :

"Je ne suis pas ton père non, mais tu sais parfaitement ce qu'il aurait dit au sujet de l'obéissance due à l'empereur. Les choses ont changée Esmelda. Il faudra t'y faire, il faudra qu'on s'y fasse tous les deux..."

Et cela n'allait pas être facile évidemment, mais ils n'avaient pas d'autre choix. Voyant la peine dans ses yeux, il reprit :

"J'ai confiance en toi, je sais que tu ne mens pas. Mais nous devons nous assurer qu'on ne t'a pas manipulé ou que la vérité n'a pas été déformée d'une manière ou d'une autre. Il y a des vie en jeu, tu comprend cela mieux que personne..."

Sachant qu'elle se rangerait à cette dernière affirmation, il conclut pour le vampire :

"Prenez garde. Que cette boite soit liée au Néant ou à l'Esprit de la Mort, cela nous dépasses dans tous les cas. Votre sort pourrait avoir des effets inattendus..."

Voir dangereux. Ils échangèrent un regard grave avant que Korentin reporte son attention sur sa cousine, espérant qu'elle sortirait la boite tout en sachant qu'elle n'accepterait pas de la lâcher pour qu'il la tienne pendant que l'autre lançait son sort. Ne pouvant faire plus, il s'approcha encore d'elle, prêt à intervenir si cela tournait mal. Dracos seul savait comment...

Il n'était pas difficile de comprendre que l'ancien duc, désormais empereur, n'appréciait que moyennement de voir sa cousine confirmer les aveux du renégat vampirique. La façon dont il la regardait, le ton de sa voix et cette promesse qu'il fit d'en reparler avec la principale intéressée, vraisemblablement en privé et dans un futur que le vampire imaginait sans mal proche, dénotaient assez clairement la frustration qui devait être la sienne. Et encore n'avaient-ils alors fait qu'effleurer la surface de la relation qui liait la princesse au vampire, qu'en serait-il si, ou plutôt lorsque, l'homme qui se tenait devant lui apprendrait la vérité, toute la vérité ? Sur le domaine baptistral, le couple avait pris la décision d'informer Grégorist, convaincu qu'ils étaient alors que le frère de la belle, s'il crisserait des dents devant pareille révélation, serait capable de l'accepter. Ils n'en auraient malheureusement jamais l'occasion toutefois, mais qu'en serait-il pour celui-ci ? Difficile à dire, Kylian connaissait mal le duc d'Aldaria : après tout, si Esmelda lui avait certes déjà parlé de ce turbulent cousin, l'on ne pouvait pas véritablement se faire une idée précise d'un homme uniquement sur base de ce qu'on en entendait dire.

Le visage du vampire s'assombrit un instant devant les mots que tint l'empereur à son égard. Qu'aurait-il pu trouver à y redire ? Oui, il était vampire. Oui, il se nourrissait du sang des Hommes. Oui, cela le rendait malade de culpabilité. Et oui encore, les faits étaient là. Pouvait-il y changer quelque chose ? Non, si ce n'était en rendant son âme à l'Esprit de la Mort. Une idée qui lui avait souvent traversé l'esprit, d'ailleurs, mais qu'il avait toujours rejetée et qu'il rejetait plus encore depuis qu'il avait rencontré Esmelda. Oui, certains payaient de leurs vies le prix de sa propre existence, mais au regard du vampire, cela n'était qu'une motivation supplémentaire pour faire de ce qu'il appelait sa vie, quelque chose de bénéfique. Si prendre la vie d'un assassin, d'un pillard ou d'un violeur pouvait lui permettre de survivre pour venir en aide à des familles innocentes, pour opposer une résistance aussi futile puisse-t-elle paraître à Lorenz et à tout ce que le monde connaissait de violence et de souffrance, cela pouvait se justifier. Du moins, était-ce l'idée à laquelle il se raccrochait pour ne pas se pourfendre avec sa propre épée...

« Je n'avais pas l'intention de vous demander de l'oublier. Je comprends votre méfiance, et je vous remercie à mon tour pour votre... effort de compréhension. »

Après tout, au regard du vampire, le simple fait que celui qui serait potentiellement amené à régner put accepter l'idée que les créatures de la nuit n'étaient pas nécessairement les monstres sanguinaires que l'on prétendait était déjà une victoire significative. Quant au reste... Tout viendrait en son temps, car pour l'instant, c'était le tatouage d'une princesse visiblement très contrariée qui s'accaparait l'attention des deux hommes. D'ailleurs, lorsque la jeune femme exhiba les marques qui ornaient ses bras, l'amant vampirique ne dissimula que difficilement une grimace conciliante. Il s'en fallut d'ailleurs de peu que Kylian n'oublia la présence d'un second Kohan, et si ce dernier ne s'était pas rappelé à son souvenir en s'avançant pour examiner à son tour la marque qui ornait le poignet délicat, sans doute les mots que tint le vampire à sa belle auraient-ils été différents.

« Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Je ne doute pas de ta sincérité mais ... »

... je t'aime et je m'inquiète pour toi. Probablement pas ce qu'un cousin pouvait avoir envie d'entendre à propos de sa cousine, et surtout pas de la bouche d'un vampire, aussi le renégat corrigea-t-il légèrement les termes qu'il employait avant de les prononcer.

« ... il faut que nous restions prudents. »

Et s'il devait s'attirer les foudres de son aimée pour s'assurer de son bien-être, alors il en serait ainsi. Toutefois, si ses mots demeuraient froidement neutres, le regard fugace qu'il posa alors sur la jeune femme, profitant de ce que l'empereur déchu fut accaparé par l'examen du tatouage, transpirait littéralement d'amour. Même les commentaires marmonnés et la mauvaise volonté évidente que déployait la princesse avant de finalement s'exécuter et exhiber le mystérieux coffret n'eurent raison des sentiments du vampire. Il n'appréciait pas plus qu'elle ce qu'il exigeait alors, et aurait tant aimé pouvoir la croire aveuglément. Mais comment aurait-il pu, alors qu'elle lui racontait l'histoire la plus invraisemblable qu'il ait jamais entendue ? Même l'idée d'un Lorenz reniant la violence lui eut paru plus crédible à cet instant.

Kylian s'efforça néanmoins de glisser un petit sourire à l'attention de la demoiselle furibonde et quelques mots issus de leur première dispute, qu'elle seule comprendrait :

« Même quand je m'inquiète à tort... »

Et Dracos lui en soit témoin, il espérait bien pouvoir donner raison à son aimée.
Comme il s'y attendait néanmoins, Esmelda refusa de lâcher la boîte et pas même lui ne pourrait l'en dissuader. Soit, le vampire n'avait après tout besoin que de la voir pour lancer son sort, quant aux effets inattendus contre lesquels venait de le mettre en garde le futur empereur, sans doute valait-il mieux essayer de ne pas trop y penser. Kylian lança un dernier regard vers le Kohan, pour s'assurer qu'en cas de difficulté celui-ci puisse intervenir avec suffisamment de célérité pour préserver la princesse, puis porta l'un de ses doigts sous son oeil droit et se concentra sur la trame magique qui enserrait l'objet de tant de convoitises.

Durant quelques instants, il sembla que rien ne se produisit et le vampire concentra davantage de son esprit sur la tâche, tel un soupirant particulièrement insistant qui ne se laisserait pas aisément éconduire, jusqu'à ce que finalement, à l'image d'une dame courtisée qui perdrait patience, la boîte se décida à réagir. Le renégat vampirique eut brutalement la sensation d'une présence autour de lui, mais qui n'aurait été en rien comparable à la présence de la princesse et de l'empereur. Son âme sembla se laisser enrober d'une aura chargée d'une puissance infinie, inconcevable même pour l'insignifiante et misérable créature qu'il était devant cet objet dont il avait pitoyablement tenté de percer les secrets. L'esprit de Skade elle-même, qui avait pourtant déjà approché et pesé sur celui du vampire, n'aurait pu tenir la comparaison. La boîte était nimbée d'une magie à la pureté inégalable et se mit même à briller d'un éclat aveuglant le regard du vampire tandis qu'elle repoussait les déliés magiques du sort d'identification dont elle était la cible avec la facilité d'un géant repoussant un insecte. Une telle magie ne pouvait venir des Alayiens, ceux-là même qui tentaient de la détruire. Une telle magie ne pouvait en vérité venir d'aucune forme existante en ce monde, pas même les dragons. Un dernière conclusion s'imposait donc, merveilleuse et terrifiante à la fois : Esmelda avait dis vrai, depuis le début.

Lorsque cette évidence vint frapper son attention, le vampire s'écarta précipitamment et relâcha le sort qu'il avait tenté d'imposer au petit coffret pour reculer de deux ou trois pas. Bouche bée en une expression parfaitement idiote, Kylian leva un regard éberlué sur la princesse avant d'ouvrir et fermer la bouche, comme s'il voulait parler, sans qu'aucun son ne s'échappe de ses lèvres. Ce manège se poursuivit plusieurs secondes, jusqu'à ce qu'il parvienne finalement à laisser se détacher des mots compréhensibles :

« Tu ... Je ... Tu as ... Tu as vu les Esprits ... Vraiment ... Et tu leur as parlé ... Ils sont ... Ils sont intervenus ... Dans notre monde ... Je suis désolé ... J'aurais dû te croire ... Je ...»

