Cela faisait maintenant une dizaine de jours depuis que sa famille et lui étaient arrivés à Aigue-Royale pour y prendre possession de leurs quartiers, parmi les dortoirs de la caverne des songes. A elle seule, la vie troglodyte représentait déjà un calvaire pour tout représentant du Beau Peuple digne de ce nom, mais lorsqu'on devait en plus y ajouter la proximité avec des peuples aussi primitifs et sauvages que pouvaient l'être les humains ou les vampires, cela en devenait un véritable calvaire. Dix jours seulement, et déjà le général elfique se sentait prêt à défier l'armée alayienne à lui seul pour ne plus avoir à endurer l'insupportable contact des deux autres peuples. Celui des vampires en particulier, dont la présence toute proche restait palpable malgré les quelques mesures de cloisonnement qui séparaient les prédateurs de leurs proies. Plus encore que pendant le voyage qui les avait mené des forêts elfiques à la cité souterraine, les nuits se révélaient particulièrement stressantes pour le père de famille, et l'hypothèse de découvrir qu'une armée alayienne avait assiégé les remparts à l'aube n'était pas la plus grande inquiétude du général. Non, ce qui troublait ses nuits et rendait son sommeil si agité, c'était la peur viscérale qu'un vampire put choisir de profiter de l'occasion qui lui était donnée de profiter du sommeil des elfes pour s'offrir une lampée de sang frais depuis les gorges de ses enfants ou de son épouse. Car à la différence de la plupart des humains, une grande majorité des elfes, en particulier les plus jeunes générations elfiques, était désormais immunisée et représentait ainsi une source de nourriture ''renouvelable'' aux yeux des créatures de la nuit. Bref, on leur avait prétendu qu'Aigue-Royale serait l'endroit le plus sûr pour échapper aux meurtrières ambitions alayiennes, mais Artaher ne s'y sentait définitivement pas en sécurité. Ce d'autant plus qu'on leur avait annoncé peu après leur arrivée que le secret de la localisation de la cité rebelle était d'ores et déjà plus que vraisemblablement compromis, c'est dire si l'humeur du général elfique déjà réputé pour son caractère irascible n'était pas la meilleure qui fut.

Néanmoins, l'officier qu'il était ne pouvait réfuter les qualités de forteresse de la capitale souterraine : depuis l'étroitesse des galeries aux structures défensives qui hérissaient les principales voies d'accès, tout dans la conception d'Aigue-Royale aidait à en faire un défi colossal pour toute armée assiégeante... à supposer que les généraux des trois peuples parviennent à coordonner leurs efforts efficacement, ce qui compte tenu de leurs différences autant physiques que culturelles n'était pas un pari gagné d'avance, loin de là. Peut-être la réunion d'état-major prévue aujourd'hui apporterait-elle quelques éclaircissements quant à cette question : l'annonce qui lui avait été communiquée mentionnait la présence d'officiers vampiriques, peut-être leur général serait-il des leurs. Peut-être. Il ne lui avait jamais été donné de rencontrer son homologue vampirique auparavant, à son plus grand regret d'ailleurs, mais les vampires étaient réputés pour leurs talents guerriers et leurs moeurs barbares, il y avait donc tout lieu de croire que celui qui dirigeait leurs troupes se révélerait un adversaire particulièrement plaisant à affronter si tant est qu'une telle occasion put lui être donnée.

Un vague sentiment de curiosité saupoudré d'une pointe de fébrilité agita brièvement le regard du général tandis qu'il rectifiait sa tenue en vue de la réunion. Il n'avait emporté avec lui que des tenues légères, un uniforme sobre et confortable, dessiné dans un soucis de simplicité et d'efficacité, sur lequel il vint agrafer les insignes aux feuilles de chêne qui représentaient son grade. Il s'accorda ensuite un bref moment auprès de son épouse et lui rappela de ne pas l'attendre pour le repas du soir, ce genre de négociations pouvant facilement s'éterniser pour peu que l'assemblée eut à débattre d'un quelconque point de désaccord. Enfin, après un dernier baiser, le colosse elfique prit congé de sa jeune archiviste et dirigea ses pas vers la caverne principale de la cité rebelle afin de rejoindre ses collègues des autres peuples. A son arrivée, la garde de Fort-Espérance n'opposa aucune objection quant à sa présence, le gratifiant même d'un salut militaire respectueux tandis qu'il s'enquérait de la salle dans laquelle il était attendu. Cela n'avait certes rien d'un salut elfique, mais l'attention méritait tout de même d'être relevée.

Deux couloirs et un escaliers taillé à même la pierre plus tard, la haute et large silhouette d'Artaher venait se présenter devant l'encadrement d'une porte qui donnait sur la salle de réunion. A en juger par le silence qui régnait alors, il était vraisemblablement le premier à être arrivé sur les lieux. Incapable de rester à ne rien faire, le général elfique profita de cette occasion pour faire un rapide tour du propriétaire : une table, des chaises, des cartes, et même un plateau avec un assortiment de carafes d'eau destinée à rafraîchir les langues les plus actives, le tout illuminé par les flammes vacillantes de chandeliers improvisés. Cela aurait presque pu laisser présager une soirée certes studieuse, mais agréable. Presque seulement, car d'ici peu il lui faudrait partager l'atmosphère confinée de l'endroit avec des humains et surtout, des vampires. D'ailleurs, puisqu'il abordait le sujet des créatures de la nuit, l'odeur caractéristique de l'un de ces cadavres ambulants vint subtilement lui chatouiller les narines et son visage pivota aussitôt en direction de la porte d'entrée, en travers de laquelle se tenait désormais une vampire d'apparence juvénile. Dracos, il ne l'avait pas même entendue arriver, depuis combien de temps était-elle là ? Le bleu du regard du méfiant général vint trouver celui des yeux de la frêle créature tandis qu'il s'approchait pour venir se dresser devant elle :

« Cette aile du fort est réservée aux officiers de l'armée, petite, tu ne devrais pas t'y aventurer. Tu risquerais d'y faire de mauvaises rencontres. »

La menace suintait littéralement dans chacun des mots qu'il avait prononcé, consentant même à s'exprimer en langue commune pour être certain d'être bien compris. Son regard glissa sur l'uniforme de l'armée vampirique dont elle était vêtue, probablement une aide de camps du général vampirique ou assimilé. D'un signe de tête dédaigneux, il désigna la sortie en ordonnant :

« Va plutôt rappeler ses devoirs à ton supérieur, il n'aimerait pas me faire attendre. »

Les vampires pouvaient bien avoir des crocs, ils n'étaient pas pour autant les seuls à mordre.

Norwen était dans ce qui lui servait de chambre, de bureau, de pièce de vie. L'avantage d'être générale de l'armée vampirique, même si aujourd'hui, elle avait un titre en plus. Un qu'elle attendait depuis de nombreuses années et qui lui avait insufflé un vent de confiance en elle. Mais curieusement aussi, un brin de sagesse en plus. Du moins d'apaisement. A moins que la perspective proche d'une bataille concentrait toute son attention à la préparation de la bataille et non plus à la vie de souffrance et d'ennui au côté des humains et elfes dans ces galeries sombres, rappel incessant de sa vie passée. Elle finissait d'ajuster son armure sombre rouge et noire. Elle ne la portait que lorsque qu'elle paraissait. Sur le champ de bataille, sa maillebrume avait sa préférence. Lui permettant de se fondre dans une brume, laissant ensuite échapper son cri de chauve-souris, elle resserrait l'étau de son piège sur son ennemi.
Attrapant à la volée une carte apporter durant la nuit, la générale sortit en hélant un des soldats en faction dans la galerie.

« -Appelle moi un capitaine de garde ainsi qu'un chef d'unité. Les premiers que tu croises, je les veux dans cinq minutes dans la salle de réunion des armées de Fort espérance. »

Et sans un mot de plus elle partit rejoindre son homologue vampirique, humain et quelques autres responsables des armées des deux autres races. La tâche allait être rude : Ne pas les égorger, surtout ne pas les égorger, devenait la maxime que sans cesse elle se répétait dans sa tête.

Elle passa devant la garde de l'entrée de Fort espérance, toujours le même regard méfiant posé sur elle. Mais Norwen ne s'en formalisait plus. Pas aujourd'hui. Son esprit n'était tourné que vers ses hommes qu'elle avait préparé, la nouvelle et jeune armée avec quelques soldats bien prometteurs, à enfin cette adrénaline qui lui manquait quand enfin face à elle un danger pointait ses oreilles.

En parlant d'oreilles pointus, entrant dans la salle, la jeune femme aperçut que le général elfique était déjà présent. Et comme à leur habitude, les elfes, et en l’occurrence cet elfe, faisait preuve de médisance et devenait injurieux. Ne pas les égorger.

