Les êtres les plus insaisissables sont surement ceux dont l'histoire fût la plus sombre. Et la plus douloureuse...
Il y'a son vécu jusqu’à ses seize ans, aux réminiscences de bonheur, de bonté et de foi dans la poursuite du bien, à tout prix.
Puis il y'a son histoire après ses seize ans, ses sept dernières années de vie, au goût tellement amer qu'elle évite d'y penser pour ne pas en avoir la nausée. Cette fracture dans son passé fut si rude qu'elle cru, à un moment, en avoir perdu la raison. Avec les années, elle avait réussi à ne plus être obsédée par les images d'horreur qui s'étaient imposées à ses yeux. Mais d'aucun ne contrôle ses nuits, et ses rêves. Et son âme, vicieuse, lui rassérénaient des coup de massue dans la plaie grande ouverte qui avait a tout jamais blessé son cœur. Elle attendait la nuit pour imposer à Tyl les souvenirs qu'elle tentait désespérément d'enfouir dans les sables du temps...

Une nuit calme, bercée par les embruns de la côte, lovée dans les bras de l'homme qu'elle aimait... Puis des cris qui vinrent briser ce silence. Des hurlements déchirants, comme si l'enfer déversait son mal sur les terres paisibles de sa naissance. Les cris se faisaient plus proches. Puis une porte qui s'ouvrit violemment. On percevait au dehors des ombres qui courraient, affolées.
"- Les vampires ! criait-on. Les vampires !"
On l'arrachait de son lit pour l'emmener en sureté. Mais d’autres ombres, menaçantes, se faufilaient entre les étroites ruelles. Elle revoyait ses parents quitter leur demeure en précipitation, tout près d'elle. Puis sa mère, poussant un hurlement d'horreur mêlé de stupéfaction. Une silhouette gracile mais puissante la maintenant par le cou de ses longs doigts gantés. On ne voyait que ses yeux flamboyant percer le voile de la nuit et regarder avec envie la nuque de la femme qu'il maitrisait. Quand il voulu y planter ses crocs, son père s’élança désespérément vers lui. Et, avant même qu'il ne semblait s'en être rendu compte, une lame fine lui transperçait le ventre, laissant échapper des gouttes de sang sur le sol. Il s'écroula, et l'infâme être de nuit se reconcentra sans aucune difficulté sur la femme qui pleurait de désespoir entre ses doigts. Il planta ses crocs dans son cou exposé, semblant se délecter du fluide chaud qui se déversait dans sa bouche et sur le torse de sa proie. Il la laissait tomber au sol, inerte. Son regard aux pupilles de feu, posé sur Tyl, marqua l'âme de la jeune femme au fer rouge. Puis on la tirait vers les bois. Elle entendait des voix connues, des pleurs de voisins, d'amis, de proches. Des hurlements horribles qui résonnaient encore à ses oreilles. La peur. La terreur. La mort. Le mal absolu... Voilà tout ce qui restait de sa vie. Ou presque.
A cet instant, son frère et son aimé étaient encore à ses côtés. Deux être auxquels se raccrocher. Deux êtres pour l'aider à ne pas perdre foi.

Ils marchèrent. Longtemps. Très longtemps. Trop pour qu'elle ne puisse mettre de durée sur leur périple. Leurs pieds saignaient sous les lieues avalées sans s'arrêter. Ils traversèrent des contrées inconnues, hantés par le souvenir de cette dernière nuit chez eux.
Son frère, du haut de ses douze printemps, était incapable d'en faire plus. Tyl le confia aux bons soins d'une famille qui les hébergea durant un temps. Elle promit de venir le chercher. Cet instant d'adieu lui fendait encore le cœur malgré sa volonté à le refouler aux tréfonds de sa mémoire. Elle ne lui confia pas le but de son voyage, que sa longue traversée lui avait permis de méditer. Elle pria Leremnis de l'instruire au maniement de l'arme. Il refusa, mais fini par céder face à ses supplications désespérées.
Tout les jours, elle s'entraina. Tout les jours, elle s'acharna a faire de sa lame le prolongement de son bras. Elle souffrait, mais continuait sans relâche. Au bout de plus d'une année d'entrainement intensif, elle fini enfin par manier habilement son épée. Sa musculature s'était développée et elle parvint même à manier deux lames en combat. Elle pensait être enfin prête, elle pensait avoir atteint la première étape de son but inavoué. Mais comme si le destin ne fut pas encore assez cruel avec elle, il lui démontra le contraire de la pire des façons...