Maintenant qu'il se rendait vraiment compte qu'elle n'avait rien inventé, qu'elle n'avait pas été trompée par quelque illusion et que tout ce dont elle lui avait parlé était réellement arrivé, il ne savait tout simplement plus quoi faire, quoi dire, comment réagir. Il voulait à la fois rire et pleurer, hurler et se taire, bondir en tout sens et se prostrer simplement dans un coin. De quel esprit lui avait-elle parlé plus précisément d'ailleurs ? Ah oui, Mort. L'esprit de la Mort l'avait touchée. Des sept frères, il avait fallu que ce soit celui qui, un jour que le vampire espérait le plus lointain possible, viendrait se pencher sur elle pour l'arracher à son amour. Celui-là même que Kylian maudirait plus que jamais il n'aurait maudit quiconque. Celui-là même qu'il s'efforcerait d'affronter, sans espoir certes, mais qu'il combattrait tout de même pour l'empêcher d'accomplir son oeuvre. Et elle lui disait de ne pas s'inquiéter ? Mais comment aurait-il pu ne pas s'inquiéter ? Ç'aurait dû être l'Esprit de la Vie qui la touche, qui la bénisse. Elle qui n'était que vie, elle qui voulait donner la vie, elle qui lui faisait oublier ce qu'il était, pourquoi fallait-il que ce soit justement le plus funeste d'entre eux qui vint à sa rencontre ?

Il hésita de longues secondes avant de reprendre la parole et lorsqu'il le fit, il dut s'efforcer de dissimuler du mieux qu'il le pouvait les tremblements de sa voix. Etait-il inquiet ? Non. Il était purement et simplement terrifié à l'idée qu'Esmelda puisse s'effondrer à ses pieds, fauchée par la mort, et ce à tout instant.

« Finalement, je me demande si je n'aurais pas encore préféré un piège des Alayiens. »

Le vampire se passa une main frémissante sur le visage, comme s'il espérait que ce geste put l'éveiller et le soustraire à ce qui lui apparaissait de plus en plus comme un véritable cauchemar.

« Bon... Et cet... esprit... Qu'attend-il de toi exactement ? Il t'a confié ce coffret pour y dissimuler la bague, mais ensuite ? Et pourquoi cette marque ? Est-ce que tu as ... passé un pacte avec lui ? »

Après tout, plus grand chose ne pourrait l'étonner désormais, alors pourquoi n'aurait-elle pas pu négocier un accord directement avec un Esprit Supérieur ? Et s'il n'y avait eu une paire d'oreilles indésirables pour les entendre, l'amant vampirique aurait eu bien d'autres questions à poser à cet instant.

Il fallait se douter que son cousin et maintenant empereur n'apprécierait pas le fait qu'elle lui ait menti sur ses relations avec Kylian. Et encore, il ne savait pas tout...Fort heureusement, car ses mots lui firent bien comprendre qu'il n'était pas près à les entendre. Oui, ils en reparleraient. Esmelda n'avait aucun doute la dessus. Mais l'espoir restait présent. Après tout, Korentin avait eut la preuve que les vampires malgré tout pouvait être des créatures utiles. Déjà un premier pas. Il ne fallait pas précipiter les choses. C'était déjà une belle avancée.

La princesse se laissa prendre et examiner la main sans broncher. De toute façon avait-elle le choix ? Entre un amant paniqué et un cousin inquiet, Esmelda n'avait aucune façon d'échapper aux deux hommes sans qu'ils la laissent tranquille par la suite.

Un peu taquine, cherchant à détendre un atmosphère bien trop tendu et surtout de stopper la paranoïa des deux garçons.

« -Comme quoi, il aurait mieux valu écouter ce vieil hibou au lieu de chercher à faire le pitre, ou bien qu'il accepte d'enseigner à la seule capable de retenir les écrits anciens. »

Esmelda regarda en coin son cousin. La jeune femme en avait toujours un peu voulu au vieux mage de ne pas l'avoir aussi pris sous son aile. Elle aussi avait des compétences en magie, bien plus que son frère et cousin. Elle aurait bien pu rivaliser avec Fabius. Et surtout, la petite princesse était bien plus sage et calme que les deux garçons turbulents.Mais non, elle était une fille. Elle devait apprendre la musique, à broder, peindre, à savoir tenir une conversation et une maison. Barbant.

Agaçant même, un peu comme la façon dont la traitait les deux hommes. Comme Faudar, comme une petit fille frêle et fragile. Elle ne l'était plus, ne venait-elle pas de le prouver ? Si un Esprit lui faisait confiance, pourquoi pas son cousin et son amant ?

« -Des vies que je cherche à protéger, dont la tienne et celle de Ashy par l'intermédiaire de cette boite. Je sais que tu es l'empereur, et où tenir ma place, j'ai grandis dans l'ombre de mon frère. Et comme avec lui, je n'hésiterai pas à t'exposer ma pensée, même quand cela mène à un froid. Car j'ai à cœur autant le bien être de l'empire, de l'empereur que celle de ma famille. Mais puisque cela vous tient tant à cœur, je crois que je n'ai aucune chance à part abdiquer, votre Altesse. »

Oh certes, on aurait pu prendre ça pour de la révolte voir un affront, mais son ton ne l'était pas. Bien au contraire. Mais il fallait qu'elle aussi mette les choses au clair. Mais bon, la jeune femme n'avait pas le choix et sortit donc de son corsage la petite boite, simple, lisse et la tendit à Kylian, plantant un regard noir dans ses yeux clairs. Elle la tendit mais ne la lui laissa pas entièrement. La puissance de la boite n'était pas à remettre en cause, la princesse avait confiance en l'esprit, mais l'attrait de la bague à l'intérieur c'était autre chose.

« -La confiance est de croire. »

Et en elle de préférence. La jeune femme ouvrit sa main et laissa le vampire lancer son sortilège. Rien, rien avant d'être elle aussi envahit elle aussi par un sentiment étrange, quelque chose qu'elle n'avait jamais ressentit. Quelque chose de puissant, fort, beau, apaisant, l'objet en question montrait sa simple pureté, sa force infinie et sa provenance indéniable en un instant. Instant qu'il suffit pour que son aimé repose sur elle des yeux perdus, terrifiés et inquiets. Tellement qu'il en perdait ses mots. Et Esmelda dut bien confirmer ses dires, qu'elle ne cessait de confirmer depuis le début. Et après c'était elle la tétue.

« -Oui. Oui, je les ai vus. »

Forcément les questions venaient et Esmelda connaissait suffisamment son fiancé pour savoir qu'il imaginait le pire et pas le meilleur.

« -Il attend ce que toute personne peut attendre de celle qui porte cette bague. La cacher grâce à la boite, nous protéger, protéger la vie, la magie, protéger la folie de ceux qui s'en approche en la gardant cacher et dissimuler aux yeux de tous. Et c'est ce que je ferai. Je n'ai aucun pacte avec lui, sinon de mener à bien le hasard qui a fait que je dispose de la boite pouvant annihiler les effets de la bague. Mais comme toute personne le ferait. »

Enfin en tout logique et pour qui cherchait la paix et pas le pouvoir absolu. Non, cela n'avait jamais frôlé l'esprit de la princesse de se servir de la bague à des fins personnels, même contre Fabius ou les Alayens. Car d'autres en souffriraient avant, dont Ashy.

« -La marque est venue quand sa main a frôlé la mienne. Peut être un simple effet au contact d'un esprit. Je ne connais personne en ayant touché un, je ne peux savoir. Mais rassure toi. Il m'a dit que mon heure n'était pas venue, que mon père était fière de moi. Et surtout, il est inutile de craindre la mort. Tu devrais le savoir mieux que quiconque. Elle n'est pas que tristesse et douleur. C'est ce qu'en font les vivants qui la rend si terrible. »

La jeune femme rangea la boite avec précaution avant de continuer en regardant sa main. Elle n'avait pas vraiment eu le temps de bien regarder les inscriptions dessinées sur sa mains.

« -Ensuite, rien. Je n'ai pas de directives. Et quand bien même j'en aurai, la vie nous mène sur des voies tellement chaotique en ce moment que rien ne peut être sûre. Je protégerai cette bague, afin que personne ne souffre de ces méfaits. Rien de plus. Il y a un empire à sauver, le mien, celui de ma famille. Et pour l'instant c'est tout ce qui compte à mes yeux. »

Et puis, ce n'était pas aux Esprits de lui dire quoi faire. Elle les respectait, les vénérait, mais elle s'était toujours battu pour parvenir à penser et agir par elle même, ce n'était pas pour avoir sept esprits en plus sur le dos. Et la bague protégée, elle pouvait se concentrer sur ce qui comptait à ses yeux, ce qui la faisait continuer : son peuple, sa sûreté, son bien être et son libre arbitre. Ce qui débouchera sur la paix avec les autres peuples. Les vampires, il fallait aider Kylian et son rêve.

