Deuxième semaine de juin, 2 jours après l'arrivée des Alayiens à Althaïa



Une manoeuvre habile... Vraiment très habile, même lui devait en convenir. Bien sur il avait compris depuis déjà un bon moment que Fabius Kohan était un homme habile. Il avait usurpé le trône avec une telle efficacité qu'on ne pouvait que comprendre qu'il avait préparé son coup très longtemps à l'avance. Il avait su se montrer patient et ça avait payé. Tromper Korentin Kohan n'avait pas dû être spécialement difficile bien sur mais ce dernier n'était pas seul à la cour et il avait dû être bien plus difficile à la vipère de cacher son jeu face à un Gregorist ou à n'importe quel politicien un tant soit peu habile. Dommage qu'il ai réussi d'ailleurs car sa prise de pouvoir n'avait pas du tout arrangé les vampires. Enfin c'était ainsi, la stratégie était un jeu en perpétuel mouvement et il fallait savoir s'y adapter.

C'était d'ailleurs ce qu'il faisait, ou essayait de faire. Il avait la désagréable impression que le déroulement des choses lui échappait ces derniers temps. La localisation d'Aigue-Royal avait été découverte suite à la trahison d'un humain. Cet Alford Gorder qu'ils n'avaient pas réussi à intercepter avant qu'il n'arrive à Gloria... Il fallait dire qu'ils étaient parti avec un sacré retard... C'était bien de Korentin de se laisser bêtement poignarder tiens ! Aurait-il été lui-même choisi pour cible que tout ceci ne serait pas arrivé et qu'ils n'en auraient pas été réduit à se lancer à la poursuite d'un fuyard en sachant que celui-ci possédait déjà une confortable avance. Comme il fallait s'y attendre il n'avait du coup pas été rattrapé et le résultat était là. Une gigantesque armée campait à présent au dessus de leurs têtes ! Composée d'Alayien en écrasante majorité et de quelques rares troupes impériales. Finalement Fabius Kohan n'avait peut-être pas tant la main que ça... Les nouvelles lois qui avaient été édictées vis à vis de la magie tendaient en ce sens. Et puis comment imaginer que le Prêcheur puisse ne pas se servir de sa main mise sur les forces armées ? Oui décidément, ce jeu était en équilibre précaire... Il suffirait de bien peu pour le renverser, mais encore fallait-il en être capable.

Il n'en était pas tout à fait certain, mais leurs chances restaient bonnes. Bien sur il n'avait pas l'habitude d'établir un plan en se basant uniquement sur des probabilités et sur la chance, il détestait même cela. Sauf qu'il était d'accord avec Korentin Kohan sur au moins un point : ils n'auraient pas de meilleures occasions de vaincre leurs ennemis que maintenant. Si ceux-ci étaient assez idiots pour venir combattre dans les galeries alors... Alors ils seraient vaincus. Il ne pouvait en être autrement. Les elfes avaient rejoint la rébellion ce qui leur avait fourni un renfort plus qu'appréciable. Aigue avait été transformée en un véritable camp retranché, la plupart des galeries avaient été écroulées et qui était mieux placé qu'un vampire pour faire confiance en une belle galerie bien étroite pour faire basculer une bataille ? Après tout c'était ainsi qu'ils avaient survécu alors qu'ils auraient dû disparaitre. Les galeries vampiriques leur avaient sauvé la mise une fois, alors pourquoi celles d'Aigue Royal ne le feraient pas à nouveau ? D'autant plus qu'il y avait les dragons à prendre en compte... Il fallait avoir un sérieux problème pour ne serait-ce que songer à aller affronter un dragon coincé dans un couloir qui rendrait toute possibilité de contournement absolument impensable... Comment diantre Fabius et le Prêcheur comptaient-ils faire ?

La question le taraudait depuis un bon moment. Il avait participé à la mise en place de la stratégie rebelle, plaçant ses troupes de façon à ce qu'ils soient aussi efficaces que possible. Et il s'interrogeait sans relâche. Habile... Fabius était habile. Le Prêcheur aussi, il était inutile de le nier. Alors pourquoi couraient ils se jeter dans la gueule du loup ? Cela n'avait aucun sens...

Ou peut-être bien que si...

Vraiment, vraiment très habile. Oui bon d'accord, il se répétait. Mais c'était ce qu'il avait pensé quand l'espion vampire s'était présenté devant lui. Il en avait envoyé plusieurs à Gloria mais il n'y en avait pas beaucoup qui était parvenus à se glisser dans l'armée et à finalement faire partie de la colonne qui devait attaquer Aigue. Vince, c'était le nom de cet espion. Infiltré à Gloria depuis des années et très habile, il avait eu moins de mal que les autres à réussir cet exploit. Il était enrôlé dans les rares troupes impériales et même si il n'avait pas la lame noire qui lui aurait permis de vraiment graviter auprès du roi humain au moins avait-il tout de même la confiance de ses pairs. Du moins c'était ce qu'il croyait...

Comment et depuis quand Fabius l'avait-il repéré comme étant un vampire ? C'était difficile à dire. Sans doute depuis peu car jusque ici les informations que Vince avait pu ramener avait toujours pu être vérifiées. On se serait sans doute servi de lui pour ramener de fausses informations si il avait été découvert plus tôt... Non, sans doute avait-il fait un erreur récemment... C'était irritant de le penser mais au moins avait-il pu servir de parfait messager du coup... Fabius aurait eu du mal à le contacter en secret sans cela. Et il était clair qu'il avait prit soin d'agir dans le plus grand secret y compris au sein de son propre camp... Le récit de Vince le démontrait bien.

La scène s'était déroulée le matin même alors qu'il se trouvait dans sa tente. L'effet de surprise avait été total, il était trop sur de l'efficacité de son infiltration pour que même ses sens vampiriques ne puissent lui venir en aide. Les Lames Noires s'étaient engouffrées dans son antre et il avait cru sa dernière heure venue, mais il s'était trompé. On ne l'avait pas tué, on l'avait chargé d'un message... L'homme qui s'était occupé de ça possédait un totem baleine de haut niveau, il s'était arrangé pour que tout ceci soit enfermé au fin fond de sa mémoire et qu'il ne puisse pas y avoir accès de lui-même. Une façon comme une autre de s'assurer que le message ne tomberait pas en de mauvaises mains.. Ceci fait il avait été relâché avec un ordre explicite : retrouver son prince.

