Hiver de l'An IV de l'An d'Obsidienne L'archère avait bandé son arc. Dans la nuit claire, elle arrivait à distinguer la cible qu'elle abattrait parmi cette petite patrouille d'Impériaux qui longeait le fleuve. Sighild était partie en éclaireur pour la petite troupe de protégés qu'elle accompagnait et elle avait su trouver les traces des ennemis, remontant jusqu'à eux. Ses compagnons n'étaient pas très loin de sa position, mais elle ne tenait guère à les attendre. En elle battait une hargne contre ces individus qui capturaient et torturaient des hommes et des femmes au nom de Vraog. Même si ces êtres là, à la silhouette sombre dans le peu de lumière que la nuit offrait, n'avaient pas choisi leurs places, ils étaient dans le cercle vicieux des êtres au coeur sombre qui se complaisaient de servir le Voleur de Cœur. Doucement, elle peaufina sa ligne de mire sur sa cible : le soldat se trouvant en tête de la patrouille. Il tomba sous le trait qui se figea dans la poitrine. Les autres Impériaux beuglèrent, et ils eurent leur lot de flèches. D'autres sifflèrent dans les airs. Sans sourire, elle regarda les membres de la patrouille tomber comme des mouches, pendant que ses compagnons poursuivaient l'assaut.
Pendant que l'attaque se déroulait, elle avait tendu son regard vers ses montagnes natales...Même si elles trônaient loin là-bas dans cet horizon nocturne, on arrivait à cerner leurs contours. Les montagnes qui étaient devenues des monstres cracheurs de feu et de lave. Le monde qu'elle avait connu là-bas n'existait plus. Elle ne put retenir une larme en se rappelant ce passé si beau et si merveilleux malgré la rudesse de sa jeune vie et le climat rigoureux de Glacern
*^*^*
Eté de l'an 1743La proie ne se doutait de rien. Elle se délectait de lichens sur les rochers qui bordaient une petite rivière de montagne alimentée par les neiges fondant sous le soleil doux de cette belle saison estivale. On était loin des journées plus chaudes du sud et des plaines. Alberich avait appris à apprécier les températures plus douceâtres de ces vallées. Depuis qu'il était arrivé dans cette contrée, il n'avait jamais cessé de l'admirer, chaque jour qui passait et bien plus encore en la compagnie de sa fille Sighild. Comme elle, il épiait le bouquetin insouciant. Depuis qu'elle était en âge de marcher, il l'avait emmenée avec lui pour ses chasses dans les longues vallées, aussi bien qu'en été qu'en hiver. Cela avait imposé à la fillette à vite supporter des journées de marche pour rejoindre ces lieux verdoyants juchés dans le creux des montagnes et à supporter de vivre dehors. Mais même si elle n'était qu'à moitié glacernoise, le sang du fier peuple nordique coulait dans ses veines et elle apprit vite à aimer ce mode de vie
Dès qu'elle avait été capable de le suivre sans trop de difficulté, Alberich lui avait enseignée tout ce qu'il savait : la chasse, le pistage des animaux, reconnaître des plantes... Tout ce qu'un chasseur devait connaître pour être sûr d'accomplir son rôle pour la communauté. Il lui avait même inculquée quelques notions utile pour un éclaireur. On ne pouvait jamais savoir de quoi le lendemain serait fait. Il avait donc veillé à apporter les connaissances qu'il jugeait les plus nécessaires.
Et là aujourd'hui, il profitait de la dernière saison estivale, pour passer encore quelques moments avec sa fille et faire le point de ce qu'elle avait appris avec lui. Car au début de l'hiver prochain, elle fêteras ses dix années et elle suivra alors une formation militaire, comme n'importe quel enfant de Glacern, qu'il soit fille ou garçon. Tout le monde dans Glacern apprenait à se battre. Alberich avait veillé à ce qu'elle ait déjà une base dans le maniement des armes qui lui convenaient le plus.