« -Mais oui, vous auriez dû me croire. Non pas à cause de cette boite. Mais parce qu'il est important que les personnes en qui j'ai confiance et qui disent l'avoir en moi le fasse réellement. Je sais que la guerre exacerbe nos défenses et nos protections, mais il serait bien aussi d'ouvrir de nouveaux horizons et de les élargir. Et de ne pas douter de ceux qui vous sont proches.»

Un effort de compréhension ? Le choix des mots lui fit lever un sourcil perplexe mais en y réfléchissant c'était indiqué. Il avait bel et bien revu ses opinions au sujet des vampires et si il ne tirait pas un trait sur toute une vie bercée d'histoires et de légendes terribles sur ce peuple, il acceptait tout de même de mettre du l'eau dans son vin et de leur accorder le bénéfice du doute sur certains points. Avait-il raison à ce sujet ? Gregorist s'en serait offusqué sans doute, lui aurait été bien plus difficile à convaincre, peut-être même que cela aurait été impossible connaissant la rigidité toute impériale de son cousin sur certains points. Korentin avait toujours vu cela comme une force chez l'ancien empereur, Rodrick possédait la même et il fallait au moins cela pour mener un royaume aussi vaste et puissant. Serait-il un mauvais roi donc, si il se laissait ainsi convaincre moins difficilement ? Cette idée l'inquiétait mais malgré tous les efforts qu'il faisait, il ne pouvait pas changer du tout au tout. Il devait abandonner l'idée de suivre complétement les pas de Gregorist et tracer son propre chemin, il n'y avait qu'ainsi qu'il aurait une chance de s'en tirer honorablement. Sauf que c'était terrifiant que d'avancer ainsi sans certitude que ses choix étaient les bons... Surtout en sachant à quel point les conséquences pourraient s'avérer lourdes...

Il cacha ses doutes de son mieux derrière le masque tout neuf qu'il avait commencé à se forger depuis la trahison de Fabius. Le tutoiement entre les deux autres le gênait au plus haut point, manquait-il de respect à sa cousine ce vampire ? Le dragonnier darda un regard dur sur le duo dont certaines subtilités lui échappaient manifestement, mais il garda un silence prudent en attendant d'en savoir plus. La plaisanterie de la princesse vint détendre l'atmosphère et il tenta de garder son sérieux mais le tout nouveau masque était plus que fragile et son sourire affectueux le fendilla :

"Il me fracassera la tête sans autre forme de procès le jour où il apprendra que je n'ai pas su traduire cette rune... C'est vrai qu'il aurait été plus inspiré de t'enseigner tout cela à toi..."

Sans doute aurait-elle était beaucoup plus intéressée que son cousin. Repenser au vieux mage le fit s'interroger un instant sur l'endroit où il pouvait bien se trouver à l'heure actuelle et sur le sort que Fabius lui réserverait à son retour à Gloria. Le sourire se fana :

"Pourvu qu'il se tienne tranquille à son retour au palais... Fabius l'aimait bien je crois, mais pas au point de tolérer qu'il s'oppose à lui..."

Une lueur de sincère inquiétude s'alluma dans son regard à cette pensée, mais il ne pouvait rien pour le vieil homme. Tout ce qu'il pouvait faire c'était espérer que la sagesse de celui-ci lui soufflerait de ne pas tenter d'imprudence. Il serait un soutien précieux à la cour si il parvenait à y rester... Bien sur Fabius le ferait surveiller, mais aucune chance qu'il parvienne à égaler la ruse du vieil homme. Oui, il s'en sortirait. Il avait dû connaître des situations bien pire dans sa longue vie, Korentin ne devait pas s'inquiéter pour lui mais plutôt pour tous les autres, à commencer par Esmelda... La froideur du titre assené comme un coup de pied au derrière le desarçonna et lui tira une grimace douloureuse. Quelle injustice que de se faire attaquer sur ce qu'il n'avait absolument pas demandé... Blessé, il ne lui répondit pas mais la fixa longuement d'un regard sombre et peiné. Elle n'ignorait pas qu'il n'avait jamais lorgné sur la plus haute fonction de l'empire et qu'il aurait même préféré se jeter du haut d'une falaise plutôt que d'en hériter. Seulement maintenant il n'avait plus le choix, il faisait de son mieux et déjà il en souffrait... Cela finirait-il pas l'éloigner d'Esmelda dont il avait toujours été si proche ? Il n'en avait aucune envie, mais peut-être n'aurait-il pas le choix... Il serra la mâchoire à cette pensée, agacé de tant de complications dans sa vie. A bout de ressources, il chercha le réconfort de son côté optimiste bien en berne ces derniers temps et répondit doucement :

"Nous trouverons notre place l'un et l'autre malgré tous les changements. Il le faut.. Je refuse de laisser la couronne pervertir aussi notre relation."

Il avait déjà assez perdu comme cela pour elle. C'était le pouvoir qui avait corrompu Fabius, le pouvoir qui avait détourné sa femme de lui, le pouvoir encore qui avait tué Gregorist et bien d'autres avant lui. Il était prêt à donner beaucoup pour l'empire, mais tous les sacrifices n'étaient pas acceptables. Il ferait en sorte d'être non seulement un bon roi mais aussi un bon dragonnier, père, cousin... La mission s'avérait périlleuse et peut-être trop ambitieuse, mais il se débrouillerait. Le pouvoir avait rendu son passé douloureux, alors il forgerait l'avenir afin qu'il soit meilleur. Il s'en faisait la promesse. Et si cela devait passer par des décision aussi incroyables que le fait de faire confiance à certains vampires alors ce serait ainsi. Au moins si il se trompait il pourrait se consoler en se disant qu'il avait suivit son propre chemin.

Tout ceci fut mit de côté lorsque la princesse se décida à sortir la boite. Une lueur de dégoût s'alluma dans les prunelles du dragonnier lorsqu'il songea au perfide artefact qui y était enfermé. Cette abomination n'avait strictement rien à faire en Armanda, il faudra qu'ils trouvent un moyen de la détruire... En attendant il était vrai que la boite était à priori une bénédiction, sans elle il aurait été coupé d'Ashy et la chevalière aurait pu les corrompre tous un par un ! Il fallait simplement espérer que ce n'était pas un tour des Alayiens qui s'en serviraient ensuite contre eux, mais la vérification fut rapide...

« Tu ... Je ... Tu as ... »

Les bagaiement du vampire ne le firent pas réagir, il était encore sous le choc de ce qu'il avait ressentit. Cette magie... Il n'en avait jamais ressentie de plus pure, il n'avait pas besoin d'être un grand mage pour savoir qu'il venait d'avoir affaire à quelque chose de plus puissant que tous les dragons du continent réunis ! Comment était-ce possible ? Et surtout pourquoi ? Les yeux rond, il posa à nouveau le regard sur la rune qui ornait la main de sa cousine. Pourquoi elle, pourquoi cet esprit, pourquoi à ce moment ? Et surtout si ils avaient le pouvoir d'intervenir dans le monde réel alors pourquoi ne venaient-ils pas les aider plus contre le Néant ? Il n'avait aucun droit de juger un esprit bien sur, mais toutes ces questions tournaient dans sa tête ainsi que la même inquiétude que le vampire semblait ressentir. Certes oui, il aurait préféré n'importe quel autre esprit plutôt que celui là... Il secoua la tête à son tour :

"Elle est tristesse et douleur pour ceux qui restent, surtout quand elle vient trop tôt" assena-t-il fermement.

Le message était clair, il n'avait aucune intention de laisser sa cousine à cet Esprit là, tant mieux donc si il estimait que son heure n'était pas venue car Korentin aurait été le premier à s'y opposer, aussi impossible que ce soit. Il reporta son attention sur la boite en entendant les décisions d'Esmelda au sujet de Dévoreuse :

"J'ai vu la noirceur de cet objet, elle ne doit pas tomber en de mauvaises mains. Nous la mettrons à l'abri, ensembles. Et un jour si les Esprits le veulent, nous la détruirons."

Et peut-être aussi si ils ne le voulaient pas... C'était une menace trop grande contre sa liée et tous les dragons pour qu'il tolère l'existence d'une telle horreur. Bon il aurait préféré qu'elle soit sous la garde de quelqu'un d'autre mais le choix des Esprits pouvait s'expliquer quelque part... Si il y avait quelqu'un en qui on pouvait faire confiance pour ne pas utiliser Dévoreuse c'était bien Esmelda... Et puisqu'il comptait veiller sur elle comme sur la prunelle de ses yeux, il veillerait du même coup sur l'objet... Et il aurait même une parfaite excuse pour interdire à sa cousine de prendre des risques ! C'était une idée très satisfaisante. Il se rembrunit néanmoins devant les reproches de la jeune femme et concéda :

"Tu as raison... Nous te devons des excuses. Mais c'est notre inquiétude pour toi qui nous as fait réagir..."

Il décocha un regard en coin au vampire à ces mots, son inquiétude à lui avait été des plus légitimes puisque Esmelda était de sa famille mais il lui avait aussi montré que le lien entre ces deux là était plus fort qu'ils ne voulaient bien le laisser paraître. Quel sac de noeud que cette histoire... Il en reporta le démélage à plus tard et passa à autre chose en incluant volontairement Esmelda dans cette conversation cruciale. Lui refuser le droit aux décisions sur leur avenir aurait été plutôt déplacé à cet instant...

