Ilyanth était en proie à l’affliction et les larmes continuaient à couler sur ses joues. A cet instant, il avait l’impression que son esprit tout entier était plongé dans la nuit la plus noire. Les paroles d’Elenya lui parvinrent, aussi lointaines et irréelles que dans un rêve. La conseillère parlait de tuer leurs ennemis… ?

Le cœur du chantefeu saignait déjà de la disparition de son ami Ascheriit, à quoi bon ajouter de la douleur à la douleur ? Faire couler le sang ne ramènerait jamais cet être cher, à jamais disparu…
L’elfe n’avait même pas la force de protester et ni même de se relever, demeurant recroquevillé sur le sol, prisonnier d’une bulle de chagrin.

Soudain, il entendit la voix de la Chanteciel qui s’adressait à Elenya d’un ton impérieux « vous n’en ferez rien ». Neolenn releva la tête et aperçut la douce Aléria Blanchécume, qui se tenait à la fin de l’escalier et soutenait un blessé.
La jeune femme estimait que le sang n’avait déjà que trop souillé cette terre sacrée et qu’il fallait y mettre un terme. Si la conseillère Elfique avait de l’énergie à dépenser, qu’elle l’utilise pour venir en aide aux nombreux blessés qui se trouvaient dans le domaine.

L’humaine s’occupa ensuite des blessures d’Amaury qui semblait très mal en point, avant de se tourner vers le chantefeu afin de lui demander de reprendre ses esprits.
Neolenn se releva, encore choqué par l’horrible scène qui s’était déroulé sous ses yeux. Son âme était déchirée par la disparition d’Ascheriit et il se sentait terriblement coupable que son frère se soit sacrifié pour le sauver. Quelle injustice, l’infortuné Baptistrel ne méritait guère un tel sort.

Cependant, l’heure était trop grave pour pleurer les disparus, il fallait agir et Ilyanth en avait parfaitement conscience. Encore ravagé par la souffrance, il acquiesça d’un hochement de tête aux paroles d’Aléria et dit d’une voix éteinte :

- Je vais vous aider à rétablir les protections du domaine, il faut penser à protéger les survivants.

Oui, il allait aider du mieux possible à sauver ce qui pouvait l’être, son ami qui s'était sacrifié pour lui, l’aurait voulu ainsi.
Le jeune Cawr sécha ses larmes et tenta de retrouver un semblant de sérénité, malgré l’immense chagrin qui étreignait son cœur.
Amaury expliqua à la Chanteciel qu’ils avaient été attaqués par une chimère, un singe géant, avant de la questionner sur la faute commise.

Aléria Blanchécume répondit de sa voix douce et empreinte de sagesse :

"Je parle de la nôtre. Lorsque Néant a rendu son dernier soupire, elle a prévenu de ce qui allait se passer si jamais nous la commettions. Les Esprits devaient mourir, ils y étaient tenus par cette entité, Origine, par une sorte de pacte. Néant appelait ça le contrat originel. Leur mort étant notre avenir. Cela était censé nous apporter la paix. Mais elle a prévenu que, si jamais nous n’étions pas préparés à nous assumer, alors ces créatures, les Chimères, apparaîtraient et prendraient le contrôle d'Armanda en la plongeant dans une ère de sang et d'horreurs puis finalement vers la destruction. Je pensais pourtant que nous avions réussi à ne pas la commettre. La paix règne aujourd’hui en Armanda … et pourtant ces créatures sont apparues. Ou avons-nous bien pu échouer ?"

- Ma sœur, demanda Ilyanth le cœur battant, vous semblez très informée sur les chimères et vos paroles laissent deviner une ère très sombre et que nous avons commis une grave erreur…A quoi devons-nous nous attendre et surtout que pouvons-nous faire pour contrer ces monstrueuses créatures ? Elles paraissaient très intéressées par les Baptistrels, pourquoi ? Possédons-nous un pouvoir capable de lutter contre leur puissance ?

Tant de questions se bousculaient dans son esprit nébuleux, mais l’elfe espérait que la jeune femme pourrait apporter quelques éclaircissements sur la raison de l’apparition des chimères. Si une période de noirceur était sur le point de débuter, le chantefeu voulait se préparer à l’affronter de son mieux.