Et c'était ainsi que le message était arrivé à bon port. Son totem serpent n'avait pas mis longtemps à l'avertir qu'il se passait quelque chose de louche dans la mémoire de l'espion et encore moins longtemps à aller récuperer le message. Dommage que ça ce soit si mal passé pour Vince... Il n'avait pas survécu à l'opération, la faute à la magie encore un peu perturbée. Cela s'était beaucoup amélioré en quelques mois mais ce n'était pas encore suffisant pour qu'il puisse utiliser son contrôle sur la mémoire sans créer de dommages. Remarquez de toutes façons grillé comme il l'était cet espion là ne lui servait plus à grand chose...

On avait débarrassé son bureau du cadavre et il y était resté enfermé toute la journée. Il réfléchissait. Pourquoi Fabius Kohan pourrait-il avoir besoin de le rencontrer ? Et pourquoi traiter avec lui uniquement alors qu'il aurait eu bien plus de facilité à le faire avec les elfes ou même avec son cousin ? D'ailleurs pourquoi traiter quand on était l'agresseur et pas le défenseur ? Il allait lui proposer quelque chose, c'était sur et certain... Ou bien c'était un piège. Une idée amusante que celle-ci. Comme si il allait prendre le moindre risque... La nuit tomba enfin, et la porte du bureau resta obstinément fermée. Il avait prit sa décision. Il irait... Mais pas tout à fait.

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Zone du rendez vous : un peu à l'écart du campement Alayien

La fin de la nuit... Un compromis pas tout à fait acceptable quand il y pensait car si il arrivait en pleine possession de ses moyens il pourrait bien se retrouver un peu moins à l'aise pour peu que la rencontre s'éternise. Tant pis... Il ferait en sorte que ce ne soit pas le cas, et puis d'ailleurs, que risquait-il ? Il n'était même pas là. [sort de projection astrale]

Il jeta un coup d'oeil à son apparence, sombre silhouette éthérée dans l'obscurité silencieuse. Son corps physique demeurait à Aigue, il n'avait envoyé que son esprit rencontrer l'empereur humain. Il devrait se contenter de cela, le prince noir n'était pas connu comme un être imprudent. A quoi bon prendre un risque qui ne vous apporterait rien ? Surtout quand on était invité à une entrevue dont on ignorait toutes les implications...

Son pas habituellement silencieux était cette fantômatique, il était là sans être là et pourtant sa sombre présence semblait alourdir l'atmosphère. Acérées, ses prunelles d'acier percèrent la nuit et se fixèrent une demi seconde sur les Lames Noires immobiles un peu plus loin ainsi que sur la silhouette immobile au centre de leur dispositif. Les prunelles s'étirèrent, concentrée, et le vampire s'avança jusqu'à l'endroit exact où on avait attendu qu'il s'avance. Pile à portée des armes de jets donc, mais pas assez proche pour pouvoir bondir sur leur roi... Méfiantes ces Lames. Et amusante quand il y pensait. Il aurait suffit qu'il soit là en personne pour que ses armes magiques réduisent tout ce joli dispositif à néant. Mais sans doute avait-on justement compté qu'il ne viendrait pas tout à fait... Qu'il serait méfiant. Habile cet homme, vraiment. Il l'amusait.

"Salutations, Fabius Kohan. Je ne sais très bien encore comment je dois prendre cette invitation... Mais me voici. En quelque sorte."

Son visage demeurait insondable tandis qu'il plongeait durement son regard tranchant dans celui de son interlocuteur. Du contrôle... De la ruse... Et une certaine tension. C'était ce qu'il lui semblait lire à tort ou à raison. Rien qui ne puisse l'étonner donc, mais cette simple rencontre était déjà fort étonnante. Sans le quitter des yeux et sans chercher à effacer totalement la légère note cynique de ses paroles, il interrogea :

"De quoi sommes nous censés parler en si petit comité ?"

Il ignorait totalement les Lames, conscient pourtant de leur tension. Il avait beau ne pas être là, cette rencontre ne leur plaisait tout de même qu'à moitié... Mais ils étaient disciplinés, sans doute les plus disciplinés de tous d'ailleurs car il était facile d'imaginer que Fabius ai soigneusement trié ceux qui l'accompagneraient pour ce moment. Une totale discrétion... Il y avait veillé jalousement. Pourquoi ? Pas tout à fait certain de viser juste, l'ancestral tenta tout de même tranquillement :

"Le Prêcheur aurait-il fini par lasser ses alliés ?"

La tente était spacieuse, des tapis de fortune recouvraient la terre et elle se permettait même le luxe d'avoir deux petits meubles et un lit dont aucune auberge digne de ce nom n'aurait voulu, mais qui faisait office de lit princier en la circonstance. Un feu chauffait l'ensemble, faisant rougeoyer les visages et se mouvoir les ombres dans un spectacle aux allures fantomatiques. Assis juste en face en tailleurs, l'air sombre et pensif, son faciès borgne fixant les flammes, Fabius Kohan était vêtu très simplement, dénué de l'extravagance auquel la cour l'avait habituée.

Cela avait été difficile au début. Tous ces changements. Mais s'il y avait une chose à laquelle cet homme excellait, c'était bien l'adaptation. Du souverain autoritaire au courtisan docile, de l'homme distingué au baroudeur aux allures de brigands. Peu importait au bout du compte, tant que cela lui permettait d'accomplir ses objectifs. Gagner des alliés, tromper ses ennemis ; en mettre plein la vue, mériter le respect de ses hommes. Du moment que le but était atteint, le reste était sans grande importance.

Après tout : les vainqueurs écrivaient l'Histoire.