Alberich n'avait pas vu le jour à Glacern. Il venait des plaines et il avait fini par adopter le mode de vie des Glacernois, même s'il lui avait fallu des années pour les convaincre de tolérer sa présence. Un étranger n'était pas un membre de Glacern. Donc jamais il ne pourra être un des leurs. Vivant reclus dans leur puissante et grande citadelle de pierre nichée dans les sommets, les habitants de Glacern l'Oubliée étaient assez renfermés à ce qui n'étaient pas de leur peuple. Mais avec le temps, même les avis les plus endurcis changeaient doucement. Mais de la tolérance, ce fut tout ce que ses efforts réussirent à lui apporter.
Il avait fini par tomber amoureux des montagnes et elles le lui rendirent bien. Solveig, une femme glaçernoise était tombée sous le charme d'Alberich. Même si cette union n'avait jamais été vu d'un très bon œil, les talents de chasseur d'Alberich avait suffi à convaincre -de justesse- la famille de Solveig. Un homme digne de ce nom devait pouvoir subvenir aux besoins de sa famille et à la communauté. Bien entendu, Alberich avait du se conformer aux us et coutumes qui dictaient qu'au second jour du mariage, les mariés devaient s'affronter dans des épreuves physiques et martiales. Le tout se terminait par une course à cheval. L'amour demande parfois d'étonnants efforts.
De leur amour vint au monde une petite fille, qui hérita des yeux de sa mère et de la chevelure blonde de son père. Malheureusement, Alberich perdit Solveig, qui mourut en couches. La vie offrait des présents et parfois, elle réclamait un dû. Malgré le chagrin d'avoir perdu celle qui aimait, il se raccrocha à sa fille. Sighild grandit donc avec son père, et année après année, elle devenait une infante agile et robuste, goûtant avec plaisir le fruit des enseignements paternels.
Et pour cette chasse, elle fixait le bouquetin. Doucement, comme son père le lui avait enseigné, elle leva sans bruit son petit arc et tendit la corde. La hampe plumée de la flèche lui chatouilla la joue. Elle ignora cette gêne. Doucement, elle aligna sa cible avec la pointe de son trait et l'extension de son bras. Elle ne faisait plus qu'un avec cette flèche. La respiration lente, elle se concentra. Dans son dos, elle sentait le regard de son père. Il attendait lui aussi. Elle savait qu'elle devait se montrer à la hauteur. Après avoir réussi à pister l'animal jusqu'ici, il serait navrant de pas le ramener à Glacern. Déjà que la chance avait été avec elle, car leur cible avait passé son temps à longer la rivière et à traverser quelques bosquets, alors que le bouquetin préférait les rebords rocheux. L'été était une saison d'abondance végétale, idéal pour se garnir l'estomac de bonne herbe et de mousse fraîche.
Le bouquetin redressa la tête. Sighild attendit encore et libéra la corde de la tension qu'elle lui imprimait depuis toute à l'heure. Le trait fila à travers leur cachette pour... se planter à quelques bons mètres de lui. La bête se cabra sous la surprise avant de prendre la fuite. A peine avait-il fait un bond en avant qu'il tressaillit. Une longue flèche s'était figée dans ses côtes et il chancela pour choir sur le sol. Sighild lâcha un reniflement de déception.
- Je le visais bien pourtant !
- Un beau tir, il te faut encore de l'entraînement pour réussir à toucher une cible à cette distance. Et de la force aussi, fillette. De la force. Prends patience, tu as encore le temps.
- Mais j'avais réussi à le pister et là....
- Ne sois pas déçue. Ça viendra. Bien, allons soulager cette bête. Tu crois que tu sauras le faire ?
- J'espère ne pas la faire souffrir davantage par un mauvais geste....Ils sortirent de leur cache de chasse et se dirigèrent vers le bouquetin agonisant. Sans attendre un conseil ou autre de la part de son père, la petite Sighild prit sa courte dague et s'approcha de la bête. Elle ploya un genou pour se mettre à sa hauteur tout en se plaçant de façon à ne pas subir un coup de sabot. D'un geste prompt et précis, elle planta la dague directement dans le coeur du bouquetin, le soulageant de sa souffrance. D'un air sérieux pour une fillette de presque dix ans, elle se redressa et essuya le sang sur le pelage du gibier.
