¤ La cendre et le soufre ¤

An V d’Obsidienne, 30 Janvier

Les montagnes fumantes, ces anciennes chaines de montagnes devenues une chaine de feu. Verith les avait parcourus, volant avec plaisir et habilité entre les nuages de cendres et de fumée qui s'échappaient de ces montagnes. Dans cette chaleur bouillonnante, le dragon rouge avait volé, comme il avait volé autrefois. Le colosse de flamme avait survolé le triomphe de Vraorg, ressentait le combat qui avait eu lieu dans cet endroit. Il s'était posé sur une des bordures du cratère du plus grand volcan. Il avait laissé la lumière dégagée par la lave en fusion éclairer ses écailles, il avait laissé cette eau de feu illuminer ces écailles comme un ciel plein d'étoiles l'aurait fait. Le colérique était demeuré un long moment dans cette fournaise digne d'un dragon. Cette fournaise où lumière et obscurité s'entrelaçaient, dansant dans cette immense chaleur. Verith avait laissé la nostalgie l'envahir. Doux, doux souvenir que ceux du continent du dragon. Que serait-il devenu s'il était resté là-bas ?

Le colérique avait-il des regrets ? Éprouvait-il des regrets d'être parti pour Armanda ? Non, il n'en éprouvait pas le moindre. Il serait demeuré demeurer dans l'ignorance en restant là-bas. Ignorant que son frère était mort. Ignorant les monstres, les fous, les traîtres et les menteurs qui vivaient ici. Tant d'absurdités, tant d'erreurs, tant de folies qu'ils auraient ignorées... et qu'il n'aurait pas cherché à détruire. Oh, il aurait sans doute eu un sort plus enviable que maintenant ... mais bercer d'ignorance. L'enfant de l'ire ne pouvait accepter cela. Le rouge huma les émanations toxiques en provenance du volcan comme s'il s'agissait du plus pur des airs. Atmosphère nauséabonde et oppressante pour toutes choses. Mais pas pour Verith. Au même titre qu'une luxuriante forêt était pour les elfes une merveille, ces volcans étaient pour le dragon rouge ... une magnificence. Puissent-ils exploser de leur magnifique puissance et ravager et tous les êtres infâmes y demeurants. Quel plaisir cela serait... Mais moins grand que s'il le faisait de lui-même.

La queue du rouge claque avec violence, tonnant parmi les remous de la lave bouillante qui par moments sautait en l’air. Quel dommage qu’il ne puisse pas voir cela. Quel dommage qu’il soit aveugle. Verith aurait grandement apprécié pouvoir voir ce spectacle. Que l’eau de feu vienne éblouir son regard, l’imprégnant d’un nouvel éclat. Chaudron bouillant d’un liquide ravageur. Le dragon en aurait presque dansé dans les airs sous cette exaltation. Magnificence … une magnificence qu’il ne pouvait voir. Saisissant un rocher entre ses griffes, il le pressa comme si ce rocher était Edwyn, Vie ou Vraorg. Son cœur gronda avec force, se soulevant sous l’ire qu’il dégagea soudainement. Le morceau de roc commença à s’effriter, manquant de se rompre et s’éclater à chaque instant. Mais le rouge maintenant une pression de telle sorte à ce qu’il n’explose pas en un instant. Qu’il se brise petit à petit en souffrant comme s’il s’agissait d’un être vivant. Puis rageur il le lança dans la lave en un « ploc » tandis que le rocher se mit à fondre.

L’ombre et l’obscurité dansaient autour du dragon autour de cette fournaise digne d’un dragon. Brule, brule, brule … que le monde brule … Il entendait à nouveau cette phrase qu’il avait lancée dans sa fureur à Edwyn. Que le monde brule, que personne n’en réchappe. De la plus petite créature au plus grand souverain. De l’être le plus insignifiant aux Esprits eux-mêmes. Un rire s’échappa de lui. Vraorg, il n’était qu’un prélude tout compte fait. La vision qu’il avait eue avec Edwyn. Ce n’était pas Vraorg qui mettait les huit à terre. Non c’était les Chimères, les Ombres. L’arrogant n’était pas là, mais Néant était là, prouvant qu’elle serait libérée. Le blanc finirait par disparaitre d’une manière ou d’une autre.

De longues semaines s'étaient écoulées depuis son séjour à Morneflamme. Un doux moment, qui apparaissait presque comme des vacances. Le silence, le plus grand silence qu'il n'avait jamais pu entendre depuis qu'il avait été frappé de la malédiction de Vie. Frapper d'empathie. Rien, absolument rien dans ces montagnes fumantes n'était venu troubler son coeur rempli de ressentiments. Rien. Aucun râle de prisonnier de la prison de Morneflamme. Aucune peine ne l'avait atteint. Il y serait bien resté, mais il avait d'autres choses à faire que flâner. Il devait trouver un moyen de se libérer de ses entraves. Tout d'abord de sa blessure et de celle d'Alford, car il lui devait. Ensuite de la malédiction de Vie, et enfin de Vraorg. Pourquoi ne pas commencer par ce dernier ? Car cette aberration avait le pouvoir d'effacer les deux premières. Il suffisait de trouver le moyen de le pousser à le libérer. Ce ne serait pas facile, mais il devait y avoir un moyen.

La queue du rougeoyant fouetta l’air tandis qu’il survolait. Sans la moindre difficulté, il avait longé la barrière dressée par les esprits. Voilà à quoi en étaient réduits les Esprits. À se cacher derrière une barrière. Le rouge s'était attendu à mieux de leur part. En particulier face à un être comme Vraorg. Le blanc était une erreur, une abomination, le colérique avait presque envie de vomir à chaque fois qu’une pensée effleurant son esprit le concernait. Cet être était premièrement un dragon lié, ce qui n’était pas un point positif. Plus encore, il avait jeté l’opprobre sur la race draconique en trompant de la manière la plus déloyale et infâme qui soit un esprit. Mais enfin et surtout… il avait la capacité de se changer en bipède et en plus il l’utilisait. Dégoutant … écœurant … cet être était le plus souillé qu’il lui avait été donné de voir … fin de croiser. Son existence était une insulte. Comme les esprits avaient-ils pu laisser un tel être existés. Lui et son ignoble lié. Décider Vraorg et Edwin faisaient bien la paire. Deux immondices réunies. Si l’opportunité lui était donnée de remonter le temps, il les tuerait tous les deux sans la moindre hésitation.