Jouant machinalement avec une plume (il avait commencé avec une dague, mais devant l'air aussi furieux qu'angoissé de son Ombre, il l'avait sagement reposé), le monarque repensait aux derniers événements en date.

Tout était partit d'Alford Gorder et de ses révélations sur la position exacte de l'armée rebelle. Les casernes avaient été vidés, les troupes rassemblées. L'Ordre d'Obsidienne s'était mit en marche, avec dans ses rangs quelques malheureux régiments de l'armée impériale. Direction Aigue-Royale, non loin d'Althaïa et des traîtres qui y vivaient. Bien sûr, quelqu'un d'un tant soit peu censé eut émit quelques doutes sur la pertinence d'une telle campagne. Mais le mot lui-même était honni des alayiens, et rien ne serait en mesure de stopper la folle course qui s'était engagée.

Pourtant les espions avaient bien rapportés que l'étrange mal sévissant dans les vieux bois en avait chassé les elfes, et que ceux-ci s'exilaient vers l'est (comme par hasard) ... Quelques mois plus tôt, Fabius aurait pu les accueillir, évitant ainsi de renforcer considérablement ses ennemis. Mais le fanatisme des alayiens les avaient ramenés à la même situation qu'avant son couronnement. Eux contre tous les autres. Sauf qu'il ne s'agissait plus d'une attaque surprise et que la base des rebelles, faite de tunnels et de dragons, avait toutes les allures d'un piège mortel.

Aldakin était pourtant loin d'être un idiot. Ne l'avait-il pas dépossédé de son pouvoir tout en évitant une guerre civile ? Mais le nom de Lorenz Wintel semblait leur ôter tout bon sens. Néant voulait qu'il meure, il fallait donc faire en sorte que ça arrive, quoiqu'il en coûte.

Enfin, tout cela ne le concernait pas. L'Empereur défendait ses seuls intérêts, et tous les autres n'étaient rien si ce n'est des marchepieds vers le pouvoir. Il était grand temps qu'il revienne sur le devant de la scène, et pour ce faire, rien de tel qu'un bon coup de poignard dans le dos. Histoire de rappeler à tout ce beau monde qui était le patron.

Bien sûr, Fabius pensait à la trahison depuis le jour même où le Prêcheur avait investi sa chambre à coucher pour lui faire signer ces lois ridicules. Mais il avait alors les mains liés. Comment combattre un adversaire qui savait tout sur vos intentions, renseigné par un Esprit Supérieur ? C'était impossible, et cela expliquait probablement pourquoi celui-ci ne s'était même pas donné la peine de le tuer. Il n'était pour lui rien de plus qu'une inoffensive marionnette.

On ne rebondissait jamais aussi haut qu'en tombant au fond du gouffre. Il suffisait de voir son cousin et la coalition qu'il avait mise sur pied pour s'en persuader. Du reste, Fabius avait trop sacrifié pour s'arrêter là, et se contenter des honneurs et des apparats. Il voulait ce qu'il avait toujours voulu, ce qu'il méritait de par le sang et son intelligence supérieure : le pouvoir absolu. Devenir maître de l'Empire le plus puissant du continent. Hors de question de se faire coiffer au poteau par un arriviste encapuchonné.

Le souverain qui ne l'était plus vraiment s'était donc retroussé les manches et mit au travail. Bien sûr, pas de manière évidente. En apparence, il ne faisait que compter son or dans la salle des coffres, en compagnie de sa maîtresse et de ses lames noires, en bon Roi oisif qu'il était. C'était une impression qu'il avait cherché à donner en toute circonstance, y compris devant "ses proches". Car pour tromper l'ennemi, il fallait d'abord tromper l'ami.

Et de toute façon, il ne faisait confiance à personne.

La recherche fut fastidieuse et souvent infructueuse. Sans compter qu'il ne pouvait s'y absorber totalement, car il devait continuer à jour son rôle. Mais il finit par trouver un médaillon si vieux et si chargé de magie, qu'il le mit aussitôt de côté pour l'étudier plus tard. Là encore, cette étude fut ralentie par le fait qu'il ne pouvait guère pratiquer de magie sans éveiller les soupçons. Il y réfléchissait tard le soir, fixant le dit objet et marmonnant dans sa barbe.

Le déclic se fit à point nommé, lorsque le mercenaire vint sa cour pour faire son mea culpa et dénoncer tous ses anciens amis. L'opportunité qu'il lui fallait pour reprendre la main. Fort heureusement pour lui, cet objet ne fonctionnait qu'avec le mental, il fallait y enfermer mentalement les pensées et les desseins qu'on souhaitaient garder secrets, et ce, même aux esprits. L'objet était unique et puissant. Le Borgne se demanda même s'il ne répondait pas en fait à son désir, s'il ne lui apprenait pas de lui-même, par le biais du lien qui s'était créé entre eux deux, ce qu'il était, et ce à quoi il était destiné.

Fantasmes ou pas, Fabius comprenait cela. Pour quelque chose d'aussi fort, en être réduit à des millénaires d'impuissance, ce devait être frustrant. Il n'osait même pas l'imaginer.

Au fond, le pourquoi du comment n'avait aucune importance. Le Roi avait maintenant en main la clef qui lui permettait de bâtir un plan sans que celui-ci ne soit d'avance voué à l'échec. C'était tout ce qu'il demandait. L'arrivée récente d'Esmelda à la cour offrait une diversion satisfaisante. L'intelligence et la malice du Prêcheur serait son propre piège. Sachant (à raison d'ailleurs) que Fabius ne ferait rien qui mette sa survie en jeu, il se concentrerait sur la cousine, qui elle était du genre à agir avant de réfléchir.

Néanmoins, il restait à mettre en pratique le reste de ses pensées. Et ce, sans qu'un quelconque Esprit en ait vent. Plus facile à dire qu'à faire, car le médaillon ne le protégeait que lui et lui seul. Sa naturelle paranoïa lui fut donc d'un grand secours. Aucun de ses serviteurs ne se formalisa qu'il donne un ordre sans explication aucune et en apparence absurde.