Durant une de leur nombreuses nuits en forêt, un bruissement la tira de son sommeil. Ce qu'elle vit en ouvrant les yeux tenaient purement et simplement du cauchemar.
Leremnis, une lame sous la gorge, se tenait debout près du feu. La silhouette qui se trouvait dans son dos ricanait doucement devant le regard empli d'horreur de la jeune femme. Seuls deux points rougeoyants étaient perceptibles dans l'obscurité.
"- On m'a dis qu'une humaine aux yeux d'or voyageait dans les environs. Je ne l'aurait jamais cru sans le voir, mais le hasard fait bien les choses..."
Il trancha légèrement la gorge de Leremnis, assez pour y faire couler un mince filet de sang qu'il huma comme un repas tout juste servi.
"- Les humains de la côte ont une saveur très... particulière. J'aime beaucoup."
"- Pourquoi?"
"- Pardon?"
Tyl serrait les poings à s'en faire saigner les paumes par ses ongles qui lui écorchaient la peau.
"- Pourquoi ne nous laisses-tu pas? Nous avons fuis pour ne plus avoir affaire à vous, et toi..."
Le vampire laissa échapper un nouveau ricanement plus prononcé.
"- Pourquoi? C'est cela la chasse, ma jeune amie. Traquer sa proie, sentir sa peur et se délecter de sa chair une fois que l'on a réussi à la capturer. Mais je ne te le cache pas, c'est simplement le hasard qui nous a mis sur la même route. Par malchance, vous n'êtes pas loin d'une des entrées du Monde Souterrain. Tu apprendra qu'il est intelligent de se renseigner avant de mettre les pieds chez ses voisins..."
Sans prévenir, il fit basculer le cou de Leremnis et y planta ses crocs tel un chien affamé.
"- Noooon!"
Elle allait se précipiter sur son aimé, mais il hurla entre deux cris de douleur:
"- Fuis, Tyl! Fuis!"
Elle mis quelques secondes avant d'accepter la réalité. Puis elle tourna les talons et couru aussi vite qu'elle le pu à travers la forêt. Elle couru sans s’arrêter, des larmes inondant son visage. Ses jambes lui hurlaient de s'arrêter, mais son instinct lui dictait le contraire. Lorsque le soleil perça le ciel de ses premiers rayons, elle s'écroula dans une clairière, à bout de force. Ses jambes ne lui répondaient plus, tout son corps transpirait de chagrin et de folie mêlées. Elle se traina derrière un bosquet et y resta un moment indéfinissable. Elle dormi plusieurs heures, ou jours. Elle n'avait plus aucun notion du temps. Elle ne se nourrissait plus, la gorge serrée par le remord. Elle se haïssait de n'avoir rien pu faire. D'avoir vu son aimé mourir sans être intervenue...

C'était ces souvenirs qui hantaient ses nuits, malgré tout ses efforts pour ne pas s'y attarder. La haine, la mort, la culpabilité... Toutes ces émotions exacerbées avaient forgées ce qu'elle était aujourd'hui. Pour ne pas sombrer dans la folie pure et simple, elle s'était fait une arme de son chagrin et de sa haine. Combien de vampire avait-elle torturés pour leur soutirer le nom de leur maître aux yeux rouges? Elle ne les comptais plus. Car même quand ils semblaient ne rien savoir, elle s'acharnait à leur faire éprouver le plus de souffrance possible. Peut-être était-ce pour leur léguer une infime partie de l'horreur qu'elle avait vécue? Ca, peu lui importait. Elle suivait son but : se venger. A tout prix. Quitte à y laisser son âme...