La musique a bercé l'enfance de Kaleï. Elle aurait dû du moins, si celle-ci y avait été un peu plus sensible mais ce n'était pas le cas. Pas spécialement repoussée par elle, elle n'en était pas pour autant attirée et ses parents musiciens eurent bien beau essayer de lui trouver un instrument qui pourrait lui convenir, cela ne marcha pas. La beauté des sons ne la touchait tout simplement pas plus que cela. Oui, c'était très joli cette mélodie. Et alors ? Pourquoi donc tirait-elle des larmes à tout ceux qui l'entouraient et pas à elle ? Mystère. Mais elle s'en fichait pas mal.

Ce qu'elle aimait elle, c'était le fracas des épées. Le son du métal frottant lascivement contre une autre lame pour revenir frapper plus fort, plus vite, et finalement bruisser presque silencieusement en s'enfonçant dans la chair. La violence ? Non, ce n'était pas spécialement cela qu'elle aimait. Elle était sensible à la poésie toute particulière d'un mouvement de pivot, à la beauté toute simple d'une esquive bien orchestrée et à la soudaine magnifiscence d'un coup porté fatalement. Et plus que tout cela, elle aimait la confiance nouvelle que lui inspirait les armes qu'on lui mettait dans les mains. Elle était née pour cela, elle le sentait, il n'y avait que dans ce domaine qu'elle se sentait parfaitement à sa place et complétement heureuse. Elle était guerrière et pas musicienne voilà, ses parents durent bien se faire une raison même si ce fut difficile.

Plus que difficile même. Cela ne se fit pas sans heurts et sans pleurs. Ses parents avaient des idées bien arrêtées sur elle, sans être particulièrement méchants ils étaient durs et peu disposés à la laisser faire ce dont elle avait envie. Le seul à la comprendre pendant cette période complexe fut son voisin, Merithyn. Il avait sensiblement le même âge et possédait tout ce qu'elle ne possédait pas ! La douceur, la sensibilité, et ce don surtout... Ce don pour la musique et la compréhension des autres. Elle l'envia bien souvent dans son désir de plaire à sa famille mais elle aurait eu du mal à lui en vouloir tant il était la gentillesse incarnée. Il la rassurait, et elle le protégeait. Complémentaires, ils étaient en quelques sortes le jour et la nuit mais ça leur convenait fort bien. Ce fut lui qui l'aida à accepter ce qu'elle était, lui encore qui prit sur lui de convaincre ses parents qu'ils ne pourraient jamais faire d'elle ce qu'elle n'était pas et qu'ils ne feraient que la rendre malheureuse. Elle lui en fut énormément reconnaissante et à son tour elle le soutint dans toutes les épreuves qu'il pu traverser. D'une loyauté sans faille, elle aurait décroché la lune pour peu que ce soit nécessaire aux yeux de celui qui embrassait la voie des baptistrels.


Leurs chemins se séparèrent tout de même lorsqu'elle s'engagea. L'armée devint sa deuxième famille, le cocon où elle se sentait bien. Elle se forgea une carapace qui lui convenait tout à fait et qui lui apportait enfin cette confiance en elle qui lui avait tant manqué. Douée... Elle était douée dans quelque chose. Quel soulagement que de s'apercevoir de cela ! Un échange de correspondance devint le seul lien qu'elle garda avec Merithyn. Ils apprenaient chacun de leur côté, évoluant dans leur destinée et s'épanouissant dans leur art respectif. Il devint baptistrel, elle s'intégra à un corps d'élite et refusa des promotions qui auraient pu l'éloigner du terrain. Elle aimait trop cela, et commander ne l'intéressait pas beaucoup. Le lien écrit se rompit avec Merithyn et elle cru qu'il l'avait oubliée. Elle s'en attrista, beaucoup. Mais c'était la vie n'est-ce pas ? Il était un baptistrel accomplit, sans doute avait-il beaucoup de travail. Elle continua sa route.

Et vint la déception la plus profonde. Les années s'étaient écoulées comme un rêve. Affectée aux frontières, elle ne revenait vers le centre du royaume elfique que très rarement et toujours pour y entendre de très mauvaises nouvelles. Les vampires avaient quitté leurs souterrains, la guerre faisait rage. Son unité fut l'une des rares à être envoyées dans l'empire afin de soutenir les troupes humaines. Elle en développa une haine tenace pour les sang-froids et un certain respect pour le courage des soldats humains pourtant si faibles physiquement. Elle fut renvoyée dans les forêts trop tôt à son goût, ce fut la première fois qu'elle remit en question les ordres de ses supérieurs d'ailleurs. L'aurait-on écoutée, qu'elle serait restée soutenir les humains. Mais c'était peine perdue, les elfes n'avaient pas vocation à soutenir toute la misère du monde paraissait-il. Elle était soldate, elle ne pu qu'obéir.

Le temps passa ainsi avec son lot de surprises. Des dragons en Armanda ! Des aventures épiques pour de nombreuses célébrité et... Merithyn ? Le baptistrel, SON baptistrel, avait quitté le royaume et s'affichait aux côtés d'un dragon et d'un vampire... Sottise que cela. Elle n'y cru pas. Pas vraiment...
Les rumeurs se firent pourtant bien plus insistantes, plus sombres. La colère monta en elle et elle tenta à nouveau de contacter son ancien voisin. Sans succès, ses lettres ne parvenaient jamais jusqu'à lui. Comment l'aurait-elle pu puisque on disait qu'il vivait parmi les vampires ? Merithyn parmi les vampires ? Elle aurait facilement éborgné le moindre inconscient qui aurait eu l'imbécilité de prétendre ce genre de bêtises devant elle ! Elle devait pourtant se faire une raison peu à peu, comment tant de gens auraient-ils pu mentir ?

Elle le hait aujourd'hui. Il est revenu au royaume Elfique mais elle l'a manqué, elle avait été renvoyée chez les humains pour escorter des hauts dignitaires puis pour combattre les envahisseurs Alayiens. On lui a toutefois confirmé que tout ce qu'on prétendait était vrai, et pire encore ! Lié au prince noir, elle sait à présent qu'il a oeuvré au déséquilibre du monde. Il a changé... On le dit lié au feu à une profondeur inimaginable, le même élément que Lorenz Wintel. Son Merithyn est mort, et elle lui doit de tuer celui qui a prit sa place. C'est son devoir, sa lourde charge. Rien ne pourra l'en détourner, pas même ses supérieurs qui ont refusé de lui donner l'autorisation de partir traquer son ennemi. Elle s'en est alors passée, désertant avec regret mais sans hésitation. Prenant son équipement et volant même une grosse somme d'or qui devait servir à payer le régiment. Elle remboursera l'armée d'une manière ou d'une autre, elle se l'est juré. Elle a d'ailleurs laissé une lettre au général Terendul à ce sujet. Sa mission accomplie, elle payera tout ce qu'elle doit et affrontera les conséquences de ses actes. Mais en attendant, elle demeure insaisissable. Patiente et efficace, elle traque sa proie. Aujourd'hui, elle est toute proche de l'atteindre...