"Nous allons devoir réfléchir plus long terme à présent. Fuir le plus loin possible était notre priorité, mais ce n'est pas ce qui chassera Fabius du trône qu'il a volé... Nous devons trouver un endroit où nous refugier et d'où nous pourrons contacter nos soutiens. Plus nous attendrons, plus le risque que les villes se rangent sous la bannière de l'usurpateur sera grand... Tu as passé beaucoup de temps chez les elfes Esmelda, quel camp choisiront-ils à ton avis ?"

Il darda ensuite un regard curieux sur le rebelle aux dents longues :

"Avez vous des soutiens de votre côté ? Des... Gens comme vous qui s'opposent aussi à Wintel ? Ce ne sera pas facile, mais si nos intérêts se rejoignent alors peut-être pourrons nous tenter de réunir nos forces...."

Son regard se fit songeur à cette pensée pour le moins révolutionnaire. Gregorist s'en serait sans doute étouffé sur son trône, et lui-même ne pouvait chasser les doutes qui l'envahissaient et lui hurlaient qu'il faisait un mauvais choix, mais la situation était extrême... Et si lui pouvait tolérer l'idée de tendre une main aux vampires malgré la répugnance qu'il avait toujours eu pour eux alors l'humanité toute entière pouvait bien s'y essayer aussi non ? Ce serait toujours moins terrible que de s'allier aux Alayiens... Eux étaient peut-être humains, mais ils n'avaient rien d'Armandéens !

Se rassurer. Les mots étaient toujours si simples à prononcer, mais comment pouvait-il donc se sentir rassuré alors qu'il venait d'apprendre que l'Esprit de la Mort lui-même avait effleuré la main de son aimée ? Et cela pour lui confier la charge de veiller sur une chevalière maudite qui n'était jamais que noirceur, qui n'avait amené dans son sillage que la guerre, la destruction et la trahison. Une bague que Fabius et les Alayiens recherchaient probablement activement et dont le porteur s'exposait, de fait, au risque d'être capturé, torturé, tué peut-être. Et pourtant, il suffisait de poser les yeux sur la jeune femme, d'entendre la détermination avec laquelle elle abordait ce rôle qui lui avait été dévolu pour savoir qu'elle en acceptait les risques et que rien, pas même les inquiétudes d'un amant protecteur, ne pourrait la persuader de laisser son fardeau à un autre. Certes, Esmelda avait toutes les qualités pour s'acquitter de la tâche et en ce sens, Kylian pouvait comprendre les raisons qui avaient poussé l'Esprit de la Mort à la désigner elle plus que quiconque, mais savoir l'être aimé en danger ne pouvait jamais laisser totalement indifférent.

Korentin fut le premier à répondre à l'attitude bravache de la princesse, rapidement conforté dans ses dires par le vampire :

« Il a raison. Tu le dis toi-même, je connais la mort et ce qu'elle représente : tristesse et douleur n'en sont que la partie visible, mais ensuite, il y a la solitude. Car plus que toute autre chose, la mort est séparation, alors si tu ne veux la craindre, permets au moins à ceux qui t'aiment de la craindre pour toi... »

Tout en parlant, Kylian s'était efforcé de tourner le visage en direction de la silhouette de l'empereur déchu, comme pour signifier que c'était principalement de lui qu'il parlait en évoquant ceux qui aimaient la princesse, mais le regard qu'il avait posé sur elle lorsqu'il ramena son attention sur la jeune femme était plus qu'explicite sur le sens véritable de ses mots.

« Je n'ai jamais douté de ta sincérité, j'ai seulement voulu m'assurer que personne n'ait pu vouloir abuser tes sens par quelque illusion. J'ai déjà entendu bien des histoires extraordinaires, mais je dois avouer qu'aucune n'a jamais égalé la tienne. Je suis désolé. »

Il ne pouvait pas revenir en arrière de toute façon, et en vérité, si l'opportunité lui était donnée de recommencer, sans doute agirait-il de la même façon. Non pas en raison d'un quelconque manque de confiance, cette dernière était acquise depuis bien longtemps, mais parce que ses années d'exil lui avaient appris que bien souvent, prudence valait mieux que négligence. C'était là une question de survie, bien avant d'être une question de confiance.

"Tu as raison... Nous te devons des excuses. Mais c'est notre inquiétude pour toi qui nous as fait réagir..."

Nous ? Notre inquiétude ? Étaient-ce bien les termes qu'il avait employé ? L'empereur venait-il d'inclure le vampire dans son discours ou s'agissait-il d'une mode des têtes couronnées que de parler de soi à la première personne du pluriel ? Difficile à dire, à moins que... Non, le regard que venait de lui asséner le Kohan suffisait à lever le doute, il avait bel et bien pris en considération l'inquiétude du vampire mais impossible alors de déterminer ce qu'il pouvait bien en penser. Kylian conserva un mutisme prudent, ne sachant pas exactement quelle attitude adopter devant cette constatation. En avait-il trop dis ou trop fait ? Devait-il s'expliquer ?

L'empereur lui-même vint mettre un terme à ces hésitations en abordant la question de la suite à donner aux évènements, arrachant au vampire un soupir de soulagement intérieur. Le message n'en serait toutefois pas oublié pour autant, si le cousin de la princesse pouvait accepter d'en rester là pour l'instant, il n'en serait pas éternellement ainsi. Instinctivement, le regard clair du vampire revint trouver celui de la princesse, muette promesse d'une discussion prochaine, avant de répondre aux interrogations du souverain :

« Trop peu, malheureusement. Lorenz a la désagréable habitude de corriger définitivement ceux qui refusent de le suivre... Ou du moins s'y emploie-t-il. »

Le renégat vampirique s'interrompit quelques instants, semblant hésiter à poursuivre, mais s'y résolut finalement tandis que lui revenaient en mémoire les souvenirs de la bataille des Bois Sombres, puis ceux de Gloria. Si Fabius remettait l'Empire aux envahisseurs, s'en serait terminé de tout ce en quoi il avait pu rêver. A défaut de mieux, il leur fallait donc bien choisir entre le moins pire des maux, ce qui signifiait conforter les accords qu'avait voulu instaurer Merithyn et créer une alliance des trois peuples face à l'ennemi commun. Ce qui signifiait composer avec Lorenz Wintel.

« Cependant, il craint les Alayiens. Suffisamment que pour avoir accepté l'idée de négocier avec des peuples qu'il méprise, ce n'est pas à négliger et peut influer en votre faveur mais je vous avertis, ne lui tournez jamais le dos. C'est un serpent, dans tous les sens du terme... »

Instinctivement, le vampire avait ramené son regard vers la silhouette de la jeune femme que le prince noir avait menacé. Dans le même temps, sa main vint se porter à une poche de sa tunique pour laisser ses doigts effleurer les solides contours du diamant de pureté. Un serpent dont il trancherait la tête.
Laissant là ces sombres desseins, Kylian reprit pour interroger à son tour :

« L'hiver approche, le temps joue contre nous. Je peux vous guider auprès de vos alliés mais encore faut-il pouvoir distinguer les amis des ennemis. Connaissez vous quelqu'un de parfaitement sûr qui puisse vous cacher ? »

Oui c'était le risque. Ce maître mage n'avait jamais eu la langue dans sa poche. Un des rares qu'on ne reprenait guère quand il oubliait ou se jouait des protocoles de la cour. Il avait été toujours dure, rude mais juste avec les trois cousins dont il avait eu l'honneur ou bien la lourde tâche d'élever et d'inculquer la droiture de la noblesse à ces jeunes hommes. Esmelda regrettait qu'il la laisse de côté ou ne s'intéresse à elle que pour la houspiller car elle dispersait ses cousins et frère.
Mais la jeune femme laissa un visage inquiet s'afficher : le vieux maitre avait été bien affaiblit par l'arrivée des alayens et leur fuite. Elle espérait que tout allait bien pour lui, qu'il avait pu fuir avec l'impératrice elfique.

« -Là est le problème de Maître Faudar, il aura bien du mal à tenir sa langue et Fabius malheureusement doit sentir son pouvoir et son arrogance croître surtout face à un homme comme Faudar. »

Car même s'il avait pu s'en sortir sans encombre, ce dont elle ne s'inquiétait plus, du moins tentait, il était bien celui qui mettrait Fabius

« -Et ce qu'aimait Fabius hier n'est peut être plus le cas aujourd'hui. Ses amis d'hier doivent être ses ennemis d'aujourd'hui. Mais je suis d'accord, il aurait bien dû plus croire en moi. »

Un de plus, décidément la fatigue la rendait rancunière. Et elle continua en ce sens, avec un fait indéniable. Même si les deux cousins lutteraient contre, le pouvoir avait cette fâcheuse habitude d'éloigner les gens. Pour preuve, avec son frère qui devenait au fil des mois un inconnus à ses yeux.