Caladon, une infecte création digne d'un bipède s'élevait petit à petit. Prochaine forteresse de Vraorg. Nouvel amas d'excréments qui défigurerait un peu plus Armanda, la terre des dragons. Les mâchoires de Verith claquèrent férocement alors qu'il commença à perde de l'altitude. Caladon n'était pas sa destination. Mais un camp plus petit de la théocratie d'où partaient des troupes pour combattre le protectorat des esprits. Le rouge se posa, faisant trembler la terre et souleva la poussière. Il portait encore sur lui malgré sa traversée l'odeur des volcans. Parfum de cendre et de soufre se mêlèrent à l'atmosphère tandis qu'il infligeait une claque mentale à divers bipèdes qui se trouvaient trop proche de lui pour leur faire comprendre de déguerpir et au plus vite. On lui imposait leur présence et il les supportait. Mais il y avait des limites et n'hésiterait pas à réprimander les fous qui viendraient à les franchir. Cependant ceux-ci la majorité d'entre eux en avait conscience.

L’esprit du dragon passa sur les soldats qui se préparaient à partir au combat. Que les bipèdes aillent s’entre-tuer, cela ne fera que moins de vermines à exterminer une fois le blanc tomber. Car il tomberait, sans le moindre doute. Finalement son esprit rencontra celui d’un bipède familier. Alford Gorder.

¤ Le plaisir de la haine ¤

Verith avait atterri sa douceur habituelle dont il avait sa propre définition. Souleva terre et poussière à l'aide de ses larges ailes, il entendit des bipèdes tousser sous ce soudain amas obstruant l'air. Qu'ils étouffent, mais au moins en silence. Sans attendre, le colérique chassa les êtres se trouvant autour de lui. Il n'autorisait aucun de ces gens-là à s'approcher de lui. Leur présence lui était imposée à son plus grand malheur. Mais ce n'est pas pour autant que son comportement vis-à-vis d'eux changerait. Bien au contraire, il se montrerait pire qu'avant. Verith n'aimait pas qu'on lui force la main. Cela avait simplement l'effet contraire ce qui était désiré. Même si faire ami avec les bipèdes n'était pas une chose que lui avait imposée Vraorg. Il devait simplement faire avec, ce qui déplaisait déjà souverainement au colosse de flammes. Parmi la masse grouillante de bipèdes se trouvait Alford Gorder. Il repéra facilement l'esprit de son protégé. Tout particulièrement parce que celui-ci s'approchait de lui. Il se demandait s'il avait changé, physiquement du moins, depuis qu'il avait posé ses yeux sur lui la première fois. Un bipède restait une créature laide à ses yeux, mais étant un protégé, il se permettait certains écarts vis-à-vis de sa conduite habituelle. Montrant un certain intérêt.

L’humain finit par arriver face à lui. Il se positionna et, d’après ce que peut deviner Verith, le salua. Cela flattait certes l’orgueil du dragon, mais pour Alford il n’approuvait qu’à moitié. Il était blessé et s’agenouiller ne ferait que faire jouer les chairs calciner de sa cuisse.

« Salutations c'est un honneur, et toujours un plaisir de vous voir dragon de l'ire. Que nous vaut ainsi l'honneur de votre présence ? »

Un honneur certes. Cependant, à chaque fois qu'il entendait un bipède dire que le voir est un plaisir, il ne pouvait s'empêcher de s'en amuser et de s'en courroucer. Lui dragon de l'ire, qui avait semé la terreur dans les campagnes humaines à son arrivée et qui avait commis de nombreux massacres depuis que Vraorg le contrôlait, dire que le rencontrer est un plaisir était presque ironique. Et courroucer, car si un bipède disait cela, c'est qu'il ne se montrait lui-même pas assez mauvais envers cette race qu'il souhaitait voir éteinte. Néanmoins, encore une fois cela provenait d'Alford Gorder, l'un de ses protégés. Ce n'était donc pas la même chose.

« Je crains que cela ne soit nul autre que Vraorg. Je ne peux pas m’absenter de la ligne de front de manière indéfinie. »

Le rouge dit cela en grommelant, lâchant un petit grondement sourd qui fit vibrer ses écailles. Certains soldats du camp se risquaient à les regarder. S'interrogeant quant à la manière dont l'humain avait bien pu faire pour que le dragon irascible tolère sa présence, alors qu'il chassait tout le monde et refusait que l'on approche à son atterrissage. Captant leur sentiment, Verith lâchant un grondement dans les esprits, ceux-ci prenant bientôt leur jambe à leur coup pour déguerpir vite de là en sentant l'envie de meurtre du fils de l'orage.

Bientôt les pensées et sentiments d’Alford lui parvinrent, celui-ci venant les envoyer au travers de la marque que lui avait imposée Vraorg. Et Verith en saisissant toute la profondeur grâce à la malédiction de Vie. C’était l’unique bon aspect de cette malédiction. Lorsqu’il rencontrait un individu chargé de haine et de colère, cela adoucissait son cœur qui est lui aussi dominé par ces derniers.

* De toute ma vie, je n'ai jamais eu autant envie de tuer quelqu'un, ni autant haï quiconque. Si je le pouvais, je le tuerais. Cela me fait peur, car je crois que j'y prendrai même plaisir... *

L’esprit de Verith passa sur celui d’Alford comme une caresse réconfortante.

« Ce que tu ressens Alford, je le ressens aussi. Beaucoup d’êtres le ressentent également. Mais de moindre façon. Vraorg a braqué contre lui la haine et la colère des gens. Mais je suis bien placé pour connaitre le pouvoir de ces sentiments. Un jour il le regrettera amèrement. Ce sentiment doit être nouveau pour toi Alford. Je suis né avec l’ire et l’animosité. Depuis mon premier souffle, je les ressens. Et depuis mon arrivée sur Armanda, ce sentiment s’est décuplé. »

L’esprit du rouge caressa à nouveau celui de son protégé, mais à rebrousse-poil cette fois. La douceur s’évanouit lui laissant ressentir une partie de l’étendue de sa colère. Si première caresse avait été douce, celle-ci ressemblerait plus à une brûlure. Mais Verith n’avait aucunement l’intention de blesser Alford, aussi n’en souffrirait-il pas.

« Il ne faut pas la craindre Alford. Colère et haine apportent puissance à celui qui sait s’en servir. Mais cela reste un chemin périlleux, car l’on peut s’égarer sur le chemin de la cruauté. Je m’y suis déjà perdu quelquefois. J’en ai tiré un plaisir, mais ce n’est pas un bon plaisir non. Il n’est pas saint. »

L’enfant de l’orage retira son esprit de celui de Gorder et continua.

« Tu peux prendre du plaisir à tuer quelqu’un, ce n’est pas un mal. Mais ce plaisir doit provenir du coup meurtrier que tu donnes à l’objet de ta haine. Tous tes ressentiments à son égard qui se déverse à lui en une fraction de seconde au travers de la plaie mortelle que tu lui infliges. Ce bref instant où tu te sens léger, libérer de l’accumulation de ta colère. Une libération, car tu sais que justice a été rendue. »

Le rouge leva sa patte blessée et agita ses griffes d’ébènes, les faisant cliqueter les unes contre les autres en les entrechoquant avant de les serrer les unes contre les autres, semblant devenir une lame noire.