Un instant une lueur meurtrière passa dans le regard de la vampire. Elle pouvait sentir ses canines la titiller. Ne pas les égorger. Elle se tut cherchant ses mots et pas un coup de crocs bien placé dans la jugulaire de cet arrogante asperge.

« -Eh bien mon grand, je pense que la mauvaise rencontre est déjà faite. »

En fait, à chaque fois qu'elle rencontrait un elfe. Mais il fallait bien cette fois-ci. Et elle allait devoir encore prendre sur elle, mais Lorenz lui faisait confiance pour mener à bien cette bataille qui s'annonçait et grondait au loin.

« -Quand à mon supérieur, il me fait amplement confiance pour me trouver à vos côtés. Et le bon de tout général est de connaître son homologue afin de ne pas commencer cette rencontre d'un mauvais pas. »

Oui, elle, elle le connaissait, ce général Terendul. Jeune aussi pour son âge, guerrier émérite, près de famille de nombreux enfants, chose rare pour un elfe. Mais aussi une force de la nature et doué avec une épée. Il a su très vite se faire respecter par ses soldats. Ses espions, du moins ceux de son prince, avaient bien fait leur travail, eux.

« -Il est bien étrange d'ailleurs que l'arrogance des elfes ne vous ait pas poussé à mieux maîtriser ce sujet. Votre peuple est décidément bien sur le déclin. »

Toujours bien prompt à tout savoir, tout sur tout et à bien le montrer. Supérieur et sûr de soit. Il était plaisant de voir que certaines choses changeaient. Mais pour le moment, elle et son peuple avaient besoin de leurs flèches, de leurs épées afin d'enlever l'épine du pied les alayens. Quelques elfes en moins, épuisés et loin de leur foret, une chance de plus une fois l'ennemi du Néant plus qu'un mauvais souvenirs. Retenir son venin un temps serait un effort bien difficile mais nécéssaire.

« -Mais peut être pouvons-nous commencer à moins que vous aillez encore quelque chose à ajouter ? »

Dit-elle le regard planté dans celui de l'elfe, un brin arrogante, inclinant la tête dans un faux salut respectueux, avant d'entrer dans la pièce prévu pour cette entrevue et mise au point. Cela commençait mal, mais qu'importe, il y avait tellement en jeu. Norwen se vengerait de cet affront plus tard. Sur un champs de bataille par exemple.
Norwen s'avança vers la table où se situait de nombreuses cartes, ainsi que des sortes de miniatures : quelques soldats, des chevaux, de faux barrages. La générale sortit une nouvelle carte qu'elle étala sur les autres.

« -Un nouveau tracé de chemin vers nos positions. Ainsi qu'une nouvelle galerie tracée, rendant obsolètes les dernières cartes. »

Prenant deux pierres pour l'empêcher de rouler, Norwen continua un brin amère :

« -J'attends de savoir ce que le général elfique a pu entendre en venant par ici. Votre traversé non loin de Gloria a dû apporté quelques informations quand à nos doutes ? »

Inutile de mentionner lequel, l'homme devait le savoir, sinon autant aller dans la caverne de la fertilité planter des salades. Ce qui serait sa place aux yeux de la vampire.

Vampire du sommet de son crâne à la semelle de ses bottes, la petite intruse transpirait littéralement de cette arrogance prédatrice caractéristique du peuple des suceurs de sang. Et la répartie agressive avec laquelle elle lui avait répondu n'en amusait que plus encore le colossal général, exactement comme un chat se fut amusé de voir la souris lui montrer les crocs. La suite ne manqua cependant pas le surprendre, venait-elle vraiment de parler de lui comme de son homologue ? Une lueur méfiante traversa brièvement le regard aux reflets d'acier du général elfique, mais la jeune femme semblait particulièrement sûre de son fait et pour connaître l'une ou l'autre chose à propos des vampires, Artaher savait qu'ils ne s'appropriaient pas ainsi le titre d'un autre. Alors voila donc à quoi ressemblait le général, ou peut-être devrait-il désormais parler de la générale de l'armée vampirique ? Plutôt inattendu, fallait-il l'avouer, mais pas nécessairement décevant pour autant : si au premier regard elle n'était pas aussi impressionnante que l'on aurait pu s'y attendre, elle ne manquait définitivement pas de mordant et ce dans tous les sens du terme. L'instinct du combattant qui sommeillait en lui se fit immédiatement songeur tandis qu'il essayait de présumer des qualités guerrières de son équivalent vampirique.

Un sourire carnassier vint ensuite étirer les fines lèvres du général elfique devant l'attitude hautaine avec laquelle la petite vampire s'offrit de commencer la réunion, ignorant passablement les officiers humains supposés se joindre à eux mais visiblement retenus par quelque autre préoccupation. C'était un comportement présomptueux et subtilement déplacé qui ne manqua pourtant pas trouver écho auprès du colérique officier elfique. Pour une vampire, autrement dit une créature qu'il eut brisé sans le moindre remord, l'outrancière générale était parvenue à éveiller son intérêt : elle l'amusait et lui plaisait même par certains aspects, notamment cette façon qu'elle avait de ne pas se laisser marcher sur les pieds. Aux yeux d'Artaher, la fierté et l'assurance étaient d'importantes qualités qui, ramenée à l'apparence de frêle innocence de la prédatrice nocturne, devenaient presque... touchantes. Mortellement touchantes, à n'en pas douter. Intéressant.

Avec un dernier regard sur l'extérieur de la salle, le général elfique laissa une moue dubitative déformer brièvement ses lèvres puis referma la porte pour approcher de la table qui occupait le centre de la pièce. Après tout, si le général humain avait mieux à faire que d'assumer ses fonctions, cela le concernait. Laissant le retardataire à l'écart, Artaher se concentra sur la carte que venait de dérouler la vampiresse et en étudia pensivement les différents tracés avant de répondre à la dernière question qui lui avait été posée, d'une voix faussement indifférente :

« Au risque de vous décevoir, petite, nous n'avons pas défilé sous les remparts de Gloria pour venir jusqu'ici : mon empereur aurait vu d'un mauvais oeil que son peuple se fit remarquer par les alayiens. »

Même s'il avait instinctivement troqué le tutoiement pour le vouvoiement en signe de respect, du respect qu'il pouvait avoir pour un ennemi s'entend, il avait encore insisté sur la taille de la vampiresse, relativement modeste en comparaison de sa haute stature, et semblait bien en avoir définitivement fait le surnom qu'il se plairait à lui donner lorsqu'il lui adresserait la parole.

« Néanmoins, mes éclaireurs ont tenu à l'oeil les mouvements des troupes de la capitale humaine et n'ont rien eu à me reporter qui sorte de l'ordinaire : des patrouilles vont et viennent, mais rien qui puisse laisser présager des manoeuvres de grande ampleur pour l'instant. Vous n'auriez d'ailleurs sans doute pas même eu à poser la question si vous consacriez vos ressources à surveiller nos ennemis plutôt qu'à vous renseigner sur vos... homologues. »

Elle n'avait tout de même pas espéré qu'il laisserait passer les critiques à peine voilées qu'elle avait préalablement formulé sans les lui renvoyer dans les gencives à la première occasion, si ? D'ailleurs, il poursuivit l'assaut verbal, son timbre de voix se drapant dans les intonations incisives et tranchantes qui convenaient pour remettre à sa juste place la gamine qui se tenait devant lui.

« Déclin de mon peuple ou pas, les elfes au moins n'en sont pas encore réduis à gratter les fonds de tiroir pour désigner leurs généraux, eux. Alors tu apprendras, petite, que le propre de tout bon général est de maîtriser les sujets vraiment essentiels, non ceux qu'on leur vend comme tels. Quel intérêt aurais-je à me renseigner sur le général vampire ? Votre prince en change plus souvent qu'il ne change ses chaussettes, depuis combien de temps occupez vous votre poste ? Un mois ? Six mois ? Un an tout au plus. Tout comme dans un mois, six mois, un an tout au plus, un autre vous aura remplacé. J'ai mieux à faire qu'à me préoccuper d'un général éphémère. »

Qu'elle essaie donc de répondre à ça, si elle en était capable... et si elle en avait le temps, car d'un geste, Artaher désignait déjà la carte étendue sur la table et ramenait la conversation vers un sujet plus immédiat :

« Mais puisque vous êtes encore là, peut-être pourrez vous me faire l'état des lieux ? Je n'ai pas encore pu rencontrer un humain susceptible de me renseigner sur l'état des défenses, le nombre des effectifs, les quantités de vivres ... et ce n'est visiblement pas encore aujourd'hui qu'ils se décideront à répondre à mes questions. »

Son regard s'était instinctivement dirigé vers la porte close tandis qu'il avait prononcé les derniers mots. On sentait à l'intonation de sa voix tout aussi bien le mépris qu'il pouvait avoir pour les humains que le désir à peine voilé qu'il avait d'aller directement chercher ses renseignements auprès de l'empereur rebelle lui-même s'il devait en arriver là.