Ce fut étonnement facile que de convaincre le Prêcheur de lui permettre de venir avec l'armée. Peut-être trop facile, et ce, malgré le fait qu'il pouvait maintenant lui mentir et toute la mise en scène pour faire croire à un complot qui agirait dès que les alayiens seraient partit. Il était donc fort probable que le fanatique eut des soupçons et qu'il cherchât à se débarrasser d'un pion devenu trop encombrant. Cependant les humains étaient très attachés aux Kohans, un assassinat eut vite fait de déclencher un conflit (fort inopportun en la circonstance), en revanche, un "accident" en pleine guerre...

Bref.

Fabius avait trois objectifs : retrouver sa pleine suzeraineté, détruire les alayiens, affaiblir considérablement la rébellion.

Pour ce faire, il devait entrer en contact avec Lorenz Wintel, le prince des morts-vivants. Merythin eut été un excellent intermédiaire, mais ce dernier n'était pas vraiment en odeur de sainteté dans le camp de l'Ordre d'Obsidienne, dans lequel le Roi plantait bien malgré lui sa tente. De plus, il ignorait comment le joindre. Il devait trouver un autre moyen, et il n'avait qu'un petit mois devant lui, soit le laps de temps que mettrait l'armée pour rejoindre la cible.

Le Borgne essaya donc de réfléchir comme un psychopathe aux tendances paranoïaques et sanguinaires. Ce qui, étonnement, ne fut pas difficile. Le Prince devait avoir des espions, non pas parmi les fanatiques, mais dans sa propre armée. Il ordonna une enquête discrète, assisté en cela par un membre de sa police secrète (les lames noires ne manquant que trop de subtilité pour la collecte de renseignement). Une liste de suspect fut dressée, et la cible choisie.

Une petite troupe d'élite de lames noires s'occupa de la réception discrète du paquet. Un vétéran possédant le totem de la baleine imprégna le vampire du dit message, lequel n'était jamais qu'un point de rendez-vous. Là encore, Fabius Kohan restait prudent, car son adversaire en la matière n'était autre que Néant. La sangsue n'eut aucun mal à quitter le camp. Malgré tous leurs efforts, empêcher de faire quoique ce soit de nuit à un vampire relevait de la gageure.

Et maintenant, soit quelques jours après cet événement, alors que le camp final était dressé non loin de l'objectif, le monarque fixait toujours les flammes, attendant que la nuit tombe. Il repassait dans son esprit les arguments et contre-arguments qui lui seraient nécessaires, tout en essayant d'imaginer à quoi ressemblerait le Prince. S'il était aussi prudent que lui, il ne viendrait pas en personne, mais utiliserait quelque moyen magique pour communiquer. Cela n'avait guère d'importance, en fait, c'était même plutôt rassurant.

Il ne dormit que très peu, et fut réveillé deux heures avant l'aube. Suivit des lames noires les plus fidèles, ils sortirent alors que le camp dormait. Les sentinelles soudoyées les laissèrent passer sans problème. L'or ouvrait bien des portes, surtout que celles-ci ne voyaient pas pourquoi elles refuseraient quoique ce soit à l'Empereur, lequel allait certainement se payer un peu de bon temps dans un village voisin.

Au lieu de rendez-vous, un silhouette fantomatique vint à eux. Il sentit la tension de ses gardes du corps, et se félicita de n'avoir sélectionné que les plus expérimentés.

Salutations, Prince.

Le regard éthéré du vampire était aussi acéré qu'une lame, mais il semblait plus curieux que colérique. Les quelques paroles pourtant assénés sur un ton très calme achevèrent le monarque de ne surtout pas sous-estimer cette créature.

Le Prêcheur n'a aucun allié. Il n'en a jamais eu. Voilà pourquoi, bien des mois plus tard, il se retrouve dans la même situation : seul contre tous, et à deux doigts du désastre.

Mes pensées sont protégées. Cette conversation n'a donc aucune raison d'être épiée. (Il ne parlait pas d'espions ordinaires, et il espérait que le vampire comprenne cela.) Néanmoins je préfère ne pas prendre de risque. Allons directement au vif du sujet et finissons-en rapidement.

Avec ces tunnels, vous vous défendrez très bien, et pendant longtemps. Mais si j'ai bien compris votre manière de fonctionner, je ne crois pas que cela vous convienne... d'être le bouclier des hommes et... des elfes.

Pour ces derniers, il n'avait aucune confirmation, mais il verrait bien la réaction de l'immortel.

Vous voulez détruire vos ennemis et gagner. Or, il se trouve que nous en avons un en commun. Un accord est-il envisageable ?

Il espérait avoir suffisamment piqué la curiosité du suceur de sang. Il comptait sur le sens tactique et stratégique, mais aussi l'orgueil de cet être qui avait conquis la moitié du Royaume avait d'être humilié par une bande de fanatiques venus d'ailleurs.

Physiquement, l'usurpateur ressemblait à la description qu'on lui en avait faite. Assez grand, borgne, doté d'une aura très particulière. Il ne ressemblait pas à ses cousins pour tout dire... Pas tout à fait. Korentin et Gregorist partageaient certains traits même si parfois discrets, alors que celui là... Oh il était un Kohan, aucun doute là dessus. Mais un Kohan d'une autre espèce... Un être plus retors et donc plus difficile à manier. Il fallait se montrer prudent, même si toutes comparaisons oubliées, il ne restait ni plus ni moins qu'un humain, donc un insecte. Restait juste à savoir si il pourrait se montrer utile avant d'être purement et simplement écrasé comme tout humain se devait de l'être. Jusque ici il fallait bien avouer qu'il avait plus été gênant qu'autre chose, mais peut-être avait-il l'intention de changer la donne ?

