¤ Lorsque le hibou rencontre le moineau ¤

Ere d'Obsidienne an V, 22 Juillet

Esmelda Kohan, une humaine dont l'empereur elfique avait beaucoup entendu parler. Bien sûr, la renommée de la princesse des hommes avait déjà atteint ses oreilles bien avant qu'il n'accède au trône ou que cette dernière ne soit choisie par un dragon. La généreuse, c'est ainsi que beaucoup d'humains l'appelaient. Aegnor avait également entendu parler d'elle lorsque sa tante, Galadrielle, avait eu l'idée de la mariée à Elrond Amarië, un dragonnier issu du peuple sylvestre. Une idée saugrenue, maladroite et presque même grotesque qui avait laissé sceptique l'ancien prince qui à l'époque, à ses moments perdus, pensait comme le politicien qu'il devrait être. Mais, même aujourd'hui, l'Evanealle pensait que la décision de sa prédécesseure avait été mauvaise. Il y avait bien d'autres moyens d'améliorer les relations entre ces deux peuples qu'un mariage politique. Le blond ne considérant pas tel mariage comme quelque chose de viable. Et quant au fait qu'il s'agisse d'un elfe et d'humaine ? Le sylvain n'en avait eu cure, bien plus ouvert d'esprit que certains sur ce sujet. L'amour à ses raisons que la raison ignore. Même si en l'espèce, il était impossible de parler d'amour. Quoi qu'il en soit, Aegnor avait beaucoup entendu parler de cette princesse rebelle par le passé et encore plus aujourd'hui, sans pour autant n'être jamais allé vers elle. Une erreur, l'elfe aux yeux de feu la reconnaissait volontiers. Mais une erreur qui allait bientôt être rectifiée.

Si en effet, l'empereur des forêts avait beaucoup entendu parler de cette dernière en bien, nourrissant dès lors sa curiosité, il n'était pas le genre d'individu à se baser sur des paroles rapportées. Il devait confronter de lui-même les personnes pour se forger son propre avis. Il devait laisser ses yeux volcaniques scruter l'âme de son interlocuteur tel un livre et écouter les battements d'ailes de son hibou. C'est ainsi et seulement ainsi que l'empereur des elfes jugeait les gens, en bien ou en mal. C'est ainsi qu'il savait si la personne était un ami ou à l'inverse un ennemi. Alors l'Evanealle avait organisé une rencontre. Faisant part à cette dernière, il y a quelques jours, de son désir de la rencontrer dans un cadre moins officiel afin de discuter en toute tranquillité. Ce cadre serait sans doute plus qu'apprécié par cette dernière, Aegnor avait en effet entendu parler de son état. Non elle n'était pas malade, mais profitait tout simplement d'un des miracles de la vie. Il y avait beaucoup de rumeurs à ce sujet. Peut-être que l'ancien prince oserait lui poser quelques questions à ce sujet. Cependant, Aegnor ne venait pas la voir pour cela. Il venait la voir pour apprendre à la connaitre et qui sait, peut-être nouer une amitié qui servirait non seulement aux elfes, mais aux humains également, dans le futur. Le blond ne voulait pas croire que Vraorg apporterait la fin. Non, il voulait croire que ce dernier serait terrassé et qu'une paix pourrait voir le jour après tous ces terribles évènements. Et si paix il devait y avoir, c'était dès maintenant qu'il fallait la construire, afin de faciliter les échanges futurs.

Quoi qu’il en soit, l’empereur sylvestre s’était rendu en direction des appartements de princesse dans Fort-Espérance. Il avait été prévu, l’Evanealle étant soucieux de ne pas fatiguer cette dernière en raison de sa grossesse, que cela soit elle qui reçoit. Ainsi n’était-elle pas obligée de se déplacer. Arrivant, le blond fut accueilli par une jeune servante qui lui demanda d’attendre le temps que la dragonnière soit prévenue. Lorsqu’il en eut l’autorisation, le blond se présenta à la princesse, venant la saluer avec politesse.