Il le faisait exprès de ne pas comprendre qu'elle parlait de ses hommes pas forcément de lui lors de son propre déplacement. Elle se doutait bien que les elfes n'avaient pas fait une étape par Gloria. A moins qu'il la prenait vraiment pour une idiote. Et dans ce cas il ne gagnerait que son agacement. Elle pouvait faire preuve de patience, de très grande patience, mais celle-ci pouvait aussi stopper d'un coup et finir par un silence morbide. Qu'il la titille mais cela ne serait pas sans conséquence pour le blondinet.
Comme s'il était un enfant, elle lui demanda :

« -Et vos éclaireurs n'ont pas étudié le terrains avant de venir pour ne pas défiler sous Gloria ? Je ne m'intéresse pas à votre petite personne mais à ce que vos soldats font. »

Ethnocentrique et égoïste, Norwen avait tiré un bien beau spécimen. Mais peut être devait-elle lui apprendre son métier après tout.

«-Me renseigner sur ce que vos éclaireurs ont vu n'est en rien ne pas prendre en compte ce que font les miens. Cela s’appelle du regroupement d'informations, de la coopération, mais il semblerait encore une fois que les elfes sont plus prompt à la critique et aux bavardages inutiles qu'aux échanges d'informations. Pourquoi êtes-vous là ? Et oui, je m'intéresse à mon homologue quand je vois qui il est une préparation en amont n'était pas une perte de temps. Bien au contraire.»

Mais peut être que cette plante verte n'avait jamais eu à vivre de guerre tandis qu'elle en vivait une depuis sa naissance aussi bien vampirique qu'humaine.
Elle continua à lui faire la leçon vu que le gamin elfique ne semblait pas non plus savoir comment fonctionne une des armées qui côtoiera la sienne. Et après c'était, une fois de plus, elle la novice en ce domaine.

« -Les fonds de tiroirs. Vous qui savez tout en tant qu'elfe, comment devient-on générale chez les vampires ? Comment se hisse-t-on au sommet ? Pas par les paroles et un nom, juste par sa force, son courage et sa bravoure. Alors donnez moi autant de leçons que vous voulez, cela n'a rien d'étonnant venant d'une grande fougère, mais vous n'allez pas m'apprendre mon travail, car depuis votre arrivée dès que je parle travail vous me parlez avec mépris. Continuez, bague ou pas, alliance ou pas, je ne me laisserai pas insulter par un ours mal léché incapable de tenir sa langue. »

Et on ne pourrait pas dire qu'elle n'avait pas prévenu. Décidément, elle en faisait des efforts. Rien que pour cela elle devrait être décorée comme les soldats humains.

« -Quand à s'occuper d'un général éphémère, c'est savoir à qui on parle à l'aube d'une bataille. Dites-vous la même chose de votre homologue humain ? »

Mais peut être que les elfes voulaient faire cavalier à part. Même les humains étaient passés outre leur différences. Elle aussi, enfin en apparence.

« -Peut être les auriez-vous entendu si vous les aviez écouté au lieu de parler sans cesse pour ne rien dire. Il y a assez de vivre pour tout le monde pour tenir un siège de nombreux jours. Surtout que depuis la crainte que cet humain ait éventé le lieu de notre rébellion, des réserves sont ajoutées chaque jour. Les défenses sont renforcées, ou bien modifiées justement au cas où une percée se ferait venir dans les galeries. Nous aurons besoin de vos mages aussi pour y parsemer des pièges magiques. »

Mais là aussi c'était peut être trop demander et Norwen ne se gêna pas pour le faire bien sentir à son homologue elfique.

« -Le nombre des effectifs, sans vos hommes, tourne autour de 4000 soldats. J'ai aussi de nouvelles unités non présentes sur les lieux, qui devraient arriver d'ici quelques jours regonflés nos rangs. »

Satisfait ? Non sûrement pas, on parlait d'un bambou avec une perruque blonde.

Pour une vampire, sans doute estimait-elle vraiment très généreux de sa part que de prendre la peine de lui expliquer les rudiments du métier, mais pensait-elle seulement une seule seconde qu'elle put enseigner quoi que ce soit à son homologue elfique ? Cette seule idée était ridicule, à l'image de cette discussion d'ailleurs qui sous le couvert de réelles préoccupations prenait peu à peu les apparences d'un combat. En effet, à la seule force de leurs mots et de leurs timbres de voix, chacun des deux généraux alternait attaques, feintes, manoeuvres défensives, sans oublier bien entendu de riposter sitôt qu'une faille s'ouvrait dans la cuirasse adverse. Une forme de combat comme une autre, en vérité, mais qui atteindrait bien vite ses propres limites. Sans doute était-ce inévitable, mais pouvait-on vraiment espérer que deux races ennemies depuis des temps immémoriaux puissent ainsi s'accepter mutuellement ? Sans heurt ? Sans une mise à l'épreuve préalable ? Probablement pas, certainement pas même, et si les lois de la rébellion liaient les mains des deux belligérants, l'expérience démontrait qu'il n'était pas de règle qui ne connut son exception. Le tout était de trouver comment la détourner pour l'enfreindre sans que cela leur soit répréhensible, tout simplement.

Ainsi, alors même que la vampire parlait, Artaher avait détourné sa haute silhouette de la table aux cartes pour concentrer son attention sur sa semblable. D'un pas lent et mesuré, il contourna bientôt la table qui se dressait entre eux et s'approcha, sans cesser de lui faire face, jusqu'à venir se dresser juste devant elle, usant volontiers de sa massive carrure pour prendre un ascendant dominateur sur celle qui se pensait une prédatrice occupant le sommet de la chaîne alimentaire. Il répondit finalement avec toute la rigueur et la méthode propre au militaire qu'il était, dans l'ordre :

« Je suis là pour la même raison que vous l'êtes : parce que je n'ai pas d'autre choix, soyez-en sûre. Et je ne doute pas apprécier votre compagnie autant que vous appréciez la mienne, aussi oserais-je espérer ne pas avoir déçu d'éventuels espoirs quant aux informations que vous avez pu réunir à mon sujet. »

Elle ne pouvait pas ignorer l'ironie dans laquelle avaient été drapés chacun des mots qu'il venait de prononcer, tant ce qu'elle pouvait penser de lui était bien le cadet de ses soucis. En fait, il espérait même plutôt tout le contraire, comme par exemple être parvenu à la surprendre, désagréablement si possible. Après tout, il ne correspondait pas beaucoup à l'idée que l'on pouvait se faire d'un elfe et pour cause : plus grand, plus fort, plus combatif et autrement plus agressif que la majorité de ses semblables, il était de ces proies qui n'hésitaient pas à mordre leur prédateur préventivement. En fait, il n'avait tout simplement rien d'une proie, comme l'avaient découvert à leurs dépends les vampires qui avaient eu la mauvaise idée de penser le contraire tandis qu'il sillonnait les territoires de l'est, de longues années auparavant.

« Je vous parle avec mépris... vraiment ? Vous m'en voyez navré si je vous ai vexée, très chère, mais je puis vous assurer que je connais les moeurs barbares de votre peuple et c'est bien la raison pour laquelle je vous qualifie d'éphémère. Alors ne me parlez pas de courage ou de bravoure quand vos armes ne sont que roublardise et lâcheté : votre poste appartient à celui qui poignarde son opposant dans le dos le premier, inutile de chercher plus loin. Mais bien entendu, si vous vous sentez de me démontrer que je me trompe, je suis votre elfe ! »

La tension qui existait entre les deux généraux atteignit rapidement son paroxysme, il devenait même difficile d'imaginer que cette conversation ne se terminerait pas en un combat en bonne et due forme mais l'un comme l'autre auraient certainement à répondre de leurs actes s'il leur prenait l'envie de s'affronter ici et maintenant. Une échappatoire leur fut heureusement donnée par une série de coups frappés à la porte, puis par l'apparition dans la pièce d'un jeune officier humain visiblement peu enjoué à l'idée d'interrompre les généraux ennemis. Le nouvel arrivant parvint cependant à trouver le courage de prendre la parole et informa les deux commandants d'armées que la réunion avait été reportée à une date ultérieure, en cause l'absence du général humain Farkstein parti en mission de reconnaissance avec son dragon. Formidable, tout cela n'avait servi à rien en définitive, Artaher pouvait remercier la vitesse des communications rebelles... ironiquement, bien sûr.
Ainsi le messager se retira-t-il, non sans faire entendre une nouvelle série d'excuses, avant de laisser vampiresse et elfe poursuivre leur affrontement verbal. Les regards des deux concernés se trouvèrent d'un commun accord, se défièrent même avec une violence muette autant qu'invisible, jusqu'à ce qu'Artaher ne prenne l'initiative de briser le silence tendu qui s'était installé entre eux :