Il semblait bien que ce soir le cas vu ce qu'il disait. Pas d'alliés hein ? Pourtant ce qui s'était mis en place entre l'empire et l'envahisseur Alayien pouvait difficilement prendre un autre nom que celui d'alliance... Il restait impassible en y songeant mais la lueur doucereuse qui brûlait dans ses prunelles prouvait bien tout le mal qu'il pouvait penser de cette collaboration. Oh bien sur il en avait très bien compris les raisons. Dans la situation où il se trouvait au moment de son accession au trône l'usurpateur avait en réalité accomplit un coup de maître en s'alliant avec ceux qui étaient sur le point de le détruire. Mais le voir déchanter à présent, et finalement s'apprêter à changer de camp, car pourquoi serait-il là dans le cas contraire et pourquoi veillerait-il si jalousement à ne pas être épié ? Et bien c'était très intéressant.

Il avait légèrement haussé un sourcil en l'entendant dire que ses pensées étaient protégées, incapable de le sonder magiquement alors même que son esprit était si loin mais trop expérimenté pour ne pas renifler une puissance source magique là dessous. L'espion dont il parlait c'était Néant forcément, Lorenz avait eu énormément de mal à admettre que cet Esprit là s'amusait à chuchoter à l'oreille de ses serviteurs mais les nombreux rapports qui abondaient en ce sens avaient fini par le convaincre. Si Fabius Kohan était parvenu à contourner cette omnicience alors ça l'intéressait grandement, mais il semblait bien que ça ne doive pas être le sujet pour cette fois. Soit.. Il attendrait un peu pour en apprendre plus. Il demeura de marbre en s'entendant qualifié de bouclier et le laissa terminer avant de répondre sans hâte et sans relever l'allusion aux elfes :

"Un accord est toujours envisageable lorsqu'il s'agit de détruire un ennemi commun, je ne marcherai pas aux côtés de Korentin Kohan si ce n'était le cas. Son alliance est solide, ses troupes prêtes à combattre et nous tenons une position défensive suffisamment solide pour espérer une victoire. La question qui se pose dans cette situation est simplement de savoir ce que l'empire pourrait bien m'apporter..."

Il avait penché la tête comme pour mieux illustrer sa fausse curiosité. En vérité il avait à présent assez d'indices pour savoir que ce Kohan là comptait bien reprendre son indépendance et que cela ne pourrait passer que par la défaite des Alayiens. La grande question étant de savoir comment il pouvait utiliser ça... Et si ça valait le coup, car vu la haine que Korentin entretenait désormais pour son cousin il était clair qu'il ne pourrait pas jouer sur les deux tableaux, ce serait l'un ou l'autre. Et pour le moment le régicide semblait avoir bien plus à lui apporter que l'usurpateur... Quoique. Il ne pouvait pas le savoir puisqu'il ignorait tout des projets de Lorenz vis à vis de Néant, mais il y avait bien une chose qu'il pouvait lui apporter, ou plutôt quelqu'un... Un quelqu'un qui ne serait sans doute pas capturé autrement même en cas de victoire des rebelles. Il faudrait le traquer longuement à travers le continent et ce serait autant de temps de perdu. Cachant soigneusement ses pensées, l'ancestral fixa pensivement le roi humain :

"Alors ? Que puis attendre des troupes impériales si ce n'est les voir décrocher au pire moment pour l'ordre d'Obsidienne ? Bien sur cela me remplirait d'aise, mais il n'est pas certain que cela m'apporte pour autant la victoire... D'autant que le Prêcheur a une carte dans sa manche que j'ignore encore, sinon il n'attaquerait pas une position aussi bien défendue..."

Il ne pensait pas vraiment que le général Alayien ai pu mettre l'empereur dans la confidence à ce sujet, il y avait même de très fortes chances pour que ce dernier ignore tout des véritables plans de ses soit disant alliés... Aucune utilité de les lui demander donc. Mais peut-être pourrait-il se rendre utile autrement, enfin surtout ses troupes... Il reprit donc doucement :

"Il va combattre n'est-ce pas ?"

C'était une affirmation à peine interrogative, Aldakin du Néant ne prenait jamais de risques inutiles mais au même titre que Lorenz il lui arrivait de prendre part aux batailles. Si il pouvait être suffisamment surprit par la défection des troupes impériales... Bien sur il aurait prit cette possibilité en compte, mais il aura sans doute compté sur Néant pour l'en garder... Pour peu qu'il obtienne quelques mauvaises informations par dessus tout ça, que me timing soit respecté et peut-être... Peut-être serait-il possible de le capturer. Qu'importerait alors le nombre d'Alayiens encore en vie, ils n'auraient plus aucune chance si Lorenz parvenait à détruire leur esprit protecteur. Quand aux deux rois, ils ne le seraient que pour un temps limité puisqu'il serait alors libre de reprendre ses propres projets... Plus que pensif, il ne revint à l'instant présent que quand son interlocuteur reprit la parole...

La conversation s'annonçait pour le moins difficile. En premier lieu parce qu'il avait en face de lui un être rodé en la matière et naturellement peu enclin aux concessions. Ensuite parce que cette silhouette fantomatique, cette projection astrale n'arrangeait rien au problème. L'autre était trop... distant, et les habituelles mimiques dont Fabius se servait pour cerner ses adversaires, déjà qu'elles devaient être peu présentes chez l'immortel, se révélaient pratiquement imperceptibles.

Il nota néanmoins un certain intérêt chez le vampire pour ce qui était de la manière dont il protégeait ses pensées. Il l'avait peut-être rêvé, mais il en doutait. C'était une interprétation cohérente avec ce qu'il savait de Lorenz Wintel. En bon suprématiste et en redoutable stratège, il devait voir d'un mauvais œil l'omniscience de Néant, et c'était là probablement un doux euphémisme. Cela étant, le Borgne n'avait aucune envie de partager cet avantage avec qui que ce soit.

Du reste, le Prince des morts-vivants ne laissât échapper aucun indice concernant la présence ou non des elfes. De même que la petite provocation de Fabius, destinée plus à comprendre ce qu'il avait en face de lui qu'à marquer des points, ne lui attira rien d'autre qu'un faciès de marbre. Un client pour le moins difficile, mais il ne s'était pas attendu à autre chose. S'il n'avait pas autant haï Korentin, il aurait presque pu avoir pitié. Les journées (ou les nuits) devaient décidément être très longues avec de tels collaborateurs. Et dire qu'il se plaignait d'Aldakin...