« Bonjour, Dame Esmelda. Je suis heureux que vous ayez accédé à ma requête. Votre réputation vous précède et nombre d’humains ne tarissent pas d’éloges en parlant de vous. Mais, permettez-moi tout d’abord de vous féliciter quant à votre état. »

Les yeux volcaniques de l’Evanealle vinrent se poser sur la jeune femme face à lui, tentant déjà de sonder les profondeurs de son esprit avec son simple regard.

¤ Lorsque le hibou rencontre le moineau II ¤

Esmelda Kohan, oui Aegnor avait beaucoup entendu parler d'elle, et en bien uniquement. À vrai dire, même les critiques qu'on pouvait lui faire n'étaient aux yeux de l'empereur des elfes plus une qualité qu'un véritable grief. La princesse rebelle, c'est ainsi qu'elle était appelée chez les humains. Il faut dire que ce titre devait lui porter grief auprès de bon nombre de personnages haut placés au sein des instances humaines, plus à l'époque que maintenant. Mais la condition de la femme chez les humains n'en reste pas moins très différente de celle des femmes elfes. Une différence qui affligeait profondément l'Evanealle. Il avait, pendant un moment, étudié les lois de succession humaines, pour voir s'il y trouvait une inspiration quelconque, mais c'était attrister de leur masculinité. Une profonde folie aux yeux d'Aegnor. Mais les humains n'étaient pas connus pour leur grande sagesse et intelligence à l'inverse des elfes. Même si ces premiers avaient fait de grandes avancées et que ces derniers avaient grandement régressé. Quoi qu'il en soit, le blond en attendait beaucoup de cette princesse rebelle. Espérant ne pas se retrouver face une simple noble arrogante, bien que cette crainte ne soit pas le moins du monde fondée dans son esprit.

La généreuse, c'est également ainsi que les hommes la nommaient. Avec ce titre, elle dénotait grandement par rapport à son cousin Fabius dans lequel l'elfe n'avait vu que vilénie et égoïsme. Difficile à croire qu'une seule famille est pue produire deux êtres autant opposés. Tourner vers les autres, tourner vers le monde, c'est ainsi qu'Aegnor espérait trouver la jeune Kohan. Mais, cet espoir était sans aucun doute fondé. Nombre de rumeurs régnaient autour de cette dernière. Des rumeurs que l'empereur avait pu, plus ou moins vérifier à l'aide des divers renseignements qu'il avait pu obtenir. L'Evanealle n'avait que très peu de doute de trouver en cette femme une ennemie et non une alliée. Quoi qu'il en soit, c'est avec politesse que le blond salua la princesse dragonnière. Ou peut-être était-ce la dragonnière princesse. Ce second rôle s'avérant plus important que le premier, quand bien même les deux étaient très différents. L'humaine lui rendit son salut avant de lui répondre dans la langue des elfes. L'accent humain était toujours présent, mais elle le maitrisait plus que convenablement, c'était plaisant à entendre. Aegnor lui succéda quand elle l'invita à entrer.

«Je vous remercie. J'espère être donc à la hauteur de vos attentes. »

Oh, le blond aux yeux de feu l’espérait également. Mais à placer de trop grand espoir, on finissait toujours par être déçu, quand bien même jusqu’ici il n’avait jamais été déçu par aucune de ces attentes. Quant à être à la hauteur des attentes de quelqu’un d’autre, voilà un sentiment que l’empereur connaissait bien, puisque lui aussi espérait ne pas trahir les espoirs, que les personnes lui ayant fait confiance avaient pu, placer en sa personne.

« Merci, excusez-moi d'ailleurs de vite m'asseoir. Je ne peux plus me séparer de ce fauteuil. Que puis-je pour vous ? »

D’un geste de la main, Aegnor l’invita à faire.

« Faite donc, vous n’avez pas à vous excuser devant moi pour cela. »

Humble ? Non simplement lui-même. L’empereur n’allait pas demander à une femme enceinte de rester debout. Cela serait faire preuve de cruauté et cruel il ne l’était pas, contrairement à ce que son prénom pouvait laisser penser.

« Vraorg approche et le dénouement final également princesse. Les dernières pièces se mettent en place sur l’échiquier et cette sombre ère touche à sa fin. Demain, seuls deux choix s’offrent à nous : l’annihilation ou la construction. »

Sur ses paroles graves, l’ancien prince vint doucement s’asseoir sur un fauteuil, face à la princesse. Son regard orangé se posa sur elle et sur son ventre qui laissait transparaitre les signes de son état. Un sourire amical et vrai vint légèrement étirer les lèvres de l’empereur.