« Il semblerait que notre hôte ne puisse nous recevoir, mais puisqu'il paraît évident que nous serons amené à travailler ensemble prochainement, peut-être ne serait-il pas inutile de ... partager nos expériences ? Au cours d'une anodine séance d'entraînement, par exemple, ce ne sont pas les opportunités qui manquent à l'aube d'un affrontement. A moins bien entendu que vous ne craignez de vous blesser avant la bataille ? Un accident est si vite arrivé. »

Menaces et non-dits semblaient définitivement s'inviter dans la conversation, mais relèverait-elle seulement ce défi à demi-voilé ? Difficile à dire. Ce qu'il avait découvert de la générale vampirique jusqu'à présent laissait à penser qu'elle s'en ferait même une joie, mais son attitude bravache pouvait tout autant dissimuler une lâcheté véritable. Au moins saurait-il à quoi s'en tenir avec elle, et la confiance qu'il serait en mesure de placer en elle pendant la bataille.
La voix du général baissa finalement d'un ton pour se faire un presque-murmure tandis qu'il venait glisser à l'oreille de sa mortelle adversaire :

« Par soucis d'équité, je vous laisserais le choix des armes : à l'épée ou à mains nues, comme il vous plaira. »

Fussent-ils respectivement une vampiresse et un elfe, il n'en était pas moins difficile alors de déterminer lequel des deux était le plus enclin à mordre l'autre.

Mais c'est qu'il était presque drôle le grand général elfique. Tant mieux Norwen avait besoin de s'amuser et de rire. Au final, les elfes pourraient servir de bouffons du roi. Et ses tentatives d'intimidation. Plus ils étaient grands plus ils s'imaginaient que cela l'effrayait. Elle qui en avait vu des bien plus grands mordre la poussière à ses pieds. Mais si c'était là sa seule force, Norwen n'aurait pas à mal de le voir la supplier de le laisser en vie lui et les siens le moment opportun.

« -Je n'ai pas à apprécier votre compagnie. J'ai juste à vous supporter et à travailler avec vous. Point. Maintenant si vous voulez qu'on en philosophe au lieu de chercher une solution contre la bataille qui s'annonce devant nous, libre à vous. Quand à mes informations, vous êtes en deçà de ce que vous imaginez. »

Une menace. Ba qu'il prenne cette phrase comme bon lui semblait. Ou bien une déception à ce qu'on avait dit sur le droit et froid général. Il ne le serait pas plus qu'elle, non, les informations elle aimait aussi se les faire soi même.

« -Il en faut bien plus pour que cela me touche cher ami. Quand aux mœurs barbares de mon peuple, elles ne le sont pas plus que celles des Humains ou bien des vôtres. Tout dépend du point de vue et de ce qu'on veut y mettre. Vous me dîtes éphémères, là où nous voyons efficacité, vous parler de lâcheté quand nos armes sont connus de tous. De roublardise quand cela n'est que tactique. Je pourrai en dire tout autant de votre peuple, qui se veut pacifique, qui se veut au delà de tout reproche alors qu'il y en a tout autant. Mais il est bien plus facile de critiquer les autres que de regarder son nombril. »

Mais allez demander à une vache de ne plus brouter de l'herbe. Là c'était exactement la même chose. Le savoir elfique, leur arrogance, leur volonté de se voir en beau peuple enseignant de cette terre qu'ils ont accostés en premier, autant de détails qui leur donnait cette fausse suprématie sur les autres races. Mais n'avaient-ils pas oublié une chose dans ce détail de l'histoire ?

« -Et rassurez-vous le poignard dans le dos n'est pas pour de suite. Car au delà de l’appât du pouvoir notre peuple évolue, lui. »

Et n'est pas sur le déclin comme ces mangeurs de courgourdes. Mais sa proposition attira un sourire carnassier. Le partage pouvait-il passer par une expérience douloureuse ? C'était anodin.

« -Partager nos expériences ? Anodine séance d’entraînement ? Laisser moi rire. Quand à me blesser, l'arrogance des elfes ne doute de rien. »

Ou bien il se donnait trop d'importance aux yeux de la générale, qui en avait bien cure. Il lui faisait perdre son temps bien plus qu'autre chose, mais il l'amusait. A se prendre pour un être supérieur, alors qu'il était bien connu qu'un elfe comme une mauvaise herbe se coupe à la racine.

« -Mais votre galanterie me touche au plus haut point et je serai curieuse de savoir ce qu'une grande tige comme vous est capable de faire de ses mains. Ça changera de votre bouche. »

Parce que ça parler, il savait faire. Et pour ne rien dire. Certes cela semblait un trait typique des elfes. Mais était-ce une raison ? Norwen ne les changera pas. Du moins pas pour le moment, mais par la suite, elle se ferait un plaisir de se servir des dents de l'asperge pour se faire un beaux colliers.

« -A moins que vous craignez être ridiculisé par une vampire. Je vous en prie je vous suis.»

La jeune femme n'en fit rien et passa devant le général elfique pour se rendre vers les galeries d’entraînement. Fière et droite, elle ne se retourna pas pour lancer le moindre regard vers l'homme qui la suivait, à l'odeur. Qu'il fasse demi-tour cela ne changerait rien pour elle. Mais le blondinet ne semblait pas être apeuré par la perspective de se battre avec un vampire. L'ignare. Trop arrogant pour avouer qu'il courrait à sa perte. Mais Norwen avait besoin de s'amuser. Le temps était long avant la bataille.

Dans la caverne d’entraînement, une poignée de vampires s’entraînaient. D'un geste et d'un ton qui n'attendait pas de réponse, Norwen ordonna.

« -Laissez-nous. »

Norwen s'avança sans un regard de plus pour ses hommes quittant la salle vers le centre de la pièce, vers cette terre un peu plus sablé qui servait de tapis d’entraînement. La jeune femme se retourna vers l'elfe et le toisa un instant avant de déclarer.

« - Dîtes vos règles, avant que l'on me soupçonne de vous tendre un piège, au cas où... »

Si le malheur arrivait au général elfique, on l'accuserait alors que cela ne serait qu'un regrettable accident. Bien malheureux mais innocent venant de sa part.
Prête à bondir, elle n'attendait que le premier mot de l'elfe pour lui bondir dans le sternum.

Quel dommage que cette petite boule de poigne et d'arrogance ne fut pas une elfe, vraiment. Les vampires susceptibles de faire naître ce genre de pensées chez Artaher n'étaient pourtant pas nombreux : la plupart de ceux qu'il avait rencontré et combattu ne méritaient pas même de se faire qualifier d'animaux. Mais celle-ci avait cette petite étincelle qui la différenciait, ce petit quelque chose qu'on ne parvenait pas à nommer précisément mais qui n'en était pas moins réel pour autant. De plus, elle n'avait cessé de le défier depuis le premier regard échangé, avait rendu coup pour coup dans ce duel des mots, dans cet affrontement de présence, et en dépit de la différence de carrure qui les opposait, transpirait littéralement d'une assurance qui en aurait désarçonné plus d'un. Une telle force de caractère représentait une qualité précieuse au sein d'une armée, n'importe quel général de n'importe quelle armée aurait pu en convenir, et s'il n'était pas près de l'avouer, Artaher comprenait désormais parfaitement comment et pourquoi elle était parvenue à se hisser au sommet de la hiérarchie militaire vampirique.

Oubliant là ses regrets, le général elfique emboîta bientôt le pas de sa semblable vampirique, sans prononcer le moindre mot. Quelles pouvaient être ses pensées, à quelques instants seulement de croiser le fer ou le poing avec le colosse qui la talonnait ? Elle s'était renseignée sur lui et avait donc vraisemblablement été informée de ses qualités guerrières, pouvait-elle vraiment aborder le combat avec sérénité ? Les règles qui encadraient la cohabitation entres humains, elfes et vampires étaient particulièrement strictes et veillaient à scrupuleusement éviter les débordements, le risque d'une blessure véritablement grave était donc réduit mais tout de même, elle devait bien avoir conscience que le colosse était capable de la briser comme il l'eut fait d'une brindille, non ? A moins qu'elle ne soit totalement dérangée ? C'était une possibilité après tout, Artaher avait déjà eu l'opportunité de rencontrer de sacrés phénomènes à l'époque où il traquait le vampire dans l'est de l'empire Kohan, tels ces véritables monstres sanguinaires, affamés et dénués du moindre instinct de survie, qui se jetaient bave aux lèvres sur ses épées pour la simple perspective de planter leurs crocs dans sa chair... et que le général massacrait sans le moindre état d'âme.

