Eliwyr Meraennon se réveilla en sursaut. Il n'avait pourtant pas fait de cauchemar, ni de rêve par ailleurs. Cela avait été une sieste salvatrice, entre deux séances du Conseil Impérial. Quelques dizaines de minutes de repos avant de se relancer dans l'arène, et d'essayer de dénouer la crise politique qui paralysait la Royaume Elfique. Bien sûr, la menace latente d'une tentative de coup d'état n'arrangeait rien au problème. Bien au contraire, les conseillers se refermaient sur eux-mêmes, comme décidés à défendre coûte que coûte les intérêts de leur clan respectif, et des alliances forgés patiemment au cours des millénaires entre les différentes familles des vieux bois.
Mais ce n'était pas l'angoisse d'une guerre civile qui avait sortit l'elfe de son repos. Pourtant cette petite boule qu'il avait au ventre depuis lors était toujours là, bien présente, fidèle au poste. Il n'aurait jamais cru que l'anxiété pouvait être aussi harassante. Lui coupant l'appétit et l'empêchant de dormir la nuit, à tel point qu'il avait prit l'habitude de faire une petite sieste dès qu'il se sentait à bout de force et de nerf, puis de reprendre le travail. Sans compter le pessimisme qui l'accompagnait, éternel et dernier ami en ce Royaume. Combien de fois avait-il songé à tout envoyé paître ? Au moins une fois de plus.
Non. Il s'agissait d'autre chose.
Ce qui le frappa avant tout, ce fut la chaleur. Intense. Implacable. Presque suffocante. Il avait beau n'être vêtu que d'une simple tunique légère, il était en sueur, comme après une très longue randonné. Il ne s'était pourtant pas couché au soleil, mais près d'un arbre, dans l'humidité de cette ombre protectrice. C'était d'autant plus étonnant que les larges ombres des grands chênes n'offraient plus aucun rempart contre la chaleur. C'était comme s'il cuisait face au soleil.
Il s'était allongé sur un tapis d'herbe verte, douce et humide. Et voilà qu'il se retrouvait prisonnier, ses membres comme attachés par des lianes heureusement sans épines, la vue cachée par des hautes herbes qui feraient pâlir de jalousie les arbustes, si ceux-ci n'en avaient pas profité pour doubler de taille et... devenir beaucoup plus menaçants. En effet, la flore semblait avoir considérablement renforcé son arsenal défensif. En temps normal, Eli' s'en serait réjouit, mais là... déjà il se demandait ce qui motivait pareil changement et surtout ce que la forêt pouvait bien craindre des elfes... Ils avaient toujours vécus en harmonie.
Le souverain se dégagea tant bien que mal. L'affaire fut d'autant plus difficile qu'il se refusait à faire du mal à la nature. Néanmoins il n'avait pas non plus envie de finir tel l'amant enserré dans une dernière et mortelle étreinte. Il réussit donc à se mettre debout, puis prit quelques secondes pour observer plus attentivement son environnement. Dû moins l'aurait-il fait, si une panthère ne l'observait pas en se léchant les babines. Cette situation était tellement incongrue pour un elfe qu'il ne réagit pas. Et fut donc d'autant plus choqué quand une dizaine de singes tomba sur le prédateur dans une embuscade rondement menée.
Après l'avoir copieusement tabassé à coup de caillou, et tout en criant et en s'agitant dans tous les sens, deux d'entre eux la portèrent et ils partirent ainsi. Sans même accorder un bref coup d'œil au Conseiller. Celui était tellement estomaqué qu'il lui fallut plusieurs minutes pour s'en remettre. Puis il se secoua la tête, comme pour s'éclaircir les idées, et décida finalement de revenir vers la Clairière du Grand Chêne. Les autres Conseillers y seraient sûrement.
