Il n'y avait que du vide, de l'obscurité et du silence quand les fragments d'une âme commencèrent à se rassembler, des morceaux épars, venus d'ici et d'ailleurs, reliquats de vies passées et qui formaient tout juste l'émergence d'une conscience, au creux d'un corps irradié par la vie et la magie. Une enveloppe recouvre déjà cet être encore imperceptible, prête à l'accueillir et à le protéger dans les instants les plus fragiles de son existence.
Sans rien penser ni retenir, comme une simple rivière, un flot de sensations passe. Elles sont sans aucun sens, juste là pour avertir l'esprit naissant qu'il va vivre et le guider en douceur vers une compréhension croissante, jamais brutale, comme un doux réveil après un très long coma, mais où tout est neuf et d'une pureté immaculée.

Peu à peu des choses apparaissent, alors que le petit être grandit chaque jour davantage. Bien à l'abri dans sa coquille, il n'est pourtant pas coupé du monde extérieur et commence à en percevoir l'écho d'abord si lointain. Ce n'est plus un éclat parmi tant d'autres dans l'univers, mais une intelligence unique dont le caractère se forme dès à présent. Le sang le lie à ses parents et inconsciemment, il hérite de certains de leurs traits qui le feront bientôt à la fois si semblable et si différent d'eux. C'est un petit mâle dont le nom résonne au creux de sa conscience, Alkhytis, et à cet instant sans doute, ses congénères savent qu'un des leurs les rejoindra bientôt. Les premiers besoins se font sentir et alors que l’œuf prend soin de son corps pour qu'il évolue, il cherche la compagnie d'autres âmes, nécessaires à sa vie.
Suivant son instinct le plus pur, il s'abandonne dans les méandres du tout qui forme son nouvel univers, bien au-delà de l'enveloppe qui se fait prison de son corps, mais jamais de son âme. Il reconnaît sa mère Trissi, puis son père Cynoë, il ne les cerne pas et encore moins les comprend, ce n'est encore qu'un peu de chaleur qui façonne les prémices d'un amour sans doute et surtout d'une relation complexe qu'ils auront tout le temps de nouer, plus tard.

Combien de temps passe ainsi ? Peu importe, il n'existe pas de mesure pour évaluer tout ça, il ressent et renvoie toutes sortes d'émotions ineffables, certainement imperceptibles pour ceux qui n'écoutent pas ni le chant du monde, ni celui des âmes. Pourtant, sans être des mots, des choses s'expriment de plus en plus, il sait qu'il touche chaque fois un peu plus fort ce monde qui l'attend et l'impatience le gagne, devenant une véritable sensation. Pour la première fois, il veut sortir.
Le petit être ne fait que penser, il n'agit pas, un instinct profond lui dicte que c'est impossible, il ne peut pas encore car il lui manque quelque chose d'essentiel, le plus important. Déjà curieux et vif, il voudrait rouler dans ce monde, découvrir la lumière alors que les sons commencent tout juste à lui parvenir, mais il se sent aussi vide qu'une coquille sans son poussin. Les liens qui l'ont créé ne lui suffisent plus, il a besoin d'autre chose et sonde ce qui passe tout autour de lui, criant, désespérément malheureux et seul.

Tel un homme perdu dans le désert taraudé par la soif, alors qu'un mirage se dessine devant lui, comme une mer d'eau lointaine, mais toujours accessible, il se jette à sa poursuite sans jamais rien trouver d'autre que du sable. Le temps devient alors une éternité, un éternel recommencement.

C'est comme une odeur dont on se rend soudain compte, alors qu'elle a toujours été là. Joueur, il se laisse porter par son flot, son cœur s'emballe, il est pressé d'arriver. Il la touche à peine, et pourtant, il sait que c'est elle ! Mais elle est toujours si loin... Son corps encore chétif, son âme dans toute sa vivacité l'appellent, voudraient crier sans qu'aucun mot ne sorte, qu'aucun son ne vibre, c'est simplement un appel, indicible. C'est elle ! La partie de son âme, ce fragment étincelant pour lequel il veut pour la première fois ouvrir les yeux, Lune... non... Luna. Pourtant, malgré ses appels incessants, alors que tout son être la réclame, elle reste inatteignable. Il aurait voulu pouvoir rouler jusqu'à son élue, mais toute la volonté du monde ne semble suffire à mouvoir cette coquille inanimée.

Un nouveau sursaut l'agite. Il espère, puis il se sent soudainement heureux. Ce lien qui s'est tissé lentement et sans un bruit entre eux les rapproche inexorablement l'un de l'autre, bientôt ils seront réunis et cette seule certitude permet d'apaiser un peu son cœur en détresse. Le sablier du temps s'écoule tranquillement et quand le dernier grain sera tombé, la main de la jeune fille se posera sur la coquille.
Ce sera alors l'instant de son éveil complet, encore un peu trop tôt, mais il a déjà tant attendu...