Pour en revenir aux elfes, si le monarque n'obtenait aucune confirmation, ce n'était pas une catastrophe pour autant. D'instinct, il préférait partir du principe que le pire des scénarios était advenu. Comme son père le disait à chaque fois : "imagine toujours le pire et tu n'auras dans la vie que des bonnes surprises". Dommage qu'il eut été une telle ordure, il aurait fait un parfait conseiller s'il n'avait dû le faire tuer.

Evidemment, aucun miracle ne se produisit. La réponse fut froide, catégorique et d'une logique sans faille. Pour qu'il renie son actuelle alliance au profit d'une autre, son interlocuteur cherchait des conditions plus avantageuses. Fabius ne s'était pas attendu à autre chose, quoique l'idée un peu folle, à l'orée du fantasme, d'un Prince s'agenouillant devant lui pour accomplir ses quatre volontés lui eut traversé l'esprit.

Si je puis me permettre cette remarque... si vous pensez que la défection de mes troupes ne suffirait pas à remporter la victoire... c'est dire à quel point vous n'êtes en vérité peu sûr de la remporter contre toutes nos forces coalisés.

Normalement il n'aurait pas dû s'autoriser ce commentaire. C'était un bon moyen de s'aliéner son interlocuteur sans que cela ne mène à quoique ce soit de constructif. Mais il préférait ne pas perdre de temps, et pour que la conversation ne soit pas faussée, autant jouer cartes sur table. Les rebelles, tout aussi préparés qu'ils soient, finiraient par perdre, que ce soit dans dix mois ou dans dix ans. Ils étaient littéralement coincés sous terre. Et lorsque ce serait fait, Fabius n'aurait d'autre choix que de devenir définitivement une marionnette, ou de disparaître dans quelque "tragique accident".

Le Prêcheur a toute l'infrastructure de l'Empire à sa disposition. Il peut vous assiéger pour l'éternité si ça lui chante, et vous savez qu'il est suffisamment déterminé pour cela. Les vampires ont besoin de se nourrir régulièrement, je crois ? Combien de temps exactement, tiendra une alliance entre proies et prédateurs alors même que vous serez tous confinés sous terre ?

Il a probablement tout un paquet de carte caché dans sa manche. Mais en aurait-il seulement besoin ? Là est toute la question.

Et oui, il combattra. Sous certaines conditions, je pense. C'est un stratège et un fanatique. Si vous êtes repéré pendant la bataille, il pourra à la fois couper la tête des vampires et venger Néant, stratégie et foi réunis en une seule action. Une pierre, deux coups. Même lui ne pourrait résister à un tel appât.

Enfin, ce n'était qu'une supposition, mais le Roi pensait avoir suffisamment cerné le personnage pour qu'elle soit pertinente. Et sinon ? Eh bien ce serait la mort pour tout le monde, pas de quoi en faire un drame. On ne faisait pas d'omelette sans casser les œufs. Notant toutefois la brèche (Lorenz semblait particulièrement intéressé par le Prêcheur), il s'y engouffra, laissant son esprit retors exposer un plan possible.

En son absence, je pourrai prendre le contrôle du centre de commandement. Envoyer la plus grande partie des alayiens sur des cibles éloignées du Prêcheur. Rapatrier mes troupes et vous laisser en charge de la boucherie qui s'en suivra.

Sa voix restait neutre, il aurait pu être en train de faire ses courses. Sauf qu'il ne faisait jamais les courses. Il était l'Empereur.

La réponse de l'humain ne tarda pas, adroite. Mais la sienne fusa tout aussi fermement :

"Les troupes impériales ressemblent actuellement plus à un troupeau de brebis égarées qu'à un corps d'armée digne de mon attention. Alors non, je ne m'appuierai pas sur leur seule hypothétique défection pour remporter cette bataille."

Et paf, qu'il médite donc sur la qualité des renseignements vampiriques. Au contraire des loyalistes, les rebelles avaient la chance de ne pas avoir été infiltrés, et heureusement d'ailleurs car dans le cas contraire Aigue-Royal aurait été localisée bien plus facilement. Il n'y avait que les Lames Noires qui résistaient encore et toujours à toute tentative de corruption ou d'infiltration, mais ce n'était pas une nouveauté et il avait apprit à composer avec depuis longtemps. Pour tout dire le corps d'élite de la garde royale avait depuis longtemps attiré son attention, sa poigne de fer était parvenue à imposer à l'armée vampirique un niveau de discipline bien supérieur à ce qu'il avait été mais cette loyauté là il ne l'obtiendrait sans doute jamais... Pas aussi généralisée dans un seul corps d'armée en tout cas. Ou alors il faudrait qu'il effectue un tri des plus draconiens... Un sujet de réflexion intéressant. Mais mieux valait le laisser de côté pour le moment, d'autant plus que ce que lui disait l'humain était particulièrement inquiétant. Sourcils légèrement froncés, il le fixa quelques secondes de toute son insoutenable attention, cherchant à savoir si il possédait ou non des informations pouvant laisser croire que c'était là le plan du prêcheur. Non, cela ne lui semblait pas le cas. Et tant mieux... C'est tout de même d'une voix prudente qu'il commenta :

"Je ne pense pas que ce soit là le plan d'action du Prêcheur. Et même si c'était le cas il pourrait difficilement localiser et bloquer toutes les sorties du quartier général rebelle. Confiner les vampires sous terre ça a déjà été tenté, ça n'a pas été une franche réussite..."