- La journée aura été bonne et enrichissante. Nous ne manquerons pas de viande pour la réserve.
- J'aurai voulu te rendre fier avec un tir réussi... et là...
- Je suis déjà très fier de toi ma fille. Mais tu te fais du mal à vouloir réussir trop vite. La patience est nécessaire pour tout. Il n'y a pas que le tir où elle a son importance. Allez viens. Aide moi à découper. Plus vite on aura fumé la viande et plus vite on pourra retourner à la maison. Avec de la chance, j'aurai assez d'argent à la vente de la venaison pour t'acheter le nécessaire à ta prochaine formation. Alberich sortit son poignard aiguisé pour commencer à dépecer le bouquetin. Sighild restait songeuse quand à certaines de ses paroles.
-Suis-je vraiment obligée de la suivre ? Tu m'as déjà enseignée beaucoup de choses et je sais que tu ne m'as pas encore tout dit... ''
- Ma fille, tu commences à bien te débrouilles à l'arc. C'est irréfutable. Mais Glacern a besoin d'hommes et de femmes formées pour se tenir prêt à se battre et on t'apprendra plus en profondeur les raisons que moi.
- Mais tu m'as déjà raconté tout cela. Alberich lui adressa un sourire bienveillant.
- Je reconnais bien en toi le caractère de ta belle et défunte mère. Elle aurait été fière de te voir entrer dans la formation, comme tous ceux de ton âge. Elle l'a été tu sais.
- Oui... mais toi ? Pourquoi c'est différent ? Je n'ai rien contre toi, mais j'en sais plus sur Mère que toi ! Jamais tu ne parles de toi...''*^*^*
Hiver de l'An IV de l'An d'Obsidienne Elle essuya la larme qui perlait le long de sa joue. Elle se rappelait de cette conversation avec son père. Il était resté vague sur ce qu'il avait fait de sa vie avant de s'installer à Glacern. Il avait usé de mots simples, pour que l'enfant qu'elle était comprenne. Il s'était dit négociant, et qu'il appréciait voyager à travers le monde. De ses connaissances sur ses voyages, Sighild avait appris beaucoup de choses, de comment le monde Armandéen tournait en dehors de Glacern et de ses différents habitants. Ce fut bien plus tardivement qu'Alberich se convainquit de narrer sa véritable histoire. Quand il eut tout raconté, il redouta que sa fille le dédaigne, après lui avoir dissimulé tout ça. Sighild ne lui reprocha rien. Ou peu. Juste d'avoir menti quand elle était plus jeune. Elle aimait trop son père d'avoir voulu rester un père aimant et attentionné. Grâce à lui, elle vivait et elle était devenue la femme qu'elle était maintenant.
C'était grâce à certains des enseignements d'Alberich qu' elle était ici, à aider les protégés en combattant les servants de Vraog... Elle avait réussi, mais elle avait du travailler sur elle, pour d'accepter, ou plutôt pour tolérer les différences notables avec les hommes des autres populations qu'elle a été amenées à rencontrer et à s'allier. On ne changeait pas des habitudes glacernoises bien ancrées en soi en quelques jours. Ainsi, elle avait pu rejoindre le Protectorat et se battre. Pour chaque soldat ennemi qui tombait, cela aurait pu être une once de vengeance accordée pour son coeur meurtri pour le rassasier. Car les montagnes devenues volcans par la longue et terrible lutte des Esprits contre Vraog avaient détruit tout ce qu'elle avait connu. Glacern, ses rivières, ses neiges éternelles... Tout un environnement qu'elle avait chéri depuis sa plus tendre enfance, et qui n'était plus. Perdu à jamais.