Artaher en était là de ses réflexion lorsque les deux gradés débouchèrent finalement sur la piste d'entraînement, alors occupée par quelques vampires qui abandonnèrent les lieux sans opposer la moindre résistance sitôt que l'ordre leur en fut donné. C'était presque perturbant de constater que ces créatures étaient capables d'une certaine forme de discipline, fut-elle dictée par la force et la crainte plutôt qu'un respect véritable. Fidèle à elle-même, c'est à dire sans paraître hésiter le moindre instant, la générale vampire prit place au centre du terrain sableux et présenta sa garde. Combat à mains nues donc, pas le choix auquel s'était attendu le colosse elfique mais une décision qui lui convenait finalement tout autant. Au moins la vampiresse savait-elle cultiver le don de la surprise.

« Puisque nous sommes tous deux volontaires, nous pouvons combattre jusqu'à une victoire nette. Je ne crois pas que nos dirigeants respectifs apprécieraient que nous portions un coup fatal, aussi nous arrêterons nous si l'un de nous venait à perdre à connaissance, à prononcer son abandon, ou si nous convenons d'une interruption d'un commun accord. »

Avec des gestes lents et maîtrisés, le colosse vint se placer devant son adversaire et leva sa garde, l'invitant à ouvrir les hostilités :

« Si ces règles vous conviennent, nous pouvons débuter. »

La prédatrice nocturne ne se le fit pas dire deux fois et bondit vers son homologue elfique sitôt que le dernier mot eut franchi les lèvres de ce dernier. L'attaque avait été rapide et précise, mais il faudrait que la vampiresse le soit plus encore pour espérer tromper la vigilance guerrier qui se tenait face à elle. Artaher esquiva l'assaut d'un pas sur le côté, bloquant d'un revers du bras la frappe de son adversaire avant d'amorcer sa propre contre-attaque, sous la forme d'un solide crochet du droit. A l'instar des griffes de la tigresse vampirique cependant, la véritable massue que représentait le poing du colosse fendit l'air sans atteindre sa cible, la faute à une agilité plus développée qu'on aurait pu le penser. Les coups s'échangèrent ainsi de longues secondes durant, les deux combattants alternant constamment les assauts, les esquives et autres parades. Les coups de la vampiresse heurtèrent plusieurs fois leur cible mais ne semblèrent pas encore devoir déstabiliser la massive carcasse du combattant elfique. Si la générale vampire avait pour elle l'agilité, la précision et la vitesse d'exécution, son opposant bénéficiait pour sa part d'une résistance certaines aux coups qui lui étaient infligés. A l'inverse, les propres attaques d'Artaher n'étaient pas encore parvenues à atteindre la véritable anguille qu'il combattait, et sans doute était-ce heureux pour la principale concernée au vu de la force d'impact titanesque que délivraient chacun des coups du colosse.

Finalement, alors qu'il semblait de plus en plus incertain que les deux généraux pussent réussir à se départager, une opportunité se présenta au représentant du Beau Peuple et celui-ci ne se fit pas prier pour s'en saisir. A l'occasion d'une nouvelle attaque, la vampiresse s'était risquée un peu trop près de son adversaire, juste un peu et pendant tout au plus une brève seconde, mais il n'en fallut guère plus au général elfique pour refermer son étreinte autour du corps de son infortunée adversaire. A peine l'eut-il saisie dans l'étau de ses bras d'acier qu'Artaher accentuait vigoureusement la pression qu'il exerçait sur la vampire, la comprimant violemment tandis qu'il la soulevait de terre pour la priver du moindre appui susceptible de lui permettre de se dégager. Un ricanement mauvais s'échappa alors des lèvres du lié de l'ours, juste avant qu'il ne commente non sans un certain amusement :

« Tu ne te débrouilles pas trop mal, petite, peu sont ceux qui seraient parvenus à me résister aussi longtemps. J'espère que la grande tige ne t'aura pas trop déçue, mais il faut savoir reconnnaître sa défaite. »

Ponctuant ses propres paroles, Artaher resserra d'un cran la douloureuse étreinte dans laquelle il avait enserré sa collègue vampirique.

« Tu abandonnes, ou faut-il que je te brise un bras pour te faire comprendre que je suis le plus fort ? »

Une victoire nette ?? Il était sûre. Pour elle, une victoire nette c'était de le voir à ses pieds la gorge ouverte et le sang coulant doucement dans une nature morte des plus magnifiques. Tant pis, elle suivrait alors le côté endormi de cette belle elfique au bois dormant. Norwen ne perdit pas un instant de plus pour sauter toutes griffes dehors sur la salade qui s'avérait ressembler plus à un roc de pierre qu'à du lierre meuble. Il bloqua sa première attaque avec force. Mais Norwen n'avait pas dit son dernier mot. Elle était tenace et persévérante mais surtout très joueuse. Et il l'amusait. Un joujou enfin à sa mesure.
Mais le colosse pouvait avoir la force de l'ours, elle avait l'agilité de la chauve-souris, plus fine plus mobile. Et Norwen savait être ce véritable petit moucheron qui passait devant vos yeux pour vous faire tourner en bourrique. Et elle ne se gêna pas pour le faire. Mais d'assauts en esquives, de coups en parade, les deux adversaires dansaient sans pour autant que l'un ou l'autre ne cède sous la force de l'autre. Peut être croyait-il que la petite générale avait la force de sa taille ? Il devait être bien désolée de l'avoir mésestimer. Même si les coups de la petite générale elfique ne semblaient pas le toucher plus que cela, elle arriverait bien à trouver son point faible ou bien à le fatiguer.

Mais c'était sans compter sur l'elfe pour se saisir d'elle à un moment pour la bloquer de son bras et la soulever comme une plume. Maintenue au-dessus du sol, Norwen ne pouvait plus bouger, du moins les bras.

« -Ma défaite... la grande tige me déçoit là. Tu devrais savoir que je n'abandonnerai jamais. Car je serai celle qui te mettrait au sol. »

Le bougre il n'allait pas de mains mortes, ce qui pouvait être paradoxal, elle qui l'était. Et en plus il cherchait à prouver qu'il pouvait encore plus lui faire mal et la maîtriser en accentuant sa force d'ours mal léché. Mais Norwen avait un avantage non négligeable : elle ne respirait plus et ce fut une chance. Car son souffle aurait été tout simplement coupé.

« -Tu peux me briser que je n'abandonnerai pas. Et un combat n'est jamais fini quand ton adversaire parle encore. »

D'un coup de reins et de bassin, la générale vampirique ne se dégagea certes pas le haut du corps, mais pu déplacer suffisamment le bas, et remonter son pied pour aller faire sentir la faiblesse de Artaher. Fourbe, certes, mais elle n'avait jamais mentionné qu'elle ne l'était pas. Et malgré la force de l'animal, il était certaine douleur qui vous faisait relâcher son étreinte un peu trop fusionnel à son goût. Et Norwen se saisit de cet instant pour glisser telle une anguille et se détacher de cette emprise et atterrit sur le sol avec légèreté pour mieux se relever plus loin en admirant un instant l’impact de son coup. Quel beau spectacle !! La générale en soupira presque de déception. Il avait pensé avec ses muscles et sa force et en avait oublier l'essentiel.

« -La faiblesse des hommes. De tous. D'une façon ou d'une autre...»

Et la vampiresse ne savait pas que se servir de ses mains. Elle avait des jambes, des crocs, des griffes, mais aussi une sacrée agilité pour elle, tout comme la hargne de ne pas se laisser malmener par un homme, qu'il fusse elfe ou général. Il n'était pas le premier à croire la maîtriser, Norwen avait cette rage au ventre qui l'avait mené là où elle était aujourd'hui. Elle en avait battu des Artaher, des Artaher vampirique, bien pire qu'une grande fougère qui savait juste se servie de sa force.

« -La virilité est mise à mal quand vous commencez à jouer les fiers à bras messieurs. »

La jeune femme se mordait le bout de la langue, un regard provocateur, félin et une sourire enjôleur aux lèvres. Un brin aguicheuse, mais en prévision d'un combat à venir plutôt qu'une séance de charme.

« -Mais, vient ma grande asperge, je te laisse une dernière chance de venir me montrer que tu es capable bien plus que de parler dans le vide. »

Reprenant position au milieu du terrain de combat, elle attendait que son ennemi fasse le premier geste pour lui faire regretter de l'avoir cru aussi faible qu'un vampire de basse condition.