« Crois-moi, la dague qui aurait dû servir à transpercer le cuir de Vraorg n’est plus. Mais c’est une lame d’ébène chargée de toute la colère du monde qui la remplacera. »

¤ Ta naïveté te perdra ¤

Ce qu’était la colère, ce qu’elle représentait, la force qu’elle pouvait être. Verith semblait de plus en plus s’employer à l’enseigner ces derniers temps. À défaut de pouvoir l’exprimer en tuant et détruisant, il se contentait de la répandre en faisant pencher les cœurs de ses interlocuteurs. Une fois de plus il n’avait parlé de sa voie colérique qu’à ses deux protégés. Toutefois les circonstances justifiaient son enseignement. Le rouge estimait qu’il pouvait en avoir besoin, qu’elle pourrait leur être utile. Saemon l’avait déjà saisi, il devait simplement s’assurer qu’il continue d’arpenter ce chemin jusqu’au bout. Qui sait ce que cela pourrait donner. Un bipède de l’ire ? Cette pensée était hilarante, grotesque et pourrait presque paraitre insultante. Mais c’était l’œuvre de Verith. Lui le dragon complexe dont les paroles et points de vue peuvent diverger à certains moments.

« Pourtant il mériterait de souffrir, ce serait justice, mais je comprends où vous voulez-en venir, à faire ainsi je ne vaudrais pas mieux que lui. »

Ressembler à Vraorg est sans doute l’une des pires tares qui peuvent exister en ce monde. Cependant, lui ressembler en certains points, serait moins écœurant que d’autres. C’est avec plaisir que Verith supporterait une comparaison avec Vraorg pour sa cruauté. Mais pas pour sa lâcheté et sa fourberie. Deux attributs dont le blanc avait fait preuve pour leurrer Väsà.

L’esprit du bipède semblait se fatiguer à force de parler par la pensée. Ces créatures n’étaient pas faites pour converser comme les dragons. Verith ressentait cela. Aussi quand l’humain lui demanda s’il pouvait s’éloigner pour continuer à converser le rouge accepta sans broncher. Il y trouvait lui-même son intérêt. S’éloigner des autres bipèdes puants. Le colérique le suivit, marchant lentement. Il avait appris à cacher sa pseudo infirmité. La brulure à ses écailles lui faisait boiter une patte. Mais en trois ans il avait appris à compenser cela. Il ne pouvait se permettre de laisser transparaitre le moindre signe de faiblesse. Il avait une image à soigner. Celle-ci avait déjà bien souffert ces derniers temps, inutile donc de l’aggraver. Les deux compères s’éloignèrent du camp, suffisamment loin pour éviter les yeux et oreilles indiscrètes. Alford pourrait parler en toute franchise.

Verith se retint de ne pas s'esclaffer aux premières paroles qui sortirent de la bouche de son protégé. Alford Gorder était un humain bien naïf. Après tout c'est bien pour cela qu'il était l'agneau sacrifier d'Edwyn Ruddy. Au moins ces tragiques évènements lui mettraient un peu de plomb dans la tête et l'aideraient à se débarrasser de sa naïveté qui pourrait un jour lui coûter la vie.

« La bonté n’est qu’une fable Alford Gorder. Tu ferais mieux de chasser cette idée de ton esprit. Il y a seulement des créatures moins pires que les autres. Vraorg se trouve dans les bas fonds malheureusement. Il est toutefois amusant de soulever qu’il est au même titre que nous, une création des esprits. »

Chacun est l'architecte de sa propre destruction, il ne tient qu'à nous de la détruire avant que celle-ci ne nous détruise. C'est ce qu'en avait conclu Verith depuis sa rencontre avec Edwyn. Ils avaient mutuellement provoqué leur colère et le rouge avait tenté de le mettre à mal en s'emparant de la dague, mais au final celle-ci avait été détruite libérant Vraorg. Un cercle vicieux en somme.

« Je veux être là le jour où vous lui arracherez le cœur, je veux voir le monde débarrassé d'un être abominable qui n'a apporté que le mal. »

Le colérique fit cliqueter ses griffes d'ébènes avant de dire avec une pointe d'humour dans la voix.

« Je ferai en sorte que tu sois aux meilleures loges pour assister à ce spectacle. »

Bientôt le sujet redevint sérieux. Le ton de l’humain changea tandis qu’il retirait son armure. Ah, lui avait de la chance de pouvoir retirer son armure. Celle que lui avait « offerte » Vraorg n’était rien de plus qu’un carcan immonde et humiliant. Un jour il se l’arracherait. Le jour où il retrouverait sa liberté. Une liberté muselée par Vie et Vraorg qui s’en étaient arrogé le droit. Mais nul n’en avait le droit.

Verith visualisa avec son esprit l'humain et ce qu'il voulait lui montrer, tout en l'écoutant. Une marque se trouvait sur son cœur. De la puissance s'en dégageait et le dragon la capta. La marque de Néant. Ainsi Alford était devenu le marcheur de Väsà. Bah, tout cela était grotesque. L'esprit du Néant l'avait marqué comme un animal. Comment osait-elle ? Gorder était son protégé, sa propriété.

« Qu'en pensez-vous noble Verith ? »

La question tomba lourdement dans l’esprit du dragon rouge. Ce qu’il en pensait. Rien de bon hélas.

« Ne fais pas confiance aux esprits, ni à ceux qui s’en prétendent les serviteurs. C’est l’une des leçons que j’ai apprises de ma rencontre avec Edwyn. J’ai beaucoup de peine et de respect envers Väsà en raison de sa situation et la honte qu’a apportée Vraorg sur mon espèce en lui volant ses pouvoirs à la manière d’un lâche. Mais elle reste un esprit et depuis ma rencontre avec Vie je ne peux dire que j’ai une bonne vision d’eux. Ta liberté ? Regarde donc sur ton cœur Alford. Elle t’a marqué comme les bipèdes marquent leurs bétails. Te rendra-t-elle ta liberté ? Foutaise. Elle t’arrachera à Vraorg afin de te posséder rien de plus rien de moins. »

Verith déploya un peu ses ailes afin de les étendre avant de les replacer convenablement dans son dos. Son ton se fit ensuite grave.

« N'oublie pas une chose Alford. Väsà a vu son cœur arraché, ses pouvoirs volés ainsi que sa propre liberté, par une créature dont elle s'est éprise et qu'il l'a trompé. Si j'étais à sa place, la seule chose que je désirerais c'est retrouvé ma liberté peu importe les moyens employés. Et une fois libre, je viendrais frapper de ma colère celui qui m'a fait subir ça sans me préoccuper du sort des autres créatures. Tu as été trompé par Edwyn, Alford. Ne commets pas la même erreur. Reste vigilant.»