C'était d'autant plus douloureux à se rappeler que son passé avait été empli de rebondissements. Déjà son intégration à la formation militaire fut une très nette coupure entre sa vie d'enfant et sa vie future. La vie dans les montagnes étaient rudes et il n'y avait pas de transition, telles les saisons qui se suivaient dans ces contrées, passant d'un doux été à un hiver froid et sombre. Dix années de formation militaire l'attendaient. L'instruction qu'elle reçut était bien entendu plus riche et plus stricte que celle de son père. Mais on ne cherchait pas à briser les jeunes Glacernois pour en faire de bêtes moutons à suivre les ordres de leurs chefs ou des machines de guerre assoiffés de sang. Non, cette formation avait pour but de les endurcir, de renforcer leur corps, de les façonner à la montagne et son environnement, à comprendre l'importance de la cohésion. Unis ensemble apportait la force.
Durant son instruction, un jeune devient adulte quand vint l'âge de passer un rite de passage, une antique tradition remontant aux époques lointaines où les guerres incessantes faisaient couler le sang des hommes. Le rite était simple et complexe à la fois. Simple car il suffisait de tuer pour le passer. Complexe, car l'être à tuer n'était pas un homme mais un vampire. Ces créatures détestables buveuses de sang étaient venues il y a bien longtemps sur Armanda, au même moment que les Elfes...Que de mieux alors comme chasse pour des jeunes avides de faire leurs preuves et de montrer qu'ils étaient dignes d'être des hommes ou des femmes adultes. Sighild était aussi impatiente que ses compagnons et quand vint le jour du rite..
L'expédition avait été soigneusement préparée, car pour tuer du vampire, il fallait se rendre là où on pouvait en trouver. Et ce n'était jamais aisé. A chaque rite, les vampires se faisaient plus rares. Mais comme les rats, il y en avait toujours. Après une longue période de marche à travers les montagnes pour rejoindre les territoires où vivaient ce peuple qui ne pouvait qu'enfler ses rangs que par la morsure, ils trouvèrent deux individus. Peut-être que la chance fut de leur côté, car Sighild ne les trouva guère vifs, comme affaiblis. Mais cela importa peu, tant qu'ils mouraient ! Ainsi, l'assaut fut lancé sur ces deux adversaires, qui même d'apparence affaiblie, restaient de dangereux ennemis. Les jeunes gens n'agissaient pas seuls. Ils agissaient ensemble pour les occire tous les deux. Le coup de grâce fut de la main de Sighild, sur le plus jeune des deux sangsues à deux jambes.
La fierté avait coulé dans ses veines, mais étrangement, elle n'était pas aussi satisfaite que ses compagnons, qui eux jubilaient. Un de ses jeunes compagnons était dans l'idée de se faire un trophée avec les canines de leurs ennemis abattus. Les vampires, comme les elfes, étaient des êtres qui avaient apporté le malheur avec eux, et bien des guerres avaient vu le jour à cause d'eux. Mais leur apparence humaine...Elle se posa intérieurement des questions quand elle observait les cadavres. L'influence de l'enseignement de son père... voilà ce qui devait la troubler. Il lui avait souvent parlé du monde hors de Glacern et de sa propre vision des autres peuples. Même si elle aimait son père, elle devait écouter son coeur de Glacernoise. Ce ne sera que plus tard, que ce trouble lui reviendra et qu'il ne sera pas si négatif que cela. Ou presque.
Sous ses yeux donc, ce n'était plus que deux cadavres de vampires qui pourriront sur place. Deux ennemis en moins. Le rite était accompli et elle était désormais femme.
Les choses auraient pu continuer de rester aussi simples à Glacern, si dans le reste du monde les choses ne se précipitaient pas. Dans l'année de sa seizième année, alors qu'elle aidait son vieux père à étaler la venaison issue de sa chasse, elle aperçut des gens s'attrouper non loin des immenses portes ouvertes des murailles imposantes de la cité. Elle s'était redressée et le regard plissé, comme les curieux venus se rapprocher de l’événement, elle aperçut de lourds chariots et des escortes à cheval. Les gens qu'elle arriva à distinguer n'étaient pas de Glacern. Elle fut tentée d'aller voir de plus prêt qu'une main se posa sur ses épaules.
''Tu ne voudrais pas que la viande se gâte ? ''
''Père, ces gens....''Alberich avait vu lui aussi et il paraissait soucieux.