Durant le trajet, il se surprit à parler tout seul, ou aux arbres, ou aux insectes, ou à lui-même. Dissertant sur tout et n'importe quoi, il devait vraiment avoir l'air d'un fou. Néanmoins les deux soldats qui le trouvèrent ne semblaient pas franchement surprit. Ils avaient été envoyés pour l'escorter jusqu'à ses pairs. En temps normal Eli' se serait méfié, il n'appréciait plus beaucoup l'armée depuis que son Général avait décidé de se mettre à la politique, mais en l'occurrence, il était content d'avoir quelqu'un avec qui parler.
Saviez-vous que j'ai fais pipi au lit jusqu'à l'âge de cinquante-trois ans ? Non ? C'est difficile à croire, je sais, mais que voulez-vous mon père me filait une frousse abominable...
Et il continua ainsi jusqu'à finalement arriver à destination. Les Conseillers se levèrent à son arrivée, puis se rassirent en même temps que lui. Les premiers mots du Patriarche des Meraennon furent pour le moins singuliers.
Quelqu'un a t-il une pomme ? J'adore les pommes. Surtout les vertes, elle sont plus fermes et plus acides que les rouges ou les jaunes...
Se raclant brusquement la gorge, il se reprit.
Enfin bref. Par tous les Esprits, que se passe-t-il ?!
Tous se mirent alors à parler en même temps. ce qui était franchement étrange venant d'un peuple aussi porté sur les bonnes manières. Eli' réussit finalement à ramener un peu de calme, cela lui prit plus de temps que d'habitude et il se rendit compte au passage que ses talents d'orateur n'étaient plus ce qu'ils étaient. La situation pouvait-elle empirer ? Apparemment oui.
Des rapports nous parviennent de tout le Royaume et d'ailleurs. La faune et le flore des vieux bois sont hors de contrôle.
Il y aurait eu des tremblements de terre et des tornades chez les hommes.
La canicule est partout...
Les gens agissent étrangement...
… Oui, je crois que c'est la perturbation dû à tout ces changements...
… Vous croyez ?! Allons, un peu de sérieux. Il s'agit très probablement d'une altération des totems...
… De la Trame tout entière vous voulez dire, les Esprits sont devenus beaucoup trop puissant...
… Je suis d'accord, vous avez entendu parler de ce qui se passe lorsqu'un sort est jeté ? A chaque fois c 'est la catastrophe.
Mais qui est responsable ? Est-ce les Alayiens ?
Lorenz Wintel ne dirait pas non à une telle augmentation du Pouvoir.
Le Pouvoir ne vaut rien s'il n'est pas contrôlé, canalisé, même Wintel sait cela.
Se raclant à nouveau la gorge, l'Empereur des elfes rappela l'attention des Conseillers Impériaux.
Le débat va dans le bon sens, mais nous manquons d'informations. Pour l'heure, ordonnons à l'armée de se déployer dans tout le royaume pour aider la population et contenir la Nature. Envoyons des demandes d'informations aux hommes. Impériaux ou rebelles. Enfin, demandons aux rôdeurs d'enquêter dans tout Armanda sur le sujet. En attendant nous gérerons les problèmes au fur et à mesure.
L'armée ? Croyez-vous qu'Artaher...
Il n'a pas le choix. Soit il obéit et prouve ainsi son obéissance au Conseil. Soit il désobéit, et met le peuple en danger pour satisfaire son orgueil. Une décision qui lui fera perdre l'estime et le respect des soldats elfiques. Quoiqu'il arrive, nous sommes gagnants.
Utiliser une catastrophe pour renforcer son pouvoir. Cynique au possible, mais Eli' n'avait pas suffisamment de cartes en main pour se permettre de faire dans la dentelle. Et tant pis pour la réputation qu'il se coltinerait au passage.
Eh bien ? Ou sont mes pommes ? J'adore les pommes, surtout quant elles sont coupés en quartier comme ma mère me les faisait... Vous ais-je déjà parlé de ma mère ?
Hum, hum. Il fallait vraiment régler ce problème...