¤ Stupide bipède ¤

La queue du dragon rouge battait lentement l’air dans son dos. La colère était omniprésente chez le dragon rouge, mais il était facile de voir l’ampleur qu’il prenait à chaque instant dans son esprit en observant le rythme avec lequel le colérique balançait son appendice. Si elle claquait violemment, il était vraiment en pétard. Si elle se contentait, se faire l’éventail comme en cet instant, c’est qu’il était plutôt calme. Et si elle ne bougeait plus … bah c’est que le dragon devait être mort. Mais cela n’était pas près d’arriver. Après tout comme l’avait dit Vie, il survivrait. Maudit esprit.

« Je doute qu'il y ait pire que Vraorg en ce monde… »

Verith fronça quelque peu ses sourcils draconique, tandis que sa queue fit siffler le vent dans un mouvement un peu plus rapide. Alford le naïf. Il y avait toujours pire, il existait toujours pire. Vraorg était une sommité, cependant l'enfant de l'orage était persuadé que pire que l'albinos pourrait un jour apparaitre. Ce qui est bien avec le concept de futur, c'est que l'on peut toujours faire mieux ou pire qu'avant. Un grondement sourd résonna dans l'esprit du dragon à cette pensée. Lentement le duo s'était éloigné du campement afin d'avoir plus de tranquillité et aborder des sujets plus sérieux. Sans que la moindre oreille indiscrète ne vienne les écouter. Ce qui n'était pas totalement vrai puisque Vraorg était omniprésent dans leur esprit, il pouvait donc aisément les observer. Cependant cela n'avait pas d'importance. Puisqu'il était impossible pour eux de cacher quoi que ce soit au blanc, autant faire de comme s'il n'était pas là.

Le dragon rouge mit en garde l'humain qu'il avait choisi de placer sous sa protection. Gorder était stupide et naïf aux yeux de dragon. Il s'était fait berner une fois et n'en avait tiré aucune leçon, fonçant tête baisser. Il l'aurait presque attrapé dans l'une de ses pattes pour le secouer dans tous les sens afin de lui remettre les idées dans l'ordre. Mais il n'aimait pas toucher les bipèdes autrement que pour les tuer. L'humain sembla rester perplexe aux avertissements de Verith. Oh, la liberté. La faire miroiter devant ces yeux pour l'amener à faire ce que l'on souhaite, tout en faisant peser sur lui la menace d'une possible blessure. Väsà semblait connaitre le baba de la manipulation. Et Alford était suffisamment stupide pour tomber dans le panneau. Cependant le rouge était extrêmement sceptique en ce qui concernait les esprits depuis les derniers évènements. Il n'était donc pas totalement impartial dans sa réponse. Cependant, il n'avait pas tout à fait tort.

« Je ne sais quoi te répondre Alford, mis à part ce que je t’ai déjà dit. Si j’étais à ta place, je me méfierais des esprits. Néant te fait miroiter cette si chère liberté, s’en servant comme carotte. Dernier elle fait planer la menace de Vraorg, s’en servant comme bâton. Et enfin elle exige de toi un sacrifice. Si tu veux mon avis Gorder. Väsà est peut-être en mesure de t’aider à te libérer, mais elle n’est pas en mesure d’empêcher Vraorg de déchirer ton âme. Les blessures que Vraorg pourrait t’infliger sont justement le sacrifice qu’elle te demande de payer. »

Un grondement colérique s’échappa du dragon rouge.

« Que vaut ta vie face à notre liberté à tous ? Stupide bipède. C’est avec ce genre de raisonnement que les esprits trouvent leur justification à utiliser leurs créations comme un vulgaire jeu. Ne te trompe pas Alford, je ne te demande pas de conserver ta vie par égoïsme. Mais bien par raison. Quelle créature souhaiterait mourir hormis un fou qui a accepté d’être le jouet d’un esprit ? »

« Dans tous les cas tout si la dague a disparu c'est en grande partie ma faute, c'est à moi d'assumer les conséquences de cela. Mais vous avez raison, Néant ne devrait pas être ma seule possibilité dans l'idéal. Mais à l'heure actuelle nous ne savons pas quoi faire pour nous libérer du règne du blanc… En avez-vous une idée pour vôtre part oh Verith de l'ire ? »

Un léger rire sarcastique et mauvais s’échappa de Verith.

« Ta faute ? La dague était un objet des esprits. Ni toi, ni moi n’avions le pouvoir de la détruire. Ce sont les esprits qui l’ont détruite. Ce sont les esprits qui ont libéré l’esprit de Vraorg. Pas toi. Toi, tu as simplement fait le choix de ne pas être le jouet des esprits et d’Edwyn. Tu as fait le choix de savoir. Edwyn t’a ordonné une chose en te mentant et sans te révéler vers quoi cela t’emmenait. L’arrogance de Ruddy l’a poussé à penser qu’il pouvait exiger de toi une confiance aveugle. Mais ce n’est pas le cas. Cesse de te tourmenter ainsi Alford Gorder ou je te dévore sur-le-champ. »

La voix de Verith était redevenue ferme, si bien qu’il était impossible de dire si sa dernière phrase était bien dite avec humour, comme elle pouvait le laisser suggérer vu qu’Alford était son protégé, ou s’il s’agissait d’une réelle menace que le dragon allait mettre en œuvre.

« Quant à moi… et bien j'attends le bon moment. Je me prépare, je rassemble des connaissances, je m'exerce en vue de l'opportunité qui me permettra de me libérer et de pourfendre l'albinos. Edwyn et moi avons vu l'avenir Alford. J'ai vu les esprits jonchant le sol et baignant dans leur sang tandis que le monde était en proie aux flammes. Et Vraorg n'était pas la personne qui avait fait choir les huit de leur piédestal »

Oui, les chimères et les ombres devaient massacrer les esprits et le reste du monde. Pas Vraorg l’arrogant. Verith n’avait donc aucune inquiétude. L’opportunité de se libérer approchait un peu plus chaque jour. Il avait juste à se tenir prêt. Et si jamais cet évènement tardait à venir, alors il le créerait lui-même. Le rouge ne comptait pas trop sur une intervention extérieure pour lui venir en aide. Sa liberté, il devait la récupérer seul. Car si personne n’avait le droit de la lui retirer, personne n’avait non plus le droit de lui rendre. Sa liberté était inaliénable.