''On dirait que Glacern revient dans les souvenirs de l'Empire. Terminons ma fille. Ce serait dommage de perdre le fruit de ta chasse. Tu n'as déjà pas beaucoup de temps pour t'y perfectionner et pour reprendre ma suite, en raison des quelques années à faire encore pour ton instruction militaire... Alors si tu le perds à bailler aux tétras (coq des bruyères). Tu apprendras bien assez tôt le but de leur visite.''Elle l'espérait bien. Cela était un exploit pour ces ''Impériaux'' d'être arrivés à Glacern avec tout ce bazar. Ils devaient être très déterminés pour braver les montagnes. Elle apprendra quelques heures plus tard que parmi ces gens était venue une princesse du nom d'Esmelda Kohan, qui avait été appréciée par Havard Svenn. A croire que le souverain comprenait l'importance de renouer avec les autres contrées de l'empire. Peut-être que ce ne serait pas une si mauvaise chose après tout, tant que l'Empire respectait le mode de vie que Glacern avait formé au fil des années. Mais l'Empire avait ses intrigues, ses ambitions, ses gens assoiffés de pouvoir. Glacern ne connaissait plus vraiment ça.
Quand elle eut 20 ans, elle décida d'être des forces militaires de Glacern. Son vieux père Alberich aurait aimé la voir reprendre sa profession, à savoir chasseur. Mais douée pour l'arc et le pistage, elle apportait un certain atout dans les patrouilles. Un archer, bien que faible face à un guerrier en armure, restait redoutable s'il avait l’œil observateur et aiguisé, le doigt sûr et la respiration contrôlée pour faire but. Il estimait que sa fille avait encore besoin de se perfectionner, mais sur la voie qu'elle avait choisie, elle ne pourrait aller que de l'avant. Et ce fut à cette époque que Glacern se retrouva plongée dans les premières tourmentes. Sighild partit donc avec la centurie qui accompagna Aristarkh Sasha Svenn, le fils héritier de Glacern l'Oubliée. L'Empire avait besoin d'hommes et les Hommes du Nord venaient se joindre à eux. C'est là que Sighild apprit qu'Armanda subissait une forte invasion d'hommes dangereusement organisés : les Alayiens. Glacern renouait avec l'Empire pour apporter son aide, respectant ainsi leurs vieux serments. En même temps, quelques menus ragots parlaient d'une certaine tension malsaine dans la famille Kohan.
Se retrouver hors des enceintes rocheuses de Glacern étaient presque exaltants pour l'archère. Elle avait l'impression d'être à la place de son père. Mais très vite, la réalité déchanta sur ce que son père lui avait raconté. Ses habitudes glacernoises ne se perdaient pas et elle restait assez distante des gens qui n'étaient pas issus de son peuple. Cela n'interdisait pas bien entendu de parler avec eux et de les ''étudier ''. Les différences étaient perturbantes et elle se rassurait presque en songeant que le mode de vie des siens était le plus digne. Des modes de vie des autres, par moment, dépassaient l'illogisme et l'entendement. Mais le monde était ainsi fait.
Elle prit sur elle quand elle apprit que des négociations étaient menées avec les vampires, les elfes et les hommes pour s'unir dans le seul but de combattre à l'unisson les Alayiens. Se battre aux côtés des êtres détestables n'était pas de son goût, mais elle comprenait l'importance de repousser les fanatiques de Néant. Si Néant gagnait, l'équilibre que les Esprits entretenaient depuis si longtemps serait brisé et perdu. Élevée dans ce sens, elle comprenait alors mieux l'alliance qui était en train de naître. Côtoyer des vampires...Qui l'aurait cru. Et ne parlons pas des dragons. Contrairement à ce qu'on disait d'eux, Sighild les admirait. Ils étaient la perfection incarnée. Peut-être qu'elle en verrait un et de près...