A défaut d'avoir été façonnée dans le même moule, et c'était bien là le moins qu'on put dire, la générale vampirique avait de toute évidence été forgée avec le même métal que celui dans lequel était trempé son homologue elfique. Combative et fière, pas du genre à baisser les armes devant le premier revers venu et même particulièrement confiante quant à l'issue des combats qu'elle menait. Pourtant, la situation dans laquelle elle se trouvait à présent n'avait rien d'enviable, le colosse elfique la tenait fermement et resserrait inéluctablement l'étau dans lequel il était parvenu à enfermer sa belliqueuse adversaire. Ses menaces n'avaient d'ailleurs rien d'un simple avertissement, que du contraire : il avait non seulement la force nécessaire pour lui briser le bras, mais s'il y mettait l'effort nécessaire, il lui serait tout autant possible de la broyer purement et simplement. A moins que la vampire ne parvienne à se dégager ou accepte de lui reconnaître la victoire, le prince vampirique n'aurait pas trop d'une éternité pour ré-assembler les morceaux de sa générale qu'Artaher lui restituerait. Malheureusement pour l'orgueil du gradé elfique, et en particulier pour sa virilité, la petite prédatrice préféra opter pour la première solution et parvint à lui décocher un coup qui manquait certes cruellement d'originalité, mais n'en demeurait certainement pas moins efficace pour autant. Avec un douloureux grognement de mâle malmené, Artaher ne put faire autrement que de relâcher son emprise et les deux généraux se séparèrent précipitamment, chacun retrouvant presque immédiatement sa posture de combat favorite. Même pour un elfe aussi fier que pouvait l'être le Terendul, il aurait été difficile de ne pas accorder le point de ce premier assaut à son homologue vampirique. La faiblesse des hommes, comme la dénommait si lascivement sa féminine adversaire, lui avait certes valu une première déroute mais il faudrait bien plus que cela pour parvenir à le mettre au sol. Un sourire satisfait autant que provocateur vint étirer les lèvres du colosse à blanche crinière tandis qu'il commentait :

« Je commençais à croire que ce combat s'achèverait avant même que nous n'en ayons terminé avec l'échauffement, mais puisque tu ne sembles pas manquer de ressources, peut-être allons nous pouvoir passer aux choses sérieuses. »

Il exagérait un peu, bien entendu, car cela faisait partie du jeu psychologique que de convaincre l'adversaire des difficultés à venir. Mais un peu seulement, car à présent qu'il avait eu le loisir et fallait-il bien l'avouer, le déplaisir, de goûter à certaines techniques de son adversaire, il pouvait reprendre le combat avec une meilleure idée de la manière avec laquelle il pourrait la contrer et emporter la victoire si chèrement défendue de part et d'autre. Sans quitter des yeux les prunelles bleutées de la prédatrice nocturne, Artaher serra les poings à s'en faire craquer les doigts puis leva une main vers la fibule qui retenait sa cape de fonction et s'en débarrassa. Il se défit de la même manière du haut de sa tunique, ne conservant pour tout vêtement que son pantalon et ses bottes. Ce geste dévoila sa musculature saillante, dont la vue suffisait souvent à refréner les ardeurs des combattants les plus endurcis, mais là n'était pas le seul but recherché. En se débarrassant de son uniforme, Artaher privait non seulement son adversaire de prises faciles auxquelles se raccrocher, mais il gagnait également en liberté de mouvement : l'amplitude de ses gestes n'était plus aussi limitée et sa vitesse d'exécution s'en trouvait aidée. De peu, certes, mais ce peu pouvait potentiellement faire une différence face à une adversaire qui misait essentiellement sur son agilité pour prendre le dessus.

« Désolé de t'avoir fait attendre, crocs de lait, mais je m'en voudrais de gâcher cette dernière chance. »

Il n'était pas très difficile de saisir l'ironie dont il avait teinté les deux derniers mots, défiant par le fait même la vampiresse de le contraindre à cette dernière chance justement.

L'initiative de l'attaque suivante fut pour Artaher, lequel répondit sans le moindre ménagement à l'invitation de sa semblable vampirique. D'un bond félin, l'ours combla la distance qui le séparait de son adversaire et multiplia rapidement les coups, parant avec force et vitesse les tentatives de contre-attaque de la vampire tandis qu'il la forçait lentement mais sûrement à reculer. L'atmosphère du terrain d'entraînement ne se résuma bientôt plus qu'au son des impacts de plus en plus violents, et plusieurs curieux vinrent bientôt promener le regard de ce côté de la caverne des Héros. Les spectateurs appartenaient à toutes les races, et à supposer que l'un des combattants eut pu s'accorder une seconde pour jeter un coup d'oeil dans leur direction, il aurait presque pu apercevoir des gestes qui ressemblaient pour certains à des encouragements, pour d'autres à des prises de pari quant à l'issue de l'affrontement.

La vampiresse attendait que la ''grande asperge'' lui montra ce dont elle était capable, et Artaher ne ménagea pas ses efforts en ce sens. Cela faisait de longues années qu'il n'avait plus eu l'opportunité d'un tel combat, et il ne le savourait que plus encore. Sa main finit par réussir à se refermer sur le poignet fuyant de son adversaire et entrava suffisamment les esquives de ce dernier que pour le plonger sous une véritable avalanche de coups. A présent que la distance qui les séparait s'était à ce point réduite, même le plus adroit combattant n'aurait pu espérer tous les esquiver, moins encore les bloquer, et le déluge des impacts malmena violemment le corps de la générale vampirique. Artaher frappait vite, Artaher frappait fort. En vérité, un humain aurait probablement été tué par un tel traitement, mais les vampires étaient suffisamment résistants que pour encaisser ce genre de châtiment, quand bien même le général elfique peinait à croire que la provocatrice trouverait encore le goût de sourire et s'amuser après cela. Un nouveau coup vint trouver les côtes flottantes de la vampire, le suivant la frappa au menton et le dernier, le plus violent, vint la cueillir au niveau des pommettes. Asséné du haut vers le bas, ce nouvel impact projeta la demoiselle au sol et offrit à Artaher l'opportunité de prendre un peu de répit. Le colosse recula de quelques pas, sans quitter son adversaire du regard. Des gouttes de sueur perlaient à son front tandis que sa peau luisait à la lueur des torches qui encadraient la piste d'exercices. De plus, en dépit des efforts qu'il faisait pour maîtriser sa respiration, il lui était difficile de totalement dissimuler un certain essoufflement. Il constata néanmoins avec une satisfaction certaine que le visage de celle qui se voulait sa prédatrice laissait désormais apercevoir par endroits de sanglantes traces plus sombres. L'une des frappes était même parvenue à lui éclater le bord de la lèvre inférieure, laquelle laissait désormais s'écouler un généreux ruisseau sanguinolent.

« Cela te suffit-il pour te convaincre que je sais cogner autant que je sais parler, ou faudra-t-il que je t'accorde une nouvelle danse ? »

Exalté par le combat, il semblait autant l'encourager à relancer l'assaut que chercher à la convaincre d'abandonner.

« Tu veux peut-être que je t'autorise à prendre une arme ? Tu semblais si fière tout à l'heure, mais à part lorsqu'il s'agit de frapper en traître, tu manques sérieusement de mordant. Un comble pour une vampire. »

Cela pouvait sembler paradoxal, mais il était bel et bien galvanisé par la perspective de la voir lui résister encore. Il était persuadé qu'elle avait encore de l'agressivité à revendre, elle ne pouvait tout simplement pas s'être élevée dans la hiérarchie vampirique sans démontrer un peu plus de combativité et Artaher n'avait désormais plus qu'une hâte : qu'elle cesse à son tour de retenir ses coups par jeu et lui démontre ce dont elle était réellement capable. Qu'elle soit vampire ou non lui importait bien peu désormais, elle était une adversaire et une adversaire de valeur, cela lui inspirait presque... du respect. Mais encore faudrait-il qu'elle parvienne à le gagner définitivement.

Mais quel bavard, bien pire qu'une femme. Croyait-il vraiment que ses menaces allaient la faire fuir en courant ? Le nombre qu'elle en avait reçu, une de plus ou de moins, venant en plus d'un grand sapin.

« -Je n'attends que cela, qu'en fin je puisse voir l'étendue de tes capacités. Un si viril ours même pas capable de m'atteindre. Il y a de quoi rendre ses armes et devenir bûcheron. »

Le général elfique devait enfin avoir vu que la petite vampire n'était pas faites de mousse. Et dans le seule but de l'impressionner il se craqua les doigts et se dévêtit dans l'espoir de l'impressionner avec ses muscles. Comme si cela allait faire faire demi-tour à la vampire. Elle en avait vu des biens plus coriace et bien plus bâtit que lui. Le jugeant des pieds à la tête, Norwen répondit d'un air très lent prononçant mot par mot.