Et c'était le moins que l'on pouvait dire. Quelques entrées vers le royaume vampirique avait déjà été localisée bien sur mais il était bien trop difficile de les suivre pour parvenir à toutes les trouver. De plus ils avaient le pied trop léger pour être facilement repérés quand ils décidaient que le moment était bon pour aller se promener. Aussi rusé soit le Prêcheur, et Lorenz lui faisait confiance sur ce point, il n'aurait que de très grosses difficultés à mener à bien un projet pareil. D'autant plus qu'il ne pouvait sans doute pas mobiliser éternellement toute son armée pour surveiller les rebelles. Les Alayiens étaient très disciplinés, mais ils étaient en territoires conquis et peu satisfait de l'être. Si ils s'éternisaient trop dans les plaines ils auraient certainement une rébellion sur les bras avant même d'être revenu à Gloria... Sans doute était-ce d'ailleurs la raison qui les avaient poussés à emmener l'empereur avec eux... Ils semblaient n'avoir en lui qu'une confiance relative, et à juste titre apparemment... C'était une bonne nouvelle pour les rebelles même si l'ancestral était plus d'accord avec le fait que son ennemi du moment avait en effet certainement pas mal de cartes encore à jouer. Voilà une partie qui s'annonçait complexe... Mais il commençait à y voir à peu près clair malgré tout, et malgré les nombreuses inconnues qui demeuraient il commençait à entrevoir une ébauche de projet. Le tout dans cette histoire était de savoir quelles étaient ses priorités, et la principale c'était la capture du prêcheur. L'offre de l'humain était donc intéressante... Elle pouvait tout résoudre en peu de temps et il reprendrait même au passage la main sur toutes les puissances en branle sur le continent. L'alliance n'avait pas d'avenir, il l'avait dit lui-même... A terme les vampires lui apporteraient plus d'avantages qu'ils n'en retiraient, alors oui... le moment était venu.

Toutes ces pensées s'organisaient proprement dans sa tête, ses traits restant inexpressifs tandis qu'il réfléchissait. Les deux chemins qui s'offraient à lui n'étaient absolument pas compatibles, mais celui qui éloignait son peuple de l'alliance était le plus logique. Les vampires n'étaient pas fait pour travailler de concert avec leurs ennemis et leurs proies, ils ne l'avaient fait que pour se protéger et la bataille allait mettre fin à tout ceci. Si elle tournait bien, les Alayiens ne seraient plus une véritable menace. Et si elle tournait mal et bien... L'alliance ne survivrait pas non plus et il en serait quitte pour tenter de sauver les meubles. Sa décision était prise comme le prouva la calme assurance qui transparaissait dans sa voix :

"Il est rare qu'on ai le moindre mal à me repérer au coeur d'une bataille... Je m'arrangerai pour qu'il vienne à moi. C'est lui que je veux."

Tranquille, son regard s'était pourtant fait terrifiant tandis qu'il dévoilait volontairement son objectif. Le message était clair, l'empereur et ses troupes ne constituaient pas sa cible pour cette bataille, aussi ne répugnerait-il pas à établir un marché. Totalement immobile, il reprit la parole après un court silence :

"C'est un plan acceptable. Les vampires ne poursuivront pas les impériaux après leur décrochage, les armures en verre noir devraient permettre de reconnaître facilement notre véritable ennemi. Mais les choses doivent être claires, je ne parle pas pour Korentin Kohan. Si les Alayiens sont vaincus alors il ne faudra pas traîner à retrouver les murailles de Gloria, il va marcher droit dessus... Et la ville tombera."

C'était un fait indiscutable. La place était forte, très forte même mais aucune ville aussi fortifiée qu'elle soit ne pouvait résister éternellement avec une garnison trop réduite. L'armée impériale avait besoin de temps pour se reconstruire et Korentin ferait en sorte de ne pas lui en laisser, surtout si il pouvait encore compter sur l'alliance en son entier pour s'emparer de la victoire. Bien sur il s'offusquerait bien haut contre cette manie qu'avaient les vampires de ne pas suivre ses plans mais il profiterait tout de même de la situation pour éparpiller l'armée Alayienne aux quatres vents et récupérer son trône dans les mois suivants, sa priorité à lui était là, et elle entrait en contradiction avec celle des vampires. C'était sans doute sur cela que Fabius Kohan avait compté, et il n'avait pas eu tout à fait tort d'ailleurs comme le prouva la suite :

"Bien évidemment si l'alliance venait à perdre une force telle que celle de mon peuple, cela changerait tout... Je n'ai pas de réel intérêt à voir un Kohan plutôt qu'un autre sur le trône, je propose donc un service pour un autre. Si la coopération active des troupes impériales me permet de capturer Aldakin du Néant alors l'alliance se passera des vampires. Et je ne marcherai pas sur Gloria. Pas avant disons... Six bon mois. Le temps de nettoyer ce continent de l'infecte présence des Alayiens. Cette trêve ne restant évidemment active que si l'empire s'engage à désormais ne voir qu'un ennemi en cette pourriture..."

Sur ce point il ne se faisait pas trop d'inquiétude, Fabius avait vu ce qu'il en coûtait de s'allier à ces gens et il ne pourrait de toutes façons pas facilement revenir en arrière après avoir participé à la chute du Prêcheur. Les six mois de trêve arrangeraient aussi bien les vampires que les impériaux. Les premiers y trouveraient le temps d'en finir avec les Alayiens tandis que les seconds s'échineraient à se reconstruire tout en se chamaillant avec ce qui resterait de l'alliance. Des chamailleries sur lesquelles Lorenz comptait beaucoup... Les Alayiens détruits, il n'aurait plus qu'à ramasser les morceaux de l'empire éparpillés par les deux Kohan... Fabius ne pouvait qu'être conscient du danger, mais il n'y pourrait pas grand chose. Plein d'ironie donc, dans sa courtoisie exagérée, il interrogea :

"Cet arrangement peut-il convenir ?"

Une flamme de pure détermination dansait dans ses prunelles. A aucun moment il n'avait donné son titre à l'humain, à aucun moment non plus il n'avait prit la peine de s'adresser à lui de façon à avoir à le vouvoyer, ce qu'il n'aurait d'ailleurs pas fait. Ses projets étaient limpides, mais pas facile à contrer pour autant. Telle la flamme dévorant le monde sur son passage, il n'avait qu'un intérêt tout relatif pour ceux qui croisaient ainsi brièvement son chemin...