Les premières flèches qu'elle eut à tirer dans les conflits houleux furent pour les Alayiens. Les choses s'étaient vite précipitées en très peu de temps. L'Empereur Grégorist Kohan décéda, et Fabius revendiqua le trône. Et le jour du couronnement ne fut pas le plus pacifique des jours. Ce jour là fut le jour où l'Empire, sous la main de Fabius, à son couronnement décréta une paix avec les Alayiens. Sighild fit partie des forces nordiques qui déferlèrent sur les Alayiens environnant Gloria. L'intervention des siens fut considérée comme une trahison. En même temps, Fabius Kohan ne jouait-il pas de trahison en s'alliant avec les Alayiens ?
Les nordiques finirent par reculer, repoussés par les forces disposées à Gloria. Sighild avait connu là sa première bataille et bien que la tension des combats avait été effroyable, elle avait tenu bon. Les Glacernois s'étaient longuement préparés à se battre. Mais la trahison avait de quoi laisser un goût amère. Et les Nordiques étaient déterminés à garder la tête haute et à servir le souverain légitime au trône de l'Empire : Korentin Kohan.
Sighild suivit les siens dans les forces qui se rendirent à Althaïa. La cité prêta allégeance à l’Usurpateur, mais sous cet acte, elle servira de couverture pour les rebelles et les Nordiques s'y implantèrent. En peu de temps, tout l'Empire se trouva ébranlé par la Rébellion. Cette dernière se verra renforcée par des fuyards de l'armée impériale et des civils isolés. Il était loin le calme venteux et neigeux de Glacern pour l'esprit de l'archère. Jamais elle n'aurait cru connaître cela de sa vie. Les récits de son père étaient bien loin de tout ce qu'elle avait imaginé. Et elle était encore loin d'avoir tout vu.
Quelle ne fut pas sa fierté d'apprendre que la cité de Glacern avait opté pour son indépendance avant de rallier la Rébellion. D'autres cités finirent par suivre la même voie et la beauté suprême pour les rebelles furent quand ils couronnèrent Korentin Kohan, le reconnaissant comme chef. Mais tout n'était pas si facile. Sighild, comme bon nombre de Nordiques, devait encore prendre sur elle pour accepter autour d'eux la présence d'hommes de d'autres ethnies, et de quelques elfes. Et se terrer dans Aigue n'était pas fait pour détendre l'atmosphère. Vivre dans peu d'espace travaillait les nerfs et les fiers Montagnards avaient l'habitude de voir le ciel de leur contrée. Sighild commençait doucement à se languir de chez elle. Mais heureusement, son esprit trouva de l'occupation dans les petites escarmouches que menèrent les rebelles pour harceler l'ennemi. Ce fut d'ailleurs durant une de ces missions de harcèlement que quelque chose se produisit en elle.
Elle avait entendu bien des récits de la part des siens quand le phénomène arrivait, quand le moment était venu. Là, c'était vers le dernier jour du mois de décembre de la première année de l'Obsidienne. La nuit était très sombre. Les nuages couvraient le ciel comme un épais manteau. Sighild était en éclaireuse, cachée dans un large buisson pour épier les mouvements de troupe. L'arc bandé, prêt à tirer si jamais une menace se dévoilait à elle, elle se sentit comme... flotter, s'extirpant de son corps. Pensant qu'elle subissait un contre-coup d'un long manque de sommeil, elle secoua sa tête et se reconcentra. Mais cette impression s'ancra plus profondément en elle et elle plissa les yeux quand elle eut brièvement l'impression de voir les humains qu'elle épiait avec plus de précision, dans une lumière plus lumineuse. La nuit était sombre. Comment pouvait-elle voir aussi clairement ? Elle leva la tête. Non, point de lune ou d'étoiles. Elle darda son regard sur les hommes de l'Empire. Son coeur se mit à battre plus puissamment, quand elle fit le lien avec des cas étranges arriver à plusieurs Glacernois. Un Totem l'avait choisi. Elle ne put s'empêcher de sourire. Son père serait fier d'apprendre cette nouvelle. Elle avait hâte de rentrer à Glacern pour le revoir aussi... Puis doucement, elle en revint à sa mission. Chaque chose en son temps.