« -Tout dépend de ce que le pouvoir fera de toi. Il nous sépara forcément. Il l'a fait avec Gregorist, pas au début, mais par la suite... »

Inutile d'en dire plus, Esmelda mentionnait là son mariage forcé avec un elfe et son déracinement auprès de la famille de son futur époux. Jeune empereur, Gregorist faisait tout pour garder sa jeune sœur auprès de lui, de ne pas voir leur famille séparée, quitte à la voir ne pas épouser un homme et fondé une famille. Ce qui convenait à la jeune princesse. Mais plus le danger, la guerre, les alliances devaient se mettre en place, qu'elle fut vendue sans avoir son mot à dire, faisant face à un mur, à un empereur devenu aigri et fermé à toutes formes de dialogues.

Pourquoi s'inquiétaient-ils tant en rapport à cet esprit. La mort, la vie, les deux étaient mêlés, frère jumeaux, ils n'allaient pas l'un sans l'autre. Dès que la vie était la mort planait et sans mort la vie n'aurait pas cette importance. Sans la mort, elle n'aurait pas rencontré Kylian. Pour elle, c'était presque une amie, en tout cas un respect sans nom. Alors oui, la mort venait parfois trop tôt, mais faute à qui ? Pas à cet esprit qui ne venait que quand le cycle de la vie se finissait. C'était ce que les êtres vivants en faisaient qui la rendait triste, insoutenable pour ceux qui restaient. Rien de plus.

« -Elle ne viendra pas demain pour moi, l'Esprit me l'a dit. Et cet objet est entre de bonnes mains. Au moins, j'espère que là dessus nous sommes d'accord ? Et il n'y a pas que la mort qui peu séparer. Et elle le fera à un moment ou un autre.»

La jeune femme aurait bien ajouté qu'elle avait l'habitude qu'on ne la croit pas, preuve en est avec Fabius et Valentine, mais elle se retint, par respect pour son cousin.

« -Les elfes... ils étaient prêt à signer le traité de paix contre les alayens. Mais avec l'accouchement de leur impératrice, je ne sais pas qui assure la régence. Les elfes n'entreront pas en guerre comme ça, maintenant que les alayens ont traité avec les humains. Je pense qu'il nous faudra les rencontrer. Peut être par l'intermédiaire de mon ancien fiancé. »

Esmelda prit soin de ne pas regarder Kylian. Ce sujet restait un point sensible, et la princesse se doutait qu'il ne serait peut être pas ravi de lui demander aide. Même si après tout, après leur rencontre, ils semblaient s'être bien entendu. Enfin, entendu comme un elfe et un vampire peuvent s'entendre. Elrond était en vie.

« -Il y a une ville dont je suis sûre et qui me tient à coeur, mais... »

Mais Glacern, la belle ville des glaces n'accepterait pas Kylian ni leur sauveuse. Et Esmelda voulait certes la sécurité de son cousin plus que tout, mais pas sans son aimé. Elle préféra rebondir sur d'autres villes.

«-Lyssa, je m'entendais bien avec le jeune fils. Ou Elena, il y a notre oncle Darius. Korentin, tu n'étais pas proche du duc d'Althaia ? Sinon près de Lyssa, la petite ville de PortCastel. La ville de naissance de ma mère. La dirigeant est un cousin lointain.»

Il avait du mal à se contenir devant la familiarité que le vampire laissait transparaître vis à vis de sa cousine. Même sans être une créature de la nuit, il n'aurait pas dû agir ainsi. Tout homme qui se serait risqué à ce genre de choses à la cour aurait apprit très vite ce que pouvait signifier la colère des Kohan. Mais elle ne s'en offusquait pas, et le moment était particulièrement mal choisi pour que Korentin le fasse lui-même. Il se contentait donc de les observer, le regard fermé, et de se réjouir de voir que le message caché dans sa phase avait bien fait mouche sur le vampire qui l'observait à présent avec perplexité et semblait hésiter à reprendre la parole. Mais il ne le fit pas, préférant répondre au sujet de ses soutiens. Le visage de l'humain se rembrunit :

"J'ai entendu parler de sa dureté..."

Et c'était peu dire... Les rapports des rares survivaient qui avaient croisé ce vampire étaient accablants, et les sommes d'argent débloquées pour reconstruire les villages par lesquels il était passé étaient souvent insuffisantes... Il semait la mort et la destruction à chaque pas, l'empereur en fuite n'était donc pas spécialement étonner d'entendre dire qu'il n'était pas plus tendre avec son propre peuple. Fabius serait-il aussi terrible ? Il y avait du niveau là... Mais Korentin avait vu de ses yeux à quel point il pouvait se montrer implacable. Il échangea un regard inquiet avec Esmelda au sujet de Faudar mais elle enchaîna au sujet du pouvoir et il secoua la tête farouchement :

"J'éviterai cela. Et bien sur qu'elle est en de bonnes mains..."

Il n'avait plus qu'elle, il était hors de question qu'il laisse le pouvoir les séparer. Quand à la garde de Dévoreuse, il s'assurerait de protéger à la fois la porteuse et son fardeau. Au moins ferait-il d'une pierre deux coups. La conversation revint presque ausssitôt sur le prince noir, et il haussa les épaules :

"J'ai appris bien malgré moi ce qu'il en coûtait de tourner le dos même à ceux en qui on a confiance... Autant dire que cela ne risque pas d'arriver face à un prince vampirique... Mais merci pour ces informations, nous ne pouvons négliger aucune piste à l'heure actuelle même si cela doit nous forcer à nous allier à un... Serpent. C'est son totem ?"

Il haussa les sourcils sans trop savoir si il s'agissait d'un autre de ces titres atroces que le concerné avait récolté au fil de son éternité ou bien si il maîtrisait vraiment le feu. Voilà qui expliquerait bien des choses au sujet de ce qui était arrivé à certains villages par le passé... Mais il était un peu tard pour y réfléchir, ils avaient bien d'autres problèmes en tête. Le choix qu'allait faire les elfes par exemple... Il était difficile d'imaginer qu'ils suivraient un peuple qui s'était allié avec le Néant mais comment savoir ? Et même si ils ne suivaient pas Fabius, cela ne voudrait pas dire qu'ils appuieraient Korentin pour autant... Ils étaient plutôt du genre à ne rien faire du tout et à attendre de voir venir bien caché derrière leur frontière magique... Cette idée l'agaça et il la chassa, conscient qu'il ne pouvait pas s'appuyer sur un peuple aussi éloigné du sien. Il n'aurait pas plus confiance en eux qu'en les vampires quand il y songeait, c'était bien malheureux...

"Nous verrons plus tard pour les elfes, il est trop tôt pour nous risquer à aller vers eux. Nous ignorons tout de ce qu'ils vont décider, surtout si ils ont changé de souverain comme tu le dis... J'ai déjà rencontré cette Galadrielle, je n'ai jamais pu la cerner. Alors un total inconnu..."

Non, ils devaient se tourner vers les hommes pour s'en sortir pour l'instant. Mais qui ? Il savait parfaitement quelle ville Esmelda avait faillit nommer et les raisons qui l'avait poussée à s'arrêter. La haine viscérale qui existait entre les vampires et les nordistes ne datait pas d'hier, ils ne pouvaient pas se réfugier là bas. D'ailleurs c'était trop loin, Korentin avait besoin de rester au coeur de l'empire pour pouvoir un jour espérer reprendre son trône. Et mettre sa vie entre les hommes du nord, aussi valeureux qu'il soit, serait des plus dangereux. Ils ne le frapperaient pas dans le dos au moins, mais ils n'auraient aucun scrupule à le trucider sur place si ils estimaient qu'il ne ferait pas un bon roi... Vraiment pas une bonne idée. Il reprit avec ironie :

"Comme tu dis... Oublions cette ville pour le moment."

Il serait temps de tenter d'obtenir le soutien de Glacern plus tard. Les Nordistes n'aimaient pas la trahison et Fabius avait dû sacrément les vexer en les combattant plutôt que de s'en prendre aux Alayiens. Pour peu que Korentin se montre digne de leur allégeance et ils l'appuieraient peut-être. Ce serait un pas gigantesque... Il laissa Esmelda citer d'autres villes, en refusant au fur et à mesure :

"Fabius me fera rechercher à Aldaria en premier lieu, puis à Elena en second... Darius nous protégerait sans hésiter mais il y perdrait la vie. Althaïa n'est pas une mauvaise idée mais je ne suis pas certain de l'allégeance que Tornach va choisir... En fait je ne suis plus sur de personne je dois dire..."

Ses derniers mots allumèrent une lueur de souffrance dans son regard et il le détourna pour reprendre :

"PortCastel est peut-être la meilleure solution... Fabius n'y pensera jamais, et il mettra un moment à faire fouiller toutes les villes et tous les villages de l'empire. De là bas nous pourrons contacter ceux que nous pensons capables de nous soutenir, nous ferons en sorte qu'ils ne puissent nous localiser mais qu'ils sachent qu'il existe un autre chemin que celui de l'obéissance envers l'usurpateur... Et il faut qu'on trouve un moyen de libérer mon fils."