« -Je sais être patiente, très patiente. Et je connais la lenteur elfique. Heureusement que le temps pour moi n'a plus aucune importance. »

Et elle aurait le temps de mettre à mal cette patience, quand l'ours en colère fondit sur elle pour lui asséner des coups de griffes sans aucun répit. La vampire avait là deux sorties possible, se dégager et répondre, prenant le risque que son adversaire prenne le dessus ou bien attendre, recevant les coups, dans la douleur, essayant d'en atténuer les conséquences, ne bougeant pas, le laissant s'épuiser et prendre le dessus, confiant et sûr de sa maîtrise. Connaître au mieux sa frappe pour ensuite l'épuiser et se saisir de cette nouvelle connaissance pour le retourner contre lui. Et malgré sa faible résistance, Norwen opta pour la dernière option, préférant encaisser la rudesse des coups, sentant la douleur de son corps, le sang qui s'effilait contre sa lèvre, la présence de ses côtes endolories. Il fallait mieux que son endurance à lui soit mis à mal que la sienne. Elle tablait sur sa régénérescence d'être de la nuit pour pallier par la suite la différence de leur endurance. Une fois au sol, Norwen prit un temps pour rassemble ses esprits. L'elfe fatiguait, un bon point. La vampire s'appuya sur ses bras, laissant un sourire s'échapper sur ses lèvres.

« -Une danse ne se finit qu'à la dernière note. Quand à savoir taper, ton adversaire est toujours debout à parler et prêt à continuer à te fatiguer pour bien mieux te dévorer par la suite. La force ne fait pas tout, mais l'herbe qui te pousse à la place du cerveau doit obstruer tout sens de la tactique. »

Car le seul qu'il avait était sa force brut, rien de plus.

« -Comble ou stratégie ? Décidément, parler, cogner mais réfléchir demande un effort considérable. Mais peut être qu'avoir des muscles ne sont pas compatibles avec celle d'avoir un cerveau. Mais que peut-on attendre de plus d'un elfe. Et je comprends bien mieux votre place à ce poste. »

Il aurait aimé qu'elle plie face à lui. Elle était tenace, elle l'avait toujours été. Et ce n'est pas un général elfique qui allait changé cela.

« -Quand à une arme, pas besoin, j'en suis une à moi même. »

La vampire se releva à demi, genoux au sol, presque abattu, comme diminuer par les coups reçu, prête à abandonner, essuyant du bout des doigts son sang noircit. Le regard perçant plonger dans celui trop clair du général elfique, elle ne lui laissa pas le temps de répondre ou bien de la croire vaincu, et prit appui sur son pied au sol pour venir asséner un coup dans le plexus. Il commençait à faiblir, à souffler et s'affaiblir. Certes, elle aussi, il n'y était pas aller de main morte et recevoir les coups n'avaient pas été une partie de repos. Mais chaque coup avait été une bonne raison de lui les rendre au centuple, chaque poing contre sa peau rendait Norwen encore plus hargneuse et haineuse, la dardant d'une envie féroce de le voir plier. Et ce point stratégique du souffle le lui couperait un peu plus. Car rien ne servait de taper fort, il fallait taper juste. Et la jeune femme avait toujours été habile pour cela. Sa place, elle la devait à cela, son coup d’œil sur les faiblesses de l'autre. L'asperge avait son souffle et sa trop grande confiance en ses poings, mettant de côté ses jambes d'appui. C'est là que Norwen frappa en second, d'un coup de plat de la main dans le coin du genou, et accusant un peu le coup l'elfe expira d'un souffle court. Norwen se releva pour un coup de poing dans le nez. Et sentir sous ses os le cartilage souffrir de son impact.

Une lueur froidement amusée traversa le regard aux reflets de glace du général elfique lorsque son adversaire évoqua sa fatigue et son apparent manque d'esprit tactique et stratégique. Elle voulait jouer la carte de l'endurance pour l'épuiser et vaincre lorsqu'il ne serait plus en mesure de combattre ? En soi, l'idée n'était pas mauvaise : à effort égal, le cadavre ambulant qui leur servait de corps permettait aux vampires de consommer beaucoup moins d'énergie que les vivants. Une telle stratégie aurait certainement pu être couronnée de succès face à une majorité d'elfes, mais au sein de son propre peuple, Artaher faisait plutôt office d'exception à la règle. Moins versé dans les arts de la magie que la plupart de ses congénères, le général elfique s'était depuis toujours taillé une condition physique hors norme : son essoufflement et la sueur qui perlait à son front n'étaient donc pas tant des signes de faiblesse que ceux d'un corps rompu à l'exercice auquel il était soumis alors. Artaher pouvait endurer un tel traitement pendant des heures durant, sans que la force de ses coups ou la vivacité de ses gestes n'aient à en pâtir, mais en serait-il autant pour la vampire ? On pouvait en douter, quand bien même elle ne semblait pas encore devoir se départir de cette arrogante insolence qui plaisait tant à son homologue elfique.

« Merci pour cette leçon de stratégie, mini-pousse, mais si je peux m'en permettre une à mon tour, un plan a souvent de plus grandes chances de réussite s'il est gardé secret. Ton assurance finira par te jouer des tours. »

D'ailleurs, il suffisait de poser le regard sur elle pour s'en persuader, celle qui se qualifiait pompeusement d'arme n'était pas la plus reluisante lame qui fut, loin de là. Toutefois, la seconde suivante vint rapidement rappeler au général des forêts ainsi qu'à l'assemblée des spectateurs plus ou moins partiaux que cette lame pouvait couper encore, toute émoussée qu'elle pouvait pourtant paraître. L'assaut de la vampiresse fut aussi rapide et précis qu'il était inattendu, la défense d'Artaher fut vaincue et le coup ne manqua pas ébranler la véritable forteresse de muscles que représentait le colosse elfique. Privé pendant quelques secondes d'un oxygène particulièrement précieux pendant un combat, Artaher ne put ni esquiver ni contrer l'enchaînement des coups de la vampiresse. Sa jambe céda docilement sous l'impact de la frappe adverse et contraignit sa haute carcasse à poser le genou à terre, s'offrant à la portée d'une nouvelle attaque, laquelle ne manqua pas venir à sa rencontre sous la forme d'un solide coup au visage. L'arête du nez ainsi martyrisé fit entendre un craquement des plus éloquent tandis que l'âcre goût du sang venait envahir la bouche du général elfique. Celui-ci vacilla sous le choc et la vampire n'attendit guère son invitation pour en profiter, plongeant sur son adversaire en équilibre instable pour l'amener au sol d'une violente frappe au niveau de la gorge. Message reçu, elle avait de quoi justifier son arrogance et savait rendre coup pour coup, alors peut-être valait-il mieux ne pas trop lui laisser l'opportunité de le faire.

Au milieu des étoiles qui lui tournaient devant les yeux, Artaher parvint à trouver l'éclair de lucidité nécessaire pour interposer un bras devant celui de son adversaire et ainsi contrer l'assaut vampirique. Repliant aussitôt une jambe, le colosse vint asséner un solide coup du genou directement dans le ventre de la prédatrice qui le surplombait et projeta à son tour l'une de ses mains vers la gorge de la dentue, refermant l'étau de ses doigts sur le cou gracieusement offert. Autour d'eux, les clameurs du public improvisé n'en finissaient plus d'exiger son quota de sang et de violence, mais le combat ne sembla pas moins offrir un temps de répit à ses belliqueux danseurs. Les regards de haine et d'agressivité mêlées se croisèrent, se défièrent tandis que l'un autant que l'autre semblait tenir son adversaire à sa merci. D'un geste, Artaher aurait pu briser le cou de la vampire, mais celle-ci en contrepartie n'avait guère besoin de plus pour lui arracher la gorge. Et comme si le liquide écarlate qui leur coulait dans les veines devait venir justifier de ce statu quo, plusieurs gouttes du sombre sang vampirique vinrent mêler leur sinistre course à celle du sang elfique plus vif, maculant le sable de la piste d'entraînement d'un sanglant mélange. Le colosse elfique respirait profondément, cherchant autant de force qu'il lui était possible d'en récupérer, chacune de ses inspirations soulevant son torse et la vampire qui s'y dressait. Toujours sur la défensive, Artaher approcha prudemment sa main libre de son visage pour venir effleurer son nez brisé, quittant brièvement le regard de son adversaire pour jeter un coup d'oeil aux traces écarlates qui souillaient à présent le bout de ses doigts. Finalement, l'elfe consentit à laisser échapper un rire aux tonalités étonnamment sincères qu'il compléta d'un bref commentaire :

« Pas mal... »

C'était probablement ce qui, dans sa bouche et considérant qu'il s'adressait à une vampire, ressemblerait le plus à un compliment. Il n'en avait pas pour autant relâché sa prise cependant, pas plus qu'elle n'avait écarté la menace qu'elle faisait peser sur lui, et les spectateurs commençaient à s'impatienter.