Ce n'était pas au vieux singe qu'on apprenait à faire le grimace... cette expression prenait ici tout son sens. Non content de ne pas être ne serait-ce qu'un poil décontenancé, l'immortel répliqua aussi sec et avec les intérêts. Tout guerrier-mage qu'il soit, il semblait connaître l'art de la diplomatie sur le bout des doigts. Il fallait bien dire qu'à contrario des humains, ce dernier avait eu tout le temps du monde pour apprendre. Bref, le Borgne ne gagnerait rien à ces petits jeux.

Son œil unique soutint autant que faire ce peut le regard du serpent qui lui faisait face, cherchant vaille que vaille à percer ses secrets à l'aide de ses seules prunelles. En l'occurrence, c'était parfaitement inutile. Lorenz Wintel avait eu son espion parmi les impériaux, il était donc au courant de tout ce qu'il avait besoin de savoir. Quant aux plans du Prêcheur, Fabius ne pouvait que supputer, ce dernier ne lui accordait aucune confiance, et à la réflexion, c'était là une sage précaution de sa part.

Il haussa donc les épaules. Cela ne changeait rien. Ou cela changeait tout. Peu importait. Quand bien même les alayiens chargeaient dans les tunnels et se faisaient tous étripés... Il resterait Néant. Une puissance face à laquelle son interlocuteur était impuissant. Comme tout le monde. Néanmoins ce dernier n'était pas du genre à refuser un défi, et l'instinct du mage suggérait que plus qu'Aldakin lui-même, c'était surtout sa connexion avec l'Esprit Supérieur qui intéressait le vampire.

Qu'allait-il en faire ? Ce n'était pas difficile à deviner. Lorenz Wintel était un boucher. Intelligent, rusé, déterminé et tout ce qu'on voulait... mais un boucher tout de même. Il ferait ce que font tout les bouchers : il trancherait dans le vif, jusqu'à que sa proie cesse de gigoter dans tous les sens. Quand bien même cette proie était-elle aussi vieille que le monde.

Le mage en lui se demanda brièvement qu'elles en seraient les conséquences... C'était déjà surprenant qu'il y pense, car cela signifiait qu'inconsciemment il croyait son interlocuteur capable d'un tel exploit. Lui et Merithyn avaient du faire quelque chose de semblable, quand le monde était devenu fou. Peut-être que la prochaine fois il n'y survivrait pas...

Il ricana intérieurement. Ce n'était pas son genre, de s'en faire pour les autres, ou pour le monde. il avait ses propres objectifs, ses propres visées à atteindre. Cela dit, il ne pourra régner sur l'Empire si celui-ci n'existait plus... Enfin. ce n'était là que des supputations. Probable qu'il ne cherchât qu'à se venger du Prêcheur pour un quelconque raison. Qu'à vaincre son ennemi. Sans chercher plus loin. Peut-être d'ailleurs n'était-ce pas nécessaire. Armanda avait prospérée sans Néant, elle s'en sortirait à nouveau très bien sans lui. Le vampire était l'un des plus puissants mages du continent, il devait savoir ce qu'il faisait.

Plus important était la réponse du Prince des damnés. Aussi inquiétante que lui. Mais il ne s'était pas attendu à autre chose venant de la part du monstre. Il n'était bon qu'à être utilisé dans le cadre de ses plans, pour le reste, il ferait en sorte qu'il déchante rapidement. Une fois dans la tente de commandement des alayiens, Fabius enverrait des ordres pour concentrer les attaques sur les forces humaines. Celles-ci prendraient le plus gros des dégâts. Si on ajoute à cela la perte des vampires... cette soi-disant alliance ne serait jamais en mesure de prendre Gloria.

Néanmoins, cela lui coûtait de l'admettre, mais le vampire avait raison. Il lui faudrait reprendre tout de suite le chemin de la capitale, peut-être avant la fin de la bataille, dès qu'il serait sûr que le Prêcheur fut entre les mains de Lorenz Wintel. Ainsi il aurait une longueur d'avance sur son cousin. Restait le problème des elfes et des dragons. Mieux valait prévoir le pire, c'est-à-dire qu'ils seraient aux côtés de Korentin. Par précaution, il leur faudrait piller les réserves de l'Ordre d'Obsidienne. Leurs armes seront utiles. Et si le marché ne stipulait aucun accord avec les alayiens eux-mêmes, il n'y faisait pas mention des armes.

Au final, tout cela servirait surtout les intérêts du cinglé qui lui faisait face. Mais avait-il le choix ? Non, pas s'il voulait le pouvoir. La seule autre solution serait de se rendre à Korentin et de confesser ses crimes, de manière à réunifier le royaume derrière son cousin et d'opposer immédiatement leurs forces coalisés contre le Prince des sangsues. Mais c'était tout bonnement hors de question. Le Borgne préférait encore que le monde brûle. Et plutôt deux fois qu'une. Bien sûr, cela aussi, Lorenz Wintel devait l'avoir compris. Il gagnait sur tous les tableaux.

Sauf, évidemment, si ses actes envers le Prêcheur et Néant conduisaient à la fin du monde. Là, ils auraient tous perdus. Ce qui ne manquait pas d'ironie.

Cela conviendra.

Il n'y avait rien d'autre à en dire, et son interlocuteur semblait déjà l'avoir oublié, tout à ses projets mégalomaniaques. Certes, il était mal placé pour donner des leçons en ce domaine. Quoiqu'il en soit, le monarque fit demi-tour sans un mot de plus. La conversation avait été brève, mais ils n'avaient rien à se dire, et de toute manière, avec la surveillance possible de Néant, mieux valait ne pas faire traîner les choses. Pas de paperasse, de poignée de main ou autre serment. Aucun des deux ne s'y tiendrait. Mais il n'y aurait pas trahison, pas tout de suite, car ce n'était pas dans leurs intérêts.

Entourés des lames noires, l'Empereur perfide mais résolu, retournait vers sa tente.

Cette intrigue est terminée, voici donc le jet de dés récompense !

Dés 1 : Fabius
Dés 2 : Lorenz

Le membre 'Lorenz Wintel' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

#1 'Récompense' :


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#2 'Récompense' :