« J’y pense. Alford, je veux connaitre une chose. Un souvenir plus exactement. Il a trois ans, face à la porte menant au chemin jusqu’à la prison de Vraorg, j’ai fait volte-face et suis parti. Vraorg m’a ordonné d’aller tuer Fabius Kohan. Le passeur, celui qui est destiné à arracher le cœur de Väsà de la poitrine de Vraorg, comme il l’est dit la prophétie. Mais plus encore, même s’il ne m’avait pas ordonné d’aller m’occuper de Fabius, je n’aurais pu vous suivre. La porte m’en aurait empêché. Je voudrais donc voir et savoir ce qui s’est exactement passé. Une fois la porte franchie … et jusqu’à la sortie de Vraorg et sa prison. Laisse-moi avoir accès à ta mémoire Alford Gorder. »

¤ Celui qui n’a d’autre droit que de mourir ¤

Faire confiance à un esprit, savoir si l’on pouvait ou non faire confiance à un esprit. Là était la véritable question. Pour Verith la réponse était un nom catégorique. Mais plus encore, a question que pouvait se poser Verith était, fallait-il faire confiance en règle générale ? Le rouge aurait été plus mitigé. Oui il pouvait accorder sa confiance au sien, mais à personne d’autre. Se voir trahir était une expérience très désagréable et le colérique l’avait vécu. Il en avait tiré une leçon amère et il n’était pas près de commettre la même erreur que par le passé. Il avait fait l’erreur de faire confiance, ou plutôt de placer un soupçon de sa confiance. Pire encore, il avait fait l’erreur se s’écarter de sa voie. S’il avait tué Edwyn à la première occasion comme sa colère lui avait commandé de faire, il ne serait pas là aujourd’hui. Le dragon renâcla un peu à cette pensée.

« Je ne veux pas mourir… Ce que je veux c'est retrouvé ma liberté, et faire cesser tout cela. »

Voilà enfin des paroles sensées qui sortirent de la bouche de ce bipède. Souhaitez vivre, échapper à la mort et retrouver sa liberté. Oh moins Alford Gorder n'était pas un fou comme Edwyn. Ne pas avoir peur de la mort, vouloir mourir. Folie que cela, car la mort est la fin. C'est une voie sans issue menant vers l'immobilisme. Une chose parfaite inacceptable aux yeux du dragon de l'ire.

« Je ne veux pas mourir pour échapper à son joug, je veux vivre pour voir sa chute. »

Le coin des lèvres du dragon s’étira légèrement, dévoila ses crocs, en léger un sourire carnassier. Rien ne pouvait le mettre plus en joie que de telles paroles. Au moins l’humain semblait avoir retrouvé ses esprits. Là était le plus important. Vivre pour voir la chute de son ennemi. Et c’est bien ce que comptait faire Verith, mais plus encore il avait bien l’intention d’y participer. Non le rouge ne voulait pas être un simple spectateur, mais bien un acteur. Avoir l’opportunité de lacérer de ses griffes le cuir de cet albinos écœurant.

« La suite ne sera guère simple, je suis connu comme un félon dans tout le continent, et détesté de presque tous, le chemin sera semé d'embûches même si Vraorg venait à ne plus être... »

« Je me suis engagé à laver ton nom Alford Gorder. Je m'y emploierais. Soit certain que je tiendrais parole. La vérité éclatera sur les méfaits d'Edwyn et c'est lui qui sera détesté et non toi. Car c'est bien de sa faute si tu es haïe aujourd'hui. »

Puis le sujet de la mort des esprits vint sur les lèvres du bipède qui se demandait comment cela était possible. Oui, la mort des esprits et la fin de toute chose pour être plus exact. Voilà un avenir guère agréable. Un avenir que n'accepterait pas le rouge. Il l'avait dit lui-même à Edwyn ce jour-là. Il ne tolèrerait pas que quelqu'un d'autre que lui ne détruise ce monde. Le rouge allait réponde à la question de celui-ci, mais avant cela il désirait connaitre quelque chose. Savoir ce qui s'était passé exactement après qu'il ait quitté le groupe des marcheurs. Bientôt l'esprit deVerith se déploya et vint s'abattre sur l'humain. Le contact ne serait sans doute pas agréable pour lui, après tout il allait fouiller dans son esprit et sa mémoire. Mais au moins ce dernier allait se laisser faire, l'opération n'en serait que moins douloureuse pour lui. D'autant plus que le fils de l'orage s'emploierait à minimiser cette douleur. Une fois dans l'esprit de l'humain, le colérique trouva rapidement ce qu'il cherchait. Et sans attendre il s'y baigna, les accaparant. Il vit et vécut au travers d'Alford ce qui s'était passé. Les ressentiments envers lui le traitre, puis l'épreuve des barques, puis celle de la sphère geler ainsi que l'aide de Vraorg durant cette épreuve. Enfin vinrent les bulles qui plongeaient les individus dans leur désir le plus profond, les emportant dans un état de béatitude profond.

Un à un, Verith observa ses instants jusqu'à ce qu'apparaisse Edwyn Ruddy, le moment où la confiance des marcheurs envers cet être devait s'écrouler. La colère de Verith provoqua des remous au sein de Gorder. Toute la haine qu'il éprouvait envers cet individu ainsi que le pourquoi lui était parfaitement accessible. La suite continua à se dérouler sous ses yeux. Dommage qu'il ne s'agissait que d'un souvenir, car le rouge n'avait qu'une seule envie : plonger sur Edwyn pour le démembrer. Bientôt vint l'action de Cynoë qui dû prendre un sceptre. Dès lors le souvenir changea. Les marcheurs avaient perdu conscience et face à Alford se tenait Väsà. Il entendit les paroles de cette dernière. Les marcheurs revinrent finalement à la réalité pour découvrir avec stupeur de la porte de la geôle de Vraorg était ouverte. Edwyn l'avait ouverte. Dire que s'il l'avait tué au moment où il en avait eu l'occasion, il l'aurait pu empêcher tout cela.

Les images s’enchainèrent rapidement. L’action d’Edwyn contre son dragon surpris Verith, mais bien rapidement il eut la réponse. Edwyn Ruddy n’était au final que trahison et tromperie. L’esprit du rouge se souleva sous la colère alors qu’il avait obtenu tout ce qu’il voulait d’Alford. Sa rage s’intensifia, palpable et brûlante. Edwyn Ruddy, être immonde, aussi écœurant que son dragon. Un être tellement bouffi d’arrogance qu’il en était déformé. Comment les esprits avaient-ils pu autoriser une telle créature à vivre. Lui et Vraorg faisaient bien la paire. Ce misérable Tarenth c’était arroger le droit de jouer avec la vie, l’avenir, le destin et le monde de tous non pas une fois, mais deux. Aucun mot n’était assez puissant pour définir ce qu’était réellement le Ruddy. Et aucun châtiment ne serait suffisamment approprié pour lui faire payer ses fautes. Il s’était arrogé le droit de décider pour tous après ce qu’il avait fait. Comment osait-il ? Lui qui n’avait aucun droit ! Lui qui n’avait aucun autre droit que mourir !

