Ils s'écartaient peu à peu de la Cité et de son printemps artificiel, et cela ne paraissait pas gêner le tout jeune Cawr. La chaleur de son coeur et les nuits passées pieds nus dans la neige devaient y aider, faisant passer la brise de ce
milieu de journée pour une caresse presque tiède.
Il avait été parmi les premiers informé, pour des raisons plus qu'évidentes. S'il avait été un peu surpris du choix d'Aegnor de faire de lui le baptistrel qui officierait pour leur mariage, il avait néanmoins accepté. Les arrivées de Luna, Alkhytis, Enetari et Aïasil, l'avaient beaucoup tenu occupé. Sans compter les cours dispensés aux Enwrs, à lui-même… Longtemps le mariage n'avait été qu'une vague silhouette à l'horizon. Une ombre indistincte mais présente. Un matin, Dawan s'était réveillé, avait constaté que la silhouette était à deux pas de lui. Étonnamment, il ne s'était pas inquiété du tout, et l'idée de ne pas être à la hauteur ne l'avait pas même effleuré -pour l'instant du moins. C'était avec un grand calme et la mine sereine qu'il s'était rendu en Estëllin pour ce jour-là, vêtu sobrement d'une tunique blanche très longue. Il avait été difficile pour lui d'observer ses congénères mettre en place les diverses décorations sans agir également. Si difficile qu'il avait craqué, et participé comme aurait pu le faire n'importe quel elfe, comme il avait eu l'habitude de le faire jadis en tant qu'Enwr. Il avait également aidé certaines plantes à se porter au mieux. Autour de lui, ses congénères n'avaient de cesse de s'agiter, l'esprit à la fête et à profiter de journées d'abondance, l'esprit préoccupé par tout ce qu'il faudrait faire, ou préoccupé par l'arrivée prochaine de représentants de toutes races. Dawan en percevait toutes les vibrations. Il savait que s'y ouvrir, c'était prendre le risque à la fois de s'épuiser trop vite et de voir son esprit faiblir aux moments les moins opportuns. Aussi faisait-il au moins l'effort d'essayer de rester détacher des émotions ambiantes…

Ces dernières heures, il les avait passées auprès d'Hartea, ne supportant plus de se tourner les pouces en attendant de pouvoir faire son office. Il avait été averti que son rôle en ce jour serait d'accueillir les Gloriens, accompagnés de quelques gardes et hauts dignitaires elfiques. Aegnor n'avait pas eu besoin de plus de justifications, Dawan avait très bien deviné ses raisons: l'empereur l'avait vu, jadis, aux côtés de cet humain-là. Il savait que leurs relations étaient au moins bonne, et que cela permettrait d'initier positivement cette rencontre. Dawan avait obtenu quelques points de repère, dont Hartea. Il ne la connaissait pas, si ce n'était d'évocations faites par Aramis. Mais c'était elle qu'il avait choisie. Il s'était rendu à ses côtés, avait offert les politesses qui seyaient à tout elfe de bonne éducation, avait demandé s'il pouvait rester à ses côtés, et à partir de là… Il avait estimé le chant-nom d'Hartea comme son lieu de repos attitré. Il l'avait suivie dans ses occupations, sage, veillant à toujours lui laisser un peu d'espace vital, chantonnant doucement des ballades tendres et des épopées célestes, s'arrêtant de temps à autre pour jouer distraitement d'un objet, tapant doucement le plat d'une épée pour en apprécier le son métallique, caressant la pierre d'un mur pour le doux murmure d'une pierre, se saisissant d'un objet pour le tapoter… Il n'avait été que peu bavard. Pourtant, sitôt qu'Hartea faisait mine de s'éloigner, il revenait auprès d'elle. Ses rares mots avaient été sibyllins: il ne cessait de parler d'oiseaux à la Garde, de leurs envols, de leurs migrations, de ceux qui restaient même au coeur de la neige.

Lorsqu'était venu le temps d'enfin se diriger vers les Gloriens, Dawan s'était remis en selle sur le dos de cette monture que Fabius lui avait offerte jadis, qu'il avait emmenée avec lui spécialement pour l'occasion. Il avait… "suivi" la troupe. À sa manière. Donc devant eux. Il s'était surpris à vraiment vouloir revoir Fabius. Leurs chemins s'étaient séparés peu de temps après que le Passeur eut accompli ce que certains avaient appelé "sa destinée". Dawan n'avait plus eu le besoin de l'aider, avait senti que la demande de Merithyn allait en son sens. Mais après tout ce temps, il s'était attaché à ce petit humain, avec tous ces défauts qui le rendaient, à ses yeux, adorable et attendrissant. De là à s'avouer qu'il s'était pris d'amitié pour ce menteur invétéré, et cet assassin sans scrupules… Il n'y avait qu'un pas. Les élans du coeur de Dawan et de sa monture en témoignaient: ce pas était déjà franchi.
Souvent il faisait exécuter à sa monture un petit tour sur elle-même, pour attendre ses camarades. Mais quand Fabius et sa belle troupe furent en vue, il ne fut plus question d'attendre. À Elyonor Dawan proposa un galop qui fit claquer ses sabots sur les blancs pavés, s'écarter quelques voyageurs. Arrivé à hauteur de son humain, Dawan bondit littéralement de sa monture, pour offrir saluts elfiques et humains au suzerain des Gloriens, avant de le saluer de façon plus personnelle, lui prenant la main:

"- Je suis heureux de vous revoir, Sire Kohan, et j'espère que votre séjour en ce nouveau royaume elfique vous sera agréable !"