Mais si les souhaits se réalisaient aussi facilement... la vie menée serait différente et peut-être plus joyeuse. La vie à Aigue était déjà bien ''rude'' pour Sighild, mais le temps passant, elle le fut encore plus. Quand certains Glacernois apprirent qu'un contingent de vampires avait été crée, les dents ne furent pas les seules à grincer. Les esprits s'échauffaient. S'unir avec des vampires ? Les rebelles devenaient-ils fou ? Cela manqua de tourner à la défaveur des rebelles quand un assaut de masse les prit de cours à Aigue : la bataille d'Aube Rouge. Le moment se présentait vraiment mal. Les Nordiques, à défaut d'être écoutés quant à la présence de ces sales sangsues dans la Rébellion, avaient convenu entre eux de trahir la Rébellion. Assez d'être contraints de supporter leurs ennemis de toujours ! Mais face à l'attaque de force de la part des Alayiens qui avaient décidé d'en finir une bonne fois pour toutes avec le coeur de la Rébellion, les hommes et les femmes de Glacern ravalèrent leur xénophobie séculaire et prirent les armes pour défendre Aigue. La lutte fut acharnée. Et elle eut son coût. Les Nordiques, dévoués à la famille Svenn, assistèrent à la mort d'Havard et de son fils. Face à une telle perte, leur fureur ne fut que décuplée, rajoutant du poids dans la balance qui servira la victoire finale. Les Alayiens finissent par être repoussés, abattus par la perte de leur avantage que leur conférait le verre noire. Leur chef suprême fut capturé.
Une belle victoire et décisive... Mais avec un lourd tribut.
Bon nombre de Nordiques y laissèrent leur vie et Sighild fut sérieusement blessée. Il fut décidé d'accorder un peu de repos quand les convalescents seraient en état d'être menés en arrière ligne. Les Alayiens étaient défaits, mais la guerre contre l'Usurpateur n'était pas encore terminée.
Sighild mit plusieurs mois à se remettre de ses blessures et à récupérer sa force physique. Plusieurs mois où elle dut attendre avec une certaine lassitude que son corps guérisse. Son esprit aida grandement à ne pas décrocher à se sentir inutilement le temps de cette convalescence. Les combats se poursuivaient encore et elle, elle était alitée... Cela lui avait laissé le temps de resonger à sa jeune vie à Glacern. Tout semblait si lointain. Tant de combats et de batailles... le temps passait si différemment.Elle se rappelait de son entraînement, qui avait été intense, mais très profitable. Elle avait apprécié être dans cette discipline militaire et organisée, qui unissait tout homme et femme en une seule force. La montagne seule n'était qu'un élément de roc, mais avec ses sœurs, elle devait une chaîne infranchissable. Dix ans de sa vie où elle ne se préoccupait pas de ce qui se passait à l'extérieur, même quand des Impériaux passèrent les murs de la forteresse de Glacern. Sur cette décennie, elle avait eu l'occasion de revoir son vieux père, qui terminait de lui apprendre quelques notions encore sur le monde et sur ses peuples... Et elle le remerciait encore mentalement, encore aujourd'hui. Son brave père, qui avait disparu avec Glacern l'Oubliée...Qu'elle aurait voulu le revoir après les rudes combats contre les Alayiens. Une dernière fois. Vraog lui avait pris ce désir...
Elle revoyait encore les lointains sommets enneigés qu'elle connaissaient si bien, emplirent les cieux de nuages noires et cendreux quand les premiers monts avaient explosé, répandant leurs langues de feu et de débris pyroclastiques. Là où elle avait eu un sourire apaisé en se sentant un peu chaque jour proche de rentrer, elle avait assisté à l'éveil des furieux monstres magmatiques. D'un sourire elle était passé à un visage empli d'effroi et d'horreur...
Le dernier souvenir qu'elle avait de son père était quand la première centurie des Nordiques partit pour Gloria, pour apporter un soutien militaire contre les Alayiens. Sighild ne voyait qu'en cette armée invasive un exemple de désastre pour elle et son peuple si on les laissait gagner toutes les terres d'Armanda : un monde voué à la destruction. Même la nature était dépréciée par ces humains venus de la mer. Après tout, Glacern aussi avait son rôle à jouer dans la défense d'Armanda. Et là son père, la tenant une dernière fois dans ses bras en lui recommandant de lui revenir entière. Il ne cachait pas sa fierté de voir sa fille se battre pour des causes qui lui paraissaient juste, mais ses yeux embués de larmes dévoilaient toute la crainte qu'il ressentait pour elle. C'était là la dernière image de son père. Jamais plus elle ne le reverra sourire, fier de la revoir et fier de ce qu'elle avait fait et accompli grâce à son enseignement.