Verith retira son esprit d’Alford pour ne pas l’endommager alors que son ire vrombissait, remplissant l’air, l’alourdissant. Les crocs du dragon s’entrechoquaient, provoquant un grincement désagréable. Ses poings se serraient, ses griffes d’ébènes venant labourer le sol, creusant de larges sillons. Impardonnable arrogance que celle d’Edwyn Ruddy. Lui qui avait menti, lui qui s’était joué de tout le monde. Lui avait condamné le monde pour ensuite le plonger dans un chaos encore plus grand. Pourquoi ?! Pourquoi l’avait-on autorisé à faire une telle chose ?! De quel droit avait-il condamné ce monde ? De quel droit avait-il décidé de la voie à emprunter pour le sauver ? De quel droit avait-il décidé des sacrifices et de la douleur à endurer pour sauver ce monde qu’il avait lui-même condamné ? Quel était son droit lui qui n’en avait aucun !

La queue du dragon rouge frappa le sol derrière lui avec violence, le faisant éclater et trembler.

¤ Celui qui n’a d’autre droit que de mourir II ¤

Oui, il l’avait vu, ce chemin de douleur, ce passage obliger par les ténèbres et les tourments avant de retourner dans la lumière. Ce chemin qu’il fallait obligatoirement emprunter afin d’éviter la fin de toute chose, il en avait pris connaissance avec Edwyn. Il était décidé à le prendre puisqu’il ne saurait supporter qu’un autre que lui détruise ce monde. Cependant … cependant, maintenant il savait. Il savait la vérité sur Edwyn. Lui, l’infâme Tarenth qui ne possède aucun droit avait eu l’orgueil d’imposer cette voie à tous. D’imposer cette souffrance à chaque individu. De quel droit avait-il fait cela ? Lui qui n’en avait aucun autre que celui de mourir ! Comment les esprits avaient-ils toléré une telle chose ? Pourquoi ont-ils laissé le Tarenth dépasser tant de fois les limites qui lui étaient imposées ? Le rouge bouillait de rage. Quel était ce droit orgueilleux que c’était arrogé Edwyn pour agir à sa guise, une fois de plus. Il était aussi arrogant que son dragon, les deux faisaient la paire.

« Pourquoi ? Pourquoi Edwyn vous a-t-il fait entrevoir ceci ? »

Les crocs du dragon, les uns contre les autres, grinçaient bruyamment, tandis que ses griffes lacéraient le sol en profondeur. La queue du colérique battant violemment dans son dos faisant siffler le vent. Verith lui répondit, rugissant presque dans son esprit tant sa colère était grande, bien qu’elle ne soit pas dirigée contre lui.

« Edwyn ne m’a pas fait entrevoir cela. Ce sont nos pouvoirs respectifs, qui allier, nous ont permis de voir l’avenir. Piéger ?! Edwyn est la plus grande tare que les esprits ont pu créer et le plus grand fléau de ce monde. C’est sa jalousie, son égoïsme et sa terrible arrogance qui font que nous nous retrouvons dans cette situation. »

La patte du dragon rouge s’abattit en face d’Alford, faisant craqueler le sol, tandis que dans un même temps Verith baissa son museau, l’approchant un peu du sol et du bipède. Des filets de flammes étant expulsés par ses naseaux.

« Lorsque les Tarenth ont été bannis d’Armanda, un seul droit leur fut accordé. Celui de mourir ! Uniquement celui-ci. Edwyn Ruddy s’est arrogé des droits qui ne sont pas les siens et les esprits ont laissé faire ! Alors ne viens pas le plaindre en disant qu’il était piégé. Il a créé le lien, il a agressé les esprits, il a modifié le cours du destin. Il est responsable de ses souffrances. »

Le fils de l’orage fit claquer sa gueule tout en se redressant.

« Je vais te dire la même chose que j’ai dite à ce maudit Tarenth lorsqu’il a demandé mon aide. Je ne laisserais personne d’autre que moi mettre le monde à genoux. Et enfin, lorsque tout sera fini, que Vraorg sera défait et que la fin du monde sera évitée, je m’attèlerais à des tâches laissées depuis trop longtemps au second plan. Et je commencerais par détruire la création d’Edwyn. Ce n’est pas parce qu’il est mort que mon conflit avec lui est pour autant terminé. Je l’atteindrais … où qu’il soit. »

Le rouge se calma petit à petit, se faisant violence pour contenir sa colère qui l’avait parcouru avec force quelques instants plus tôt. Sa queue fouetta l’air et il pointa son museau en direction de l’humain.

« Quant à toi Gorder ? Que feras-tu une fois que j’aurais lavé ton nom ? »

¤ Tout vient à qui sait attendre ¤

Détermination ? Oui, cela pouvait être vu ainsi. De la détermination, une extrême détermination, celle d’accomplir ce que le dragon avait promis. Verith quant à lui n’était pas sûr d’utiliser le mot détermination. Non, cela ne correspondait pas réellement à son caractère. Certes parler de détermination dans son cas n’était pas faux et loin de là. Mais ce n’était pas totalement vrai pour autant. Le rouge en avait fait la promesse, autant à lui-même qu’à sa race, une promesse de salvation. Autant il l’avait fait à Edwyn. Celle de détruire son horrible création : le lien. Une promesse de mort, une promesse de destruction. En faisant une promesse, le rouge avait engagé sa parole. Il avait engagé son honneur. Il ne pouvait donc s’y soustraire. Il le ferait, car c’était une obligation. Pas seulement une obligation, c’était aussi un profond désir. Mais la destruction du lien, il en avait parlé, parler et encore parler. Il avait clamé sa destruction, son anéantissement. Il se devait donc de le faire, même si cela lui prenait toute son existence. Sans cela, sa parole ne vaudrait plus rien. Il serait fidèle. Fidèle à lui-même, fidèle à sa parole, respectueux de sa parole donnée. Et rien, rien ne saurait l’en soustraire. Il aurait au bout de cette dernière, même si le prix à payer était grand.

La colère du fils de l’orage était presque palpable. Il ne supportait pas que quelqu’un vienne prendre la défense d’Edwyn, ce misérable. Peu importe la manière. Le Tarenth ne méritait aucune défense, aucune aide. Il n’en avait pas le droit. Verith ne serait satisfait que lorsque son nom serait trainé dans le bout comme il le mérite. Que même dans la mort il continue à souffrir éternellement pour ce qu’il avait fait. Pour ce qu’il lui avait fait. Pour ce qu’il avait fait à sa race. Lentement, le colérique leva sa patte qu’il avait abattue face à Alford, tourna son museau en direction de celle-ci, il fit cliqueter ses griffes d’ébènes. Il avait hâte de pouvoir lacérer ses ennemis.