Il appela sa monture pour marcher à ses côtés, et aux côtés de cet humain qui lui paraissait avoir tant changé, en si peu de temps. Il caressait l'idée de passer un peu de temps en sa compagnie.

"- Votre voyage s'est-il bien déroulé ?"

*Caun: Souverain
**Arwen: Noble Dame

Dawan avait eu un petit rire en entendant Fabius évoquer l'hiver. Oh, ce n'était pas bien, il n'aurait pas dû rire ainsi… Mais qu'y pouvait-il ? Fabius, en bien des aspects, pouvait passer pour solide, fort… Et il craignait ce qui, pour l'être frêle qu'était Dawan, n'était qu'étreinte tendre, une sensation merveilleuse dont on l'avait trop longtemps privé. Le froid, pour lui, et plus que jamais depuis que le sang avait abreuvé ces terres, était lié au renouveau, aux jeux et à la joie et, paradoxalement, à une chaleur toute particulière au-delà de l'idée de température. Bref, pour lui, Fabius était le grizzly qui avouait avoir peur des saumons.
La monture de Dawan marchait sobrement à ses côtés. Une habitude qu'elle avait dû prendre tant son cavalier avait coutume de la laisser sans attache, ou oublier de prendre ses rênes pour la guider. Elle leva légèrement l'encolure dans une vaine tentative de conserver sa dignité lorsque, suite à l'évocation de la navigation fluviale, le jeune Cawr la prit dans ses bras. Qu'y pouvait-il ? Il en avait besoin, et savait que Fabius, ainsi que leurs congénères autour d'eux, n'auraient potentiellement pas vu d'un très bon oeil qu'il se jette sur le suzerain. Se détachant d'Elyonor, il fit part à Fabius de sa joie d'entendre de tels mots et, chose surprenante, lui posa quelques questions sur des affaires relativement triviales, concernant l'état de Gloria et quelques histoires dont il perçut des bribes lors de leurs derniers conseils passés ensemble, ces moments où il avait pourtant eu l'air totalement absent. Lorsqu'il fut question de sa propre année…

"- Elle n'était pas sans me rappeler un printemps, après l'hiver…"

Fabius eut alors le droit à tout le détail de la reconstruction du Domaine, et une description détaillée des nouveaux lieux, des bois qui les entouraient jusqu'à chacun des nouveaux sanctuaires, et ces sculptures qui ornaient les bâtiments et, parfois, leurs piliers, et l'eau qui était toujours comme une mélodie de fond, et, et…! Et la joie qu'il avait ressentie de pouvoir à nouveau connaître le froid de Novembre, les neiges de Janvier ! Il évoqua, bien sûr, le Serment qu'il avait prêté, plaisantant sur la nécessité qu'avait désormais Fabius de ne pas mentir en sa présence, sans quoi le tout jeune Cawr souffrirait beaucoup. Il évoqua Kaalys, sa naissance, le sentiment qu'il avait d'être complet. Le dragon était dans la tour des Esprits, pour le moment. Il n'avait pas souhaité qu'il se joigne à eux tout de suite.
Bientôt ils arrivèrent à la hauteur d'Hartea. Les mouvements d'armes firent mentalement tiquer Dawan, ce qui ne se traduisit concrètement que par un léger mouvement de tête sur le côté, et son regard qui partait dans le vide. Il imaginait qu'au sein des peuples, c'était là quelque coutume de bon aloi. Les présentations faites, il laissa Hartea les guider, toujours à terre aux côtés de sa monture, sans se soucier de la potentielle envie de Fabius de se remettre en selle. Le souverain était assez grand pour ne pas l'attendre, si l'envie le prenait, non ?

Le beau groupe s'avança de plus en plus dans la cité elfique. Fabius avait un guide touristique personnalisé: Dawan prenait grand soin de lui raconter la Cité, à sa façon, lui indiquant ici ou là quelques détails à constater, des décorations spéciales que l'on installait ou avait installé, des couronnes de fleurs plus ou moins réelles qui se vendaient ou s'apprêtaient à être vendues… Dawan s'éclipsa un instant, le temps de se saisir de l'une d'entre elles. Il revint avec, la proposa sans mot à Fabius. S'il ne la voulait pas, tant pis ! Il se l'appropriait ! Cette couronne de fleurs blanches était bien trop belle pour être laissée sans propriétaire.
Leurs pas les entraînèrent peu à peu vers le second étage de la Cité. Là, l'esplanade des dragons fut en vue. Dawan la désigna à Fabius, prit le soin de lui expliquer ce qu'elle était, avant d'ajouter:

"- J'ai cru entendre que les dragonniers étaient arrivés ce matin. Certains d'entre eux, Elrond l'Amarïe, Luna Duruisseau et Kedrildan Maralawë, étaient déjà au Domaine, ils ont eu moins de distance à parcourir." Il n'avait pas entendu le nom d'Enetari, d'ailleurs. Où était-elle ? Boudait-elle les mariages ? Peut-être trouvait-elle cela ennuyeux. Cette dernière hypothèse ne paraissait pas impossible au jeune Cawr, malgré le peu qu'il connaissait d'elle. "Les aldariens et vampires sont attendus pour demain." Il se tourna vers Fabius, son doux sourire habituel sur ses lèvres: "Sa Majesté des Elfes paraissait vouloir ancrer la paix entre les peuples. Cela ne vous ennuie pas d'être aux côtés de votre cousin et de ses sujets ? Des vampires ?" Parce que si tel n'était pas le cas, ils allaient devoir prendre des dispositions particulières. Mais la question était surtout rhétorique: Dawan se doutait que cela n'ennuyait pas Fabius, sans quoi il ne serait pas venu. Il voulait surtout entendre de sa bouche les raisons qui l'avaient poussées en ce sens.

Un sourire avait répondu aux explications de Fabius. C'était plus ou moins ce que Dawan voulait entendre. Si la formulation était maladroite pour des oreilles baptistrales, il avait au moins reconnu la sincérité de son ami. Il avait cru également reconnaître que Fabius avait du mal à reconnaître les raisons d'Aegnor, pourtant plus qu'évidentes. Imaginer Aegnor s'expliquant devant un Fabius entre la perplexité et l'incompréhension suffisait à amuser le jeune Cawr. Tout cela n'était pas de son ressort, et il laisserait cet instant advenir s'il devait l'être. Parler au nom de l'empereur n'avait pas de sens. Un autre événement, d'autres sensations environnantes jouaient en la faveur de son sourire et de son amusement. Il aurait été incapable pour l'instant de mettre des mots dessus, ce n'étaient que des actions en sous-main, et qu'il gardait de force loin de son attention, par affection pour cet humain qui lui parlait et qui n'aurait sans doute pas apprécié de le voir inattentif -même si le passé avait dû l'habituer à ces situations.

À l'évocation d'Aramis, son regard se détourna vers le ciel, où il crut voir passer quelques sombres silhouettes. Il aurait pu parler un peu d'elle, oui... Mais non. Ses lèvres restèrent résolument closes. Il avait cru percevoir l'écho que produisait le mot "impératrice" en Hartea, et voulait laisser faire. Ce fut sans regrets: Hartea présenta suffisamment la chantebrise pour que Fabius puisse en deviner les contours et dessiner le reste de son propre avis par la suite.
Comme Hartea lui avait évité d'avoir à s'exprimer, le jeune Cawr avait pu laisser ses pensées s'évader. Il avait finalement porté son attention sur ces sensations qui l'avaient tantôt amusé, et qu'il croyait sentir de plus en plus fortes autour de lui. Des vibrations particulières... Son regard fit l'aller-retour, plusieurs fois, entre Hartea et Fabius. Oh, soit ! Retenant un gloussement, il s'était subtilement déplacé pour arriver aux côtés de Crissolorio, prendre de ses nouvelles, lui faire remarquer combien les fleurs lui allaient bien, d'un ton badin. C'était la première fois que leurs routes se croisaient sans que leurs camps soient opposés. Pas question d'en faire mention, néanmoins: Fabius n'aurait peut-être pas apprécié d'entendre que son allié lui avait jadis manqué de fidélité, et Dawan ne voulait pas froisser leurs relations. De même, il s'avança vers quelques autres membres de la troupe de Fabius, mais qui pour lui étaient de parfaits inconnus, pour se renseigner sur eux, sur leur état... Quand bien même leur chant-nom criait les informations qu'il réclamait. Il voulait découvrir la voix de ces gens-là.

Après son enquête, ses pas revinrent rejoindre Fabius. Il restait néanmoins légèrement en retrait, et nettement moins bavard tout à coup. Oh, il ne boudait pas, pourtant. Il souriait sans raison apparente, si ce n'était la présence de l'humain, et répondait de façon joviale lorsque la parole lui était adressée, mais sans chercher à s'étendre davantage sur le sujet. Lorsqu'arrivés à la Lance de Sylaniel, ils purent présenter à Fabius les appartements qui seraient siens, il osa néanmoins reprendre la parole:

"- Je vais me diriger vers la Tour des Esprits. Un petit être d'écailles a besoin de moi. N'hésitez pas à me faire mander pour quelque raison que ce soit !"

Il offrit le salut elfique et humain nécessaires, fit part une ultime fois du plaisir qu'il avait à le savoir et le voir en ces terres, puis s'éclipsa. Sans hâte, néanmoins, et en tendant légèrement l'oreille. Il avait laissé les deux tourtereaux seuls, et espérait au moins que cela leur serait profitable !

[HRP: Ok pour pour moi]