« Si le premier choix n’offre aucun avenir, le deuxième en revanche nous l’offre. Lorsque Vraorg mourra, l’échiquier de son ère sera renversé et un nouveau se mettra en place … ou plutôt un ancien, mis de côté depuis de longues années maintenant. Elfes, Humains, Vampires et Alayiens les uns contre les autres. Je viens vous voir, comme j’ai vu beaucoup d’Elfes, d’Humains et de Vampire avant vous pour renverser celui-ci. Afin que ne nous demeurions pas dans cette logique infernale de destruction, de massacre, de haine. Dans le but de trouver des partisans à une nouvelle logique … celle de la paix. Et j’ai bon espoir de trouver en vous, un partisan à ce projet. »

¤ Lorsque le hibou rencontre le moineau III ¤

Une tempête approchait, la princesse des hommes avait utilisé le mot parfait. Une tempête qui emporterait tout sur passage qu’on le veuille ou non. Une tempête qui balaierait Armanda dans son entier, une tempête qui frapperait chaque race. Mais voilà, si cette tempête arrivait bel et bien, les effets de cette dernière restaient encore inconnus. Serait-ce une tempête destructrice, ce qui définirait donc la victoire de Vraorg. Où serait-ce une victoire révolutionnaire, qui définirait la défaite du Tyran et l’évolution profonde des races et d’Armanda ? Où serait-ce encore une simple autodestruction ? La fin du Blanc, mais également des races et d’Armanda qui tous périraient pendant ou après la bataille. Les dés seraient bientôt jetés. Mais seul l’avenir découlant d’une victoire contre Vraorg pouvait être dessiné par les différents peuples. Parviendraient-ils à mener cette grande révolution, où continueraient-ils dans leur logique belliqueuse qui les conduirait droit vers l’autodestruction ? C’était pour répondre à cette question qu’Aegnor était aujourd’hui. Oh, non pas pour y répondre de manière définitive, mais pour tenter de s’approcher d’une réponse convenable. Pour s’assurer que la révolution qu’il espérait arriverait assurément. C’est donc en quête de partisans, dans les autres peuples, que le blond était parti. Il avait déjà pu, au cours de ces dernières années, se faire des alliés au sein de sa propre race, renforçant ainsi son pouvoir et son assise pour s’assurer qu’effectivement les elfes, dans leur entièreté, emprunteraient cette voie. Mais le fait que son peuple seul emprunte cette voie n’était pas suffisant à la réalisation de cet idéal. Les autres races devaient également suivre ce chemin afin que la paix soit une réalité. Et aujourd’hui, l’Evanealle s’était rendu auprès d’une jeune femme qui, il l’espérait, partageait ce rêve. C’est sans le moindre détour que le blond était allé droit au but. Malheureusement le temps jouait contre eux et il n’était pas connu pour être aussi patient, ou peut-être aussi lent, que nombre des siens.

« En effet, je suis une grande admiratrice de cette possibilité de vivre en paix, les uns avec les autres, dans nos différences les plus totales. Car je sais que cela est possible si nous prenons le temps de nous écouter et de construire au lieu de détruire. Nous avons pu en faire une courte preuve il y a de nombreuses années au domaine Baptistral. »

Un petit sourire satisfait et rassurer vint saisir les lèvres de l'ancien prince elfique à cette annonce. Esmelda Kohan était donc bien la femme qu'on lui avait décrite. Esmelda Kohan était donc bien la femme qu'il pensait qu'elle soit. Le blond s'avançait peut-être un peu trop, mais il était presque certain d'avoir trouvé une partisane en la personne de la dragonnière du dragon d'améthyste.

« Les épreuves que nous avons subies, que nous avons tous subies nous ont en effet rapprochés. Elles étaient, je le pense, un mal nécessaire, car tous nous étions enlisés par le passé des vieux conflits. Mais je ne peux que regretter que de telles épreuves aient été nécessaires pour faire changer les choses. Je déplore que nous n'ayons pu changer de nous-mêmes. Que nous avons été obligés de subir pareille intervention extérieure pour nous rassembler. »

Levant ses mains, l'empereur les bougea doucement, semblant parler avec celles-ci, accompagnant ses paroles.