Juste avant la fin de son rétablissement, des Marcheurs s'étaient mis en quête d'une étrange prophétie qui provoqua la venue de Vraog et de toutes les conséquences que provoqua sa soif inassouvie de pouvoir. Quand elle fut en état de voyager, avec quelques nordiques, elle tenta de réunir les lambeaux de la Rébellion qu'elle croiserait, de trouver ce qui pouvait être encore sauvé. La Rébellion avait été mis en déroute en plusieurs défaites sanglantes et rester de dans les dernières poches des résistants ne suffiraient pas à les repousser. Fuir était la dernière alternative pour regrouper les forces autre part. Tenter de rallier Glacern l'Oubliée, l'Imprenable ? Elle était fortifiée pour tenir un rude siège et ses habitants connaissaient depuis des générations le moyen de survivre dans ces hauteurs. Glacern était un bastion idéale. Et en même temps Sighild ne pensait qu'à une chose :Revoir son père. Juste pour une dernière fois. Mais avant de songer à son père, la Rébellion avait besoin de soigner ses plaies le plus tôt possible pour reprendre le combat le plus tôt possible. Puis quand elle put enfin espérer revoir Glacern et son père....Elle était loin de s'imaginer qu'elle elle ne les reverrait jamais. Vraog en combattant les Esprits dans les Montagnes lui vola à tout jamais ce désir.
Elle fut malheureusement présente quand elle assista à la transformation violente de ses chères montagnes, paisibles et gigantesques rocs millénaires, se transformer en monstres cracheurs de feu et de laves... Là bas sur la lointaine ligne d'horizon d'où on distinguer leurs silhouettes majestueuses. Elle avait contemplé avec horreur à l'explosion de certains monts enneigés, voyant des domes de fumées noires et pyroclastiques se répandre le long des flancs des massifs...Les larmes avaient envahies ses yeux et elle se rappelait encore de son propre cri déchirant, où elle avait hurlé le nom de son père...
Non, jamais. A cause d'un puissant dragon avide de pouvoir comme Vraog... Qui s'entourait de vampires, ces mêmes créatures qui avaient apporté la mort et la destruction dans des guerres contre les humains et les elfes. Oh, elle savait que tous ne s'étaient pas pliés à son insidieuse volonté. Comme certains puissants dragons...
Des nombreux combats auxquels elle avait participés, elle gardait à l'esprit qu'une chose, même si la réalité n'était pas forcément facile à supporter (comme de côtoyer des elfes, ou des hommes des autres régions, voir pire, des vampires !) : son peuple se battrait encore pour défendre l'Humanité de ses pires ennemis. Maintenant, elle se battait avec les Protégés. Il n'était pas là de question de lutte raciale ou de lutte de pouvoir. Pour elle, Armanda se morfondait doucement de cette lutte des Esprits contre Vraog. Quand elle avait assisté au lointain à la destruction de sa patrie et en voyant mois après mois la nature changer et souffrir... Pour son peuple, pour son père, elle s'était ralliée pour se battre. La vie n'était pas faite pour souffrir et subir le poids des êtres assoiffés de puissance et de massacre. La vie était faite pour être savourée, comme elle l'avait fait en présence d'Alberich...
Elle jeta un dernier regard aux montagnes devenues volcans, avant de fixer les cadavres où se pressaient ses compagnons pour récupérer leurs flèches et des armes en état pour les autres Protégés. Elle les rejoignit sans plus attendre. Plus vite ils récupéraient ce qui est récupérables, plus vite ils pourront retourner à leur campement. Ainsi que de repartir au profit de la nuit qui leur restait encore pour profiter de sa fraîcheur glaciale.