La réponse à l’interrogation de Verith au sujet du futur d’Alford ne tarda pas. Un mercenaire, il comptait donc reprendre sa vie d’avant. Le rouge ne savait pas très bien en quoi pouvait consister le mercenariat. Les métiers des bipèdes ne l’intéressaient pas. Néanmoins, l’aura du combat semblait entourer ce mot. Ce n’était donc pas une si mauvaise chose au regard du colosse de flammes. Lui-même ne pouvait vivre que dans le conflit, peu importe celui-ci et son intensité. C’était la seule manière de continuer d’évoluer, de s’améliorer, devenir plus puissant. Verith souffla par ses naseaux, le souffle venant sur Gorder.

« La liberté est bien notre bien le plus précieux. Ce n’est pas seulement un bien. C’est un droit. Un droit inaliénable, surtout pour un dragon. Une chose qu’aucune créature, immortelle ou mortelle n’a le droit d’enlever. Mieux vaut tuer quelqu’un, que lui retirer sa liberté. »

La liberté, une notion à laquelle le rouge était très attaché. Une chose qu’il souhaitait plus que tout. Une chose que Vie et Vraorg ensuite avaient aliénée. Un droit qu’il retrouverait, quitte à provoquer des catastrophes.

« Hum, vous les bipèdes êtes incapable de vivre en paix. Vous créez la guerre et la zizanie avec tout ce que vous touchez. Vous avez même monté le mien contre eux-même. Jamais vous ne connaitrez la paix. Vous êtes maudit et c’est Edwyn lui-même qui vous a maudit par sa jalousie. Je vous plains. »

Le rouge s’immobilisa soudainement alors qu’il reçut un contact mental. Son protégé lui aussi devait le ressentir. Le puissant esprit de Vraorg venait de les toucher. Morneflamme. La prison des volcans du nord. Les prisonniers venaient de s’échapper. Verith ne put s’empêcher de révéler ses crocs, content de cette nouvelle. Vraorg semblait fort mécontent et ordonnait que l’on aille récupérer les fuyards. Certains noms furent même nommés. Le colérique reconnut celui du bipède d’Ashy. Ainsi que celui du prêcheur du néant. Le rouge se redressa, dodelinant de la tête.

« Comme je te l’ai dit Alford. Il suffit d’attendre le bon moment. Et une opportunité vient de se présenter. Mais que vais-je choisir ? Vais-je venir en aide en m’occupant à ce Kohan … ou vais-je contenter ma colère et en dévorant le prêcheur ? Un dur choix semble se présenter à moi. »

¤ Pas de pardon ¤

La chasse, la véritable chasse. Traquer un individu dans le but de le débusquer et de le tuer. Voilà une activité que le rouge n’avait pas accomplie depuis un bon moment. Il serait sans doute un peu rouillé. La dernière remontait à la fois où il avait dû poursuivre Fabius. Toutefois cette entreprise commandée par Vraorg avait été sans succès. Son échec n’avait pas plus au blanc d’ailleurs, mais Verith s’en moquait bien. Au contraire, il n’avait eu d’autres choix qu’échouer. Ce détestable bipède devait rester en vie, pendant encore un moment. Et puis, réussir à débusquer Fabius pour le remettre à Vraorg aurait été trahir sa promesse envers Ashy. Seule elle avait le droit de tuer ce dernier. Et c’était à lui de remettre celui qui l’avait offensé. Là, une nouvelle chasse s’ouvrait à lui. Morneflamme avait vu ses prisonniers s’évader. C’était une bonne chose, pensa le colérique. Après tout, cela ne faisait que plus d’ennemis pour Vraorg. Le blanc semblait porter un intérêt à certains prisonniers. Il ne les connaissait pas tous, mais cela n’avait pas d’importance. À vrai, il n’en connaissait que deux : Matis et le prêcheur. Il n’avait jamais rencontré Korentin, mais savait à quoi ce dernier ressemblait suite aux images partagées d’Ashy. Cela faisait donc trois bipèdes dont il connaissait l’apparence. Le premier d’entre eux, Matis, était un bipède sans grande importance même si insolence méritait que le rouge le transperce de ses griffes. Toutefois, celui-ci n’était rien en comparaison des deux autres. Korentin Kohan avait une importance notable puisqu’il s’agissait du lié de la dragonne d’émeraude. L’unique dragon lié que le rouge respectait. Même s’il avait prévenu cette dernière de ne pas lui faire confiance jusqu’à ce qu’il puisse le prouver, venir en aide à son bipède n’était pas exclu. Bien au contraire. Bien que venir en aide à un bipède lui coûtait. Le dernier en revanche Aldakin du Néant, dit le prêcheur. Accaparait une partie de la colère du colosse de flamme. Pour lui, hors de question de lui venir en aide. S’il le croisait, il le tuerait sans autre forme de procès. Peu importe qu’il soit un allié ou un ennemi. Contrairement aux bipèdes, Verith ne faisait pas de compromis avec les impardonnables.

Le colérique ne répondit pas aux premières paroles de son protégé. Il n’avait que faire de la lame d’un bipède. Il combattait seul et si jamais il venait à combattre avec quelqu’un, ce serait un dragon et personne d’autre. Néanmoins, bien qu’il ne le montre pas et ne l’avouerait jamais, il appréciait la proposition de Gorder.

« Le prêcheur, je l'ai déjà combattu en duel, c'était un beau combat, bien entendu il m'a vaincu… Cela m'étonne qu'il soit encore en vie, mais si Vraorg veut personnellement la mort de celui-là… Noble Verith ne serait-ce pas l'aider que de tuer ces hommes, et femmes ? Est-ce que laisser Aldakin en vie pour qu'il puisse nuire au blanc ne serait pas une idée ? Enfin je présume que nous n'avons pas le choix de toute manière... »

La queue du colérique continuait à battre dans son dos, fouettant l’air par moments. Il dodelina légèrement de la tête aux questions d’Alford. Peut-être était-il temps de lui expliquer son point de vue au sujet des dernières alliances des bipèdes ?