Il serra les dents en pensant à Nolan et à l'otage parfait qu'il représentait. Valentine avait promit de le protéger de Fabius, mais le pourrait-elle maintenant que Korentin s'était échappé ? Il était hors de question qu'il laisse un malade tel que son cousin s'en prendre à son fils. Il n'avait pas évoqué sa fille, et moins encore sa femme, mais il n'avait tout simplement pas le courage de jouer aux faux semblants avec sa cousine. Les derniers mots que le vampire avait prononcé attirèrent tout à coup son attention et il se retourna vers lui :

"Vous pouvez nous guider auprès de nos alliés ? Vous dites cela comme si c'était une tâche que vous deviez accomplir en priorité avant de vous occuper d'autre chose... C'est le cas ?"

Le renégat vampirique ne dissimula que difficilement la moue contrariée qui déforma ses lèvres devant les mots de la princesse. La légèreté avec laquelle elle semblait considérer la mort ne lui plaisait pas beaucoup. Pas du tout même. Depuis quand avait-elle décidé d'accorder si peu de crédit, si peu d'importance, à la vie ? Certes, sa rencontre avec les Esprits et notamment celui de la Mort, les batailles dans lesquelles ils avaient été plongés bien malgré eux, l'annonce du décès de Grégorist, l'avènement de Fabius ou simplement l'accumulation de la fatigue étaient autant d'éléments qui pouvaient expliquer pareille amertume, mais tout de même...
Malheureusement, la présence toute proche du cousin empereur ne lui permettait guère de se laisser aller à une quelconque démonstration d'affection.

« Oui, elle est en de bonnes mains. »

Les mots étaient certainement ceux qu'elle avait souhaité entendre mais le ton n'y était pas vraiment. Sa voix avait sonné avec plus de résignation qu'il n'aurait voulu en montrer mais comment aurait-il pu se réjouir de savoir Esmelda chargée d'un tel artéfact ? Il ne le pouvait pas pour l'instant, tout simplement, et peut-être ne le pourrait-il jamais. L'Esprit de la Mort ne se pencherait peut-être pas sur elle demain, puisse Dracos veiller sur elle, mais comme le faisait remarquer elle-même la jeune femme, il le ferait à un moment ou un autre et au regard du vampire, ce moment viendrait forcément trop vite. Alors inutile de vouloir aller au devant de cette lugubre perspective.

Le vampire laissa les deux Kohan déterminer la suite qu'il convenait de donner à ce qui semblait de plus en plus ressembler aux prémices d'une rébellion organisée, laissant son regard alterner de l'un à l'autre au rythme de leurs prises de paroles respectives. Néanmoins, il lui était difficile de ne pas approuver mentalement la suggestion de l'empereur. Excellente idée en effet que celle de laisser les elfes à leur sort pour l'instant : Kylian les avait bien assez vu ces derniers temps que pour avoir envie de revenir leur confier sa princesse. Il ne manquerait plus qu'ils décident de réclamer un nouveau mariage pour sceller leur alliance avec la rébellion de l'empereur déchu. Le vampire eut une grimace amère à cette pensée, détournant brièvement les yeux pour fixer avec irritation une pierre qui traînait là.

La discussion se détourna toutefois bien vite du sujet elfique et récupéra l'attention de l'amant vampirique lorsque les noms des grandes villes humaines se firent entendre... ou pas d'ailleurs.

« Glacern est bien trop loin au nord que pour être une solution envisageable à court terme de toute façon. De même pour Elena. »

L'énigme de la ville mystère n'avait pas été bien difficile à résoudre : si l'on éliminait Gloria, Aldaria, Elena, Althaïa et Lyssa, il ne restait pas beaucoup d'autres candidates suffisamment importantes que pour s'attirer ainsi le silence des deux humains. Mais pourquoi avaient-ils voulu taire le nom de la forteresse des nordiques ? Parce qu'il était vampire et que ces derniers s'étaient fait une spécialité de l'éradication des siens ? Son propre peuple voulait le voir mort, définitivement mort s'entend, alors il faudrait bien plus que l'évocation d'une cité dont chaque représentant lui trancherait la tête sans autre forme de procès pour le vexer. Sans plus se formaliser, il précisa :

« Considérez toute ville au nord de la Wylorel comme hors d'atteinte pour l'instant. Cela ne vous laisse pas beaucoup de choix mais je vous rappelle que le temps joue contre nous : l'hiver est peut-être très supportable quand on l'endure depuis le confort d'un palais chauffé, je vous garantis qu'il en ira tout autrement quand il s'agira de dormir à la belle étoile lorsque les premiers frimas se feront sentir. »

La décision sembla finalement se porter sur Portcastel, petite ville côtière proche de Lyssa, qui en valait bien une autre et qui, surtout, présentait l'avantage de ne pas être trop lointaine. Kylian approuvait ce choix d'un hochement de tête alors même que retentissait à ses oreilles la dernière question que l'empereur en devenir lui adressait. Inattendue, celle-ci vint le prendre au dépourvu et son regard trahit une seconde d'hésitation, se portant brièvement sur la silhouette de la princesse avant de revenir vers celui du souverain impérial.

« En effet. »

Il aurait certainement pu en rester là et laisser le soin au Kohan de tirer ses propres conclusions mais il poursuivit néanmoins :

« J'ai... laissé derrière moi des personnes importantes lorsque j'ai quitté le royaume elfique. Un fidèle ami, dragonnier tout comme vous, qui doit certainement être en train de me maudire sur plusieurs générations à l'heure qu'il est, et... »

Et une dragonne de trois mille ans qui s'est prise d'affection pour moi, que je me suis promis de protéger et que j'ai abandonnée mourante alors même qu'elle venait de m'avouer vouloir se lier à moi. Autant dire qu'il ne s'agissait pas vraiment là du genre de confession qu'il était prêt à faire à cet instant, surtout devant un dragonnier qu'il imaginait digne de ce nom. Son regard se fit songeur tandis que ses mots se teintaient d'une certaine mélancolie lorsqu'il termina finalement sa phrase laissée en suspend.

« ... et quelqu'un à qui je tiens beaucoup. »

Le vampire cligna des yeux avant de balayer l'air d'un geste de la main, comme s'il souhaitait ainsi pouvoir effacer ces considérations et les remettre à plus tard. Ce qu'il s'efforçait de faire d'ailleurs, même si un recoin de son esprit demeurerait encore tourné vers le royaume elfique.

« Qu'importe, pour l'instant, ma priorité est de vous mener en lieu sûr. Tous les deux. Quant à votre fils... Je ne pense pas que sa vie soit en danger, il est la seule chose qui pourrait encore permettre à Fabius de vous atteindre, il ne lui fera aucun mal. Mais cela signifie également qu'il vous faut vous en tenir éloigné pour l'instant. Je... parle d'expérience... »

Il avait hésité sur les derniers mots, s'efforçant de ne surtout pas tourner le visage vers Esmelda. Cela lui allait bien de conseiller la tempérance à un père rongé par l'inquiétude alors que lui-même était incapable de raisonner froidement dès lors qu'il s'agissait de protéger ceux qu'il aimait. A croire qu'il était plus facile de donner des conseils que de les suivre soi-même...

Esmelda ne se sentait guère mieux maintenant que les deux hommes la croyaient. Elle aurait espéré un peu plus de liesse, de joie. Après tout, elle avait vu un esprit. Ce qui déjà en soit est un miracle rare, presque unique. Mais en plus, cet esprit lui avait parlé, touché et offert un présent. Là ça relevait de l'irréel, du merveilleux, et son cousin et son amant devraient être heureux pour elle. En plus l'esprit de la mort. Celui qu'elle remerciait chaque jour d'avoir mis le vampire rebelle sur sa route. Sans lui, sa vie aurait été toute autre et la jeune femme était sûre d'une chose: elle n'aurait pas aimé cette vie. Mais surtout, il lui avait fait confiance. Un esprit. Ce n'était pas rien. Un honneur des plus honorifiques et la princesse ferait de son mieux afin de parvenir à justifier cette confiance. Elle l'avait eu en lui, maintenant il l'avait en elle. Artefact maudit, maléfique ou pas, elle ne le laisserait pas corrompre les âmes les plus pures et briser la magie symboliser par les dragons. Non, ils avaient trop attendu leur retour.

Préférant passé et rebondir sur le prince noir et son venin, Esmelda se remémora sa courte rencontre avec ce vampire. Froid, glaciale même, méprisant avec quelque chose de malsain dans le fond de l'œil, mais pas assez fou pour le montrer ouvertement.

"-Totem de feu pour un personnage de glace. La vie joue de belles ironies parfois. J'ai eu le loisirs de le rencontrer durant les négociations. Tout ne fonctionne que si tu as en échange quelque chose qui nécessite son intérêt. Tu vas me dire que c'est le lot de tout empereur ou politicien. Le jeu des échanges de pouvoir, tel un jeu de cartes à la taverne du coin. Sauf qu'il a dans sa manche, de cacher, des atouts qu'il sortira en te faisant passer pour le tricheur."