« La chance tout comme les Esprits ne sont pas des alliés fiables princesses. Si ce conflit devait être remporté, je préférerais que cela soit par nous-mêmes. Sans la nécessité d'aide extérieure comme la chance ou les Esprits. Ce conflit avec Vraorg est avant toute chose un conflit entre lui et les Esprits. Nous ne sommes que victimes de ce dernier. Si nous parvenons à le défaire sans aide, alors nous passerons de ce statut de victime à celui de vainqueur. Nous en sortirions tous grandi et plus sage. Je le pense. »

L’une des domestiques de la princesse revint après quelques minutes d’absence, apportant, comme l’avait ordonné cette dernière de quoi les rafraichir tous deux. Marquant une petite pause, le blond prit le temps de se désaltérer, remerciant presque machinalement celle qui venait de le servir, avant de reprendre sans attendre.

« Vous dites vrai princesse. Des compromis seront obligatoires, bien que je le regrette, et tous ne seront pas prêts ou n'accepteront pas de les faire. Je saurais moi-même incapable d'en faire quelques-uns. Les exactions des Alayiens lors de l'aube rouge m'ont profondément marqué, aussi je doute êtres capables un jour de leur pardonner. Tout comme la trahison de Lorenz Wintel à cet instant. Et plus encore le cas de votre cousin Fabius Kohan qui a collaboré avec les Alayiens. Pour m'étaler plus longuement sur Fabius Kohan, je serais toujours un allié de Korentin et plus encore de la vérité et de la justice. Néanmoins les affaires de pouvoir d'un autre royaume ne concernent pas les elfes et je ne souhaite aucunement faire preuve d'ingérence, ni offrir une vision hostile de mon peuple. Aussi cette affaire entre vos deux cousins se devra d'être réglée par les hommes et uniquement par eux. Mais un soutien elfique sera toujours apporté à l'empereur légitime s'il en fait la demande, soyez-en certaine. »

L’Evanealle se tut, reprenant sa respiration, avant de venir s’adosser contre le fauteuil, croisant ensuite les doigts contre son ventre.

« Je n'ai pas encore fait part de ma volonté d'une paix future à Korentin Kohan. Mais je n'ignore pas qu'il le désire également. Il est donc inutile pour moi d'aller le voir et le déranger dans l'immédiat alors qu'il a fort à faire avec ses propres conseillers et Fabius. Concernant Roëric Alokor … j'émets quelques réserves sur la caste draconique. Même si je fonde certains espoirs en elle, son temps … n'est pas encore venue. Elle doit encore murir avant de pouvoir être présente auprès des royaumes. Cette organisation est jeune et en dépit de la légitimité que lui offrent les dragons … cette légitimité n'est rien en comparaison des peuples et du souverain qui les représente. Si une paix venait à naître. Ils pourraient en être les surveillants. Mais c'est aux royaumes eux-mêmes de parvenir à cette paix, sans aide extérieure. »

Oui, Aegnor voulait que les peuples y parviennent eux-mêmes. Sans l’aide des dragons, sans l’aide des Esprits. Les dragons avaient abandonné le continent et les bipèdes il y a bien longtemps, à cause de la guerre que les royaumes se menaient. L’Evanealle voulait prouver que les royaumes, après tant d’années, avaient compris la leçon et pouvaient, d’eux-mêmes, emprunter le chemin de la paix. Ces dernières épreuves les avaient grandis.

« Finalement, sur ce Kylian Wallam. Ce nom ne m’est pas inconnu, mais je n’ai malheureusement pas encore eu le plaisir de le rencontrer. Cependant, je compte rectifier ça au plus vite. Si je vous ai parlé de Fabius Kohan précédemment … Je ne vois pas en lui la plus grande menace pour la paix. Bien au contraire. La paix, plus que la guerre, lui serait favorable. Celui qui m’inquiète le plus est Lorenz Wintel. Je suis alors rentré en contact avec plusieurs vampires renégats. J’ai fait des rencontres assez exceptionnelles, je dois dire. Nombreux sont ceux qui partagent ce même désir de paix. Et tous ceux-là m’ont cité le nom de Kylian Wallam. J’ai également obtenu d’autres noms, de certains vampires désireux de prendre la place de Wintel … qui s’avèrerait être aussi pire que lui. »

L’empereur elfique lâcha un petit soupire.