« Il semble que nous soyons arrivé dans une impasse : je n'ai pas l'intention d'abandonner et toi non plus, je pourrais te tuer mais tu en ferais autant. Sur le champs de bataille, la question ne se poserait même pas, mais ici, les règles de l'alliance nous l'interdise... »

Le colosse elfique détourna le visage le temps de laisser échapper un crachat sanglant puis reprit :

« Alors à présent, que fait-on ? »

Il y avait bien des années à présent qu'il n'avait plus eu l'opportunité d'un tel affrontement, il en était comblé et plus qu'agréablement surpris, au point qu'il en venait à regretter les impératifs liés à sa fonction et à ce qu'il représentait au sein de la rébellion et de l'alliance entre les elfes et les vampires. Il aurait vraiment souhaité pouvoir se mesurer à elle sans que leurs mains ne soit liées par les accords qu'avaient pu passer leurs souverains respectifs et n'avait pas de peine à imaginer que ce sentiment était vraisemblablement partagé par celle qui le surplombait. Il voulait la tuer autant qu'elle voulait le tuer, ça ne faisait aucun doute, mais avant cela, ils allaient devoir coopérer pour botter les fesses d'un ennemi commun. Dommage, et en même temps, l'attente n'en rendrait leur affrontement final que plus savoureux encore.

Le roc devant elle ne semblait pas près à la laisser prendre le dessus et l'ensevelir sous les coups. C'est que le petit elfe n'était pas une branche si fragile, un tronc plutôt. Mais là aussi, un tronc ça s'abat, avec plus de temps certes, mais il pouvait aussi se tailler. Et Norwen avait tout le temps pour cela, et l'énergie, l'endurance peut être moins, mais la hargne et le plaisir à le voir un jour plier devant elle la lui donnait encore et encore. Elle puiserait au plus profond d'elle même pour ne pas qu'il garde et continue à afficher cette figure fière et arrogante. Et elle lui ferait avaler ses paroles et ses conseils, comme si elle avait besoin de ceux d'un elle. Un nouveaux-né ou presque d'un point de vue elfique.

« -Ohhh mon tout doux et cher général !!! Vos conseils garde-les pour toi ! Nul importance que tu te saisisses d'une de mes stratégies ou pas que de toute façon tu aurais bien compris avec le temps. Tout comme le fait que je n'ai pas d'une corde à mon arc. Quand à me jouer des tours, blondinette, tu as encore bien des choses à apprendre.»

Pour preuve, elle le toucha encore, ce fière général pavoisant, et celle là l'avais-tu sentit venir ? Norwen jubilait et continua et taper et esquiver, feinter et encore montrer de son agilité. Même si le général coucourge vint se serrer contre sa gorge. La douleur ne fut pas celle de l'air venant à manquer dans son corps, mais plus sa fierté mal placée à s'être fait prendre de la sorte. Et le goût de son sang mais surtout celui de son adversaire venait se mêler à ses narines devenait de plus en plus rude à contrôler. Même si le public en demandait plus et encore, sueur, sang, violence, le général préféra en rire, ne cherchant pas à serrer un peu plus ses mains sur sa frêle peau fraîche. Dommage, Norwen aurait aimé tendre un peu plus sa jambe pour cette fois voir son pied ou son genou arrivé dans les côtes. Une prochaine fois.

« -Les règles de cette alliances sont une aubaines finalement, général elfique. Mais en effet, je ne cesserai de me tenir debout tant que tu le seras aussi. Donc l'impasse est inévitable. La seule solution est soit de nous stopper ici avant que je te laisse dormir contre la poussière ou bien tu te sens capable de montrer ce que tu vaux avec une arme. »

Elle en était curieuse en effet, de voir s'il était capable de manier une arme aussi bien que ses poings. La générale n'en doutait guère, un militaire jusqu'au bout. Mais il n'y avait pas que cela, le plaisir aussi de pouvoir planter une lames dans sa chaire et le sentir souffrir, le sang coulant sur sa peau elfique. Un si beau spectacle il serait des plus agréables et délectables à voir. Mais une prochaine fois. Norwen savait que la raison, pour une fois aurait le dessus sur son envie de combattre et de sang.

« -Ou bien nous attendons tous deux patiemment que les règles changent, car nous savons que cela se fera un jour. Et ce jour là, je serai là à t'attendre prête à te montrer toutes l'étendue de mes capacités. »

Norwen lui sourit avec gourmandise et délectation. Oui quand les restrictions de la rébellion seront levés, la générale aimerait voir jusqu'où cette grande asperge serait capable d'aller. La mort sûrement, s'il était bâtit comme elle.

« -J'avoue que cette idée me tente tout particulièrement. Plus de chaînes, plus d'excuses, seule la force brute et animale. Et toi mes pieds.»

Mais avant cela il y avait une bataille, une rude guerre où elle devrait marcher à côté de ce roc. Mais la crainte qu'on lui enlève son nouveau joujou lui donna un objectif. Celle que personne ne le lui abîme. Il était à elle, c'était son générale elfique, son asperge et c'est elle qui le ferait plier et mettre à genoux.


[Une conclusion pour moi: au plaisir de te revoir au sol]

Troquer le poing pour l'acier, voila bien une proposition des plus intéressantes. Décidément, le général elfique devrait se faire à l'idée que le petit bout de dentue qui se tenait devant lui avait de la hargne à revendre, mais ce n'était certainement pas lui qui s'en plaindrait. Ce d'autant plus qu'il était curieux de découvrir un peu plus encore des talents de combattantes de son adversaire. Curiosité partagée d'ailleurs, cela se voyait à l'étincelle sanguinaire qui avait traversé le regard bleuté de la vampire au moment où elle avait évoqué cette proposition, cela s'entendait à ce timbre de voix si particulier avec lequel elle avait prononcé les mots. Et le colosse encore à terre relèverait le défi sans la moindre hésitation, bien sûr. Après tout, il était un guerrier dans l'âme et le combat, qu'il fut à mains nues ou à l'épée, était une seconde nature pour lui. A moins bien sûr qu'une offre plus alléchante encore ne lui fut soumise, comme par exemple la perspective d'un combat digne de ce nom : sans barrière, sans retenue, sans limitation. Un combat à mort duquel seul le plus fort, le plus habile, le plus rusé aussi, sortirait debout. Pourtant, attendre ne serait pas facile, Artaher n'était pas réputé pour sa patience, que du contraire en fait, mais l'enjeu semblait cette fois justifier qu'il domina son impulsivité naturelle. Et l'impertinente assurance que témoignait la vampire à l'égard du résultat de cet affrontement que les deux généraux pouvaient d'ores et déjà imaginer particulièrement intense n'était qu'un argument de plus en faveur de l'attente.
Le regard aux reflets d'acier du colosse elfique s'illumina brièvement d'une étincelle tentatrice tandis qu'il répondait au sourire suave de la prédatrice :

« La seule qui peut prétendre m'avoir à ses pieds, c'est mon épouse. Si tu veux lui ravir ce privilège, il te faudra faire mieux, beaucoup mieux que ce que tu as pu démontrer aujourd'hui. »

Car lorsqu'on retirait la bride qu'imposait l'entraînement, les combattants déployaient instinctivement toute l'étendue de leurs talents et les résultats étaient souvent ... particulièrement frappants. Mais cela, la générale vampirique le savait aussi bien que son homologue elfique, et cette constatation n'en rendait que plus affriolante encore la perspective de ce combat à venir.

« Je suis prêt à te laisser une chance d'y parvenir, mais j'ai hâte de goûter à ces capacités que tu me vantes tant. Attendre ne sera pas facile. »

Poussant un cran plus loin encore la provocation, Artaher mima le geste d'une morsure, comme si l'elfe qu'il était n'attendait qu'une opportunité de croquer du vampire. Quand la proie se faisait prédateur à son tour, les règles de la chaîne alimentaire pouvaient rapidement se trouver inversées, mieux valait que celle qui se prétendait en occuper le sommet en soit bien consciente.

Lentement, sans quitter le regard de son adversaire, le colosse elfique desserra l'étreinte qu'il faisait encore peser sur la gorge délicate tandis qu'en retour, la vampire écartait sa propre menace. Les deux combattants se relevèrent sous les acclamations déçues de la foule de leurs supporters respectifs, se toisant mutuellement d'un air entendu avant de s'en retourner chacun vers son peuple et ses responsabilités propres.
C'était bien la première fois que le général des armées elfiques consentait à pactiser avec l'une de ceux qui resteraient à jamais ses ennemis, mais les termes de ce contrat tacite justifiaient plus qu'amplement un effort de sa part. Le tout à présent, c'était de s'assurer que personne ne viendrait le priver du plaisir qu'il aurait à tuer lui-même la générale aux dents longues.

RP TERMINE