¤ Aléria Blanchécume ¤

Le regard de la chanteciel se posa sur l’invitée en ces terres, la conseillère elfique. Elle parlait beaucoup, disait beaucoup de choses et elle en perdait presque la maitre barde. Elle semblait avoir une théorie, non, plutôt une idée forgée sur les chimères, sur Néant, sur ce qu’elles étaient, voulaient et ce qui se passerait. L’humaine ne les partageait pas, du moins pas totalement. Ils savaient trop peu de choses, même elle avec ce qu’elle avait pu leur apprendre. Mais dire que Néant était la maitresse des Chimères ? C’était trop invraisemblable. Les Esprits avaient créé les bipèdes. Les Esprits avaient guidé les bipèdes. Néant elle-même avait guidé les Alayiens. Alors pourquoi aurait-elle guidé les Alayiens en plus des Chimères, tout en les poussant à s’entretuer ? C’était trop invraisemblable.

Les sourcils froncés, la chanteuse tentait de faire face à ce flot d’informations qui semblait aller dans tous les sens.

« Vous présumez bien trop de choses, Conseillère. Néant était l’esprit vénérer des Alayiens. Elle les guidait. Vous pensez qu’elle guidait aussi Chimères ? Alors pourquoi aurait-elle amené Alayiens et Chimères à s’attaquer, menant à la destruction de l’Alayia ? Pourquoi deux types de créatures vénérant la même entité se feraient la guerre ? Cela me paraît bien trop invraisemblable. En particulier pour un Esprit aussi interventionniste que Néant. Qui plus est, elle a utilisé les Alayiens pour tenter de retrouver son cœur volé par Vraorg, pourquoi n’aurait-elle pas également utilisé les Chimères. Je pense que vous faites fausse route sur ce point. Néant ne guidait en rien les Chimères. »

La chanteciel marqua une petite pause, réfléchissant.

« Néant était l’ancienne porteuse du Contrat Originel qui la liait, elle et ses frères, à Origine. Ils étaient débiteurs de certaines obligations. Ils devaient faire en sorte que nous puissions accéder à la paix. Néant, lors de sa mort, nous a mis en garde contre les Chimères. Vous souhaitez savoir ce que je pense … je pense que les Chimères sont une autre partie à ce contrat … qu’elles sont une punition, pour nous comme pour les Esprits en cas d’échec. Dans l’éventualité où nous ne parviendrons pas à nous assumer, à acquérir cette paix, cet âge d’or, promis par le Contrat Originel. Et nous n’y sommes pas parvenus, alors elles sont apparues. »

À nouveau, l’humaine marqua une pause.

« Ou alors, peut-être est-ce un ultime test. Je n’en sais rien. La seule chose que je sais, c’est que nous ignorons encore beaucoup trop de choses. Sur les Esprits, sur les Chimères et sur ce Origine. Avant d’en tirer des conclusions, nous devrions en apprendre plus par nous-mêmes. Et ne prêter qu’un crédit limité aux dires de ses créatures. Comme notre magie était inopérante, ni Amaury, ni Ilyanth n’avaient pas possibilité de s’assurer que la créature disait la vérité. »

Lentement, la chanteuse se redressa.

« Bien, il est temps de restaurer les protections du domaine. Venez. »

Les Baptistrels parviennent petit à petit à rejoindre les sanctuaires et à rétablir les défenses magiques du domaine. Pendant ce temps, ils sont couverts par les soldats du royaume elfique qui investissent les lieux et repoussent avec efficacité les Chimères. Ces dernières n’opposent pas une grande résistance et prennent rapidement la fuite à travers des vortex qui se referment peu de temps après. Les rares loups vampiriques, humains et vampires dans les camps des assaillants qui sont capturés par le royaume elfique meurent peu de temps après la cessation des hostilités. Quelque chose semblant les avoir tués de l’intérieur.

L’attaque dont a été victime le domaine Baptistrel soulève de nombreuses questions et donne naissance à de vives inquiétudes. La Lisière est levée et l’état d’urgence est déclaré le temps que cette histoire soit tirée au clair par les autorités de l’Ordre et du Royaume.

Les aléas de l’énergie du Néant et de la trame n’ont pas été sans conséquence pour certains. En effet, un lien entre un dragonnier et un dragon s’est brisé : celui de Dawan et Kaalys.