« Lorsque Lorenz Wintel nous a trahis à l'aube rouge, je suis arrivé à la conclusion qu'aucune paix ne pourrait exister tant qu'il serait là, ou du moins à la tête de son peuple, car il ne respecterait jamais ses engagements. C'est un être profondément égoïste qui se servira de tout ce qu'il a sous sa main pour atteindre son but. Aussi, suis-je arrivé à la seule solution possible pour garantir la paix avec les vampires et sur Armanda. Il ne doit plus être à la tête de son peuple. Cependant si je souhaite faire cela, il faudrait que je fasse entrer mon peuple en guerre avec les vampires et le tuer lui. Mais faire cela reviendrait à aller à l'encontre de la paix et pire encore, nourrirait la haine qui existe entre elfe et vampire. La solution est donc des plus évidentes, ni elfes ni hommes ne doivent défaire Lorenz. La personne qui doit renverser Lorenz doit être un vampire. Un vampire qui porterait lui aussi cet idéal de paix. S'il existait un vampire suffisamment fort et empreint de noblesse ayant une chance de se mesurer à Wintel, alors je lui apporterais tout mon soutien dans cette entreprise. Car le changement et le chemin de la paix ne peuvent venir que de l'intérieur. Et non d'une intervention extérieure. »

¤ Lorsque le hibou rencontre le moineau VI ¤

Esmelda avait des positions particulières. Des positions que blond comprenait, mais qu'il ne pouvait pas pour autant accepter. Ils avaient des conceptions différentes de pouvoirs, de l'indépendance, de la politique, des alliances. La princesse apparaissait au regard de l'elfe comme naïve. Elle souhaitait composer avec tout le monde, cependant c'est une chose impossible. Tenter de composer avec tout le monde signifie ne contenter personne et au final se mettre tout le monde à dos. Il fallait choisir un camp et s'y tenir quitte à faire des malheureux, car c'est de la seule manière dont cela fonctionne. Puis il fallait choisir un cap et s'y tenir envers et contre tout.

« Il ne sert à rien de se lamenter sur nos erreurs passées. Oui nous devions penser à l'avenir avant. Mais nous ne l'avons pas fait. C'est pourquoi nous devons le faire dès à présent, sans perdre un instant. Avec le retard, nous avons accumulé beaucoup de travail et nous ne pouvons pas nous permettre de perdre plus de temps. Nous devons accepter nos erreurs, endosser leurs responsabilités, apprendre d'elles et enfin avancer puis les réparer. Certains d'entre nous étaient réveillés avant les autres. J'en faisais partie, mais par égoïsme, par rejet de mon héritage, je me suis tenu loin du pouvoir, cherchant à m'en soustraire. Mais la réalité a fini par me rattraper. Un mal est parfois nécessaire lorsque la situation est enlisée, princesse. Un choc doit se produire afin que les consciences cessent de s'aveugler. Je le regrette, mais c'est ainsi. Même si certains voyaient déjà les problèmes que d'autres refusaient de voir, il est naïf de croire avec certitude qu'ils auraient été un jour entendu. À moins de prendre les choses en mains, ou à moins d'un choc, c'est là le seul moyen d'être certain que les choses changeront dans le bon sens. »

L’empereur elfique lâcha un petit soupir.

« Je sens votre dévotion envers les Esprits dans vos paroles, princesse. Je la respecte. Je respecte les Esprits, je ne nie pas leur pouvoir, ou ce qu’ils sont. Mais je suis quelqu’un de rationnel. Il n’est pas dans mon intention de me reposer constamment sur quelque chose. Je n’ai pas l’intention de rendre mon peuple dépendant des Esprits. Comme vous le dites si bien, les Esprits sont restés effacés de notre réalité pendant longtemps. Ils ont leur propre préoccupation, leur propre intérêt. Nous sommes certes leurs créations, mais si vous voulez mon avis nos décennies de guerre les ont profondément déçus. Je suis au regret de vous annoncer que je ne pense pas … que notre survie soit dans leurs préoccupations. »

L’Evanealle se redressa un peu sur son siège, posant son regard sur la Kohan.