Quand aux elfes. Ah les elfes. Tout un poème. L'attente de les voir entrer dans la guerre contre les vampires, son mariage arrangé pour prouver la faiblesse de son frère et la hisser, elle, au pouvoir. Il n'y avait qu'eux pour y songer un instant et se cacher en même temps dans les bois. Esmelda ne savait plus que penser de ce peuple, dont elle avait appris les mœurs, les uses et coutumes. Charmant, passionnant, un savoir immense, mais un dédain des autres qui n'était pas au gout de la princesse. Oui, elle resterait méfiante vis à vis des elfes maintenant qu'ils étaient capables de marier un des leurs à une humaine pour déstabiliser l'empire des humains. Devrait-elle le dire à Korentin? Esmelda garda cela pour elle, pour l'instant, mais espérait, surement trop que cela change.

"-C'est une parfaite politicienne. Et si son successeur suit ses traces, les elfes seront de nôtres côtés tout en prônant l'immobilisme. Quoique, je ne sais pas. Les choses ont peut être changé. Les alayens ont attaqué leur terre. Peut être que cette fois-ci, ils prendront le taureaux par les cornes, comme par le passé."

Après tout, les elfes s'étaient alliés aux humains contre les vampires quelques centaines d'années auparavant. Pour les terrer dans les souterrains.

PortCastel semblait donc leur prochaine destination. Une chance, un plaisir de retrouver cette ville en bord de mer, balayée par les éléments, un peu perdu au milieu de nul part, mais fort agréable. Sa grand-mère avait su apporter une touche de modernité dans cet ancien village de pêcheurs.

"-Et je sais que ce vieux cousin nous aidera. Ils sont Kohan par les branches détournées, et la petite ville aimait plus que tout ma grand-mère puis ma mère et j'y suis allée de nombreuses fois en repos là bas durant les saisons froides. Ils sont assez tournés vers l'océan et ses caprices, bien plus que par l'empire et ses soucis."

Ils partiraient surement demain. Ce qu'il voudrait dire marcher encore et encore. Esmelda ne sentait plus ses jambes, mais la fatigue elle si. Kylian avait raison. La dureté de l'hiver ne les aiderait pas, la fatigue encore moins, sans compter le choc de la mort de Greg, de la trahison de Fabius (quoique) et la chute de l'empire. Sans cesse repousser, terrer pour mieux fuir. Qu'en serait-il quand enfin au repos, ils pourraient se laisser aller à leur peine.
La princesse regarda en coin son aimé quand il mentionna Roëric. En espérant qu'il ne maudisse pas trop fort les générations qu'ils n'auront peut être pas. Juste au cas où... Puis elle regarda le vide quand il parla de cette personne à qui il tenait beaucoup. Laissant taire ce qui se formait au creux de son ventre pour rebondir sur Fabius et ses choix par rapport à Nolan.

"-Nous libérons Nolan. Et Victoire. Nous ne laisserons pas tes enfants suivre le pas de l'ignorance. De plus Nolan sera empereur plus tard. Même si Fabius ne lui fera rien. Enfin du moins directement. Même s'il n'est pas le fils de Fabius, il reste pour le moment le futur empereur, jeune, manipulable, il le façonnera à sa façon. Cela te fera bien plus mal. Et si jamais une pauvre femme lui donne un fils, Nolan deviendra un bon capitaine de guerre, à mettre sur un champ de bataille, un pion fiable à sa cause."

Puis elle se tourna vers le vampire, ne prenant guère attention à sa façon de lui parler devant Korentin. Maintenant ce serait stupide de changer. Mais la princesse n'en fit même pas attention, trop épuisée pour réfléchir sur les conséquences. De toute façon, tout avait changé maintenant.

"-Kylian, ne sous estime pas Fabius. Il n'a pas la puissance d'un Lorenz mais il a enfouit au fond de lui tout autant de haine et de mépris pour les autres. Même sa famille. Pourquoi je sais qu'il me fera tuer si je mets un pied au palais. Ce n'est pas parce que j'ai fuit avec Korentin, je le savais même avant, car il me l'a dit. Fabius est comme ça. Distiller avec douceur ses plans et ses fins. Comme un serpent, en ne sachant pas s'il va t'attaquer ou pas."

Elle se tut avant de reprendre.

"-Et là nous parlons d'un enfant, dont l'innocence risque d'être entaché par la cupidité et la vanité d'un homme. Les douleurs physiques s'atténuent, mais pas celle de l'esprit."

Korentin se crispa en entendant sa cousine parler du prince noir comme si.. Eh bien oui, comme si elle l'avait rencontré de nouveau. C'était à prévoir avec les négociations, et cela avait été fait sous la protection des baptistrels mais ce n'était pas réjouissant pour autant. Surtout que la connaissant elle n'avait pas dû s'aplatir devant lui et qu'il n'avait aucune envie qu'il la classe parmis ses ennemis les plus détestés. Bien sur en tant que Kohan et même que simple humaine elle restait une cible mais il aimait autant qu'elle ne se classe pas parmi les plus prioritaires. Enfin il n'y avait aucune véritable raison non ? Quoique... Il fronça les sourcils en dévisageant tout à coup le rebelle avec plus d'attention. Sa disgrace vis à vis de son prince risquait-elle de rejaillir sur Esmelda ? C'était tordu, mais tout à fait pertinent du point de vue vampire... Décidément, tout ceci lui déplaisait.

Il hocha la tête en l'entendant parler ensuite de Galadrielle, à moitié convaincu. Il ne l'avait rencontrée en personne qu'une seule fois mais il n'avait pas été dupe. Elle faisait passer l'intérêt et la sécurité de son peuple avant tout le reste, et ses plus proches conseillers étaient comme elles. Si s'opposer à Fabius allait à l'encontre de leur intérêt alors ils ne s'y risqueraient pas. Bien sur ils ne l'appuieraient pas non plus vu son alliance avec les Alayiens mais il y avait de très fortes chances pour qu'il s'enterrent à nouveau dans leur royaume pendant quelques siècles. Les convaincre de prendre des risques n'allaient vraiment pas être facile.

« Glacern est bien trop loin au nord que pour être une solution envisageable à court terme de toute façon. De même pour Elena. »

Tiré de ses pensées par la voix du vampire, il acquiesça distraitement. Dans tous les cas ces deux villes n'auraient pas été de bons choix. Et penser à l'hiver qui arrivait n'était pas pour le rassurer, il n'était pas fait pour ce genre de vie et Esmelda encore moins. Avaient-ils seulement eu froid l'un comme l'autre une seule et unique fois dans leur vie ? Oui bien sur ils avaient déjà frissonné l'un comme l'autre, mais il n'aurait pas l'impertinence de prétendre qu'il connaissait vraiment cette souffrance là. Et il ne voulait pas la connaître si il était possible de l'éviter, encore moins la faire connaître à sa cousine. PortCastel serait donc la meilleure solution, ils n'y resteraient sans doute pas énormément de temps vu leur situation mais elle leur permettrait de renouer les contacts les plus surs et de trouver ensuite d'autres villes qui pourraient les accueillir quitte à bouger très régulièrement. Fabius aurait beau faire, il ne mettrait pas la main sur eux. Il haussa donc les épaules :

"Un petit séjour au bord de la mer ne pourra pas nous faire de mal..."

La curiosité brilla de nouveau dans son oeil lorsque le vampire évoqua les obligations qui l'obligerait à les quitter une fois mené en lieu sur, pour peu que cela existe dans leur situation d'ailleurs... Mais il ne posa aucune question et ne protesta pas, il était libre d'aller et venir comme bon lui semblait et l'idée qu'il puisse s'éloigner quelque peu de la princesse n'était pas vraiment pour déplaire à Korentin. C'était mieux ainsi, même si la protection d'un vampire était un avantage indéniable qu'il ne fallait pas négliger.

La conversation s'orienta alors sur son fils et il sentit son visage se fermer tandis que son regard s'assombrissait. Il les laissa s'opposer sur le sujet de la sécurité des concernés et mit un instant avant de répondre fermement :

"Nolan ne se laissera pas influencer malgré sa jeunesse. Je souhaite bien du courage à Fabius si il veut le lier à sa cause, et je ne pense pas non plus qu'il lui fera de mal pour le moment. Il... Ecoute Valentine."

Ses traits se durcirent férocement lorsqu'il prononça le prénom de sa femme et il conclut avec plus de sécheresse qu'il ne l'aurait voulu :

"Quand à Victoria, cela n'a pas la moindre espèce d'importance."

Après tout si elle n'était pas sa fille elle pourrait bien choisir le chemin qui lui plairait en grandissant, ce n'était plus son problème non ? Une pointe douloureuse s'installa dans sa poitrine à cette pensée mais il la chassa résolument. C'était lui qu'on avait trompé et humilié, il n'avait aucun remord à avoir au sujet d'une progéniture qui n'était pas la sienne. Nolan seul comptait et il ne comptait pas l'abandonner. Mais il ne pouvait pour le moment rien pour lui, sauf espérer que le courage dont son fils avait toujours fait preuve lui permettrait de tenir jusqu'à ce qu'il soit en mesure de le délivrer. Il soupira :

"Aussi difficile que ce soit à concevoir pour un père, j'ai à l'heure actuelle des priorités plus importantes. Nous ne délivrerons Nolan que lorsque nous serons sur de ne pas le mettre plus en danger qu'il ne l'est déjà. En attendant il devra se débrouiller, et sa mère m'a promit de veiller sur sa vie."