« Ces dernières années, vous bipèdes vous êtes alliés. Vampires, Elfes et Humains, alors que vous étiez en guerre depuis tant de temps. Alors que chaque race avait de la rancune envers l’autre, particulièrement envers les vampires. Chacun d’entre vous a fait des choses impardonnables à l’autre et pourtant vous vous êtes allié pour survivre. Certains diront qu’il s’agissait de quelques choses de nobles. Pour ma part j’appellerais cela de la trahison de la stupidité profonde. Vraorg est mon ennemi. Aldakin l’est également. Je ne vais pas faire de compromis sur l’espoir que les deux vont s’affronter et se blesser l’un l’autre. Je les détruirais tous les deux. Je suis Verith, dragon de l’ire. Non un dragon du pardon. Je ne pardonne pas à ceux qui m’ont offensé. Pour un court de laps de temps ou pour l’éternité. Je ne trahis pas mon ire. Je ne laisserais pas l’opportunité à mon ennemi avec qui je me suis allié de me trahir. Dis-moi Alford, Lorenz Wintel n’a-t-il pas trahi l’alliance que les bipèdes avaient formée ? Fabius Kohan n’a-t-il pas trahi les Alayiens également ? Tous étaient ennemis et se sont alliés pour faire face à un autre ennemi. Au final, tous se sont trahis et aucun d’entre eux n’a été détruit. »

Le rouge expira par ses narines, expulsa quelques flammes aux passages.

« Aujourd’hui encore les bipèdes ont fait la même erreur et au moment où ils en auront l’occasion leur frêle alliance s’éclatera et personne ne sera détruit, juste affaibli. Mais vous en resterez au même point. Non, je ne laisserais pas la vie à Aldakin si mon chemin le croise. J’ai déjà eu l’occasion de le tuer, mais Edwyn m’en a empêché à la dernière seconde. »

Verith se dressa légèrement, venant étendre ses ailes pour les dégourdir soulevant le vent au passage.

« J’abattrais mes ennemis, peu importe si la mort de l’un vient renforcer l’autre. Au final rien ne changera, car j’abattrais également ce dernier. Et puis, plus un conflit est difficile, plus j’en sors fort. »

Faisant cliqueter ses griffes entre elles avant de replier ses ailes dans son dos, le rouge continua pour répondre à la question d’Alford.

« Si je tombe sur Korentin Kohan, alors par respect pour Ashy, je l’aiderais à rejoindre son camp. Bien qu’elle soit elle-même une dragonne liée, elle est bien différente des autres. Quel dommage, elle aurait fait une parfaite dragonne libre. Aldakin mourra sans attendre, et les autres m’indiffèrent. Quant à savoir si j’ai une idée, je verrais bien où le vent me portera. Si mon chemin croise l’un ou l’autre des prisonniers, un chemin différent s’ouvrira à moi. Je verrais bien lequel me donne le plus de chance de transpercer Vraorg de mes griffes. »

Tournant son museau en direction d'Alford, Verith conclut.

« Je ferai peut-être preuve de magnanimité si je croise Matis. Mais il n'échappera pas à une punition. Je l'ai déjà rencontré également. J'étais alors avec Edwyn et encore une fois il m'a empêché de châtier l'insolence de ce bipède. Tu sembles éprouver une certaine affection pour ce dernier. J'essaierais de ne pas le tuer. »

¤ Les protégés ¤

Verith semblait placer les convictions avant même le fait de rester en vie. Rester fidèle à ses convictions, rester fidèles à ses pensées, à soi-même était une forme d'honneur pour le colosse de flamme. Et pour lui mieux valait un vivre avec honneur que sans. C'est pour cela qu'il méprisait profondément Vraorg, outre le fait qu'il l'ait asservi, et qu'un véritable dégoût s'emparait de lui à chaque fois qu'il y pensait. L'arrogante blancheur était dépourvue du moindre honneur pour le colérique. Il n'était que bassesse et indigne. Une tare, une tache profonde qui avait souillé à jamais la noble race draconique. Oui, c'est ainsi que le voyait Verith. Et c'est pour l'une de ces raisons que le rouge appelait idiotie l'alliance des trois races. Changez ainsi d'avis tel une girouette pour assurer sa survie, c'était de mauvais goût, mais aussi une marque de faiblesse. Tournez le dos à ses convictions … être incapable d'assurer soi-même sa survie. Autant d'élément qui rendait méprisables les bipèdes aux yeux du colérique. La limite entre la détermination et le fait d'être borné était ténue pour décrire la pensée de Verith sur ce sujet. Du moins, c'est ce que pensait le colérique sur l'instant, mais il n'a à présent jamais été mis dans une situation où il ne pouvait pas lui-même assurer sa survie. Où il avait été réellement menacé de s'éteindre. Peut-être déchanterait-il vite par rapport à sa pensée. Pourtant, n'était-il pas celui qui avait sans la moindre espèce d'hésitation bondi sur Edwyn pour le tuer alors qu'un esprit supérieur se trouvait juste à côté de lui ? Oui, il pourrait parfaitement faire passer sa fierté, son honneur avant sa propre vie et tenterait d'emporter son ennemi avec lui dans la mort.

« Il y a eu beaucoup de trahisons, la seule chose qu'ils en ont tirés c'est plus de prudence à l'avenir... »

Le rouge souffla légèrement, amuser par les paroles d’Alford. Il était décidément bien naïf. Les bipèdes n’apprennent pas. Ils n’apprennent jamais. C’est pour cette raison que son frère, un des rares dragons à avoir vu le jour alors que sa race avait quitté Armanda pour ne plus souffrir de la folie des bipèdes, était mort. Les bipèdes avaient tué une des créatures qui fournissaient de la magie à ce continent. Non, les bipèdes n’apprendraient jamais. À moins de subir une correction si violente qu’elle les pousserait au bord de l’extinction. Et encore il n’en était pas certain. Ah, folie des bipèdes est un mal incurable. Verith écouta d’une oreille distraite les paroles d’Alford qui suivirent jusqu’à ce qu’une ultime question lui soit posée.

« Dîtes d'ailleurs noble Verith, à part moi… Vous avez combien de bipèdes qui sont sous vôtre protection exactement ? Simple curiosité de ma part... »

Verith dodelina un peu de la tête. Gorder était décidément bien curieux aujourd’hui, à lui poser autant de questions. Le dragon d’ire ne saurait dire si cela le dérangeait ou non. Il se contenta de lui faire remarquer, avant de répondre à sa question.

« Tu es bien curieux aujourd’hui humain. Combien ai-je de bipèdes sous ma protection ? Combien d’exception ayant pu échapper à ma haine existe ? Vous êtes trois … non deux, la Gamine n’est pas sous ma protection, mais sa vie tout comme sa mort m’appartient à moi qui l’ai arraché de l’étreinte du jumeau de Vie. Oui deux en te tenant compte de toi. Le premier bipède que j’ai placé sous ma protection est le Corbeau. Tout comme toi, un esprit a osé poser ses sales mains sur ma propriété. Son nom bipède est Saemon Methus. »

Un petit rire mauvais s’échappa du dragon, faisant frémir les écailles de son poitrail.

« Un bipède qui tue d’autres bipèdes … un assassin. Il semble qu’il existe tout de même des choses étonnantes parmi vous. »