« Cette guerre est effectivement la leur. Mais plus seulement, nous sommes victimes de cette guerre. Elle est donc devenue la nôtre également. Les Esprits ont combattu au début, mais plus maintenant. Voilà longtemps que nous ne les voyons plus parmi nous. Qu'ils ne nous répondent plus. Je ne peux, objectivement, considérer des individus qui vont et viennent comme un élément sur lequel je peux compter. Nous devons donc nous débrouillons sans eux aujourd'hui. Ils en ont fait suffisamment pour que nous puissions nous passer deux. La lisière magique qu'ils ont dressée éloigne sur l'heure Vraorg, elle nous permet donc de nous préparer pour la bataille finale. Ensuite, une arme créée par les Esprits a été découverte et une partie a été ramenée ici. Nous avons les outils pour mener ce combat sans les Esprits à nos côtés, princesse. »

Aegnor vint croiser ses doigts, tapotant doucement ses pouces l’un contre l’autre.

« Je ne vois pas les dragons comme des armes, Esmelda. En particulier quand on voit comment Vraorg a été capable de les soumettre pour les retourner contre nous. Mais vous faites erreur. Je n'ai pas l'intention de les exclure de ce combat, ils ont toutes les raisons du monde d'y participer. Et je n'ai pas non plus l'intention de les exclure de la paix. Seulement de sa construction. La paix est une affaire entre royaumes et rien de plus. Si la caste draconique y participait, sa puissance pourrait être perçue une contrainte exercée à l'encontre des royaumes afin de l'obtenir. Et une paix obtenue par la contrainte n'est pas la paix. Ils auront en revanche un rôle à jouer après sa construction, pour son maintien. Étant indépendante, elle pourrait s'assurer du respect des engagements de chacun. Mais elle ne doit pas prendre parti à sa construction. Les races doivent montrer qu'elles peuvent, d'elles-mêmes mettre fin à ce conflit qui a déçu les dragons et les ont fait quitter Armanda. Nous devons montrer que nous avons retenu la leçon. Si nous nous faisons aider, alors nous n'aurions rien appris, nous n'aurions rien pu faire par nous-mêmes. Comprenez-vous où je veux en venir ? »

Doucement, le blond vint reposer son dos contre le dossier du fauteuil.

« Enfin … votre position concernant Lorenz me laisse profondément perplexe, princesse. Et … je ne peux pas l’accepter. Les vampires sont intelligents. Leur mode de fonctionnement est certes basé sur la force, mais ils n’en sont pas pour autant stupides. Si cela avait été le cas, la trahison de Lorenz Wintel à l’aube rouge n’aurait pas entrainé une scission. Tous l’auraient suivi. Et pourtant, certains sont restés au sein de la rébellion. Lorenz est plus faible que jamais en ce moment. La domination de Vraorg sur son peuple l’a discrédité. Je pense qu’une occasion comme celle-là ne se représentera jamais. Le peuple vampirique peut se débarrasser de lui et ainsi emprunter une autre voie. Composez avec Lorenz maintenant signifierait lui apporter du crédit et donc le renforcer. Faisant s’envoler le meilleur espoir de changement que n’ait jamais eut le peuple de la nuit. »

Le regard orangé de l'empereur zieutait un peu autour de lui avant de se reposer sur la princesse, un regard assez dur.

« L'effroi que vous inspire Vraorg voile vos raisonnements, princesse. Je le comprends. Mais cela pourrait vous mener à l'échec. Il me fait peur moi aussi. J'ai peur de ce qu'il pourrait faire à mon peuple. Mais la peur ne me déstabilise pas. Ce n'est pas en rassemblant un agglomérat de force discordante que nous le ferons tomber. Des puissances synergiques sont plus fortes qu'une addition vulgaire de puissances antagoniques. Je ne veux pas d'individus qui se retourneront contre moi à peine l'ennemi commun au sol. Je ne cherche pas à construire l'avenir, Esmelda Kohan. Pas l'autodestruction»