Pas sur son bien être non.. Cela aurait été une gageure que d'espérer cela de Valentine. Nolan ne manquerait de rien, mais il allait très certainement en baver. Cette idée lui faisait plus mal que tout le reste, sauf qu'il allait devoir faire avec. Il inspira profondément comme pour trouver le courage au fond de lui et ordonna doucement :

"Il faut qu'on se remette en route très rapidement... PortCastel est encore à plusieurs lieux..."

Le renégat vampirique s'était risqué à lancer un furtif regard en direction de la princesse tandis qu'il avait évoqué, sans vraiment la nommer toutefois, sa rencontre avec Skade. Tout au plus un bref coup d'oeil, mais qui lui avait tout de même permis de remarquer la réaction que la princesse avait eu. Sans doute serait-il d'ailleurs plus juste de parler ici d'absence de réaction : elle ne lui adressa pas même un regard et poursuivit la conversation sans rien laisser paraître. Pourtant, Kylian ne doutait pas un instant qu'elle avait clairement entendu ses paroles. Sitôt qu'ils auraient l'occasion de se retrouver de nouveau loin des oreilles indiscrètes, quelques explications seraient de rigueur.

Pour l'instant cependant, seule demeurait dans les esprits la sinistre perspective de laisser un enfant innocent aux mains d'un empereur aussi méprisable que pouvait l'être le cousin des deux Kohan ici présents. Cela n'avait évidemment rien de réjouissant mais en dépit des espoirs que nourrissait encore la princesse, il n'y avait malheureusement pas grand chose de plus à faire. Korentin le leur confirma d'ailleurs bien vite en refusant de se porter au secours de son fils pour l'instant. Une décision que l'on devinait difficile à prendre : quand bien même le souverain légitime s'était-il efforcé de paraître ferme et résolu dans son discours, le rythme précipité des battements cardiaques que le vampire pouvait clairement percevoir de là où il se trouvait trahissait l'inquiétude et la peine sous-jacentes.
Kylian acquiesça d'un léger hochement de tête devant les directives de l'ancien duc d'Aldaria, précisant d'une voix qu'il espérait confiante, à défaut d'être rassurante :

« Nous repartirons dans quelques heures, la côte est encore à quelques nuits de marche et vous avez tous besoin de repos... Vous ne voudriez pas que j'aie à vous porter, je pense ? »

Pour souligner la plaisanterie, le vampire avait risqué un discret sourire mais n'en avait pas moins pris soin de garder ses lèvres pincées afin de ne pas laisser apparaître les crocs qui garnissaient sa dentition. Allez savoir pourquoi, la vue d'une paire de canines un peu trop développées pour être humaines avait souvent eu le don de mettre mal à l'aise ses interlocuteurs humains.

« Vous devriez essayer d'aller dormir un peu... Tous les deux. »

Il avait volontairement insisté sur les trois derniers mots, tournant ses yeux clairs en direction d'Esmelda tandis qu'il les prononçait. La jeune femme avait déjà refusé d'aller prendre du repos un peu plus tôt, quelques instants avant que son cousin ne vint les surprendre, mais elle n'y échapperait pas cette fois et le regard que l'amant vampirique laissait peser sur elle se voulait ferme sur le sujet.

Le trio s'en retourna donc finalement vers ce qui leur tenait lieu de campement pour les heures à venir, Kylian ralentissant imperceptiblement son pas discret pour laisser quelques mètres d'avance à la silhouette de l'empereur en devenir et cousin de sa belle. Ce n'est que lorsqu'il fut assuré qu'il pouvait s'adresser à cette dernière sur un ton suffisamment bas que pour ne pas être entendu de leur "escorte" qu'il murmura quelques mots à l'attention de la demoiselle :

« Fabius avait déjà menacé de te tuer avant notre fuite ?! Mais pourquoi ne m'en as tu rien dis ? J'aurais pu ... »

Il laissa sa phrase en suspend, incapable d'y donner suite. Qu'aurait-il pu y faire, après tout ? Essayer de le raisonner ? S'il était aussi mauvais que le sous-entendait Esmelda, et Kylian ne doutait pas qu'il le fut au vu des évènements, alors discuter n'aurait servi à rien. Le menacer à son tour ? L'idée d'avoir à subir les foudres d'un vampire avait effectivement de quoi refroidir bien des ardeurs chez les humains, aussi mauvais soient-ils, mais en agissant de la sorte, le renégat aurait probablement fait pire que mieux : laisser croire que la princesse pouvait être liée d'une quelconque manière à un vampire n'aurait certainement pas été souhaitable, à plus forte raison quand la vérité allait bien plus loin encore.
Alors quelles options lui restait-il encore ? Assassiner, purement et simplement, un membre de la dynastie Kohan alors irréprochable en apparences ? Peut-être. Après tout, le vampire devait régulièrement tuer pour se nourrir et la réputation de prédateurs sanguinaires propre à ceux de son espèce ne le précédait déjà que trop souvent... Tuer pour tuer, autant que ses actes aident à ce que le monde n'eut plus à souffrir de la malveillance de certains. Peut-être que c'était là ce qu'il aurait fait, mais quoiqu'il put en être, cela demeurerait à jamais un mystère maintenant.

« J'aurais simplement aimé en être averti... »

L'amant transi s'inquiétait déjà suffisamment pour son aimée sans qu'il eut besoin d'avoir à penser qu'elle lui cachait certains dangers. Son esprit s'aventura alors brièvement vers le souvenir des mots qu'avaient eu Lorenz au sujet de la jeune femme, les mâchoires du renégat se crispant tandis que les menaces lui revenaient en mémoire. Un cousin félon, un prince vampirique dément, des Alayiens fanatisés... Il ne les laisserait pas faire. Jamais.

Esmelda baissa la tête afin qu'ils ne puissent voir sa tristesse. Laisser Nolan lui coûtait. La princesse avait peur pour l'enfant. Peur pour son avenir. Car il l'était. Il serait l'empereur du renouveau. Korentin du changement. Mais il fallait qu'elle abdique, face aux deux hommes, c'était peine perdue pour elle. Port Castel était le seul objectif pour le moment.

« -Nolan a ton caractère de tempête, mais il n'en demeure pas moins un enfant. Espérons que quelqu'un qui te soit fidèle veille sur lui. Tu parles déjà comme un empereur. »

Lui dit-elle en le regardant en coin avec un sourire malicieux aux lèvres. Puis elle se tourna vers Kylian, pour faire face à une réalité. Princesse, duc, il fallait l'avouer que la vie à la belle étoile n'était pas commune pour eux. Peut être plus pour son cousin, militaire, il avait au moins dû voyager en tente. Elle jamais. Alors entre la peur, la peine, la colère et le découragement, le sommeil ne pouvait qu'être troublé.

« -Il n'est guère aisé de se reposer en pleine journée, à même le sol, dans un bruit de vie de bois, quand par chance, nous n'avons pu être habitué à mieux.  »

En retournant vers leur point de repos, Esmelda ne cessa de trébucher. La fatigue la gagnait de plus en plus. Ses jambes étaient lourdes et sa tête ne cessait de tourner. Picorant les quelques baies trouvées, la jeune femme ne voulait pas se laisser aller au repos de son esprit. Non, dormir c'était laisser un peu plus s'installer la peine et la tristesse des événements. C'était laissé son esprit vagabonder et se libérer de ce qu'elle refoulait. Ses yeux piquait et étaient humides d'une fatigue cumulée depuis plusieurs jours maintenant.
Kylian ralentit son pas pour laisser son cousin passer devant, qu'il ouvre la marche tel un empereur. Mais surtout un moyen de venir lui glisser quelques mots. Il lui reprochait de ne rien avoir dit pour Fabius. Il fallait dire qu'elle ne l'avait pas vu après. Fabius lui avait dit son plan la concernant s'il devenait empereur, quand elle partait auprès d'Elrond. Avait-il déjà idée de tuer Gregorist en cet instant ? D’usurper la place de Korentin et de traîner l'empire dans la boue ?
Et durant leurs retrouvailles, les amants interdits s'étaient fiancés, avaient lutté contre le passé de Kylian, et contre leur présent. Alors les menaces de son cousin. Il ne l'avait jamais aimé alors un peu plus, un peu moins.

« -Tu n'aurais rien pu faire, Kylian. Rien. Il m'a menacé quand je suis partie vivre chez les elfes. Et ensuite... j'ai juste oublié, j'avais autre chose à penser. Et il n'était pas la seule menace qui me préoccupait en cet instant. »

Rien du tout. Menacer le comte, le tuer, l'espionner. Non, et le savoir lui aurait donné des cheveux blancs en plus. Il se serait inquiété, et aurait tout fait pour la protéger encore plus. Alors qu'il n'y avait rien à faire juste à accepter. Un ennemi de plus ou de moins.
Arrivés sur leur lieu de repos, la princesse s'approcha d'un vieux chêne pour s'y adosser et tenter de se reposer un peu.

« -Je vais essayer de dormir, sinon, oui tu auras à me porter. »